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LA PRISE EN CHARGE GLOBALE DU PATIENT DIABéTIQUE Septembre 2013 • Volume 8 • n° 71 • 9 E d www.diabeteetobesite.org DOSSIER ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT TECHNOLOGIE Diabète et nouvelles technologies : autonomie réelle ou illusoire ? Yannis Constantinidès p. 210 MISE AU POINT Obésité et fonction ventilatoire : quels liens ? Marion Dupuis, Dr Sandrine Pontier-Marchandise p. 218 INTERSPÉCIALITÉS Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ? Pr Étienne Larger, Dr Amal Y. Lemoine, Pr Christian Boitard p. 239 À SAVOIR Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne Dr Nicolas Chevalier p. 245 Trouble bipolaire : l’ETP fait partie intégrante de la prise en charge des patients. Un outil fondamental dans les stratégies thérapeutiques Éducation thérapeutique ambulatoire : quelles modalités ? Pr Hélène Hanaire, Dr Monelle Bertrand Programme d’ETP de proximité : cahier des charges Dr Ana Estrade Trouble bipolaire : qu’apporte un programme d’ETP sur la gestion de l’alimentation ? Dr Laurianne Schreck-Del Bello, Dr Rémy Klein

La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

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Page 1: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

L a p r i s e e n c h a r g e g L o b a L e d u p a t i e n t d i a b é t i q u e

Septembre 2013 • Volume 8 • n° 71 • 9 E

d www.diabeteetobesite.org

dossier

Éducation thÉrapeutique du patient

technologie

diabète et nouvelles technologies : autonomie réelle ou illusoire ?

Yannis Constantinidès p. 210

Mise au point

obésité et fonction ventilatoire : quels liens ?Marion Dupuis,

Dr Sandrine Pontier-Marchandise p. 218

interspÉcialitÉs

Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ?Pr Étienne Larger, Dr Amal Y. Lemoine,

Pr Christian Boitard p. 239

À savoir

Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne

Dr Nicolas Chevalier p. 245

trouble bipolaire : l’etp fait partie intégrante de la prise en charge des patients.

Un outil fondamental dans les stratégies thérapeutiques

Éducation thérapeutique ambulatoire : quelles

modalités ? Pr Hélène Hanaire,

Dr Monelle Bertrand

Programme d’ETP de proximité : cahier

des charges

Dr Ana Estrade

Trouble bipolaire : qu’apporte un programme

d’ETP sur la gestion de l’alimentation ?

Dr Laurianne Schreck-Del Bello,

Dr Rémy Klein

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Septembre 2013 • Vol. 8 • N° 71

sommairewww.diabeteetobesite.org

Assemblés à cette publication : 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages).Photo de couverture : © monkeybusinessimages / iStockphoto

• directeur de la publication :Dr Antoine Lolivier• directrice du développement :Valérie Belbenoît• chef du service rédaction : Odile Mathieu• rédactrice : Caroline Sandrez• secrétaire de rédaction : Fanny Lentz• chef de Fabrication et de production : Gracia Bejjani • assistante de production :Cécile Jeannin• Maquette et illustrations :Erika Denzler, Antoine Orry • directrice de clientèle/projets :Catherine Patary-Colsenet• service abonnements : Claire Lesaint• impression :Imprimerie de Compiègne60205 Compiègne

coMité de Lecture

rédacteur en chef “obésité” : Pr Patrick Ritz (Toulouse)

rédacteur en chef “diabète” :Dr Saïd Bekka (Chartres)

Pr Yves Boirie (Clermont-Ferrand)Pr Régis Coutant (Angers)Pr Jean Doucet (Rouen)Pr Pierre Gourdy (Toulouse)Pr Véronique Kerlan (Brest)Dr Sylvie Picard (Dijon)Dr Helen Mosnier Pudar (Paris)Dr Caroline Sanz (Toulouse)Dr Anne Vambergue (Lille)

coMité scientiFique

Pr Bernard Bauduceau (Paris)Pr Rémy Burcelin (Toulouse)Pr Bertrand Cariou (Nantes)Pr François Carré (Rennes)Pr Bernard Charbonnel (Nantes)Dr Xavier Debussche (Saint-Denis, Réunion)Pr Jean Girard (Paris)Pr Alain Golay (Genève)Pr Hélène Hanaire (Toulouse)Dr Michel Krempf (Nantes)Pr Michel Pinget (Strasbourg)Pr Paul Valensi (Bondy)

diabète & obésitéest une publication

© expressions santé sas2, rue de la roquette

passage du cheval blanc,cour de Mai • 75011 paris

tél. : 01 49 29 29 29 Fax : 01 49 29 29 19

e-mail : [email protected] paris b 394 829 543

issn : 1957-5238n° de commission paritaire :

1013 t 88454prix au numéro : 9 F.

Mensuel : 10 numéros par an.

Les articles de “Diabète & Obésité” sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.

Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite

et constituerait une contrefaçon sanctionnéepar les articles 425 et suivants du code pénal.

L a p r i s e e n c h a r g e g L o b a L e d u p a t i e n t d i a b é t i q u e

n Technologie Diabète et nouvelles technologies Autonomie réelle ou illusoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 210 Yannis Constantinidès (Paris)

n Mise Au poinT obésité et fonction ventilatoire Quels liens ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 218 Marion Dupuis, Dr Sandrine Pontier-Marchandise (Toulouse)

n Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 221

ÉDucATion ThÉrApeuTiQue Du pATienT

un outil fondamental dans les stratégies thérapeutiques

Dossier coordonné par le Dr Saïd Bekka (Chartres) et le Pr Patrick Ritz (Toulouse)

1 n Éducation thérapeutique ambulatoire Quelles modalités ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 222 Pr Hélène Hanaire, Dr Monelle Bertrand (Toulouse)

2 n programme d’eTp de proximité cahier des charges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 226 Dr Ana Estrade (Toulouse)

3 n Trouble bipolaire Qu’apporte un programme d’éducation thérapeutique sur la gestion de l’alimentation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 232 Dr Laurianne Schreck-Del Bello, Dr Rémy Klein (Toulouse)

n inTerspÉciAliTÉs le pancréas du diabète de type 2

Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ? . . . . . . . . . . . . . . . p. 239 Pr Étienne Larger, Dr Amal Y. Lemoine, Pr Christian Boitard (Paris)

n À sAvoir Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne un nouveau concept ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 245 Dr Nicolas Chevalier (Nice)

n renDez-vous De l’inDusTrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 224n BulleTin D’ABonneMenT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 230n AgenDA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 244

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Technologie

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Les nouvelles technologies ont totalement transformé notre vie quotidienne et les

médias se font volontiers l’écho de chaque innovation, présentée comme forcément bénéfique. Les philosophes ont longtemps été beaucoup plus critiques à propos de “l’arraisonnement” de l’homme par la technique (1) ou du “bluff technologique” (2), mais la tendance générale s’inverse depuis peu. C’est ainsi qu’un jeune penseur, Vincent Billard, a récemment consacré

un essai à Apple® sous le titre d’iPhilosophie (3). Si le sous-titre de l’ouvrage (« Comment la marque à la pomme investit nos existences ») évoque l’alié-nation technologique et publici-taire induite par ces gadgets élé-gants et sophistiqués, l’auteur ne la déplore pas, mais y voit un réenchantement bienvenu du monde, un retour joyeux à l’enfance. Cette célébration un brin candide des avancées tech-nologiques n’est pas l’apanage de la jeunesse, qui est née et baigne dans cet univers connec-té, puisque le vénérable Michel

Serres s’y est récemment livré dans Petite poucette, courte mé-ditation optimiste qui caracole depuis plusieurs mois en tête des ventes d’essais (4).

l’ouTil esT-il encore Au service De l’hoMMe ?Il convient de prendre quelques distances avec cette technophi-lie naïve sans verser pour autant dans la technophobie, un des tics préférés des philosophes. Ces livres de convertis ont en effet le mérite de tenir compte

La technologie accompagne le diabète depuis toujours, mais les toutes nouvelles innovations posent un problème éthique dans la mesure où elles risquent de réduire l’auto-nomie du patient qu’elles sont pour-tant censées augmenter. La tenta-tion est en effet grande pour lui de s’en remettre totalement à la tech-nique, au point d’en oublier d’être un acteur de sa santé. L’éducation thérapeutique du patient reste ainsi un discours incantatoire si on ne fait que se servir passivement des outils techniques sans se prendre réelle-ment en main.

Introduction

Diabète et nouvelles technologiesAutonomie réelle ou illusoire ?Yannis Constantinidès*

*Philosophe et formateur en éthique médicale, Paris

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Technologie

du monde réel, de prendre acte de l’omniprésence de la tech-nologie (les smartphones sont ou seront bientôt dans toutes les mains et les petits poucets et pou-cettes s’activent déjà partout) au lieu de jouer à l’intellectuel déta-ché et au-dessus de la mêlée, alors qu’on se sert très certainement des mêmes outils technologiques que tous les autres. On ne sau-rait ainsi nier que les nouvelles technologies augmentent notre réalité, multiplient nos possibili-tés, mais la vraie question est de savoir si ces instruments remar-quables sont bien mis à profit, s’ils accroissent la puissance et l’autonomie de leurs utilisateurs ou si au contraire ils les rendent de plus en plus passifs et dépen-dants. Il s’agit en termes simples de déterminer si l’outil est encore au service de l’Homme ou si c’est l’Homme qui est désormais au service de l’outil, du fait de l’évo-lution interne et implacable de la technique humaine que décrivait dès 1931 Oswald Spengler dans L’Homme et la technique (5).

le cAs Du DiABèTeLe diabète est à cet égard un excellent cas d’étude parce qu’il se prête parfaitement à un suivi quantitatif (délivrance de l’insu-line, surveillance de la glycé-mie, etc.) et semble donc natu-rellement appeler une prise en charge de plus en plus technique (pompes modernes, sensors et rôle important dévolu aux smart-phones). S’il n’est pas question de nier l’importance des progrès technologiques dans la prise en charge du diabète, et ce depuis ses débuts, on peut s’interroger en revanche sur l’idéologie com-plaisante de l’empowerment du patient diabétique, que les nou-velles techniques rendraient plus

autonome, moins dépendant de sa maladie.

lA Technologie Au service De lA prise en chArge Du DiABèTe ?

Qui y gagne vraiment ?Le problème est que cette liberté plus grande est espérée d’une assistance mécanique accrue, qui dispense d’avoir à penser à son traitement. Il faut ici rappeler l’objection classique du sociologue allemand Werner Sombart contre le prétendu effet émancipateur de la technique : « Il est difficile de voir en quoi le perfectionne-

des progrès de telle ou telle tech-nique, il faut, dit justement Som-bart, s’interroger sur ses modali-tés d’emploi concrètes : par qui ? où et quand ? dans quelle mesure ? (7) Faute de ces indispensables précisions, on s’expose à une uti-lisation inadaptée et surtout inef-ficace des instruments proposés. Or, force est de constater que tous les patients ne maîtrisent pas éga-lement les outils standards cen-sés les aider dans le suivi de leur maladie, sans compter que l’utilité de certaines techniques de pointe (les assistants bolus des pompes à insuline par exemple) reste à dé-montrer. D’ailleurs, si l’on évoque

Est-ce vraiment le patient qui gagne à utiliser les nouveaux moyens techniques mis à sa disposition ou est-ce plutôt le médecin ?

ment de la technique instrumen-tale peut assurer la réalisation de l’idée de liberté ou de l’idée de puissance. Une question surtout reste obscure : qui devient libre et qui acquiert la puissance ? Est-ce l’inventeur ou le producteur ou le consommateur […] ? Je crois que la liberté et la puissance sont souvent plus grandes quand on renonce à une acquisition technique que lorsqu’on l’utilise » (6). La conclu-sion est certes trop radicale, mais le problème soulevé bien réel : est-ce vraiment le patient qui gagne à utiliser les nouveaux moyens techniques mis à sa disposition ou est-ce plutôt le médecin qui les lui prescrit (ils facilitent après tout la prise en charge)  ? Ce qui est cer-tain en tout cas, c’est que les labo-ratoires qui les mettent au point et les commercialisent y trouvent leur compte…

nécessité d’une utilisation adaptéeAvant de se réjouir benoîtement

la nécessité d’un “coaching per-sonnalisé” dans certains cas, c’est bien parce que la technique est im-personnelle et qu’elle le reste tant qu’on ne se l’est pas appropriée.

vers un coaching automatiséL’autonomie du patient que doit rendre possible le projet d’éduca-tion thérapeutique est d’emblée réduite par l’accompagnement et l’aide à la décision. Le coaching est dit personnalisé, mais il est en réa-lité automatisé : on donne moins des conseils que des consignes. Il n’est pas étonnant dès lors que le patient se laisse volontiers guider, tout comme les automobilistes par le GPS, par ces instruments toujours plus sophistiqués qui le dispensent de se prendre réel-lement en main. Les médecins s’étonnent parfois de l’ignorance étonnante de certains aspects de leur maladie dont font preuve les diabétiques sans voir que c’est une conséquence nécessaire de la prise en charge technique de l’existence.

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Technologie

Plutôt que de lui attribuer une autonomie illusoire, il faudrait donc mesurer le degré de dépen-dance du patient par rapport à ces outils par ailleurs utiles à son trai-tement comme les smartphones par exemple : se contente-t-il d’y entrer mécaniquement le détail de ce qu’il mange afin d’obtenir en retour un avis savant qu’il suivra sans discuter ou comprend-il réel-lement en quoi consiste son traite-ment ?

coMpliAnce eT DÉpenDAnceL’utilité thérapeutique des moyens technologiques mobilisés contre le diabète repose sur un présupposé essentiel : la bonne observance par les patients des recommandations des médecins. Or, ceux-ci ne sont pas tous également compliants ; le comportement d’un malade, les thérapeutes le savent bien, n’est pas forcément rationnel, même s’il y va de son intérêt : la rébellion, l’écart de régime délibéré sont comme un pied de nez à la maladie chronique. Il ne faut pas en effet sous-estimer le caractère lassant du geste d’entrer nombre de don-nées sur son smartphone chaque jour. Les expériences de prise en charge des diabètes sans insuline menées notamment aux États-Unis, qui ont l’intérêt d’avoir déjà été évaluées, montrent que la plu-part supportent mal cette forte contrainte quotidienne et qu’ils y renoncent assez rapidement.

Il faudrait donc faire preuve d’une grande application pour ne pas délaisser peu à peu cette tâche fastidieuse et pour l’accomplir avec le même sérieux chaque jour. Avec l’habitude, le geste devient mécanique et de moins en moins réfléchi : on peut alors commettre des erreurs (des fautes de frappe)

ou oublier certains détails impor-tants. Ajoutons que le téléphone peut toujours être volé, se casser ou tomber en panne, ce qui en-traînerait la perte, momentanée du moins en cas de sauvegarde externe, de données précieuses. L’autre difficulté vient de la nature même de cet objet technique dont l’usage thérapeutique n’est qu’un parmi bien d’autres. Le smart-phone est également (surtout ?) dédié au divertissement, d’où la possible confusion des genres (professionnel/personnel) que connaissent déjà ceux qui en font une sorte de bureau mobile.

