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UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER
Faculté de droit et science politique
UMR 5815 Dynamiques du droit
CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE
MEMOIRE
Présenté par Amandine CHAPOU
Sous la direction de Marie-Sophie BONDON
– 2015 –
Master 2 Droit Economique, parcours Droit privé Economique (DPE)
LA REPARATION DU PREJUDICE EN CAS
DE RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS
COMMERCIALES ETABLIES
1
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Monsieur Daniel MAINGUY, Professeur à la Faculté
de Droit de Montpellier, Directeur du Master 2 Droit privé économique, et
Monsieur Malo DEPINCE, Maitre de conférences à la Faculté de Droit de
Montpellier, Directeur du Master 2 Consommation et concurrence pour
m’avoir accueilli dans ce master et m’avoir permis de suivre les
enseignements nécessaires à la rédaction de ce mémoire.
Je souhaite également remercier ma directrice de mémoire, Madame
Marie-Sophie BONDON, Doctorante à la Faculté de Droit de Montpellier,
qui a su m’accompagner tout au long de ce mémoire en me prodiguant de
nombreux conseils.
2
SOMMAIRE
Introduction
1ère
Partie : La responsabilité retenue en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies
Chapitre 1 : L’hésitation jurisprudentielle entre la reconnaissance d’une
responsabilité délictuelle ou contractuelle
Chapitre 2 : L’enjeu de la reconnaissance de la responsabilité délictuelle
2ème
Partie : La réparation du préjudice en cas de rupture brutale des
relations commerciales établies
Chapitre 1 : Le préjudice résultant de la brutalité de la rupture
Chapitre 2 : Les différentes formes de la réparation du préjudice
Conclusion
3
INTRODUCTION
La liberté du commerce et de l’industrie sont des principes ayant valeur
constitutionnelle consacrant la liberté d’entreprendre depuis la décision du Conseil
constitutionnel du 16 janvier 1982.
Cette liberté permet aux parties de s’engager librement aux termes d’un contrat écrit ou
non. Si une des parties fait un usage excessif de ce droit, alors le droit commun a prévu
la notion d’abus de droit pour sanctionner le contrevenant. Cependant, il semblerait que
le législateur ait entendu protéger plus particulièrement ce domaine en édictant une
règle spéciale. L’article L442-6 I 5° du Code de commerce, crée à l’occasion de la loi
Galland1, avait initialement pour but de sanctionner les abus de puissance économique
et plus spécialement le déréférencement abusif des fournisseurs à l’encontre des
distributeurs, c’est-à-dire l’hypothèse où la centrale auprès de laquelle le distributeur
est référencé, va exiger des conditions abusives sous la menace de rupture. Cet article
est situé dans le Livre Quatrième du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de
la concurrence, au Titre IV intitulé « de la transparence, des pratiques restrictives de
concurrence et d’autres pratiques prohibées », et au Chapitre II concernant les
pratiques restrictives de concurrence.
A cet effet, l’article prévoit qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice subi causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou
personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même
partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la
durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis
déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de
distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le
produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des
arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits,
fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et
encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction
de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de
résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en
cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise
en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de
celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la
durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres
cas».
Toutefois, au fil d’une pratique extensive de la jurisprudence, le déréférencement abusif
n’est plus le seul à être sanctionné puisque cet article embrasse la notion plus large de
« rupture brutale des relations commerciales établies ».
1 Loi n°96-588 du 1
er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales
4
Cette dernière est accueillie très largement par les juges. Tout d’abord, on vise une
notion qui est plus économique et factuelle que juridique et contractuelle : il s’agit
d’une relation commerciale et non d’un contrat. La relation commerciale établie
correspond aussi bien à une suite de contrats ponctuels qu’à une suite de contrats
durables. Le caractère établi de cette relation s’apprécie par rapport aux attentes
légitimes de la victime de la rupture et notamment si cette dernière pouvait
raisonnablement anticiper une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire
commercial.
La rupture pourra prendre deux formes : soit elle résultera de l’interruption totale des
relations soit de leur interruption, qualifiée de rupture partielle. Le caractère brutal de la
rupture s’appréciera quant à lui par rapport à une absence ou une insuffisance de
préavis.
L’article L442-6 I 5° du Code de commerce est l’article le plus invoqué du Titre IV du
Code de commerce. En effet, par le biais de l’élargissement constant de son champ
d’application, il est le plus à même de sanctionner la cessation des relations d’affaires.
Dans ce cas, quelle est la responsabilité engagée en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies ? Comment et quel sera le préjudice indemnisable ?
Il faudra alors successivement qualifier la responsabilité retenue pour ensuite
s’intéresser au préjudice réparé et aux différents modes d’indemnisations. Les réponses
à ces interrogations ne sont toutefois pas aisées.
Il y a effectivement une hésitation de la part des juges quant à la responsabilité à retenir.
Il apparait ainsi deux mouvements distincts : la chambre commerciale applique la
responsabilité délictuelle tandis que la première chambre civile a tendance à faire
application de la responsabilité contractuelle. Bien qu’il semble que la responsabilité délictuelle ait été retenue par la majeure partie de la doctrine, cette solution n’est pas
évidente dans l’hypothèse où les parties auraient formalisé leur accord par le biais d’un
contrat. Puis, l’événement central de cette responsabilité, à savoir la brutalité de la
rupture, est également difficile à appréhender. Selon le droit commun, le caractère
brutal serait « imprévisible, soudain, violent »2. L’étude de la brutalité de la rupture est
indissociable de celle du préavis, qui doit être écrit et comporter une durée raisonnable.
Les juges devront alors procéder à une analyse in concreto de la brutalité en se basant
sur des critères légaux, comme la durée de la relation entretenue entre les deux
partenaires, ou encore sur des usages du commerce ou des accords interprofessionnels.
D’autres critères plus factuels peuvent également être pris en compte tels que l’intensité de la relation et notamment l’importance du courant d’affaire, la spécificité des produits
ou des modalités de vente, ou encore le contexte de la rupture.
2 CA Rouen, 30 mai 2002, n° 2002-184180
5
De même, concernant le préjudice réparable, de nombreuses questions se posent. La
réparation ne concerne pas seulement la partie cocontractante, mais aussi un tiers
puisque le préjudice par ricochet a pu être admis dans certaines espèces3. Puis, même si
le préjudice unanimement reconnu consiste en la perte de marge brute subie par le
cocontractant, certaines pertes annexes peuvent faire l’objet d’une indemnisation. Enfin,
la réparation du préjudice peut prendre différentes formes, certaines ayant pour rôle de
dissuader d’une rupture brutale.
Toutes ces questions doivent être mises en perspective avec les différents projets de
réforme, notamment l’avant-projet de droit des obligations, appelé projet Catala et la
réforme du droit des contrats et des obligations. Ce dernier est amené à entrainer des
changements dans le domaine de la réparation du préjudice et de la responsabilité.
Il sera donc question de la responsabilité retenue en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies (Partie 1) et de la réparation du préjudice en cas de rupture
brutale des relations commerciales établies (Partie 2).
Partie 1 : La responsabilité retenue en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies
Partie 2 : La réparation du préjudice en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies
3 Cass, com, 6 septembre 2011, n°10-11.975
6
PARTIE 1 : La responsabilité retenue en cas de rupture brutale des
relations commerciales établies
En droit français, un même fait peut être à la fois source de responsabilité civile et
pénale. Ces deux responsabilités ont des finalités différentes, bien qu’elles tendent à se
compléter sur certains points. En effet, la responsabilité pénale a une fonction punitive
par le biais d’une peine d’amende ou d’emprisonnement et elle vise à la réformation du
comportement du coupable. Au contraire, la responsabilité civile poursuit un but
essentiel d’indemnisation des victimes.
A la lecture de l’article L442-6 I 5° du Code de commerce, il apparait clairement que la
victime de cette pratique agira sur le terrain de la responsabilité civile puisque celui-ci
précise qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice
causé par le fait ». Le but de cet article est donc d’indemniser la victime en premier
lieu, même si l’on peut considérer que la responsabilité civile n’est pas totalement
dépourvue d’un rôle de sanction dès lors que l’indemnisation par le biais de dommages
et intérêts s’impute sur le patrimoine du responsable.
