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Imagerie de la Femme 2005;15:127-128 Tribune 127 © Masson, Paris, 2005 Tribune La présence de prothèses mammaires peut-elle être une cause de retard au diagnostic de cancer du sein ? Yves Grumbach Professeur des Universités, CHU, Place Victor-Pauchet, 80054 Amiens Cedex 1. Correspondance : Y. Grumbach, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected] En janvier 2004, paraissait dans JAMA un article concernant l’impact que pouvaient avoir les prothèses mammaires sur la précision mammo- graphique diagnostique des cancers du sein aux États-Unis [1]. L’AFSSAPS m’avait alors demandé d’en faire l’analyse et de déduire si ces éventuels effets délétè- res pouvaient être applicables en France. Il faut tout d’abord reconnaître que nous n’avons pas dans notre pays cette inflation de mise en place d’implants mammaires comme c’est le cas aux États-Unis : 168 885 durant l’année 2002, et souvent chez des femmes de plus en plus jeunes comme cela a également été constaté en Alle- magne. En France, les implants pré-rem- plis de gel de silicone ont été inter- dits pendant plusieurs années, jusqu’à ce que le risque éventuel de connectivites ait été raisonnable- ment écarté, de même que celui très aléatoire d’induire un cancer du sein. Le moratoire concernant ces prothèses a donc été définitivement levé le 1 er juillet 2001. Dans l’article de JAMA, il appa- raît clairement que, chez les femmes porteuses d’implants mammaires, le risque de découvrir des masses mammaires suspectes soit fréquent, ce qui laisse supposer un important retard au diagnostic de cancer. La mammographie est plus difficile à réaliser et doit obligatoirement faire appel à la manœuvre d’Eklund de rétropulsion manuelle de l’implant mammaire (le plus souvent mis en place en rétropectoral), permettant lors de la réalisation des clichés mammographiques de bien dégager la glande mammaire pré-prothéti- que et de bien l’immobiliser par la pelote de compression. Les auteurs relatent que dans une étude plus ancienne de Skinner [2], la sensibilité mammographique chez des femmes avec prothèses était de 66 % vs 94 % pour celles sans prothèse, que 82 % des cancers étaient invasifs pour celles avec pro- thèses vs 57 % pour celles sans pro- thèses, avec une extension gan- glionnaire respectivement de 48 % vs 36 %, avec et sans implants mammaires. L’on peut regretter que des don- nées anciennes datant de 1980 aient été incluses dans cette étude et que la manœuvre d’Eklund n’ait pas tou- jours été réalisée ou n’ait pas été fruc- tueuse. Comme il s’agissait souvent de femmes jeunes, la densité mammo- graphique était souvent élevée (que l’on classerait BI-RADS 3 et 4 actuel- lement) et donc plus difficilement analysable. En France, selon les directives de l’ANAES concernant le Dépistage Organisé (DO) du cancer du sein, les femmes de 50-74 ans, porteuses d’implants mammaires n’ont pas été exclues du dépistage, sachant que la manœuvre d’Eklund, favorisée par l’implantation rétropectorale de la prothèse est toujours tentée, le plus souvent de façon fructueuse, ce qui permet de dégager une glande mam- maire bien analysable, y compris chez des femmes sous THS, sauf en cas de fibrose périprothétique importante voire calcifiée. Dans ces conditions, d’autres techniques complémentaires seront nécessaires : échographie, mammo- graphie numérique permettant de vérifier également l’intégrité des prothèses elles-mêmes, voire IRM, y compris avec injection intravei- neuse de gadolinium lorsqu’il existe une opacité ou une masse para-pro- thétique suspecte. Si tout s’avérait normal, le dossier classé momenta- nément BI-RADS 0 pourrait alors être classé BI-RADS 1 et la femme reconvoquée 2 ans après. Il serait intéressant dans notre pays que les fiches de dépistage, dûment remplies lors de la présence

La présence de prothèses mammaires peut-elle être une cause de retard au diagnostic de cancer du sein?

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Imagerie de la Femme 2005;15:127-128 Tribune 127© Masson, Paris, 2005

Tribune

La présence de prothèses mammaires peut-elle être une cause de retard au diagnostic de cancer du sein ?

Yves GrumbachProfesseur des Universités, CHU, Place Victor-Pauchet, 80054 Amiens Cedex 1.

Correspondance : Y. Grumbach, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected]

En janvier 2004, paraissait dansJAMA un article concernant l’impactque pouvaient avoir les prothèsesmammaires sur la précision mammo-graphique diagnostique des cancersdu sein aux États-Unis [1].