Mais même si le patient était ex-trêmement discipliné et suivait son traitement à la lettre, cela ne serait pas forcément rassurant non plus. La compliance attendue du patient idéal ressemble en effet à s’y méprendre à la stricte obser-vance des rites religieux (faire ses prières toujours à la même heure, etc.) : on s’exécute sans même avoir à investir ce que l’on fait. Cette mécanisation de l’Homme est l’horizon indépassable de la technique lorsqu’on en fait un usage passif, quand elle n’est plus une simple médiation, mais une fin en soi. Le patient non com-pliant résiste inconsciemment à cet asservissement aux machines en négligeant l’une ou l’autre tâche qu’elles lui assignent chaque jour.

Le risque est tout de même pour le malade de s’en remettre entiè-rement à ces gadgets ultrasophis-tiqués qui visent à lui faciliter la vie. L’intention louable de le dé-barrasser du souci quotidien de sa maladie peut de la sorte conduire à sa déresponsabilisation. Or, ce qui reste déterminant, c’est l’enga-gement du patient, sa participa-tion libre et entière à la démarche thérapeutique mise en place. Cet

aspect subjectif n’est évidemment pas quantifiable, contrairement au reste, et il passe de ce fait aisé-ment au second plan. Pour en te-nir réellement compte, il faudrait remettre la technique à sa juste place, celle d’un moyen au service de la volonté de guérir.

lA Technologie incorporÉe

un prolongement du corps humainMais la nature de la technique a profondément changé ces der-nières décennies : elle est passée d’un statut subordonné à une sorte de vie propre. L’utilité a cédé le pas à la nécessité, les instruments n’étant plus réservés à un usage unique ou standard, mais deve-nant multitâches, ce qui les rend plus difficiles à maîtriser pour l’usager. La principale nouveauté, toutefois, tient à l’incorporation des technologies récentes, qui ne sont plus de simples appendices, mais des prolongements du corps humain, tendant à se confondre avec lui. La technique est en ce sens constitutive de notre Leben-swelt (“monde vécu”), comme l’af-firme le philosophe américain Don Ihde, qui insiste sur notre dépen-dance envers les machines qui coa-gissent avec nous. Les instruments que nous utilisons chaque jour, du réveille-matin au téléphone por-table, composent la “texture” de notre existence et la transforment selon leurs spécificités (8).

“hoMo porTABilis”Marshall McLuhan, le célèbre théoricien des médias, qui fut le premier à parler du “village pla-nétaire”, s’était déjà élevé contre l’idée reçue selon laquelle la tech-nique est neutre et que tout dé-pend de l’usage que l’on en fait (9).

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diabète et nouvelles technologies

Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 215

Il avait pressenti que les nouvelles technologies entraîneraient une modification radicale de nos modes de vie. De fait, c’est le corps qui est aujourd’hui le médium – au sens où l’entend McLuhan – de la technique, le corps malade tout particulièrement. On assiste ainsi à une surprenante inversion des rôles où l’ancienne médiation devient l’élément actif de l’asso-ciation. On sait en effet que les nouvelles technologies induisent rapidement des changements physiologiques : des postures corporelles inédites naissent de l’exposition prolongée aux écrans d’ordinateur, la dextérité des pouces se développe anormale-ment à cause de l’usage intensif du smartphone, etc. Il n’est pas excessif à cet égard de parler d’homo portabilis, comme le font certains, pour qualifier l’Homme actuel, à condition de préciser qu’il est porté à bout de bras par son portable et qu’il serait bien démuni s’il venait à l’égarer.

une dépendance crianteLes auteurs technophiles, qui ne manquent jamais de se réjouir des possibilités quasi infinies qui s’ouvrent désormais à l’Homme, ne s’alarment guère en revanche de cette infantilisation de l’uti-lisateur moyen des nouvelles technologies, entièrement pris en main par ce qu’il prend en main. On l’invite d’ailleurs toujours à se laisser guider aveuglément, tout en lui donnant une illu-sion gratifiante de maîtrise et de toute-puissance. En effet, l’auto-nomie valorisée est plus celle de la machine que de l’individu qui s’en sert. La dépendance criante de ce dernier apparaît clairement quand la batterie de l’appareil est déchargée ; la quête frénétique d’une prise électrique pour le recharger trahit alors la nature

symbiotique de notre rapport aux extensions techniques de notre corps (10). On craint subitement de ne plus être assisté en tout.

un eMpowerMenT relatifDe telles rallonges, si l’on ose dire, diffèrent radicalement des exten-sions habituelles du corps malade ou diminué, comme la canne de l’aveugle – exemple célèbre de Maurice Merleau-Ponty (11) – ou

Il faut dire que malgré les beaux discours sur le patient-expert et autosoignant, on fait tout en réali-té pour l’empêcher de prendre ac-tivement part aux soins. Songeons par exemple au système à boucle fermée à venir (sous la forme d’une application – gratuite ? – qu’on té-léchargerait sur son smartphone et qui permettrait de commander à distance la pompe à insuline) : le contrôle automatisé de la glycémie

Le facteur humain doit prévaloir sur l’automatisation pour que le processus de soins soit vraiment efficace.

les prothèses de l’handicapé. Non seulement celles-ci répondent à une nécessité vitale, mais elles sont pleinement maîtrisées par leur utilisateur qui se les est ap-propriées. Ce n’est pas le cas d’In-ternet ou du téléphone portable malgré les apparences : ici, en fla-grante contradiction avec le para-digme platonicien, l’usager en sait beaucoup moins que le concep-teur de l’objet bien qu’il en ait une expérience directe, un “vécu” que ce dernier n’a pas. L’empowerment escompté reste donc très relatif.

l’irrÉDucTiBle fAcTeur huMAin

un patient déresponsabiliséPeut-on réellement remédier à cette passivité du simple consom-mateur en apprenant à mieux se servir de moyens techniques tou-jours plus sophistiqués, comme le soutiennent d’indécrottables opti-mistes ? On peut en douter dans la mesure où l’utilisateur trouve bien commode la déresponsabilisation qu’entraîne la médiation tech-nique. Cela le dispense de la lourde tâche d’être un acteur de sa vie et de sa santé.

est présenté comme la solution idéale à la négligence, fréquente chez les patients, alors que leur non-compliance est peut-être déjà la conséquence d’une prise en charge trop technique de leur ma-ladie. Si un malade est pris en main du début à la fin, il y a de fortes chances qu’il délègue sa responsa-bilité aux machines et même qu’il ne perçoive plus au bout d’un cer-tain temps la gravité de sa maladie. Dans un système aussi élaboré d’assistanat, l’individu se déshabi-tue vite d’être actif et de prendre des décisions par lui-même.

une nouvelle forme de dépendanceOn ne fait en somme qu’échanger une dépendance contre une autre : la dépendance qu’entraîne la ma-ladie pour la dépendance à l’égard des techniques médicales. Dans son célèbre pamphlet, Némésis médicale (1975), sous-titré « L’ex-propriation de la santé », Ivan Illich dénonçait déjà la « techni-cité croissante » de la médecine, mettant en garde contre une dépendance excessive à l’égard de la technologie : « Lorsque les soins et la guérison deviennent le monopole d’organisations ou

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Technologie

de machines, inévitablement la thérapeutique se transforme en rituel macabre. » (12) La formule de « rituel macabre » est bien sûr excessive, mais elle a l’intérêt de mettre en évidence la « perte d’autonomie dans l’action et dans le contrôle du milieu » (13) du pa-tient soutenu en permanence par les techniques médicales.

L’ambivalence des nouvelles technologies apparaît clairement ici comme partout ailleurs. Le perfectionnement constant des outils techniques entraîne une abstraction croissante : les mé-diations se multiplient, on a de moins en moins affaire aux choses

mêmes. Sombart faisait déjà re-marquer que « [notre époque] a oublié les buts pour les moyens » (14). Les moyens en œuvre au-jourd’hui sont certes spectacu-laires, mais ils occultent préci-sément la finalité humaine qui devrait être la leur. La fascination qu’ils exercent a pour rançon l’ef-facement de la subjectivité. Pour reprendre une formule lumi-neuse de McLuhan, « Narcisse est hypnotisé par le prolongement et l’amputation de son propre être dans une forme technologique nouvelle » (15).

La technique augmente en effet notre puissance, mais au prix de

notre autonomie. Il faut avoir pleinement conscience de ce risque de dépendance pour briser le charme et s’éveiller. Le facteur humain doit prévaloir sur l’auto-matisation pour que le processus de soins soit vraiment efficace. Il ne s’agit évidemment pas de se passer d’outils qui peuvent per-mettre une meilleure prise en charge des patients diabétiques, mais de les voir justement comme de simples outils et non des solu-tions miracles. n

1. Heidegger M. La question de la technique, Essais et conférences. Paris : Gallimard, 1958.2. Ellul J. Le Bluff technologique. Paris : Hachette, 1988.3. Billard V. iPhilosophie. Québec : Presses de l’Université de Laval, 2011.4. Serres M. Petite poucette. Paris : Le Pommier, 2012.5. Spengler O. L’Homme et la technique. Paris : Gallimard, 1969.6. Sombart W. Le Socialisme allemand. Paris : Pardès, 1990 : 284.7. Ibid. : 286.8. Ihde D. Bodies in Technology. Minneapolis : The University of Minnesota Press, 2002.

9. McLuhan M. Pour comprendre les médias. Paris : Seuil, Points-Essais, 1977.10. Constantinidès Y. Le Nouveau culte du corps. Paris : François Bourin Éditeur, 2013.11. Merleau-Ponty M. Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard, 1945 : 147. 12. Illich I. Némésis médicale, Œuvres complètes, vol. I. Paris : Fayard, 2004 : 651.13. Ibid. : 623.14. Sombart W. Le Socialisme allemand. Op. cit. : 276.15. McLuhan M. Pour comprendre les médias. Op. cit. : 29.

Notes

mots-clés : Diabète, nouvelles technologies,

Autonomie, Dépendance, compliance,

empowerment

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218 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

Mise au point

iMpAcT De l’oBÉsiTÉ sur lA foncTion respirAToireSur le plan fonctionnel, il existe une diminution des volumes res-piratoires, essentiellement expi-ratoires, responsable d’une insuf-fisance ventilatoire restrictive. La présence d’une graisse abdo-minale importante diminue la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) et donc augmente la com-posante résistive du travail respi-ratoire. L’infiltration graisseuse des muscles de la cage thoracique entraîne quant à elle une dimi-nution de la capacité pulmonaire totale (CPT). Pour un index de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 kg/m², la CRF et le volume de réserve expiratoire (VRE) sont

respectivement de 75  % et 47  % des valeurs d’un patient ayant un IMC de 20 kg/m² (2). De même, par augmentation des résis-tances bronchiques, on constate fréquemment une obstruction bronchique pouvant mimer de l’asthme.

Il existe une relation exponentielle entre l’augmentation de l’IMC et la diminution du VEMS (volume expiratoire maximal seconde). La CPT est elle aussi influencée par l’IMC mais de façon moindre (3) (Fig. 1).

Du fait de ces modifications phy-siologiques, le patient obèse est donc plus sujet à certaines patho-logies respiratoires. Inversement, des maladies respiratoires pré-existantes peuvent être influen-cées par l’obésité.

oBÉsiTÉ eT pAThologies respirAToires

asthmeLa prévalence de l’obésité et celle de l’asthme ont augmenté de façon parallèle ces dernières années. Dans une étude canadienne de 2002 portant sur 9 149 hommes et femmes, les femmes ayant un IMC supérieur à 30 kg/m² ont un risque relatif de développer un asthme dans les deux ans de 1,92 (IC 95 % [1,09-3,41]) (4). De même, dans une étude américaine de 2004 (5), le risque relatif de déve-lopper un asthme sur une période de 13 ans est de 1,87 (IC 95 % [1,12-3,13]) chez les patients ayant un IMC supérieur à 35 kg/m². Ce risque relatif devient non-signifi-catif quand on étudie la population masculine. Il est donc possible que

figure 1 – réduction des volumes pulmonaires chez le sujet obèse prédominant sur les

volumes expiratoires d’après Beuther DA et al. (15).

L’obésité est un problème de santé publique en constante progression dans les pays occidentaux. En 2012, 15 % de la population française est obèse contre 8,5 % de la popula-tion en 1997. Le surpoids concerne 32,3 % de la population (1). Outre les nombreux problèmes métabo-liques et cardiovasculaires qu’elle peut entraîner, la prise de poids peut parfois provoquer une modification de la physiologie respiratoire.

Introduction

obésité et fonction ventilatoireQuels liens ?Marion Dupuis*, Dr Sandrine Pontier-Marchandise*

*Service de Pneumologie, Hôpital Larrey, Toulouse

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Obésité et fOnctiOn ventilatOire

Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 219

le statut hormonal et notamment les œstrogènes jouent un rôle à ce niveau. L’obésité est associée à un état pro-inflammatoire sys-témique et bronchique via entre autres la sécrétion de leptine  ; de plus, elle entraîne une réduction du diamètre des voies aériennes altérant ainsi la fonction des muscles lisses au long terme, tout cela contribuant donc au dévelop-pement d’un trouble ventilatoire obstructif et d’une hyperréactivité bronchique. Si l’asthme est plus fréquent chez les patients obèses, il est aussi plus sévère et plus dif-ficilement contrôlable, et cela en raison d’une inflammation bron-chique importante et d’une asso-ciation plus fréquente à certaines pathologies (RGO, SAS…) (6).

bpco Dans une étude américaine de 2002 (7), un IMC supérieur à 28  kg/m² augmente le risque de diagnostic de BPCO de 1,80 (IC  95 % [1,31-2,46]). La prévalence de l’obésité chez les patients BPCO est de 18  % aux Pays-Bas contre 10  % dans la population générale et de 54  % en Californie contre 20  % dans la population générale (3). Cette prévalence est plus im-portante dans les stades précoces de BPCO. Plusieurs études épidé-miologiques ont permis de mettre en évidence un paradoxe entre l’augmentation de l’IMC et le

risque de mortalité dans la BPCO. En effet, chez un patient ayant une BPCO, plus l’IMC augmente, plus le risque relatif de mortalité dimi-nue (dans l’intervalle du surpoids et non de l’obésité). Le surpoids serait donc un facteur protecteur (8).

obésité et troubles respiratoires du sommeilL’obésité est classiquement asso-ciée au syndrome d’apnées du sommeil. Un autre trouble, moins fréquent mais responsable d’une morbidité non-négligeable, doit aussi être évoqué  : le syndrome obésité-hypoventilation.

❚ sahos Le syndrome d’apnée-hypopnée obstructive du sommeil (SAHOS), est une pathologie fréquente chez le patient obèse. L’hypothèse ana-tomique d’une réduction de la lu-mière pharyngée par l’infiltration graisseuse est souvent évoquée, mais d’autres mécanismes, notam-ment inflammatoires, entrent très probablement en compte. La pré-valence du SAHOS augmente avec l’IMC (9). Dans une étude de 2008, elle est de 33 % pour un IMC entre 25 et 34,9 kg/m², de 71,43 % entre 35 et 39,9, de 73,48  % entre 40 et 49,9, de 76,67  % entre 50 et 59,9 et de 94,83  % pour un IMC supé-rieur à 60. La sévérité du SAHOS n’est pas corrélée à l’IMC (10). Un

SAHOS associé à l’obésité doit tou-jours faire rechercher une hypo-ventilation alvéolaire et un trouble ventilatoire associé. La Société de pneumologie de langue française recommande de réaliser une ex-ploration fonctionnelle respira-toire et une gazométrie artérielle à tout patient ayant un SAHOS avec un IMC ≥ 30 kg /m² (11).