Au sein de la responsabilité civile, il existe une nouvelle distinction, à savoir la
responsabilité contractuelle ou délictuelle. Il y a longtemps eu une incertitude quant à la
responsabilité à retenir pour sanctionner la rupture brutale des relations commerciales
établies. En effet, il y a une divergence entre la chambre commerciale et la première
chambre civile quant à la responsabilité à retenir et cette incertitude demeure dans la
mesure où elle ne fait pas l’objet d’une réponse unanime.
Il s’agira alors de s’intéresser à l’hésitation jurisprudentielle entre la reconnaissance
d’une responsabilité délictuelle ou contractuelle (Chapitre 1) avant de s’intéresser à
l’enjeu de la reconnaissance de la responsabilité délictuelle (Chapitre 2).
Chapitre 1 : L’hésitation jurisprudentielle entre la reconnaissance d’une
responsabilité délictuelle ou contractuelle
Chapitre 2 : L’enjeu de la reconnaissance de la responsabilité délictuelle
7
Chapitre 1 : L’hésitation jurisprudentielle entre la reconnaissance d’une
responsabilité délictuelle ou contractuelle
La dualité des responsabilités civiles trouve ses sources dans le Code civil lui- même
qui distingue les deux hypothèses. En premier lieu, lorsque le dommage est causé par
l’inexécution d’une obligation contractuelle, le débiteur peut obtenir réparation du
préjudice subi par le biais d’une responsabilité dite contractuelle (articles 1147 et
suivants du Code civil). En second lieu, lorsqu’il n’existe pas de lien juridique entre le
responsable et la victime, ou alors que l’obligation inexécutée à une source légale, la
responsabilité est dite délictuelle (articles 1382 et suivants du Code civil).
Il est essentiel de pouvoir qualifier la responsabilité car le droit français connait le
principe de non cumul des responsabilités selon lequel si un dommage se rattache à
l’exécution d’un contrat, il n’est pas possible d’en demander la réparation sur le
fondement de la responsabilité délictuelle. Ce principe interdit alors à la victime de
choisir entre les règles de la responsabilité contractuelle et délictuelle pour fonder son
action en responsabilité. Le principe de non cumul est toutefois source de complications
dans sa mise en œuvre c’est pourquoi il fait l’objet de nombreuses critiques. L’avant-
projet Catala tend toutefois à maintenir ce principe, à l’exception notable du cas où l’on
se trouverait en présence d’un dommage corporel. Dans cette hypothèse, la victime
pourrait choisir le régime qui lui est le plus favorable4.
Dans ce chapitre, il sera question de l’affirmation concomitante d’une responsabilité
délictuelle et contractuelle par la Cour de cassation (Section 1) puis de la responsabilité
délictuelle faisant l’objet d’un consensus de la part de la doctrine (Section 2).
Section 1- L’affirmation concomitante d’une responsabilité délictuelle et
contractuelle par la Cour de cassation
Section 2 - La responsabilité délictuelle faisant l’objet d’un consensus de la part de
la doctrine
4 Article 1341 de l’avant-projet de réforme du droit des obligations
8
Section 1 - L’affirmation concomitante d’une responsabilité délictuelle et
contractuelle par la Cour de cassation
La jurisprudence se montre assez hésitante quant à la responsabilité à retenir. En effet,
la reconnaissance explicite de la responsabilité délictuelle par la chambre commerciale
(§1) est concomitante à la reconnaissance implicite de la responsabilité contractuelle par
la première chambre civile (§2).
§1) La reconnaissance explicite de la responsabilité délictuelle par la chambre
commerciale
L’arrêt du 6 février 2007 rendu par la Cour de cassation5 reconnait pour la première
fois, de façon explicite, la responsabilité délictuelle en cas de rupture brutale des
relations commerciales établies. En effet, d’autres arrêts avaient auparavant admis
l’application de l’article 46 alinéa 3 du Code de procédure civile, qui permet en matière
délictuelle au demandeur de saisir, outre la juridiction du lieu du défendeur, celle du lieu
du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, dans un
contentieux engagé sur le fondement de l’article L442-6 I 5° du Code de commerce.
Toutefois, dans l’affaire du 6 février 2007, c’est la première fois que le débat porte sur
la nature de la responsabilité. En effet, la chambre commerciale casse et annule la
décision de la cour d’appel de Bordeaux faisant application d’une clause attributive de
compétence dans un litige interne au motif que « le fait pour tout producteur,
commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre
brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit
tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale
de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords
interprofessionnels, engage la responsabilité délictuelle de son auteur ».
L’action en rupture brutale des relations commerciales établies est donc un délit civil
qui vise à sanctionner le non-respect d’une obligation légale. Cette solution, bien qu’elle
ne paraisse pas forcément évidente, a le mérite d’assurer une harmonie concernant les
pratiques prohibées aux termes de l’article L442-6 du Code de commerce et explique
pourquoi le préjudice réparable résulte seulement de la brutalité de la rupture et non de
la rupture elle-même.
Cette position a été réaffirmée à plusieurs reprises par la chambre commerciale, comme
par exemple dans un arrêt du 21 octobre 20086 ou encore un arrêt du 13 janvier 2009
7.
Ces deux arrêts reprennent l’attendu très général énoncé par la chambre commerciale le
6 février 2007 tout en prenant le soin de préciser que la loi applicable à cette
responsabilité en cas de partenaires commerciaux de nationalités différentes est celle de
l'Etat du lieu où le fait dommageable s'est produit.
5 Cass, com, 6 février 2007, n° 04-13.178
6 Cass, com 21 octobre 2008, n° 07-12.336
7 Cass, com, 13 janvier 2009, n° 08-13.971
9
Cette solution permet d’attraire certains conflits devant les juridictions françaises et
assure ainsi une meilleure protection du partenaire économique car il peut assigner
l’auteur de la rupture devant le tribunal de son domicile ou plus vraisemblablement de
son siège social en application de l’article 46 alinéa 3 du Code de procédure civile.
Toutefois, il semble qu’il y ait une divergence entre les différentes chambres de la Cour
de cassation, car dans le même temps, la première chambre civile a consacré la
responsabilité contractuelle en cas de rupture brutale des relations commerciales
établies.
§2) La reconnaissance implicite de la responsabilité contractuelle par la première
chambre civile
Un mois jour pour jour après la reconnaissance explicite de la responsabilité délictuelle
en cas de rupture brutale des relations commerciales établies, la première chambre civile
consacre implicitement la responsabilité contractuelle.
En effet, par un arrêt du 6 mars 20078, la première chambre civile retient la validité de
la clause attributive de juridiction, consacrant ainsi implicitement la reconnaissance de
la responsabilité contractuelle et écartant en même temps l’éventuel caractère de loi de
police de l’article L442-6 I 5° du Code de commerce. A titre de rappel, selon le
professeur Ph. Francescakis les lois de police sont des lois dont « l’observation est
nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du
pays »9.
La même solution a été retenue dans deux autres espèces similaires en date du 22
octobre 200810
et du 8 juillet 201011
. Dans la première affaire, les juges ont considéré
qu’une clause désignant « les juridictions de San Francisco pour toute action découlant
du contrat » dans un contrat conclu entre une société américaine et une société française
était valable, même si des lois de police étaient applicables au fond du litige. Il s’agit
ainsi de faire prévaloir les dispositions contractuelles. Dans la deuxième affaire, le
caractère d’ordre public et de loi de police de certaines dispositions était également en
question. Mais les juges ont conclu qu’une clause compromissoire ne pouvait pas être
exclue dès lors qu’en vertu du principe compétence-compétence, il appartient à l’arbitre
de se prononcer sur sa propre compétence, et non aux juges.
8 Cass, 1
ère civ, 6 mars 2007, n°06-10.946
9 Travaux du comité français de droit international privé, 1966-1969, p. 165.
10 Cass, 1
ère civ, 22 octobre 2008, n°07-15.823
11 Cass, 1
ère civ, 8 juillet 2010, n° 09-67.013
10
Une des explications avancées pour expliquer cette dichotomie tient aux espèces des
affaires. En effet, la validité d’une clause attributive de compétence ou d’une clause
compromissoire a tendance à être admise, consacrant ainsi la responsabilité
contractuelle, dans des affaires comprenant des aspects internationaux.
Dans l’attente d’un arrêt d’Assemblée plénière, mettant définitivement fin à cette
hésitation, il convient de s’intéresser à l’avis de la doctrine puisque la loi ne donne
aucune précision et que la jurisprudence est fluctuante.
