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Juin 2015 LA REPARATION DU DOMMAGE CORPOREL EN DROIT EUROPEEN COMPARE OLIVIA CHALUS-PÉNOCHET Diplôme D’Etudes Supérieures Universitaires Réparation Juridique du Dommage Corporel Unité Mixte de Formation Continue en San de Marseille Université de Marseille LA TIMONE Faculté de Médecine

LA REPARATION DU DOMMAGE CORPOREL EN DROIT EUROPEEN … · 2015. 8. 4. · (3) -Cf. La réparation Intégrale du Préjudice en Europe- Etudes comparatives des droits nationaux sous

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  • Juin 2015

    LA REPARATION DU DOMMAGE

    CORPOREL EN DROIT

    EUROPEEN COMPARE

    O L I V I A C H A L U S - P É N O C H E T

    Diplôme D’Etudes Supérieures Universitaires

    Réparation Juridique du Dommage Corporel

    Unité Mixte de Formation Continue en Santé de Marseille

    Université de Marseille LA TIMONE

    Faculté de Médecine

  • P A G E 2

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    INTRODUCTION 3

    I– LES PRINCIPES DE L’INDEMNISATION DU DOMMAGE CORPOREL EN EUROPE 4

    A– Le contenu du principe de réparation intégrale du dommage corporel en Europe :

    Mythe ou réalité.

    1– Un principe à géométrie variable : Exemples………………………………………………………………………...

    2 « Tout le préjudice ...vraiment ? » : Le principe de réparation intégrale comme principe d’équivalence…………….

    3– Rien que le préjudice » : Le principe de réparation intégrale comme principe de

    non enrichissement………………………………………………………………………………………………………

    4- « Au-delà du préjudice » : Le principe de réparation intégrale comme principe de non appauvrissement……...…..

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    B– L’application du principe de réparation intégrale en Europe :

    Variations autour d’un principe général

    1– « Faites ce que je vous dis ! » : La libre disposition des fonds confrontée à la réparation en nature………………...

    2– « Votre temps est compté ! » La question du temps : Le passé et le futur du blessé………………………………...

    3– Franchir ou pas le Rubicon des barèmes d’indemnisation ? L’appréciation in concreto ou in abstracto …………...

    4– Le recours des tiers payeurs, un pacte Faustien ?............................................................................ .............................

    5– Le blessé sous microscope : La minoration ou la majoration des dommages………………………………………..

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    II– EVALUER LE PREJUDICE CORPOREL EN EUROPE 17

    A– Les préjudices indemnisables

    1– Les préjudices patrimoniaux………………………………………………………………………………………….

    2– Les préjudices personnels…………………………………………………………………………………………….

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    B– Les règles pratiques de l’indemnisation

    1- La messe de l’expertise médicale…………………………………………………………………...………………..

    2– L’individu dans un moule : L’évaluation de la perte de capacité et les barèmes médicaux……...………………….

    3– Le Management de la victime : La réparation en nature……………………………………………………………..

    4- « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »: La réparation en numéraire , rente ou capital………………………....

    CONCLUSION.

    Références bibliographiques

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    TABLE DES MATIERES

  • P A G E 3

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    La diversité de chacun fait la richesse de tous

    Julos Beaucane

    INTRODUCTION

    Le juriste français qui étudie la réparation juridique du dommage corporel doit se préparer à connaître les différentes branches du droit que cette matière aborde : Droit international, national, privé, public. Il traitera l’incontournable droit civil, mais également le pénal, l’administratif, le droit de la sécurité sociale, de l’assurance, le droit du travail et de la protection sociale. Il devra maîtriser les procédures de multiples tribunaux, connaître les barèmes, les référentiels, les missions types. Mais l’essentiel sera encore de se tenir constamment informé. En effet, à l’image de son principal sujet, l’être humain, cette matière est vivante et en constante évolution. Dans sa construction, le droit de la réparation du dommage corporel s’inspire nécessairement des expériences étrangères. Ainsi, il est rare qu’un colloque sur ce sujet fasse l’économie d’une intervention relative aux solutions mises en œuvre chez nos voisins européens. Cependant, étudier de manière exhaustive les droits étrangers nécessiterait une thèse de doctorat. Il a été choisi ici de rechercher auprès des autres pays européens (de l’Union ou hors Union Européenne) les solutions qui se distingueraient des nôtres, de s’interroger sur l’origine de ces différences et enfin d’examiner certaines de ces règles sous un angle pratique.

    Comprendre les lois, conduit à rechercher quels sont les grands principes qui les gouvernent (I). Cette démarche a permis d’observer que tous les pays européens se prévalaient, du moins en théorie, du principe de réparation intégrale du préjudice corporel, mais que le contenu de ce principe variait d’un pays à l’autre (A). Nous verrons pourtant qu’un même handicapé bénéficiant de la réparation intégrale est indemnisé jusqu’à 8 fois plus (ou moins) suivant le pays. Nous avons donc recherché des exemples types et les origines de ces différences d’application du principe de réparation intégrale, (B), au travers des questions qui occupent l’actualité de la matière.

    Dans une seconde partie, la question pratique de l’évaluation du préjudice corporel est posée (II) au travers de deux interrogations : quels sont les préjudices indemnisables chez nos voisins (A), et quelles règles pratiques utilisent-ils pour indemniser un blessé (B).

    Cet exposé n’a pas vocation à embrasser de manière exhaustive l’immense océan des règles étrangères constituant le droit positif, mais plutôt de porter un éclairage sur des points singuliers. Le choix est donc nécessairement subjectif.

    En filigrane, est esquissé la question de l’intérêt d’une unification européenne confrontée à la place des victimes et aux puissances des lobbies des assureurs, qui constitue peut-être, un des enjeux fondamentaux auquel le droit, protecteur des individus, doit répondre.

  • P A G E 4

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    I - LES GRANDS PRINCIPES REGISSANT L’INDEMNISATION DU DOMMAGE CORPOREL EN EUROPE

    Même si les instances européennes souhaitaient unifier les règles des différents pays de l’Union Européenne, les législations nationales demeurent disparates, en raison notamment de différences notables quant aux principes généraux qui régissent cette matière parmi les pays d’Europe. Pourtant, quelques textes européens ont bien édicté des principes qui ont vocation à devenir communs à tous. Ces textes, le plus souvent ces lignes directrices, n’ont pas de force obligatoire (Ex : résolutions, recommandations), à l’exception de deux directives prises en matière d’infraction pénale et de plafonds minimaux d’indemnisation pour les accidents de la circulation. Les pays sont donc libres de s’inspirer de ces vœux pieux sans toutefois être dans l’obligation d’adapter leur législation.

    Rapide état des lieux des textes européens :

    - la résolution 75-7 relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès du 14 mars 1975, consacre quelques grands principes généraux : Le principe de la réparation intégrale ; l’indemnité réparatrice calculée selon la valeur du dommage au jour du jugement ; le jugement doit mentionner les détails des indemnités accordées aux différents chefs de préjudices subis par la victime. Mais aussi quelques règles telles que :

    Le fait pour la victime de ne plus pouvoir effectuer dans son foyer le travail qu’elle y accomplissait constitue un préjudice réparable,

    L’évaluation du gain manqué doit être faite aussi bien pour la période antérieure au jugement que pour le futur,

    Le gain manqué réparé par une rente peut être augmenté ou diminué par la suite en cas de réduction ou d’accroissement des capacités de travail,

    Le gain manqué réparé par un capital : Une augmentation postérieure est admise s’il apparaît un préjudice nouveau né d’une aggravation de l’état de santé de la victime,

    Le décès de la victime ouvre droit à une réparation du préjudice patrimonial aux personnes envers lesquelles la victime aurait eu une obligation alimentaire légale, ou dont elle aurait assumé l’entretien (selon le droit national)

    - La recommandation de Trèves de juin 2000 a étudié le cadre d’une directive harmonisant les règles en matière d’évaluation de dommages d’accidents de la circulation

    - La directive 2009/103 entrée en vigueur le 29 octobre 2009 fixe les seuils minima des montants couverts par l’assurance obligatoire (1M€/victime et 5M€/sinistre). Chaque Etat reste libre d’adopter des dispositions plus favorables. (fait suite à diverses directives antérieures).

    - La directive du 25 octobre 2012, en matière pénale, établit des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et vise à harmoniser les droits de victimes d’infraction pénale et énoncer des règles de coopération entre Etats.

