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Gastroenterol Clin Biol, 2006, 30 496 La réponse lymphocytaire T dirigée contre le motif YMDD du virus de l’hépatite B Un facteur prédictif de la réponse à la lamivudine ? High frequency of functional anti-YMDD and mutant cytotoxic T lymphocytes after in vitro expansion correlates with succesful response to lamivudine therapy for chronic hepatitis B LIN CL, TSAI SL, LEE TH, CHIEN RN, LIAO SK, LIAW YF Gut 2005;54:152-61. a lamivudine est un analogue nucléosidique qui inhibe directement l’ADN polymérase du VHB. Une dispari- tion de l’AgHBe et une séro-conversion HBe sont obser- vés chez environ 20 % des malades traités 48 semaines [1]. Cette séroconversion est durable chez environ la moitié des malades, en particulier lorsque la lamivudine est poursuivie au moins 6 mois après la séroconversion [2]. Un traitement plus prolongé permet d’augmenter le taux de séroconversion à 50 % après 5 ans. Le problème majeur est toutefois l’apparition fré- quente de mutations de résistance dans le motif YMDD de la polymérase virale, qui s’accompagne d’une reprise de la multi- plication virale. Le taux d’échappement viral est de l’ordre de 50 % à 5 ans [3]. Le principal facteur prédictif de la séroconver- sion HBe sous lamivudine est l’activité de l’hépatite, reflétée par l’augmentation de l’activité sérique des transaminases [1] Les données actuelles concernant le rôle de l’immunité anti-virale B sont limitées. La réponse lymphocytaire T cytotoxique est à la fois impliquée dans les phénomènes nécrotico-inflammatoires et dans le contrôle viral. Très récemment, plusieurs épitopes immu- nodominants CD4+et CD8+ont été décrits dans la région de la polymérase virale, mais le rôle précis de ces populations lym- phocytaires n’est pas connu [4]. Dans la présente étude, Lin et al. [5] ont évalué la fréquence et les fonctions effectrices cytotoxiques des lymphocytes T CD8+ dirigés contre le motif YMDD et ses variants YIDD et YVDD chez des malades atteints d’hépatite chronique B Antigène HBe posi- tif traités par lamivudine en monothérapie. Quatorze malades de groupe HLA A2 ont été inclus. Une réponse au traitement définie par une séroconversion HBe durable, au moins 12 mois après l’arrêt de la lamivudine, était observée chez 7 malades. La fréquence des lymphocytes T CD8+ circulants spécifiques des épitopes du motif YMDD déterminée par cytométrie de flux (technique des tétramères) était significativement plus élevée chez les malades répondeurs au traitement en comparaison aux malades non répondeurs. Les propriétés fonctionnelles des lym- phocytes T ont été évaluées après expansion en culture par des tests de cytotoxicité effectués contre différentes cibles cellulaires (cellules B EBV transfectées ou chargées par des peptides du virus de l’hépatite B). La cytotoxicité des lymphocytes T obtenus chez les malades répondeurs était supérieure à celle des non répondeurs. La fréquence et la cytotoxicité des lymphocytes anti- YMDD augmentait après 3 mois de traitement chez les malades répondeurs, et restait stable et faible chez les non répondeurs. Avant et pendant le traitement, une réponse T cytotoxique spéci- fique des mutants YVDD et YIDD était également observée et était plus vigoureuse chez les malades répondeurs en particulier après 3 mois de traitement anti-viral. La spécificité antigénique des lymphocytes T a été étudiée plus finement après enrichisse- ment et tri positif par cytométrie de flux. Une réactivité croisée était observée sur le plan fonctionnel entre le motif YMDD et les variants YIDD et YVDD. Cette observation a été confirmée par l’étude moléculaire des récepteurs à l’antigène (TCR), qui a révélé une utilisation commune des réarrangements des gènes V des locus α et β. Commentaires Ce travail original confirme la présence chez les malades atteints d’hépatite virale chronique B de lymphocytes T CD8+ dirigés contre des épitopes situés dans le motif YMDD de la polymérase virale. La qualité de cette réponse immunitaire en terme de fréquence et de cytotoxicité semble associée à l’obten- tion d’une séroconversion HBe durable. En raison du faible nombre de malades inclus, il n’a pas été possible de corréler la réponse lymphocytaire T à l’activité histologique de l’hépatite et au niveau de l’ALAT qui sont des facteurs prédictifs classiques de la réponse au traitement. Cette étude confirme également que la réponse T CD8+ cytotoxique est améliorée au cours du traitement par lamivudine chez les malades répondeurs. Plu- sieurs études ont déjà rapporté un tel phénomène de restaura- tion précoce de l’immunité cellulaire au cours du traitement par lamivudine [6, 7]. De manière très intéressante, des lymphocy- tes T spécifiques des mutants YVDD et YIDD ont été identifiés avant le début du traitement. Cette observation suggère indirec- tement que des mutants à la lamivudine sont présents dans la quasiespèce virale avant tout traitement antiviral, mais sont sous contrôle immunitaire. La présence d’une réponse lymphocytaire forte dirigée contre ces mutants était également associée à la séroconversion HBe. Il est probable que cette réponse T peut prévenir la survenue d’un échappement virologique par muta- tion YMDD, mais cette donnée n’était pas spécifiquement rap- portée dans l’étude. Un contrôle immunologique de ces mutants pourrait expliquer la fréquence moindre des mutations YMDD lorsque la lamivudine est associée à l’interféron alpha [8]. Il a en effet été récemment montré que l’interféron alpha augmentait l’efficacité antivirale de la réponse T intra-hépatique dirigée contre le virus de l’hépatite B [9]. En conclusion, la qualité de la réponse lymphocytaire T CD8+ dirigée contre le motif YMDD de la polymérase virale et ses variants est augmentée par la lamivudine et semble prédic- tive d’une séronconversion HBe durable. Des tests immunologi- ques disponibles en routine seraient probablement utiles pour déterminer les indications de traitement, mais leur complexité technique et leur manque de reproductibilité actuelle les réserve aujourd’hui au domaine de la recherche. Vincent LEROY Hépato-gastroentérologie, CHU de Grenoble. RÉFÉRENCES 1. Lau GK, Piratvisuth T, Luo KX, Marcellin P, Thongsawat S, Cooksley G, et al. Peginterferon Alfa-2a, lamivudine, and the combination for HBeAg-positive chronic hepatitis B. N Engl J Med 2005;352:2682-95. 2. Van Nunen AB, Hansen BE, Suh DJ, Lohr HF, Chemello L, Fontaine H, et al. Durability of HBeAg seroconversion following antiviral therapy for chronic hepatitis B: relation to type of therapy and pretreatment se- rum hepatitis B virus DNA and alanine aminotransferase. Gut 2003; 52:420-4. 3. Liaw YF, Sung JJ, Chow WC, Farrell G, Lee CZ, Yuen H, et al. Lamivudine for patients with chronic hepatitis B and advanced liver disease. N Engl J Med 2004;351:1521-31. L