11
Section 2 – La responsabilité délictuelle faisant l’objet d’un consensus de la part de
la doctrine
Bien que la doctrine ne soit pas une source directe du droit, elle permet de pallier,
comme dans le cas présent, un manque de précision des textes et de la jurisprudence. Il
sera alors question d’étudier les raisons du choix de la responsabilité délictuelle (§2)
pour légitimer un consensus autour de la responsabilité délictuelle (§1).
§1) Le consensus autour de la responsabilité délictuelle
La majorité des auteurs se rattachent à la solution donnée par la chambre commerciale
et retiennent ainsi la responsabilité délictuelle en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies.
Cette position doit toutefois être tempérée et rejoindre l’infléchissement opéré par la
chambre commerciale : cette dernière affirme la responsabilité délictuelle lorsque la
victime de la rupture avait assigné son auteur exclusivement sur le fondement de
l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce. Il pourrait en être différemment si en
plus de la brutalité de la rupture, la victime se prévaudrait d’une rupture fautive.
En l’absence de décision sur ce point, il s’agit de voir les explications avancées par la
doctrine pour justifier son choix.
§2) Les raisons du choix de responsabilité délictuelle
Le premier argument invoqué par la doctrine est lié au fait que l’article L442-6 I 5° du
Code de commerce peut s’appliquer même en l’absence de contrat entre les partenaires.
En effet, ce texte peut tout aussi bien s’appliquer à des situations contractuelles que non
contractuelles. Cet article vient sanctionner un comportement qui n’a pas de lien avec la
bonne ou la mauvaise exécution du contrat en lui-même. Il vise à saisir une faute
extracontractuelle comme détachée du contrat.
Ainsi, en se basant sur un argument développée par le professeur Daniel Mainguy12
, on
pourrait considérer que puisque la notion de contrat n’est pas centrale, il n’y a pas lieu
d’appliquer la responsabilité contractuelle. Au contraire, comme cet article s’applique à
un large éventail de situations, alors la responsabilité délictuelle est la meilleure option à
retenir. En reprenant la formule de Jean-Sébastien Borghetti, professeur de droit privé à
l’Université Panthéon-Assas, « c'est un peu comme si le législateur avait jugé la notion
de « contrat » non pertinente ».
12
La nature de la responsabilité du fait de la rupture brutale des relations commerciales : une
controverse jurisprudentielle à résoudre, Dalloz 2011, Daniel Mainguy
12
Le second argument, développé par Eric Chevrier13
à l’occasion de l’arrêt rendu par la
chambre commerciale le 6 février 2007, réside dans la nature du préjudice : seule la
brutalité de la rupture peut entrainer une réparation. Il s’agirait alors de venir
sanctionner le non-respect d’une obligation légale
Une fois la responsabilité délictuelle retenue, il s’agit de voir que l’enjeu véritable est de
justifier la compétence du juge du lieu où le dommage se produit, et de sanctionner
spécifiquement la brutalité de la rupture.
13
La rupture brutale d’une relation commerciale établie est un délit civil, Dalloz 2007, Eric Chevrier
13
Chapitre 2 : L’enjeu de la reconnaissance de la responsabilité délictuelle
Le choix de retenir la responsabilité délictuelle en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies va avoir de nombreuses conséquences. Plutôt que de s’attarder
sur les spécificités de la responsabilité délictuelle, il sera question de s’attacher à ses
conséquences pratiques pour les partenaires commerciaux. Effectivement, bien que la
responsabilité délictuelle soit retenue, il semblerait que dans certains cas particuliers, les
juges tiennent néanmoins compte des dispositions contractuelles. Mais surtout, la
responsabilité délictuelle permet de justifier la compétence du juge du lieu où le
dommage se produit.
Il sera donc successivement question de l’efficacité des stipulations contractuelles en
cas de responsabilité délictuelle (Section 1) et de l’opportunité d’une décision définitive
quant à la responsabilité retenue (Section 2).
Section 1 – L’efficacité des stipulations contractuelles en cas de responsabilité
délictuelle
Section 2 - L’opportunité d’une décision définitive quant à la responsabilité
retenue
14
Section 1 – L’efficacité des stipulations contractuelles en cas de responsabilité
délictuelle
Dans les espèces des arrêts précités de la Cour de cassation, lorsque la question
principale ne portait pas sur la responsabilité en elle-même, elle concernait les clauses
relatives au litige, et plus particulièrement les clauses attributives de compétence (§1) et
les clauses compromissoires (§2).
§1) La question de la validité des clauses attributives de compétence
Une clause attributive de compétence, ou de juridiction, est une disposition d’un contrat
par laquelle les parties conviennent de confier le règlement d’un éventuel litige à une
juridiction déterminée, bien que cette juridiction ne soit pas en principe compétente
pour en connaitre au regard des textes de lois.
Puisqu’il s’agit de déroger à des règles légales, concernant notamment la compétence
d’attribution ou la compétence territoriale, il faut vérifier certaines conditions. Tout
d’abord, une telle clause doit avoir été conclue entre des parties ayant toutes la qualité
de commerçant et contractant en tant que tel. On peut voir dans cette exigence une
volonté de protéger les consommateurs en refusant aux professionnels la possibilité de
choisir une juridiction proche de chez eux. En l’espèce, cette condition est
systématiquement remplie dans le cadre de l’article L442-6 I 5° du Code de commerce
puisqu’il concerne des personnes agissant en tant que producteurs, commerçants,
industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers. Ensuite, elle n’est
opposable qu’à la partie qui en a eu connaissance et qui l’a acceptée au moment de la
conclusion du contrat. Enfin, cette clause doit respecter des conditions de forme. Elle
doit ainsi être rédigée en des termes clairs et précis et en caractères très apparents. Elle
doit également figurer dans le corps du contrat, et non dans un document établi
postérieurement à la signature du contrat comme par exemple un bon de commande ou
encore une facture.
L’énoncé de ces conditions montre l’importance que peut avoir une clause attributive de
compétence dans un contrat. Effectivement, lorsque le contrat est conclu entre des
partenaires de nationalité différente, la question de la loi applicable et de la juridiction
compétente est déterminante dans la mesure où, en raison de l’hétérogénéité des
législations, la sanction et la protection assurée pour la partie victime de la rupture ne
seront pas identiques.
Le fait de reconnaitre la responsabilité délictuelle a pour conséquence d’écarter les
clauses attributives de compétence. C’est ainsi que la chambre commerciale dans l’arrêt
du 6 février 2007, casse et annule la décision des juges du fond faisant application de la
clause attributive de compétence.
Cette solution peut paraitre critiquable car elle va directement à l’encontre de la volonté
des parties, cette volonté étant spécialement retranscrite dans le contrat mais elle
15
présente l’avantage de justifier la compétence du juge du lieu où le dommage s’est
produit.
§2) La question de la validité des clauses compromissoires
L’étude des clauses compromissoires est indissociable de celle de l’arbitrage.
L’arbitrage est un mode de règlement alternatif des conflits. Par le biais de l’arbitrage,
les parties donnent à un ou plusieurs arbitres le pouvoir de trancher leur différend. Selon
l’article 1442 du Code de procédure civile, « la clause compromissoire est la
convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s'engagent à soumettre à
l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats ».
L’article 2061 du Code civil précise que « sous réserve des dispositions législatives
particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison
d'une activité professionnelle ». Une telle clause est donc valable dans les contrats
conclus entre deux partenaires commerciaux.
L’arbitrage peut présenter plusieurs avantages pour les parties au contrat. Tout d’abord,
il garantit une certaine confidentialité, qui peut notamment être appréciable dans des
domaines sensibles ou alors pour protéger des savoir-faire. Puis, l’arbitrage présente
l’avantage d’être plus rapide qu’une procédure contentieuse : en moyenne, les sentences
sont rendues au bout de deux ou trois ans alors que des procédures contentieuses
peuvent durer dix ans. Enfin, les arbitres sont indépendants et impartiaux, et choisis en
raison de leurs connaissances et spécialités.
L’arbitrage peut donc représenter une alternative intéressante à un traitement
juridictionnel du litige et l’on comprend alors pourquoi les parties ont pu souhaiter ce
mode de règlement des conflits. On pourrait ainsi craindre que l’application de la
responsabilité délictuelle ait pour effet d’écarter systématiquement les clauses
compromissoires. Or, il faut tenir compte de la spécificité de l’arbitrage : la clause
compromissoire peut avoir un effet extensif car le respect de la volonté des parties est
un objectif primordial au sein de l’arbitrage.