  • P A G E 5

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    Ces textes sont insuffisants pour unifier les législations. Lors d’un colloque à la Cour de Cassation, SCOR, réassureur européen, a présenté le 27 mars 2015, un tableau comparatif des niveaux d’indemnisation observés selon les pays. Pour un blessé tétraplégique âgé de 30 ans, dont la capacité de gain est équivalente à 1500€, le classement de 8 pays étudiés à partir d’une base 100, l’indemnisation allouée s’avère extrêmement disparate dans son quantum.

    Le Royaume-Uni loin devant les autres pays étant le plus généreux, l’Italie à l’autre bout avec l’Espagne et les Pays-Bas sont les plus économes, l’indemnisation étant de 8 fois supérieure pour le Royaume-Uni par rapport à l’Italie.(1)

    Les différences trouvent leur origine dans l’interprétation de ce que recouvre le principe, ou le contenu du principe de la réparation intégrale (A), ce qui bien entendu implique des différences quant à l’application du principe de la réparation intégrale (B).

    (1)- Cf. Niveaux d’indemnisation SCOR Global P&C – Colloque Cour de Cassation 27 mars 2015 « De l’indemnisation à la réparation, comment favoriser la réinsertion des grands blessés »

    Tableau comparatif des

    niveaux d’indemnisation

    observés selon les pays.

    Pour un blessé tétraplé-

    gique âgé de 30 ans, dont la

    capacité de gain est équiva-

    lente à 1500€. Classement

    de 8 pays étudiés à partir

    d’une base 100.

    Source : SCOR

  • P A G E 6

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    A - Le contenu du principe de réparation intégrale en Europe : Mythe ou réalité ?

    Les pays européens n’ont pas tous limité les couvertures des dommages aux minima édictés par la directive 2009/103 du 29 octobre 2009.

    Le tableau ci-dessous illustre, en matière d’accident de la route, les différences entre les pays où les indemnisations sont illimitées et les autres, puis parmi ceux qui limitent les indemnisations, les différents plafonds adoptés (2) :

    Le principe de réparation intégrale souhaité par la recommandation du conseil de l’Europe en 1975, a effectivement été adopté et généralisé en Europe, mais de manière plus ou moins franche. Il est significatif de constater que sous un même vocable des portées différentes sont accordées à ce principe dont l’énoncé parait pourtant simple, intelligible et sans ambiguïté. En réalité le contenu du principe de réparation intégrale diverge substantiellement selon les systèmes juridiques (1). C’est la confrontation de plusieurs principes entre eux qui est la justification de ces différences d’approches. Ainsi, on observe à travers l’Europe que le principe de réparation intégrale se mesure à celui de l’équivalence (2), du non enrichissement (3) et du non appauvrissement (4).

    (2) -Voir note 1 (3) -Cf. La réparation Intégrale du Préjudice en Europe- Etudes comparatives des droits nationaux sous la direction de Phi-lippe Pierre et Fabrice Leduc- Editions Larcier.2012

    Accidents de la Route :

    Couverture minimum

    des dommages corporels

    par sinistre.

  • P A G E 7

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    1- Un principe à géométrie variable : Illustrations

    La France définit le principe de réparation intégrale par l’adage : « Le dommage, tout le dommage, rien que le dommage », fondé sur les attendus de la Cour de cassation qui rappellent que « le propre de la réparation est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée, si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ». (4) Les exceptions au principe sont fréquemment soit des dérogations autorisées, soit l’exclusion de certains types de dommages, ou enfin la prise en compte de la faute de la victime. - Les dérogations aux principes : En matière contractuelle, les pays européens convergent et permettent que le principe de réparation intégrale puisse être écarté ab initio par la volonté contractuelle exprimée au travers d’une clause limitative ou exclusive de responsabilité. (ex: Garantie des accidents de la vie). C’est en matière extra contractuelle, que les différences s’affichent : La France, l’Italie et le Luxembourg interdisent toute dérogation conventionnelle au principe de la réparation intégrale. Alors que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne, les Pays Bas, la Pologne, le Portugal, la Suisse admettent au contraire que le principe de la réparation intégrale puisse être écarté, dans une certaine limite toutefois : si la Belgique semble admettre les clauses limitatives de responsabilité en toutes matières, les autres pays excluent notamment certains dommages corporels. Ainsi la Suisse autorise les clauses limitative des garanties sauf pour les accidents de la circulation, la Pologne en matière pénale il ne peut y avoir de limitation. - D’autres exceptions sont faites au principe de réparation intégrale, en raison de conceptions radicalement singulières des principes recouvrés. L’exemple des souffrances physiques ou morales illustrent bien cette opposition des conceptions. Certains droits estiment que ces souffrances étant par définition irréparables, il ne peut être question de réparation intégrale, l’argent ne pouvant ôter la souffrance. L’Allemagne refuse ainsi l’indemnisation pour le préjudice moral des suites du décès d’un proche, le droit britannique prévoit un forfait légal, le droit polonais rend facultatif l’indemnisation de ce préjudice. (cf. infra : Les préjudices personnels). De même, au nom de principes fondamentaux, les pays européens atténuent la portée du principe de réparation intégrale (cf. Infra La mitigation). Ainsi, au nom de l’équité, les droits étrangers permettent par exemple au juge une modération du quantum de la réparation ( cf Infra : L’individu sous microscope : La minoration ou la majoration des dommages - La situation du débiteur);

    - La faute de la victime (5 et 6) est souvent l’élément autorisant une minoration de l’indemnisation ; mais d’autres principes produisent les mêmes effets, comme la notion de réparation équitable (droit néerlandais), l’absence de faute intentionnelle de l’auteur du dommage (droit suisse, droit portugais), l’existence de circonstances particulières (Hongrie), autant de principes qui permettent au juge de minorer l’indemnisation due à la victime.

    L’Autriche par exemple impose la démonstration de la faute de l’auteur du dommage pour réparer les pertes de gains futurs. A l’inverse, le Royaume-Uni permet au juge d’aller au-delà de la réparation intégrale et d’appliquer par exemple des dommages et intérêts punitifs si le défendeur se comporte de manière malveillante.

    (4)- Civ. 2ème, 28 octobre 1954, n°1767, bull ; civ. II, n°328 ; JCP 1955. II. 8765 note Savatier. (5)- Cf. droit français article 3 Loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation : concernant la victime, est pris en compte la faute inexcusable et cause exclusive de l’accident- Et article 4 sur la faute du conducteur victime qui peut réduire ou supprimer son droit à indemnisation (6)- En Allemagne la loi relative à la circulation routière de 1909 (Strabenverkehrsgesets-stVG) prévoit une responsa-

    bilité objective des victimes avec une présomption de faute du conducteur et une responsabilité pour faute

    des victimes;

  • P A G E 8

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    2- « Tout le préjudice… Vraiment ?» : Le principe de réparation intégrale comme principe d’équivalence.

    L’idée est celle d’une stricte équivalence entre la réparation et le dommage. Il s’agit de couvrir tout le dommage (d’où une faculté restreinte de modération judiciaire) et pas au-delà du dommage (exclusion des dommages et intérêts punitifs). Ce principe d’équivalence va opposer deux conceptions : la réparation par rétablissement d’une part, et la réparation par compensation d’autre part.

    La recherche du rétablissement conduit à tenter de rétablir la situation antérieure au dommage (réparation de tous les dégâts matériels, réalisation des travaux chez la victime pour atténuer le plus possible son dommage, et indemnisation des autres dommages). C’est le système français de réparation lorsqu’un « tiers responsable » est impliqué (accident de la circulation, responsabilité délictuelle en générale…), à l’exception de la faute inexcusable de l’employeur (limitation par le Code de la sécurité sociale). Les besoins du blessé sont réparés en intégralité, il n’y a pas de limite a priori, le juge est libre. La réparation par compensation, en revanche, présuppose l’impossibilité de rétablir la situation antérieure au dommage ; elle consiste donc à compenser le dommage, en lui allouant un avantage qui va venir contrebalancer le détriment irrémédiable qu’il subit. La réparation n’a pas pour but de remplacer l’avantage perdu, mais elle est une consolation.