❚ sohLe syndrome obésité-hypoven-tilation (SOH) est défini par la présence d’une hypercapnie supérieure à 45 mmHg chez des patients ayant un IMC supérieur à 30 kg/m² en l’absence de toute autre pathologie respiratoire (12). L’hypercapnie est d’autant plus fréquente que l’IMC augmente. L’hypoventilation alvéolaire est responsable d’une surmortalité significative avec à 18 mois 23  % de mortalité dans le groupe de patients obèses avec SOH contre 9  % dans le groupe de patients obèses sans SOH (13). La physio-logie du SOH est multifactorielle et peut être expliquée à la fois par une insuffisance ventilatoire res-trictive (réduction des volumes pulmonaires, surtout la CRF et le VRE) (14), par une diminution de la compliance thoracique (15) et une augmentation des pressions abdominales, par une insuffisance des muscles accessoires au cours du sommeil paradoxal (16) et par

Tableau 1 – index d’apnée du sommeil et perte de poids après chirurgie bariatrique.

Études patients(n)

iMc pré-opératoire

kg/m2

iMc post-opératoire

kg/m2

iAh pré-opératoire

/h

iAh post-opératoire

/h

suivi significa-tivité

Rasheid 2003 (18) 11/100 62 40 56 23 3-21 mois p < 0,001

Dixon 2005 (19) 25 52,7 37,2 61,6 13,4 1 an p < 0,001

Fritscher 2007 (20) 12 55,5 34,1 46,5 16 24 mois p < 0,05

Charuzi 1992 (21) 47/51 - - 60 8 5 semaines à 2,5 ans

p < 0,001

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220 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

Mise au point

une hypoventilation d’origine cen-trale par déficience en leptine (17).Le patient obèse est donc plus à risque de pathologie respiratoire. Mais l’amaigrissement diminue-t-il ce risque ?

oBÉsiTÉ eT chirurgie BAriATriQueCette relation a surtout été étu-diée pour le SAHOS. Globalement, l’index d’apnée-hypopnée (IAH) diminue d’autant plus que le poids diminue de façon importante, mais ne se normalise pas forcé-ment.

Les études présentées dans le ta-bleau 1 montrent sur des nombres assez modérés de patients une diminution significative de l’IAH (18-21). Il n’y a pas de normalisa-tion de l’IAH, de même qu’on ne constate pas dans ces études de normalisation de l’IMC. Malgré tout, on constate le plus souvent des IAH < 30/h autorisant le dé-sappareillage lorsque les patients

étaient sous PPC au préalable. Charuzy et al. ont évalué l’effet de la chirurgie bariatrique (bypass et sleeve) au long terme. Cinquante et un patients ont été inclus dans cette étude, le poids moyen avant la chirurgie était de 138 kg. En pos-topératoire (5 semaines à 2,5  ans après la chirurgie), l’IAH est passé de 60 à 8/h (p < 0,001). Six patients ont été suivis sur 7 ans  ; on constate alors une réascension de l’IAH (12,4 à 1 an versus 34,5 à 7 ans) parallèle à la réascension du poids (21).Au travers de ces études, il est donc évident que la réduction du poids permet une réduction des troubles respiratoires du sommeil. La dis-parition du SAHOS est rare et le patient doit être surveillé comme le montre la dernière étude citée, car une réaugmentation de l’IAH est possible dans les années qui suivent.

conclusionIl existe une modification de la phy-

siologie respiratoire chez le patient obèse entraînant une augmenta-tion de la prévalence des patho-logies obstructives. La réduction du poids permet la réduction de ces pathologies et doit faire partie intégrante de la prise en charge d’une pathologie respiratoire obs-tructive. La perte de poids doit être strictement encadrée et se faire sous la forme d’un réentraînement à l’effort plus que d’un régime hypo-calorique. De nombreuses études montrent que les troubles respi-ratoires du sommeil sont plus fré-quents chez le sujet obèse et que la réduction pondérale permet de di-minuer le risque de développement de ces troubles mais la cinétique de la décroissance de l’IAH et le niveau optimal de perte pondérale pour le normaliser ne sont pas connus... n

1. Enquête ObEpi 2009.2. Jones RL, Nzekwu MM. The effects of body mass index on lung volumes. Chest 2006 ; 130 : 827-33.3. O’Donnell DE, O’Donnell CD, Webb KA, Guenette JA. Respiratory Consequences of Mild-to-Moderate Obesity: Impact on Exercise Perfor-mance in Health and in Chronic Obstructive Pulmonary Disease. Pulm Med 2012 ; 2012 : 818925.4. Chen Y, Dales R, Tang M, Krewski D. Obesity may increase the incidence of asthma in women but not in men: longitudinal observations from the Canadian National Population Health Surveys. Am J Epidemiol 2002 ; 155 : 191-7.5. Ford ES, Mannino DM, Redd SC et al. Body mass index and asthma inci-dence among USA adult. Eur Respir J 2004 ; 24 : 740-4.6. Didier A, Mailhol C. Asthme, alimentation et obésité. Revue française d’allergologie 2011 ; 51 : 126-9.7. Guerra S, Sherrill DL, Bobadilla A et al. The relation of body mass index to asthma, chronic bronchitis, and emphysema. Chest 2002 ; 122 : 1256-63.8. Landbo C, Prescott E, Lange P et al. Prognostic value of nutritional sta-tus in chronic obstructive pulmonary disease. Am J Respir Crit Care Med 1999 ; 160 : 1856-61.9. Young T, Peppard PE, Gottlieb DJ. Epidemiology of obstructive sleep apnea: a population health perspective. Am J Respir Crit Care Med 2002 ; 165 : 1217-39.10. Lopez PP, Stefan B, Schulman CI, Byers PM. Prevalence of sleep apnea in morbidly obese patients who presented for weight loss surgery eva-luation: more evidence for routine screening for obstructive sleep apnea before weight loss surgery. Am Surg 2008 ; 74 : 834-8.

11. Recommandations pour la pratique clinique, SAHO de l’adulte. SPLF 2010.12. Olson AL, Zwillich C. The obesity hypoventilation syndrome. Am J Med 2005 ; 118 : 948-56.13. Nowbar S, Burkart KM, Gonzales R et al. Obesity associated hypoventi-lation in hospitalized patient: prevalence, effect and outcomes. Am J Med 2004 ; 116 : 1-7.14. Beuther DA, Weiss ST, Sutherland ER. Obesity and asthma. Am J Respir Crit Care Med 2006 ; 174 : 112-9.15. Zavorsky GS, Hoffman SL. Pulmonary gas exchange in the morbidly obese. Obes Rev 2008 ; 9 : 326-39.16. Bourke SC, Gibson GJ. Sleep and breathing in neuromuscular disease. Eur Respir J 2002 ; 19 : 1194-201.17. O’Donnell. Am J Respir Crit Care Med 1999 (modèles sur souris).18. Rasheid S, Banasiak M, Gallagher SF et al. Gastric bypass is an effective treatment for obstructive sleep apnea in patients with clinically signifi-cant obesity. Obes Surg 2003 ; 13 : 58-61.19. Dixon JB, Schachter LM, O’Brien PE. Polysomnography before and after weight loss in obese patients with severe sleep apnea. Int J Obes (Lond) 2005 ; 29 : 1048-54.20. Fritscher LG, Canani S, Mottin CC et al. Bariatric surgery in the treat-ment of obstructive sleep apnea in morbidly obese patients. Respiration 2007 ; 74 : 647-52. 21. Charuzi I, Lavie P, Peiser J, Peled R. Bariatric surgery in morbidly obese sleep-apnea patients: short- and long-term follow-up. Am J Clin Nutr 1992 ; 55 : 594S-596S.

BiBliographie

mots-clés : obésité, Asthme, Bpco, syndrome

d’apnées du sommeil, chirurgie

bariatrique

Page 12: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

DOSSIER

Éducation thÉrapeutique du patient

Dossier coordonné par le Dr saïd Bekka (chartres) et le pr patrick ritz (Toulouse)

1 Éducation thérapeutique ambulatoire : quelles modalités ? . . . . . p. 222

Pr Hélène Hanaire, Dr Monelle Bertrand (Toulouse)

2 programme d’eTp de proximité : cahier des charges . . . . . . . . . p. 226

Dr Ana Estrade (Toulouse)

3 Trouble bipolaire : qu’apporte un programme d’éducation

thérapeutique sur la gestion de l’alimentation ? . . . . . . . . . . . . . p. 232

Dr Laurianne Schreck-Del Bello, Dr Rémy Klein (Toulouse)

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éducation thérapeutique du patient

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222 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

diabète & obésité  : qu’est-ce que l’éducation thérapeutique de proximité par rapport à l’offre ambulatoire ?hélène hanaire : Dans le panel d’offre d’éducation thé-rapeutique disponible, les programmes sont la plupart du temps dispensés en intra-hospitalier, que ce soit en structures publiques ou libérales. L’idée de proposer une éducation thérapeutique en ambulatoire et en proximité correspond à un besoin de programme, peut-être moins complet, souvent au stade précoce de la maladie. Ce type de programme a l’avantage de pouvoir être dispensé près du domicile du patient, et de ne pas le contraindre à dor-mir dans une structure. L’organisation peut alors se faire dans des cabinets multi-professionnels ou dans une cli-nique ou un hôpital.

d&o  : comment se positionne l’offre d’éducation thérapeutique de proximité ?h.h. : Cette offre devrait s’intégrer dans un continuum d’offre d’éducation thérapeutique plus ou moins sophis-tiqué, correspondant à des besoins évolutifs du patient, en fonction de l’évolution de la maladie et de l’individu.

Ce développement est assez récent. Les programmes ont la plupart du temps été déclinés en hospitalier dans des conditions qui étaient probablement plus faciles à leur réalisation, avec la possibilité d’avoir recours à des équipe multi-professionnelles et à des infrastructures facilitantes. C’est un peu plus compliqué, et sans doute plus “neuf”, de mettre en place des programmes am-bulatoires dans d’autres structures.

d&o : c’est donc une organisation qui n’est pas facile ?h.h. : En fait ce n’est pas facile, pour plusieurs rai-sons. Tout d’abord il faut travailler à plusieurs profes-sionnels, d’horizons différents. Il faut apprendre cette modalité de travail et l’insérer dans le contexte libéral.

Il y a également le problème de la formation. Si les for-mations paramédicales, si les infirmières en premier lieu mais aussi les kinésithérapeutes, se sont emparés du sujet de l’éducation thérapeutique en introduisant en formation initiale des volumes horaires importants, ce n’est pas encore le cas de la formation des médecins.

Ensuite, pour une équipe de professionnels libéraux qui souhaitent déposer un programme d’éducation thérapeutique, c’est compliqué parce que les modes de rémunération de ces activités par les ARS ne sont pas les mêmes que la rémunération à l’acte usuellement pratiquée. Les groupes de professionnels sont ainsi contraints à se mettre dans des dispositions particu-lières, notamment dans des regroupements que l’on appelle SISA. Cela nécessite du temps et de l’énergie pour monter ce type de structure.

d&o : est-il facile d’adresser un patient à un autre professionnel d’une équipe d’éducation théra-peutique ?h.h. : La difficulté rencontrée par certains praticiens pour adresser les patients réside dans le problème de définir qui fait quoi, et la place de chacun dans la

1 Éducation thérapeutique ambulatoireQuelles modalités ?

n Au CHU de Toulouse, des programmes d’éducation thérapeutique ambulatoire sont dévelop-

pés. Ceci amène à des réflexions et à des questions autour de l’articulation de ces derniers avec

des programmes existant en institution. La question du continuum de ces programmes est éga-

lement posée. Nous avons interrogé le Pr Hélène Hanaire et le Dr Monelle Bertrand à ce sujet.

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éducation thérapeutique du patient

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Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 223

prise en charge de ce patient. Évidemment, quand on adresse un patient à un professionnel de la même caté-gorie pour un programme d’éducation thérapeutique, peut surgir l’inquiétude de ne pas revoir ce patient, ou de ne pas se sentir à la hauteur pour réaliser le suivi éducatif à la suite du programme. Il est donc très important pour une équipe de professionnels qui va mettre en place un programme d’éducation thérapeu-tique de repérer la population cible, les freins éven-tuels des confrères, pour organiser les choses afin que chacun soit respecté dans son rôle.

d&o : comment lever ces freins ?h.h. : Le premier élément est sans doute de connaître ce qu’est l’éducation thérapeutique. On ne peut de-mander à un médecin d’adresser un patient dans un programme d’éducation thérapeutique, s’il n’est pas convaincu de l’utilité de cette pratique. Aujourd’hui, le manque de formation initiale des médecins est un frein supplémentaire. Les médecins n’ont pas la for-mation qui leur permette de se sentir concerné ou à l’aise avec ce sujet.

d&o  : comment un médecin peut-il “reprendre la main” dans la prise en charge, après partici-pation du patient à un programme d’éducation thérapeutique ?h.h. : Pour cela, il est important que l’équipe qui délivre le programme donne les clés pour que le pra-ticien de suivi puisse poursuivre l’initiative. Il est important qu’un programme ne soit pas suspendu dans le temps ; il y a eu “un avant” et “un après” ce programme.

Le médecin adresseur donne son opinion du patient, et dit ce qu’il attend ; le programme se déroule et, à la sortie, des repères précis sont donnés au patient, mais aussi au médecin de suivi. Ces repères peuvent être énoncés dans le cadre d’un compte rendu écrit, et correspondent aux éléments du diagnostic édu-catif, aux freins et aux leviers qui ont été identifiés et aux objectifs qui ont été négociés avec le patient. Aussi, et cela est très important, ils correspondent aux moyens pour le médecin de suivi de vérifier avec le patient comment il a (ou non) atteint ses objectifs, et ce qui doit être renégocié après. Je pense que c’est une façon à la fois de rendre plus efficace l’éducation thérapeutique, mais aussi d’emmener dans le dispo-sitif le médecin de suivi, et de conforter la confiance que le patient aura dans ce médecin.

d&o  : pouvez-vous nous donner un exemple pour repositionner le médecin libéral dans le continuum de la prise en charge du patient ?h.h. : On a l’habitude des courriers très biomédicaux, qui racontent l’histoire de la maladie, ses traitements, le retentissement de la maladie, et la stratégie thérapeu-tique à venir. Un courrier qui rend compte d’éducation thérapeutique devrait comporter tout ce qui est l’éva-luation initiale du patient, ce qui l’anime, ce dont il a envie, ses représentations et celles qui le bloquent dans sa prise en charge, les objectifs discutés et négociés. Par exemple, en ce qui concerne l’alimentation, est-ce un ob-jectif de quantité, est-ce l’objectif de se débrouiller lors d’une sortie, pour l’activité physique comment avoir un objectif quantifiable, est-ce de la marche, du vélo, com-bien de fois par semaine, à quel endroit ? Il faudrait être le plus précis possible sur ce qui a été discuté et qui va être mis en œuvre. Parce que c’est cela qui permettra au médecin de suivi de reprendre la discussion. Plus on sera dans le concret, et plus on aura de chance que les choses puissent s’enchaîner.