Dans l’arrêt du 8 juillet 2010, un distributeur français reprochait à un fournisseur
suédois d’avoir rompu de manière brutale leurs relations commerciales établies et
introduisait une action en indemnisation sur le fondement de l’article L442-6 I 5° du
Code de commerce. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt ayant
établi que le tribunal était incompétent au profit de la juridiction arbitrale. Il appartient
alors à l’arbitre de se prononcer sur sa propre compétence, peu importe si les
dispositions invoquées à l’appui de l’action en justice sont d’ordre public ou ont un
caractère de loi de police.
On peut néanmoins s’interroger sur l’opportunité d’une responsabilité s’appliquant de
manière homogène en cas de rupture brutale des relations commerciales établies.
16
Section 2 - L’opportunité d’une décision définitive quant à la responsabilité
retenue
Bien que la majorité de la doctrine penche en la faveur de la responsabilité délictuelle,
on peut reprocher l’apparente nécessité d’une solution homogène comme corollaire à la
sécurité juridique (§1), en ce sens que cette solution traduirait un manque d’adaptabilité
aux cas d’espèces (§2).
§1) L’apparente nécessité d’une solution homogène comme corollaire à la sécurité
juridique
Il ressort du chapitre précédent qu’il existe une opposition entre la chambre
commerciale et la première chambre civile quant à la responsabilité à retenir en cas de
rupture brutale des relations commerciales établies. Cette situation est dangereuse pour
les parties car en fonction de la juridiction devant laquelle sera jugée le litige, des
solutions différentes seront rendues, qui seront notamment préjudiciables en cas
d’insertion de clauses relatives au litige.
Il semblerait donc essentiel de retenir une seule et unique responsabilité afin d’assurer
la sécurité juridique et une certaine prévisibilité du jugement pour les parties.
Néanmoins, une telle solution serait critiquable car elle ne tiendrait pas forcément
compte de la volonté des parties et surtout elle présenterait comme inconvénient un
manque d’adaptabilité aux cas d’espèces.
§2) Le manque d’adaptabilité aux cas d’espèces
Dans les contentieux relatifs à la rupture brutale des relations commerciales établies,
deux cas de figures se présentent dans la mesure où les parties peuvent avoir formalisé
leur accord par un contrat ou non. Face à cette dualité, il pourrait sembler opportun
d’adapter la responsabilité.
En effet, bien que ce soit la brutalité de la rupture qui est sanctionnée, caractérisée par
une absence ou une insuffisance de préavis, il pourrait sembler opportun dans le cadre
d’une relation contractuelle de tenir compte des stipulations des parties quant à la
gestion de la rupture.
Il serait donc préférable de pouvoir s’adapter aux cas d’espèces, tout en respectant une
certaine prévisibilité pour les partenaires. Cette prévisibilité se traduirait pour les parties
par la possibilité de pouvoir évaluer le préjudice réparable ou à réparer en cas de rupture
brutale des relations commerciales établies.
17
PARTIE 2 : La réparation du préjudice en cas de rupture brutale des
relations commerciales établies
Ayant préalablement étudié la responsabilité, il convient désormais de s’intéresser au
préjudice réparable. Le préjudice est l’atteinte subie par la victime dans son patrimoine
ou ses droits extrapatrimoniaux. Il constitue la condition première de toute
responsabilité14
. La victime est généralement le distributeur, c’est-à-dire le
cocontractant de l’auteur de la rupture, mais à la marge, des personnes tierces au contrat
peuvent être indemnisées. Cela est notamment le cas du sous-traitant du cocontractant
qui a subi un préjudice du fait de la rupture brutale des relations établies. Ce préjudice
par ricochet, c’est-à-dire le préjudice subi par une victime du fait d’un dommage
premier dont est atteinte la victime principale, a été reconnu par la chambre
commerciale dans un arrêt du 6 septembre 201115
: « un tiers peut invoquer, sur le
fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d'une relation
commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice ». Cette solution
pour conséquence d’augmenter les risques pour les entreprises qui souhaiteraient
rompre des relations avec un partenaire, car ce dernier ne serait pas le seul à avoir droit
à une indemnisation.
Puisque le contentieux est majoritairement initié par la victime de la rupture brutale et
que le préjudice par ricochet n’est pas systématiquement admis, il s’agira de se
concentrer uniquement sur la partie cocontractante. Il résulte d’une jurisprudence
constante que le préjudice réparable en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies découle de la seule brutalité de la rupture (Chapitre 1) et que ce
préjudice est réparé par l’allocation de dommages et intérêts mais peut également faire
l’objet d’une réparation en nature (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Le préjudice résultant de la brutalité de la rupture
Chapitre 2 : Les différentes formes de la réparation du préjudice
14
Les obligations, Hypercours, S. PORCHY-SIMON, 8e édition, §798
15 Cass, com, 6 septembre 2011, n°10-11.975
18
Chapitre 1 : Le préjudice résultant de la brutalité de la rupture
D’un point de vue statistique, on assiste à un réel engouement pour faire sanctionner la
rupture des relations commerciales sur le fondement de l’article L442-6 I 5° du Code de
commerce. En effet, entre 2006 et 2009, les bilans commandés par le Parlement à la
Commission d’examen des pratiques commerciales font apparaitre que la moitié des
contentieux sont engagés sur ce fondement16
. En effet, l’élargissement de son champ
d’application ainsi que les montants de sanctions rend cet article plus attractif que l’abus
de droit pour les victimes d’une rupture brutale des relations commerciales établies.
L’utilisation de cet article ne se cantonne toutefois pas aux relations commerciales et la
jurisprudence a tendance à appréhender de manière extensive cette notion. C’est ainsi
que l’on a pu appliquer l’article L442-6 I 5° du Code de commerce à un contrat conclu
avec un architecte ou encore à des contrats informatiques. Or la particularité de ces
contrats est qu’il ne s’agit pas de contrats commerciaux stricto sensu puisqu’ils portent
sur des prestations de service intellectuelles. Ainsi, cela démontre bien que l’existence
d’une simple relation économique ou d’une relation d’affaires est suffisante pour
entrainer l’application de cet article.
Pour mieux comprendre et délimiter la portée de cet article quant à la réparation du
préjudice, il convient de s’intéresser à sa notion centrale, autrement dit à la brutalité de
la rupture (Section 1) mais également aux hypothèses qui pourraient entrainer une
aggravation de la rupture (Section 2).
Section 1 – L’appréciation in concreto de la brutalité de la rupture
Section 2 – La possible aggravation de la brutalité de la rupture
16
Dossier : rupture des relations commerciales établies, Dalloz actualité 22 juillet 2009, A. ASTAIX
19
Section 1 - L’appréciation in concreto de la brutalité de la rupture
Selon une jurisprudence constante, seule la brutalité de la rupture est prise en compte
lors de l’indemnisation du préjudice (§1) et cette brutalité est consécutive de l’absence
ou de l’insuffisance de préavis (§2).
§1) La prise en compte de la seule brutalité
Il est nécessaire de rappeler que la simple rupture n’est pas sanctionnée. En effet, le
droit des contrats prohibe les engagements perpétuels. Il en découle que si les parties
concluent un contrat à durée indéterminée, alors chacune dispose d’une faculté de
révocation unilatérale, qualifiée de résiliation unilatérale.
Puis, comme le texte le précise expressément, la prohibition de la rupture brutale des
relations commerciales ne concerne pas la résiliation du contrat sans préavis suite à
l'inexécution des obligations ou à un cas de force majeure. A titre de rappel, la force
majeure se définit comme un événement, qu’il résulte des forces de la nature ou des
forces de l’homme, qui est à la fois irrésistible, imprévisible et extérieur17.
Il découle donc de ses observations et de la formule de l’article L442-6 I 5° que seule la
brutalité de la rupture est sanctionnée et vise à être réparée. La notion de rupture de la
relation peut s’entendre de manière très large. Effectivement, on vise à la fois
l’interruption de la relation mais également la modification de la relation. On peut alors
distinguer la rupture abusive qui intervient pour des mauvaises raisons et la rupture
brutale qui intervient à contre temps, sans respect d’un préavis suffisant. La brutalité de
la rupture peut donc être définie comme celle qui intervient sans avoir respecté un
préavis raisonnable.