L’AFSSAPS m’avait a lorsdemandé d’en faire l’analyse et dedéduire si ces éventuels effets délétè-res pouvaient être applicables enFrance.

Il faut tout d’abord reconnaîtreque nous n’avons pas dans notre payscette inflation de mise en placed’implants mammaires comme c’estle cas aux États-Unis : 168 885 durantl’année 2002, et souvent chez desfemmes de plus en plus jeunes commecela a également été constaté en Alle-magne.

En France, les implants pré-rem-plis de gel de silicone ont été inter-dits pendant plusieurs années,jusqu’à ce que le risque éventuel deconnectivites ait été raisonnable-ment écarté, de même que celui trèsaléatoire d’induire un cancer dusein. Le moratoire concernant cesprothèses a donc été définitivementlevé le 1er juillet 2001.

Dans l’article de JAMA, il appa-raît clairement que, chez les femmesporteuses d’implants mammaires, lerisque de découvrir des massesmammaires suspectes soit fréquent,

ce qui laisse supposer un importantretard au diagnostic de cancer. Lamammographie est plus difficile àréaliser et doit obligatoirement faireappel à la manœuvre d’Eklund derétropulsion manuelle de l’implantmammaire (le plus souvent mis enplace en rétropectoral), permettantlors de la réalisation des clichésmammographiques de bien dégagerla glande mammaire pré-prothéti-que et de bien l’immobiliser par lapelote de compression.

Les auteurs relatent que dansune étude plus ancienne de Skinner[2], la sensibilité mammographiquechez des femmes avec prothèsesétait de 66 % vs 94 % pour cellessans prothèse, que 82 % des cancersétaient invasifs pour celles avec pro-thèses vs 57 % pour celles sans pro-thèses, avec une extension gan-glionnaire respectivement de48 % vs 36 %, avec et sans implantsmammaires.

L’on peut regretter que des don-nées anciennes datant de 1980 aientété incluses dans cette étude et que lamanœuvre d’Eklund n’ait pas tou-jours été réalisée ou n’ait pas été fruc-tueuse.

Comme il s’agissait souvent defemmes jeunes, la densité mammo-graphique était souvent élevée (quel’on classerait BI-RADS 3 et 4 actuel-

lement) et donc plus difficilementanalysable.

En France, selon les directives del’ANAES concernant le DépistageOrganisé (DO) du cancer du sein,les femmes de 50-74 ans, porteusesd’implants mammaires n’ont pas étéexclues du dépistage, sachant que lamanœuvre d’Eklund, favorisée parl’implantation rétropectorale de laprothèse est toujours tentée, le plussouvent de façon fructueuse, ce quipermet de dégager une glande mam-maire bien analysable, y comprischez des femmes sous THS, sauf encas de fibrose périprothétiqueimportante voire calcifiée.

Dans ces conditions, d’autrestechniques complémentaires serontnécessaires : échographie, mammo-graphie numérique permettant devérifier également l’intégrité desprothèses elles-mêmes, voire IRM,y compris avec injection intravei-neuse de gadolinium lorsqu’il existeune opacité ou une masse para-pro-thétique suspecte. Si tout s’avéraitnormal, le dossier classé momenta-nément BI-RADS 0 pourrait alorsêtre classé BI-RADS 1 et la femmereconvoquée 2 ans après.

Il serait intéressant dans notrepays que les fiches de dépistage,dûment remplies lors de la présence

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de prothèses mammaires, puissentêtre utilisées à des fins d’évaluation.

L’on pourrait dans un premiertemps envisager une priorité pour lesrégions où la mise en place d’implantsd’augmentation est la plus pratiquée(Paris, Ile-de-France, PACA…). Ilest vraisemblable que les campagnesde dépistage du cancer du sein en

France et la montée en puissance dela mammographie numérique ferontrevoir à la baisse ces chiffres de dia-gnostic tardif.

Références[1] Effect of Breast Augmentation on the

Accuracy of Mammography and CancerCharacteristics : Diana L. Miglioretti,

Carolyn M. Rutter, Berta M. Geller,Gary Cutter, William E. Barlow, Ro-bert Rosenberg, Donald L. Weaver,Stephen H. Taplin, Rachel Ballard-Barbash, Patricia A. Carney, BonnieC.Yankaskas, Karla Kerlikowske. JAMA2004; 291: 442-50.

[2] Skinner KA, Silbermann H, DougherlyW et al. Breast cancer after augmentationmammoplasty. Ann Surg Oncol2001;8:134-44.