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P. 5 QUE CHERCHE LA SOCIÉTÉ ? u P. 4 RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ P. 16 PEUT-ON CHANGER LA FRANCE DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI ? P. 26 COMMENT CONSTRUIRE LE CHANGEMENT POUR DYNAMISER LA SOCIÉTÉ ? P. 36 QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CETTE RENCONTRE POUR ALLER PLUS LOIN ? MAR. 2011 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ DES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010 N° HORS SÉRIE DE LA REVUE DU PROJET

La revue du projet, Hors série n° 1

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La revue du projet, n° Hors série n° 1

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P.5QUE CHERCHELA SOCIÉTÉ ?

u P.4RENCONTRE NATIONALEPOUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ

P.16 PEUT-ON CHANGERLA FRANCE DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI ?

P.26 COMMENTCONSTRUIRE LECHANGEMENTPOUR DYNAMISERLA SOCIÉTÉ ?

P.36 QUELS ENSEIGNEMENTSTIRER DE CETTERENCONTRE POURALLER PLUS LOIN ?

MAR.2011

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ DES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

N° HORS SÉRIE DE LA REVUE DU PROJET

LA REVUE DU PROJET - HORS SÉRIE - MARS 2011

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MARS 2011- HORS SÉRIE - LA REVUE DU PROJET

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SOMMAIRE

QUE CHERCHE LA SOCIÉTÉ ? 6 Sous le signe de la politesse – Patrice Bessac

7 Que disent les mouvements sociaux, le mouvement des retraites ? Jean-Christophe Le Duigou, syndicaliste

8 Que dit la crise ? Henri Sterdyniak, directeur du Département économie de la mondialisation de l'OFCE

10 La « participation » des citoyens à l'exercice des pouvoirs :apport essentiel ou divertissement ? Catherine Peyge, maire deBobigny

12 Inquiétudes, dynamiques idéologiques, attitudes poli-tiques, quoi de neuf en 2010 ? Michel Maso, directeur de la fon-dation Gabriel Péri

14 Qu'allons-nous faire de notre vie ? Patrick Viveret, philo-sophe, président de l'observatoire de la décision publique

COMMENT CONSTRUIRE LE CHANGEMENT POURDYNAMISER LA SOCIÉTÉ ? 27 Vers une mobilisation populaire pour le changement ? Maryse Dumas, syndicaliste

28 La peur ou la liberté : ne faut-il pas choisir ?Michella Marzano, professeur de philosophie à l'Université ParisDescartes

30 Partage des savoirs, la culture pour tous : utopies ou nécessités ? Denis Paget, chargé de recherche à l'Institut de recherche de la FSU

33 Comment démocratiser la République ?Patrice Cohen Seat, président d'Espaces Marx

PEUT-ON CHANGER LAFRANCE DANS LE MONDED'AUJOURD'HUI ? 17 Une politique de gauche est-elle possible à partir des réalités de l'Europe et du monde d'aujourd'hui ? FrancisWurtz, député européen honoraire

19 Quelles activités humaines au-delà de la domination des marchés financiers ? Paul Boccara, économiste

21 Egalité des droits, progrès social et enjeux écologiques sont-ils des objectifs compatibles ? Yveline Nicolas, Association truc

23 Jeunesse : la société en perspective ? Joëlle Bordet, psy-chosociologue

QUELS ENSEIGNEMENTSTIRER DE CETTE RENCONTREPOUR ALLER PLUS LOIN ?36 De l’enthousiasme pour un projet nouveau Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d'Attac

37 La crise de la démocratie est aussi et d’abord une crise de la culture Roland Gori, initiateur de l'appel des appels

40 La mise en commun de tous les savoirs pour réussir le changement Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français

4 Édito Construire du commun – Michel Laurent

LA REVUE DU PROJET - HORS SÉRIE - MARS 2011

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N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

Ce constat populaire, accompagné denombreuses analyses intellectuelles,accentue, et c'est le paradoxe, la crise

de la gauche. Elle s'est ralliée majoritaire-ment, au travers des évolutions de la social-démocratie mondiale, à la thèse de l'ho-rizon indépassable du capitalisme. Etpourtant la crise est là. Elle s'amplifie et elleest de plus en plus vécue et comprisecomme celle d'un système. D'où un doute,lui aussi grandissant, sur la capacité de lagauche à faire véritablement autrement etautre chose que la droite. D'où aussi lerisque et le danger de voir monter le popu-lisme, les intégrismes et autres nationa-lismes pour exprimer un ras-le-bol insup-portable mais sans perspective réelle, sinonde chercher un ennemi chez l'autre, les autres.La recherche d'une issue, si elle commencesouvent par la critique du système et laprotestation, ne peut pas s'y réduire. Une issue progressiste, transformatricese doit d'être espérance positive d'uneautre société, recherche de solutions auxproblèmes d'aujourd'hui dans les condi-tions d'aujourd'hui.Autrement dit, tout rassemblement qui seconstruit uniquement sur un rejet, sur del' « anti », atteint vite ses limites et se briseau moment où il s'agit de trouver ensem-ble des solutions. La crise de la gaucheétant avant tout une crise de projet, il fautdonc y travailler. C'est sur la base de cesréflexions que le LEM, Lieu d'étude sur lemouvement des connaissances et desidées, a initié le principe d'une Rencontrenationale du Projet. Cette rencontre, orga-nisée par le PCF, s'est déroulée les 26, 27 et28 novembre 2010. Ce numéro spécial enreprend les interventions introductives. Cette rencontre se proposait comme unerencontre de travail, publique, sur le pro-jet de gauche auquel une grande partiede notre peuple aspire et sur sa faisabilitédans le contexte européen et mondiald'aujourd'hui. Il s'agissait de s'engagerdans la construction d'un projet quiréponde aux problèmes d'aujourd'hui etaux aspirations populaires, en ruptureavec les logiques libérales. Un projet utileà toute la gauche, un projet pour laFrance, européen et internationaliste.

TRAVAILLER LE PROJETC'est une question de cohérence. Il est leciment de tout rassemblement qui se

veut durable. Ce travail de contenu vanous amener devant des obstacles, descontradictions qu'il nous faudra sur-monter ensemble. Patrick Viveret n'a-t-ilpas évoqué, dès la première séance, lanécessité pour la gauche de « construireses désaccords » pour pouvoir enfin lestraiter et être en mesure de proposer.Dépasser les débats de posture pourmieux travailler aux solutions, n'est-cepas ce qu'attend impatiemment notrepeuple ? Et puis, il faut prendre la mesure d'uneautre crise, celle de la représentation poli-tique, de la politique. Les peuples deFrance, de Tunisie, d'Égypte ou d'ailleursse résignent lorsqu'ils ont le sentiment dene pas avoir prise sur les événements. Ilssont activement présents et fontl'Histoire quand ils prennent confianceen eux-mêmes. Créer cet espace deconfiance que Michela Marzano appellede ses vœux, c'est le moyen de faire recu-ler la peur, la politique de la peur. Créercet espace de confiance où se rassemble-raient les citoyens, les responsables poli-tiques, les élus, les intellectuels, étaitaussi l'un des buts assumés de l'initiative.Il est encore, nous le savons tous, à créer.Cette confiance n'existe pas aujourd'hui.Pour qu'elle prenne corps, il faut lui don-ner un objet – que voulons-nous pour laFrance ? – et une méthode de traitementde cet objet : analyse de la crise, échanged'arguments et de solutions, écoute ettravail en commun.

JOUER COLLECTIFTous les acteurs et actrices du champpolitique, c'est-à-dire les citoyens, lesacteurs sociaux et intellectuels, les élus etles responsables politiques doivent y êtreconviés. C'est de leur rencontre que peutnaître du neuf. Entretenir la séparation detous ces acteurs, c'est entretenir, voireaccentuer l'éclatement de la société alorsque nous visons au contraire son rassem-blement.Diviser pour régner a été depuis long-temps la méthode de gouvernement despuissants et de tous ceux qui veulentconfisquer le pouvoir. Nous voulonsconstruire au contraire du commun,jouer collectif. La forme rejoint ici,comme toujours, le fond. Cette démarchenouvelle, originale, exigeante que le Parti

communiste veut promouvoir, nousavons commencé à la mettre en œuvrelors de cette rencontre. Nous voulonsl'impulser partout dans le pays autour dela construction « d'un programme popu-laire et partagé » et de l'élargissementpopulaire du Front de gauche. La rencon-tre nationale a fait écho à ces deux objec-tifs. S'agissant du « programme populaireet partagé », Pierre Laurent insistait dansla lettre d'invitation sur la demande auxintervenants « de répondre à partir deleur sensibilité propre et de leur itinérairesingulier, à ces questions : quelles sont, àvos yeux, les composantes incontourna-bles d'un projet de gauche répondant auxaspirations de notre peuple aujourd'hui ?Quels degrés de liberté existent-ils oupeuvent-ils être conquis, selon vous, pouratteindre ces objectifs ? Quel(s) chemin(s)estimez-vous devoir être empruntés pourréaliser les rassemblements majoritairesà même de les imposer ? »C'est la recherche d'une constructioncommune qui nous a incités à inviter desintervenants et des participants d'hori-zons divers. La qualité des interventions(vous en jugerez par cette première publi-cation) et des débats a été remarquée.Des thèmes récurrents en ont émergé : ladémocratie, la jeunesse, l'Europe, l'ar-gent, le travail, la formation et la culture.Toutefois, des absences ou des faiblessesimportantes sont à noter : les territoires,l'égalité femmes/hommes, le monde,l'écologie n'ont pas fait l'objet d'un véri-table débat.Le succès, aussi bien que les manques decette initiative, nous invitent à continueren décentralisant la démarche au plusprès des territoires et des citoyens et en sedonnant les moyens de la remontée de cequi se dit dans les multiples rencontres deterrain. Il s'agit aussi dans de prochainesconventions nationales de fédérer lesréflexions, d'acter en commun ce quipeut l'être et d'organiser les réflexions surce qui continue à faire débat. En un mot,d'amplifier cette édification citoyenned'un programme populaire et partagé,réfléchi, conçu ensemble pour pouvoirêtre porté ensemble lors des prochaineséchéances électorales et au-delà. n

*Michel Laurent est animateur du LEM , Lieud’étude sur le mouvement des idées.

CONSTRUIRE DU COMMUNLe capitalisme domine la planète mais aujourd'hui le roi est nu. La crise mondiale est la sienne. Mis en cause, ce système apparaît de plus en plus injuste, inefficace, dangereux pour l'humanité etla nature, pour la planète tout entière. PAR MICHEL LAURENT*

ÉDITO

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MARS 2011- HORS SÉRIE - LA REVUE DU PROJET

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QUE CHERCHE LA SOCIÉTÉ ?

Crise de civilisation, crise de la globalisation financière et de lamondialisation libérale, attentes sociales et politiques, apport dela démocratie, le bien vivre comme alternative au mal de vivre,

autant de points analysés dans cette première partie qui justifient la construction politique d’une alternative.

LA REVUE DU PROJET - HORS SÉRIE - MARS 2011

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Que cherche la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

pour penser vraiment. Une politessequi fait taire radicalement le popu-lisme, l'esprit simple des communi-cants, qui tient en respect la vulgaritéde l'exercice politique dans la sociétédu spectacle, pour entretenir une rela-tion de respect, au fond profondémentrépublicaine, avec chacun, chacuned’entre vous, d’entre nous, avec cha-cune et chacun de nos concitoyenneset de nos concitoyens.

CREER UN ESPACE DE RAISONJ’y insiste. Notre problème, quels quesoient nos engagements, n’est pasd’avoir raison mais de chercher la raison.Notre problème est de créer un espacede raison où des millions d’entre nous,travailleurs intellectuels, acteurs dumouvement social, citoyens de ce payspuissent trouver un espace de libertépolitique. Pour atteindre ce but, je veuxvous faire part de deux convictions.D’abord, et particulièrement dans unesociété de grande éducation comme laFrance, l’idée d’un nouvel âge de ladémocratie doit devenir l’une de nosobsessions. Je ne suis satisfait de rienquant à tout ce que nous racontons surla pratique d’un programme partagé etdes changements à opérer dans la viede nos organisations politiques, je nesuis satisfait de rien sauf de l’essentielqui est la volonté de continuer à cher-cher dans le sens d’une démocratieplus ouverte, plus intégrative, plus par-ticipative. Et ainsi, je pense que les pro-blèmes du présent ne doivent pasconduire à régresser vers des concep-tions archaïques de l’action politiqueet citoyenne, elles doivent au contrairenous pousser en avant vers ce qui estl’une des clés de la révolution au XXIesiècle, c’est-à-dire une nouvelle démo-cratie politique et sociale.

Ma deuxième conviction est qu’il estnécessaire, dans le champ de la penséecommuniste et de transformationsociale ou progressiste, de rassemblerun môle de taille critique de personnesengagées signifiant durablement leurvolonté d’un travail sans cloisonautour du projet d’une civilisation plei-nement humaine.

En effet et paradoxalement, la questiondu rassemblement politique est, pourun temps long, principalement en réa-lité la question du rassemblementsocial, tant il est vrai que les forces lesplus nombreuses qui existent ne sontpas dans les partis politiques. Or, nousne résoudrons pas ce problème parl’idée : un chef, un programme, unparti. Nous résoudrons ce problème encousant, en liant, en travaillant, en par-lant, en dialoguant, en cherchant avecsincérité la mise en commun et enmouvement. Il y a ce qui est contingentet ce qui est nécessaire. Ce qui estcontingent, c’est l’actualité politiqueordinaire. Ce qui est nécessaire, à toutle monde et pour très longtemps, c’estparvenir à une unification positive dumouvement critique, c’est-à-dire surdes idées d’avenir à tous les moments,qu'ils soient sociaux ou électoraux.

Je veux conclure ce court propos limi-naire par deux dernières remarques.La première, c’est que les vingt pro-chaines années se résument à l’idée decrise de civilisation ou encore de criseanthropologique, de crise du devenirhumain et de sa niche écologique, laplanète Terre. Notre problème princi-pal n’est pas de mieux traiter la criseécologique, ou la crise du travail ouencore la crise du système productif,mais d’accéder à la pensée de l’ensem-ble. Et la pensée de l’ensemble à mesyeux, c’est que pour la première foisdans l’histoire de l’humanité, notreorganisation sociale par son caractèremondial, par son caractère de« société-monde » fait peser un risqueglobal et majeur sur la survie de l’hu-manité en tant qu’espèce civilisée. Trois exemples à l'appui. Nous vivonsactuellement la sixième phase d’ex-tinction massive des espèces vivantes,bientôt à un rythme plus rapide que lescinq phases géologiques précédentes.Deuxième exemple : certaines prévi-sions, notamment de la CIA, prévoientà court terme des déplacements depopulations de l’ordre de 500 millionsdu fait de la désertification et du cli-mat. Troisième exemple : l’affaiblisse-ment constant des démocraties occi-

PATRICE BESSAC*

Àmes yeux, ce qui est devant nous estrésumé par l’idée que nous sommesentrés dans une nouvelle période

historique dont la caractéristique prin-cipale est le basculement des opinionspubliques de l’acceptation résignée ducapitalisme mondialisé à l’installationd’un doute massif quant à la nature dusystème et au risque de dé-civilisationdu monde. Après plusieurs décenniesde victoire idéologique des forces néo-conservatrices, nous sommes entrésdans l’ère du doute, des peurs, descontestations.Cette ère du doute sur le système capi-taliste, qui provoque à la fois la montéeen puissance de contestations clairescomme de risques de replis multi-formes, aux plans politique, social etreligieux, est l’objet présent de notretravail. Ce qui est devant nous, dura-blement, c’est le débat de solution,c’est-à-dire la formulation structuréedes axes essentiels permettant de pen-ser et de réaliser le changement.À mes yeux, c’est donc cet objectif, par-venir à unifier le mouvement critiquesur la base de nouveaux fondamentauxde la pensée communiste ou de trans-formation sociale ou encore progres-siste, qui conditionne l’idée que l’essen-tiel de la période à venir est de réussir àenclencher un mouvement de travailentre tous les acteurs sociaux, poli-tiques, citoyens qui sont disponibles.

Ce travail, nous plaidons pour qu’il soitplacé sous le signe de la politesse. Oui,une forme de politesse envers nous-mêmes et envers celles et ceux avec quinous voulons travailler. Une politessequi fait taire l'injonction du capita-lisme au mouvement perpétuel, auchangement qui ne change rien, pouraller à la rencontre sans préjugé, sansesprit de domination, de notre proprepensée et de toutes celles qui existentdans le mouvement critique, progres-siste, communiste, transformateur.Une politesse qui fait l'éloge de la len-teur dans les relations humaines etpolitiques, qui prend le risque, parceque c'est urgent, de penser lentement

SOUS LE SIGNE DE LA POLITESSEPour introduire, je veux m’en tenir à une seule question en essayant de placer nos travaux sous le signede l’histoire, de notre intelligence du moment historique et des conceptions les plus profondes qui fon-dent le travail que nous engageons.

MARS 2011- HORS SÉRIE - LA REVUE DU PROJET

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QUE DISENT LES MOUVEMENTS SOCIAUX, LE MOUVEMENT DES RETRAITES ?Quelle que soit l'importance des revendications portées dans ce mou-vement, l'attente sociale va au-delà du seul débouché revendicatif.

thèse de travail des experts mondiauxest celle d’une augmentation desconflits armés. Le courant progressisteet révolutionnaire, à l’échelle nationaleet mondiale, est donc bien placédevant le risque de dé-civilisation dumonde par l’action du gouvernementdes marchés.Ma deuxième et dernière remarque deconclusion est pour dire que chacuneet chacun des acteurs de la prépara-tion de ces rencontres a travaillé avecl’esprit de responsabilité qui doitcaractériser toute entreprise poli-tique. Ces rencontres ont pour but de

dessiner et de partager des idées dontnous aspirons à ce qu’elles présidentun jour aux destinées de la France.Cette conscience de la gravité de nosresponsabilités est en soi un objectifde reconquête et de décolonisationdes esprits : les idées, le mouvement,la famille recomposée que noussommes n’ont pas vocation à jouer lescabris dans un coin, notre vocationest de gouverner la France et de l’en-gager pour changer l’Europe et lemonde. n

* Patrice Bessac est responsable du Projetau PCF

dentales avec comme corollaire lamontée des populismes et, dans lesclasses dominantes, de stratégies decontournement des processus démo-cratiques. Si la source essentielle desdésordres actuels est connue, penserl’ensemble, c’est tenter de dire enquelques mots, par-delà les consé-quences multiples, la cohérence essen-tielles des sociétés actuelles et les défisfondamentaux que l’humanité devraaffronter dans l’avenir.Mesurons qu’à chacun de ces risquesrépond aujourd’hui une tentation derégulation par la force. Et que l’hypo-

globalement parler de crise de société,le paradigme social, lui, ne relève pasdu passé, mais représente un élémentconstitutif de cette crise de société. Jem'inscris en faux contre les prises deposition, notamment celle d'AlainTouraine qui renvoie la dimensionsociale à la société industrielle et aupassé. Ce mouvement a confirmé d’au-tre part que la question sociale enFrance possède une dimension poli-tique particulière. Cela dure depuisplus d'un siècle et, probablement, celadurera encore longtemps.

TROIS ENSEIGNEMENTSJe souhaiterais dégager trois enseigne-ments de ce mouvement, parmi d'au-tres. Le premier enseignement est clair : cen'est pas le sentiment d'échec quidomine chez les salariés, bien aucontraire. Cela peut paraître contradic-toire puisque la satisfaction des reven-dications posées n'a pas été obtenue,la loi étant pour l'instant maintenue.Mais en même temps, les salariés sesentent incontestablement plus fortsqu'ils ne l'étaient avant le mouvement,ils n'ont pas renoncé à demander descomptes aux décideurs actuels et por-tent interrogation sur la confiance àaccorder à ceux qui pourraient demaindevenir décideurs. Trois questions surce fait. Un premier aspect, pour souli-gner ce point, est la capacité de ce

mouvement à susciter un retourne-ment de l'opinion publique en l'espacede trois mois. En juin, une opinionpublique, contrainte ou forcée certes,mais acceptant majoritairement laréforme puis, en septembre, le bascu-lement et 70 % de la population s'estmis à contester la réforme. Ledeuxième aspect est la mise en mouve-ment d'un grand nombre de salariés,entre cinq et dix millions de personnes,pour reprendre le chiffrage du secré-taire général de la CGT, dans des mani-festations successives, onze journées,qui ont donné une force collective aumouvement. D'après moi, la manifes-tation a pris un sens nouveau. Ellen'est plus simplement l'accompagne-ment d'un mouvement revendicatif,mais elle est l'expression du mouve-ment lui-même, d'où ce sentiment deforce ressenti par les participants quidessine en quelque sorte la mesure deces attentes. Troisième aspect : nouspouvons parler de la construction d'un« arc social et intergénérationnel » iné-dit. Ainsi les femmes que le pouvoir avoulu isoler, en prétendant que laréforme allait "améliorer la retraite desfemmes et des mères" ; les jeunes quele pouvoir a voulu opposer en décla-rant « qu’ils allaient manifester contreleurs intérêts " ; les ouvriers que lepouvoir a voulu flatter en disant "nousavons pour la première fois pris encompte la pénibilité " se sont retrouvésdans un même mouvement. Lesseniors sont ceux dont l'opinion estrestée la plus fluctuante, le gouverne-ment n’arrêtant pas de marteler :"Nous ne touchons pas à votre retraite,donc vous n'êtes pas concernés. " Levote de la loi ne clôt pas le dossier. Laresponsabilité syndicale est de dire quenous irons jusqu'au bout et que nous

JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU*

Le temps m'étant compté, je meconcentrerai sur le mouvement desretraites, et commencerai par une

mise en garde. Il ne faut pas plaquer lesgrilles antérieures d'analyse sur unmouvement inédit. Incontestable -ment, le mouvement vécu, et qui n'estpas terminé, contestant la réforme desretraites, est dans le prolongement de1995, de 2003, du CPE de 2006 ; maiscette liste ne peut suffire à dire ce qu'ila de particulier. Il possède une dimen-sion syndicale incontestable que nousavons assumée en tant qu'organisa-tion. Ainsi, la démocratie dans la ges-tion de ce mouvement, les formesd'action, la démarche unitaire, le soucide préserver sa dimension interprofes-sionnelle relèvent des organisationssyndicales. Mais il est clair que, quelleque soit l'importance des revendica-tions portées dans ce mouvement, l'at-tente sociale va au-delà du seul débou-ché revendicatif. Il y a des interroga-tions auxquelles il faut répondre. Jereprendrai l'expression d'AndréChassaigne au meeting de la salleJappy : "La feuille de route est encoreimprécise ", formulation que je faismienne et qui résume bien un certainnombre de questions que nous devonsnous poser. Ce mouvement souligne, àmes yeux, deux choses importantes.Tout d'abord, même si nous devons > SUITE

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LA REVUE DU PROJET - HORS SÉRIE - MARS 2011

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Que cherche la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

cherché à dissimuler ce qui s'était passéen Grèce, ce qui se passait au Portugal,en Espagne, en Irlande, jusqu'aux centmille manifestants contre la réformeallemande, à mi-novembre enAllemagne, événement guère relayénon plus. D'après moi, ce mouvementen Europe pose le défi de renouer avecl'objectif positif qui est de rendre lespeuples européens plus solidaires. Il nepeut pas y avoir plus de justice dans unpays européen s'il n'y a pas plus de soli-darité en Europe, et réciproquement.Le dernier enseignement est que cemouvement, par son existence même,pose la question fondamentale de ladémocratie. Les Français ont rejeté lediktat gouvernemental comme l'in-jonction des marchés financiers. Ils ontrefusé le retournement du Président dela République vis-à-vis de ses déclara-tions de 2007 ou la volonté de faire pas-ser en force la réforme. D'autres élé-ments se sont ajoutés : le climat délé-tère des affaires, des syndicats quasi-ment ignorés, une assemblée nationalemuselée, et une mobilisation partisanede la presse nationale. La protectionsociale est attachée au statut de l'em-ploi et, comme les relations de travail,ce champ relève largement mais pasexclusivement de la négociationsociale. Le gouvernement a voulu lenier, mais il ne pourra pas contournerplus longtemps la question de la démo-cratie sociale. Une autre sous-questionme paraît plus importante aujourd'hui.