    En France, c’est cette conception de la compensation qui gouverne la loi sur le handicap du 11 février 2005 (7) et plus précisément les règles d’attribution de la Prestation Compensatrice du Handicap (PCH). La PCH est en effet allouée de manière forfaitaire, en référence à des cotations et barèmes préétablis. L’exemple de la prise en charge de l’aide humaine et de la tierce personne est à ce sujet un exemple significatif : Pour un handicapé résultant d’un accident de la circulation évalué en besoin d’aide humaine 24h/24 l’indemnisation sera avec un tiers responsable en judiciaire entre 11 et 20€ de l’heure (passive ou active) (8), alors que pour le même handicap d’origine congénitale, la prise en charge via la PCH sera de 3,67€ et 5,51€/heure pour l’aidant familial; en outre la PCH est obligatoirement temporaire et remise en cause tous les 5 ans ; « Autant la réparation intégrale est calibrée sur la vie que l’individu menait avant son accident et répare un dommage, autant la PCH compense en réparant une injustice au sein du corps social » (9) . Le Handicap est ici une charge politique et sociale. La PCH consacre une compensation générique et globale dans le cadre d’une solidarité nationale, ce qui est différent du sujet d’un dommage, créancier d’une dette à l’égard de l’obligation du responsable du fait générateur du dommage

    (7)-Loi 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. (8)-Référentiel des Cour d’Appel « Recueil méthodologique commun » ARPEGE (9)-Intervention de Jean Batiste PREVOST philosophe, 10 avril 2015, « Tierce personne après traumatisme crânien sévère : Quelle spécificité des besoins ? Quelles évaluations ? Quels financements ? » Colloque organisé par France Traumatisme Crânien et Association Réseau Traumatisme Crânien IDF – Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes.

  • P A G E 9

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    Les pays pour lesquels le principe de réparation intégrale est en fait une compensation du handicap, sont ceux qui admettent la réparation en nature, et aussi la réduction des indemni-tés si un appareillage peut venir compenser une partie du handicap, ou enfin la révision de l’indemnisation dans le temps (réduction).

    3- « Rien que le préjudice » : Le principe de réparation intégrale comme principe de non enrichissement.

    Le non enrichissement implique qu’il n’y a pas nécessairement une exacte équivalence entre la réparation et le dommage. La victime ne sera peut-être pas indemnisée à 100%, elle pourra avoir moins que le dommage subi et dans tous les cas jamais plus. Des pays tels que la Hon-grie, les Pays-Bas, la Pologne ou encore la Suisse, ont cet entendement du principe de répa-ration intégrale. En conséquence, ils accordent un plus large pouvoir d’appréciation au juge du fond. Par exemple, les Pays Bas : Si la victime a contribué au dommage, l’obligation de réparation est réduite, voir totalement supprimée. Cela se traduit par des approches parfois radicalement opposées en matière d’appréciation du préjudice, de la libre disposition de son indemnisation, de la prise en charge de l’aggravation et du rôle et du recours des tiers payeurs.

    4- Au-delà du préjudice » : Le principe de réparation intégrale comme principe de non appauvrissement.

    Le non appauvrissement, (Angleterre, Irlande) consiste à admettre qu’à côté de l’indemnité versée à titre de dommages et intérêts, il existe une seconde catégorie de réparation, non in-demnitaire, englobant par exemple « les dommages et intérêts exemplaires ». La victime est non seulement replacée dans l’état qui aurait été le sien si le fait dommageable n’avait pas eu lieu (pas de pouvoir de modération judicaire), mais elle peut dans certaines situations rece-voir plus. Au Royaume-Uni, il peut ainsi y avoir une majoration des dommages et intérêts en cas de violences policières, ou encore de comportement malveillant, insultant et abusif du défendeur, ou diffamation, ou atteinte à la vie privée…

  • P A G E 1 0

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    B- L’application du principe de réparation intégrale en Europe : Variations autour d’un principe général

    Les différentes approches du principe de réparation intégrale auront pour conséquences d’admettre ou non des droits plus ou moins étendus à la victime d’un dommage au travers d’un contrôle variable par le juge mais aussi par les assureurs et les tiers payeurs. Cela s’illustre au travers des questions de la libre disposition des fonds et de la réparation en nature (1), de l’amélioration ou de l’aggravation de l’état de la victime (2), de l’appréciation in concreto ou in abstracto du dommage et la question des barèmes d’indemnisation (3), du recours des tiers payeurs (4), et enfin, de la minoration ou la majoration des dommages (5)

    1- «Faites ce que je vous dis ! » La libre disposition des fonds confrontée à la réparation en nature

    - Le droit Français consacre le principe de la libre disposition des dommages et intérêts versés aux victimes, sauf dans de rares exceptions (mineurs et prestation compensatoire du handicap). Par exemple, s’agissant des besoins temporaires en tierce personne, c’est en application de ce principe que, la Cour de cassation a réaffirmé que même si la tierce personne était assurée par un proche (et qu’en conséquence aucune somme n’était dépensée) la dépense théorique devait être indemnisée car c’est le besoin qui doit être pris en compte et non pas la dépense (10). Le droit français refuse de diminuer l’indemnisation d’une victime, même si elle n’utilise pas les fonds alloués pour se soigner ou améliorer sa situation. En France comme en Hongrie ou en Suisse, il n’existe pas de hiérarchie entre la réparation en nature et la réparation en valeur. Le choix incombe au juge qui dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation. Le code Suisse stipule par exemple que « Le juge détermine le mode ainsi que l’étendue de la réparation, d’après les circonstances et la gravité de la faute » (11). En Pologne, le juge est lié par le choix de la victime qui dispose seule du pouvoir d’opter de son mode d’indemnisation (nature/numéraire) et de la répartition sur les différents postes de dommages. Le responsable ne peut pas imposer à la victime son choix sur le mode de réparation. Les droits anglais et néerlandais donnent la précellence à l’indemnisation pécuniaire et le juge peut substituer des dommages et intérêts à une demande en nature. - Cette vision est loin d’être partagée par tous les autres pays d’Europe. Au contraire, la majorité des pays européens privilégient la réparation en nature qui est considérée comme répondant le mieux à l’objectif de la réparation. Ainsi, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et le Portugal ont fait de la réparation en nature la règle. La victime n’est plus libre de disposer de son indemnisation. Elle doit l’utiliser pour se soigner et améliorer ses conditions de vie sous peine de réduction des sommes allouées. De plus, le juge a le devoir de choisir en priorité la réparation en nature sur celle en numéraire. Par ailleurs, la victime ne peut exiger la prestation en nature dont elle a besoin qu’à la condition de ne pas exposer le payeur à des dépenses disproportionnées (Allemagne, Espagne, Italie, Luxembourg, Pologne, Portugal) ; et lorsque l’assureur offre une prestation en nature la victime ne peut pas demander une indemnisation en numéraire (Belgique).

    (10)- Cassation civile 2ème 18 juin 2013 13-11-898 publiée au Bulletin- La position prise par la Cour de cassation est susceptible d’évoluer à la lecture du projet de Décret Instaurant une nomenclature des postes de préjudices ré-sultant du dommage corporel actuellement en cours d’élaboration au ministère de la justice qui en terme d’aide humaine utilise le terme de « dépenses » et non plus de « besoins », cf. annexe au projet de décret : « Ce poste comprend les dépenses qui visent à indemniser...le coût pour la victime de la présence nécessaire d’une tierce per-sonne à ses côtés. » (11)- Article 43alinéa 1 CO

  • P A G E 1 1

    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    2- « Votre temps est compté ! » La question du temps : Le passé et le futur du blessé

    Mettre en œuvre le principe de réparation intégrale du blessé pose rapidement la question de l’étendue de la prise en charge qui sera exercée. Face à l’état antérieur et à l’aggravation les positions vont diverger suivant les conceptions de chacun. - S’agissant de l’état antérieur, seul le droit Belge distingue les prédispositions de l’état antérieur stabilisé (12) :La prédisposition inconnue du sujet ne peut pas être prise en considération pour écarter ou limiter les réparations du dommage. Le droit Français et Anglais obéissent à des règles similaires. La France s’appuie sur la jurisprudence constante de la Cour de Cassation qui refuse la prise en considération d’un état antérieur latent simplement décompensé par l’accident (13); et le droit Anglais applique la règle « du crâne de coquille d’œuf » : Si une personne avait le crâne aussi sensible qu’une coquille d’œuf et que le responsable n’ayant pas connu cette particularité, a frappé sur la personne et lui a cassé le crâne, il sera jugé responsable de tous les dommages résultant du contact injustifié, quoiqu’ils n’aient pas été prévisibles. Cette règle suivant laquelle le défendeur prend la victime dans l’état où elle se trouve et celle adoptée par l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, la Hongrie, le Luxembourg, la Pologne, la Suède et les Pays-Bas mais avec quelques nuances toutefois : Certains considèrent que les prédispositions patentes, ou évolutions inéluctables de l’état de santé sont exclusives du lien de causalité avec le fait générateur du dommage (Espagne, Hongrie, Autriche, Belgique, Italie, , Luxembourg, Royaume-Uni, Suisse). Dans un sens radicalement opposé, le droit Portugais prend systématiquement en compte les prédispositions pour réduire l’étendue des séquelles imputables au fait dommageable. - L’évolution du dommage se présente également sous des jours différents selon les pays. Si l’état de santé du blessé s’est amélioré postérieurement à son indemnisation, nombreux sont les pays qui ne réviseront pas l’indemnisation du blessé (France, Belgique, Espagne, Hongrie, Italie, Irlande, Luxembourg, Royaume-Uni, Suède, Pologne, Portugal). La France refuse de réviser l’indemnisation en s’appuyant sur le principe de l’autorité de la chose jugée, les Anglais sur celui du « one shot ». Au contraire, des pays comme l’Autriche et la Suisse (dans la limite des deux ans du jugement) permettent la révision de l’indemnisation en cas d’amélioration de l’état de santé.

