1
Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2011 - Hors série 1 39 © 2011 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Le coin biblio de la SFD La résistance à l’insuline dans les podocytes : un nouveau mécanisme moléculaire pour la néphropathie diabétique Welsh GI et al. Insulin signaling to the glomerular podocyte is critical for normal kidney function Cell Metabolism 2010 ; 12 : 329-340 L a néphropathie diabétique représente, à l’heure actuelle, la première cause d’insuffisance rénale terminale et de dialyse dans les pays occidentaux. Sur le plan moléculaire, la néphropathie diabétique est secondaire à une altération de la barrière de filtration glomérulaire, dont la micro-albu- minurie et la macroprotéinurie sont les reflets cliniques. La barrière de filtration glomérulaire est composée de cellules endothéliales et de podocytes localisés de chaque côté de la membrane basale glomérulaire. Les auteurs de ce travail ont précédemment démontré que les podocytes sont des cellules qui sont sensibles à l’action de l’insuline. En effet, l’insuline est capable de stimuler le transport du glucose dans les podocytes, et non dans les cellules endothéliales, via la translocation des transporteurs de glucose GLUT1 et GLUT4 [1,2]. L’objectif de ce travail est d’aller plus loin dans la compréhension du rôle des podocytes dans la néphropathie diabétique, en analysant in vivo chez la sou- ris les conséquences d’une invalidation du récepteur de l’insuline sélectivement dans les podocytes (souris Podo-IR KO). Pour obtenir les modèles de souris Podo-IR KO, les auteurs ont croisé des souris floxées pour le récepteur de l’insuline avec des souris exprimant la recombinase Cre sous le contrôle de 2 promoteurs codant pour des gènes spécifiques des podocytes, i.e. la néphrine et la podocine. Une diminution de 90 % de l’expression de l’ARNm du récepteur de l’insuline a été ainsi sélectivement obtenue dans les podocytes. Les résultats obtenus ont été concordants dans les 2 modèles, même si les lésions rénales ont été plus sévères dans le modèle podocine-Cre. Les 2 lignées de souris ont été viables avec une répartition mendélienne des naissances. Aucune anomalie rénale n’a été observée à la naissance, avec une taille des reins identique dans les différents modèles. De façon importante, il n’y a eu aucun effet systémique sur l’homéostasie du glucose, les taux de glycémie et d’insulinémie étant comparables chez les souris Podo-IR KO et les souris-contrôles. L’observation majeure de cette étude est l’apparition chez les souris Podo-IR KO, à partir de l’âge de 5 semaines, de lésions rénales récapitulant la pathogénie de la néphropathie diabétique. À 5 semaines, les souris Podo-IR KO développent une micro-albuminurie et l’analyse histologique identifie des atteintes structurales des podocytes (effacement des pieds des podocytes). Ces anomalies se majorent entre 8 et 13 semaines, avec l’aggravation de la protéinurie, l’apparition d’une apoptose des podocytes et une augmentation du collagène de type IV au niveau de la matrice glomérulaire, conduisant à des lésions de glomérulosclérose. En revanche, il n’est pas noté d’infiltration du mésangiale. Sur le plan moléculaire, le récepteur de l’insuline semble agir en favorisant l’activation des voies de signalisation des MAPkinases (p42 & p44) et de la PI3kinase. L’activation de ces voies de signalisation contrôle par la suite le remo- delage du cytosquelette d’actine au niveau du podocyte via la modulation de l’activité de petites protéines G de type GTPases (l’insuline activant RhoA et inhibant CDC42). Au total, ce travail démontre le rôle clef du récepteur de l’insuline dans la fonction des podocytes. En contrôlant de façon rapide le remodelage du cytosquelette des podocytes, l’insuline joue un rôle clef dans le maintien de l’intégrité de la barrière de filtration glomé- rulaire. Le développement d’une insulinoré- sistance au niveau des podocytes entraîne l’apparition de lésions rénales, semblables à celles observées au cours de la néphropathie diabétique. Sur un plan conceptuel, ces données suggèrent que l’hyperglycémie ne serait pas seule responsable de la physio- pathologie de la néphropathie diabétique. L’insulinorésistance observée au cours du syndrome métabolique ou du prédiabète pourrait ainsi contribuer à l’apparition de la micro-albuminurie. De même, cette observa- tion pourrait être une explication moléculaire au fait que les patients diabétiques de type 1 avec une néphropathie diabétique soient plus volontiers insulinorésistants que ceux sans atteinte rénale [3,4]. Enfin, sur le plan thé- rapeutique, ces résultats renforcent l’intérêt de développer des études cliniques visant à évaluer le bénéfice des insulinosensibilisa- teurs (metformine et pioglitazone) dans le traitement de la néphropathie diabétique [5]. B. C. Références [1] Coward RJ, et al. The human glomerular podocyte is a novel target for insulin action. Diabetes 2005;54:3095-102. [2] Coward RJ, et al. Nephrin is critical for the action of insulin on human glomerular podocytes. Diabetes 2007;56:1127-35. [3] Orchard T, et al. Nephropathy in type 1 diabetes: a manifestation of insulin resistance and multiple genetic susceptibilities? Further evidence from the Pittsburgh Epidemiology of Diabetes Complication Study. Kidney Int 2002;62:963-70. [4] Hadjadj S, et al. Different patterns of insulin resistance in relatives of type 1 diabetic patients with retinopathy or nephropathy: the Genesis France-Belgium Study. Diabetes Care 2004;27:2661-8. [5] Panchapakesan U, et al. Drug insight: thiazolidinediones and diabetic nephropathy-- relevance to renoprotection. Nat Clin Pract Nephrol 2005;1:33-43.