Il ne s'agit pas simplement de complé-ter la démocratie politique par unepart plus ou moins grande de démo-cratie sociale dans une optique réduc-trice de démocratie. Ce qui est encause, d'après moi, est le mode d'éla-boration des décisions. Certainesréflexions aujourd'hui, comme cellede Pierre Rosanvallon soulignant lanécessité de générer des contrepoidsaux décisions publiques, me parais-sent être beaucoup trop restrictivespar rapport à cette ambition de trans-formation démocratique. En fait, lemouvement contre les retraites pose leproblème d'une préparation et d'uneélaboration nouvelle des choix collec-tifs. Participer au choix collectif, cen'est pas discuter tel ou tel détaild'une réforme, mais se poser desquestions fondamentales, par exem-ple quelle part de la richesse nationalesommes-nous prêts à consacrer aufinancement des retraites ? Quelsfinancements choisissons-nous ? Il nes'agit pas de viser un consensus certai-nement illusoire, mais de faire s'expri-mer les attentes sociales diverses et dechercher à les mettre en cohérenceavec les réponses adaptées. Le syndi-cat cherche à investir ce débat. Mais lesyndicalisme n'a ni la vocation ni lesmoyens d'aller au-delà d'un certainseuil, la question politique est doncalors posée. n

*Jean-Christophe Le Duigou est syndicaliste

HENRI STERDYNIAK*

La crise n'est pas finie. Les États-Unis et la Grande-Bretagne neréussissent pas à repartir. Et en

Europe, la crise de la dette est plusforte que jamais. La crise est évidem-ment une période de difficultés écono-miques, mais aussi une remise encause de la croissance déséquilibréedes dernières années, une période oùles peuples prennent conscience de lanécessité d'un changement de poli-tique. La crise fait apparaître commedes évidences que la mondialisationlibérale et la globalisation financière

ne peuvent fonctionner et ne permet-tent pas un développement équilibré ;que la construction européenne doitêtre réorientée ; que nous ne sommespas condamnés à avancer vers lemodèle libéral, que ce modèle libéralne fonctionne pas ; que la France etl'Europe doivent défendre un modèlede société original. Et qu'il faut chan-ger de société, changer d'appareil pro-ductif, changer la façon de faire évo-luer la production si on veut éviter lacatastrophe écologique. La crise a faitbeaucoup de victimes et beaucoup decouches sociales ont le sentimentqu'ils peuvent être les prochaines vic-

ne saurions attendre 2012 ou 2013, lerendez-vous fixé par la loi.Le deuxième enseignement a trait à lacaractérisation du mouvement. Noussommes, d'après moi, dans le premiergrand affrontement de la crise finan-cière, économique, sociale ouverte en2007 et en 2008. Pourquoi avancer cettehypothèse ? Je citerai les propos deNouriel Roubini, un des gourous de lafinance internationale, qui a déclaré lasemaine dernière à la chaîne de télévi-sion BBC, commentant la réforme desretraites : "C'est le début d'une politiqued'austérité qu'il va falloir mener au fil dutemps. Si pour un petit changementcomme celui-ci, on note déjà une forterésistance politique en France, qu'al-lons-nous observer lors des réformesradicales ?" Ainsi, constat est fait que cetaffrontement ne fait que commencer.D'ailleurs, suivant l'étude d'opinionsd'aujourd'hui, 70 % des Français consi-dèrent que la crise n'est pas terminée.Au-delà de cette citation, je retiendraitrois explications. Le mouvement forts'est appuyé sur la perception d’uneinjustice aggravée. Le pouvoir n'avaitprobablement pas pris la mesure de laperception collective de cette injustice,ce qui l’a conduit rapidement à annon-cer des ajustements sur le bouclier fis-cal. La question du partage des richessesest posée avec la revendication de taxa-tion des revenus financiers et elle varebondir selon moi avec les problèmesde salaire et le dossier de la fiscalité.La deuxième raison nécessiterait unlong développement. La crise actuelleest une crise du travail. Le mouvement aclairement mis en cause le modèled'emploi des salariés dans notre pays, lesalarié n'étant utile que de trente à cin-quante ans. Cinq millions d'actifs, peut-être plus, sont écartés d'un vrai travail.Destructive des capacités humaines, lalogique du système n'arrive plus à sup-porter la génération de coûts fixessociaux extrêmement élevés ( chomâge,sous-emploi…) Le mouvement a aussistigmatisé le travail déshumanisant endébouchant sur la problématique dutravail à l'entreprise ou dans l'adminis-tration. "Travailler plus pour vivremoins ? Non ! » a été un slogan fort decette mobilisation. Cette exigence d'unnouveau type de progression de la pro-ductivité et d'une transformation dutravail est une composante révélatricedans ce mouvement.La troisième raison est que ce mouve-ment s'élargit à l'ensemble de l'Europe.Les médias ont pendant le mouvement

QUE DIT LA CRISE ?La crise, que nous venons de traverser et que nous continuons àvivre, est une crise de la mondialisation libérale et de la globali-sation financière.

MARS 2011- HORS SÉRIE - LA REVUE DU PROJET

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développement au détriment des par-tenaires, provoque l'endettement desÉtats-Unis et des pays de la zone euroqui contrebalancent les excédents del'Allemagne. La France doit ouvrir unchantier mondial sur la modificationde la croissance, qui doit reposer surles salaires, sur la consommation, surles revenus sociaux et non pas sur laconcurrence internationale, sur lesparts de marché à l'étranger et lesbulles financières. La crise pose laquestion de la construction euro-péenne qui aurait pu défendre l'idéed'une société sociale-démocrate, sur labase d'un modèle de société originale.Au contraire, l'objectif des classesdominantes est d'utiliser cetteconstruction européenne pour faireévoluer les sociétés européennes versdes sociétés de plus en plus libérales,avec de moins en moins de servicespublics et de dépenses sociales. Lacrise a révélé à quel point ce pro-gramme est dangereux. La France doittrouver des alliés, en Europe, dans lesforces sociales de tous les pays, notam-ment dans ceux qui ont les mêmesaspirations, pour réorienter laconstruction européenne vers ladéfense du modèle social européen,d'harmoniser le progrès et d'augmen-ter la solidarité entre les pays del'Union européenne. La crise actuelle,celle des dettes publiques, celle despays du Sud soulignent les dangers dela globalisation financière. Si nousrenonçons, comme le G20 et le prési-dent Sarkozy l’ont fait, à lutter contrecette globalisation, les marchés finan-ciers dresseront des carcans de plus enplus pesants sur les États, sur lesfinances publiques et sur les dépensessociales. Les pays du Sud sont ainsiobligés de pratiquer des coupes clairesdans leurs dépenses sociales,publiques et d'infrastructures, dans lenombre de fonctionnaires, ils sont dece fait victimes d'une catastrophe, quiles condamne pendant une longuepériode à une croissance médiocre, qui

brise leur cohésion sociale et qui dimi-nue le pouvoir d'achat des peuples.Face à cette offensive des marchésfinanciers, la Commission européenneest passive et n'organise aucuneriposte et aucun scénario global. Enréponse à cette passivité, les forces degauche et les syndicats doivent propo-ser une stratégie alternative, reposantsur l'idée que la crise ne doit pas êtrepayée par les peuples, mais par lesriches et par les banquiers. Pourquoidemander aux Irlandais de souffrirpendant dix ans à cause de la faillited'une de leurs banques ? Pourquoi nepas prélever un impôt auprès de toutesles banques européennes pour lesrestructurer et ainsi repenser le sys-tème bancaire de demain, pour enfaire un système beaucoup plus utile etmoins développé.

UN PROGRAMME ORIGINAL ET AMBITIEUX La crise pose un grand nombre dequestions difficiles. La France doit, enréunissant autour d'elle des alliés, sedoter d'une stratégie originale. Cettestratégie se doit d’être européenne etprovoquer des répercussions mon-diales afin de remettre en cause lamondialisation libérale. Le poids de laglobalisation financière et de la mon-dialisation doit pouvoir être diminuédans chaque pays. Les pays émergentsdoivent restructurer leur croissance,qui doit s'appuyer beaucoup plus surleur demande intérieure et non pasêtre au détriment des peuples, pourdétourner aussi l’impact sur l’emploides pays développés. Le programme sedoit d'être extrêmement ambitieux, carla crise met en cause le niveau de vie depays entiers, et de couches impor-tantes de la population. Cette occasiondoit être saisie pour développer unprogramme original, pour obtenir unrassemblement et une adhésionimportante de la population et ainsiavoir une influence en Europe. n

*Henri Sterdyniak est directeur du départe-ment économie et mondialisation de l’OFCE.

times. Et donc il y des alliés importantsqui faut rassembler, en France, enEurope et dans le monde, et on a desarguments importants pour ça.

CRISE DE LA GLOBALISATION FINANCIÈRELa crise c'est d'abord une crise de laglobalisation financière. Le modèlevendu des marchés financiers ne fonc-tionne pas. Ces marchés sont préda-teurs et parasitaires. Ils sont la cause decracks, des booms et condamnentl'économie mondiale à vivre en per-manence dans une ambiance decasino. Nous devons effectuer des pro-positions en vue de réduire l'impor-tance des marchés financiers, pourcloisonner les banques et les marchésfinanciers, pour recentrer les banquesautour de leur métier qui est le crédit etleur interdire de spéculer sur les mar-chés financiers. Sur ces thèmes, il estpossible de rassembler, au-delà dessalariés, des couches importantes de lapopulation, qui trouveront scandaleuxque leur emploi dépende des spécula-tions que font les banques et les orga-nismes financiers. La crise pose laquestion de la domination de lafinance sur les entreprises. On a connuune période où les entreprises ont étégérées de plus en plus dans le seulsouci de l'actionnaire, celui-ci récla-mant des taux de profit exorbitants, del'ordre de 15 %, nuisant de cettemanière aux possibilités de l'entreprised'investir, de former leur personnel etde développer le capital humain. Lacrise fait bien apparaître l'impasse quereprésente cette domination des mar-chés financiers sur les entreprises pro-ductives. Autour de ce thème, on peutrassembler une partie des industrielset des cadres, qui considèrent que lebut de leur travail n'est pas d'enrichirdes actionnaires, mais de développerl'emploi et mener une activité utilepour la société.

CRISE DE LA MONDIALISATION LIBÉRALELa crise est une crise de la mondialisa-tion libérale. Elle met en cause la stra-tégie des pays qui étaient les bénéfi-ciaires de la mondialisation. D'un côté,le développement des pays anglo-saxons présente de plus en plus d'iné-galités sociales, entraînant les bullesfinancières, l'endettement desménages. Tout cela provoque la crisedes subprimes et se répand à l'échellemondiale. De l'autre, la stratégie catas-trophique chinoise et allemande, quiest de rechercher la compétitivité, le

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Que cherche la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

la rencontre de l’élu par les citoyensconstitue toujours une expériencepolitique. La connaissance et la recon-naissance peuvent alors aller de pair.Je pense que le fait d’être femme ou

homme ne pèse plus le même poidsquand nous nous plaçons dans cettemanière de voir les choses. La paritésera plus facile à gagner à cette respon-sabilité, non primaire mais première.Faire vivre les essentiels d’une poli-tique de gauche semble possible auniveau municipal. Chaque ville définitau fil des années sa couleur du tempspar ses affiches, ses annonces, la visibi-lité ou non des services sur son terri-toire, par ses tarifs, par sa capacité àdévelopper la mise au centre des usa-gers dans chaque préoccupationmunicipale. Et ce avant chaque déci-sion, choisie ou dictée par la politiquenationale. Dans les villes, il existe lapossibilité d’une extension dudomaine des droits des personnes :Dans certaines communes, seuls lesenfants des parents qui travaillent ontaccès aux « études du soir » ; dans d’au-tres tous les enfants peuvent y avoiraccès. Je ne déclinerai pas tous leschamps des possibles. Pour cela, il suf-fit de se reporter aux divers pro-grammes ou projets qui sont présentéslors des élections municipales.Cependant, ce n’est pas par cela que seconstruit, que s’appréhende l’essentield’une politique de gauche.

LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVELa démocratie participative sembleêtre la vertueuse pensée développéepar tous les élus, d’une manière oud’une autre. Mais justement, c’estcette manière ou une autre qui estimportante. La démocratie participa-

tive, si elle est une vertueuse pensée,peut être aussi un carcan permettantde mettre au pas la pensée, éloignantainsi les participants de l’essentiel dece que devrait être une politique degauche. La démocratie, pleine etentière, suffit pour définir l’essentield’une pratique politique de gauche. Ladémocratie est participative de fait, etpour qu’elle ne soit pas un morceau dedémocratie assignée au choix des cou-leurs des boîtes aux lettres, il fautqu’elle s’exerce à tous les niveaux etdans tous les lieux. Le développementde la pratique démocratique fait partiede la nécessaire conquête de degrés deliberté. Sont remodelées à chaqueexpérience les capacités à repenser ladémocratie et s’avancer encore, àchaque expérience de préférenceréussie ou pour le moins analysée.Cependant, les lieux possibles dedémocratie vivante, évolutive sont peunombreux. Les mondes de l’entre-prise, de l’éducation, de la santé, de laculture, par exemple sont régis par lacourse aux profits permanents, tou-jours plus performants, toujours pluscastrateurs, déniant tout droit aux per-sonnes d’exister personnellement ouen groupe, sauf parfois au prix d’ef-forts de longue durée, de mobilisa-tions répétées. La dignité, les res-sources des personnes sont mises àmal au nom d’intérêts supérieurs diffi-ciles à identifier, mais marquant lesdestinées humaines, collectives ouindividuelles de leurs talons de ferdestructeurs.Je vais vous raconter une anecdote,courte mais épouvantable : À Bobigny,il y a un quartier avec des centaines delogements sociaux construits suite aucri de l’abbé Pierre en hiver 1954. La

CATHERINE PEYGE*

Cette question est en fait d’unegrande crudité en ces moments depetite histoire, où le divertissement,

les divertissements prennent le pas surce qui devrait être connu de tous etconstruit en commun. Si les organisa-teurs de ce moment de débat ont bienvoulu m’inviter, c’est qu’ils pensent queles maires sont encore dans notre pays,des personnes qui peuvent prendre desinitiatives visibles, faire vivre une concep-tion ou une autre de la politique, affirmerdes partis pris. Je les remercie d’avoirpensé à cela, qui est bien souvent esquivédans le débat politique.

DES ÉLUS DE TERRAINIl est vrai que les réformes territorialessuccessives ne portaient et ne portentpas en elles le respect de ces maires,des élus dits « de terrain », puisqu’elless’emploient avec constance à les fairedisparaître, d’une manière ou d’uneautre. Ce serait d’ailleurs intéressant dedébattre de ce qualificatif « de terrain »caractérisant les maires, parfois lesconseillers généraux mais jamais lesparlementaires de l’une ou l’autrechambre. « Le terrain » serait la proxi-mité, le contact avec les personnes,organisées ou non en associations, ceserait les écoles, les gymnases, les ciné-mas, les vaccinations. En fait, le « ter-rain » serait donc la vie. Il serait doncindispensable que chaque personneélue bénéficie de l’odeur de ce « ter-rain » qui est leur raison d’être et leurlégitimation. Cette incidente a pourmoi beaucoup d’importance, car si lesmaires sont les élus les plus reconnusparmi tous les politiques, c’est sansdoute grâce à ce « terrain » qui fait que

LA « PARTICIPATION » DES CITOYENS À L'EXERCICE DES POUVOIRS : APPORT ESSENTIEL OU DIVERTISSEMENT ? La participation citoyenne est essentielle à la vie politique

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UNE DÉMOCRATIE À CONSTRUIRELa période que nous vivons, marquée,pour aller vite, par ce que certainsappellent la crise économique, et quiest pour la grande majorité des per-sonnes une crise sociale, me renforcedans l’idée que la vie politique est lacomposante essentielle de cette démo-cratie à construire. Redonner le pou-voir à ceux qui en sont exclus, c’estmettre de la politique au cœur de laville, de ses habitants et c’est tout ledéfi de la participation des citoyens àl’exercice des pouvoirs. C’est un défi colossal. Notre pays déve-loppe depuis quelque temps des dénisde démocratie, forts quant à leursrésultats néfastes, et symboliquementtrès graves comme le non-respect desparlementaires, ces élus considéréspar la nomenklatura politique commeloin du terrain. C'est-à-dire hors solcomme les tomates qui n’ont pas degoût. Chaque élu, à chaque niveauqu’il travaille, se doit de libérer laparole des interlocuteurs qu’il peutavoir, les multiplier, aller en rechercherde nouveaux. C’est ainsi que de nou-velles idées peuvent naître, être misesen commun et progresser. C’est ainsique la passion pour la cité, au sens grecdu terme, peut devenir intérêt pour lapolitique. Pour la politique de la vie,celle qui est utile pour vivre ensemble,en recherche d’harmonie ? Voire –pourquoi pas – de bonheur.

L’EXPÉRIENCE DES PERMANENCESBobigny, comme beaucoup de villes iciet ailleurs, concentre de la pauvreté, dela précarité. Je reçois sans rendez-vousune fois par semaine des dizaines depersonnes qui viennent m’exposerleurs réalités. Il s’agit de questions desanté, d’éducation, de travail, surtoutde logement. Chaque personne m’ap-porte en général la preuve que,quelque part, le principe d’égalitéentre les individus a été bafoué. Cesrencontres en tête à tête font partie dela démocratie dans la ville. Permettre laprésence de la maire, ouvrir un dia-logue direct afin que chaque personne,électrice ou pas, puisse m’interpellerquand elle le souhaite, c’est le droit dechacune et chacun. C’est mon devoirde répondre à tous et à toutes. Je peuxréorienter la plus grande partie desvisiteurs vers les services municipauxcompétents et trouver les interlocu-teurs autres qui pourront tenter defaire avancer les questions posées. Laqualité du dialogue, la rapidité de la

réponse, même une simple réorienta-tion, ont parfois plus d’importance quela solution même. Cela prouve com-bien les personnes dans notre payssont toujours surprises d’être écoutéeset entendues. Il s’agit pour moi, parl’expérience des permanences sansrendez-vous, de faire ressortir la possi-bilité de la fraternité, la possibilité del’égalité. Mon ambition, par ce travail,car c’est un travail difficile, n’est pas defaire encore plus fort en démagogieque ceux qui nous gouvernent, commeaime à le proclamer l’opposition dansma ville. Il ne s’agit pas d’annoncer ensecret des promesses qui ne serontjamais tenues, mais d’évoquer desdroits et leurs élargissements. Il s’agitde tisser des liens, de ces liens qui nes’achètent pas au rabais.

ORGANISER UNE DÉMOCRATIE VIVANTELa construction démocratique passe partous les domaines de la vie. Il faut sansrelâche remettre l’ouvrage sur le métier.Pour les nouveaux arrivés dans la ville.Pour celles et ceux qui y ont grandi etveulent prendre la parole, avec l’espoirqu’ils portent en eux. Pour ceux qui setrouvent intéressés tout à coup par unequestion particulière, par des nouveauxprojets, ou bien touchés par descraintes. Chaque occasion de rencontrepeut être objet de pratiques démocra-tiques. Ce mode de travail nécessite del’énergie, un groupe de direction uni etconvaincu de l’apport précieux dechaque individu, comme il est, où il est.La démocratie vivante nécessite de l’or-ganisation. Elle a aussi un coût, car ellen’est pas naturelle. Les structures per-mettant ce travail de fond doivent pou-voir évoluer, comme évolue la penséecollective quand elle est nourrie de l’in-telligence elle aussi collective. Il s’agitd’instaurer au fil du temps des ritescitoyens intéressants, inventifs, permet-tant à toutes celles et ceux qui le veulentd’approfondir des questions, d’êtreinformés d’abord, tous d’une manièreégale, de formuler leurs questions, leursremarques, d’élaborer des réponses, dessuggestions ou bien de penser des idéesnouvelles. La démocratie sous cetteforme ne s’arrête pas aux frontières de lacollectivité et chaque question posée esttraitée ensemble, avec ses causes et sesconséquences. Et ce n’est pas parce quele président de la République a commisdes discours paralysant l’égalité, commesa péroraison de Grenoble, qu’il estinterdit de faire vivre, partout où c’estpossible, des combats comme celui du

cité en question qui porte le joli nomde l’Étoile fait partie d’un programmeplus large de rénovation urbaineincluant des constructions-démoli-tions, la création de logements étu-diants dans une tour réhabilitée, l’ou-verture du quartier vers le centre ville.Dans la cité, le tram est à deux pas,mais la voirie est trop étroite pour quedes bus circulent. Un beau projet a vule jour, il y a quelques années. Un pro-jet travaillé avec les habitants, sous laforme d’ateliers urbains, avec unetroupe de théâtre en résidence, desfêtes de quartier, de rencontres avecles élus. Le projet est né, respectantmême les contraintes budgétaires. Àcette occasion les canons de la démo-cratie participative ont été respectés etenrichis, à la satisfaction générale etmême sûrement celle des trois minis-tres de droite signataires de cetteaction au titre de l’Agence Nationalede Rénovation Urbaine. Fin juillet, unepartie des habitants devant déména-ger était déjà en train de faire ses car-tons quand un avis du ministère de laCulture tombe comme un couperet :interdiction de faire quoi que ce soitdans cette cité considérée tout à coupcomme un joyau de la nation !L’architecte Candilis, connu et res-pecté, a théorisé sur le logement socialil y a soixante ans. Il avait fait un bontravail par rapport aux contraintes(pas plus d’un million de centimes parappartement). Cependant il ne don-nait lui-même pas plus qu’une cin-quantaine d’années d’espérance devie à son œuvre. Et il avait raison, vules conditions de vie actuelle danscette cité ! Voilà l’Étoile gelée dans samisère, pour on ne sait combien detemps, avec de vives inquiétudes ausujet des financements à venir, unjour… La population de l’Étoile,championne de France toute catégoriede la démocratie participative, s’estvue bafouée, méprisée. La démocratieparticipative, dans ces conditions, estune histoire dont on ignore si elle sefinira bien ou pas, dont on ignore ledevenir. Cette interrogation est valableaussi bien pour les participants,comme pour les organisateurs. La par-ticipation des citoyens, n’est-elle pasalors un « divertissement », qui leséloigne des discours et des décisionsdes ministres du Logement successifs,des ministres de la Culture, eux aussisuccessifs ? De tout ce qui est structu-rant ? Et parfois pour un long moment.Irréversible ? > SUITE

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Troisième remarque : j’ai parlé précé-demment de continuité. Je précise, carc’est l’essentiel, qu’il s’agit pour GuyMichelat et Michel Simon, d’étudier, jeles cite, « les systèmes d’attitudes, dereprésentations et de valeurs qui, asso-ciés aux comportements politiques,permettent d’en interpréter le sens etd’en comprendre les transformations. »

La présente recherche part de l’interro-gation suivante : « Trois ans après lesscrutins de 2007 et deux ans après « l’oc-tobre noir » de 2008, quels changementsdans les préoccupations et les inquié-tudes des Français, leur vision du mondesocial, leurs orientations éthiques etculturelles, leur rapport au politique ? »Au fond, quoi de neuf dans la sociétéfrançaise, sous le double effet du « sarko-zysme » au pouvoir et de la crise ?

Enfin, quatrième et dernière remarque,la restitution organisée aujourd’hui n’estvraiment qu’une première étape. Etdonc, mon propos devant vous égale-ment. Michel Simon et Guy Michelatvont poursuivre leur travail, et il feral’objet d’une publication, sans douterelativement dense, de la FondationGabriel-Péri dans les semaines à venir.A ce stade, que nous dit l’enquête ? Jeferai sept observations.

1 • Le maintien, à un niveau élevé, dusentiment d’appartenance à une classesociale, avec une poussée accentuée del’identification à « classe moyenne »,tandis que se confirme le « déclasse-ment » de « classe ouvrière ».

Je donne trois courtes séries de chif-fres, qui intéressent la longue période1966 - 2010.• Le sentiment d’appartenir à uneclasse sociale varie peu : 61 % en 1966 ;64 % en 2010.• Mais pour la classe ouvrière, en 1966 :23 % de réponse (la plus fréquente àl’époque) contre 6 % en 2010.• Pour la classe moyenne, 13 % deréponses en 1966 ; en 2010 : 38 % deréponses (la plus fréquente aujourd’hui).De telles évolutions, en vérité de telsbouleversements, en disent long surles changements non seulement objec-tifs mais aussi subjectifs intervenusdans la société française.Et une première question se trouveposée : « Quelle signification les per-sonnes interrogées donnent-elles elles-mêmes aux réponses qu’elles fournis-sent, et notamment au fait de se direappartenant à la « classe moyenne » ? Etaussitôt une deuxième question, nonindépendante de la première : « Faut-ilconclure à la disparition de toute notion

MICHEL MASO*

Je vais évoquer quelques-uns des résul-tats de l’enquête que la FondationGabriel-Péri a fait réaliser en juin

dernier auprès d’un échantillon de 1504personnes et dont nous avons confié leterrain à la SOFRES. Mais avant, je vaisfaire quelques remarques – quatre entout – à propos de la genèse et des objec-tifs de cette enquête.