La réponse lymphocytaire T dirigée contre le motif YMDD du virus de l’hépatite B: Un facteur prédictif de la réponse à la lamivudine ?

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Gastroenterol Clin Biol, 2006, 30

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La réponse lymphocytaire T dirigée contre le motif YMDD du virus de l’hépatite BUn facteur prédictif de la réponse à lalamivudine ?

High frequency of functional anti-YMDD and mutant cytotoxic T lymphocytes after in vitro expansion correlates with succesful response to lamivudine therapy for chronic hepatitis B LIN CL, TSAI SL, LEE TH, CHIEN RN, LIAO SK, LIAW YF Gut 2005;54:152-61.

a lamivudine est un analogue nucléosidique qui inhibedirectement l’ADN polymérase du VHB. Une dispari-tion de l’AgHBe et une séro-conversion HBe sont obser-

vés chez environ 20 % des malades traités 48 semaines [1].Cette séroconversion est durable chez environ la moitié desmalades, en particulier lorsque la lamivudine est poursuivie aumoins 6 mois après la séroconversion [2]. Un traitement plusprolongé permet d’augmenter le taux de séroconversion à 50 %après 5 ans. Le problème majeur est toutefois l’apparition fré-quente de mutations de résistance dans le motif YMDD de lapolymérase virale, qui s’accompagne d’une reprise de la multi-plication virale. Le taux d’échappement viral est de l’ordre de50 % à 5 ans [3]. Le principal facteur prédictif de la séroconver-sion HBe sous lamivudine est l’activité de l’hépatite, reflétée parl’augmentation de l’activité sérique des transaminases [1] Lesdonnées actuelles concernant le rôle de l’immunité anti-virale Bsont limitées. La réponse lymphocytaire T cytotoxique est à lafois impliquée dans les phénomènes nécrotico-inflammatoires etdans le contrôle viral. Très récemment, plusieurs épitopes immu-nodominants CD4+et CD8+ont été décrits dans la région de lapolymérase virale, mais le rôle précis de ces populations lym-phocytaires n’est pas connu [4].