Une des difficultés est le temps. Pendant le programme on a le temps et on le consacre. Le médecin qui va réa-liser le suivi ensuite a de nombreuses tâches pendant la consultation. Reprendre le fil éducatif n’est pas la seule chose qu’il a à faire. C’est une des raisons pour lesquelles, à mon sens, plus on est précis dans ce que l’on a vu dans le programme, dans la description de ce que l’on a fait, et dans l’énoncé de ce que les patients vont mettre en œuvre, plus on a des chances que le médecin de suivi puisse centrer son attention sur un item ce jour-là. On peut essayer de se faire une feuille de route qui sera uti-lisée dans le temps et qui abordera les différents items. On essaye alors d’insérer dans chaque consultation un temps éducatif. Ce n’est pas évident, il faut être bien organisé.

………………..

d&o  : qu’est-ce que le programme ambulatoire d’éducation thérapeutique chirurgie de l’obésité ?Monelle Bertrand : C’est un programme développé il y a environ deux ans et demi, destiné aux patients qui vont être opérés. Dans un premier temps nous avons invité les patients dont la RCP avait validé l’indication de la chirurgie. Dans un second temps nous y avons éga-lement invité des patients en préparation à cette chirur-gie et avant la décision. Le programme vise à acquérir des compétences pour la période postopératoire.

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éducation thérapeutique du patient

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224 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

d&o : quelle évaluation en faites-vous ?M.B. : L’évaluation de la satisfaction par les patients est très positive. L’efficacité de ce programme vis-à-vis des comportements postopératoires reste à évaluer. La stra-tégie de groupe semble également intéressante. En effet, les patients continuent de se voir et à évoluer ensemble après la participation au programme. Ceci est connu d’autres pathologies, du diabète par exemple.

La participation des patients au programme a permis que l’équipe soignante s’approprie le programme et connaisse mieux les patients. C’est un aspect intéres-sant, puisque les patients vont être suivis pendant une longue période, à vie selon la HAS. La participation des soignants au programme a également augmenté leurs compétences puisque ces séances sont le lieu de ren-contres entre disciplines (infirmier, psychologue, diété-ticien…). Ceci permet une vision plus globale du patient. Il est indéniable que les retours positifs des patients pro-curent du plaisir au travail et valorisent les soignants.

d&o : Faut-il développer des programmes posto-pératoires ?M.B. : Oui sans doute. Nous avons l’objectif de dévelop-per des programmes qui travaillent sur les compétences correspondant à des expérimentations des patients. En effet, le programme préopératoire travaille sur la projec-tion des compétences que le patient devra obtenir quand il sera opéré. Nous souhaitons travailler sur les retours d’expérience des patients, dans un programme ambula-toire, étalé sur un temps suffisamment long, pour cou-vrir de nombreuses situations alimentaires et d’exercice physique. n

Propos recueillis par le Pr Patrick Ritz, CHU de Toulouse

mots-clés : Éducation thérapeutique, Ambulatoire, proximité, continuum

renDez-vous De l’inDusTrie

technologie

une application pour compter les glucides

g luci-Chek, l’application qui compte les glucides pour les

personnes diabétiques traitées par insuline est désor-

mais disponible sur Apple Store et Google Play.

Parce que l’alimentation reste encore trop souvent une diffi-

culté pour les personnes diabétiques, en particulier lorsqu’elles

ne mangent pas chez elles, Roche Diabetes Care lance Gluci-

Chek, une application smartphone qui permet d’évaluer les va-

leurs nutritionnelles des aliments, en particulier les glucides.

Pour apporter une aide concrète, efficace et mobile aux pa-

tients traités par insuline, Roche Diabetes Care a développé

une application smartphone qui leur permet, à tout moment,

d’évaluer les valeurs nutritionnelles de leur repas (en identi-

fiant la valeur glucidique rapidement et simplement) et d’en-

registrer des événements qui peuvent influencer leur glycémie

(stress, sport, fatigue…).

Elaborée en collaboration avec un groupe de patients diabé-

tiques et avec des professionnels de santé, cette application

gratuite propose deux fonctionnalités principales :

- une base alimentaire avec des visuels associés rassemblant

plusieurs centaines d’aliments simples et composés, donnant

le nombre de glucides pour chacun de ces aliments et des in-

formations complémentaires (valeur énergétique, protéines,

lipides…) ;

- un calendrier pour noter les événements importants (hypo-

glycémie, hyperglycémie, journal de l’alimentation, activité

physique…) afin de faciliter une meilleure analyse a posteriori,

en particulier lors de rendez-vous avec des professionnels de

santé.

Grâce à Gluci-Chek, les personnes diabétiques traitées par

insuline peuvent :

- visualiser l’ensemble des aliments qui composent leur repas,

ainsi que son apport glucidique total et son échelle lipidique ;

- enregistrer des événements importants et associer un com-

mentaire personnel à chaque événement.

- accéder à des informations complémentaires et ajouter un

commentaire personnel à chaque aliment. n

Page 16: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

éducation thérapeutique du patient

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226 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

L’éducation thérapeutique du patient fait partie intégrante de la prise en

charge de l’obésité et ce, à tous les stades de la maladie. Nous nous proposons dans cet ar-ticle de présenter le classeur péda-gogique, sorte de “mannequin” ou de “squelette”, d’un programme d’éducation thérapeutique obésité de proximité (OBEPROX) que nous avons construit en Midi-Pyrénées. Nous entendons par “proximité”, l’accessibilité géographique, c’est-à-dire une éducation thérapeu-tique délivrée dans le cadre de vie du patient.

Quels peuvent être les avantages à créer des programmes d’éduca-tion thérapeutique de proximité concernant l’obésité ? Quels freins

peuvent être identifiés ? Nous définirons le cadre, le for-mat, les compétences visées et les modalités d’application et nous nous pencherons sur les modèles existants.

Des AvAnTAges eT Des freinsLa prise en charge des patients obèses n’est actuellement pas har-monisée au sein de notre région Mi-di-Pyrénées et le parcours de soins

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2 programme d’eTp de proximitéCahier des charges

n Le PNNS (Plan national Nutrition Santé 2011-2015) a défini dans ses objectifs prioritaires de

santé publique la réduction de l’obésité et du surpoids. Le Plan national Obésité (PO 2010-

2013) qui en découle a, entre autres, pour missions :

- d’améliorer et structurer l’offre de soins pour les patients obèses au niveau régional et infra-

régional ;

- de faciliter une prise en charge de premier recours adaptée par le médecin traitant ;

- de reconnaître des équipes spécialisées en éducation thérapeutique dans le domaine de

l’obésité en s’appuyant sur un référentiel de compétences intégrant les dimensions psycholo-

gique, diététique et d’activité physique ;

- de promouvoir une coordination territoriale pour la prise en charge de l’obésité.

Dr Ana Estrade*

*Service de Diabétologie, Endocrinologie et Métabolisme, CHU de Toulouse

Page 17: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

éducation thérapeutique du patient

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Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 227

du patient est difficile à identifier. Formaliser une filière de soins pour les patients présentant une obésité est l’une des missions du Centre spécialisé Obésité et l’édu-cation thérapeutique de proximité est une opportunité pour tisser un réseau de soins local efficient et égalitaire pour les patients obèses, quel que soit leur lieu de domicile.

avantagesLa mise en place de programmes d’éducation thérapeutique de proximité permettrait : • pour le médecin traitant ou le spécialiste diabéto-endocrino-logue ou nutritionniste : - le regroupement spatio-tempo-rel des connaissances médicales et paramédicales et des compétences des différents soignants impliqués dans la prise en charge de l’obésité (diététicien, éducateur médico-sportif, psychologue notamment) et donc une meilleure efficacité par une prise en charge coordonnée, - un gain de temps et d’efficacité pour la prise en charge de l’obé-sité du patient en le confiant à une équipe experte et compétente, dont le programme vise à faire perdre du poids au patient en pre-nant en compte plusieurs dimen-sions de la pathologie de manière coordonnée ;• pour le patient : - l’accès à des soins habituellement non-remboursés comme le diété-ticien ou l’éducateur médico-spor-tif, le psychologue, - la prise en charge collective qui représente un avantage du fait de la dynamique de groupe.

freinsCependant, la mise en place de tels programmes se heurte à plusieurs freins.

❚ le manque de tempsEn effet, la mise en place, de l’éla-

boration à la mise en œuvre effec-tive, ainsi que la coordination nécessitent beaucoup d’investis-sements et prennent du temps. L’ARS doit autoriser officiellement le programme, ce qui suppose de se conformer avec professionnalisme et rigueur à la grille de validation.

❚ la motivationL’intérêt porté à l’éducation théra-peutique est certes actuellement croissant mais ce type de prise en charge ne remporte pas tous les suffrages, notamment en milieu libéral, non pas tant du fait de la persistance d’une relation “soi-gnant-soigné” verticale mais sur-tout du fait d’un manque de valo-risation financière de l’éducation thérapeutique.

❚ le personnel soignantL’identification des personnels soi-gnants intéressés au niveau local par la mise en place de programmes d’éducation thérapeutique est dif-ficile. Le regroupement de telles volontés n’est pas aisé dans la me-sure où elles ne sont clairement pas identifiées. Des structures en réseaux avec des campagnes de communication permettraient de contourner cet obstacle.

❚ la formation La formation en éducation thé-rapeutique (40 h minimum) des équipes, requise par l’ARS pour valider les projets d’éducation thé-rapeutique, ajoute une difficulté car elle demande du temps.

cAhier Des chArges D’une ÉDucATion ThÉrApeuTiQue De proxiMiTÉ pour lA prise en chArge De l’oBÉsiTÉEn Midi-Pyrénées, le Centre spé-cialisé Obésité a mis en place un

groupe de travail sous la direction du Pr H. Hanaire pour construire un programme d’éducation thé-rapeutique de proximité pour prendre en charge l’obésité (OBE-PROX). Ce groupe a constitué un classeur pédagogique qui pourra servir de trame aux équipes édu-catives de proximité qui souhaite-ront s’approprier ce programme. Ce classeur définit le cadre du pro-gramme, les compétences visées par le programme, les séances et propose des outils éducatifs. Nous décrivons ci-après les points prin-cipaux.

le cadre minimumDes travaux ont été menés dans le groupe “ETP” commun aux COTERs “Nutrition-Endocrino-logie-Maladies métaboliques” et “Maladies chroniques” de Midi-Pyrénées. Il s’agit d’une adaptation régionale du cahier des charges na-tional. Elle correspond au format accepté par l’ARS Midi-Pyrénées.

La durée du programme est de 8  h, réalisées soit en une journée, soit en deux demi-journées de 4 h, soit en 4 fois 2 h. Le format est choisi en fonction du contexte  : possibilités des patients et de l’équipe d’ETP.

La composition de l’équipe re-quiert obligatoirement la présence d’un médecin. L’équipe comporte au moins deux personnes. Au moins un membre de l’équipe dis-pose d’une formation validée en ETP d’au moins 40 h.

Les compétences visées par le programme sont des compétences d’autosoins, mais aussi des compé-tences d’adaptation.

le public concernéLe programme, tel que nous l’avons construit, s’adresse à :

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- des patients adultes (> 18 ans) ;- des patients présentant une obé-sité (IMC > 30 kg/m2) ;- des patients avec ou sans compli-cations (dans la mesure où les com-plications ne sont pas au devant de la scène au moment de l’entrée dans le programme et où elles sont amé-liorables par la perte de poids).

les compétences à développerDans le contexte de l’obésité non ou peu compliquée, les compétences à développer s’articulent autour de quatre axes : diététique, d’activité physique, psychologique et médical.Les compétences qui nous semblent indispensables à acquérir par le patient pour chacune de ces théma-tiques sont définies dans le tableau 1.

Pour chacun de ces axes, nous avons construit une séance d’éducation avec des supports et outils pédago-giques.Les séances proposées sont collec-tives mais intègrent des temps indi-viduels de réflexion.

le formatÉtant donné le cadre dans lequel s’inscrit ce programme (pro-gramme de 8 h), nous avons opté pour l’élaboration d’un programme structuré prédéfini où le déroule-ment est fixe, identique pour tous les participants. Dans ce type de programme, tous les thèmes sont abordés, l’ordre et le déroulement sont préétablis et le patient se conforme au programme proposé. Ce type de formule vise l’acquisi-tion de compétences considérées comme nécessaires pour tous les patients. On peut reprocher le ca-ractère systématique d’un tel type de programme, qui peut ne pas répondre aux besoins ressentis du patient à un moment donné de sa prise en charge. L’avantage réside dans son organisation plus simple,

sa mise en œuvre plus aisée et plus reproductible du fait du caractère systématique permettant une offre de soins identique à tous. L’autre avantage est celui de la constitution d’un groupe de patients par pro-gramme, ce qui permet de renforcer le lien collectif.

À l’opposé, dans d’autres régions (voir ci-dessous), il existe des pro-grammes “à la carte” qui par défini-tion sont plus souples. Les ateliers sont proposés indépendamment les uns des autres, sans ordre spé-cifique, et négociés avec le patient qui participe donc entièrement à la composition de son propre pro-gramme. Les ateliers restent col-lectifs mais chaque parcours est différent. Les groupes sont donc différents, ce qui atténue la dyna-mique de groupe. L’avantage cer-tain est celui d’une adéquation aux besoins du patient à un moment donné et donc possiblement une meilleure adhérence. Le choix à la carte permet aussi de diversifier l’offre, les intervenants. La gestion des plannings et l’organisation de la coordination en sont en revanche complexifiées.

Ces deux formules peuvent être complémentaires mais de-mandent des moyens humains im-portants, ce qui, en pratique, rend difficile leur coexistence. Le choix de l’un ou de l’autre dépend de plu-sieurs paramètres qu’il est utile de repérer avant la mise en place d’un programme (temps, population concernée, contraintes d’horaires, de lieux, etc.). Chaque bassin de santé doit définir la formule qui paraît la plus adaptée.

les intervenantsUn programme d’éducation thé-rapeutique doit être pluriprofes-sionnel et doit impliquer plusieurs intervenants dont les compé-tences sont complémentaires.

❚ le médecin traitant Il est au cœur de la prise en charge de premier recours du patient obèse. Son implication paraît essentielle pour le bon déroule-ment du projet de soins. Aussi, il doit être à l’initiative de la par-ticipation de son patient à un programme d’éducation théra-peutique. Sa participation à l’éla-boration et à la mise en œuvre de

Tableau 1 – les compétences indispensables.

Axe compétences

Médical Savoir situer son IMC.Comprendre les mécanismes d’évolution pondérale et préciser son évolution pondérale.Lister les complications de l’obésité et comprendre que la perte de poids améliore l’état de santé.

Diététique Évaluer son alimentation en qualité et en quantité.Équilibrer son alimentation.Adapter son alimentation.

Activité physique Définir une activité physique adaptée dans le cadre de l’obésité.Connaître l’intérêt de l’activité physique.Mettre en place une activité physique adaptée.

psychosocial Comprendre le lien entre moral et poids.Exprimer ses difficultés.Connaître les aides à solliciter dans l’entourage et le milieu des soignants.

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tels programmes serait également bénéfique.

❚ le diabétologue-endocrinologue et/ou le spécialiste en nutrition D’une part, son avis complémen-taire peut être requis, notamment dans les cas où l’obésité est intri-quée avec d’autres pathologies. D’autre part, il peut être à l’initia-tive d’un tel programme d’éduca-tion thérapeutique en coordination avec ses confrères généralistes. En Midi-Pyrénées, ces spécialistes sont volontiers à l’initiative des programmes d’éducation théra-peutique concernant le diabète.