La résistance à l’insuline dans les podocytes : un nouveau mécanisme moléculaire pour la néphropathie diabétique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La résistance à l’insuline dans les podocytes : un nouveau mécanisme moléculaire pour la néphropathie diabétique

Dossier thématique

Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2011 - Hors série 1

39

© 2011 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Le coin biblio de la SFD

La résistance à l’insuline dans les podocytes : un nouveau mécanisme moléculaire pour la néphropathie diabétiqueWelsh GI et al. Insulin signaling to the glomerular podocyte is critical for normal kidney function Cell Metabolism 2010 ; 12 : 329-340

La néphropathie diabétique représente, à l’heure actuelle, la première cause d’insuffisance rénale terminale et de

dialyse dans les pays occidentaux. Sur le plan moléculaire, la néphropathie diabétique est secondaire à une altération de la barrière de filtration glomérulaire, dont la micro-albu-minurie et la macroprotéinurie sont les reflets cliniques. La barrière de filtration glomérulaire est composée de cellules endothéliales et de podocytes localisés de chaque côté de la membrane basale glomérulaire. Les auteurs de ce travail ont précédemment démontré que les podocytes sont des cellules qui sont sensibles à l’action de l’insuline. En effet, l’insuline est capable de stimuler le transport du glucose dans les podocytes, et non dans les cellules endothéliales, via la translocation des transporteurs de glucose GLUT1 et GLUT4 [1,2]. L’objectif de ce travail est d’aller plus loin dans la compréhension du rôle des podocytes dans la néphropathie diabétique, en analysant in vivo chez la sou-ris les conséquences d’une invalidation du récepteur de l’insuline sélectivement dans les podocytes (souris Podo-IR KO).Pour obtenir les modèles de souris Podo-IR KO, les auteurs ont croisé des souris floxées pour le récepteur de l’insuline avec des souris exprimant la recombinase Cre sous le contrôle de 2  promoteurs codant pour des gènes spécifiques des podocytes, i.e. la néphrine et la podocine. Une diminution de 90 % de l’expression de l’ARNm du récepteur de l’insuline a été ainsi sélectivement obtenue dans les podocytes. Les résultats obtenus ont été concordants dans les 2 modèles, même si les lésions rénales ont été plus sévères dans le modèle podocine-Cre. Les 2 lignées de souris ont été viables avec une répartition mendélienne des