    (12)-La prédisposition peut être envisagée comme « un état physique normal chez un sujet possédant des caractéristiques génétiques ou autres incluant la possibilité d’une évolution vers une expression clinique (donc une répercussion constatable sur la vie quotidienne du sujet), évolution soit spontanée, soit induite par un ou des cofacteurs, l’un d’eux pouvant être trau-matique ; cette prédisposition n’est connue du sujet que s’il a fait effectuer les tests appropriés (médecine prédictive) » par opposition à l’état antérieur défini comme l’état de la victime juste avant l’accident, le prédisposition de la victime ne peut pas être prise en considération pour écarter ou limiter la réparation du dommage. JL Fargnart, P Lucas, E Rixhon « Prédisposition et état antérieur, nouvelle approche des préjudices corporels. Evolution ! Révolution ? Résolutions… » Liège, Jeune Barreau, 2009, p35. (13)- Le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédis-position pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ( Cass. 2e Civ., 10 juin 1999, Bull . 1999, n° 116, pourvoi n° 97-20.028 ; Cass. 2e Civ., 10 novembre 2009, Bull . 2009, n° 263, pourvoi n° 08-16.920 ).

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    - En matière d’aggravation, la France autorise la révision de l’indemnisation, tout comme la Pologne, le Luxembourg, la Suède et l’Autriche. Un préjudice nouveau doit être démontré pour que le principe de l’autorité de la chose jugée ne puisse pas faire échec à l’indemnisation de ce dommage aggravé. Dans un autre sens, certains pays exigent que la procédure ne soit pas achevée pour admettre une indemnisation de l’aggravation (Espagne, Portugal, Royaume-Uni) . En Belgique Suisse Allemagne et Pays Bas, l’aggravation ne sera indemnisée que si le jugement l’a autorisé (par l’inscription de réserves dans la décision initiale) De plus, en Allemagne, une rente ne pourra être révisée qu’en cas d’aggravation substantielle, et elle est exclue pour l’indemnisation sous forme de capital. Au Royaume-Uni et en Irlande, la révision est difficile.

    « En droit anglais, la notion d'aggravation n'est pas reconnue. Les affaires sont conclues une fois pour toutes et par conséquent, les expertises médicales doivent comprendre la description non seulement des souffrances endurées, mais aussi la description de toute aggravation ou rechute possible à l'avenir, en énonçant les risques d'une telle évolution en pourcentage et en exprimant une opinion sur le délai avant que de telles séquelles ne se manifestent. Cette approche permet de comprendre pourquoi, en droit anglais, le montant d'une rente ou d'un capital pour perte de gains à l'avenir ne peut pas être augmenté s'il y a un accroissement des incapacités de travail de la victime. Il incombe aux avocats de la victime d'établir, lors de la décision judiciaire, son parcours futur le plus probable par rapport aux opinions des médecins-conseils. »(14)

    (14)- Gazette du Palais, 10 avril 2010 n° 100, P. 16—L'expérience de l'avocat britannique Lesley MAIR Solicitor of the Supreme Court of England and Wales—Etats Généraux du Dommage Corporel 2010

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    3- Franchir ou non le Rubicon des barèmes d’indemnisation ?

    L’appréciation in concreto ou in abstracto : L’évaluation in concreto n’enferme pas le juge dans une solution théorique préétablie. L’indemnisation du dommage n’est pas évaluée par rapport à un barème général identique pour tous mais au cas par cas. Son corollaire est l’appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond et donc le faible pouvoir de contrôle de la juridiction suprême. Le droit Français consacre la règle de l’appréciation in concreto du dommage. Les juges du fond disposent en droit commun d’une totale liberté d’évaluation des quantums, avec toutefois une obligation d’imputation des préjudices poste par poste issue de la loi du 21 décembre 2006 et par conséquent la référence à la nomenclature Dintilhac pour la définition des différents postes de préjudices. Cependant cette nomenclature (qui semble avoir vocation à ne jamais devenir limitative(15)), accorde aux juges l’opportunité de faire œuvre créatrice suivant les cas qui leur sont soumis.

    Ainsi, à propos de l’hépatite C, V.I.H., la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou l’amiante, il a été récemment consacré le préjudice de contamination : (un chef de préjudice qui existe en dehors de toute consolidation des blessures, puisqu’il se présente pendant et après la maladie traumatique). Il s’agit ici d’indemniser “le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital”(16)

    - L’évaluation in abstracto est celle qui se réfère à la notion de normalité, de forfait, de moyennes. Les barèmes sont tantôt obligatoires, tantôt simplement informatif, ou même officieux (France). Les pays qui ont recours à un barème obligatoire sont la Suède, l’Espagne (Le Baremo depuis 1995 pour les accidents de la circulation) et l’Italie (uniquement pour les accidents de la circulation). Des barèmes non obligatoires sont disponibles de manière officielle au Royaume-Uni et au Portugal(17 & 18).Mais la majorité des pays fait l’usage d’un barème officieux. Ainsi, la barèmisation y prospère mais le plus souvent par la voie officieuse, les juges du fond se référant à leur propre jurisprudence sans l’avouer dans leur décision sous peine de s’exposer à la censure de la cour suprême. En France on peut citer le référentiel des Cours d’Appel de 122 pages « recueil méthodologique commun » diffusé sur ARPEGE, l’intranet de la magistrature. En Espagne, hors accident de la circulation, la Cour suprême a légitimé le recours des juges aux barèmes officieux dans le domaine corporel (Le Baremo). Ces barèmes officieux existent dans de nombreux pays : L’Allemagne (quantums publiés pour le pretium doloris, schmertzengeld) l’Irlande (livre des quantums guidant le tribunal), Suisse (Tables de calculs), Belgique (tableaux indicatifs du dommage corporel), Luxembourg, Autriche, Pays-Bas (Smartengeldgids)… Seules la Pologne et la Hongrie excluent totalement, pour le moment, l’utilisation des barèmes même officieux.

    (15)-Le projet de Décret Instaurant une nomenclature des postes de préjudices résultant du dommage corporel actuelle-ment en cours d’élaboration au ministère de la justice normaliserait la nomenclature Dintilhac en conservant son caractère non exhaustif : Article 1 : « Les préjudices patrimoniaux et les préjudices extrapatrimoniaux consécutifs à un dommage tel que défini à l’article 28 de la loi du 5 juillet 1985 susvisé, sont déterminés suivant la nomenclature non exhaustive figurant en annexe du présent décret » (16)- Cour de cassation, 2ème chambre civile 18 mars 2010 pourvoi n° 08-16.169 qui définit ainsi le préjudice spéci-fique de contamination :« Le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination virale : il inclut notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie ainsi que la crainte des souffrances ; il comprend aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la découverte de la contami-nation ; il comprend également les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ; il comprend enfin les souffrances, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément provoqués par les soins et traitements subis pour combattre la contamina-tion ou en réduire les effets ; il n'inclut pas le préjudice à caractère personnel constitué par le déficit fonctionnel, lorsqu'il existe». (17)-Guide du Judicial studies Board (Bureau des études juridiques) et Guide du Conseil de la magistrature au Royaume-Uni. (18)-Ordonnance portugaise du 26 mai 2008 pour les atteintes corporelles.

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    4- Le recours des tiers payeurs, un pacte Faustien ?

    En droit français, l’évolution du recours des tiers payeurs ressemble à une marche chaotique, deux pas en avant un pas en arrière. Si la loi du 21 décembre 2006 a représenté une véritable avancée pour les victimes (imputation du recours poste par poste), les évolutions qui ont suivi ont entamé cette avancée (notamment sur la question de l’assiette du recours sur les préjudices à caractère personnel et même temporaire), pour aboutir à une situation actuelle confuse (pour les rentes accidents de travail et pension d’invalidité notamment) (19). Il demeure que le principe qui gouverne ce recours est celui de la subrogation des tiers payeurs dans les droits de la victime à l’égard du tiers responsable. L’idée que la collectivité soit remboursée de ses dépenses sur les postes de préjudice personnel pose une véritable question éthique puisque la victime, blessée, se trouve privée d’une partie de la juste indemnisation de son handicap. En présence d’un tiers responsable, on peut se demander pour quelle raison l’addition des dépenses supportées par la collectivité ne serait pas payée en totalité par le tiers responsable sans aucune réduction possible de l’indemnisation du blessé et protéger ainsi les réparations des préjudices personnels des victimes. Pour les autres pays Européens, cette question est peu documentée, ou lorsqu’elle l’est, cela demeure superficiel.