❚ le diététicienSa participation dans un tel pro-gramme est indiscutable et doit s’articuler avec les prises en charge médicales.

❚ l’éducateur médico-sportif Il nous paraît nécessaire et ses compétences spécifiques doivent permettre, en partenariat avec les autres soignants, l’élaboration d’un projet d’activité physique pertinent pour chaque patient.

❚ le psychologue Il est également une pièce maî-tresse du dispositif, car l’axe psy-chologique est essentiel dans la prise en charge de l’obésité et trop souvent négligé.

❚ les infirmiers Ils peuvent également être sol-licités en fonction de leurs com-pétences et peuvent faire le lien entre les différents ateliers.

la coordinationIl s’agit d’un point essentiel pour s’assurer du bon fonctionnement du programme d’éducation théra-peutique et de sa pérennité.Elle consiste en la mise en place du

programme mais également dans son évaluation.Au niveau local, l’équipe d’éduca-tion doit assurer sa propre coordi-nation. Au moins un des membres de l’équipe locale doit avoir validé une formation de 40 h sur l’éduca-tion thérapeutique (par exemple sous la forme d’un DU d’éducation thérapeutique), pour que le pro-gramme puisse être autorisé par l’ARS. Cette coordination locale peut s’ap-puyer sur des structures régionales qui peuvent aider, de par leur expé-rience, à la structuration et à la mise en place de programmes d’éduca-tion thérapeutique (exemples ré-gionaux : EVACET, DIAMIP, Centre spécialisé Obésité).

les besoins matérielsDe manière très pragmatique, un programme de proximité suppose des moyens matériels qu’il faut prédéfinir. Ces besoins vont des locaux où peuvent se dérouler les ateliers (maison de santé, centres sociaux, mairie, hôpitaux péri-phériques…) au matériel éducatif proprement dit (outils éducatifs divers, vidéoprojecteurs, ordi-nateurs, supports écrits pour les patients…). Il est nécessaire également de ré-fléchir en amont à la mise au point d’un dossier patient commun qui transite par le patient entre les différents intervenants.

les besoins en tempsLe temps qu’il faut pour se for-mer, élaborer, mettre en place, suivre, évaluer et coordonner un programme d’éducation théra-peutique n’est pas négligeable et ne doit pas être sous-estimé.Il ne faut pas non plus oublier le temps de coordination qui se fait en amont et en aval du pro-gramme et qui assure la gestion administrative.

Des prÉcÉDenTs rÉgionAux eT en frAnceEn Midi-Pyrénées, il existe des programmes de proximité concer-nant le diabète.Ainsi, à titre d’exemple, DIA-MIP (Diabète Midi-Pyrénées) a coconstruit avec des soignants locaux (diabétologues, médecins généralistes, diététicienne, infir-mière) deux demi-journées men-suelles d’éducation thérapeutique concernant le diabète à Muret et Carbonne (Haute-Garonne). Le diagnostic éducatif est porté en amont par les diabétologues qui reçoivent les patients adres-sés par leur médecin généraliste. Les ateliers se déroulent selon un programme fixe, prédéfini et ont lieu dans une salle de la mairie (Carbonne) ou de l’hôpital local (Muret).

D’autres exemples de programmes d’éducation thérapeutique de proximité concernant l’obésité associée ou non au diabète sont déjà en cours dans d’autres dépar-tements de France et menés par des réseaux de santé obésité et/ou diabète. Ainsi, nous citerons le réseau ROMDES en Essonne, le réseau ADOR 55 dans la Meuse, le réseau Oséan dans le Nord ou encore le réseau RODCM en Centre Manche, qui organisent et coor-donnent en proximité avec la par-ticipation des médecins généra-listes des programmes d’éducation thérapeutique.Ces réseaux fonctionnent majori-tairement avec des programmes “à la carte”. Les “prestations” propo-sées sont négociées avec le patient à la suite du diagnostic éducatif. La plupart des ateliers sont collec-tifs mais des ateliers individuels peuvent être intercalés. Le par-cours du patient est défini pour

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des durées de six mois à un an en moyenne.

Elles permettent aux patients obèses l’accès à des soins (diété-tique, activité physique) habituel-lement non-remboursés. Dans certains cas, une participation financière est requise mais reste très modérée.

La pérennité de ces réseaux est soumise à l’heure actuelle aux aléas des financements qui ne sont pas toujours renouvelés et qui mettent en péril ces actions d’édu-cation thérapeutique.Ces expériences sont autant d’exemples sur lesquels s’appuyer pour développer des actions effi-caces et coordonnées afin de ré-

pondre aux besoins de nos patients obèses toujours plus nombreux.

conclusionL’éducation thérapeutique de proximité pour les patients obèses est un outil intéressant et efficace de l’arsenal thérapeutique qu’il faut déployer pour atteindre l’ob-jectif de perte pondérale.

Elle suppose des exigences métho-dologiques dans la conception des programmes qui peuvent consti-tuer des freins à la mise en place mais sont aussi autant de gages de qualité.

Le “squelette” du programme dé-crit dans cet article pose les bases

structurelles d’un tel programme qui peut ensuite être décliné ou “habillé” selon les volontés et pos-sibilités des équipes dans chaque bassin de population, avec l’appui d’une coordination régionale. n

mots-clés : Éducation thérapeutique,

proximité, prise en charge, obésité,

coordination, Multidisciplinarité,

Accès aux soins, programme, eTp

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lA proBlÉMATiQue AliMenTAire chez les pATienTs BipolAiresLe trouble bipolaire, pour lequel la comorbidité est souvent la règle, est fréquemment associé à d’autres troubles, psychiques comme somatiques, venant alour-dir le fardeau des patients. Parmi

ces comorbidités, les troubles des conduites alimentaires (TCA) ont un lourd impact sur l’état de santé des patients, et sont étroite-ment liés à la gestion des affects et à l’impulsivité.

Les données épidémiologiques récentes font état d’une forte pré-valence des troubles des conduites alimentaires chez les patients bipolaires, largement supérieure à la prévalence des TCA en popu-lation générale (de l’ordre de 3 à 5  %). Selon les études, la préva-lence de tout type de TCA chez les patients bipolaires de type 1 varie de 9 à 27 % (1-2), et de 6 à 18 % chez les patients bipolaires de types 1 et 2 (3-4). Fornaro et al. (5), en 2010, retrouvent même une prévalence de l’ordre de 31 % de TCA dans une population de 148 femmes bipo-laires, incluant les types 1, 2 et les

cyclothymiques. En effet, les TCA sont plus présents chez les sujets jeunes et de sexe féminin. Au vu des données récentes de la litté-rature, il apparaît de plus que les troubles des conduites alimen-taires présentent des spécificités chez les patients bipolaires, dans leur présentation clinique (6), mais aussi dans leur mode d’évo-lution (7).

Qu’ils se manifestent avant toute décompensation thymique, ou qu’ils en soient concomitants voire faisant suite aux troubles de l’hu-meur, les troubles alimentaires jalonnent le parcours des patients bipolaires et en alourdissent le pronostic. En effet, plusieurs au-teurs font état des répercussions de cette comorbidité sur la qualité de vie des patients (8), ainsi que sur la gravité de la maladie bipo-

Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique, sévère et chronique. Il s’agit d’un trouble de l’humeur ca-ractérisé par la survenue d’épisodes maniaques et dépressifs dont la fré-quence et l’intensité sont variables. Plusieurs types de troubles bipo-laires sont décrits dans les classi-fications internationales, dont les plus grandes entités sont le trouble bipolaire de type 1, caractérisé par la présence de phases maniaques, souvent le plus sévère, et le trouble bipolaire de type 2, où les phases d’humeur haute sont moins intenses et appelées hypomaniaques. Au-delà des fluctuations thymiques, les patients souffrant de trouble bipo-laire sont sujets à une grande varié-té de symptômes, souvent sévères, ayant des répercussions sur leur vie personnelle, affective, sociale et professionnelle.

Introduction

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3 Trouble bipolaireQu’apporte un programme d’éducation thérapeutique sur la gestion de l’alimentation ?Dr Laurianne Schreck-Del Bello*, Dr Rémy Klein*

*CATTP Récifs, Centre hospitalier G. Marchant, Centre médico-psychologique du secteur 8, Pôle Rive droite Nord-Est, Toulouse

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laire en termes de décompensa-tions thymiques, de risque suici-daire, mais aussi de comorbidités anxieuses ou addictives (9-10).

Les TCA les plus fréquemment retrouvés chez les patients bipo-laires sont de type boulimique ou hyperphagique, et souvent res-ponsables d’une prise de poids, en l’absence de comportement com-pensatoire.

Aussi, la comorbidité TCA est indéniablement liée à la prise de poids des patients bipolaires (11), pourtant déjà à haut risque d’obé-sité (12-13), et ce dès la première décompensation thymique (14), et parfois même avant toute prise de traitement (15). Le surpoids et l’obésité entraînent de plus des complications et de graves consé-quences sur le plan physique, psychique, affectif, social et pro-fessionnel, et aggravent ainsi le pronostic des patients souffrant de troubles de l’humeur.

Outre les TCA caractérisés, de type anorexie, boulimie ou hyper-phagie boulimique, les patients bipolaires souffrent de perturba-tion de leur alimentation. En effet, si tous les patients bipolaires ne présentent pas de TCA spécifiés, certains font part de désordres ali-mentaires, n’ayant pas les mêmes caractéristiques ou la même gravi-té (6). La présentation clinique de ces perturbations alimentaires est variable, pouvant s’exprimer sur un mode qualitatif ou quantitatif, mais aussi dans la capacité à main-tenir une régularité. Les études évaluant la prévalence des crises de boulimie chez les patients bipo-laires, retrouvent des taux d’hy-perphagie boulimique subsyndro-mique (ayant tous les critères du trouble Binge Eating Disorder, sauf la fréquence) de l’ordre de

22 % (4) à 25 % (16). Des épisodes de perte de contrôle subjective sont retrouvés chez 44  % des pa-tients bipolaires, et paraissent liés à un risque d’obésité accru (17).

La prise de poids a le plus sou-vent une origine multifactorielle chez les patients psychiatriques. Alimentation, traitements psy-chotropes, sédentarité liée à la maladie psychique (dépression, apragmatisme) et à l’isolement social sont autant de raisons de développer une obésité.

Dans ce contexte, la prise en charge des patients bipolaires doit nécessairement bénéficier d’une évaluation systématique des com-portements alimentaires et d’un suivi métabolique, afin de mettre en place des stratégies adaptées en termes de traitement et de préven-tion.

lA prise en chArge Des TrouBles BipolAiresAujourd’hui, les patients souffrant de troubles bipolaires bénéficient d’une prise en charge alliant trai-tements médicamenteux (thymo-régulateurs) et psychothérapeu-tiques.

Diverses psychothérapies peuvent être proposées aux patients (psychanalyse, thérapie cogniti-vo-comportementale, thérapie interpersonnelle, basées sur les rythmes sociaux) et selon des mo-dalités individuelles ou groupales.

La psychoéducation fait partie in-tégrante de la prise en charge des patients bipolaires et semble com-plémentaire du traitement phar-macologique associé à un suivi ré-gulier, en permettant de diminuer le risque de rechute et de limiter les effets des décompensations.

Elle peut être effectuée en indi-viduel, par le médecin psychiatre par exemple, mais aussi en groupe, permettant alors la mise en place d’échanges entre les patients sur leur maladie.

Depuis quelques années, la mise en œuvre de programmes d’éduca-tion thérapeutique, plaçant le pa-tient au centre de ses soins, semble avoir un impact considérable sur l’amélioration du pronostic. Par exemple, en apprenant au patient à reconnaître les signes précoces de rechute, la psychoéducation permet de diminuer le nombre de décompensations maniaques et d’améliorer leur fonctionnement social (18). En effet, plusieurs études tendent à montrer une efficacité de l’éducation thérapeu-tique sur les réhospitalisations, le nombre et le délai des rechutes, ainsi que l’observance thérapeu-tique, qu’il s’agisse de groupes de psychoéducation centrée sur le patient (19) ou sur sa famille (20). Cette efficacité semble d’ailleurs plus grande si la prise en charge est effectuée précocement dans l’évo-lution de la maladie.

Ces programmes d’éducation thé-rapeutique du patient (ETP) sont désormais intégrés dans les re-commandations de l’HAS concer-nant le trouble bipolaire (21).

les pArTiculAriTÉs De l’ÉDucATion ThÉrApeuTiQue en psYchiATrieLes programmes d’éducation thé-rapeutique sont encore peu nom-breux en France dans le domaine des affections psychiatriques, mais sont encouragés à se développer (22). Leur importance a officielle-ment été mise en lumière par la loi HPST de 2009 et ils s’inscrivent

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depuis dans le parcours de soins du patient.

Selon l’OMS (23) l’éducation thé-rapeutique vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les com-pétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle se définit comme un ensemble d’activités d’information, de conseil et d’ap-prentissage, ayant pour objectif de donner au patient des compé-tences d’autosoins et d’adaptation, et doit être personnalisée en fonc-tion du patient, de sa maladie, et de son vécu de celle-ci.

En psychiatrie, les mesures psy-cho-éducatives font souvent par-tie de la base de la prise en charge des patients : il s’agit de donner un diagnostic au patient et de l’aider à comprendre sa maladie, son étio-logie, ses symptômes et ses trai-tements. Elles sont souvent déli-vrées par les soignants, médecins ou infirmiers, dès les prémices de la pathologie. Aujourd’hui se déve-loppent des programmes d’ETP visant à renforcer ces mesures psycho-éducatives et à aider le patient à s’approprier sa maladie et à mieux la gérer au quotidien. La prise en charge de groupe apporte de plus une dynamique supplé-mentaire, et le renforcement de liens sociaux, problématique sou-vent au cœur de la symptomatolo-gie psychiatrique.

Les programmes d’ETP se sont d’abord développés dans la prise en charge de la schizophrénie, puis des troubles bipolaires, même si d’autres programmes se mettent en place, ciblant par exemple les troubles de la personnalité.

L’éducation thérapeutique peut aussi concerner la famille du pa-tient, notamment dans des patho-

logies où il est parfois compliqué pour l’entourage de comprendre et d’accepter les signes de la maladie, et où les symptômes propres de la maladie psychique font que le pa-tient aura des difficultés à perce-voir les signes de décompensation.

En psychiatrie, peut-être plus qu’ailleurs, il est primordial d’aider le patient à prendre conscience de sa maladie, et à l’accepter. Un tra-vail d’aide aux patients concernant la déstigmatisation de son trouble, et des autres patients qui en souffrent, permettra aussi d’amé-liorer sa qualité de vie. Dans les af-fections psychiques, bon nombre de symptômes peuvent être à l’ori-gine d’un refus du diagnostic et d’une rupture de traitement. Un déni des troubles, un manque d’in-sight, ou des éléments délirants peuvent, par exemple, amener le patient à arrêter son traitement. Aussi, l’éducation thérapeutique du patient psychiatrique peut s’ar-ticuler autour des médicaments, nécessaires à la stabilisation du trouble, mais dont l’observance est rarement optimale. En effet, selon une étude (24) évaluant les pré-occupations des patients au sujet de leur traitement, la plupart des ruptures thérapeutiques seraient liées au manque d’information.

principes De l’ÉDucATion ThÉrApeuTiQue DAns le TrouBle BipolAireL’éducation thérapeutique du patient souffrant de trouble bipo-laire est principalement indiquée lorsque le patient est stabilisé, en période d’euthymie. En effet, elle nécessite de pouvoir mobiliser cer-taines compétences intellectuelles et de compréhension, qui peuvent être altérées durant les phases de décompensation (troubles cogni-

tifs, trouble de la concentration, distractibilité, etc.).