D’abord, je veux indiquer que l’élabora-tion du questionnaire, puis à présentl’exploitation des réponses, ont étéconfiés à deux sociologues que beau-coup d’entre vous ici connaissent : GuyMichelat et Michel Simon. Dans l’élabo-ration du questionnaire, ils se sontefforcés de rester dans la continuité destravaux de recherche qu’ils mènentdepuis le milieu des années 60. C’est en1966, précisément, qu’ils les ont débutésavec une première enquête, à l’initiativede la direction du PCF de l’époque. Etdans l’effort d’interprétation dont ils ontcet après-midi à la Fondation livré,comme ils le disent eux-mêmes, un« premier regard », ils ont pu, pour ungrand nombre de questions, solliciterparfois jusqu’à vingt enquêtes, réaliséesentre 1962 et 2010, afin de suivrecertaines évolutions.

INQUIÉTUDES, DYNAMIQUES IDÉOLOGIQUES, ATTITUDES POLITIQUES, QUOI DE NEUF EN 2010 ?Résultats d’une enquête SOFRES élaborée et exploitée par Guy Michelet et Michel Simon à la demandede la fondation Gabriel Péri.

droit des jeunes et des moins jeunes à seconstruire un parcours de vie réussieavec le collectif « ville » ou bien « dépar-tement » et – pourquoi pas ? « circons-cription ». Et ce n’est pas parce qu’àDakar, la même personne a tenu despropos insultants à l’égard des Africains,que nous ne devons pas, et même plusque jamais, nous battre pied à pied pourle droit de vote des immigrés qui symbo-liserait, là encore, le respect du citoyen,celui qui vit et agit dans la cité. Sous diverses formes, de diversesmanières, il faut réunir, entendre,écouter, nous enrichir de la pensée etde la parole des uns et des autres. Lesjeunes, peuvent ainsi participer auxdébats politiques. Les femmes sonttrès nombreuses à formuler, et le plus

souvent avec talent, ce qu’elles souhai-tent, ce qu’elles veulent. La pratiquedémocratique doit être évaluée, et cen’est pas toujours le plus simple.Parfois, je me compare à une desDanaïdes remplissant consciencieuse-ment son tonneau. Parfois, la clair-voyance de certains de mes interlocu-teurs me laisse émerveillé e. Je me pro-nonce clairement : la participationcitoyenne est essentielle à la vie poli-tique. Je tiens à préciser le sens du motque j’emploie : essentiel, car relatif àl’essence. La vie politique exprime deschoix marqués, des choix de société,des choix de vie. La démocratie est unde ces mots malmenés par l’histoiremais qui a, je pense, de beaux joursdevant elle. La démocratie implique le

partage des savoirs, pour comprendre ;et le partage des pouvoirs devient alorsune aspiration partagée.J’aurais souhaité aborder les rapportsdes élus avec la démocratie, celle qui secristallise le jour des votes….C’est unautre sujet. Je dirai simplement quepermettre de réunir les conditionspour que l’expression populaire soiteffective redore le blason de la poli-tique, couche par couche. Nous pou-vons partager avec des personnesengagées, avec des observateurs bien-veillants, neutres, voire des opposants,l’assurance qu’il existe d’autres possi-bles que le repli, la peur, le mépris, latriade de la régression humaine. n

*Catherine Peyge est maire de Bobigny

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« très inquiets » ; 2010, 55 %• augmentation du nombre des étran-gers en France : « beaucoup » reflue de40 % en 1998 à 35 % en 2001 ; 27 % en2010.En 2010, c’est le chômage qui suscite leplus d’inquiétude ; la crainte des étran-gers est en queue de peloton.Ces résultats ne conduisent nullementà minimiser la diffusion de ces craintes,ni surtout le potentiel de réactivationdont témoignent les réponses. Mais ilsincitent à relativiser ce qui en est dit partant de gens qui croient pouvoirdéduire ce que pense le peuple à partirdu temps d’antenne consacré à tel outel sujet par les journaux télévisés. Ilsaident notamment à comprendre pourquelles raisons de fond des opérationscomme le montage « identité natio-nale » ou l’expulsion discriminatoiredes Roms n’ont connu dans l’opinionqu’un succès au mieux éphémère.

5 •Nouveau recul de l’adhésion à l’idéo-logie libérale.Là aussi, très vite, quelques chiffres :• La Bourse : sa connotation négativepasse de 29 % en 1988 (40 % de positif),à 74 % en 2010• Privatisation : négatif : 36 % en 1988,62 % en 2010• Nationalisation : positif : 37 % en1993, 51 % en 2010• Capitalisme : négatif : 50 % en 1988,64 % en 2010Dans une enquête internationale, réaliséepour le compte de la BBC dans l’été 2009,la France est, de tous les pays compara-bles, celui où on estime le plus que lecapitalisme de libre-échange est fonda-mentalement dans l’erreur et qu’on abesoin d’un autre système économique.Cela dit, comme quoi rien n'est simple,les mots profits et libéralisme ne sontpas autant décriés que ce à quoi l’onpouvait s’attendre.• Profits n’est rejeté qu’à 53 %• Libéralisme est jugé positif à 55 %(mais marque un fléchissement).Mais ces mots, en particulier libéralisme,n’évoquent peut-être pas forcément, pournombre de gens, la même chose que pourla minorité plus impliquée dans la réflexionet l’intervention économique et politique.

6 • Changer la société.• À la question : « Pensez-vous qu’il fautchanger complètement la société ? », laréponse passe de 46 % d’approbationen 2007, à 56 % en 2010.• Mais peut-on le faire ? Nous avons poséla question : « Malgré la mondialisation

et la crise, on peut tout de même amé-liorer les choses en France en prenantles mesures qui s’imposent » : 89 %« d’accord » (dont 38 % de « tout à fait »).• Enfin, nous avons « testé » la popula-rité de trois mots : Écologie : 85 % depositif ; Socialisme : 56 % de positif ;Communisme :18 % de positif (et 76 %de négatif).Sur ce dernier mot, notons une certainestabilité depuis 1998 et aussi le fait quele « positif » recueille 27 % chez les 18-24 ans.Dernière remarque, et non la moindre…

7 • La crise du rapport au politique, ausens institutionnel du terme, atteint unniveau sans précédent. Quelques exemples :

• Un discrédit massif des responsablespolitiques.Depuis 1978, on demande aux gens dansquelle mesure les responsables poli-tiques se préoccupent (ou non) de ceque pensent les gens comme eux.1978 : 15 % de « pas du tout » ; 2010 : 42 %1978 : 36 % de « ils s’en préoccupent » ;2010 : 16 %

• Ceux qui ne font confiance ni à la droite,ni à la gauche pour gouverner sont, en2010, massivement majoritaires, à 69 %(contre 48 % en 2007).

• Enfin, on constate que les générationsrécentes sont rétives à s’identifier à un« bord » politique plutôt qu’à un autre.Plus on est jeune, moins on se dit à droite(13 % chez les 18-24 ans, contre 30 %chez les 65 ans et plus) ou au centre. Maison ne se déclare pas davantage à gaucheni (ce qui peut étonner) très à gauche(pas plus d’ailleurs que très à droite). Dela sorte, la montée de ni à gauche ni àdroite quand on passe des plus âgés(19 %) aux plus jeunes (44 %) est fran-chement impressionnante. Un mondesépare, sous ce rapport, les générationsanciennes des plus récentes.Voilà, j’en ai terminé, en ayant conscienced’avoir été trop lapidaire…J’espère cependant que ces quelquesindications seront utiles aux débats dece week-end. Surtout, vous pourrezretrouver l’enquête intégrale sur le sitede la Fondation (www.gabrielperi.fr)puis, la note de la Fondation Gabriel-Péri que signeront Michel Simon et GuyMichelat. n

*Michel Maso est directeur de la FondationGabriel-Péri

d’opposition de classe, dans une sociétéqui serait enfin recentrée et apaisée ? »Le sujet est à débattre…

2 • Une très forte progression du senti-ment de « mal-vie »Au point où nous sommes peut-êtredans un autre monde !• 1966, 45 % disent avoir « l’impressionde vivre mieux »; 2010, ils ne sont plusque… 12 %• 1966, 28 % disent « moins bien » ;2010, ils sont… 72 %Cela ressemble à un séisme et on note,d’autre part, que si sur la longuepériode il y a parfois des rémissions –nette en 1982, avec le premier gouver-nement Mauroy – c’est entre 2001 et2010 que ce sentiment de mal-vie bon-dit, passant de 44 à 72 %.Enfin, ces évolutions s’effectuent defaçon quasi parallèle dans tous lesgroupes sociaux : « moins bien » passede 35 à 63 % chez les cadres/profes-sions intellectuelles supérieures ; de 47à 77 % chez les employés; de 51 à 74 %chez les ouvriers.Et, là aussi, trois questions au moinssont posées :• Quel est le contenu vécu de ce senti-ment de mal-vie ?• En fonction de quelles « grilles idéolo-giques » les individus lui donnent-ilsun sens ?• Quelles conclusions en tirent-ilsquant à leurs choix politiques ?

3 • La poussée des inquiétudes socialeset économiques va nous permettre d'yvoir plus claire.Juste quelques chiffres.• Le chômage inspire 73 % de « beau-coup d’inquiétude »• La baisse du pouvoir d’achat : 64 %(52 % en 2001)• La puissance sans contrôle des mar-chés financiers internationaux : 62 %(contre 41 % en 1998; 49 % en 2001)Et ces évolutions sont, elles aussi, repé-rées dans toutes les catégories sociales.Même, elles sont au maximum chez lescadres et professions intellectuelles.

4 •Les inquiétudes liées à l’absence d’au-torité, à l’insécurité et au risque d’être« envahis » par les étrangers ne gagnentpas du terrain ; leur intensité est enbaisse.C’est intéressant parce que, compte-tenu de la gravité de la crise, on auraitpu penser le contraire. Ainsi, l’inquié-tude par rapport à :• insécurité et violence : 2001, 76 % de

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Que cherche la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

DÉMESURE ET MAL DE VIVRECela renvoie à quelque chose qui, jecrois, est très profond et se situe au cœurdes différentes facettes de la prétenduecrise, qui permet de prendre en compte,aussi bien la dimension écologique quesociale ou financière, mais aussi cultu-relle, des phénomènes de domination.Si vous prenez les différentes facettesqui les unifient, nous observons laprésence d’un couple : celui formé parla démesure et le mal de vivre. Parexemple, c’est la démesure dans lesrapports à la nature qui est au cœur detous les dérèglements : le dérèglementclimatique et les atteintes majeures à labiodiversité font partie de ses manifes-tations. C’est aussi la démesure qui estau cœur de l’aggravation des inégalitéssociales. À l’échelle mondiale, quand225 personnes possèdent une fortuneéquivalente à celle de 2,5 milliardsd’êtres humains, c’est de la démesure.Au cœur de nos propres sociétés, quandles rapports, qui étaient de 1 à 35 aumaximum dans les inégalités, devien-nent des rapports de 1 à 300, voire de 1à 1000, c’est également de la démesure.Elle est, évidemment, au cœur de la crisefinancière qui était évoquée d’entrée dejeu au cours de cette table ronde.Sachons par exemple que, sur lesmarchés financiers, la part des transac-tions qui correspondent à des biens età des services réels représente moins de3 % des échanges financiers et la partspéculative 97 %. Mais derrière cettedémesure il y a, et cela est moins évoqué,du mal de vivre et de la maltraitance. Leprogramme des Nations unies pour ledéveloppement l’avait clairementexprimé dans son rapport de 1998lorsqu’il avait établi le rapport entre lesressources qui auraient été nécessairesà l’époque pour traiter les besoins fonda-mentaux de l’humanité : l’accès à l’eaupotable, la faim, les soins de base et lelogement. Il avait ainsi mis en évidencequ’à l’époque il aurait suffi de 40milliards de dollars supplémentaires paran, alors qu’au même moment où, selonla thèse qui affirmait que les caissesétaient prétendues vides, l’on préten-dait ne pas trouver ces sommes, on était

capable d’en trouver dix fois plus pourla publicité (400 milliards de dollars),dix fois plus a minima pour l’économiede la drogue − je dis à minima puisque,évidemment, la part souterraine estimportante − et vingt fois plus (800milliards de dollars) pour l’armement.Or, quelle est la caractéristique essen-tielle de ces trois budgets ? En ce quiconcerne l’économie de la drogue, il estclair que c’est la gestion économiquedu mal-être. Sur l’économie de l’arme-ment, nous savons bien que la majoritédes dépenses ne sont pas des dépensesde protection, mais de gestion de lamaltraitance, de la peur et de la domi-nation. Si nous abordons la publicité,que fait-elle essentiellement ? Elle n’or-ganise pas de grandes campagnesmondiales d’information, là où ce seraitnécessaire − sur l’eau, la faim, les soinsde base, etc. − et pour soutenir les orga-nisations locales ou internationales quiporteraient ces problématiques-là. Lapublicité a pour effet principal d’êtreune gestion consolatrice des effets d’unetriple rupture. Tout d’abord celle durapport à la nature : plus il y a dedestruction écologique, plus la publi-cité met en scène la beauté. Ladeuxième rupture concerne la destruc-tion du rapport à autrui : plus il y a derivalité, de compétition, de stress et detension dans les rapports à autrui, plusla publicité met en scène de l’amitié, del’amour, de l’harmonie, de la paix, etc.Et troisièmement, plus il y a de destruc-tion du rapport dans la vie intérieuredes individus, plus la publicité met enscène de l’authenticité et de la sérénité,correspondant à un rapport à soi trans-formé. Au sens fort du terme, ce sontdonc des dépenses consolatrices etcompensatrices. Cela correspond toutà fait à ce que Catherine Peyge évoquaittout à l’heure sous la catégorie du diver-tissement.L’une des fonctions de la domination,c’est aussi le divertissement. Si l’onétablit ce lien entre la question de ladémesure (sur les plans écologique,financier et social) et la question dumal-être, de la maltraitance et du malde vivre, nous percevons mieux que lesstratégies dynamiques à mettre en placesont du côté de la soutenabilité écolo-gique et de l’acceptation des limites parrapport à cette démesure, du côté de larégulation financière par rapport à ladémesure des marchés financiers et ducôté de la reconstruction de la logiqueégalitaire par rapport à la démesure desinégalités.

PATRICK VIVERET*

Cqui vient d’être dit au cours de cettetable ronde et notamment lors del’enquête montre bien que l’on ne

peut pas raisonner selon un modèlebinaire. Le fait qu’il y ait, par exemple,un recul de l’idéologie libérale n’entraînepas symétriquement une remontée dece qu’était l’idéologie socialiste. Le faitqu’évoquait Jean-Christophe LEDUIGOU, qu’il n’y a pas de sentimentd’échec du mouvement social, n’im-plique pas pour autant qu’il y ait un senti-ment de victoire. C'est-à-dire, on est dansune situation où il y a besoin de faireintervenir des éléments tiers et il mesemble que, au fur et à mesure des inter-ventions, l’un des éléments clés, c'estjustement la question de la capacité,aussi bien individuelle que collective, àreprendre du pouvoir sur sa propre vie.D’où le fait que le titre de mon interven-tion « Qu’allons-nous faire de notrevie ? », qui pourrait donner le sentimentque c’est une question purement person-nelle, est en réalité une question de plusen plus collective, sociétale et même poli-tique, au sens le plus fort du terme.Pourquoi cette question du choix de vie,de reprise du pouvoir sur sa propre vie,devient à ce point déterminante ?D'abord parce que les sentiments deslogiques de domination, quelles quesoient leurs formes − économique, maisaussi politique, culturelle, de genre, lephénomène du patriarcat − ont commecaractéristique fondamentale de prendrele pouvoir sur la vie d’autrui. Ceci est,d’ailleurs, au sens fort du terme, la défi-nition de l’aliénation et qui mériteraitd’être revisité. Du même coup, face à deslogiques de domination qui s’exprimentpar de la prise du pouvoir sur la vie d’au-trui, les logiques d’émancipation se carac-térisent par la volonté de reprendre dupouvoir sur l’ensemble de sa vie. Il nes’agit pas simplement d’agir sur le rapportentre capital-travail et sur la capacité àréguler face à des logiques de dérégula-tion. Tout ceci est vrai, bien sûr, mais plusfondamentalement, il existe cette ques-tion de la logique émancipatrice parrapport à la logique dominatrice.

QU’ALLONS-NOUS FAIRE DE NOTRE VIE ?Depuis la naissance jusqu’à l'accompagnement de la mort, le droitde tout être humain à vivre intensément sa propre vie et à en faireune œuvre devient un objectif de transformation collectif tout autantqu’un enjeu de transformation personnel

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de tout être humain à vivre intensémentsa propre vie et à en faire une œuvredevient un objectif de transformationcollectif tout autant qu’un enjeu de trans-formation personnel. Il me semble à cemoment-là que nous retrouvons là uneactualité conforme à l’un des objectifshistoriques du mouvement ouvrier lui-même : le mouvement de l’œuvre et passimplement un mouvement du travail.La capacité de tout être humain à fairede sa vie une œuvre, à devenir artiste desa propre vie, à prendre au sérieux laquestion du métier qui ne se réduit pasà la notion de l’emploi, du travail ou dujob. Le métier, au sens du compagnon-nage, c’était le ministère mystérieux. Ledroit au métier n’est pas sur l’axe du« qu’est-ce que vous faites dans la vie ? »mais sur celui du « que faisons-nous denotre vie ? » C’est pour cette raison quel’objectif historique du mouvementouvrier était également le dépassementdu salariat. Ces éléments, paradoxale-ment, commencent à trouver une actua-lité parce que la nature même de laréponse aux logiques de démesure, demal de vivre et de maltraitance, exige dese placer sur le terrain du bien vivre etde penser l’ensemble des terrains surlesquels cette capacité à se mettre deboutet à vivre intensément sa propre vie esttout à la fois un objectif personnel etcollectif.Il me semble que si nousrassemblons tous ces éléments, nousvoyons bien qu’une stratégie dynamiqueest possible. Il s’agit de celle que, parexemple, dans le cadre de nombreuxacteurs de l’économie solidaire, nousappelons le trépied du rêve. Le rêvereprésente alors l’articulation avec larésistance créatrice, celle-là même qui

va dire « non » à l’inacceptable soustoutes ses formes, celle-là même qui vadire, comme Stéphane Hessel, « Indi-gnez-vous ! » Mais cette résistance créa-trice doit être également articulée à unevision transformatrice qui pose cettequestion de société du bien-vivre en tantqu’alternative à la maltraitance. S’il n’ya pas une telle articulation, la lutte risquede tourner à la révolte désespérée.

L’EXPÉRIMENTATION ANTICIPATRICELe troisième pilier est celui de l’expéri-mentation anticipatrice. Sans attendreles transformations structurelles qui sontcelles de sociétés du bien vivre, il estpossible, ici et maintenant, d’aller plusloin dans la réalisation de ce type deprojet, comme lorsque le mouvementouvrier était capable à la fois de luttercontre les formes inhumaines des débutsdu capitalisme industriel et d’imaginerun autre monde, y compris avec la visiond’une future sécurité sociale et sansattendre de réaliser les caisses de secoursmutuel, les bourses du travail ou l’orga-nisation syndicale. Nous sommesaujourd’hui, me semble-t-il, dans unesituation où les mouvements sociaux etles mouvements démocratiques et l’ar-ticulation entre les enjeux sociétaux etpolitiques est fondamentale pour laqualité démocratique. Elle vise à aller leplus loin possible dans l’articulation desrésistances, des visions transformatriceset des expérimentations anticipatrices.Alors, à ce moment-là, le droit à prendreen charge sa propre vie et à faire del’émancipation une lutte dynamiquecollective devient porteur d’espérance. n

*Patrick VIVERET est philosophe, présidentde l’Observatoire de la décision publique

LE BIEN-VIVREIl faut, évidemment, faire tout cela, maisil faut également traiter la question dumal de vivre et de la maltraitance. Dumême coup, le débat né dans les forumssociaux mondiaux traite des sociétés dubien-vivre. Je pense en particulier auforum social mondial de Belém, dansl’Amazonie brésilienne, à l’initiative despeuples indigènes. La question du bien-vivre comme alternative au mal de vivredevient une question politique et socié-tale et pas simplement une questionindividuelle. Elle conduit, en mêmetemps, à revisiter les approches tradi-tionnelles des forces critiques à l’égarddu capitalisme, qui étaient essentielle-ment centrées sur le rapport entre letravail et le capital. Elle ne se contentepas de repenser la redistribution desrichesses − qui est bien sûr parfaitementnécessaire − mais elle pense différem-ment la nature de la notion de richesseet d’activité.Aujourd’hui, la définition statistique etéconomique de l’activité représente enmoyenne 11 % du temps total de la vie.La quantité des activités, qu’elles soientdomestiques, associatives exprimées parle bénévolat, et l’ensemble des transfertsde connaissances ou de savoirs nonmarchands, tous ces éléments-là sontinvisibles dans la représentation et lecalcul de l’activité, au sens, par exemple,du produit intérieur brut.

UNE STRATÉGIE ÉMANCIPATRICENous ne pouvons avoir des stratégiesdynamiques et émancipatrices que sinous nous plaçons sur l’ensemble destemps de vie, depuis la naissance jusqu’àl'accompagnement de la mort, le droit

MARS 2011- HORS SÉRIE - LA REVUE DU PROJET

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N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

PEUT-ON CHANGER LA FRANCE

DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI ?

Le combat politique pour réorienter l'Europe, la recherche d'une autre civilisation visant en particulier

l'émancipation des marchés du travail, de la finance et des productions, la compatibilité entre égalité des droits,

progrès social et enjeux écologiques, la place de la jeunesse sont les éléments forts de cette partie.

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même dans le préambule de la chartedes droits fondamentaux…

Deuxième fondement. Nous devonssortir de l’hyper concurrence et dudéfaut de solidarité dans la construc-tion européenne. Nous sommes face àune concurrence entre tout le monde,une guerre de tous contre tous, y com-pris entre États membres. L’Allemagne,principal partenaire de la France, n’hé-site pas à lui mener une guerre com-merciale. L’Irlande, avant l’effondre-ment, menait une guerre fiscale à sespartenaires en offrant aux entreprisesqui acceptaient de s’installer sur sonterritoire un impôt sur les sociétésdeux à trois fois moins important quela moyenne européenne. Il n’y pas desolidarité, non plus, dans la « zoneeuro » qui est totalement incapable degarantir un taux d’intérêt égal à sesÉtats membres et l’écart devient fara-mineux dès lors qu’un pays est évaluéde façon négative par les agences denotation. Troisième fondement. Modifier en pro-fondeur ce que j’appellerai « le déni desouveraineté ». Par exemple, le modèlede développement libéral est fixé dansles traités européens, alors que celadevrait dépendre d’un choix au suf-frage universel. C’est pour cela quevous voyez toujours se réaliser lamême politique alors que des gouver-nements différents se succèdent. C’estl’un des problèmes majeurs de la crisepolitique que nous connaissons. Demême, il y a des lieux de pouvoir trèsimportants qui sont dans les faits etmême de droit, comme la BCE et sonintouchable indépendance, inaccessi-bles aux citoyens et à leurs représen-tants. Le comble est atteint avec lamise sous tutelle d’États entiers,lorsqu’ils sont confrontés à des pro-blèmes financiers majeurs. Donc, enréponse à la première question, laréponse est claire, la réorientation del'Union européenne est l'un des fonde-ments essentiel d'un véritable projetde gauche.

UN COMBAT POLITIQUECe qui nous amène à la deuxièmequestion, éminemment beaucoup pluscomplexe. De quelles marges demanœuvre nous disposons et quellessont celles que nous devons conquérir

afin d’obtenir ces transformationsindispensables à la réussite d’un projetde gauche ?Si nous ne voulons pas toucher auxtraités, les possibilités d’évolution sontpour le moins minimes, sinon insigni-fiantes. Si nous acceptons la démarchequi consiste à se diriger vers desréorientations profondes, nous devonsnous persuader qu’il s’agit d’un com-bat politique, organisé et de longuehaleine. Je pense que nous pouvonssérieusement dire aujourd’hui que,même si cela va être une rude bataille,c’est envisageable et ceci pour plu-sieurs raisons, de plus en plusactuelles :La crise du modèle libéral européendans les faits, mais aussi dans lesconsciences. Dans les faits, nous n’avions jamaisentendu quelqu’un comme le prési-dent du Conseil européen, MonsieurVan Rompuy, dire publiquement que lazone euro lutte pour sa survie. Celas’apparente à briser un tabou mons-trueux. Idem pour le Figaro Économiede mardi dernier qui illustrait toute sapremière page d’un jeu de dominos enpleine culbute et titrait : « À qui letour ? » L’aveu est terrible ! Et pouréclairer mon propos sur la crise dansles consciences, je citerai l’anciencommissaire européen Mario Montiqui, dans un rapport officiel remis auprésident de la Commission euro-péenne, écrit au sujet de l'Europe :« Jamais le marché unique n’a été aussiimpopulaire ; il y a une vraie contesta-tion. » Il y a malheureusement un telécart entre ce que promettaient lestraités, je cite celui de Lisbonne :« L’Union européenne a pour but depromouvoir le bien-être de ses peupleset d’établir entre eux une union sanscesse plus étroite » et ce que les gens vivent ! La réalité en Europeaujourd'hui c'est l’austérité exacerbée,la course au moins-disant, la guerre detous contre tous, etc.L'état du monde est à la fois un pro-

duit et un vecteur au sein de l’Unioneuropéenne. Même si c’est encoreplus ou moins confus dans beaucoupd’esprits, l’état actuel du monde nour-rit l’idée qu’il est nécessaire de dépas-ser le capitalisme. Il suffit d’ouvrir sonposte de télévision pour contempler

Un gouvernement de gauche nedoit pas faire le choix entrerenoncer à son ambition socialeou sortir du cadre européen.