La rupture brutale des relations commerciales établies est sanctionnée, que la rupture
des relations soit totale ou même partielle. Cette notion de rupture partielle est
appréhendée très largement par les juges. Ainsi, une simple réduction de commande
peut constituer une rupture partielle. Cette réduction peut être soit quantitative, c’est-à-
dire que l’on réduit le nombre de produits commandés, soit qualitative, en pareil cas on
réduit la gamme des produits. De même, une modification des termes du contrat peut
être considérée comme une rupture partielle, pour autant qu’elle porte sur des aspects
essentiels comme par exemple une modification des délais de paiement au désavantage
du partenaire18
ou encore la disparition d’un avantage substantiel.
Une fois la rupture caractérisée, il faut alors s’intéresser à la brutalité de celle-ci qui
résulte de l’absence ou de l’insuffisance de préavis.
17
Dictionnaire permanent, Editions législative 18
CA Montpellier, 19 février 2008, n°06-01.549
20
§2) La brutalité consécutive à l’absence ou à l’insuffisance de préavis
L’article L442-6 I 5° du Code de commerce exige un préavis écrit et cette exigence a
été suivie par la jurisprudence : « Mais attendu qu'ayant constaté que les relations
commerciales ont été rompues à l'initiative de la société BGR sans préavis écrit et
relevé à juste titre que ni la prétendue annonce faite verbalement en septembre 2008 ni
le ralentissement des commandes ne pouvaient pallier cette carence, la cour d'appel en
a déduit à bon droit que la rupture des relations commerciales avait été opérée sans
préavis » 19. La brutalité de la rupture peut donc résulter soit de l’absence de préavis
écrit, soit de l’insuffisance du préavis donné.
L’absence de préavis correspond à l’hypothèse la plus aisée à sanctionner. En effet,
puisqu’un préavis est expressément exigé, son absence témoigne d’une rupture brutale.
Il reste ensuite à envisager l’hypothèse d’un préavis insuffisant et à se demander quelle
est la durée raisonnable du préavis.
Il existe deux façons d’envisager la durée du préavis. En effet, le législateur a tout
d’abord précisé les critères à prendre en compte, puis les usages du commerce ou encore
les accords interprofessionnels ont été mis en place par la pratique pour servir de
référence.
Tout d’abord, selon l’article L442-6 I 5°, il faut que la durée du préavis tienne compte
de la durée de la relation commerciale et donc de l’ancienneté des relations
commerciales entre les deux partenaires. Toutefois, ce critère n’est pas suffisant et
d’autres éléments plus factuels sont pris en compte par les juges pour interpréter la
brutalité de la rupture. Ainsi, l’intensité de la relation et notamment l’importance du
courant d’affaire est déterminant, tout comme la spécificité des produits en cause ou des
modalités de la vente. Effectivement, dans ce dernier cas, l’article L442-6 I 5° prévoit
deux durées de préavis spéciales. La première concerne les produits sous marque de
distributeur et prévoit que la durée du préavis est doublée. Cette mesure a pour but de
protéger les fournisseurs particulièrement exposés en raison de leur dépendance à
l’égard des centrales d’achat. La seconde disposition a trait aux enchères à distance et
double également la durée du préavis.
Puis, l’article précise que la durée raisonnable du préavis peut être fixée par le biais des
usages du commerce ou encore d’accords interprofessionnels. Concernant les accords
interprofessionnels, il n’en existe que quatre à ce jour, qui sont répertoriés par la
Commission d’examen des pratiques commerciales20
:
- L’accord des usages professionnels de la Fédération de l’imprimerie et de la
communication graphique (janvier 1998),
- L’accord relatif à l’exploitation en location gérance des fonds de commerce de
station-service des sociétés pétrolières (14 juin 1994),
19
Cass.com, 24 septembre 2013, n°12-24.538 20
CEPC, avis n°13-04 relatif à la liste des accords interprofessionnels pris en application de l’article
L442-6 I 5° du Code de commerce, prévoyant un délai de préavis pour la rupture des relations
commerciales établies
21
- L’accord conclu dans le secteur du bricolage entre l’Union des industries du
bricolage et la Fédération Française des Magasins de Bricolage (15 janvier
2002),
- L’accord conclu entre La Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de
France (FEEF) et la Fédération des entreprises du Commerce et de la
Distribution (FCD) (6 mars 2013).
Quand bien même une espèce mettrait en présence ces accords interprofessionnels, la
Cour de cassation prononce l’obligation pour la juridiction saisie de vérifier que le
préavis respectant le délai minimal fixé par l'accord interprofessionnel tient compte de
la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce21
. La cour
d’appel de Toulouse suit également ce raisonnement pour les usages : « L'existence d'un
usage dans un secteur professionnel ne dispense pas la juridiction d'examiner si le
préavis, qui respecte le délai minimal fixé par ces usages, tient compte de la durée de la
relation commerciale établie entre les parties»22
.
Le préavis est donc une notion centrale. Selon la jurisprudence, ce préavis ne se limite
pas aux préavis explicites de rupture d’activité. En effet, la modification substantielle de
conditions tarifaires peut constituer un préavis écrit23
. En revanche, une télécopie
indiquant notamment au sous-traitant le refus de nouveaux tarifs, suivie d’une poursuite
d’activité sans que la question des tarifs ne soit à nouveau évoquée, ne constitue par un
préavis écrit24
.
L'instauration d'une procédure d'appel d'offres peut également constituer un préavis écrit
à la condition que la volonté de rupture soit clairement exprimée. Ce n'est pas le cas
lorsque "l'appel d'offres rédigé en termes généraux sans allusion à la pérennité du
contrat en cours ne (peut) s'interpréter comme une rupture de relations
commerciales"25
.
Néanmoins, la procédure d’appel d’offre fait l’objet d’un contrôle particulier par les
juges car cela pourrait constituer un moyen de contourner l’article L442-6 I 5° du Code
de commerce et de se prémunir de toute relation établie puisque la procédure d’appel
d’offre mettrait en concurrence le partenaire initial avec d’autres partenaires et
instillerait un aléa très fort dans la relation. Toutefois, la Cour de cassation a plusieurs
fois réitéré le principe selon lequel la notification du recours d’une société à un appel
d’offre pour choisir ses fournisseurs « manifestait son intention de ne pas poursuivre les
relations contractuelles dans les conditions antérieures et faisait ainsi courir le délai de
préavis »26
.
21
Cass.com, 2 novembre 2011, n°10-25.323 22
CA Toulouse, 15 septembre 2010, n°2010-024514 23
CA Versailles, 2003 24
CA Pau, 2006 25
CA Amiens, 9 mai 2006, n°05-01.540 26
Cass.com, 6 juin 2001, n°99-20.831
22
Pour finir, l’appréciation du préavis prend en compte les seuls éléments antérieurs à la
rupture, sans prendre en considération les éléments postérieurs tels que la reconversion
rapide de la victime ou encore un changement d’activité dans des conditions
favorables27
. Ces derniers peuvent toutefois rejaillir sur l’évaluation du préjudice.
Bien qu’il existe de nombreux critères permettant d’apprécier la brutalité ou non de la
rupture, il s’agit de se demander s’il n’existe pas des circonstances particulières qui ont
pour effet d’aggraver cette brutalité.
27
Cass.com, 9 juillet 2013, n°12-20.468
23
Section 2 - La possible aggravation de la brutalité de la rupture
La possible aggravation de la brutalité de la rupture peut résulter de différentes
situations telles qu’une relation d’exclusivité ou encore une situation de dépendance
économique. Bien que cela était envisagé avant la nouvelle rédaction de l’article L442-6
I 5° du Code de commerce (§1), cette conception est difficilement admissible de nos
jours (§2).
§1) L’aggravation résultant de circonstances propres à la victime
Avant la loi du 15 mai 200128
, l’article L 442-6, I, 5° du Code de commerce disposait
que la durée du préavis devait être appréciée au regard « des relations commerciales
antérieures ». Il est donc tout à fait concevable que l'état de dépendance économique ou
le lien d'exclusivité de la victime de la rupture ait pu servir aux juridictions pour évaluer
le caractère abusif de celle-ci, notamment pour apprécier la durée du préavis à respecter.