Les programmes d’éducation thérapeutique se déroulent donc principalement sur des séances de groupe, animées par au moins un psychiatre et un autre soignant formé en ETP, en ambulatoire, avec des patients stabilisés.

D’autres types d’ETP peuvent avoir lieu en hospitalisation, sou-vent plus spécifiques, centrés sur un domaine spécifique (le médi-cament par exemple) et dont les objectifs seront plus élémentaires.

Chaque séance d’un programme d’ETP ambulatoire est animée autour d’un thème, clairement défini, mais dont l’élargissement se fait au gré des réflexions des patients. Certains thèmes peuvent par ailleurs s’étaler sur plusieurs séances.

principales notions abordées en etp du patient bipolaire • L’information sur la maladie bipolaire, et son caractère chro-nique. Le patient va ici apprendre à définir sa propre maladie, et donc à mieux se l’approprier. Ces informations concernent les symptômes des phases dépres-sives et maniaques, ainsi que les symptômes résiduels ou intercri-tiques. D’autres informations sont délivrées à propos des étiologies, des causes biologiques du trouble, notamment avec l’idée d’une dé-culpabilisation et d’une déstigma-tisation des malades. Il s’agit de plus d’informer sur les risques de rechute et leur fréquence. Un tra-vail peut aussi être proposé sur le phénomène de déni et sa compré-hension• L’information sur les différents facteurs déclenchants d’épisodes

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de décompensation, et leurs pro-dromes. Un travail est alors propo-sé aux patients pour les entraîner à repérer leurs propres facteurs déclenchants, ainsi que les signes d’alerte pouvant précéder une dé-compensation.• Des informations sur les traite-ments  : médicamenteux et psy-chothérapiques. Les traitements pharmacolo-giques sont abordés, par leur indi-cation, leur fonction (savoir quels sont les traitements de fond, thy-morégulateurs, et les traitements symptomatiques) leur posologie, la durée de prise recommandée, leurs avantages et leurs inconvé-nients. Les effets indésirables et les risques ou non de pharmaco-dépendance prennent une place certaine lors de ces séances.• L’élaboration d’un plan d’action ou “plan d’urgence”, personnalisé pour chaque patient, correspon-dant à toutes les stratégies et les recours en cas de signe de décom-pensation et visant à prévenir les rechutes et à en minimiser les effets.• L’entraînement à la gestion des symptômes, dépressifs ou ma-niaques, permettant d’améliorer la qualité de vie du malade mais aussi de son entourage. • L’information concernant les risques liés aux consommations de substances telles que les excitants (café, tabac), l’alcool et les drogues, et aux conduites à risques.• L’importance du maintien de rythmes sociaux et biologiques réguliers, et d’une bonne hygiène de vie, comme un sommeil régu-lier et de qualité. La perturbation de cette hygiène de vie est en effet souvent à l’origine de nouvelles re-chutes. Le travail sur la capacité du patient à observer et maintenir ses rythmes psychosociaux peut être favorisé par certains instruments de quantification (25).

• L’entraînement à la gestion du stress, des événements de vie perturbants, déstabilisants, par exemple par l’expérimentation de technique de résolution de pro-blème.• L’accompagnement dans la mise en place de stratégies d’adaptation, de coping, face à la stigmatisation, et aux difficultés relationnelles et sociales liées à la maladie (travail, relations sociales).Il s’agit de proposer un espace aux patients leur permettant d’aborder tous les sujets dont ils ne peuvent pas parler avec leur entourage “non-malade”.• Les réponses à des questions concrètes et/ou personnelles, selon chaque cas, comme par exemple la question de la gros-sesse et des risques par rapport à la maladie, ou encore la question du risque suicidaire et de sa gestion.• L’information concernant les réseaux de soins et les réseaux associatifs, et la transmission des coordonnées d’associations de patients et/ou de familles, de groupes d’entraide mutuelle, et les échanges autour de ce que ces dif-férents soutiens peuvent apporter aux patients. La prise en charge en groupe d’ETP permet aussi parfois de pro-curer aux patients une première expérience de socialisation, et ces derniers pourront par la suite exprimer le désir de recréer ce type de situation groupale dans d’autres contextes.

lA QuesTion Des TrouBles AliMenTAires DAns l’eTp Des pATienTs BipolAiresLa problématique alimentaire est intégrée dans la prise en charge en éducation thérapeutique des patients bipolaires. Elle préoccupe

très fréquemment les patients et les patientes, qui l’abordent sou-vent principalement par le biais de leur prise de poids, et de leur image du corps.

L’alimentation est régulièrement abordée au fil des séances, pouvant se greffer aux divers thèmes pré-cédemment abordés, ou consti-tuer un des thèmes principaux de séance.

En effet, les questions de l’alimen-tation, des troubles alimentaires et du poids peuvent être rappor-tées lors de l’évocation des comor-bidités du trouble bipolaire par exemple, mais aussi à l’occasion des séances concernant le traite-ment médicamenteux et ses effets indésirables, ou encore lorsque sont évoqués les signes faisant craindre une décompensation, se manifestant parfois par une modification des comportements alimentaires (période d’anorexie, crise de boulimie nocturne, etc.).

Certaines informations seront sys-tématiquement délivrées concer-nant les comorbidités et compli-cations du trouble bipolaire. Il est important que les patients sachent, le plus précocement pos-sible, que leur trouble principal les rend à risque de développer des troubles des conduites alimen-taires, souvent en lien avec leur impulsivité, leur perte de contrôle, mais aussi un surpoids, voire une obésité, et les complications psy-chiques et somatiques qui en dé-coulent.

Lors des séances d’ETP, une atten-tion particulière sera portée sur les risques de développer un syn-drome métabolique ou d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, et les mesures à mettre en place à visée curative ou préventive.

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Par ailleurs, certaines séances peuvent être dédiées à la question de l’alimentation, et des règles hy-giéno-diététiques.

L’éducation thérapeutique du patient bipolaire consiste notam-ment à la délivrance d’informa-tions diététiques de base, simples et indispensables, comme la constitution de repas équilibrés et variés. Certains patients peuvent de plus bénéficier d’une prise en charge en repas thérapeutique, réel accompagnement au repas, depuis sa préparation, et le choix des aliments, jusqu’à sa réalisation et sa dégustation. L’idée est ici de rendre à l’alimen-tation deux de ses fonctions prin-cipales : nutritive et relationnelle. L’ETP peut encore toucher à la gestion du trouble alimentaire, par tout ce qu’elle peut fournir au patient dans sa compétence à gérer l’impulsivité, la frustration, les événements stressants, les pensées négatives, ou toute autre difficulté liée au trouble bipolaire et pouvant jouer un rôle de facteur déclenchant de trouble alimen-taire. En effet, tout événement stressant ou toute fluctuation thy-mique peut engendrer une modifi-cation des conduites alimentaires, par la déstructuration des repas par exemple, la perte des repères et des rythmes alimentaires, ou par le déclenchement de conduites impulsives, souvent autoagres-sives, comme par exemple la crise de boulimie ou les vomissements provoqués. L’objectif sera alors de proposer au patient d’autres stratégies de gestion des affects que celles mises en place de façon automatique et impactant la prise alimentaire. Il s’agit de donner aux patients la compétence d’identi-fier le lien entre leurs émotions et leur comportement alimentaire, et de le comprendre, savoir ce qui

en est déclencheur, afin de pouvoir le gérer différemment, souvent à l’aide de méthodes cognitives ou comportementales.

Enfin, certaines séances autour de l’image corporelle et de l’estime de soi, peuvent faciliter le repérage et l’amélioration de troubles des conduites alimentaires.

Certains patients bipolaires souffrent en effet de TCA caracté-risés, mais d’autres ont des formes subsyndromiques ou allégées, et même si aucun TCA ne peut être suspecté lors d’une évaluation globale du patient, il est fréquent de retrouver chez eux des signes isolés comme des crises de bouli-mie nocturnes, une dysmorpho-phobie, des préoccupations ina-daptées concernant le poids ou la silhouette, des régimes restrictifs drastiques, sous-tendus par des distorsions cognitives.

De plus, il est fréquent de voir la symptomatologie alimentaire de

ces patients évoluer selon leur thymie, et parfois en réponse aux émotions et pensées négatives dont ils souffrent. La prise en charge en ETP permet de repérer ces phéno-mènes, d’en parler, de les confron-ter à l’expérience des autres pa-tients, et d’y apporter des réponses en termes de mesures préventives et de restructuration des pensées ou des comportements.

Bien sûr, si un TCA est diagnos-tiqué, le patient doit alors être orienté vers une prise en charge adaptée, spécifique de son TCA et complémentaire de l’ETP. Le dia-gnostic d’une telle comorbidité peut en effet avoir des répercus-sions cliniques et thérapeutiques (notamment pharmacologiques) dans la prise en charge du trouble bipolaire.

conclusionL’ETP fait aujourd’hui partie inté-grante de la prise en charge des pa-tients souffrant de troubles bipo-

À retenirn La prévalence des TCA chez les patients souffrant de trouble bipolaire est

estimée entre 6 et 31 % (3-5) selon le type de TCA étudié, et est donc large-

ment supérieure à celle des populations non-cliniques.

n Cette comorbidité alourdit le pronostic des patients bipolaires et est asso-

ciée à un risque accru d’obésité (11).

n La gestion des émotions affecte le comportement alimentaire des patients

bipolaires.

n La psychoéducation, recommandée par l’HAS dans le traitement du trouble

bipolaire, a montré une efficacité en termes de diminution des rechutes,

d’observance thérapeutique (19) et d’amélioration du fonctionnement

social (18).

n Les principales notions abordées sont l’information sur la maladie, ses

prodromes, ses traitements, et l’élaboration de stratégies pour faire face

aux décompensations, mais aussi à tous types de situations stressantes et

aux difficultés relationnelles et sociales.

n La problématique alimentaire est abordée régulièrement lors des séances

d’éducation thérapeutique, au travers notamment de la question de la prise

de poids et de l’image corporelle.

Page 26: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

éducation thérapeutique du patient

DO

SSIER

238 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

laires. Elle a pour objectif d’aider le patient à reconnaître ses symp-tômes et à comprendre la maladie pour la faire sienne, de favoriser l’adhésion thérapeutique et de donner les compétences pour réa-gir de façon adaptée et rapide face aux signes de décompensation.

Parmi les diverses sphères per-turbées chez ces patients, celle des comportements alimentaires est évidemment abordée, lors de séances dédiées mais aussi au fil du programme, avec des bénéfices

attendus en termes de comporte-ment alimentaire et de réduction pondérale.

À ce jour, les programmes d’ETP dans le trouble bipolaire doivent continuer à se développer, par leur nombre, afin de pouvoir les propo-ser à tous les malades concernés, mais aussi par l’élargissement de leurs champs d’action. Par ail-leurs, des programmes spécifiques d’éducation thérapeutique pour les patients souffrant de troubles des conduites alimentaires pour-

raient être bénéfiques, à la fois aux patients pris en charge pour ano-rexie, boulimie ou hyperphagie boulimique, mais aussi à ceux pré-sentant d’autres troubles psychia-triques, dont les TCA représentent des comorbidités fréquentes. n

mots-clés : Trouble bipolaire, Troubles des

conduites alimentaires, Éducation

thérapeutique

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BiBliographie

Page 27: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

interspécialités

Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 239

inTroDucTion

une maladie hétérogèneLe diabète de type 2 est une mala-die hétérogène, classiquement une maladie de la maturité, dont l’inci-dence est maximale après 50  ans, dont l’épidémiologie change, de sorte que dans les grandes villes des États-Unis, dès la puberté, dans certains groupes ethniques (hispaniques et “native ameri-cans”), c’est la forme majoritaire, dépassant en fréquence le diabète de type 1, autrefois appelé “juvé-nile” par opposition au “diabète de la maturité”. Une autre manière de considérer l’hétérogénéité de la maladie est de la voir en fonction des facteurs de risque ; ainsi, dans l’étude américaine de prévention du diabète de type 2, Diabetes Prevention Program, seulement la moitié des participants avait un syndrome métabolique pourtant si caractéristique du syndrome de résistance à l’insuline, à la base de la physiopathologie “convention-nelle” du diabète de type 2.

une classification incertaineCe préambule n’a pas d’autre but que de rappeler que le cadre noso-logique du diabète est assez incer-tain ; le diabète de type 2 reste dans la classification des diabètes de l’ADA un diagnostic négatif, d’ex-clusion, comme cela a été récem-

ment souligné par E. Gale (1). Mal-gré cela, tout médecin est plutôt d’accord pour accepter un cadre nosologique assez caractéristique : maladie de la maturité ou du vieil-lissement, survenant chez des in-dividus ayant un triple terrain de risque : risque familial (génétique-

B

0

0,5

1

1,535 % p<0,001

Mas

se B

pan

créa

tiqu

e

figure 1 - Masse B pancréatique chez des témoins (en rouge) et des diabétiques

de type 2 (en noir). figure redessinée d’après le travail de J. rahier (2). chez les

diabétiques, la réduction de masse est de 35 %, avec un large recouvrement avec les

valeurs des témoins.

le pancréas du diabète de type 2Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ?

n Le pancréas du diabète de type 2 présente des anomalies anatomiques qui vont bien au-delà

de la simple réduction de masse B. On a peu parlé dans la littérature récente des lésions vascu-

laires, de la fibrose touchant aussi le pancréas exocrine et de sa dégénérescence graisseuse.

Ce travail, qui s’appuie sur des images extraites de la base nPOD, revient sur ces lésions dif-

fuses du pancréas et leurs conséquences fonctionnelles pour discuter une hypothèse sur les

liens entre artériosclérose et diabète. Pr Étienne Larger*, Dr Amal Y. Lemoine*, Pr Christian Boitard*

*Service de diabétologie, Hôtel-Dieu, GH Hôtel-Dieu–Cochin–Broca, Paris ; DHU Authors, GH Cochin-Hôtel-Dieu–Broca, université Paris Descartes ; INSERM U 1016, Paris

Page 28: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

interspécialités

240 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

ment déterminé ou non), risque vasculaire, surcharge pondérale avec répartition abdominale des graisses, ces deux derniers points étant des éléments constitutifs du “syndrome métabolique”, moins à la mode, mais qui marque un double risque, vasculaire et mé-tabolique. Il est bien établi que le diabète de type 2 résulte de l’incapacité à produire la quan-tité d’insuline nécessaire pour une glucorégulation normale chez un individu résistant à l’action de l’in-suline. Il est assez communément admis que le déficit de sécrétion de l’insuline s’aggrave progressive-ment dans le temps, quoique cela soit moins fermement établi, au moins en ce qui concerne la phase clinique de la maladie.

les autres lésions du pancréas…Ces dernières années, le pancréas du diabète de type 2 a été vu essen-tiellement sous l’angle de la cellule B des îlots de Langerhans, dominé par les travaux de Butler, Rahier et Nguyen qui se sont attachés à décrire le déficit de la masse ana-tomique chez des patients diabé-tiques de type 2, mais en oubliant les apports des pathologistes qui depuis le début du vingtième siècle avaient décrit d’autres lésions du pancréas chez le diabétique. Nous-mêmes avons participé à la des-cription des anomalies de fonction du pancréas exocrine chez le dia-bétique, et notre réflexion nous a conduits à poser des questions sur le lien entre maladie vasculaire, pancréas exocrine et diabète.