FRANCIS WURTZ*

Je commencerai par un point d’his-toire. Je me souviens avoir vu etentendu à la télévision l’ancien

conseiller économique de FrançoisMitterrand expliquer le tournant de larigueur de 1983 en liaison avec la crisedu système monétaire européen. Il disait,avec cette formule terrible : « Nous avionsà choisir entre la gauche et l’Europe. » Jeme permets ce rappel historique afin derépondre à la première des trois ques-tions qui nous sont posées, à savoir :quelles sont les composantes incontour-nables d’un projet de gauche ?Puisqu’il est reconnu qu’il y a contra-diction entre un projet de gauche etl’actuelle construction européenne, ilne s’agit donc pas de réorienter lagauche, mais bien de réorienterl’Europe.La première des choses, parmi lescomposantes incontournables d’unprojet de gauche en matière de dimen-sion européenne, est de créer lesconditions pour que jamais plus ungouvernement de gauche ne doivefaire le choix entre renoncer à sonambition sociale ou sortir du cadreeuropéen, ce qui impliquerait de seretrouver en bute aux assauts des mar-chés financiers et de la mondialisationcapitaliste.

LES FONDEMENTS D’UNE RÉORIENTATIONQuels sont les fondements qui doiventporter une telle réorientation pour ren-dre possible un véritable projet degauche ?Premier fondement. Nous devons agir

contre l'extrême dépendance aux mar-chés financiers afin de la réduire subs-tantiellement. La Banque centraleeuropéenne, par exemple, est entière-ment conçue pour séduire les marchésfinanciers ; le pacte de stabilité esttotalement échafaudé pour rationnerles dépenses publiques et sociales, àun moment où il faudrait, au contraire,les développer ; la sacro-sainte libertéde mouvement des capitaux qui figure

UNE POLITIQUE DE GAUCHE EST-ELLE POSSIBLE À PARTIR DES RÉALITÉS DE L’EUROPE ET DU MONDE D’AUJOURD’HUI ?

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Peut-on changer la France dans le monde d'aujourd'hui ?

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fait, tous ceux qui, en Europe, s’intéres-sent au changement, la recherchent ettous peinent à la trouver. Mais aumoins, peut-on, à la fois modestementet ambitieusement, pointer quelquesinsuffisances majeures dans notrefaçon de traiter les enjeux européens etapporter des améliorations qualita-tives dans ce sens :La bataille des idées doit être ancréesur les transformations à opérer enEurope, dans les luttes sociales, écolo-giques, démocratiques ou pacifiques.Quelle lutte, aujourd’hui, n’a pas unedimension européenne ? Ce faisant, ilne faut pas se contenter d’un discourstrop général allant parfois jusqu’à lacaricature. Je suis persuadé que nousavons les moyens de mener une véri-table éducation populaire autour desenjeux européens, parce que nousdevons montrer tous les lieux de pou-voir à investir ou à contester. C’est ladimension moderne de la lutte desclasses. Nous retrouvons les adver-saires à tous les niveaux, dans lesentreprises, dans les institutions, auniveau local mais aussi au niveaueuropéen et mondial. Si nous ne four-nissons pas un effort de même inten-sité à tous les niveaux, nous passeronsà côté de quelque chose. Il faut le faireen s’adressant à tout le peuple degauche. Sans étroitesse d’esprit, ycompris en sachant valoriser lesconvergences partielles dans larecherche de solutions. Il faut évidem-ment des confrontations franchesmais elles doivent être constructives.Si nous désirons réellement créer unmouvement de masse capable dechanger les choses, nous devonsadopter cette attitude.

PARTIR DU RÉELNos propositions alternatives doiventêtre les plus crédibles qui soit. Celaveut dire qu’il faut partir du réel pourensuite inscrire nos propositions dansun processus de rupture graduel etbannir toute nouvelle version euro-péenne du Grand Soir. Nous nedevons pas gommer la complexité dela tâche à accomplir. Tout ce qui res-semble à un « il n’y a qu’à » n’est pasaudible, en particulier sur les ques-tions européennes. Je vais vous don-ner un exemple très concret d'unebonne pédagogie politique : la propo-sition relative au Fonds européen dedéveloppement social, faite par unmembre de cette tribune, PaulBoccara. Pourquoi cet exemple en

particulier ? Parce qu’il part du réel : lacrise et le débat actuel sur la Banquecentrale Européenne, puis il s’inscritdans un processus graduel de rupture.Il ne dit pas qu’il faut supprimer,abroger et interdire, comme nousaimons tant le faire. Au contraire, il ditqu’il faut faire reculer le besoin qu’ontles États de recourir aux marchésfinanciers et que la création moné-taire de la Banque centrale euro-péenne doit être prédominante pourqu’elle puisse acheter des titrespublics. Il ne simplifie pas les donnéesdu problème mais explicite au mieuxcelles qui sont objectivement com-plexes. C’est ce que l’on nomme l’ap-pel à l’intelligence, à la responsabilitéet à la réflexion. Nous devons nousengager à hisser la bataille politique àce niveau.

TRAVAILLER AVEC LA GAUCHE EUROPÉENNENous avons besoin d’une ouverturebeaucoup plus résolue et systéma-tique vers nos voisins européens. Eneffet, plusieurs constats, que nouspourrions comparer à un anachro-nisme contreproductif, sont à déplo-rer : nous nous connaissons extrême-ment mal, nous nous entraidons trèspeu et la confrontation de nos visionsrespectives sur un avenir commundéclenche trop souvent des tremble-ments de terre. Par exemple, qui est aucourant, hormis les lecteurs assidusde l'Humanité, que les grands syndi-cats allemands avancent une proposi-tion voisine de celle de Paul Boccara ?La gauche européenne qui souhaiteune transformation est capable d’ac-quérir une véritable capacité d’initia-tive commune et cela concerne toutela gauche.Il est vrai que mes propos sontémaillés de beaucoup de « si ». Maisle problème c'est decristalliser cespotentialités. Imaginons, un instantseulement, un gouvernement degauche véritablement porté par unmouvement citoyen déterminé etinstruit, qui déciderait d’ouvrir àl’échelle de l’Europe le débat sur cequi ne peut plus durer et ce qui doitchanger. Ne croyez-vous pas quecela produirait une réaction parmiles peuples grecs, portugais, espa-gnols, irlandais et même chez nosvoisins allemands ? C'est un magni-fique défi à relever. n

*Francis WURTZ est député européen hono-raire

toute la misère du monde : le contextedéplorable en Haïti, les dramatiquesconséquences de la situation clima-tique sur la biodiversité, la militarisa-tion des relations internationales oules scandaleuses spéculations, y com-pris sur les matières premières ali-mentaires. Le prix de la tonne de blévient de subir une augmentation de70 % en un mois. C’est un drameabsolu qui prépare à de futuresémeutes de la faim. Sans oublier laviolation des valeurs éthiques fonda-mentales, comme avec les récentesrévélations sur les tortures améri-caines en Irak.L’implosion du cœur du système finan-cier se rajoute maintenant à tout cela.Cette réflexion sur un monde qui est enbout de course, qui fait mal et qui neveut pas disparaître, doit absolumentêtre prise en compte, en particulierlorsque l’on évalue les possibilitésd'une réorientation et de rassemblersur cette idée.Le potentiel d’investissement citoyendans de grands enjeux de société et decivilisation.Il a été révélé de manière spectaculaireavec l’expérience de 2004-2005 sur letraité constitutionnel européen. Or,tout ce qui représentait une menace àl’époque est aujourd’hui devenu réa-lité. Cela crée une crise touchant à lalégitimité de l’Union européenne tellequ’elle se présente actuellement. Celarend également possible une nouvellesollicitation des citoyens et descitoyennes, un appel à leur intelligenceet à leur détermination pour recher-cher, ensemble, la voie de la réorienta-tion.

En conclusion de cette deuxième ques-tion : y a-t-il des marges de manœu-vre ? La réponse est oui. C’est un com-bat, mais ces marges peuvent êtreconquises, même si bien évidemmentles grands mouvements sociaux quenous avons connus dernièrement enFrance mais aussi en Grèce, auPortugal, en Espagne ou en Irlande,sont encore loin de la recherche com-mune d’une solution politique.

LA BATAILLE DES IDÉESD’où la troisième question, la plus dif-ficile : comment faire pour passer deces potentialités à la réalité d’un ras-semblement majoritaire capable d’im-poser de tels changements ?S’il existait, à cet égard, une solution« clé en main », nous le saurions. En

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turel de la retraite participerait à unautre type de société. Cela donneraitplus de force aux luttes sociales et celacontribuerait à une transformation dela civilisation. On peut considérer une exemplarité decette problématique de civilisation.Cela ne concerne pas seulement ladomination des marchés financiers,pour d’autres financements, mais cellede tous les marchés. Et cela concernetous les moments de la vie, pour uneautre vie. Le besoin de rassemblementà gauche pour sortir des souffrancessociales et transformer la société nepeut signifier une réduction des ambi-tions des propositions transforma-trices. Au contraire, face à la démago-gie de Sarkozy sur les question sociales,comme à propos de la dépendance, ousur les questions internationales,comme avec ses prétentions pour laprésidence du G20, ou encore sur lasécurité, il faudrait créer une grandevague populaire, mobilisée par laréponse aux aspirations à une vie nou-velle pour chacun et soutenant despropositions précises et cohérentesdans ce sens. Bien sûr, les propositionsaudacieuses doivent être inscrites dansle prolongement d’avancées immé-diates. Cela concernerait la mise enplace et le développement gradueld’institutions fondées sur le triangle :nouveaux objectifs sociaux, nouveauxmoyens financiers, nouveaux pouvoirs.On viserait à maîtriser tous les marchéset même à commencer à les dépasserpour des avancées émancipatricesdans tous les moments de la vie et decivilisation.

EMANCIPER LE MARCHÉ DU TRAVAILEn ce qui concerne le marché du tra-vail, il s’agit d’avancer vers un systèmede sécurité d’emploi ou de formation.Nous proposons de progresser par desmesures graduelles vers ce système.Pleinement réalisé, il assurerait, à cha-cune et à chacun, soit un emploi, soitune formation rémunérée pour revenirpar la suite à un meilleur emploi, avecune continuité de bons revenus etdroits et avec des passages d’une acti-vité professionnelle à une autre, desrotations emploi/formation maîtriséespar les intéressés. Un système de sécurité d’emploi ou de

formation permettrait d’avancer versl’éradication du chômage, grâce à sondépassement. Ce « dépassement »,selon un concept issue de Hegtel et deMarx, signifie réussir à éradiquer lechômage, car on conserve sa force etun problème de fond auquel répond lechômage, c’est-à-dire le mouvementdes activités et des techniques poussépar les suppressions d’emplois, maiscela sans les maux économiques,sociaux et moraux du chômage. Celarésulterait du passage de l’emploi à laformation rémunérée. Cela s’opposeaussi bien à la « flexsécurité » prônéedans l’Union européenne avec ladomination écrasante de la flexibilitéde facilitation des licenciements et dessécurités très limitées, qu’aux rigiditéset aux gâchis des garanties et attribu-tions autoritaires d’emplois comme enUnion soviétique.Cependant, des mesures immédiateset progressant graduellement pour-raient concerner : des améliorationsradicales de l’indemnisation de tousles chômeurs et de leur insertion dansde bons emplois, des moratoires deslicenciements pour permettre descontre-propositions des salariés et deleurs organisations dans les entre-prises avec des arbitrages, la générali-sation de mises en formations avecconservation du salaire, en vue de bonsreclassements des licenciés, de nou-veaux contrats sécurisés, des confé-rences régionales et nationales de pro-grammation de soutiens des emploiset formations, et enfin un servicepublic d’emploi et de formation avecaffiliation de tous les actifs dès la fin del’obligation scolaire ou de la scolaritéeffective. Est-il possible d’aller dans ce sens etavec quelles forces ? Des points d’ap-pui existent. C’est d’abord la montéedes idées nouvelles, surtout dans lessyndicats. La proposition de sécuritéd’emploi ou de formation par le PCF acontribué, avec d’autres influences, auprojet de sécurité sociale profession-nelle de la CGT. Et ce dernier, avecd’autres influences, a contribué auconsensus de tous les syndicats sur la« sécurisation des parcours profession-nels », expression reprise de façondémagogique même à droite. C’estensuite une série de mesures, certes

Réussir à maîtriser et à commen-cer à dépasser les marchés pourune nouvelle vie

PAUL BOCCARA*

Les derniers événements en Europe,avec la crise en Irlande, et dans lemonde, avec les piteux résultats du

dernier G20, renforcent le défi de l’op-position entre la gravité de la crise sys-témique et les besoins de réponsesd’une tout autre ampleur pour le pro-grès social. Les luttes sociales enFrance, en Europe et dans le monde neconcernent pas seulement les résis-tances face aux défis de la crise du capi-talisme mondialisé. Elles se rattachentaussi aux aspirations à une autre vie.

VERS UNE AUTRE CIVILISATIONAinsi, les grandes luttes récentes enFrance sur les retraites ont une portéede civilisation. Elles ont une doubledimension. L’une est économique etsociale, en concernant les besoinssociaux effectifs et une transformationde progrès des financements, émanci-pés de la domination des marchésfinanciers. Mais il y a une secondedimension, non-économique, quiconcerne la vie en société, le type d’ac-tivités humaines et la civilisation. Onnous dit qu’avec l’allongement de l’es-pérance de vie, il faut naturellementtravailler plus longtemps. On ne peutpas se contenter de répondre qu’il y ad’autres possibilités de financement. Ilfaut opposer à la prétendue nécessiténaturelle l’idée de profiter pleinementdu progrès de l’allongement de l’espé-rance de vie en bonne santé, en déve-loppant des activités sociales libres.Avec la productivité nouvelle de larévolution informationnelle et son ori-ginalité, on peut réduire le temps detravail dans tous les moments de lavie : par l’accroissement du temps deformation initiale avant de travailler, laréduction des horaires pour la vie detravail, avec l’augmentation de la for-mation continue ou des activités horstravail, et un allongement du temps deretraite pour des activités socialeslibres, culturelles, politiques, associa-tives, etc. qui se développent déjà d’ail-leurs. Ce changement du modèle cul-

QUELLES ACTIVITÉS HUMAINES AU-DELÀ DE LA DOMINATION DES MARCHÉS

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Peut-on changer la France dans le monde d'aujourd'hui ?

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FMI et de ses opérations. Il s’agit de sadémocratisation, avec la suppression dela minorité de blocage des Etats-Unissur les votes importants. Et une véritablemonnaie commune mondiale, pours’émanciper du dollar, serait instituée àpartir des Droits de tirage spéciaux duFMI ou DTS. On viserait, avec une créa-tion monétaire de DTS puis de cettemonnaie commune, allouée en fonctiondes besoins des différentes populations,un refinancement des banques centralespour le nouveau crédit.Une seconde transformation fonda-mentale concernerait, pour l’expansiondes services publics, la prise de dettespubliques par la création monétairedes banques centrales et par le FMInouveau, avec la monnaie communemondiale. L’enjeu consisterait en desprises systématiques pour financer uneexpansion massive des servicespublics, en convergeant vers l’instaura-tion de Services ou Biens publics etcommuns de l’humanité. Déjà, nousavons pu proposer face à la crise desdettes publiques européennes et del’euro, pour faire reculer l’appel auxmarchés financiers du nouveau Fondsde stabilisation financière, une prisesystématique de dettes publiques desdifférents pays européens par la BCE,en liaison avec un Fonds européen dedéveloppement social, pour l’expan-sion des services publics en coopéra-tion dans l’Union européenne. Ici aussi, il existe de nombreux pointsd’appui : depuis la mise en place deFonds publics régionaux par les majo-rités de gauche dans quelques régions,quoique utilisés seulement jusqu’àprésent pour des aides traditionnellesaux entreprises, jusqu’au début dechangement important de la BCEacceptant, à l’opposé du tabou anté-rieur, de prendre des titres de dettepublique européens quoique sansfinalité sociale mais pour les créan-ciers ; ou encore la proposition de laDGB, la centrale syndicale allemande,allant dans le même sens que notreproposition concernant la BCE et leFonds de développement social euro-péen ; ou enfin la proposition chinoised’une autre monnaie de réserve inter-nationale que le dollar, soutenue par leBrésil et la Russie.Emanciper le marché des productionsEn ce qui concerne le marché des pro-ductions, de nouveaux critères de ges-tion « d’efficacité sociale » des entre-prises pourraient faire reculer les cri-tères de rentabilité, en dépassant ces

critères synthétiques décentralisés,dans une mixité conflictuelle et évolu-tive. A l’opposé de la rentabilité « pro-fit/capital », on combinerait économiede capital et dépenses de développe-ment des êtres humains. On s’appuie-rait sur des critères d’efficacité du capi-tal : « valeur ajoutée/capital ». Sur labase de l’élévation de cette efficacitédu capital en valeur ajoutée, avecmoins de besoins de profits pour fairegrandir le capital, on pourrait viser àélever la « valeur ajoutée disponible »pour les travailleurs et la population :salaires, dépenses de formation, prélè-vements publics et sociaux, tout ensoutenant la réduction du temps detravail. Cela s’articulerait à des droitsnouveaux des travailleurs et de leursorganisations pour intervenir dans lesgestions. Cela pourrait être stimuléavec une politique concertée indus-trielle et des services, une démocratieparticipative pour une planificationstratégique et incitative. Cela s’appuierait notamment sur lamontée dans les entreprises des luttespour des contre-propositions, contreles licenciements, les délocalisations etles restructurations de destructionsd’emplois. Cela s’appuierait aussi surla montée des exigences d’une vérita-ble politique industrielle concertée,depuis les syndicats comme la CGT,jusqu’à la démagogie des promessesprésidentielles dans ce sens. Face à la gravité des défis écologiques,de simples taxations et subventions oudes objectifs de réduction, commepour les émissions de CO2, sont insuf-fisants. Ils sont contrecarrés par lesproductions installées et les gestionsdes grands groupes. Les limitations,réglementations et objectifs devraientdonc être articulés à d’autres critèresde gestion visant notamment à écono-miser les moyens matériels. Il seraitaussi reliés à des refontes systéma-tiques des types de production et deconsommation, impulsées par des ser-vices publics nationaux de l’environ-nement, coopérant au plan internatio-nal, zonal et mondial, à l’opposé desillusions sur le capitalisme vert et desdétournements de ses récupérationsdu besoin d’un autre développement. En ce qui concerne le marché mondial,avec des mesures de maîtrise et decompensation des dissymétries deséchanges et des délocalisations, desaccords de coopération permettraientdes réciprocités. On remplaceraitl’Organisation mondiale du commerce

très réduites et refoulées, mais tendantà aller dans ce sens, comme les troppetites mesures de conservation dusalaire dans certains cas pour deslicenciés pendant un an avec mise enformation, dont notamment la CFDTsouhaite l’extension très considérable.

EMANCIPER LES MARCHÉS FINANCIERSPour les marchés monétaires et finan-ciers, nous proposons un autre créditpour l’emploi et une monétarisationdes dettes publiques pour l’expansiondes services publics.Pour un nouveau crédit, il s’agit d’uncrédit bancaire avec des taux d’intérêttrès abaissés, jusqu’à zéro (et mêmenégatifs, c’est-à-dire avec des réduc-tions de remboursement) pour des cré-dits à long terme pour les investisse-ments réels, matériels et de recherche,avec des taux d’autant plus abaissésque sont créés de bons emplois et for-mations. Cela se réfère à une construc-tion sur quatre niveaux :

• Le niveau local et régional, avec desFonds publics régionaux, de prise encharge de tout ou partie des intérêts,pouvant être saisis par les travailleurs àl’appui de leurs propositions dans lesentreprises.

•Le niveau national avec un pôle finan-cier public, regroupant les institutionsfinancières publiques ou parapubliqueset socialisées y compris certaines natio-nalisations de banques. Il pourraitinclure en France la Caisse des dépôts,la Banque postale, les banquesmutuelles, les caisses d’épargne etcertaines banques qui seraient nationa-lisées. Ce pôle public serait lui aussiouvert aux saisines des travailleurs et deleurs organisations.Pour ces deux premiers niveaux, onpeut déjà avancer en France, même sile troisième est le plus décisif.

• Le niveau zonal comme celui de laBanque centrale européenne, qui, aulieu d’être indépendante, doit êtrecontrôlée démocratiquement, depuisles parlements européens et nationauxet depuis les interventions des travail-leurs et de leurs syndicats. La BCE, parsa création monétaire, refinancerait lesbanques ordinaires pour le nouveaucrédit.

• Le niveau du monde. Outre une trans-formation démocratique de la Banquemondiale, cela concerne une refonte du

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mon intervention. Ma première réac-tion en tant que représentante d’ONGinvestie dans le champ du développe-ment durable, de la solidarité interna-tionale et des droits humains - avecune tentative de croiser ces troisapproches et la question transversalede l’égalité des femmes et des hommesau niveau des droits humains - medonnerait tendance à rajouter à laquestion « égalité des droits, progrèssocial et enjeux écologiques », celle dumodèle économique. Mais il en a étéquestion précédemment, donc jepense que chacun comprend que cestrois aspects sont totalement indisso-ciables. Si je me réfère à l’énoncé, jetrouve que deux mots sont très impor-tants et tout à fait légitimes. Il estessentiel d’avoir posé la question del’égalité, parce qu’en participant à denombreuses concertations associa-tives et en répondant aux médias, ons’aperçoit que l’égalité est en train derevenir à la mode. Cela nous change unpeu de l’équité dont on parle beau-

coup au niveau européen. Il y a aussil’égalité des chances qui n’est pas dutout l’égalité des droits. Poser l’égalitédes droits, c’est toucher au socle dudéveloppement humain, que l’on doitpromouvoir. Il y a aussi la notion deprogrès qui est réaffirmée dansl’énoncé. Le progrès est décrié par cer-tains courants écologistes mais il estimportant de pointer le fait qu’il s’agitdu progrès social.Ces considérations sémantiques peu-vent paraître simplistes mais je trouvequ’il faut être extrêmement vigilant surles mots, notamment lorsque l’on faitde l’éducation. Tout à l’heure, il a étédit qu’il fallait faire de l’éducationpopulaire. Cela commence par le faitde se mettre d’accord sur ce dont onparle. On y est très sensible quand ontravaille dans la solidarité internatio-nale. Au sein du forum social mondial(qui n’a pas été évoqué jusqu’à pré-sent), nous avons mis des années à éla-borer certains langages communs.

ÉCOLOGIE ET DROITS HUMAINSLa question de la compatibilité entreécologie et droits humains est pourmoi fondamentale et elle traverse unpeu toutes les autres. C’est une ques-tion qui fait clivage dans le milieu asso-ciatif, entre les ONG de solidarité inter-

Conquérir des degrés de liberté,face à l’affaiblissement de ladémocratie, exige de cerner lesmécanismes qui empêchent, à lafois, le progrès social et l’égalitéet qui aggravent en même tempsla crise écologique.