Les circonstances propres à la victime qui pourraient avoir pour effet d’aggraver la
brutalité de la rupture sont la dépendance économique et la relation d’exclusivité.
La définition de l’état de dépendance économique a été donnée par la Cour de
cassation29
et résulte de « l'impossibilité dans laquelle se trouve une entreprise de
disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations
contractuelles qu'elle a nouées, soit en qualité de client, soit en qualité de fournisseur
avec une autre entreprise ». La relation de dépendance économique suppose alors une
absence de solution alternative équivalente, qui s’entend comme la possibilité juridique
mais aussi matérielle de l’entreprise de développer des relations contractuelles avec
d’autres partenaires. Le lien d’exclusivité quant à lui renvoie aux accords ou aux
clauses d’exclusivité liant les deux parties au contrat.
C’est donc à juste raison que les juges pouvaient retenir ces deux critères comme
aggravant la situation de la victime de la rupture. Néanmoins, la loi du 15 mai 2001 a eu
pour conséquence de modifier l’article L442-6 I 5° du Code de commerce qui prévoit
désormais que le critère d’appréciation d’un préavis raisonnable est « la durée de la
relation commerciale », ce qui peut entrainer une remise en question de la jurisprudence
antérieure.
28
Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques 29
Cass.com, 12 février 2013, n° 12-13.603
24
§2) La difficile admission de cette conception depuis la nouvelle rédaction de l’article
L442-6 I 5° du Code de commerce
Depuis le 15 mai 2001, il y a une hésitation quant à la position à adopter vis-à-vis de
l’appréciation de la brutalité de la rupture lorsque l’on se retrouve en présence d’un état
de dépendance économique ou d’une relation d’exclusivité. En effet, la jurisprudence
continue d’appliquer les anciens critères et détermine la durée du préavis raisonnable en
fonction d’éléments étrangers à la durée de la relation commerciale. C’est ainsi que
l’existence ou non d’un accord d’exclusivité entre l’auteur de la rupture et la victime a
pu être discuté par les juges dans un arrêt de 2004 30
.
Il résulte néanmoins d’une grande partie de la doctrine que ces aspects n’ont plus à être
pris en compte désormais et que la victime invoquant un dommage résultant de la
rupture brutale d'une relation commerciale établie, n'a pas à démontrer qu'elle aurait été
en état de dépendance économique par rapport à l'auteur de la rupture alléguée, ni
davantage qu'elle bénéficiait d'une exclusivité31
. Cela semble marquer une volonté de
suivre l’évolution de ce texte, et surtout de le distinguer clairement de l’article L420-2
alinéa 2 du Code de commerce qui concerne spécialement la dépendance économique.
Puis, la Cour de cassation se montre également soucieuse de préserver la liberté du
fournisseur de modifier les conditions de distribution de ses produits en cours de
relation sans que ne lui soit systématiquement reproché une rupture brutale des relations
commerciales établies.
30
Cass.com, 12 mai 2004, n° 01-12.865 31
Rupture brutale : le caractère « privilégié » de la relation commerciale n’aggrave ni la brutalité de la
rupture ni le préjudice subi par la victime, Dalloz 2013, Anne-Cécile Martin
25
Chapitre 2 : Les différentes formes de la réparation du préjudice
La cessation des relations commerciales établies peut priver celui à qui elle est imposée
de l’essentiel de ses revenus. Comme cela a été précédemment vu, grâce à l’imposition
d’un délai de préavis, le législateur tente d’en atténuer les possibles effets néfastes.
Dans l’hypothèse d’une insuffisance ou du non-respect du délai de préavis, celui-ci
encadre la réparation des préjudices nés de la rupture brutale.
C’est ainsi que le fournisseur ne peut obtenir réparation que du préjudice entrainé par le
caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même32
. Il
s’agira donc de voir que la réparation par équivalent reste le principe, mais qu’il existe
également des réparations en nature. Le fournisseur sera donc systématiquement
indemnisé de la perte de marge brute subie (Section 1) mais il pourra aussi bénéficier
d’autres formes de réparation qui ont pour but de dissuader d’une rupture brutale
(Section 2).
Section 1 – L’indemnisation systématique de la perte de marge brute subie par
l’allocation de dommages et intérêts
Section 2 – La volonté accrue de dissuasion d’une rupture brutale
32
Douai 15 mars 2001 JCP E 2001, p.1861
26
Section 1 - L’indemnisation systématique de la perte de marge brute subie par
l’allocation de dommages et intérêts
Cette réparation par équivalent résulte d’un principe affirmé par la jurisprudence (§1)
bien que ce dernier ne soit pas toujours précis et que des pertes annexes ne puissent pas
être indemnisées (§2).
§1) Le principe de l’indemnisation de la perte de marge brute subie affirmé par la
jurisprudence
Il découle d’une jurisprudence constante que les dommages et intérêts alloués au
fournisseur sont établis en référence à la marge brute que la victime aurait dû réaliser
durant la période de préavis dont elle a été privée, calculée à l’aide des résultats
comptables des années qui précèdent la rupture33
. En d’autres termes, il s’agit du gain
manqué pendant la période de préavis dont le distributeur aurait dû bénéficier. Les
dommages et intérêts constituent alors la compensation financière à laquelle peut
prétendre une personne qui a subi un préjudice34
.
Cependant, le préjudice ne se limite pas à l'indemnisation d'un délai de préavis, on peut
y inclure « le coût éventuel de restructuration ou de désinvestissement consécutif à cette
rupture, les conséquences de la désorganisation de l'appareil productif du fournisseur,
voire, en cas de dépendance totale, le préjudice par ricochet subi par les créanciers
confrontés à la cessation des paiements du fournisseur provoqué par cette rupture ».35
Le bénéfice pris en compte dans l’indemnisation résulte non de la perte du chiffre
d'affaires avec l'entreprise contractante, mais de celle des bénéfices que la victime de la
rupture pouvait escompter tirer du maintien de ses relations avec celle-là. Il s'agit donc
d'un manque à gagner résultant de la perte de marge brute escomptée, en raison de
charges fixes que l’entreprise victime de la rupture continue de supporter durant la
période d’insuffisance du préavis ou du non-respect de sa durée.
La marge brute est définie comme « la différence entre le prix de vente d’un produit ou
service et son coût de revient, c’est-à-dire le coût de production ou d’acquisition »36
.
Toutefois, un mouvement jurisprudentiel est en train de s’esquisser et prend en compte
la notion de « marge sur coûts variables », laquelle correspond à la différence entre le
chiffre d’affaires et les coûts variables, ce qui conduit à n’indemniser que les coûts qui
continuent d’être exposés malgré la rupture de la relation, à l’exclusion de ceux dont la
victime peut faire l’économie.
33
Cass.com, 28 avril 2009, n° 08-12.788 34
Dictionnaire de droit privé, Serge Braudo 35
CA Douai, 2e ch., 25 décembre 2002, n°02-00.715
36 Cass.com, 28 avril 2009, n°08-12.788
27
Toutefois, un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 201137
écarte la notion de
marge dite sur « coûts variables » donc il semblerait que seuls les coûts fixes soient pris
en compte. La cour d’appel de Paris relève « que le coût fixe correspondant ne dépend
nullement du volume d’activité », confirmant ainsi que les frais à exclure de la marge
sont les frais directs non engagés du fait de la rupture. Il faudrait alors retrancher du
chiffre d’affaires uniquement les coûts directs liés à la relation commerciale, puisque
ces coûts ne seront plus exposés après sa cessation.
L’indemnisation du manque à gagner ne couvre toutefois pas l’ensemble du préjudice
subi par la victime de la rupture brutale. C’est ainsi qu’apparait la question des pertes
annexes et de leur difficile indemnisation.
§2) La difficile admission de l’indemnisation de pertes annexes
L’exigence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage est imposée, pour la
responsabilité contractuelle, par l’article 1151 du Code civil selon lequel les dommages
et intérêts ne doivent comprendre que « ce qui est une suite immédiate et directe de
l’inexécution de la convention »38
. Cette condition n’est cependant pas propre à la
responsabilité contractuelle et a donc toute sa place dans la responsabilité délictuelle.