naissances. Aucune anomalie rénale n’a été observée à la naissance, avec une taille des reins identique dans les différents modèles. De façon importante, il n’y a eu aucun effet systémique sur l’homéostasie du glucose, les taux de glycémie et d’insulinémie étant comparables chez les souris Podo-IR KO et les souris-contrôles. L’observation majeure de cette étude est l’apparition chez les souris Podo-IR KO, à partir de l’âge de 5 semaines, de lésions rénales récapitulant la pathogénie de la néphropathie diabétique. À 5 semaines, les souris Podo-IR  KO développent une micro-albuminurie et l’analyse histologique identifie des atteintes structurales des podocytes (effacement des pieds des podocytes). Ces anomalies se majorent entre 8 et 13 semaines, avec l’aggravation de la protéinurie, l’apparition d’une apoptose des podocytes et une augmentation du collagène de type IV au niveau de la matrice glomérulaire, conduisant à des lésions de glomérulosclérose. En revanche, il n’est pas noté d’infiltration du mésangiale. Sur le plan moléculaire, le récepteur de l’insuline semble agir en favorisant l’activation des voies de signalisation des MAPkinases (p42 & p44) et de la PI3kinase. L’activation de ces voies de signalisation contrôle par la suite le remo-delage du cytosquelette d’actine au niveau du podocyte via la modulation de l’activité de petites protéines G de type GTPases (l’insuline activant RhoA et inhibant CDC42).Au total, ce travail démontre le rôle clef du récepteur de l’insuline dans la fonction des podocytes. En contrôlant de façon rapide le remodelage du cytosquelette des podocytes, l’insuline joue un rôle clef dans le maintien de l’intégrité de la barrière de filtration glomé-rulaire. Le développement d’une insulinoré-sistance au niveau des podocytes entraîne

l’apparition de lésions rénales, semblables à celles observées au cours de la néphropathie diabétique. Sur un plan conceptuel, ces données suggèrent que l’hyperglycémie ne serait pas seule responsable de la physio-pathologie de la néphropathie diabétique. L’insulinorésistance observée au cours du syndrome métabolique ou du prédiabète pourrait ainsi contribuer à l’apparition de la micro-albuminurie. De même, cette observa-tion pourrait être une explication moléculaire au fait que les patients diabétiques de type 1 avec une néphropathie diabétique soient plus volontiers insulinorésistants que ceux sans atteinte rénale [3,4]. Enfin, sur le plan thé-rapeutique, ces résultats renforcent l’intérêt de développer des études cliniques visant à évaluer le bénéfice des insulinosensibilisa-teurs (metformine et pioglitazone) dans le traitement de la néphropathie diabétique [5].

B. C.

Références

[1] Coward RJ, et al. The human glomerular podocyte is a novel target for insulin action. Diabetes 2005;54:3095-102.

[2] Coward RJ, et al. Nephrin is critical for the action of insulin on human glomerular podocytes. Diabetes 2007;56:1127-35.

[3] Orchard T, et al. Nephropathy in type 1 diabetes: a manifestation of insulin resistance and multiple genetic susceptibilities? Further evidence from the Pittsburgh Epidemiology of Diabetes Complication Study. Kidney Int 2002;62:963-70.

[4] Hadjadj S, et al. Different patterns of insulin resistance in relatives of type 1 diabetic patients with retinopathy or nephropathy: the Genesis France-Belgium Study. Diabetes Care 2004;27:2661-8.

[5] Panchapakesan U, et al. Drug insight: thiazolidinediones and diabetic nephropathy--relevance to renoprotection. Nat Clin Pract Nephrol 2005;1:33-43.