YVELINE NICOLAS*

Merci de m’avoir invitée à donnerun éclairage, dans le cadre de votreinitiative, que malheureusement

je n’ai pu suivre jusqu’à présent. Mavenue est un peu impromptue, commel’a dit Sylvie, et je ne vais donc pas faireun discours construit, à l’instar de PaulBoccara qui a proposé un programmemondial qu’il suffit maintenant de mettreen œuvre. Il a même parlé d’écologie…C’est bien pour un économiste marxiste !Il est le premier à avoir abordé la limita-tion des ressources naturelles…Je vais partir de l’énoncé lui-même de

ÉGALITÉ DES DROITS, PROGRÈS SOCIAL ET ENJEUX ÉCOLOGIQUES SONT-ILS DES OBJECTIFS COMPATIBLES ?

par une Organisation de coopérationet de maîtrise du commerce mondialpour le co-développement. De nou-veaux accords internationaux, desjoint-ventures nouvelles, ou co-entre-prises, et des accords de développe-ment en commun pourraient s’oppo-ser aux dumpings monétaires, fiscaux,écologiques, avec des protectionsnégociées. Ils s’opposeraient aussi auxdominations d’Etats et des multinatio-nales des zones de libre-échange,transformées en zones de coopération,avec également des coopérationsinterzonales du type « euro-méditerra-née » profondément démocratisées.Tout cela se relierait à la promotion deServices ou Biens publics et communsde l’humanité, dans les différentsdomaines économiques et non-écono-miques.Pour finir, il convient d’insister sur lefait que l’on ne peut réussir à maîtriseret à commencer à dépasser les mar-chés pour une nouvelle vie, sansl’avancée de nouveaux pouvoirs dedémocratie participative et d’interven-

tion, aux différents niveaux, et d’unenouvelle culture de partages pour ani-mer les nouvelles institutions. Évidemment, toutes ces propositionsdoivent pouvoir être débattues pour ceque l’on a appelé un programmepopulaire et partagé. Ce débat ne peutse limiter aux sommets et aux direc-tions d’organisations, ni se perdre dansdes phrases générales et un « supplé-ment d’âme ». Il doit pouvoir se démul-tiplier, sur des points précis, avec leplus possible de citoyens et de mili-tants associatifs, syndicalistes et poli-tiques, en liaison avec les luttes et lesaspirations populaires. C’est le sensque je vois dans ces rencontres organi-

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sées par le Parti communiste françaispour débattre bien au-delà de sesrangs. Comme économiste marxiste,travaillant sur ces questions, je pense,pour ma part, que les communistesont une responsabilité particulièredans l’organisation des discussions etpour porter, en coopération avec biend’autres, mais sans effacer des ques-tions décisives, ces propositions pouravancer vers une autre société. Unesociété où, à l’opposé du travailcontraint et du chômage, prédomine-raient les activités créatrices de cha-cun, pour une nouvelle civilisation. n

*Paul Boccara est maître de conférenceshonoraire en sciences économiques

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par les intérêts industriels et finan-ciers. L’impact de ces intérêts sur ladécision publique est massif. EnFrance, le débat a été lancé à l’occasiondes conflits d’intérêts. Une commis-sion, mise ne place par le gouverne-ment, planche en ce moment et va pro-chainement - dans une dizaine dejours - remettre son rapport. Cettequestion des conflits d’intérêts estdevenue trop voyante dans notre pays.Il faut savoir qu’une bonne partie descommissaires européens deviennentimmédiatement, après la cessation deleur activité, des lobbyistes au servicedes industriels, des banques, etc. C’estun problème majeur qui est débattuactuellement au niveau européen maisqui est également présent chez nous, àl’Assemblée nationale ou dans les ins-tances décisionnelles. Nous promou-vons des actions telle que la créationdes registres obligatoires des lob-byistes, pour qu’au moins nous puis-sions mesurer l’étendue du problème,avec les sommes mises en jeu, les inté-rêts défendus, etc.

Il faudrait aussi prendre en compte laquestion de la conquête du pouvoirmédiatique. Il existe un rapport parle-mentaire récent d’un élu PS dont l’objet est la dépendance des médiasfrançais. Comment donc rendre lesmédias plus indépendants et notam-ment les journalistes d’investigationqui s’adressent surtout aujourd’hui àun cercle de convaincus ? Commentfaire passer l’information au niveau dugrand public ?

EGALITÉ HOMMES-FEMMESParmi les autres degrés de liberté àconquérir, il y a celui des inégalitésentre les femmes et les hommes. Ils’agit de l’absence de parité au sein del’ensemble des instances décision-nelles. Nous avons parlé égalementdes banques européennes et de laBCE. Il n’y a aucune femme dans cesorganismes-là. Cela veut dire que lapolitique économique et financièreest exclusivement masculine. Enmatière de stratégie de développe-ment durable, au niveau français, il aété mis en place un comité de suivinational qui ne comporte que troisfemmes pour trente hommes. L’undes sujets fondamentaux de l’agendade Rio dans le domaine du développe-ment durable, c’est la participation àégalité des différents groupes d’ac-teurs, y compris les femmes.

Parmi les chemins à emprunter et lesquestions à se poser, il faudrait aborderla notion de décroissance, ce qui estpeut-être mal venu dans cette assem-blée. Nous parlions de civilisation et jecrois que la problématique est d’actua-lité. Il est nécessaire de débattre autourde ce concept. Je me souviens avoirparticipé aux forums sociaux européenet mondial et, au début, nous nous bat-tions avec les syndicats de gauche ausujet de cette question parce qu’ilssouhaitaient absolument que la crois-sance économique soit l’axe desdébats. Il y a eu des crêpages de chi-gnon mais nous avons beaucoupavancé car j’observe qu’aujourd’hui lesaxes du forum social mondial, qui auralieu au mois de février 2011 à Dakar,traitent de façon assez claire de tout cequi tourne autour de la décroissance.Les ONG du Sud ont beaucoup poussédans ce sens.Je dirais qu’il faut affronter le pro-blème de l’encadrement strict de lapublicité afin de la faire régresserparce qu’il est difficile de changer demode de développement si nous n’ar-rivons pas à rompre avec l’injonctionconsumériste dans laquelle estemberlificotée la plupart des gens. Lesurendettement des Français vientaussi de là.

REFONTE DU SYSTÈME ÉDUCATIFIl faut également se poser la questionde la refonte du système éducatif. Leprogramme qui est proposé ne pourraêtre mis en œuvre que si nous passonsde la culture de la compétition à cellede la coopération. Cela commence àl’école. Comment le système éducatifdoit-il favoriser la créativité et l’hu-main au lieu de préparer à l’insertiondans le monde du capitalisme et de laproductivité par le stress. La gestionpar le stress prend sa source à l’école.Pour finir, je pense qu’il serait souhai-table d’introduire une plus grandetransdisciplinarité dans vos travauxafin de rassembler davantage d’ac-teurs. Si nous reprenons ceux quiétaient définis comme fondamentauxdans l’Agenda 21 et donc dans le déve-loppement durable, nous comptonsles ONG, les syndicats et les milieux dela recherche également. Ces derniersne sont pas suffisamment associés àces travaux, y compris la recherchealternative. Enfin, n’oublions pas aussiles jeunes et les femmes. n

*Yveline Nicolas est coordinatrice de l’asso-ciation Adéquations

nationale et les associations environ-nementalistes. Pour certains on n’aplus le temps de s’occuper de l’égalitéet du progrès social. Nous n’avons plus,peut-être, qu’une quinzaine d’annéespour réorienter les choses. Alors, quedevient la notion de progrès lorsquel’on a que quelques années pour fairedes choix ? La question est importante.Cette compatibilité est également aucentre des négociations internatio-nales depuis quarante ans et la confé-rence de Stockholm en 1972. Un minis-tre brésilien a déjà répondu à lademande internationale qui proposaitde faire de la forêt amazonienne unbien commun mondial sanctuarisé.Effectivement, si celle-ci disparaît,c’est l’équilibre climatique qui péricliteplus rapidement encore que prévu. Leministre a répondu oui et qu’il en seraitainsi quand nous ferions aussi de l’éga-lité des droits et de la lutte conte lapauvreté un bien commun mondial. Ledébat n’a pas évolué depuis cetteépoque-là. Celui-ci est au cœur desnégociations climatiques qui se pour-suivent actuellement. Ce qu’il meparaît intéressant de noter, c’est que lanotion de justice climatique ou de jus-tice environnementale a été promuepar des associations et des ONG.Aujourd’hui, elle est au centre desdébats, notamment pour ce quiconcerne le climat et elle est prise encompte dans le discours de l’Unioneuropéenne ou de la France. C’estquelque chose qui est devenu incon-tournable. Cette histoire de compatibi-lité entre écologie et droits se résouttrès bien par la notion de justice envi-ronnementale ou de droit à un envi-ronnement sain qui, en France, estconstitutionnalisé. Je pense que c’estun point d’appui qu’il ne faut pasnégliger.En ce qui concerne les degrés de libertéà conquérir, face à l’affaiblissement dela démocratie, je dirais qu’il faut vrai-ment cerner les mécanismes qui empê-chent, à la fois, le progrès social et l’éga-lité. Ceux-ci aggravent en même tempsla crise écologique. De façon pragmatique, je citerai unecoalition citoyenne qui est assez peuconnue et non appréhendée par lemilieu politique : Alter EU, dont nousfaisons partie au niveau d’un collectifpour l’encadrement et la transparencedu lobbying. Tout à l’heure, nous par-lions de l’Europe. Actuellement, le pro-blème qu’elle rencontre, c’est que laCommission européenne est co-gérée

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JEUNESSE : LA SOCIÉTÉ EN PERSPECTIVE ?Une société qui n'est pas capa-ble de recevoir sa jeunesse estune société mortifère

JOËLLE BORDET*

Des jeunes, il y en a toujours eu. Cen’est pas parce qu’il y a des jeunes,qu’il existe un travail auprès d’eux.

Ce qui est important, c’est la façon dont on appréhende cette question. Jepropose deux approches :

UNE APPROCHE DÉMOCRATIQUEOn ne peut pas construire de démocra-tie sans la jeunesse. Cette dernière s’estmanifestée en 1968 et, depuis, lors duCPE. Régulièrement, la mobilisation dela jeunesse fait peur et, en particulier,celle des lycées et de l’université. Elleparticipe au jeu démocratique. Jepense que cela pose une questionimportante à la démocratie et à ceuxqui influencent sa construction. Celapose la question du pouvoir. Je pensequ’aujourd’hui on ne donne pas suffi-samment de pouvoir à la jeunesse. Etpas seulement à celle des quartierspopulaires, mais à la jeunesse dans sonensemble. Elle n’est pas prise encompte comme un vecteur démocra-tique obligatoire pour renouveler ladémocratie. Ce n’est pas facile, je lesais. Lorsque l’on est un élu ou un res-ponsable technique, c’est parfois com-pliqué de traiter ce problème du pou-voir. Pourtant, nous avançons. Chaquefois que les élus ont pris le risque departager du pouvoir ou d’accompa-gner le pouvoir de la jeunesse, alors ilse passe des choses inattendues.Je ne vais pas citer trop d’exemplesmais, à Saint-Jean-de-la-Ruelle, je merappelle d’un moment où quarantejeunes étaient présents aux côtés dumaire et lui disaient : « Monsieur leMaire, il y en marre de la concertation,maintenant nous voulons décider. » Lemaire a alors répondu : « Un peu plustard. La ville, ce n’est pas le supermar-ché ! » Ils ne s’entendaient pas. Depuis,ils ont mené un grand travail sur leracisme, accompagnés par les élus. Jepeux vous dire qu’il y a des choses quise font parce que l’on fait des expé-riences ensemble. La question démo-cratique, c’est aussi la prise de risque,c’est l’expérience et la possibilitéd’exercer le pouvoir ensemble. Il ne

Je pense que nous ne sommes pas aubout de l’affaire…Alors, par rapport àces questions, quels sont les enjeuxque je considère comme cruciauxaujourd’hui ? J’ai le nez qui traîne,essentiellement, dans les quartierspopulaires et je vais donc surtout vousparler de cette jeunesse. Il y auraitbeaucoup à dire sur les rapports entre« les jeunesses ». J’anime tous les ansun séminaire à l’École Centrale quis’appelle « Rencontres des jeunesses ».Peut-on parler d’une seule jeunesseaujourd’hui ? Quand on observe lesenjeux si différents d’identification desjeunes par rapport à la société, on sepose des questions. Et pourtant, ilexiste des similarités : au niveau del’arrivée dans la mondialisation, dusystème des valeurs, etc. Il y a du travail à faire sur les critèresqui caractérisent la jeunesse en tantque paradigme général. Nous y aurionsintérêt, car à se pencher toujours sur lavictimisation de la jeunesse en diffi-culté - le bout du bout de la victimisa-tion, c’est la solitude et la mort - nousne débouchons sur rien. Je me batspour élaborer des politiques publiquesde droit commun de la jeunesse afin defaire levier en direction des jeunes lesplus en difficulté. Cela ne revient pas ànier la difficulté. Cette concentrationpermanente sur les jeunes déficitairesou dangereux, qui a constitué unmodèle ayant débuté avec la gauche etnon la droite, ne permettra pas deconstruire une refondation au profitdes jeunes des quartiers populaires sinous n'en sortons pas. Il s’agit d’unequestion de posture essentielle et ilfaut mettre en place les situations quicréent les ressources. Ces dernièresn’existent pas en tant que telles. Ellesexistent parce qu’il y a des situationsqui les révèlent. Je travaille là-dessusavec la prévention spécialisée et nousvoyons bien que le sujet est extrême-ment important pour refonder uneposture vis-à-vis des populations desquartiers populaires (et pas seulementen direction de la jeunesse). J’œuvrebeaucoup sur le rapport communautés/ sociétés parce que l’on ne peut pasvivre sans former de communauté etde société. Comment dialectise-t-on cerapport ? Si nous ne résolvons pas ceproblème, alors nous ne pouvons pasaccueillir la jeunesse. Celle-ci estsymptomatique de difficultés et d’en-jeux passionnants qu’il nous faut pen-ser car ils constituent des mutationssociales. Il y en a assez de cette peur

suffit pas de créer des conseils locauxde jeunes pour affirmer que cela repré-sente du partage de pouvoir.

UN ENJEU ANTHROPOLOGIQUEUne société qui n’est plus capable derecevoir sa jeunesse est une sociétémortifère. Nous sommes dans un cyclemortifère. Je sais que c’est compliqué,qu’il est difficile de prendre en compteà la fois le vieillissement et l’arrivée desjeunes. Mais si nous avons davantaged’adultes qui se tiennent debout dansune démarche d’accueil, nous n’au-rons pas à nous plaindre d’avoir unejeunesse violente et qui ne peut pas sesituer dans le monde d’aujourd’hui.Les jeunes ne peuvent pas exister et lesadolescents ne peuvent pas grandirs’ils n’ont pas des adultes présentsauprès d’eux, solides et porteurs d’uneautorité bienveillante. Il y a donc unvrai problème qui n’est pas situé ducôté de la jeunesse. J’interviewe énor-mément de jeunes et je trouve qu’ilspossèdent une énergie considérable.Ils n’ont jamais été aussi éduqués et jem’interroge sur ce que l’on fait de cepotentiel. Lors du débat sur les retraites, j’ai étépassablement énervée par le discoursambiant. Il y a pourtant un véritableenjeu anthropologique et généalo-gique et je me suis souvent demandé sion allait enfin en parler. Nous ne pou-vons pas tout ramener non plus à unequestion de chômage des jeunes. Peut-on, en fait, penser le problème desretraites sans se poser la question del’existence des dynamiques généalo-giques et anthropologiques ? Cette idéea eu très peu d’écho alors qu’elleconstitue une base de réflexion trèsimportante pour les sociétés euro-péennes. Lorsque je me déplace auBrésil, j’observe qu’ils ne sont pas dansune dynamique identique à la nôtre,vis-à-vis de la jeunesse, malgré le faitque ce ne soit pas simple chez euxaussi. Ils n’en ont pas peur.Aujourd’hui, nous avons peur de l’arri-vée des jeunes et de leur énergie.J’aime beaucoup les travaux d’HannahArendt au sujet de la crise de la culturecar elle a bien cerné cette question dela nécessité d’accueillir la jeunesse. Jetravaille régulièrement avec des gensdu Commissariat au Plan, en particu-lier avec Pierre-Jean Andrieu qui a écritle rapport Jeunesse, le devoir d’avenir. > SUITE

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des communautés, du communauta-risme et autre. Il existe un enjeu vérita-ble aujourd’hui : celui de faire commu-nauté pour ne pas être face à la soli-tude et là, je vous renvoie au livre deRichard Sennett qui s’intitule : Respect.De la dignité de l’homme dans unmonde d’inégalité.

LE COLLÈGEParmi les enjeux qui me semblent prio-ritaires, il y a la question du collège. Siles jeunes ratent leur scolarité au col-lège, ils ne s’en remettent pas.Sommes-nous face à un établissementde performance ou d’excellence ? Sinous persistons à demeurer axés sur laperformance, nous n’éviterons pas laségrégation interne. Je travaillais, l’an-née dernière, dans un collège où il yavait cinquante jeunes « invisibles »,qui venaient dans l’établissement maisqui n’allaient plus en classe et qui n’as-sistaient qu’à des permanences où leurscolarité se bornait à un accompagne-ment le soir avec des éducateurs. Cen’est pas possible qu’il en soit ainsi.Dans les statistiques du rectorat, cesjeunes n’apparaissaient pas. Vousvoyez, cette question de la perfor-mance, par rapport à celle de l’excel-lence, est très importante parce que lasortie de ces jeunes du système sco-laire est dramatique. Je dirai mêmequ’elle est tragique. Quand des jeunesvous disent : « Madame, je me suissenti abandonné, puis rejeté ! J’avais 12de moyenne… ». Après, la façon dontils s’expliquent la vie peut être sujette àcaution. Je rencontre un nombreimpressionnant de jeunes quim’avouent : « Je ne suis rien, je ne sersà rien et, de toute façon, je ne sais pasce que je veux… ». Comment peut-onsavoir ce que l’on veut si l’on ne sert àrien ?La sortie dans le vide des mômes descollèges est inacceptable. Le problèmeest énorme. L’urgence de l’utilitésociale et de l’accueil des jeunes estinstantanée. Et cela s’est accentué avecla crise, parce qu’il y a encore moins depossibilités de résoudre ces questions.Les programmes d’utilité sociale et leservice civique volontaire seraientutiles s’ils n’étaient pas réservés auxseuls étudiants, mais également auxjeunes des quartiers populaires qui nepeuvent pas faire de longues études.Cette interpellation se pose à l’échelonnational mais aussi à celui des collecti-vités locales. Nous sommes face à unephase significative où la jeunesse des

siste sur l’importance qu’il faut accor-der aux politiques de l’habitat. Le pre-mier degré de l’autonomie, c’est depouvoir habiter quelque part de façonautonome et de ne pas devoir resterjusqu’à 30 ans chez ses parents. Celarejoint le problème du travail. Lesjeunes ne pourront pas trouver d’em-ploi s’il n’arrive pas à construire leurautonomie. La question de l’habitatest donc centrale.

LA STIGMATISATIONUne autre question qui touche tous lesjeunes des quartiers populaires c'est lastigmatisation. Il y en a marre ! Elle n’apas commencé avec la droite. Les« sauvageons » c’est une expression degauche, cela a débuté bien avant avecChevènement. Ensuite, tout cela a étébien manipulé, jusqu’aux émeutes en2005 et nous n’en sommes pas revenus.On est passé de la désignation stéréo-typée à la peur. Avec le passage devidéos en boucle, le monde entier a eupeur des jeunes. À présent, noussommes passés au stade de la guerre.Le discours de Grenoble est une nou-velle étape franchie. C’est extrême-ment grave ! Je travaille à La Villeneuvedepuis deux ans sur un programme delutte contre le racisme et le stéréotype.Le discours a produit un effondrement.Lorsque la population réclame la pré-sence de la police nationale - parce quec’est dur et qu’il faudrait retravailler laquestion de l’insécurité, la premièreinsécurité est d’ailleurs entre les jeuneseux-mêmes - et qu’on lui répond queseul l’hélicoptère sera de circonstance,c’est vraiment la guerre ! Ce n’est pasqu’un discours, il s’agit aussi d’unmode d’intervention qui, de fait,implique tout à fait autre chose et faitbasculer les gens dans la guerre. Celane concerne pas qu’un seul quartiermais l’ensemble de la ville deGrenoble. Il y a des terrains d’essais.Nous entrons dans quelque chose quiprépare à la guerre sécuritaire. Je suisvraiment très inquiète car certainsjeunes se prendront pour des ennemiset, pour quelques-uns d’entre eux, cesera aussi l’unique façon d’exister et ilsle revendiqueront. Lorsqu’on n’a pasune image positive de l’autre surlaquelle on peut s’appuyer, que fait-on ? C’est une vraie question politique.Quelle est la figure de l’autre pour cesjeunes, qui fait référence et qui n’induitpas qu’ils soient marqués ensuite parles stigmates ? Il est très difficile derépondre.

16-25 ans n’ira pas tout de suite exercerun métier. Cela nous renvoie à uneintervention qui parlait de l’évolutiondu rapport au travail. Les jeunes refu-sent la dimension adaptative au tra-vail. Ils revendiquent de pouvoir s’ins-crire progressivement dans le travailpar le développement aussi de forcescréatives. Va-t-on l’entendre ?Comment peut-on relier utilité sociale,création de soi et rapport au travail ? Sinous ne menons pas de réflexion là-dessus, je ne crois pas que nous puis-sions organiser les mutations néces-saires pour accueillir, en particulier, lesjeunes qui ne feront pas de grandesétudes. Monsieur le Président de laRépublique ce n'est pas avec le dou-blement de l’apprentissage. Noussavons très bien que ce n'est pasl'unique problème. Il faut repenser lerapport au travail, l’utilité sociale et lareconnaissance de soi.

L'AUTONOMIELe deuxième enjeu fondamental, àmon avis, c'est l'autonomie des 16-25ans. Comment peut-on, aujourd’hui,exister et construire son autonomiedans notre société sans équilibre entrele travail, la protection sociale et lelogement. Nous sommes dans un paystrès compliqué où tout est lié, ce quin’est pas le cas au sein de tous les payseuropéens. Cet enclenchement systé-mique est un drame pour les 16-25 ans.Cela touche également au système deprotection familiale. Si nous voulonsaccompagner l’autonomie de la jeu-nesse, que fait-on des politiques fami-liales ? C’est une discussion clé quenous avons régulièrement avec Pierre-Jean Andrieu. Il n’y a pas en France depossibilité de soutenir réellement lesjeunes sur le chemin de l’autonomie,dans les rapports entre travail, protec-tion sociale et logement. Les missionslocales, elles-mêmes, ne peuvent pas ysuffire, et d’autant plus aujourd’huipuisqu’elles sont réorientées, à l’imagede Pôle emploi. Quel soutien économique, social etcontractuel va-t-on offrir aux jeunesde 16-25 ans ? Je pense aussi que laquestion de l’autonomie, c’est unaccompagnement. Comment dire àcette population qu’ils sont de jeunesadultes mais qu’ils ne sont pas encoredes adultes autonomes ? Nous voyonsqu’il existe de bonnes actions auniveau local, qui sont menées entre lesagglomérations et les communautésde communes sur le logement et j’in-

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Cependant, je dois dire que lorsquequelque chose est réalisé au niveau local- je travaille également à Échirolles - lesjeunes ne se livrent pas à la guerre. Il y adonc beaucoup à faire pour que la figurede l’autre existe suffisamment dans lavie, dans la paix et j’allais dire dans lapolitique, pour qu’ils ne se prennent pasdans les filets de la guerre. Le travail esténorme du côté des constructions iden-titaires, de la laïcité, de la reconnaissancedu fait religieux, des rapports Nord/Sudet du « refoulé de la colonisation ». Je vaistrès vite et vous voyez tout le boulot qu’ilfaut accomplir. Si nous n’y prêtons atten-tion, alors les jeunes ne pourront pas s’yretrouver. Je finirai là-dessus parce que letemps m’est compté.

DU LOCAL AU MONDIALJe voudrais dire une dernière chose. Bienévidemment, le travail doit être accomplisurtout au niveau local. Je connais beau-coup de gens appartenant à des villescommunistes ou à des communes de

gauche qui travaillent sur ces questions.Il ne faut pas non plus s’épuiser si unchangement n’intervient pas au niveaunational. Mais là, nous attendons tous lamême chose… Cette question se poseraà nouveau si la gauche revient au pouvoir,en particulier pour les problèmes d’allo-cation autonomie, de structures d’ac-cueil de la jeunesse et des reconstruc-tions identitaires, en particulier des signespolitiques qui seront donnés sur le faitque tous ces jeunes sont français, que laquestion ne se pose pas et que la culturequ’ils apportent à la France est bénéfique.Ces quartiers « font culture » de manièrespécifique. Lorsque les jeunes sont nésici, ils ne sont pas du Mali ou apparte-nant à je ne sais quelle ethnie. « Ethnie »,c’est un mot de la géographie coloniale.Lorsque l’on fait un travail auprès de lajeunesse, il est très important de s’inté-resser à l’international. Aujourd’hui, notreforce d’existence, c’est l’international.J’aime le livre de Balibar L’Europe, l’Amé-rique, la Guerre . C’est un livre magni-

fique qui dit bien comment ces quar-tiers populaires seront pris en tamponet piégés si nous n’entamons pas uneréflexion sur l'international, tout ens’appuyant sur la nation. Au départ, jen’étais pas spécialement convaincue,mais lorsque je vois l’importance pourles jeunes d’avoir un sol sous les pieds,nous ne pourrons pas, de fait, en fairedes citoyens du monde sans qu’ils nese reconnaissent dans le cadre national.La question de l’Europe est bien compli-quée mais, là aussi, il serait triste quecertains jeunes aient accès au mondeet à la mondialisation parce qu’ilsappartiennent à des familles quipeuvent leur permettre cela ou parcequ’ils ont la langue pour eux, et que lesjeunes des quartiers populaires n’aientplus que des rapports de co-dévelop-pement qui ne sont qu’un enfermementdans des prismes d’origine. L’enjeu, c’estla circulation des hommes et pas desmarchandises. n*Joëlle Bordet est psychosociologue

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N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

COMMENT CONSTRUIRE LE CHANGEMENT POUR

DYNAMISER LA SOCIÉTÉ ?