Les pertes annexes, pour être indemnisables, doivent donc résulter de la brutalité de la
rupture. L’appréciation de la causalité entre le fait fautif et le préjudice fait l’objet d’une
jurisprudence assez fluctuante. A titre d’exemple, le préjudice d’image n’est en principe
pas indemnisable sur le fondement de l’article L442-6 I 5° car on considère qu’il
découle davantage de la rupture que de son caractère brutal39
. Puis, le préjudice
résultant de la réduction du nombre de salariés est rarement indemnisé car la décision de
licencier se rapproche plus de la rupture que de sa brutalité. Toutefois, s’il est rapporté
la preuve que ce préjudice résulte de la brutalité de la rupture, alors il sera indemnisé40
.
Enfin, les investissements effectués par la victime de la rupture ne sont pas
systématiquement pris en compte au titre de l'indemnisation. Par exemple, cela n’a pas
été le cas au motif qu'ils avaient été réalisés aux risques et périls de la victime elle-
même, à une époque où son chiffre d'affaires diminuait et où elle n'avait aucune
assurance de pouvoir amortir leur coût41
. Pourtant, dans une autre espèce, il a été
considéré qu'il convenait de condamner l'initiateur de la rupture, jugée brutale, à prendre
en charge la part non amortie du coût de logiciels spécifiquement conçus par lui42
La jurisprudence relative au préjudice indemnisable est donc fluctuante et dépend en
grande partie des spécificités de chaque espèce. Il est alors très difficile d’évaluer les
préjudices à indemniser pour l’auteur de la rupture et les préjudices indemnisés pour la
victime. Une fois encore, le principe reste celui de l’indemnisation de la perte de marge
37
CA Paris, 20 janvier 2011, n°10-01509 38
Les obligations, Hypercours, S. PORCHY-SIMON, 8e édition, §490
39 CA Paris, 16 janvier 2013, n° 11-09.594
40 CA Paris 22 janvier 2009, n° 09-376029
41 Cass.com, 20 février 2007, n°04-14.446
42 CA Douai 15 mars 2001, n°2001-150707
28
brute subie, le reste étant laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond qui vont
alors se livrer à une appréciation in concreto du préjudice subi par la victime.
D’autres auteurs refusent l’indemnisation de certaines pertes annexes en invoquant
l’obligation pour la victime de minimiser son dommage. Bien que ce principe n’existe
pas à l’heure actuelle en droit positif français, il est affirmé par certains droits et projets
de réforme.
La question qui se pose est de savoir si le créancier de dommages et intérêts a
l’obligation de minimiser son dommage pour ne pas nuire au débiteur. Cette solution
existe en droit anglais et a été posée par l’arrêt de principe de Payzu V Saunders de
1919. On retrouve également cette obligation en droit allemand et plus particulièrement
au §254 du BGB, qui est le code civil allemand.
Parmi les projets de réforme, il convient de s’intéresser dans un premier temps aux
projets européens. Cette obligation pour la victime de minimiser son dommage est
prévue par l’article 9 : 505 des principes LANDO qui prévoit que « le débiteur n'est
point tenu du préjudice souffert par le créancier pour autant que ce dernier aurait pu
réduire son préjudice en prenant des mesures raisonnables »
Parmi les projets de réforme français, le seul à envisager cette obligation de minimiser
le dommage est le projet Catala, mais en l’encadrant. Ainsi, l’article 1373 dispose que
« lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens surs, raisonnables et
proportionnés, de réduire l’étendue de son préjudice ou d’en éviter l’aggravation, il
sera tenu compte de son abstention par une réduction de son indemnisation, sauf
lorsque les mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique ».
Il faut cependant noter qu’en droit français, cette obligation de minimiser le dommage
n’est pas admise. A titre d’exemple, par deux arrêts du 19 juin 200343
, la deuxième
chambre civile a énoncé que « l'auteur d'un accident est tenu d'en réparer toutes les
conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice
dans l'intérêt du responsable ». Il y a toutefois des incertitudes. Ainsi, une décision du
24 novembre 2011 a semblé ouvrir la porte à cette obligation de minimiser le dommage.
Il semblerait néanmoins que ce ne soit qu’un arrêt d’espèce et que cette solution n’est
pas retenue en droit positif. En effet, récemment un arrêt de la première chambre civile
en date du 2 juillet 2014 a précisé que la victime d’un dommage n’est pas tenue de
limiter son préjudice. Sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la Cour affirme
clairement que « l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que
la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ».
Toutefois, même si l’indemnisation par le biais de dommages et intérêts reste le
principe, il existe d’autres sanctions qui ont pour but de dissuader les partenaires
commerciaux d’effectuer une rupture brutale.
43
n°01-13.289 et n° 00-22.302
29
Section 2 – La volonté accrue de dissuasion d’une rupture brutale
Au-delà des dommages et intérêts, les juges peuvent prononcer une amende civile (§1)
ou encore une réparation en nature telle que l’éventuel rétablissement des relations
commerciales (§2). Ce dernier mode de réparation assurerait à la victime, non seulement
le respect des prévisions initiales, mais aussi la préservation de la force du lien
contractuel.
§1) Le prononcé d’amende civile dissuasif d’une rupture brutale
En vertu de l’article L442-6 III du Code de commerce, le juge peut prononcer à
l’encontre de l’auteur de la rupture brutale une amende civile qui ne peut excéder deux
millions d’euros. Cette amende reste due malgré l’inertie de la victime.
Effectivement, depuis la loi NRE du 15 mai 2001, le ministère de l’économie et des
finances ainsi que le Conseil de la concurrence, depuis devenu l’Autorité de la
concurrence, se sont vus octroyés le pouvoir d’intervenir dans une instance en
responsabilité contre l’auteur de la rupture, ce qui n’a pas encore eu lieu jusqu’à présent.
Le montant de l’amende civile ne semble pas représenter une réparation stricto sensu ou
encore des dommages et intérêts punitifs, mais plutôt une pénalité supplémentaire. Elle
aurait alors pour fonction de dissuader toute rupture brutale des relations commerciales
établies.
Il est néanmoins possible de s’interroger sur la nature dissuasive de cette amende. En
effet, le montant est relativement faible, surtout en comparaison du chiffre d’affaires de
certaines entreprises. Ainsi, il serait plus intéressant pour elles de ne pas respecter un
préavis suffisant quitte à devoir s’acquitter de cette amende, plutôt que de respecter le
délai de préavis. Une alternative intéressante pourrait consister à indexer le montant de
cette sanction sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, comme c’est le cas pour l’Autorité
de la concurrence. Elle peut prononcer une sanction maximale de 10% du chiffre
d’affaires hors taxes de l’entreprise44
.
Toutefois, plutôt que de solliciter une réparation par équivalent des préjudices subis du
fait de la rupture brutale, la victime pourrait être tentée d'agir devant le juge des référés
pour obtenir, au besoin sous astreinte, une réparation en nature.
44
Article L464-2 du Code de commerce
30
§2) L’éventuel rétablissement des relations commerciales imposé par les juges
Pour éviter la survenance d’un dommage imminent ou alors éventuellement le réduire,
dans l’hypothèse où il résulte de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, le
juge peut ordonner la poursuite de cette relation sur le fondement de l’article 873 alinéa
1er
du Code de procédure civile45
, qui est relatif aux ordonnances de référé. Cet article
est en lien avec l’article L442-6 IV du Code de commerce qui prévoit que « le juge des
référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou
toute autre mesure provisoire ».
Néanmoins, pour ne pas excéder le pouvoir donné par ce texte et pour ne pas porter
atteinte au principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre, le juge ne pourra
l’ordonner que pour une durée limitée46
.
Une telle solution s’explique par les circonstances particulières de certaines espèces.
C’est ainsi que la Cour de cassation a ordonné le maintien forcé de la relation
commerciale dans une affaire où « la dissolution et la liquidation précipitée de la
société Ammoniac agricole constituaient de sa part une manœuvre délibérée destinée à
lui permettre de se soustraire à ses obligations résultant des dispositions de l'article L.
442-6 du code de commerce »47
.
45
CA Paris, 5 février 2014, n°13-1896 46
Cass.com, 3 mai 2012, n°10-28.366 47
Article précité
31
CONCLUSION GENERALE
A la suite d’un consensus doctrinal, il ressort que la responsabilité retenue en cas de
rupture brutale des relations commerciales établies est délictuelle. Il existe toutefois une
divergence entre les deux chambres de la Cour de cassation, ce qui rend souhaitable une
position unanime de la jurisprudence afin de mettre fin à l’insécurité juridique régnant
actuellement. Une position ferme et radicale n’est pas forcément attendue, dans la
mesure où il parait judicieux de tenir compte des spécificités de chaque affaire puisque
la rupture brutale des relations commerciales établies présente la particularité de
pouvoir être invoquée même en l’absence de contrat entre les deux parties.