QuAnTificATion De lA MAsse BLe travail le plus rigoureux dans ce domaine est celui de J. Rahier (2), dont sont extraites les figures 1 et 2. De ce travail, on peut retirer trois

idées fortes : - la masse de cellules bêta est plus basse chez les diabétiques ; - mais avec un fort recouvrement des valeurs individuelles ; - la masse B est, faiblement, cor-rélée à la durée d’évolution du dia-bète, cela est en grande partie dû à une diminution de la masse B avec l’âge, et pouvant aussi s’interpréter comme un diagnostic plus précoce chez les individus dont la masse B était la plus faible. Un autre aspect de ce travail, dont on rediscutera plus loin, est que la masse du pan-créas est plus basse chez les diabé-tiques (Fig. 2).

AnoMAlies De lA foncTion exocrineAu-delà des anomalies de masse anatomique des cellules B, il y a des anomalies anatomiques du pan-créas qui sont connues de longue date et, plus récemment, on a dé-crit des anomalies de la fonction exocrine, ce qui fait du diabète de type 2 une maladie de l’ensemble du pancréas. La diminution de la masse du pancréas à l’autop-sie est connue des pathologistes depuis la première partie du ving-

tième siècle, elle a été confirmée in vivo par les différentes techniques d’imagerie, les îlots de Langerhans représentant moins de 1 % du pan-créas, toute variation significative de la masse du pancréas ne peut être due qu’à des processus affec-tant le pancréas exocrine.

Les anomalies fonctionnelles du pancréas exocrine sont elles aussi anciennes, récemment redécou-vertes. Nous avons par exemple montré, confirmant des travaux antérieurs, sur une cohorte de 667 patients dont 472 diabétiques de type 2, des anomalies de la fonc-tion exocrine chez près d’un quart d’entre eux. Chez les diabétiques de type 2, la dysfonction exocrine était associée à un IMC plus bas, au traitement par insuline et à la macroangiopathie, mais pas à la durée de diabète (à la diffé-rence, pour ce dernier point, de ce qui était observé dans le diabète de type 1) (3). Nous avons aussi montré que la dysfonction exo-crine s’associe à une réduction du volume pancréatique, lui-même proportionnel à l’insulinosécré-tion résiduelle (4). Ces données suggèrent que la maladie du pan-

15 %p < 0,05

18 %NS

22 %p < 0,01

Tous

r = 0,363p = 0,008

IMC (kg/m2)IMC (kg/m2)

403020

20

100

150Personnes non diabétiques

0

< 25 26 - 40

A C

Mas

se d

u pa

ncré

as

figure 2 - cette figure issue du même travail que la précédente montre la masse du

pancréas en fonction de l’indice de masse corporelle (panneau de gauche “A”) et sa

réduction (panneau de droite “c”) chez les diabétiques en noir, comparativement aux

contrôles, en rouge.

Page 29: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

le pancréas du diabète de type 2

Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 241

créas chez le diabétique de type 2 peut aller bien au-delà de la simple anomalie de masse fonctionnelle de cellules sécrétant l’insuline.

AnoMAlies AnAToMiQuesL’anatomie pathologique du pan-créas est décrite, sur des séries d’autopsies depuis le début du vingtième siècle. Particulière-ment importants sont les travaux d’E. Opie, en 1901, le premier à décrire la maladie inflammatoire des îlots ainsi que leur hyalinisa-tion et le travail de R. Cecil, qui date de 1909 (5). Dans ce travail, sur 90  pancréas de patients dia-bétiques examinés à l’autopsie, les constatations suivantes ont été faites (Tab. 1). Bien entendu, ce travail historique ne distingue pas les diabétiques de type 1 des diabétiques de type 2, mais seuls quatre de ces patients étaient morts avant l’âge de 20 ans (l’in-suline n’existait pas !). La fré-quence des lésions du pancréas exocrine est remarquable : plus des trois quarts des pancréas exa-minés. S’y associait une dégéné-rescence graisseuse du pancréas dans 26 cas (38 % des cas avec inflammation) et une artério-sclérose chez 80 % des patients, touchant préférentiellement les petites artérioles.

Le projet nPOD, Network for Pancreatic Organ Donnors, est un projet collaboratif soutenu par la JDRF, qui vise à collecter des pancréas de qualité “trans-plantation”, c’est-à-dire immé-diatement après la mort, avant toute autolyse, et ce à des fins de recherche. Au 3 juin 2013, 231  pancréas ont été collectés, dont 26  diabétiques de type 2 et 80  témoins non diabétiques (www.jdrfnpod.org consulté le

12 juin 2013). La figure 3 présente l’un de ces pancréas de diabé-tique de type 2 de la base nPOD, avec une fibrose peu importante, mais enveloppant les îlots, et des lésions d’artériosclérose. La figure 4, tirée de la même base de données, souligne l’importance des lésions d’artériosclérose, sur un pancréas présentant une dégénérescence adipeuse. Ces images, assez caractéristiques des pancréas de diabète de type 2, présentent les anomalies déjà soulignées depuis le début du

vingtième siècle par les patho-logistes, mais ne répondent pas à la question du caractère pri-maire de ces lésions vasculaires ou de leur caractère secondaire à l’hyperglycémie chronique. L’im-portance de la dégénérescence graisseuse est connue de longue date, et souvent facilement vi-sible au scanner (Fig. 5 pour une illustration anatomique). La si-gnification de la dégénérescence graisseuse reste incertaine ; si le point de vue “moderne” tend à la mettre dans le même sac que

figure 3 - pancréas d’un diabétique de type 2. Base npoD. il s’agit d’un patient âgé de

68 ans au décès, dont le diabète était connu depuis 5 ans. on notera l’artériosclérose

(✶) et la fibrose (flèches) autour des îlots de langerhans (▲).

Tableau 1 - constatations anatomiques de rl cecil (1909, référence 5).

1. inflammation chronique du pancréas 68 (76 %)

Pancréatite interacinaire ; sclérose des îlots de Langerhans 39

Pancréatite interlobulaire ; sclérose des îlots de Langerhans 4

Pancréatite interacinaire ; hyalinose des îlots de Langerhans 19

Pancréatite interacinaire avec dégénérescence graisseuse ; sclérose des îlots de Langerhans

2

Pancréatite interacinaire avec dégénérescence graisseuse ; hyalinose des îlots de Langerhans

1

Hémochromatose 2

2. parenchyme normal ; lésions des îlots de langerhans 12 (13 %)

Sclérose des îlots de Langerhans 4

Hyalinose des îlots de Langerhans 7

Infiltration de leucocytes à proximité des îlots de Langerhans 1

3. pancréas normal 11 (12 %)

Page 30: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

interspécialités

242 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

la stéatose hépatique, les don-nées d’anatomie pathologique montrent qu’elle est corrélée à l’artériosclérose pancréatique (6), suggérant ainsi qu’elle pour-rait être un mode de dégénéres-cence du pancréas ischémique. Il est remarquable qu’elle peut prendre une importance majeure chez les diabétiques de type 1 au long cours (Fig. 6), suggérant qu’un mécanisme commun en est la cause quelle que soit la forme de diabète, cela invalidant son assi-milation à la stéatose hépatique.

les vAisseAux Du pAncrÉAs Du DiABèTe De TYpe 2Les vaisseaux du pancréas ne sont pas faciles à analyser du fait d’anastomoses complexes et va-riables. Il n’y a, à notre connais-sance, que deux travaux qui ont porté sur les vaisseaux du pan-créas du diabétique. Le premier travail (7) a permis de comparer des paramètres de la microcircu-lation pancréatique, analysés par IRM en contraste dynamique, chez des patients diabétiques de type 2 coronariens, comparative-ment à des patients coronariens non diabétiques appariés pour l’âge et l’indice de masse corpo-relle. Le volume vasculaire était réduit chez les patients diabé-tiques, sans effet de la durée de diabète. Le deuxième travail a consisté à faire, post mortem, des artériographies du pancréas (8). Les patients diabétiques avaient plus fréquemment des lésions vasculaires du pancréas, et seuls 2 % des diabétiques, comparative-ment à 20 % des contrôles, avaient des angiographies normales (Fig. 7).

Comment l’artériosclérose pour-rait-elle augmenter le risque de diabète ? B. Lévy avait présenté,

figure 4 - pancréas d’un diabétique de type 2 de la base npoD. il s’agit d’un patient âgé

de 59 ans au décès, dont le diabète était de découverte récente ; hbA1c 9 %. la figure

montre une artériosclérose des petites artères (*), une dégénérescence graisseuse peu

importante ( ) et un îlot hyalinisé (flèche).

figure 5 - pancréas de la base npoD. il s’agit d’un patient âgé de 62 ans au décès, chez

qui la dégénérescence graisseuse est plus marquée (▲). on a souligné quelques tra-

vées de fibrose par des flèches.

figure 6 - pancréas d’un diabétique de type 1. il s’agit d’un patient “historique”, décédé

à 89 ans après 85 ans de diabète (début du diabète en 1927, 5 ans après la purification

de l’insuline par Banting et Best !). le pancréas exocrine a presque totalement disparu,

remplacé par de la fibrose et une dégénérescence graisseuse. image de la base npoD.

Page 31: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

le pancréas du diabète de type 2

Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 243

il y a plusieurs années déjà, une hypothèse qui faisait du pancréas un des organes cibles de l’hyper-tension artérielle (9). On a vu sur les images de pancréas l’étendue de la fibrose, laissant suggérer une perturbation de la relation entre vaisseaux et cellules endocrines, bien démontrée dans les modèles animaux de diabète.

Mais, plus sûrement, on évoquera le rôle de l’hypoxie. La figure 8, ex-traite d’un travail déjà ancien (10), montre une relation linéaire entre la pression partielle en oxygène du milieu dans lequel se trouvent les îlots de Langerhans et la capacité de sécrétion de l’insuline (expri-mée en pourcentage de la sécré-tion pour une pression partielle de 140 mmHg).

le DiABèTe De TYpe 2, une MAlADie vAsculAire ?La relation qui lie le diabète de type 2, le syndrome métabolique et la maladie vasculaire est tou-jours examinée dans un sens unique : le syndrome métabo-lique prédit à la fois le diabète et la maladie vasculaire. Une autre manière de voir les choses est de reconsidérer les facteurs de risque de diabète de type 2 (Tab. 2), et ceux communs à l’athérosclérose. Cela permet de soulever une nouvelle hypothèse, celle d’une relation dif-férente entre diabète et maladie vasculaire, en faisant l’hypothèse que, dans certains cas (on rejoint ici la réflexion exposée en préam-bule de ce texte concernant l’hété-rogénéité du diabète de type 2), le diabète est la conséquence d’une artériosclérose étendue du pan-créas. Ce qui caractérise anato-miquement ces cas est la stéatose pancréatique. Fonctionnellement, c’est l’association à une maladie

plus générale du pancréas carac-térisée par le déficit de la fonction exocrine. La démonstration com-plète exigerait des données expé-rimentales montrant d’une part qu’on peut induire un diabète par une expérimentation vasculaire (mais certains modèles, tels que le rat spontanément hypertendu, SHR, ou la souris dyslipidémique, sont associés à un excès de risque de diabète), et prévenir le dia-bète chez des individus ayant une maladie vasculaire par une inter-vention vasculaire. Les données disponibles sont de ce point de vue

plutôt négatives en réalité, si l’on considère par exemple l’absence de prévention du diabète par les IEC ou les antagonistes des récep-teurs de l’angiotensine 2, ou l’excès de diabète chez les patients traités par statine.

conclusionCe rapide survol et les illustrations qui l’accompagnent montrent que la maladie pancréatique du dia-bète de type 2 va bien au-delà de la simple diminution de la masse endocrine fonctionnelle. Les

Densité vasculaire corps & queue

% d

es p

atie

nts

ContrôlesDiabétiques

Normal0

20

40

60

80

100

Modérée Marquée

figure 7 - Anomalies vasculaires du corps et de la queue du pancréas évaluées de

manière semi-quantitative sur des autopsies post mortem. figure redessinée d’après (8).

00

0,2

0,4

0,6

0,8

1

10 20 30 40 50 60 142Perfusion de PO2

Insu

linos

écré

tion

in v

itro

d’îlo

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e La

nger

hans

figure 8 - insulinosécrétion in vitro d’îlots de langerhans exposés à différentes pressions

partielles en oxygène. les résultats sont exprimés en pourcentage de la valeur mesurée

pour une po2 de 140 mmhg. figure redessinée d’après (10).

Page 32: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

interspécialités

244 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

lésions touchent l’ensemble du pancréas, et une série d’arguments suggèrent que l’atteinte du pan-créas exocrine doit être prise en considération. L’hypothèse que

l’artériosclérose pourrait être la cause des anomalies du pancréas exocrine, mais aussi la cause du diabète lui-même, devra être ex-plorée avec plus de rigueur. n

Correspondance : Pr Étienne Larger

([email protected])

Remerciements :

Certaines des images de ce manus-

crit ont été obtenues par le site Inter-

net du réseau “diabétiques donneurs

de pancréas” (nPOD). Le nPOD est un

projet de recherche collaboratif spon-

sorisé par la JDRF. L’utilisation de ces

images et ces remerciements suivent

les règles du réseau nPOD (http://jdr-

fnpod.org/pubpolicy.php, consulté le

23/08/2012).

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BiBliographie

mots-clés : Diabète de type 2, pancréas,

Artériosclérose, pancréas exocrine

HéréditéAntécédents personnels de diabète gestationnel, de macrosomie, d’hyperglycémie transitoireÂgeObésité abdominaleHTA*Tabac (effet négatif arrêt tabac, MRFIT, Ann Intern Med 2005, BMI)HDL basLDL élevé (effet négatif plusieurs statines)Microalbuminurie

Tableau 2 - facteurs de risque de diabète de type 2

*Pour ce qui est de l’HTA, on n’a pas de démonstration de la réduction de risque chez des intolérants au glucose, mais certains travaux comme l’étude DREAM suggèrent un effet bénéfique. À noter aussi la réduction du besoin de thérapeutiques additionnelles pour le diabète chez les patients traités par captopril vs. aténolol dans l’étude UKPDS.

7th international conFerence on diaBetes & oBesitY24-25 octobre 2013 – riga, latvia

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JournÉes Francophones de nutrition11-13 décembre 2013 – Bordeaux

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AgenDA

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Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 245

à savoir

Les œstrogènes constituent l’arché-type des hormones féminines et jouent un rôle fondamental dans la mise en place et le maintien des fonctions reproductives chez la femme. Néanmoins, leur rôle est bien plus vaste et il est maintenant admis que ces hormones stéroïdes exercent en fait des effets pléio-tropes, sur le système cardiovas-culaire, le système nerveux central mais également dans la régulation du métabolisme énergétique et cer-taines fonctions métaboliques, avec des interconnexions parfois mal comprises ou non encore élucidées. Cela est d’autant plus important que les œstrogènes ne sont pas l’apa-nage de la population féminine. Si l’observation de Bernhard Zondek en 1934 chez l’étalon fut considé-rée comme une curiosité scienti-fique (1), nous savons maintenant depuis près de trente ans que les œstrogènes présents au niveau du testicule sont produits par l’aroma-tisation in situ des androgènes syn-thétisés par la cellule de Leydig et sont mesurés à des concentrations parfois très supérieures à celles ob-servées au niveau plasmatique chez la femme (2).