Travailler des réponses avec les forces politiques, syndicales,associatives, regagner la confiance comme coopération pour

arriver à une transformation, démocratiser la culture à partir dela question éducative, changer de République sont les grands

enjeux du changement abordés dans cette partie.

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VERS UNE MOBILISATION POPULAIRE POUR LE CHANGEMENT ? nir une stratégie qui corresponde à ceque l’on est capable de faire bougerpour pouvoir avancer vers une ruptureprogressive, comme le disait FrancisWurtz ce matin.Contrairement à d’autres intervenantsque j’ai entendus jusqu’ici, je vais com-mencer par mettre les essentiels d’unepolitique de gauche. Pour moi, lesessentiels d’une politique de gauchetiennent dans la capacité à définir unestratégie de transformation de lasociété qui soit capable de nourrir etde se nourrir des luttes. C’est-à-direune stratégie qui ne soit pas pensée enlaboratoire mais qui conçoive des pro-positions à partir de l’analyse de ce queles luttes exigent et en même tempsdes obstacles qu’elles rencontrentpour que les objectifs fixés à ces luttessoient satisfaits.Je pense que c’est aussi – vous allez medire que j’ai répondu à la question enune feuille de papier – le moyen de secréer des espaces de liberté pour déve-lopper une politique en France, alorsqu’à l’échelle du monde, les chosesrestent plus complexes, c’est-à-direrépondre à la thématique du débat dece matin. Pourquoi ? Parce qu’une stra-tégie qui est pensée à partir des luttes àla fois dans leurs objectifs, dans leurfinalité et des obstacles qu’elle rencon-tre, s’appuie forcément déjà sur unrapport de forces. Je pense que la ques-tion des questions est celle des rap-ports de forces à construire et sur les-quels on peut s’appuyer.La définition du chemin est exacte-ment la même chose. Je suis désolée defaire un raccourci aussi important. Ladéfinition du chemin est précisémentd’analyser les luttes telles qu’elles sont,évidemment essayer de les porter plusloin, leur permettre d’exprimer touteleur potentialité. Pour moi, la fin est latransformation fondamentale de lasociété, le changement de système etles moyens sont à la fois l’analyse desluttes, les réponses aux luttes et enmême temps des stratégies évidem-ment politiques, d’identification et deconquête des pouvoirs pour y parvenir.

RECONSTRUIRE DU COMMUNDémarche démocratique et de rassem-blement :- Appui et encouragement aux mobili-sations populaires- Construction des réponses en lien

avec ces mobilisations.Pour moi, c’est le cœur du Projet àconstruire. Ce n’est pas d’abord leProjet et ensuite on regarde commenton demande aux luttes de soutenir leProjet ; c’est concevoir le Projet enintégrant à la question des luttes et desrapports de forces. Ce n’est pas unequestion secondaire mais centrale.C’est mon opinion mais nous pouvonsen débattre, évidemment.Quelques éléments sur les caractéris-tiques des luttes, dans le domaine queje connais le mieux, c’est-à-dire lemonde du travail, sachant qu’au-jourd’hui en France, 89% de la popula-tion active sont salariés, soit 20 millionsde personnes, les chômeurs faisantpartie de la population active salariée. Les luttes qui se mènent dans lemonde du travail et sur les questionsdu travail sont évidemment décisivespour faire la société et participer à satransformation.Contrairement à une idée reçue, dansles dix dernières années, le nombre deluttes est en progrès en nombre statis-tique, en nombre d’entreprises où il y ades luttes et en nombre de salariés quiluttent. Mais problème : la participa-tion à des journées nationales degrèves et de manifestations – horsmouvement des retraites dont je parle-rai ultérieurement – est inférieure, ellediminue d’année en année. On voitdonc là une première contradiction surlaquelle je pense nous devons réfléchirpolitiquement.Syndicalement et politiquement lessalariés luttent à partir du moment oùils ont le sentiment que la lutte qu’ilsconçoivent va être efficace pour l’ob-jectif fixé. On s’aperçoit que dans lasituation où le rapport de forces estaussi complexe, où les perspectivespolitiques sont aussi floues que cellesque nous connaissons – j’y reviendraiaussi – les salariés se disent qu’il faut sereplier sur les revendications locales,catégorielles ou d’entreprise, et conce-voir les modalités d’action en fonctionde ces revendications. En revanche, il y a un grand doute sur l’efficacité de journées nationales pour modifier la politique du gouvernement, ou lesplus grands choix nationaux. Cettequestion devrait être une des premièresréflexions sur lesquelles le Projet doit sepencher. La question de la crédibilitéd’une politique alternative à celle

Mettre en débat les questionne-ments et les problématiques ettravailler les réponses avec lesforces politiques, syndicales,associatives

MARYSE DUMAS*

Je voudrais saluer cette initiative, et cen’est pas une formule de politesse. Jesuis profondément convaincue que

dans une situation aussi nouvelle etcomplexe que celle que nous traversonsdu point de vue de l’évolution de la crisedu système capitaliste à l’échellemondiale, nous avons besoin de passerbeaucoup de temps à identifier lesproblématiques en termes de débats, deconfrontation et de recherche commune.Il y aura un avantage pour tous ceux,forces politiques, syndicales, associatives,qui seront capables d’assurer ces débats,de mettre en débat les questionnementset les problématiques et de démontrerqu’ils sont capables de travailler lesréponses à partir de ces mises en débat.Je crois que ce sera un avantage, je penseque l’initiative d’aujourd’hui va dans cesens et c’est pourquoi je tiens à la saluer.Avouez que sur un thème comme celuiqui m’est confié : « comment aller versune mobilisation populaire pour le chan-gement ? », il faut à la fois être ambitieuxet modeste, car si j’avais la solution, jevous promets que je vous donnerais larecette : premièrement se fournir lesingrédients, deuxièmement les mélangerde cette façon, etc. Malheureusement cen’est pas si simple. Je ne vous présenteraidonc que des réflexions à partager,contester ou enrichir.

ETRE AMBITIEUX ET MODESTEJe pense qu’il faut être ambitieux sur lanature des réformes, des transforma-tions à opérer. Avoir comme objectif demettre un terme à l’exploitation capita-liste fait partie des ambitions que l’ondoit se fixer. Mais il faut être modeste,d’une part parce qu’il faut prendre lerapport de forces tel qu’il est, l’exami-ner dans ses potentialités mais aussidans ses difficultés, et en même tempsregarder quelle est la place des forcesqui incarnent cette volonté de mettre àbas le système capitaliste, la place et lenombre dans ce rapport de forces, etc’est ce que j’appelle la modestie. Cen’est pas pour renoncer mais pour défi- > SUITE

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Comment construire le changement pour dynamiser la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

LA PEUR OU LA LIBERTÉ ?

rale reconductible. Si elle avait été pos-sible, si elle avait correspondu à ce quesouhaitaient les salariés, à plusieursmoments, elle aurait pu démarrer. Bienqu’on ne parle pas ainsi à la CGT, l’in-tervention de la CGT auprès de sesmilitantes et militants n’a pas manqué.

CONSTRUIRE DES LUTTES EN CONQUÊTEEn revanche, les salariés n’ont pasconçu de cette manière les modalitésde leur action, précisément parcequ’ils ont intégré la question du niveaudu rapport de forces et la question dela durée de la lutte. L’un des problèmessur le mouvement des retraites est quec’était un mouvement contre un projetgouvernemental ; c’est aussi ce quenous avons vécu en 1995, en 2003 et en2006 sur le CPE, même si nous avonsgagné sur le CPE, la principale problé-matique est de passer du contre aupour. C’est-à-dire arriver à construiredes luttes en conquête et pas seule-ment des luttes de résistance. Si nousparvenons à être sur des luttes enconquête, les gens qui luttent impose-ront leur calendrier et les échéances etpas l’inverse. De ce point de vue, parrapport au débat, défaite ou victoired’hier, je pense qu’il y a les deux.Evidemment, sur le sujet de la réformede la loi des retraites, le mouvementn’est pas victorieux. C’est évident, mais en même temps ce n’est pas une défaite dans la mesure où les gensqui ont lutté ne se sentent pas défaits.Au contraire, ils ont trouvé dans lemouvement lui-même des raisons deconfiance pour en créer d’autres.Ce qui change dans la situation de laFrance aujourd’hui, c’est ce sentiment

qu’ont les gens qui ont lutté qu’ils nesont pas défaits, qu’ils tiennent le bonbout et qu’ils vont se retrouver.Afin de ne pas dépasser mon temps deparole, je vais dire une seule chose –j’en avais prévu d’autres mais ce n’estpas grave : la question de l’identifica-tion. Je crois que c’est la deuxièmecaractéristique nouvelle de la situationdans laquelle nous nous trouvons. Uneidentification est en train de se faireautour de ceux qui n’ont que leur tra-vail pour vivre par rapport au capital, àla finance. Rappelez-vous les pre-mières manifestations de 2009 sur lacrise à l’appel de l’intersyndicale pourdes alternatives à la crise. Elle avaitdéjà réuni plusieurs millions de per-sonnes. On voyait la France du travaildans ces manifestations et il y avaiteffectivement des patrons de petitesentreprises, des commerçants, desartisans, etc. qui estimaient être eux-mêmes sacrifiés sur l’autel de lafinance. Avec le mouvement desretraites, c’est à nouveau la France dutravail que l’on voit manifester et quiexige une transformation du partageentre capital et travail. C’est porté dansles luttes, pas seulement en disant quele travail sera moins exploité par laréduction de la durée du travail, mêmesi c’est important, mais qu’il faut trans-former le travail. C’est profondémentanticapitaliste. Cela veut dire qu’il fautdonner d’autres finalités au travail, unautre sens, un autre contenu, et celarejoint les enjeux du développementhumain durable dont on a parlé cematin, les enjeux environnementaux etles questions de démocratie. n* Maryse DUMAS, syndicaliste

menée actuellement et derrière la cré-dibilité d’une politique alternative, lacrédibilité de pouvoir la gagner par unrapport de forces sous forme notam-ment de journées nationales. Bien sûr,cela interroge les organisations syndi-cales, c’est évident, on s’arrache lescheveux sur ce sujet. On sait qu’on estconfronté à un éclatement très impor-tant du salariat ; le premier problèmeauquel on se heurte quand on est dansune confédération syndicale, c’estcomment reconstruire du commun.Car l’éclatement du salariat conduit àun éclatement des revendications.Dans une même entreprise, on côtoiedes salariés qui sont en situation deprécarité, en emploi stable, quelquefoisen statut, ils ont des employeurs diffé-rents, des conventions collectives diffé-rentes, des rythmes de travail diffé-rents, des préoccupations différentes,et même à l’intérieur d’une entreprise,il y a une très grande difficulté àconstruire des revendications com-munes. Alors à l’échelle territoriale ounationale, c’est encore plus difficile.La réflexion à laquelle, à la CGT, noussommes arrivés, est qu’au lieu d’es-sayer de partir de la diversité des situa-tions et d’essayer d’empêcher tel ou telmauvais coup, nous avions peut-être àproduire un projet syndical de trans-formation véritable du statut du travailqui permette aux luttes quotidiennes,aux luttes de catégories, aux luttes deservices et aux luttes d’établissements,de se construire sur les réalités diffé-renciées mais en perspective d’uneconquête globale. J’ai entendu parlerce matin de la sécurité emploi, forma-tion et du projet de la CGT de sécuritésociale professionnelle. Ce que je veuxdire, c’est que le projet de sécuritésociale professionnelle de la CGT estune partie d’un ensemble plus vastequi est un nouveau statut du travailsalarié. Mais ce nouveau statut du tra-vail salarié vise précisément à fairereculer la subordination qui résulte ducontrat de travail entre le travail et lecapital. Je pense qu’il fait partie du pro-cessus anticapitaliste. Je ne suis pas làpour développer ce sujet, mais cela meparaît toutefois important à signaler.Toujours dans l’analyse des luttes, lemouvement des retraites que nousvenons de vivre est dans la continuitédes tendances lourdes dont je viens deparler sur les luttes et notamment dupoint de vue des formes d’actions. Aplusieurs reprises, j’ai entenduquelqu’un hier parler de la grève géné-

Entre peur et liberté, il paraîtévident qu’il faudrait choisir laliberté.

MICHELA MARZANO*

On pourrait croire que la réponse àce genre de question est évidente,mais c’est peut-être aussi impos-

sible d’y répondre complètement dansle sens où, évidemment, entre peur etliberté, il paraît évident qu’il faudraitchoisir la liberté. La question qui se pose

est : peut-on réellement choisir la libertéen lissant et en éliminant complètementla question de la peur, étant donné quela peur est aussi une composante de lacondition humaine ?Je vais essayer de répondre à cettequestion, sachant que la consigne quim’a été donnée est non seulement derespecter le temps de parole mais ausside ne pas rester au constat, c’est-à-dired’essayer de proposer quelque chose.Comme vous le savez, ce n’est pasexactement le métier du philosophe dedonner des réponses précises. Non pas

cette vigilance – je reviendrai sur lesconcepts – car si la confiance estnécessaire pour dynamiser la société, ilest vrai aussi qu’il ne faut pas tomberdans le piège d’une toute confiancedans le gouvernement, c’est-à-dire lepiège d’une position plutôt hobbe-sienne, du philosophe Hobbes quinous expliquait qu’il fallait avoir uneconfiance absolue dans le gouverne-ment pour lui permettre de travailler.Quel est le danger dans un état detoute confiance ? Le danger est lerisque pour les libertés individuellesd’être piétinées. Mais alors, commentfaire pour rester vigilant sans tomberdans une sorte de paranoïa qui est lerisque actuel, tout en conservant cettecapacité de rebondir qui est plutôt liéeà la notion de confiance ? Pour quelleraison ai-je dit : comment faire pour nepas tomber dans la paranoïa tout enétant vigilant ? Parce qu’on voit trèsbien les risques de cette paranoïa,c’est-à-dire cette tendance à croirequ’il faut nécessairement tout le tempsse méfier de tout ce qui est dit et detout ce qui est fait. C’est le piège de lathéorie du complot. Vous savez trèsbien que le piège consisterait à ériger ledoute en propos fondamental. Voussavez tous que le doute est évidem-ment nécessaire. Descartes a bienmontré la nécessité du doute métho-dique. Mais le doute méthodique n’estpas un doute qui se referme sur lui-même. Il faut pouvoir douter pourensuite arriver à une certaine certi-tude. Chez Descartes, très brièvement,c’est : « Je doute, donc je pense, donc jesuis. » Le doute sert à fonder laconnaissance. Mais si ce doute devientun doute systématique, je doute pourdouter parce qu’il n’y a rien d’autre àfaire, alors on tombe dans une sorte deparalysie paranoïaque qui ne permetpas de s’appuyer sur les doutes pourensuite sortir du fatalisme et doncconstruire quelque chose.La vigilance, certes, mais une vigilancequi ne nous amène pas dans l’impassede la défiance.Donc choisir la liberté, puisque c’estbien le thème que l’on m’a demandéde traiter, signifie choisir uneconfiance vigilante. Mais de quois’agit-il ? Que serait cette confiancevigilante ? Ce serait une confiance qui apour but de créer une coopération.Tout à l’heure, nous avons entendu laquestion suivante : comment recons-truire du commun ? Comment faire ensorte que le collectif puisse se remettre

en place ? Comment transformer le tra-vail ?

LA CONFIANCE COMME COOPÉRATIONJe pense que cette idée de confiancecomme coopération est la clef de voûtepour arriver à une transformation, unchangement qui puisse dynamiser lasociété. Et pour quelle raison laconfiance comme coopération, quiparaît une banalité mais qui ne l’estpas, a-t-elle été perdue ? Parce quependant les trente dernières années, cen’est pas qu’on n’ait pas du tout parléde confiance, mais la seule confiancedont on ait parlé était la confiance ensoi. Il fallait avoir confiance en soi,c’est-à-dire être tellement sûr de soiqu’il ne fallait surtout jamais céder à lafaiblesse de compter sur les autres.C’était d’ailleurs un peu la catégorisa-tion des individus : d’une part les« winners », ceux qui n’ont besoin decompter sur rien ni personne car ilssont suffisamment forts pour pouvoiravancer, et d’autre part les « loosers »,ceux qui ont montré leur faiblesse,ceux qui n’étant pas suffisammentconfiants en eux avaient besoin des’appuyer sur les autres et de leur faireconfiance.Pour le dire dans un langage plus poli-tique, c’était une sorte de volontarismepoussé à l’extrême. Si je suis trèsconfiant en moi-même, je peux aussiproclamer que je vais réaliser tout ceque je pense qu’il faut réaliser. On estdonc dans une sorte de volontarismequi peut être plus individualisé ou pluscollectif, le fameux « ensemble, tout estpossible », mais cela n’empêche que çareste du règne du volontarisme, c’est-à-dire quelque chose qui ne prend pasen compte la réalité avec sescontraintes, ses difficultés, et qui croitqu’il suffit de vouloir pour pouvoir.C’est le piège. Il ne suffit jamais de vou-loir pour pouvoir. Mais sortir de cespièges de volontarisme ne signifie pasnon plus tomber dans un autre piègequi serait une sorte d’immobilisme. Cen’est pas parce que la réalité montreque c’est difficile et qu’il y a des bar-rières qu’il faut pour autant renoncer àvouloir changer cette réalité en latransformant. Mais comment fairepour la transformer ? Quand je dis qu’ilfaut redonner de la place à la confiancedans les autres, qui amène à la coopé-ration, je veux dire qu’il faut faire unchoix, paradoxalement irrationnel, quiest celui de coopérer. Et pour quelleraison s’agit-il d’un choix irrationnel,

que les réponses précises n’existentpas, mais c’est déjà difficile en tant quephilosophe d’analyser les problèmes etun certain nombre d’enjeux ou donnerdes pistes de réflexion. Je me réfère à cequi vient d’être dit : l’analyse estimportante pour bien savoir de quoion parle et vers où on va, mais c’est vraiaussi que pour donner cette analyse, ilfaut éviter de tomber dans le piège desrecettes. Je trouve que beaucoup demes collègues ont confondu le travailde la philosophie qui consiste à analy-ser, donner des pistes de réflexion,avec celui de donner simplement desrecettes, sachant que ce n’est pas cequi aide le plus à dépasser une situa-tion de difficultés.

LA PEUR ET LA DÉFIANCEL’idée que je vais essayer de dévelop-per, justement pour ne pas rester auconstat, est le fait que nous soyonsdans une société caractérisée par lapeur et par la défiance. Evidemment,pour pouvoir dynamiser la société, ilfaudrait arriver à sortir de l’impassedans laquelle nous nous trouvonslorsque nous sommes dans la peur etdans la défiance. Mais comment faire ?Tout d’abord, quelques mots sur lapeur et la défiance. Finalement, la peurpeut être paralysante mais elle n’estpas à rejeter en bloc non plus. Commedisait Montaigne, la peur tantôt nousdonne des ailes aux pieds, tantôt ellenous cloue au sol. Que voulait-il direpar-là ? Il voulait dire qu’une petitedose de peur, c’est-à-dire le sentimentd’être face au danger, nous permet derebondir, d’essayer de trouver les res-sources pour pouvoir aller au-delà dece danger. En même temps, il y a lepiège que quand on se retrouve à l’in-térieur de cette peur, si elle devientangoisse, au lieu de nous permettre detrouver les ressources pour dépasserl’état de danger, on a plutôt tendance àse retrouver dans cet état d’angoissequi est paralysante. Même chose parrapport à la défiance ou à la méfiance.

LA VIGILANCEIl y a quelque chose de positif et fortqui relève de la vigilance. Comme ledisait John Locke, un autre philosophe,lorsqu’on fait confiance à un gouver-nement, il est bien en même temps dene jamais baisser la garde car il peut yavoir tendance, de la part du gouverne-ment, à trahir les promesses faites,donc il faut rester à un niveau de vigi-lance. C’est important de parler de

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Comment construire le changement pour dynamiser la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

PARTAGE DES SAVOIRS : LA CULTURE POUR TOUS EST-ELLE POSSIBLE ?DENIS PAGET*

La leçon de ces vingt ou trente der-nières années est qu’il ne suffit pas defaire accéder toujours plus de jeunesau collège puis au lycée et maintenantà l’enseignement supérieur pourdémocratiser la cultureNous sommes au cœur de la questionde la démocratisation de la culture.J’aimerais aborder cette question sousun angle qui m’est familier mais quin’est pas exclusif et qui est bien sûrlimité : la démocratisation de la cultureà partir de la question éducative.Je voudrais dire en introduction que laleçon des vingt ou trente dernièresannées, en matière de démocratisationculturelle, est la suivante : on a bienconstaté qu’il ne suffit pas deconstruire des équipements culturels,de multiplier les chaînes de télévision,de faire vivre de grandes institutionsculturelles, d’organiser des expositionsou des spectacles de haut niveau et àlarge public pour démocratiser la cul-ture. Du point de vue de l’éducationscolaire, c’est à peu près la même

chose : la leçon de ces vingt ou trentedernières années est qu’il ne suffit pasde faire accéder toujours plus dejeunes au collège puis au lycée etmaintenant à l’enseignement supé-rieur pour démocratiser la culture. Jevoudrais qu’on pèse fortement ce quecela veut dire. Cela veut dire qu’il vafalloir travailler des questions qui n’ontjamais été travaillées jusque-là, qui nesont pas simplement des questionsquantitatives, des questions d’accès,mais des questions de contenu mêmede la formation. C’est cela qui mepréoccupe.