La sanction de cette rupture brutale fait le plus souvent l’objet d’une réparation par
équivalent qui prend la forme d’une allocation de dommages et intérêts ou alors du
prononcé d’une amende civile. Exceptionnellement, le juge peut accorder une réparation
en nature qui va se traduire par le maintien forcé de la relation commerciale entre les
deux partenaires.
Cette responsabilité et les dispositions de l’article L442-6 I 5° du Code de commerce
sont d’ordre public, mais la Cour de cassation a récemment jugé dans un arrêt du 16
décembre 201448
qu’il demeure possible de négocier et d’aménager les conséquences
d’une rupture brutale des relations commerciales établies, une fois celle-ci intervenue.
Il faut toutefois que ces accords contractuels soient respectés par les parties et qu’ils ne
constituent pas un déséquilibre significatif au sens de l’article L442- 6 I 2° du Code de
commerce.
48
Cass, com, 16 décembre 2014, n°13-21.363
32
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages :
Code civil
Code de commerce
Les obligations, Stéphanie PORCHY-SIMON, Hypercours, 8ème
édition
Droit de la distribution, Didier FERRIER, Lexis Nexis, 7ème
édition
Guide de la distribution 2014, Régis FABRE, Philippe CHARLES et Elodie MASSIN,
Lexis Nexis
Doctrine :
La rupture brutale d’une relation commerciale établie est un délit civil, Dalloz 2007,
Eric Chevrier
Responsabilité délictuelle pour rupture brutale d’une relation commerciale établie,
Dalloz, Eric Chevrier
La nature de la responsabilité du fait de la rupture brutale des relations commerciales
établies : une controverse jurisprudentielle à résoudre, Dalloz 2011, Daniel Mainguy
Rupture brutale : le caractère "privilégié" de la relation commerciale n'aggrave ni la
brutalité de la rupture, ni le préjudice subi par sa victime, Dalloz 2013, Anne-Cécile
Martin
Regards critiques sur la rupture brutale des relations commerciales établies, RTD
Com. 2008, Karine Le Couviour
« Mitigation of damage » : une porte entrouverte ?, Recueil Dalloz 2012, Hugues
Adida-Canac
Jurisprudence
Cour d’appel
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Cour d’appel Rouen, 30 mai 2002, n° 2002-184180
Cour d’appel Douai, 25 décembre 2002, n°02-00715
Cour d’appel Versailles, 2003
Cour d’appel Pau, 2006
33
Cour d’appel Amiens, 9 mai 2006, n°05-01540
Cour d’appel Paris, 22 janvier 2009, n° 09-376029
Cour d’appel Toulouse, 15 septembre 2010, n°2010-024514
Cour d’appel Paris, 20 janvier 2011, n°10-01509
Cour d’appel Paris, 16 janvier 2013, n° 11-09594
Cour d’appel Paris, 5 février 2014, n°13-18960
Chambre commerciale
Cour de cassation, chambre commerciale, 6 juin 2001, n°99-20.831
Cour de cassation, chambre commerciale, 12 mai 2004, n° 01-12.865
Cour de cassation, chambre commerciale, 6 février 2007, n° 04-13.178
Cour de cassation, chambre commerciale, 20 février 2007, n°04-14.446
Cour de cassation, chambre commerciale 21 octobre 2008, n° 07-12.336
Cour de cassation, chambre commerciale, 13 janvier 2009, n° 08-13.971
Cour de cassation, chambre commerciale, 28 avril 2009, n° 08-12.788
Cour de cassation, chambre commerciale, 6 septembre 2011, n°10-11.975
Cour de cassation, chambre commerciale, 2 novembre 2011, n° 10-25.323
Cour de cassation, chambre commerciale, 3 mai 2012, n°10-28.366
Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2013, n° 12-13.603
Cour de cassation, chambre commerciale, 9 juillet 2013, n°12-20.468
Cour de cassation, chambre commerciale, 24 septembre 2013, n°12-24.538
Cour de cassation, chambre commerciale, 16 décembre 2014, n°13-21.363
Première chambre civile
Cour de cassation, première chambre civile, 6 mars 2007, n°06-10.946
Cour de cassation, première chambre civile, 22 octobre 2008, n°07-15.823
Cour de cassation, première chambre civile 8 juillet 2010, n° 09-67.013
Deuxième chambre civile
Cour de cassation, deuxième chambre civile, 19 juin 2003, n°01-13.289
Cour de cassation, deuxième chambre civile, 19 juin 2003, n° 00-22.302
Sites internet
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http://www.senat.fr/rap/r08-558/r08-5588.html
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http://www.village-justice.com/articles/Rupture-brutale-des-relations,18277.html
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http://www.mascre-
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http://www.cms-
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5a11-41db-b441-c4ccd241c99c
35
TABLE DES MATIERES
Remerciements ................................................................................................................. 1
Sommaire .......................................................................................................................... 2
Introduction ...................................................................................................................... 3
PARTIE 1 : La responsabilité retenue en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies ................................................................................................... 6
Chapitre 1 : L’hésitation jurisprudentielle entre la reconnaissance d’une
responsabilité délictuelle ou contractuelle ................................................................ 7
Section 2 - La responsabilité délictuelle faisant l’objet d’un consensus de la part
de la doctrine ........................................................................................................ 7
Section 1 - L’affirmation concomitante d’une responsabilité délictuelle et
contractuelle par la Cour de cassation .................................................................. 8
§1) La reconnaissance explicite de la responsabilité délictuelle par la chambre
commerciale...................................................................................................... 8
§2) La reconnaissance implicite de la responsabilité contractuelle par la
première chambre civile ................................................................................... 9
Section 2 – La responsabilité délictuelle faisant l’objet d’un consensus de la part
de la doctrine ...................................................................................................... 11
§1) Le consensus autour de la responsabilité délictuelle ................................ 11
§2) Les raisons du choix de responsabilité délictuelle ................................... 11
Chapitre 2 : L’enjeu de la reconnaissance de la responsabilité délictuelle ............ 13
Section 1 – L’efficacité des stipulations contractuelles en cas de responsabilité
délictuelle............................................................................................................ 14
§1) La question de la validité des clauses attributives de compétence ........... 14
§2) La question de la validité des clauses compromissoires .......................... 15
Section 2 - L’opportunité d’une décision définitive quant à la responsabilité
retenue ................................................................................................................ 16
§1) L’apparente nécessité d’une solution homogène comme corollaire à la
sécurité juridique ............................................................................................ 16
§2) Le manque d’adaptabilité aux cas d’espèces............................................ 16
PARTIE 2 : La réparation du préjudice en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies ................................................................................................. 17
Chapitre 1 : Le préjudice résultant de la brutalité de la rupture ............................ 18
Section 1 - L’appréciation in concreto de la brutalité de la rupture ................. 19
§1) La prise en compte de la seule brutalité ................................................... 19
36
§2) La brutalité consécutive à l’absence ou à l’insuffisance de préavis ......... 20
Section 2 - La possible aggravation de la brutalité de la rupture ...................... 23
§1) L’aggravation résultant de circonstances propres à la victime ................ 23
§2) La difficile admission de cette conception depuis la nouvelle rédaction de
l’article L442-6 I 5° du Code de commerce ................................................... 24
Chapitre 2 : Les différentes formes de la réparation du préjudice.......................... 25
Section 1 - L’indemnisation systématique de la perte de marge brute subie par
l’allocation de dommages et intérêts .................................................................. 26
§1) Le principe de l’indemnisation de la perte de marge brute subie affirmé
par la jurisprudence ........................................................................................ 26
§2) La difficile admission de l’indemnisation de pertes annexes ................... 27
Section 2 – La volonté accrue de dissuasion d’une rupture brutale ................... 29
§1) Le prononcé d’amende civile dissuasif d’une rupture brutale ................. 29
§2) L’éventuel rétablissement des relations commerciales imposé par les juges
........................................................................................................................ 30
Conclusion générale ....................................................................................................... 31
Bibliographie .................................................................................................................. 32
Table des matières .......................................................................................................... 35