Introduction

Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienneUn nouveau concept ?Dr Nicolas Chevalier*

*Service d’endocrinologie-diabétologie & médecine de la reproduction, hôpital de l’Archet 2, CHU de Nice ; UMR INSERM U1065/UNS, C3M – Bâtiment Archimed, Nice [email protected]

figure 1 – Différents tissus cibles des œstrogènes chez l’homme et la femme.

les ŒsTrogènes eT leurs rÉcepTeurs

nature des récepteursLe 17β-œstradiol (E2) est la forme majoritairement produite par l’or-ganisme et la forme la plus active, ses deux métabolites (l’estrone E1 et l’estriol E3) n’exerçant qu’une action tissu-spécifique minori-taire (3). Comme pour les autres hormones stéroïdiennes, les œs-trogènes exercent leurs actions au niveau cellulaire en interagissant avec des récepteurs nucléaires.

Ces récepteurs agissent comme des facteurs de transcription en modulant l’expression de gènes cibles et appartiennent à la su-perfamille NR3A des récepteurs nucléaires, dont ils partagent la structure protéique commune, hautement conservée, composée de trois domaines fonctionnels

indépendants mais interagissant entre eux : - le domaine NH2-terminal (ou domaine A/B), variable ; - le domaine de liaison à l’ADN (ou domaine C), très conservé ; - le domaine COOH-terminal de liaison du ligand (ou domaine E/F), extrêmement complexe, composé d’un enchaînement de douze hélices α et deux brins β antiparallèles (3, 4).On distingue actuellement deux récepteurs nucléaires aux œstro-gènes : ERα, décrit à la fin des années 1950 par Elwood Jensen (3, 5), et ERβ, cloné en 1996 par l’équipe de Jan-Åke Gustafsson (6). Ces deux récepteurs sont codés par deux gènes distincts, respectivement ESR1 et ESR2, localisés sur les chromosomes  6 (6q25.1 ; 8 exons ; 140 kb) et 14 (14q23.2-q23.3 ; 8 exons, 40 kb), mais gardent une structure relati-

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à savoir

246 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

vement proche. Chacun d’eux pré-sente des isoformes, générées par épissage alternatif ou promoteur cryptique, dont l’expression est va-riable selon les tissus et les stades du développement, ce qui explique l’immense variété des effets pos-sibles des œstrogènes (Fig. 1, Tab. 1).

activation des récepteursCes récepteurs nucléaires sont en fait présents dans le cytoplasme des cellules, sous forme inactive en raison d’une liaison à des protéines chaperonnes, comme les pro-téines de choc thermique hsp90 et hsp70. Une fois l’hormone liée, le récepteur va être transloqué de manière active au niveau nu-cléaire tout en subissant un chan-gement de conformation et une modification de son état de phos-phorylation, permettant ainsi sa

des conjugués de l’œstradiol ne traversant pas la membrane plas-mique, suggérant donc l’existence de récepteurs membranaires re-crutant des voies de signalisation diverses  (8) : MAP kinases, PI3-kinase, AMPc, GMPc, calcium... La nature du ou des récepteurs impliqués dans ces effets rapides reste ambiguë (3, 7). Il pourrait s’agir des récepteurs ERα et ERβ

ŒsTrogènes eT DÉpense ÉnergÉTiQue

les œstrogènes jouent un rôle dans le métabolisme Au-delà de leur rôle bien docu-menté dans la mise en place et le maintien des fonctions re-productives, il semble évident, ne serait-ce qu’en observant le dimorphisme sexuel existant entre hommes et femmes, que les œstrogènes jouent un rôle dans le métabolisme. Jean Vague avait d’ailleurs bien montré en 1956 que l’homme présente plus volontiers une accumulation de graisse abdominale, périvis-cérale, de mobilisation rapide mais à fort impact métabolique, alors que la femme présente plu-tôt une accumulation de graisse sous-cutanée au niveau des hanches, destinée au stockage et ayant un faible impact métabo-lique, phénotype qui disparaît après la ménopause (16-17). Il est très probable que les œstrogènes exercent leur rôle essentielle-ment par ERα, puisque seules les souris invalidées pour ERα sont obèses alors que les souris ERβ-KO ont un phénotype métabo-lique normal (17).

contrôle du poidsL’hypothalamus représente un élément fondamental dans le contrôle de la prise alimentaire et de la dépense énergétique, et

Tableau 1 - exemples de pathologies impliquant les récepteurs nucléaires des œstrogènes erα et/ou erβ.

Cancer du sein, cancer de l’endomètre, cancer du testicule

Maladies cardiovasculaires

Ostéoporose, rhumatismes inflammatoires

Maladie d’Alzheimer

Cancer du côlon, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

Cancer du poumon

L’hypothalamus est un élément fondamental dans le contrôle de la prise alimentaire, de la dépense énergétique, et donc du poids.

dimérisation, étape indispensable pour qu’il puisse interagir avec la molécule d’ADN en se fixant sur des séquences palindromiques de l’ADN génomique (appelées ERE, pour Estrogen Response Elements) et moduler positivement ou néga-tivement l’expression des gènes cibles (3).

effets non génomiQues des œstrogènesPlus récemment, des travaux ont mis en évidence des effets cellu-laires induits par les œstrogènes beaucoup plus rapidement, de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes, donc incom-patibles avec une modulation d’expression génique (7). Ces effets, appelés également effets non génomiques des œstrogènes, sont en particulier observés avec

puisqu’on estime que 5 à 10 % de leur contenu cellulaire sont localisés à la membrane, associés le plus souvent aux radeaux lipi-diques, avec une prépondérance d’ERα, notamment de son iso-forme tronquée ERα-46 (8-11). D’autres récepteurs sont égale-ment suggérés, comme les ERRα, β et γ (pour Estrogen Related Receptors) (12), ou plus récem-ment ERx (13). De manière plus formelle, un récepteur orphelin couplé aux protéines G (GPR30, ou GPER pour G-Protein related Estrogen Receptor), initialement identifié dans des cellules can-céreuses mammaires, a été im-pliqué dans les effets non géno-miques des œstrogènes (14), qu’il agisse seul ou en association avec une forme complète ou tronquée d’ERα (3, 15).

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Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne

Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71 247

donc dans le contrôle du poids. Ainsi, une lésion du noyau ven-tromédian ou de la partie latérale de l’hypothalamus peut induire une obésité par augmentation majeure de la prise alimentaire et diminution de la dépense éner-gétique (17-19). Les études d’im-muno-histochimie ont confirmé l’existence d’une expression hypothalamique des récepteurs aux œstrogènes, prépondérante pour ERα, en particulier par les neurones sécrétant la pro-opio-mélanocortine (POMC) situés dans le noyau arqué et qui condi-tionnent un effet catabolique en diminuant la prise alimentaire et en augmentant la dépense éner-gétique. L’activité électrique de ces neurones est directement corrélée à la concentration plas-matique en œstradiol et varie donc de manière physiologique au cours du cycle menstruel, ex-pliquant les variations observées sur le poids et la prise alimen-taire. L’action des œstrogènes est rapide et fait intervenir une forme membranaire de ERα, et probablement un récepteur cou-plé aux protéines G non encore identifié (GPR30 ?) (17, 20).

distribution du tissu adipeux et régulation de la dépense énergétiQueLes neurones du noyau ventro-médian expriment également ERα. Par ce biais, les œstrogènes jouent un rôle essentiel dans la distribution du tissu adipeux et la régulation de la dépense énergé-tique, avec pour intermédiaire le facteur de transcription SF1 (Ste-roidogenic Factor 1) (17, 21-22). Par ailleurs, ERα est coexprimé avec les récepteurs à leptine au niveau des noyaux arqué et ven-tromédian (23) et pourrait ainsi permettre d’augmenter la sensi-bilité centrale à la leptine (17).

anomalie de la fonction gonadiQueLe rôle central des œstrogènes n’est cependant pas limité aux seuls noyaux hypothalamiques, puisque les récepteurs ERα et GPR30 sont exprimés dans la quasi-totalité du tissu cérébral, avec des interactions complexes avec les neurones sécrétant le neuropeptide Y (qui est un pep-tide anabolique), mais également au niveau du nerf vague, pouvant

ainsi interférer avec la satiété via la régulation de la cholécystoki-nine (17, 24) (Fig. 2). Tous ces effets expliquent donc qu’une anomalie de la sécrétion œstrogénique, et plus généralement de la fonction gonadique, est capable d’interfé-rer avec la balance énergétique et donc d’induire un certain nombre de pathologies métaboliques, comme l’obésité, le syndrome métabolique, le diabète sucré et la stéatose hépatique (17) (Fig. 3).

figure 2 – effets hypothalamiques des œstrogènes sur la régulation de la balance

énergétique. figure adaptée de (17).

figure 3 – rôle des œstrogènes dans la balance énergétique et pathologies potentiel-

lement induites en cas de pathologie de la fonction ovarienne. D’après veiga-lopez A.

endo Meeting 2013, san francisco.

Page 36: La prise en charge gL obaLe du patient diabétique

à savoir

248 Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71

le MÉTABolisMe gluciDiQue : un lien Avec lA perTurBATion enDocrinienne ?

définition et mécanismes d’action des perturbateurs endocriniensC’est en 1962 que Rachel Carson alerte pour la première fois l’opi-nion publique en rapportant un ef-fondrement drastique de la popu-lation d’aigles sur le campus de son université américaine en rapport avec l’utilisation de DDT, qui sera finalement banni en 1973. Il faudra néanmoins attendre la conférence de Wingspread en juillet 1991 pour voir naître le terme de pertur-bateurs endocriniens (ou EDC, pour Endocrine-Disrupting Com-pounds) (25).

Actuellement, on appelle pertur-bateur endocrinien toute subs-tance chimique d’origine naturelle ou artificielle étrangère à l’orga-nisme capable d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien (synthèse, stockage, sécrétion, transport, métabo-lisme, liaison et/ou élimination) et ainsi induire des effets délétères sur l’individu et/ou sa descen-dance. Un perturbateur endocri-nien peut utiliser des récepteurs hormonaux nucléaires classiques mais, le plus souvent, fait interve-nir des modes d’action beaucoup plus complexes avec des récep-teurs membranaires, des récep-teurs non nucléaires mais égale-ment des récepteurs orphelins et différentes voies de signalisation enzymatique. Ainsi, un perturba-teur endocrinien est défini in fine par un ou plusieurs mécanismes d’action et non pas par l’effet nocif potentiellement induit ou par ses propriétés physico-chimiques toxicologiques, ce qui explique pourquoi il est très difficile de dé-

finir a priori les effets potentiels d’une substance (26-27).

bisphénol a et diéthylstilbestrolParmi les perturbateurs endo-criniens, on distingue de nom-breuses substances à activité œstrogéno-mimétique, parmi les-quelles le bisphénol A (ou BPA) et le diéthylstilbestrol (ou DES), deux composés œstrogéniques isolés respectivement en 1891 par Alexandre P. Dianin et en 1938 par

pathologie humaine (29). Compte tenu d’une plus faible affinité pour les récepteurs nucléaires clas-siques aux œstrogènes, les effets du BPA sont plus difficiles à ap-préhender car dépendent direc-tement de la dose et de la fenêtre d’exposition, mais également des tissus cibles et des voies de signa-lisation engagées. Des travaux ré-cents de l’équipe d’Angel Nadal ont néanmoins démontré un rôle ma-jeur du BPA dans la perturbation du métabolisme glucidique. L’ex-

Des travaux récents de l’équipe d’Angel Nadal ont démontré un rôle majeur du BPA dans la perturbation du métabolisme glucidique.

Sir Charles Dodds dans le but de traiter les carences œstrogéniques (26). Compte tenu de sa forte acti-vité œstrogénique, le DES a été privilégié, avec les suites que l’on connaît tous (28). Le BPA a, quant à lui, été oublié jusque dans les an-nées 1960 où l’industrie plastique l’a redécouvert compte tenu de sa capacité à polymériser de ma-nière rapide et solide. C’est ainsi le constituant majoritaire de tous les revêtements plastiques (PVC), films de conserves, ciments den-taires, résines époxydes... d’où une exposition ubiquitaire de la popu-lation à des doses faibles, mais quantifiables (26).

leurs effets délétèresSi l’activité délétère du DES au cours de la programmation fœtale a été largement démontrée (et a d’ailleurs conduit à son retrait du marché), des travaux récents menés chez la souris ont montré qu’une exposition fœtale au DES conduisait également au dévelop-pement d’une obésité abdominale associée à une insulinorésistance à l’âge adulte, tableau proche du syndrome métabolique observé en

position fœtale de rates gestantes à du BPA (à des concentrations similaires à celles observées dans la population générale) induit ainsi, dans la descendance, une obésité abdominale associée à un état d’insulinorésistance, comme observé en cas d’exposition fœtale au DES (30). Au niveau de la cel-lule bêta-pancréatique, le BPA est en fait capable de stimuler la syn-thèse d’insuline et de favoriser sa libération de manière glucose-dépendante, respectivement via les récepteurs ERα et GPR30, présents à la membrane de la cellule bêta-pancréatique (17, 31-32), tout en induisant, à terme, un état d’insulinorésistance (33).

Si les résultats des études ani-males sont nombreux et illustra-tifs, les études épidémiologiques sont beaucoup plus rares. L’une des plus illustratives confirmant l’effet délétère du BPA sur le mé-tabolisme glucidique est certai-nement l’analyse des données du NHANES 2003-2008 (National Health and Nutrition Examina-tion Survey) : en effet, les patients présentant un diabète de type  2

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ŒSTRoGèNES, MéTABoLISME ET PERTURBATIoN ENDoCRINIENNE

mots-clés : Œstrogènes, Métabolisme, perturba-

teurs endocriniens, Bisphénol A

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BiBliographie

avaient des taux de BPA uri-naire significativement plus éle-vés, y compris après ajustement sur l’indice de masse corporelle (OR  = 3,17 et 1,56 après ajuste-ment ; p = 0,03 et 0,01 respective-ment) (34-35), suggérant donc un rôle du BPA comme agent obéso-gène et diabétogène (33, 36).

conclusionPlus que jamais, l’incidence du syndrome métabolique, de l’obési-té et du diabète de type 2 ne cesse de croître. Néanmoins, les modi-fications des habitudes alimen-taires n’expliquent peut-être pas à elles seules l’ensemble des

anomalies cellulaires observées, en particulier dans la régulation fine de la sécrétion et de la fonc-tion de l’insuline. Les pertur-bateurs endocriniens à activité œstrogénique, comme le bisphé-nol A, dont l’exposition est ubi-quitaire, sont capables d’inte-ragir avec les récepteurs des œstrogènes, classiques et non classiques, présents au niveau de l’hypothalamus et de la cellule bêta-pancréatique, et peuvent donc perturber la régulation de la balance énergétique et de la sécrétion insulinique. Ils consti-tuent à ce titre une nouvelle piste pour mieux comprendre la genèse d’une épidémie métabolique. n

À retenirUn perturbateur endocrinien est

une substance chimique, d’origine

naturelle ou artificielle, étrangère

à l’organisme, capable d’interférer

avec le fonctionnement du sys-

tème endocrinien et d’induire des

effets délétères sur l’individu et/ou

sa descendance.