LES DÉRIVES DE LA CULTURE SCOLAIREJe voudrais partir d’un point de vue cri-tique sur les dérives progressives de lafonction éducative en matière d’accèsà la culture. Aujourd’hui, nous sommesface à un nouvel usage de l’école surlequel je voudrais alerter. Les objectifsde l’école, peu à peu, sont transformés,déséquilibrés, en faveur des compé-tences nécessaires à la compétitivité del’économie française, plongée dansl’économie mondiale, pour reprendre

les termes de l’Union européenne,répétés sans cesse par le gouverne-ment français. Cet objectif oriente tousles autres. Or ce n’est pas l’objectif desenseignants, ni l’objectif normal d’unsystème éducatif. L’objectif normald’un système éducatif est d’abord deformer des êtres humains faits pourvivre ensemble, de former des êtresdoués de culture, de jugement, d’espritcritique, de force symbolique, d’imagi-nation, de capacité d’indignation etaussi d’enthousiasme. Ce devrait êtrele premier travail de la culture et de laculture première qu’ est la culture sco-laire. Or ce n’est pas le cas. On tire deplus en plus les objectifs de l’école versla formation des attitudes, des com-portements érigés en compétencessociales et en capital individuel et noncollectif ; non en accroissement du liensocial et des grandes fonctions collec-tives, mais en développement de laconcurrence, du pouvoir des gagnantssur les autres, de la performance qui seretourne vite contre les individus eux-mêmes. Cette transformation du rôle de l’écoleentraîne des mutations très en profon-deur, à la fois du système éducatif, dumétier d’élève et du métier d’ensei-gnant, et même du métier de parent.Les familles sont progressivement

aussi que l’autre puisse, en tant quedépositaire de notre confiance, noustrahir ; d’où l’irrationalité paradoxaledu choix de coopérer et de faireconfiance aux autres. D’ailleurs laconfiance dans les autres, tout en étantnécessaire, est aussi quelque chose dedangereux. Si je fais confiance enquelqu’un, je montre ma vulnérabilitéet ma faiblesse car ce sont justementceux en qui j’ai confiance qui peuventme trahir. On n’a jamais vu quelqu’unqui puisse trahir quelqu’un d’autre sice quelqu’un d’autre n’a pas confianceen lui. C’est le mari qui trompe safemme, c’est le patriote qui trahit sapatrie, ce sont les gens en qui nousavons confiance qui peuvent, parceque nous leur faisons confiance, noustrahir. C’est pour cette raison que c’estun choix irrationnel. Le choix de faireconfiance est un choix dangereux.Mais en même temps, à long terme,c’est le seul choix qui permette effecti-vement à la coopération de se mettreen place et donc aux biens communs,dans le sens de la communauté, de

pouvoir être aussi maximisés.Pour terminer, pour pouvoir créer unesociété où cette confiance puisse semettre en place, le rôle fondamentalest celui de l’éducation. Cela peutparaître quelque chose de dit et redit,mais on ne le redira jamais assez. Pourpouvoir faire en sorte qu’on puissecomprendre les avantages à longstermes d’un choix qui à court termeparaît irrationnel, il faut pouvoir expli-quer dès le début quelles sont effecti-vement les vertus de la confiance.Donc revenir en arrière pour faire ensorte que par le biais de l’éducation onpuisse, non seulement déconstruire lespièges d’une toute confiance en soi quiexclut les autres, les pièges d’un volon-tarisme qui ne prend pas en compte laréalité, mais aussi bâtir une société deconfiance pas du tout dans le sens libé-ral du terme, mais dans le sens de coo-pération qui ne peut qu’amener unchangement et une dynamisationréelle de la société.n

*Michela Marzano est Professeur de philoso-phie à l'Université Paris Descartes

au moins à court terme ? Parce qu’àcourt terme, le choix rationnel pourl’individu serait non pas de coopérermais d’essayer de maximiser son pro-pre intérêt personnel, sauf qu’à longterme, si on continue d’essayer demaximiser son propre intérêt, finale-ment c’est aussi son propre intérêt quine va pas pouvoir être maximisé, unautre intérêt qui est celui du bien com-mun. C’est le piège de la logique selonAdam Schmidt qui consistait à dire : sije me focalise sur mon propre intérêt,au bout d’un moment, grâce à unemain invisible, c’est l’intérêt de lasociété tout entière qui va être maxi-misé. Sauf qu’il a été démontré d’unpoint de vue mathématique qu’avec cequ’on appelle le dilemme du prison-nier, c’est le choix irrationnel de la coo-pération qui amène au bout du par-cours à maximiser les biens communs.Il faut donc essayer de lâcher prise vis-à-vis des autres, car coopérer signifieaussi lâcher prise, c’est-à-dire essayerde ne pas tout contrôler car le choix defaire confiance et de coopérer présume

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vision consumériste et individualistede la formation et peut-être de la placeque chacun occupe dans la société.A partir de cette première critique, jevoudrais souligner deux aspects assezpeu évoqués, qui ne sont pas les seulsmais qui me semblent majeurs, et quimettent la question de la culture à l’écoledans une véritable situation de crise.

EVOLUTION DE LA FAMILLELe premier aspect, qui nous vient del’extérieur de l’école, est l’évolution dela famille et du rapport de la famille àl’école.Nous avons maintenant dans les éta-blissements scolaires de très nom-breux jeunes qui vivent des situationsfamiliales très complexes, dont on nemesure pas complètement aujourd’huil’impact psychologique et affectif etmême parfois matériel. Nous consta-tons une explosion du nombre defamilles recomposées, de famillesmonoparentales, de familles où lespères sont pratiquement marginalisésà cause des divorces, où les mères doi-vent assumer trois vies en une. Nousconstatons aussi les difficultés sco-laires spécifiques des garçons se tra-duisant par des différentiels trèsimportants en matière d’acquis sco-laire entre les garçons et les filles. Lesfilles, non seulement ont rattrapé lesgarçons, mais depuis longtemps lesont dépassés en termes de résultatsscolaires. Tant mieux pour les filles,bien sûr, mais qu’est-ce que cela veutdire ? L’échec scolaire est massif main-tenant parmi les garçons. Le grandéchec scolaire frappe surtout les gar-çons. C’est un problème qui n’est pasabordé en tant que tel et qui brise litté-ralement le lien que les garçons peu-vent entretenir avec la culture.La transmission intergénérationnelleJ’insiste beaucoup sur ce point. Nousconstatons aussi que beaucoupd’adultes abandonnent l’idée d’unetransmission intergénérationnelle descultures : cultures d’origines, régio-nales ou professionnelles, qui peuventaussi venir d’autres continents que lenôtre car dans les classes, il y a mainte-nant une multitude de jeunes qui vien-nent d’ailleurs, en première, deuxièmeou troisième génération. J’ai l’impres-sion que la prolongation de la scolaritéobligatoire a introduit des phénomènesde transmission par les pairs, de trans-mission horizontale, mais au prix d’unaffaiblissement considérable de latransmission verticale entre les généra-

tions. Or il me semble qu’il y a làquelque chose qui doit nous amener àréfléchir et peut-être, en termes de pro-position, à envisager de nouvelles rela-tions entre la famille et l’école, un nou-veau dialogue entre la famille et l’école,un nouveau dialogue entre la famille,l’école et les grandes institutions cultu-relles et notamment les grandes institu-tions médiatiques dont la responsabi-lité est engagée pour transmettrequelque chose qui ressemble à unpatrimoine commun de culture.

LE SCEPTICISME VIS À VIS DE LA CULTURE SAVANTELe deuxième aspect sur lequel j’aime-rais insister concerne les grandesmutations culturelles auxquelles noussommes confrontés. Il me faudraitbeaucoup de temps pour développerce sujet ; je vais donc le faire de façonun peu caricaturale et vous prie dem’en excuser. J’insiste sur le fait qu’il ya aujourd’hui un très fort affaiblisse-ment de la révérence envers la culturesavante qui est banalisée bien souventpar les médias. Aujourd’hui, un jeunequi cherche sur Internet ne fait pas tel-lement la différence entre le blog de M.X et le site de la Bibliothèque nationalede France ou du musée du Louvre.L’information pour lui est égale. Or il ya là un danger majeur d’aliénation cul-turelle. La diffusion et l’invasion desnouveaux médias qui influent très for-tement sur les pratiques sociales etculturelles et permettent des varia-tions, des formes d’éclectisme, deséchappées, des transgressions multi-ples, posent de plus en plus de pro-blèmes dans la définition même de ceque pourrait être une culture com-mune, qui soit une culture scolairecommune mais aussi une culturevivante, hors de l’école, commune. Lesidentités sont de plus en plus com-plexes et de plus en plus composites.Le métissage des cultures est de plusen plus fort. Or sur toutes ces ques-tions, non seulement l’école ne tra-vaille pas, ne réfléchit pas suffisam-ment, mais dans la société elle-même,il n’y a pas de lieu où on réfléchisse àcomment prendre en compte de façonpositive ces métissages pour que cha-cun s’enrichisse de chacun, pourconstruire une culture qui ne soit pasnormative mais qui soit dialogisteentre les différentes origines, les diffé-rentes références et les différentes pra-tiques de références. Je voudrais aussiinsister sur le fait que se développe à

tirées vers l’idée que l’école est d’abordlà pour faire accéder à une profession,et même exclusivement pour cela. Jene voudrais pas que l’on déduise demes propos que la formation profes-sionnelle ne serait pas une fonctionimportante de l’école ! L’école doit pré-parer à une profession bien sûr, maiselle ne prépare pas d’abord à une pro-fession. Il y a toute une phase où lesenfants ont besoin de grandir, de for-mer leur personnalité, de trouver leuridentité, de construire une identitéavec les autres, une identité collectiveaussi. Ce chemin, ce long parcours, estsans cesse court-circuité par l’idée quel’école a d’abord pour fonction de for-mer des salariés bien intégrés et si pos-sible ayant l’échine assez souple pourplier devant toutes les exigences de lasociété libérale. La famille est embrin-guée aussi dans cette logique deconsommation de l’école. Les établis-sements scolaires sont mis en concur-rence pour y parvenir et on leurdemande une obligation de résultatsque l’on va pouvoir chiffrer et compa-rer au plan international et qui vontpeser aussi sur la façon de concevoirl’éducation dans leurs murs. Les ensei-gnants deviennent des opérateurs, nonpas des créateurs de leur métier, del’éducation, mais des opérateurs quidoivent appliquer docilement destechniques, insufflées pas même parde la formation mais par du « compa-gnonnage ». L’exemple le plus frappantdepuis quelques années, à partir de laloi Fillon de 2005, est l’installation dusocle commun de connaissances, decompétences et d’aptitudes, plaquésur les contenus d’enseignement, quivient se superposer littéralement auxprogrammes scolaires et peu à peu lesremplacer, au moins pour une partiede la jeunesse dont on pense qu’elledoit se contenter de ce socle pendantque quelques autres atteindront peut-être des niveaux supérieurs, une vraieculture. Et les élèves eux-mêmes sontenrôlés dans une conception indivi-duelle de la relation à l’enseignant quidétruit progressivement ce qui fait larichesse de la collectivité de la classequi est le premier lieu de socialisation.J’insiste donc sur ce point ; la révisiongénérale des politiques publiques n’estpas simplement la diminution desemplois dans la fonction publique.C’est évidemment cela, mais celamarche aussi avec des conceptions del’éducation. Ce sont des conceptionsqui tirent la jeunesse du côté d’une > SUITE

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Comment construire le changement pour dynamiser la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

l’école n’est pas habituée à traiter cela,l’école ne sait pas et les maîtres ne sontpas formés à cela. Il y a donc une réelledifficulté à définir ce qu’est le savoirlire, le savoir écrire, le savoir communi-quer, le savoir s’informer et en mêmetemps à y éduquer toutes les couchesde la population ; Cette culture desécrans et des objets nomades nousoblige aussi à réfléchir sur la définitionmême d’une culture commune.

Je voudrais conclure par quelques pro-positions : Je le redis, il faut un dia-logue accru, renouvelé, entre lesfamilles et l’école pour reconstruire laconfiance, délimiter les responsabili-tés, infléchir les comportements. Lafamille ne peut pas charger l’école detous les aspects de la socialisation ; ellea aussi un rôle à tenir. Je dirais mêmeque les organisations politiques et syn-dicales, de façon renouvelée et repen-sée, ont également leurs responsabili-tés en la matière.Revenir à une école chargée de faire tra-vailler ensemble tous les jeunes dansleurs diversités, ce qui signifie que l’onrevient au principe de mixité sociale,qu’il n’y ait aucune concession sur laquestion de la carte scolaire, qui doitévidemment être repensée, qui ne peutpas être rigide, mais qui doit absolu-ment exister et qui est le point de pas-sage obligé pour construire la mixitésociale. Ce n’est pas le seul point de pas-sage, il y a évidemment une politique

des villes et des quartiers, des politiquessociales à construire, mais s’il n’y a pasde carte scolaire, il n’y aura pas tout lereste. Or les élus me semblent bien fri-leux pour aborder cette question déli-cate ; il est vrai qu’ils sont aussi mis enporte-à-faux par les politiques de dés-ectorisation en place depuis plusieursdécennies et actuellement amplifiées.Il me semble qu’il faut refonder lanotion de scolarité obligatoire. Or,invité par des partis politiques ou desassociations qui se prétendent degauche, ces derniers temps, je meheurte à des aréopages de gens quiprétendent qu’il faut construire l’écolede la scolarité du socle obligatoireentre la maternelle (on ne sait trop àquel âge) et 16 ans. Le Haut Conseil del’éducation comme le rapporteur del’Assemblée nationale sur la mise enœuvre de la Loi Fillon sur l’éducationreprennent cette idée des années 1960.Evidemment, tous les jeunes font desétudes bien au-delà de 16 ans, qu’ilsréussissent ou non. La question d’unescolarité prolongée est un passageobligé de tout projet novateur enmatière d’extension de la culture.Je terminerai en disant qu’il faut per-mettre aux jeunes de grandir, de seconstruire, donc d’acquérir une vraieculture, pas un socle de base mais unevraie culture. Il faut que les jeunes puissent égale-ment rejouer les épreuves de la scola-rité. Nous sommes dans un pays où le

partir de là, parce que nous n’arrivonspas à un débat ouvert sur ces ques-tions, une sorte de scepticisme vis-à-vis de la science, un scepticisme vis-à-vis de la culture savante qui me sembleparticulièrement préoccupant. Cescepticisme amène par exemple au faitque les jeunes ne veulent pas s’engagerdans les carrières scientifiques. On faitune terminale S ou une classe prépara-toire aux grandes écoles pour faire desétudes commerciales et s’engager dansla banque pour devenir un trader, maispas pour faire de la recherche àl’INSERM. Or c’est très préoccupantpour notre société. Vous imaginez oùnous allons si nous continuons à lais-ser ainsi dériver les choses.

LA CULTURE DES ÉCRANSJe voudrais aussi dire que dans les nou-veaux outils omniprésents qui ontenvahi le quotidien des jeunes, mais deplus en plus maintenant dans toutesles générations, il y a des pratiques quimigrent de support en support, quideviennent insaisissables, qui sedématérialisent, qui rendent très diffi-cile pour l’école la définition de cequ’est lire, ce qu’est écrire. Si on suit lesenquêtes du ministère de la Culture, ons’aperçoit qu’on lit de moins en moinsen France. On lit de moins en moins delivres, mais cela ne veut pas dire qu’onlise véritablement de moins en moins.On lit de plus en plus sur des écrans,avec d’autres pratiques de lecture. Or

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la démocratie est vidée de son sens. Lesguignols ne sont pas une caricature ; ilssont une façon de dire ce que tout lemonde voit. Il y a Big Brother, c’est-à-dire les marchés qui tirent les ficelles, ily a des institutions qui n’ont plus prisesur la situation, il y a une classe politiquefantoche et écœurante, il y a des médiasaux ordres du pouvoir et de l’argent, il ya une justice manipulée. Il y a doncurgence car la situation devient dange-reuse. Quand on se sent trahi, et sansprise, l’aventure est au bout du chemin.Quel degré de liberté conquérir ? Sansesquiver la question et sans faire depirouette, je dirais que la question de latransformation des institutions et laquestion des degrés de liberté àconquérir est une seule et même ques-tion.

LA QUESTION DES POUVOIRS Où sont les pouvoirs ? La question desinstitutions n’est pas une question enplus, à mon avis. C’est la mère detoutes les questions. Dans une société,la distribution des pouvoirs condi-tionne la politique mise en œuvre.C’est quelque chose dont il faut pren-dre conscience et pour une raison sim-ple que Marx avait déjà énoncée, c’estque ceux qui décident, qu’ils soientactionnaires ou membres d’unenomenklatura, décident toujours enfonction de leurs intérêts. On pensetoujours et donc on décide toujours enfonction de ses intérêts. Or les pou-voirs sont maintenant au sein d’unenouvelle caste. J’emploie le mot casteau sens d’une infime minorité qui sereproduit sur elle-même, les financiersépaulés par quelques bataillons demathématiciens stipendiés. L’ancien

régime était aussi celui d’une caste quiétait foncière, entre autres. La bour-geoisie représentait et représenteencore, pour une part, une élite. Elletenait son pouvoir du rapport entreconnaissance, technologie et produc-tion industrielle. Nous sommes reve-nus à une caste, mais de type radicale-ment nouveau : une caste qui n’a plusaucun ancrage territorial et doncpopulaire. Cette nouvelle caste n’a plusrien à attendre, ni d’ailleurs à craindre,du peuple. Pour que la société ne som-bre pas dans l’anarchie, il faut alors soitla dictature, et certains s’y préparent,soit lui arracher le pouvoir. Je pencheplutôt du second côté.Concernant le chemin, celui que jevoudrais proposer, en tout cas celuique j’ai à la réflexion, est relativementsimple à énoncer : il faut que les pou-voirs, ou des pouvoirs, dans un proces-sus changent de main. Si l’organisationdes pouvoirs conditionne la distribu-tion des pouvoirs, conditionne finale-ment les choix politiques dans unesociété, pour que cette politiquechange, il faut que la distribution despouvoirs change. C’est au sens propreune révolution. Mais une révolutionqui dans son processus comme dans safinalité soit cohérente avec les objectifspoursuivis.

QUELS OBJECTIFS ?Le premier que j’énoncerai, et je suis surle terrain du chemin, est une démocra-tie du local au mondial. Les forces pro-ductives sont mondialisées. Les mar-chés aussi. Les systèmes démocratiquesrestent nationaux. C’est un facteurd’échec économique et de paralysiedémocratique. Les sociétés, les peuples,

COMMENT DÉMOCRATISER LA RÉPUBLIQUE ?

verdict est précoce et terrible. On nepeut plus rejouer les épreuves de lascolarité, y compris quand on estadulte. Quand on regarde commentdécolle ou ne décolle pas la VAE (vali-dation des acquis de l’expérience) parexemple. Nous sommes très loin de cequi se fait dans les pays du nord del’Europe. Nous sommes dans un paysoù la formation initiale joue à plein etcontinue à avoir une action sur la vied’un individu sur de très nombreusesannées. C’est un vrai problème de ladémocratisation culturelle. Il ne s’agit

pas uniquement des acquis par l’expé-rience professionnelle, il s’agit aussi duperfectionnement de l’individu enmatière de culture tout au long de sonexistence, donc ne pas restreindre laformation continue à quelques catégo-ries, en général de cadres supérieurs,mais surtout ne pas la restreindre àl’évolution professionnelle strictosensu. L’évolution professionnelle est aussiliée à l’acquisition d’une culture pluscomplète pour l’ensemble des salariés.Enfin, je voudrais dire qu’il faut faire en

sorte de détendre la relation pédago-gique en arrêtant « l’évaluationnite »permanente à laquelle nous a conduitsla loi Fillon qui est un véritable dramepour les jeunes, comme pour les ensei-gnants et comme pour les familles.Qu’on prenne le temps, et 18 ans ceserait bien pour cela, d’installer lesjeunes dans la culture au lieu d’essayerde les évaluer quasiment dès la grandesection de l’école maternelle. n

*Denis Paget est chargé de recherche àl'Institut de recherche de la FSU

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PATRICE COHEN-SEAT*

Faire de la question de la démo-cratisation de la république uneurgence.

J e vais essayer de m’en tenir à la feuillede route proposée, c’est-à-dire essen-tiel, degré de liberté et chemin. Vous

connaissez la dialectique de l’urgenceet de l’essentiel. Il y a ce qui est essen-tiel, mais toujours l’urgence repoussel’essentiel plus loin. C’est ce qu’a faittraditionnellement le mouvementouvrier en matière de république et d’ins-titution, soit de dire : « les institutionson verra, pour le moment construisonsle rapport de forces. » Je pense que lesrapports de forces, pour aller dans le sensde Maryse, se situent sur tous les terrains,y compris celui des idées, des institu-tions et de la république. Je crois quel’essentiel, aujourd’hui, est de faire de laquestion de la démocratisation de larépublique une urgence. Pourquoi ?Parce que la république ne tient plus sespromesses. Je vais y aller à la serpe pardes affirmations péremptoires pour tenirle temps, mais on pourra entrer dans lesquestions. Il y a l’explosion des inéga-lités, l’exclusion d’une part croissantede la société par le chômage, les ghettos,l’assistanat, les prisons, entre autres. L’as-censeur social est remplacé par l’héré-dité des postes et des situations, le prin-cipe de liberté est remplacé par celui del’ordre ; il y a une montée de l’autorita-risme comme forme de régulationsociale, etc. Au total, le pacte social,liberté égalité fraternité est rompu, cequi produit colère, violence et délite-ment, pourrissement, au sens que Marxdonnait à ce mot. Et urgence parce que

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Comment construire le changement pour dynamiser la société ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

cette alliance mondiale au fil desconvergences idéologiques, des alliancestactiques ou stratégiques et diploma-tiques, à des questions qui mettent direc-tement l’ordre mondial actuel en cause.Engager la lutte des classes à l’échelleinternationale avec des acteurs nou-veaux : les peuples eux-mêmes avec pourobjectif un autre ordre du monde débar-rassé de la guerre économique et d’ail-leurs de la guerre tout court. Affaire diffi-cile, indiscutablement très difficile. Maisc’est cela ou admettre comme ce milliar-daire américain dont l’histoire ne retien-dra pas le nom – je ne l’ai pas retenu moi-même – que la lutte des classes existebien mais que sa caste l’a gagnée.

LE RÔLE DE LA FRANCEJe crois que la France pourrait jouer ungrand rôle dans une telle démarche.Elle n’est pas un très grand pays à côtédes mastodontes anciens ou émer-gents, mais notre peuple – beaucoupmoins nos gouvernements aujourd’huiil faut le dire – a aujourd’hui une trèsgrande autorité et une voix mondiale-ment audible. Cela serait un défi extra-ordinaire que notre peuple pourrait sedonner à lui-même et que la gauchepourrait lui proposer. Une démocratieéconomique et financière : tous lesrégimes ont appliqué le principe issude 1789 du droit de propriété inviola-ble et sacré. Cela a été la base de ladomination du capital et de la bour-geoisie et aujourd’hui de la finance. Jecrois que si on ne s’y attaque pas, il n’ya pas de solution.Nous pourrions avancer deux prin-cipes : l’économie est une responsabi-lité publique, ce qui implique que l’ar-gent soit un bien commun, qu’il failleune maîtrise publique du secteur ban-caire et financier et un secteur publicdémocratisé, puissant et décisif. Quel’entreprise est une propriété sociale,pas étatique mais sociale. Il faut sortirde cette fiction absurde qui veut quel’entreprise soit considérée commeappartenant au capital voire serait lecapital lui-même. Je propose qu’onréfléchisse à l’idée que l’entreprise soitune entité juridique distincte de lasociété de capitaux et organiser dansl’entreprise un véritable partage depouvoirs entre au moins les salariés,les investisseurs – et pas seulement lesinvestisseurs privés – et les représen-tants des populations à différentsniveaux concernés. Cela pourrait êtreune république de citoyens associés.On voit bien que tout ce que je viens de

dire est inatteignable s’il n’y a pas unchangement radical de la politique dela France, donc un changement radicalde la distribution des pouvoirs dansnotre pays.Je soumets trois orientations essen-tielles : le partage, la rotation des pou-voirs. A 60 millions, il n’y a pas dedémocratie sans représentation. Maiscette représentation ne peut pas abou-tir à une professionnalisation de lapolitique. Il faut élargir l’exercice effec-tif des pouvoirs à des centaines de mil-lions de citoyens. Assurer la transpa-rence, rotation des mandats, interdic-tion des cumuls, raccourcissement dela durée des mandats. Assurer la trans-parence et le contrôle de l’exercice despouvoirs, je ne développe pas. Assurerla séparation des pouvoirs : noussommes dans un régime de relationscorruptives contre nature entre législa-tif, exécutif, judiciaire, médiatique etéconomique. Enfin, créer des capaci-tés d’intervention directe des citoyensà tous les niveaux institutionnels. Amon avis, c’est un des aspects réelle-ment révolutionnaires du bond démo-cratique à effectuer. Permettre auxcitoyens et à leurs forces organisées,syndicats, associations, etc., d’interve-nir dans les délibérations des assem-blées électives, dans le contrôle etl’évaluation des décisions, dans lespropositions de décisions jusqu’auniveau parlementaire, cela pourraitêtre l’objet d’une transformation radi-cale du Sénat qui pourrait permettrecette interface entre citoyens et pro-cessus législatif.Pour conclure, la question du cheminserait incomplète sans parler d’un pro-cessus de transformation institution-nelle dans notre pays. Je pense que lesidées sont assez largement partagées. Ilfaut un changement de république,une VIe République. Il faut donc – c’estquelque chose de concret parce quecela pourrait faire partie d’un pro-gramme partagé – proposer l’électiond’une constituante dès que la gaucheaura gagné en 2012, asseyant son tra-vail sur des Etats généraux citoyens etdébouchant sur un referendum. Si lagauche l’emporte en 2012, ceci doit êtreune question essentielle et je crois quecela doit être une mention aussiessentielle de la campagne et du vote :changement de politique, change-ment de constitution et de distribu-tion des pouvoirs. n

*Patrice Cohen-Seat est président d'Espaces Marx

n’ont plus cours, n’ont plus prise sur lecours des choses et cela crée cetteespèce de machine infernale qui vadans le mur. C’est un des principauxdéfis de notre époque à mon avis, unedes principales questions qui noussoient posées. Maryse en parlait au sensdes rapports de forces, j’en parle au sensdes institutions et à mon avis les rap-ports de forces se créent dans la démo-cratie, hisser la démocratie au niveau deces nouveaux champs de pouvoir.La finance a déjà ces instruments.L’autre jour, j’entendais sur France InterDominique Strauss-Kahn répondre à laquestion du comment on a prise sur lamondialisation par G20 et FMI. Maisquels instruments les peuples vont-ilsse donner pour avoir prise sur le coursdes choses aujourd’hui mondialisées ?Une chose est certaine, les puissants nese laisseront pas faire, ils ne se sontjamais laissés faire, cela ne va pas com-mencer maintenant, d’autant qu’ilsn’ont jamais été aussi puissants. Surtout un aspect de la réponse à la ques-tion du comment faire, je ne vais pasrevenir sur des sujets que Francis Wurtza évoqués ce matin à propos del’Europe ; à mon avis, la question de laconstruction européenne, dans satransformation, dans son sens, dansses modalités, est une question clef etcapitale. Mais je crois qu’il faut aussiexplorer une autre voie, engager laconstruction d’une vaste alliance inter-nationale des peuples qui souffrent, etj’allais dire ceux qui souffrent le plus, dela domination de la finance apatride. Etceux qui souffrent le plus, il y en anotamment au Sud et à l’Est, partout defaçon générale d’ailleurs où des forcespeuvent se lever, parfois les surprisessont au coin de l’Histoire, ce n’est pas làoù on pensait que la révolution proléta-rienne se produirait qu’elle s’est pro-duite. Mais cela a eu évidemmentquelques conséquences. Cette allianceinternationale pourrait au début seconstruire sur certaines questions oùon sent des consensus susceptiblesd’affleurer. Par exemple l’accès à l’eau,aux médicaments, les questions clima-tiques sur lesquelles on a bien vu àCopenhague l’échec patent des princi-paux dirigeants du monde puisqu’ilsétaient tous là - jamais il y en avait euautant à se mettre d’accord sur unequestion que tout le monde jugeaitessentielle parce qu’elle est essentielleet parce que leurs opinions publiques laconsidèrent comme telle - le commercemondial équitable, etc. Et puis élargir

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QUELS ENSEIGNEMENTSTIRER DE CETTE RENCONTRE

POUR ALLER PLUS LOIN ?