    Il apparait cependant que les systèmes anglais et allemand sont similaires au français mais avec quelques particularités notamment du côté de nos voisins britanniques : Au Royaume-Uni, les sommes allouées au titre du préjudice moral ne sont pas soumises à recours. Si le montant des prestations remboursables excède celui de l’indemnité due à la victime, le responsable ou son assureur doit payer la différence à l’Etat. De plus, certaines prestations ne sont pas remboursables par l’exercice du recours :

    - les prestations servies plus de cinq ans après l’événement dommageable - en cas de transaction entre la victime et le responsable, toute prestation payée après la transaction (l’intérêt de cette exclusion étant d’encourager les assureurs à ne pas laisser traîner les négociations.)

    D’autres pays ont retenu des solutions radicalement différentes : Le choix d’écarter partiellement ou en totalité le recours des tiers payeurs a été retenu en Italie, et aux Pays Bas : la charge du coût des prestations sociales versées à la victime est supportée par la collectivité des assurés et contribuables. Le Danemark a instauré un principe de priorité des victimes sur les organismes sociaux.

    (19)- Cass. Crim., 19 mai 2009, pourvoi n° 08-86.485 , la chambre criminelle au visa notamment du principe de la réparation intégrale juge que la rente accident du travail peut s'imputer subsidiaire-ment sur le déficit fonctionnel permanent.

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    5- L’individu sous microscope : La minoration ou la majoration des dommages :

    L’évaluation de l’indemnisation en réparation intégrale supposerait que rien ne vienne interférer dans l’appréciation du préjudice, tout le préjudice, rien que le préjudice. Mais ce principe connaît des interprétations différentes selon les pays, la question de la faute de la victime étant au cœur de la responsabilité. Les uns admettant que la victime fautive, ou la situation du responsable, permettent de diminuer l’indemnisation, les autres que la victime doit minorer son dommage de son propre chef, et une dernière catégorie à l’inverse n’hésite pas à alourdir le montant de la réparation due à la victime par des dommages et intérêts punitifs.

    - La question de la faute de la victime est au centre du droit de la responsabilité. En France, même la loi Badinter du 5 juillet 1985, qui consacre la responsabilité objective, a instauré un régime de responsabilité différent pour les conducteurs victimes : Leur faute réduit de droit leur indemnisation. Les victimes non conductrices pouvant dans certaines circonstances voir leur indemnisation réduite ou supprimée en cas de faute inexcusable et cause exclusive de l’accident (20). - La situation du débiteur de la réparation est aussi prise en compte par certaines législations. Les droits Suisse et Néerlandais prévoient une faculté de minoration offerte aux juges en fonction de la situation du débiteur de l’indemnité. La Suisse accepte ainsi de réduire la réparation de la victime « en l’absence d’intention ou de négligence ou imprudence grave, ou si le paiement de la réparation exposerait l’auteur à la gêne. La Hongrie admet aussi que le tribunal puisse réduire l’indemnisation « en fonction de circonstances dignes d’une considération particulière »

    En Allemagne, une loi spéciale concernant les victimes d’accident de la circulation prévoit également une responsabilité objective au bénéfice de la victime non conducteur. Celle-ci peut néanmoins se voir opposer sa propre faute (sauf si elle a moins de 10 ans ou en cas de force majeure). Ainsi, la loi Allemande relative à la circulation routière de 1909 (Strabenverkehrsgesets-stVG) prévoit une présomption de faute du conducteur et une responsabilité pour faute des victimes notamment pour violation du devoir de prudence : Le piéton qui traverse la nuit sur une route sombre peut se voir imputer de 50 à 80% de part de responsabilité, idem s’il ne respecte pas les feux, néglige les passages protégés, est en état alcoolisé ; si la victime est passager transporté elle peut être responsable de 15 à 25% si elle a violé son devoir de prudence tel qu’être monté à bord d’un véhicule dont elle savait que le conducteur était alcoolisé, ou de fatigue avancée, ou non titulaire du permis de conduire, ou si elle n’avait pas mis la ceinture de sécurité ;

    (20)- L5/7/1985 Article 3 : « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur,

    sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que

    puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause

    exclusive de l'accident. »

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    - La mitigation est l’obligation pour la victime de minimiser l’étendue et l’importance de son propre dommage. Elle est admise dans la législation ou la jurisprudence de certains pays d’Europe. (21) Souhaitée par les assureurs, rejetée par les associations de victimes, la mitigation est pour l’heure contraire aux principes du droit français. La Cour de cassation française refuse en effet de minorer une indemnisation sous prétexte que la victime pourrait avoir un comportement permettant au responsable de faire des économies (22). C’est aussi en application du principe de la libre disposition du corps que la Cour de cassation française refuse d’autoriser les assureurs à contrôler les dépenses de la victime et de lui imposer d’utiliser les fonds pour la cause pour laquelle ils ont été versés. De même la victime est libre de ne pas accepter un traitement médical, même si l’assureur considère qu’il aurait amélioré son état (23). Différents pays ont inscrits le principe de la mitigation dans leur législation (Allemagne, Finlande, Portugal, Suisse). En Allemagne par exemple, la victime a l’obligation de prendre des mesures conservatoires afin de limiter les dommages subis. Seules les mesures jugées nécessaires et adéquates, par une personne «judicieuse » et faisant preuve « de pensée économique », sont remboursées. D’autres pays appliquent la mitigation sans base légale, uniquement prétorienne, c’est le cas du Royaume-Uni, de la Belgique et du Luxembourg.

    Ainsi, au Royaume-Uni le principe s’énonce par la locution « The duty to mitigate the damage » : Cela implique que le principe de réparation intégrale est tempéré par celui de « mitigation of damages ». La partie lésée doit donc limiter son dommage lorsque cela est possible. La preuve qu’elle a échoué dans l’accomplissement de ce devoir incombe au défendeur. Toutefois, il ne pèse pas sur le demandeur l’obligation d’entreprendre des démarches qu’un homme raisonnable et prudent n’aurait pas prises(24). L’obligation faite à la victime de minimiser sa réclamation a cependant une limite : bien que l’Etat prévoit un traitement médical gratuit pour tout citoyen, la victime a le droit d’y renoncer pour se faire soigner par un médecin ou un hôpital privé de son choix, aux frais du responsable (en réalité, de son assureur). - Enfin, le droit britannique consacre la notion de dommages et intérêts punitifs (dans des cas encadrés, notamment les violences policières), notion qui semble être amenée à s’étendre en Europe. Le juge anglais possède en effet la faculté de condamner l’auteur du dommage à verser également des « dommages et intérêts exemplaires » et « des dommages et intérêts alourdis » ou « aggravés ». Les dommages et intérêts alourdis indemnisent ainsi le demandeur du préjudice supplémentaire qu’il subit du fait de la souffrance morale liée au comportement malveillant, insultant et abusif du défendeur.

    (21)- La mitigation ou l’obligation pour la victime de minimiser son dommage : une exception fran-çaise-Pierre-Yves Thiriez président de l’AREDOC (Association pour l’étude de la réparation du dom-mage corporel) - Gazette du Palais, 09 décembre 2014 n° 343, P. 5 (22)- Cassation civile 2ème 25 octobre 2012 n°11-25511 qui refuse de minorer l’indemnisation sous prétexte que la victime aurait pu déménager, ou Cassation civile 2ème 26 mars 2015 n°14-16011qui censure la cour d’appel ayant divisé en deux l’indemnisation du préjudice professionnel d’une victime qui avait refusé un poste. (23)-Cassation civile 2ème 15 janvier 2015 n°13-21180 « Attendu que le refus d'une personne, victime d'une infection nosocomiale dont un établissement de santé a été reconnu responsable, de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de l'infec-tion; » (24)- Arrêts James Finlay v. Kwik Hoo Tong Handel Maatschapij, 1928, et Pilkington v. Wood, 1953.

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    II- EVALUER LE PREJUDICE CORPOREL EN EUROPE

    A- Les préjudices indemnisables

    Des conceptions radicalement différentes s’opposent d’un pays à l’autre. L’un va admettre une liste non exhaustive des préjudices patrimoniaux, l’autre va la réduire strictement, l’un va considérer que le préjudice moral suite au décès d’un proche doit être indemnisé, l’autre que la vie n’a pas de prix et donc qu’aucune indemnité ne peut être versée pour la mort.