Dans la présente étude, Lin et al. [5] ont évalué la fréquenceet les fonctions effectrices cytotoxiques des lymphocytes T CD8+dirigés contre le motif YMDD et ses variants YIDD et YVDD chezdes malades atteints d’hépatite chronique B Antigène HBe posi-tif traités par lamivudine en monothérapie. Quatorze maladesde groupe HLA A2 ont été inclus. Une réponse au traitementdéfinie par une séroconversion HBe durable, au moins 12 moisaprès l’arrêt de la lamivudine, était observée chez 7 malades.La fréquence des lymphocytes T CD8+ circulants spécifiques desépitopes du motif YMDD déterminée par cytométrie de flux(technique des tétramères) était significativement plus élevéechez les malades répondeurs au traitement en comparaison auxmalades non répondeurs. Les propriétés fonctionnelles des lym-phocytes T ont été évaluées après expansion en culture par destests de cytotoxicité effectués contre différentes cibles cellulaires(cellules B EBV transfectées ou chargées par des peptides duvirus de l’hépatite B). La cytotoxicité des lymphocytes T obtenuschez les malades répondeurs était supérieure à celle des nonrépondeurs. La fréquence et la cytotoxicité des lymphocytes anti-YMDD augmentait après 3 mois de traitement chez les maladesrépondeurs, et restait stable et faible chez les non répondeurs.Avant et pendant le traitement, une réponse T cytotoxique spéci-fique des mutants YVDD et YIDD était également observée etétait plus vigoureuse chez les malades répondeurs en particulieraprès 3 mois de traitement anti-viral. La spécificité antigéniquedes lymphocytes T a été étudiée plus finement après enrichisse-ment et tri positif par cytométrie de flux. Une réactivité croisée

était observée sur le plan fonctionnel entre le motif YMDD et lesvariants YIDD et YVDD. Cette observation a été confirmée parl’étude moléculaire des récepteurs à l’antigène (TCR), qui arévélé une utilisation commune des réarrangements des gènes Vdes locus α et β.

Commentaires

Ce travail original confirme la présence chez les maladesatteints d’hépatite virale chronique B de lymphocytes T CD8+dirigés contre des épitopes situés dans le motif YMDD de lapolymérase virale. La qualité de cette réponse immunitaire enterme de fréquence et de cytotoxicité semble associée à l’obten-tion d’une séroconversion HBe durable. En raison du faiblenombre de malades inclus, il n’a pas été possible de corréler laréponse lymphocytaire T à l’activité histologique de l’hépatite etau niveau de l’ALAT qui sont des facteurs prédictifs classiquesde la réponse au traitement. Cette étude confirme égalementque la réponse T CD8+ cytotoxique est améliorée au cours dutraitement par lamivudine chez les malades répondeurs. Plu-sieurs études ont déjà rapporté un tel phénomène de restaura-tion précoce de l’immunité cellulaire au cours du traitement parlamivudine [6, 7]. De manière très intéressante, des lymphocy-tes T spécifiques des mutants YVDD et YIDD ont été identifiésavant le début du traitement. Cette observation suggère indirec-tement que des mutants à la lamivudine sont présents dans laquasiespèce virale avant tout traitement antiviral, mais sont souscontrôle immunitaire. La présence d’une réponse lymphocytaireforte dirigée contre ces mutants était également associée à laséroconversion HBe. Il est probable que cette réponse T peutprévenir la survenue d’un échappement virologique par muta-tion YMDD, mais cette donnée n’était pas spécifiquement rap-portée dans l’étude. Un contrôle immunologique de ces mutantspourrait expliquer la fréquence moindre des mutations YMDDlorsque la lamivudine est associée à l’interféron alpha [8]. Il aen effet été récemment montré que l’interféron alpha augmentaitl’efficacité antivirale de la réponse T intra-hépatique dirigéecontre le virus de l’hépatite B [9].

En conclusion, la qualité de la réponse lymphocytaire TCD8+ dirigée contre le motif YMDD de la polymérase virale etses variants est augmentée par la lamivudine et semble prédic-tive d’une séronconversion HBe durable. Des tests immunologi-ques disponibles en routine seraient probablement utiles pourdéterminer les indications de traitement, mais leur complexitétechnique et leur manque de reproductibilité actuelle les réserveaujourd’hui au domaine de la recherche.

Vincent LEROYHépato-gastroentérologie, CHU de Grenoble.

RÉFÉRENCES

1. Lau GK, Piratvisuth T, Luo KX, Marcellin P, Thongsawat S, Cooksley G,et al. Peginterferon Alfa-2a, lamivudine, and the combination forHBeAg-positive chronic hepatitis B. N Engl J Med 2005;352:2682-95.

2. Van Nunen AB, Hansen BE, Suh DJ, Lohr HF, Chemello L, Fontaine H,et al. Durability of HBeAg seroconversion following antiviral therapyfor chronic hepatitis B: relation to type of therapy and pretreatment se-rum hepatitis B virus DNA and alanine aminotransferase. Gut 2003;52:420-4.

3. Liaw YF, Sung JJ, Chow WC, Farrell G, Lee CZ, Yuen H, et al.Lamivudine for patients with chronic hepatitis B and advanced liverdisease. N Engl J Med 2004;351:1521-31.

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Analyses commentées

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4. Mizukoshi E, Sidney J, Livingston B, Ghany M, Hoofnagle JH, Sette A,et al. Cellular immune responses to the hepatitis B virus polymerase.J Immunol 2004;173:5863-71.

5. Lin CL, Tsai SL, Lee TH, Chien RN, Liao SK, Liaw YF. High fre-quency of functional anti-YMDD and mutant cytotoxic T lymphocytesafter in vitro expansion correlates with succesful response to lamivu-dine therapy for chronic hepatitis B. Gut 2005;54:152-161.

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