    Le droit français (parmi les plus favorable aux victimes) est souvent critiqué précisément pour ses principes ; il lui est fait le reproche de ne pas être conforme aux autres droits (au sujet de la mitigation par exemple) (25). L’AREDOC a récemment modifié l’article 17 de sa mission expertale type sur la question de la perte d’autonomie (26) considérant que l’expert doit prendre en compte les palliatifs techniques mis à la disposition des blessés, notamment les grands handicapés. L’AREDOC soutient qu’à partir du moment où il existe des palliatifs techniques, il n’y a plus aucune raison d’accorder des dommages et intérêts pleins et entiers à la victime (taux de Déficit Fonctionnel Permanent). Les associations d’Avocats de Victimes répondent que cette conception est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation sur le refus de la minoration de l’indemnisation si la victime refuse un traitement ou une modification dans sa vie personnelle (notamment son arrêt civ. 2ème 25 octobre 2012 -voir note n°17-)

    La traditionnelle distinction entre les préjudices patrimoniaux et personnels permet d’illustrer ces différences radicales de point de vue.

    (25)- Intervention de Philippe HINGRAY, responsable du pôle performance corporel et juridique de COVEA AIS, président de la commission de réflexion sur l’évaluation et l’indemnisation du dommage corporel (COREIDOC), AREDOC- Colloque Cour de Cassa-tion 27 mars 2015. (26)- AREDOC Mission de droit de commun relative aux handicaps graves générant une perte d’autonomie 17/12/2014 article 17 Point 17 – Perte d’autonomie correspondant notamment aux Frais de Logement Adapté (FLA), aux Frais de Véhicule Adapté (FVA), à l’Assistance par Tierce Personne (ATP) Que la victime soit consolidée ou non, • dresser un bilan situationnel en décrivant avec précision les modalités de réalisation des différents actes de la vie quotidienne et le déroulement d’une journée (24 heures), d’une semaine... • Puis, en s’aidant, si besoin des professionnels nécessaires et en tenant compte de l’âge et de l’éventuel état antérieur : 17.1 Se prononcer sur les aides matérielles nécessaires : • aides techniques, en précisant leur nature et la fréquence de leur renouvellement ; • adaptation du logement (domotique notamment), étant entendu qu’il appartient à l’expert de se limiter à décrire l’environnement en question, et au professionnel spécialisé de décrire les aménagements nécessaires ; • aménagement d’un véhicule adapté. 17.2 Déterminer ensuite, en tenant compte des aides matérielles mentionnées ci-dessus, les besoins en aide humaine que cette aide soit apportée par l’entourage ou par du personnel extérieur, en précisant sa nature, ses modalités d’intervention et sa durée : • aide active pour les actes réalisés : - sur la victime hors actes de soins - sur son environnement ; • aide passive : actes de présence. 17.3 Dans le cas où les aides matérielles n’ont pas été mises en place, l’expert déterminera l’aide humaine en cours au jour de l’exper-tise, en décrivant les aides matérielles nécessaires prévues ou prévisibles et leur incidence sur l’autonomie. Concernant les séquelles neuropsychologiques graves, préciser leurs conséquences quand elles sont à l’origine d’un déficit majeur d’initiative ou de troubles du comportement. Indiquer si une mesure de protection a été prise. »

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    1-Les préjudices patrimoniaux

    Les pays qui ont sur ce point la conception la plus favorable aux victimes sont le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France. Liste à laquelle il est possible d’ajouter un pays non membre de l’Union, la Suisse Alors que d’autres ont une conception plus sévère, comme l’Espagne, L’Italie, les Pays Bas, l’Autriche. - Par exemple au Royaume-Uni il n’existe aucune liste exhaustive des préjudices causés par un dommage corporel. Le corollaire est que la victime est soumise à l’obligation de comportement raisonnable (mitigate his loss – cf. C- La Mitigation ci-dessus) qui lui impose de ne pas exagérer ses demandes. - En Allemagne, les préjudices patrimoniaux qui sont versés dans le cadre de la responsabilité civile de droit commun bénéficient d’un régime aménagé de l’administration de la preuve. En effet, le tribunal peut souverainement décider si le dommage est né (ou non) et quel en est le montant, et le juge n’a pas besoin d’être totalement convaincu par la victime, puisque les textes indiquent qu’une simple « vraisemblance prédominante » est suffisante. La victime doit donc uniquement prouver une hypothétique modification ultérieure de ses revenus. En cas de décès, il est accordé réparation des frais de soins, pertes patrimoniales avant le décès, les frais funéraires et les pertes de droits à aliments. De plus seules sont indemnisées les personnes bénéficiant d’une obligation alimentaire. Mais le droit à réparation est plafonné par évènement dommageable. La victime qui ne peut plus s’occuper de son foyer a un droit à réparation (même sans faire appel à une tierce personne). Ce préjudice ne dépend pas d’une perte patrimoniale concrète mais constitue un « préjudice normatif ». En l’absence d’emploi d’une tierce personne, il sera donc évalué par référence aux tarifs habituels d’une aide-ménagère en tenant compte des besoins concrets du foyer. Cette évaluation s’effectue sur la base de tableaux doctrinaux.

    La Suisse, a introduit dans sa réglementation, la notion de Préjudice Ménager. Ce préjudice désigne l’incapacité à effectuer les tâches domestiques de son foyer, la perte de la capacité d'exercer des activités non rémunérées, telles que la tenue du ménage, ainsi que les soins et l'assistance fournie aux enfants; ce préjudice peut donner droit à des dommages-intérêts. Pour les déterminer, il faut tout d'abord évaluer le temps nécessaire à la réalisation des tâches domestiques et familiales, puis fixer le coût horaire de ces activités. L’évaluation se fait sous la forme de tests standardisés, sous le contrôle d’un médecin, qui permettent de déterminer ce que la victime est toujours capable de faire. Le résultat de ces tests est ensuite validé par une visite au domicile de la victime. Ces tests sont effectués grâce aux tables ESPA (Enquête Suisse sur la Population Active) qui ont été mises à jour en 2013 et qui regroupent les statistiques sur l’activité ménagère d’un échantillon de 25000 habitants. Le préjudice ménager représente environ 20% du coût total d’indemnisation pour les victimes de dommages corporels lourds (l’aide humaine étant indemnisée en complément de ce préjudice).

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    Le système espagnol prévoit, dans un barème, une indemnisation égale pour tous, qui sera plus ou moins majorée pour indemniser le préjudice économique propre à chaque victime. Les préjudices économiques sont ainsi évalués de manière complémentaire, suivant un critère de correction plafonné sur les indemnisations revenant aux victimes en cas de décès, d’incapacité temporaire ou permanente. La perte de revenus liée à l’accident peut être indemnisée en dehors de ce qui est prévu dans le barème, si la victime peut la justifier sans aucun doute. En contrepartie, le recours des tiers payeurs est limité aux frais médicaux, hospitaliers, donc sans possibilité de récupérer les prestations économiques dues aux pertes de revenus. En cas de décès, la loi établit la possibilité de majorer les indemnités en cas de décès, en appliquant des taux de correction jusqu’à 75% selon les revenus annuels nets de la victime obtenus d’un travail rémunéré (plusieurs niveaux sont prévus dans le barème). Le barème permet l’application des taux de correction de 10% à toute victime en âge de travailler, même si elle ne justifie pas de revenus. Le système n’a pas prévu de règles pour la détermination du pourcentage précis à appliquer, le barème se limite à l’inclusion d’un minimum et maximum.

    2- Les préjudices personnels

    L’étendue des préjudices personnels varie selon les pays. Le modèle français conduit à distinguer des catégories telles que les souffrances endurées, de déficit fonctionnel temporaire et permanent, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément, le préjudice sexuel...

    D’autres pays les réunissent sous un même poste ou ont « barémisé » ces préjudices : Le droit suédois applique un barème officiel pour l’indemnisation des douleurs et souffrances. Les droits allemand, néerlandais, britannique, suisse appliquent des forfaits :

    L’Allemagne englobe tous les préjudices personnels dans un seul poste unique appelé Schmerzensgeld « l’argent de la douleur ». Ce préjudice global est apprécié par les juges du fond sur la base de pièces médicales. En cas de décès le préjudice moral est très difficilement reconnu. Le droit allemand considère que la vie n’a pas de prix et qu’en conséquence le droit ne peut réparer la perte d’un être cher sur le plan moral. Dans des cas exceptionnels, il est admis un préjudice de choc (évènements graves, le demandeur a assisté à l’évènement dommageable).

    Au Royaume-Uni l’évaluation du préjudice moral repose sur des forfaits fixés, situation par situation, constitués par deux référentiels dénommés « Kemp and Kemp The Quantum of Damages » et « Butterworths Personal Injury Litigation Service »). Ces ouvrages contiennent la liste des décisions judiciaires d’indemnisations, classées selon les organes traumatisés, les types de préjudice d’agrément, de souffrance, etc. Ces éléments de référence sont en outre complétés par des directives émises par le « Judicial Studies Board », organe officiel de formation des magistrats. Il importe de souligner que malgré leurs qualités et leur utilité et l’usage qui en est fait, ces ouvrages et directives ne constituent pas un outil scientifique parfait ; en fin de compte, tout dépend de l’appréciation subjective du juge qui décide.

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    - L’Italie utilise la notion de préjudice biologique. Le dommage biologique est le préjudice ressenti par la victime suite à la perte, permanente ou temporaire, de son intégrité « psychophysique ». Le dommage doit être évalué sans tenir compte d’une quelconque conséquence patrimoniale défavorable : ainsi, rentrent dans la notion de dommage biologique le préjudice esthétique, le préjudice sexuel. En matière d’accidents du travail et de circulation routière, le législateur a dicté des règles ad hoc sur le dommage biologique en établissant les critères particuliers d'indemnisation. Pour ces deux types d’accidents, le droit italien distingue un taux d’invalidité permanente minimum. Pour les accidents routiers en dessous de 9% il y aura application d’un forfait, au-dessus les juges du fond retrouvent leur entier pouvoir d’appréciation. Pour les accidents du travail en dessous de 5% il n’y aura aucune indemnisation. Au-dessus du plafond, l’indemnité est calculée suivant un système de point légalement défini. En droit commun le système est celui du "calcul à point variable" fixé en fonction de la durée de l’invalidité temporaire et le taux d’invalidité permanente. Si le résultat est supérieur à 16% l’indemnisation sera obligatoirement versée sous forme de rente.

    B- Les règles pratiques de l’indemnisation

    1- La messe de l’expertise médicale

    Rares sont les pays qui font l’économie de l’expertise médicale. La technicité de la matière médicale rend en effet obligatoire le recours à l’expert médical qui devient de ce fait un élément essentiel et déterminant du processus d’indemnisation. En France, l’expertise dite judiciaire est confiée à un médecin expert formé à cet effet. En amiable, les assureurs requièrent de leurs experts une formation médico-légale. La déontologie permet à l’expert d’assurance d’être également expert judiciaire. Mais ce système est critiqué par certains reprochant que l’expert, même malgré lui, pourrait être influencé par la force persuasive qu’exercent les assureurs au travers de publications et congrès notamment. L’évolution du DFT est à ce sujet significative. Le DFT est défini au terme de la nomenclature Dintilhac comme englobant non seulement l’incapacité fonctionnelle partielle temporaire mais aussi la perte de qualité de vie et celles des joies de la vie usuelle. Or la généralisation des classes de DFT (classe 1,2,3 et 4)(27) sous la forte influence des assureurs, aboutit à une forfaitisation du DFT. Il est aujourd’hui devenu impossible pour une victime d’obtenir la majoration du DFT pour un préjudice d’agrément temporaire. Ainsi, le poste de préjudice d’agrément temporaire n’est actuellement plus indemnisé (28). Les particularités des systèmes étrangers tiennent à la nature de l’expertise et au statut de l’expert. Dans les procès anglo-saxons, les juges se basent sur des expertises médicales menées par chacune des parties. L’expert a donc le statut de témoin « expert witness ». L’expert est tenu par le code de procédure civile d’aider le tribunal. Dans les affaires de faible importance, les parties sont tenues de ne désigner qu’un expert unique. Le juge allemand peut décider de se passer d’un expert si l’affaire lui semble en l’état d’être jugée. A défaut il demandera l’accord des parties sur le nom de l’expert à désigner.

    (27)-CLASSE 1 : 25%- CLASSE 2 :50 %- CLASSE 3 : 75 %- CLASSE 4 : 100%

    (28)- Intervention Fréderic Bibal Avocat, colloque Cour de Cassation 27 mars 2015 « De l’indemnisation à la réparation. Comment favoriser la réinsertion des grands blessés ? »

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    L’expertise médicale en Espagne est à la charge d’un médecin appartenant au Corps National de Médecins “FORENSES” (l’équivalent du médecin légiste) dans les cadres de procédures pénales suite à des accidents de la circulation, mais aussi dans les procès civils où les parties peuvent lui adjoindre des experts privés. Ces médecins Forenses sont des salariés employés par le Ministère de la Justice. Ils ont le statut de fonctionnaires publics rétribués par l’Etat et affectés à une ville ou Institut déterminé Leur fonction est incompatible avec un exercice privé de la profession, sauf ordonnance judiciaire, et leur rémunération est fixée par l’Administration de Justice.

    2- L’individu dans un moule : L’évaluation de la perte de capacité et les barèmes médicaux

    Les experts médicaux français utilisent des barèmes. En France la guerre des barèmes médicaux a opposé pendant un temps assureurs et victimes. A côté du barème légal d’invalidité, le droit commun a vu fleurir les barèmes de déficit fonctionnels. Aujourd’hui malgré sa consécration (par le décret du 4 avril 2003), du Barème du Concours médical AREDOC cohabite toujours avec celui de la Sécurité Sociale et tous les barèmes contractuels des assurances de personnes, barème de la fonction publique, guide barème pour les pensions militaires d’invalidité et les victimes de guerre…En plus de la confusion que cela fait naître dans les esprits des victimes, le barème du Concours Médical est critiqué à plus d’un titre. D’une part du fait de son ancienneté (non révisé depuis 2001) et d’autre part du fait de son imperfection, d’aucuns considérant que l’évaluation médicale ne peut être que physiologique sans aucune considération économico-professionnelle, qu’il ne doit être qu’indicatif car ce n’est pas une science exacte que d’automatiser un taux d’incapacité à une lésion anatomique donnée… Parmi les pays européens certains se passent purement et simplement de barème médical tandis que d’autres utilisent des barèmes stricts : La Grande Bretagne ne dispose d’aucun barème médial. L’Espagne, pays du « tout barème » a non seulement barèmisé les indemnisations mais également les évaluations médico-légales. Un Guide barème Européen est édité par le Ceredoc : y ont participé la France, L’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Portugal. Le tableau ci-après démontre les variations d’un barème à l’autre (29):

    Concours médical SML AREDOC Guide Barème Européen

    Lombalgie résiduelle

    simple

    10% 3% 3-10%

    Rigidité flex. Ext. poignet 3% 7-10% 15%

    Tétraplégie basse 85% 75% 50%

    Stress post traumatique 3-15% 0-25%pouvant atteindre

    90%

    0-20%

    (29)-Evaluation du préjudice corporel- Gisèle Mor Editions Delmas 2014-2015 page 340

    Comparaison des taux d’incapacité suivant 3 barèmes franco-européen

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    3- Le Management de la victime : La réparation en nature

    Le management de la victime consiste à confier à un Case Manager la charge d’organiser, pour la victime, sa réinsertion professionnelle. Elle est la règle dans les droits allemand, autrichien, belge, italien, luxembourgeois et portugais. Tous considèrent que la réparation en nature répond mieux à l’objectif assigné à la réparation : effacer le dommage, et non pas seulement le compenser. La réparation en nature s’accompagne de quelques principes tels que : L’implication du juge qui doit faire prévaloir la réparation en nature sur la réparation en

    valeur L’implication de la victime qui a le droit d’exiger la réparation en nature (sauf si cela

    implique des dépenses disproportionnées : Belgique, Suisse) L’obligation pour la victime d’accepter une offre de réparation en nature formulée par le

    responsable. Le système allemand aurait ainsi permis pour 2/3 des victimes de récupérer une activité rémunérée permettant de cotiser de nouveau aux régimes sociaux. (Source Scor-mars 2015).

    Dans le cadre de la réparation en nature, l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse proposent une réinsertion socio-professionnelle. Elle s’organise de différentes manières : par l’aménagement du poste occupé, en offrant des formations permettant à la victime d’effectuer un travail plus adapté à son handicap. Généralement ce sont les organismes de sécurité sociale qui ont l’obligation de mettre en place ces mesures de réhabilitation professionnelle. L’offre de réinsertion professionnelle est obligatoire pour les organismes sociaux en Autriche depuis 1956.

    La réhabilitation professionnelle s’organise autour du Case Manager notamment en Suisse. Le Case Manager coordonne une équipe d’intervenants et de soignants. Il définit un programme de réinsertion sociale, familiale et professionnelle et accompagne la victime tout au long de cette prise en charge liée à la maladie traumatique. La SUVA (Assureur Suisse) s’est appuyé sur deux moyens pour favoriser la réadaptation des grands blessés : les cliniques de réadaptation d’une part et le case manager d’autre part. Dans un bilan après 10 ans de case management (30), la SUVA conclut que le système a finalement été plus coûteux (un case manager ne peut pas s’occuper de plus de 30 cas à la fois et il créé une inflation d’intervenants), de plus le case manager s’est révélé inefficace pour les blessés d’origine étrangère, enfin les entreprises acceptant d’embaucher des personnes handicapées restent rares. La SUVA se recentre en conséquence sur les grands blessés à fort potentiel de réinsertion professionnelle. En revanche l’expérience des cliniques de réadaptation semble avoir donné satisfaction (voir pour l’exemple la clinique romande de réadaptation –Valay Suisse). Ces cliniques sont équipées de toutes les prestations de réadaptation locomotrice, médullaires, service social, paramédical, orthopédie technique, simulateur de conduite, des appartements d’exercice avec cuisine et salle de bain pour étudier les prestations d’aménagement de l’appartement de la victime avant son retour à domicile. Elle propose un atelier professionnel afin d’évaluer les capacités professionnelles et permettre un réentrainement au travail ainsi qu’une réadaptation professionnelle, prochainement elle proposera une chaire de robotisation des prothèses.

    (30)- Intervention de M. Jean-Daniel Gay, représentant de la SUVA, Colloque Cour de Cassation 27 mars 2015, De l’indemnisation à la réparation. Comment favoriser la réinsertion des grands blessés ?

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    Les droits français, hongrois et suisse n’imposent aucune hiérarchie entre la réparation en nature et la réparation en valeur. En Suisse, la loi prévoit que le juge dispose d’une faculté de choix, sauf si la victime a elle-même opté pour la réparation en nature. Dans ce cas le juge est lié, sauf à justifier de motifs pertinents pour écarter cette option. En droit polonais, le juge est définitivement lié par le choix de la victime. Les droits français, anglais et néerlandais donnent la primauté à la réparation en valeur.

    Peut-on imaginer que le recours au Case Manager se fasse de manière volontaire, non contrainte, et réversible ? Cela procurerait une chance pour les victimes de profiter des structures du management, et une quasi obligation de résultat pour l’assureur qui ainsi agirait avec le risque d’être révoqué par le blessé.

    4« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » : La réparation en numéraire : rente ou capital

    Le choix de la réparation en valeur pose de multiples questions, en premier lieu le type de règlement, sous forme de capital ou de rente, en second lieu s’il s’agit d’une rente, sa révision éventuelle, et enfin la référence à des tables d’indexation. Le juge peut disposer du libre choix d’accorder une rente ou un capital sans jamais être lié par le choix du bénéficiaire. C’est la situation en droit français, belge, espagnol, hongrois, italien, luxembourgeois, néerlandais et anglais. Dans certains pays, si la victime demande une rente cela lie le juge : Allemagne, Autriche, Hongrie et Pologne (notamment pour les pertes de gains professionnels). En Allemagne, c’est seulement en présence de « raisons suffisamment importantes » qu’un capital peut être accordé. C’est le cas de la victime qui a besoin d’un capital pour recréer une nouvelle existence professionnelle suite à un accident.

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    CONCLUSION La diversité des systèmes d’indemnisation coexistant actuellement en Europe représente une richesse certaine. Les différentes approches et conceptions, ont en effet donné lieu à des solutions parfois opposées d’un pays à l’autre. Cependant, chacune de ces approches présente ses avantages et ses inconvénients, mais surtout s’inscrit dans un système général cohérent et singulier. Le principe de la mitigation adopté en Grande Bretagne est tempéré notamment par l’absence de recours des tiers payeurs sur le préjudice moral, la non prise en compte de l’état antérieur pour réduire le dommage imputable, les dommages et intérêts exemplaires, l’absence de liste des dommages patrimoniaux et de barème médical. L’adoption d’un barème d’indemnisation et la réparation en nature en Italie sont compensés par la notion de préjudice biologique et le refus du moins partiel du recours des organismes sociaux sur le responsable du fait générateur. Les différents pays étudiés possèdent ainsi leurs propres équilibres entre les intérêts de victimes, ceux des tiers payeurs, ceux des assureurs. Néanmoins, le principe de réparation intégrale adopté par tous les pays de l’Union devrait offrir aux victimes, quel que soit le pays où a lieu l’accident, la possibilité de retrouver la situation qui était la leur avant l’évènement accidentel. Ainsi, l’unification des législations pourrait apparaitre comme le but à atteindre dans le cadre plus large de l’harmonisation de la responsabilité civile au sein de l’Union européenne. Mais une telle entreprise, pour se réaliser, devra confronter les intérêts souvent divergents des protagonistes de la réparation du dommage corporel. Une harmonisation favorable aux assureurs conjuguerait mitigation, barèmes, réparation en nature, l’absence de liberté de disposition des fonds, la révision des rentes, le recours des tiers payeurs, la forfaitisation des préjudices personnels… A l’inverse, elle privilégierait l’intérêt des victimes en consacrant des règles telles que l’appréciation in concreto du dommage, la responsabilité objective, les dommages et intérêts exemplaires, le paiement en capital ou rente non révisables, la libre disposition des dommages et intérêts, l’exclusion de l’état antérieur latent, la limitation du recours des tiers payeurs, les nomenclatures non exhaustives de préjudices…

    Une voie médiane conduirait à harmoniser la définition du principe de réparation intégrale et en fixer un contenu commun à tous d’une part, puis, à emprunter auprès de chacun des pays les solutions qui conjuguent à la fois le respect de ce principe de réparation intégrale des dommages des victimes, l’équilibre des finances des tiers payeurs et les souhaits de maitrise des indemnisations formulés par les assureurs d’autre part.

    Une société moderne, dans notre idéal, devrait savoir accepter les risques inhérents à son propre fonctionnement, en supporter les conséquences, ne pas stigmatiser les victimes, tout en les encourageant à reprendre un rôle à leur mesure dans l’ordre social. Indemniser et réparer l’irréparable, seul le droit de la réparation du dommage corporel propose ce pari a priori impossible à tenir. Mais le droit possède cette faculté singulière de permettre de remonter le temps et de tenter de restituer à la victime sa vie antérieure. Relever ce défi au niveau européen est une tâche difficile à mener mais « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. » Sénèque.

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    L A R E P A R A T I O N D U D O M M A G E C O R P O R E L E N D R O I T E U R O P É E N C O M P A R É

    Références Bibliographiques

    France TRAUMATISME CRANIEN, « Tierce personne après traumatisme crânien sévère : Quelle spécificité des besoins ? Quelles évaluations ? Quels financements ? », Colloque organisé par France Traumatisme Crânien et Association Réseau Traumatisme Crânien IDF – Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. 10 avril 2015

    COUR DE CASSATION, « De l’indemnisation à la réparation, comment favoriser la réinsertion des grands blessés », Colloque Cour de Cassation 27 mars 2015 – Gazette du Palais à paraître

    GRERCA (groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance), L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation en Europe, Editions Bruyant – mars 2015 MOR Gisèle Evaluation du préjudice corporel Stratégie d’indemnisation méthodes d’évaluation, Encyclopédie Delmas -2014 THIRIEZ Pierre-Yves, Président de l’AREDOC (Association pour l’étude de la réparation du dommage corporel), La mitigation ou l’obligation pour la victime de minimiser son dommage : une exception française, Gazette du Palais, 09 décembre 2014 n° 343. INSTITUT POUR LA JUSTICE, Indemnisation des victimes de la criminalité comparaison des barèmes d’indemnisation en Europe, Mai 2013 PIERRE Philippe et LEDUC Fabrice, La réparation intégrale en Europe, Edition Larcier 2012 APREF (Association des professionnels de la réassurance en France), Indemnisation des dommages corporels : analyse et perspective, Juin 2013 LAMBERT-FAIVRE Yvonne, PORCHY-SIMON Stéphanie, Droit du dommage corporel, Systèmes d’indemnisation – Editions Dalloz 7ème édition - 2011 ETATS GENERAUX DU DOMMAGE CORPOREL, L’influence de la résolution du Conseil de l’Europe de 1975 sur la pratique européenne, Gazette du Palais 9, 10 avril 2010 BERG Oliver, La protection des intérêts incorporels en droit de la réparation des dommages, Essai d’une théorie en droit français et allemand, Revue International de droit civil 2007