Transformer l'indignation en enthousiasme pour un projet nouveau, combattre la société du mépris,

sans autrui et sans valeur et mettre en commun tous les savoirs,libérer l'intelligence populaire sont les grandes orientations

proposées dans cette partie.

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Quels enseignements tirer de cette rencontre pour aller plus loin ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

CHRISTIANE MARTY*

Redonner du sens, remise au pasde la finance, égalité femmes-hommes : trois points forts duprojet.

Je trouve la démarche de faire serencontrer différents composants dumouvement social et politique vrai-

ment très utile et particulièrement danscette période de crise financière, écolo-gique et sociale. Le mouvement autourde la réforme des retraites a fait la preuved'une forte conscience de la populationdes inégalités et de l'injustice, non seule-ment de la réforme mais aussi des poli-tiques menées qui a abouti à une crise delégitimité du gouvernement, en Francemais aussi ailleurs. Dans ce contexte d'ur-gence sociale et écologique, il faut trans-former l'indignation en un enthousiasmepour un projet nouveau, pour une mobi-lisation dans une démarche partagée. Enréaction au contenu des restitutions, jevoudrais développer trois points.Le premier est que cette crise est une crisedu sens, une crise des systèmes de valeurs,à mon avis cela n'a pas été assez souligné.La société actuelle repose sur la défini-tion d'un modèle social de réussite baséesur l'argent, le pouvoir et la domination.L'union européenne s'est construite eninstaurant un droit de la concurrencesupérieur de fait aux droits sociaux, auxdroits du travail. Les valeurs libéralesdominantes sont la compétition et laperformance et les stratégies d'entreprisesen matière de conquêtes de marchés sontbasées sur l'agressivité et la prise derisques. Si on veut vraiment s'attaquer àla logique capitaliste, il faut déconstruireces représentations sociales de la réus-site et construire un nouvel imaginairepour la société. Il faut réfléchir à inverserle système de valeurs et comment fairepasser les notions de concurrence et decompétition derrière les valeurs de coopé-ration et de solidarité. Ce renversementdu sens, ce nouvel imaginaire est, pourrépondre à votre troisième question, unchemin permettant de construire cesdegrés de liberté et faire adhérer unmaximum de gens à un projet qui doitêtre celui d'une émancipation globale del'humanité.Le deuxième point porte sur la remise aupas de la finance, la question de la démo-cratie, la réorientation de l'Union euro-

DE L’ENTHOUSIASME POUR UN PROJET NOUVEAUpéenne. Si ce contenu est accepté par touset essentiel pour une politique de gauche,certains points sont pourtant à appro-fondir, tel le rapport à l'écologie ou laquestion de la décroissance dont nousdébattons aussi à Attac. Ainsi, en sortantde l'injonction binaire entre croissanceet décroissance, en la regardant commeun moyen, et non comme une finalité, departir des besoins sociaux à satisfaire etde prendre en compte les contraintesenvironnementales pour définir à partirde là ce qui doit être produit, il semblepossible de réduire cette opposition trèsraide entre ces deux alternatives.Le troisième point répond à la question :les femmes se retrouvent-elles dans ceprojet ? Je répondrai que, de mon pointde vue, elles ne se retrouvent pas trop...L'objectif d'égalité entre les hommes etles femmes n'est pas assez pris en comptedans ce que j'ai entendu ou lu. Si jereprends l’idée des chemins pour la miseen œuvre du projet, une solution miraclen'existe pas sinon le but serait déjà atteint.La difficulté provient que cette questiondépend des rapports de force et cesrapports pour le moment ne nous sontpas favorables. Pour les modifier, il fautmettre en œuvre une stratégie de trans-formation, trouver des objectifs crédiblessur des thèmes de convergence, à traversdes mobilisations, des campagnes enFrance et dans l'Union européenne. Et jevoudrais signaler deux axes, en lien l'ob-jectif d'égalité entre les hommes et lesfemmes qui peuvent aussi aider à partirdu concret, des gens.Le premier axe concerne des points précisdu développement du service public. Jevoudrais revenir sur les services publicsde prise en charge de la dépendance etd'accueil de la petite enfance. Les besoinssociaux sont énormes dans ces domaines.Le manque de place dans ces services pèseessentiellement sur les femmes. La distri-bution des rôles dans notre société faitque ce sont majoritairement les femmesqui s'occupent des proches dépendantset de l'éducation des enfants et cela lesempêche souvent d'obtenir un emploi oules contraint au temps partiel, statut très

pénalisant pour leur autonomie finan-cière et leur émancipation. Développerdavantage de disponibilité pour cesservices représenterait un cercle vertueux :en permettant de lever les obstacles à l'em-ploi des femmes cela entraînerait uneamélioration du financement des retraites.De plus, cette nouvelle situation créeraitun nombre important d'emplois et pasuniquement pour les femmes mais aussipour les hommes, à condition de luttercontre les stéréotypes.Le deuxième axe porte sur la réductiondu temps de travail, qui va à l'encontre del'injonction de toujours travailler plus. Lebut est de partager le travail entre tous, deréduire le chômage, de lutter contre lacontrainte de certaines femmes au tempspartiel, de répondre à une aspiration large-ment répandue vers une augmentationdu temps libre, pour les amis, la famille,le partage égal des tâches domestiques etparentales, pour la vie associative, poli-tique, syndicale ou citoyenne... Ce tempslibre peut servir la cause d’un projet visantplus d'épanouissement personnel, desrapports plus égalitaires et moins subor-donnés au travail, un projet qui prenneaussi en compte les contraintes environ-nementales et rompe avec l'idée detoujours produire plus.Ces deux axes peuvent favoriser une largeconvergence pour des mobilisations etaider à la mise en place d’une stratégiede transformation par les luttes. Ce sontdes leviers réalistes et tangibles de mobi-lisation. Nous aurions en effet du mal,même si cela est nécessaire, à lancer descampagnes pour modifier le statut de laBanque centrale européenne. Ce genrede démarches permet de remettre tota-lement en cause tous les dogmes du libé-ralisme. Cette recherche d'égalité entreles hommes et les femmes n'est pas seule-ment une exigence éthique ou politique,mais aussi une voie pour repenser l'en-semble des rapports sociaux et alimenterun nouvel imaginaire pour une sociétéde demain. n

*Christiane Marty est membre du Conseilscientifique d’Attac

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dit encore Gramsci, la philosophieimplicite, le folklore à partir duquel lesindividus et le peuple peuvent se don-ner une « vision du monde ». Déserterce terrain de la culture qui fabrique nossensibilités sociales et psychologiques,c’est tout simplement renoncer au« politique » proprement dit, même etsurtout quand on change le « person-nel politique » sans changer la manièrede penser le monde, son écologiesociale, culturelle, existentielle. En par-ticulier, la manière dont une cultureaccueille et traite la vulnérabilité, sym-bole d’une « humanité dansl’homme », conditionne culturelle-ment les formes du lien social, autantque du savoir.La manière de soigner comme celled’informer, de juger, d’éduquer, defaire de la recherche, révèle la subs-tance éthique d’une civilisation, la hiérarchie de ses valeurs, son horizonphilosophique, c’est-à-dire politique.Parviendra-t-on encore à soignerdemain, à faire de la politique, à ensei-gner, à juger, à chercher, à informer ? J’ai tendance à penser que la catas-

trophe culturelle qui s’annonce estplus grave que la crise financière, éco-nomique, politique que nous venonsde connaître. Ou du moins, qu’elleappartient au même phénomène, aumême processus, celui d’une catas-trophe écologique dont l’environne-ment n’est que cette part de la natureque l’humain a rendu étrangère à lui-même pour mieux pouvoir l’arraison-ner comme fonds énergétique àexploiter. Feignant du même coupd’oublier qu’en objectivant la nature,le sujet humain s’objective lui-même.Et ce d’autant plus facilement quecette forme de civilisation prétendra le« naturaliser » comme « animal », ani-mal que dans les démocraties « com-passionnelles » on peut transformer en« animal pitoyable». Cette objectiva-tion de l’humain et de la naturecomme « fonds énergétiques » à exploi-ter a conduit progressivement à leur« financiarisation », à leur transforma-tion en produits financiers, commen-surables, interchangeables, sans spéci-ficité. D’où l’urgence à ne pas se laisseraller à ce « pétainisme culturel » de ladéfaite consentie, de la résignation aupragmatisme et à l’utilitarisme.

Sur ce terreau de la désespérance, serecompose le champ de l’opinion etl’émergence, la floraison, de cette« fleur » vénéneuse du « pétainismeculturel », de la défaite et de la résigna-tion consentie que favorise toujoursdavantage la précarisation de nosconditions matérielles et symboliquesd’existence. Face à cette réalité, lesFrançais ressentent de la colère et de latristesse. Ils sont partagés entre l’apa-thie politique, avec des taux d’absten-tion record dans les élections récentes,et la tentation du populisme de droiteou de gauche. La question d’une « findu politique » est posée de multiplesfaçons, mais toutes soulignent cettealiénation des forces d’opposition poli-tique au dogme capitaliste, au discoursessentiellement économique duqueltout le poétique et le symbolique ontété évacués.Dès lors, la révolte des Antilles enfévrier 2009, tel un symptôme, a faitentendre la voix poétique dans l’archi-tecture symbolique d’une culturebaroque faite, comme l’énonce PatrickChamoiseau, de « mélanges, de syn-thèses inachevées, de traces recompo-sées…» Ceux qui avaient eu à subirtoutes les modalités des systèmesd’oppression de la colonisation et del’esclavage, dans leur chair et dans leurâme, dans les espaces économiquesautant que symboliques, n’ont paspour autant oublié la nécessité d’ad-joindre au militantisme la posture de lapoétique, c’est-à-dire ce par quoi l’hu-main « rejoint l’obscur, l’impensable,l’inexprimable. L’inexplicable à monavis relève du poétique, la partiehumaine la plus oubliée, la plus pro-fonde, la part symbolique perdue devue. Tellement perdue de vue qu’ellen’est pas formulable ; je ne l’ai pasentendue dans les revendications. Jen’ai pas entendu de revendicationsymbolique ou poétique. » Cette pos-ture poétique, Patrick Chamoiseau larencontre ailleurs dans « une choralede gospel, une vieille dame chanter etdanser dans la rue ; j’ai vu des musi-ciens jouer, des jeunes se rassembler etéchanger ; […] des gens créer deschansons ensemble, se tenir la main,avancer ensemble, j’ai entendu unechanson écoutable à l’infini, les gens ymettre ce qu’ils ressentent, c’était une

La culture n’est pas qu’un sec-teur de la vie sociale mais sasubstance essentielle, sa subs-tance politique.

ROLAND GORI*

Pour développer cette thèse, jepartirai d’une citation de PierreBourdieu d’octobre 1995 qui me

paraît plus que jamais d’actualitélorsque, dans Les abus de pouvoir quis’arment ou s’autorisent de la raison, ilécrit : « Le rationalisme scientiste, celuides modèles mathématiques qui inspi-rent la politique du FMI ou de la Banquemondiale, celui des Law firms, grandesmultinationales juridiques qui imposentles traditions du droit américain à laplanète entière, celui des théories de l’ac-tion rationnelle, etc., ce rationalisme està la fois l’expression et la caution d’unearrogance occidentale, qui conduit à agircomme si certains hommes avaient lemonopole de la raison, et pouvaients’instituer, comme on le dit communé-ment, en gendarmes du monde, c’est-à-dire en détenteurs auto-proclamés dumonopole de la violence légitime, capa-bles de mettre la force des armes auservice de la justice universelle. Laviolence terroriste, à travers l’irrationa-lisme du désespoir dans lequel elle s’en-racine presque toujours, renvoie à laviolence inerte des pouvoirs qui invo-quent la raison. La coercition écono-mique s’habille souvent de raisons juri-diques. L’impérialisme se couvre de lalégitimité d’instances internationales. »(Pierre Bourdieu, Contre-feux, 1998, pp.25-26.)La crise anthropologique que nous tra-versons aujourd’hui est aussi impor-tante que la crise écologique dontd’une certaine façon elle fait partie.C’est le thème que je souhaite évoquer.Ne pas prendre en compte cette crisede la culture serait maintenir en placeles dispositifs d’hégémonie culturelleet sociale qui permettent les soumis-sions politiques, qui légitiment leslogiques de domination matérielle etsymbolique. La culture n’est pas qu’unsecteur de la vie sociale mais sa subs-tance essentielle, sa substance « poli-tique » disait Gramsci pour qui cultureet politique sont synonymes. Elle est,

LA CRISE DE LA DÉMOCRATIE EST AUSSI ET D’ABORD UNE CRISE DE LA CULTURE

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Quels enseignements tirer de cette rencontre pour aller plus loin ?

N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

aujourd’hui comme la nouvellemanière de donner des ordres au nomd’une prétendue objectivité formelle,technique, gestionnaire, comptable,c’est parce que l’autorité est en crise etque les décisions se masquent, secachent, se parent d’une « neutralitéd’eunuque » pour reprendre l’expres-sion d’un historien polonais, JohanDroysen.L’autorité est en crise. Quand l’autoritéest en crise, le pouvoir normatif s’ac-croît. Le pouvoir normatif n’est pasl’autorité. L’autorité requiert toujoursl’obéissance mais elle exclut l’usage demoyens extérieurs de contrainte.Hannah Arendt le rappelle : « là où laforce est employée, l’autorité propre-ment dite a échoué. » Mais dans nosdémocraties, dans les sociétés decontrôle qui se sont installées, la« force » doit prendre le masque de lanorme, de la précaution, de la gestiondes risques, de la rationalisation desconduites pour se faire accepter endouceur au nom de la Raison, de l’éga-lité, de la transparence, du pragma-tisme, pour installer de nouvellesformes de servitude volontaire. La dis-parition de l’autorité accompagne ledéclin des idéologies, des traditions,des mythes, des religions et des imagi-naires aussi bien individuels que col-lectifs. Toutes les enquêtes, les rap-ports divers et variés montrent qu’au-jourd’hui, en France par exemple, onne croit plus à l’« illusion » collectived’un « progrès social » infini, d’un« ascenseur social » générateur d’es-poir et de foi dans l’avenir. Cette crisede confiance participe d’un efface-ment de l’autorité. Dès lors, nos socié-tés de « défiance » et de contrôle socialrequièrent la mise en place de nou-veaux dispositifs de persuasion, d’ar-gumentation et de manipulation del’opinion pour obtenir la soumissionsociale des individus et des popula-tions et leur oppression symbolique.Cette logique de domination symbo-lique, on la trouve dans la reconfigura-tion de tous les métiers, en particulierles métiers de l’espace public, remode-lés au nom du réalisme, du pragma-tisme, de l’utilité et de la performance,sommés de se mettre à l’heure desvaleurs et des habitus du secteur privé,du secteur exposé à la guerre duMarché globalisé. Cette reconfigura-tion des métiers a produit la colèresociale et le désespoir autant indivi-duel que collectif. Cette reconfigura-tion des métiers sommés d’incorporer

les valeurs culturelles du capitalismefinancier a perverti le sens, l’histoire etles traditions de ces métiers. Cettereconfiguration, que portent lesréformes gouvernementales préparéesen amont par une nouvelle culturedepuis presque trente ans, est à l’ori-gine de l’Appel des appels et de biendes collectifs.Cette philosophie de la néo-évaluationqui quantifie, contrôle, normalise ethumilie les individus comme les États,procède d’un pouvoir normatif quiindividualise, isole et met en servitudepar « une évaluation individuelle com-parée ». Cette technique de palmarèsde benchmarking est un dispositif delégitimation du pouvoir, de son darwi-nisme social et moral. Toutes lesréformes gouvernementales et néoli-bérales de l’État et des services ont étépréparées par des cabinets d’audit etde gestion qui prescrivent l’incorpora-tion de normes managériales dans lesmétiers, mais aussi dans les têtes desindividus et dans leur vivre ensemble.C’est donc une technique de gouver-nement autant qu’un dispositif de sub-jectivation. C’est au nom de cettefausse administration technique etobjective que les périmètres des États,de leur politique autant que de lamanière de vivre des individus se trou-vent définis, prescrits. C’est un pointstratégique essentiel dans l’accultura-tion des individus et des populations àune vision néolibérale du monde, àune philosophie implicite du capita-lisme financier. Cette culture seconfond pour Gramsci avec le poli-tique et je crois qu’un projet de sociétéqui ne prendrait en compte l’analysede ces dispositifs de servitude et n’agi-rait pas contre eux serait voué àl’échec. Et ce d’autant plus que la ratio-nalité instrumentale requise dans letravail au mépris de toutes les autresvaleurs, solidarité et justice, d’amour etde plaisir, tend dans les sociétésmodernes à fabriquer une morale utili-tariste qui s’étend à tous les secteurs del’existence. Combattons ensemblecette nouvelle manière de donner desordres qui se nomme abusivementévaluation et produit une chosifica-tion, une réification des humains,transformant leurs actes et leurs per-sonnes en produits financiers, frag-mentés, commensurables, interchan-geables, pièces détachées d’une espèceanimale et économique. Combattonsensemble, par la création de coopéra-tives d’initiatives citoyennes, cette

chanson énigmatique. » Il déplore quecette part du poétique ne soit jamaisprise en compte par le politique lequels’avère infirme à l’inscrire dans sesprojets et ses initiatives. C’est par cette solidarité involontaireaux systèmes d’oppression symboliquelequel les syndicats, les partis poli-tiques et l’ensemble que les forcessociales et politiques risquent parfoisde participer aux régimes culturels etpolitiques qu’ils combattent. D’oùl’importance d’une analyse transver-sale et d’une synergie d’action entre lessyndicats, les partis politiques et lasociété civile. Et à ce titre, on ne peutque féliciter Pierre Laurent, le Particommuniste et le Front de gauche desinitiatives qui sont prises en ce sens.En particulier de la place qui est lamienne dans la défense des valeursd’une culture des métiers, je voudraissouligner en quoi l’acquisition desdroits politiques s’avère toujours insé-parable de la conquête des droits dutravail et de la défense des métiers, deleurs finalités comme des conditionsde leur pratique et de leur transmis-sion. La Déclaration de Philadelphie(mai 1944), qui se place sous l’enseignede l’Organisation internationale dutravail, précède de quelques semainesles accords de Bretton Woods recom-posant des équilibres monétairesinternationaux, de quelques mois lacréation de l’ONU et de quelquesannées la Déclaration universelle desdroits de l’homme (1948). Dans notreculture occidentale, dans son rationa-lisme économique et social, on ne sau-rait méconnaître ce point : c’est sur leplan de la liberté, de sécurité, de justicesociale, dans les conditions de travailet des pratiques des métiers que la cul-ture politique se joue d’abord. Sansdevoir confondre les champs, c’est surle plan des emplois et des métiers queles logiques de domination néolibéraleou d’émancipation sociale se sontjouées, se jouent encore aujourd’hui etse joueront demain.L’hégémonie sociale et culturelle quiconduit à des logiques de soumission,d’humiliation symbolique et matérielledes classes sociales défavoriséescomme des classes moyennes, dans lessociétés modernes, s’est installéed’abord et se pérennise toujours dansle champ du travail. C’est dans cechamp que s’érigent les dispositifs deservitude et que se conquièrent lespratiques et les langages d’émancipa-tion. Si l’évaluation s’impose

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son troupeau broutant paisiblement, etrépond simplement : « Certain ement ! »L'homme gare sa voiture, ouvre sonordinateur portable, le branche à sontéléphone cellulaire, navigue surInternet vers la page de la NASA, com-munique avec un système de naviga-tion par satellite, balaie la région,ouvre une base de données et quelquetrente fichiers Excel aux formules com-plexes. Finalement, il sort un rapportdétaillé d'une dizaine de pages de sonimprimante miniaturisée et s'adresseau berger en disant : « Vous avez exacte-ment 1586 moutons dans votre trou-peau. » « C'est exact » dit le berger. « Etcomme nous l'avions convenu, prenez-en un. »Il regarde le jeune homme faire son choixet expédier sa prise à l'arrière de son véhi-cule, puis il ajoute : « Si je devine avecprécision ce que vous faites comme métier,me rendrez-vous ma bête ? » « Pourquoipas ? » répondit l'autre.

« Vous êtes expert (de la DGSE ou del’AERES, ou de l’ANR, ou de l’OMS, etc.Cochez l’acronyme de votre choix !) etvous faites des audits et du conseil » ditle berger. « Vous avez parfaitement raison,comment avez-vous deviné ? » « C'estfacile. Vous débarquez ici alors quepersonne ne vous l'a demandé, vousvoulez être payé pour avoir répondu àune question dont je connais déjà laréponse et dont tout le monde se fout et,manifestement, vous ne connaissez abso-lument rien à mon métier. Maintenant,rendez-moi mon chien... ». n

*Roland Gori est psychanalyste, professeurémérite des universités. Dernier ouvrage : Dequoi la psychanalyse est-elle le nom ?Démocratie et subjectivité, Denoël, 2010.

Alain Badiou, Le Siècle, Paris, Le Seuil, 2005.Daniel Le Scornet, Le politique, fin de règne,Paris, Éditions de l’Atelier, 2010.Patrick Chamoiseau, « Grand témoin »,Cassandre, 2009, 78, pp. 7-13.Patrick Chamoiseau, 2009, ibid., p. 8.Hannah Arendt, 1954, p. 123.

société du mépris propre à la rationa-lité économique instrumentale, sociétésans autrui et sans valeur qui invitedans les métiers et ailleurs à traiter leshommes comme les choses. Pour terminer je ne résiste pas au plai-sir de vous raconter une historiette quia couru sur le Net et que j’ai évoquée àla journée intersyndicale du 17 novem-bre en partenariat avec l’Appel desappels : Un berger faisait paître sontroupeau au fin fond d'une campagnequand, d'un nuage de poussière, surgitune rutilante Range Rover venant danssa direction.Le chauffeur, un jeune homme dans uncomplet Armani, chaussures Gucci,lunettes Ray Ban et cravate Hermès, sepenche par la fenêtre et demande auberger : « Si je peux vous dire exactement com-bien de moutons il y a dans votre trou-peau, m'en donnerez-vous un ? »Le berger regarde le jeune homme, puis

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N° SPÉCIAL RENCONTRE NATIONALE POUR UN PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ LES 26, 27 ET 28 NOVEMBRE 2010

C'est, je crois, un enjeu essentiel dontdépend notre capacité à répondre auxurgences sociales, économiques, écolo-giques, démocratiques, aux urgences poli-tiques de la crise dont nous avons touteset tous parlé. Notre point de départ, qui est apparu demanière éclatante dans l'enquête de laFondation Gabriel-Péri que nous a resti-tuée Michel Maso, c'est que la sociétéfrançaise est travaillée à la fois par un rejetcroissant du modèle libéral, une indigna-tion face aux injustices et aux inégalités,des valeurs de gauche et, en même temps,par une défiance croissante envers la poli-tique, les responsables et les partis poli-tiques. Ce décalage entre les exigencespopulaires et les réponses des forces poli-tiques, des forces de gauche en particu-lier, est une question majeure. C'estmême, je dirais, la question essentiellepour celles et ceux qui, comme nous ici,ont une ambition de transformationsociale. L'enjeu, dans cette situation, c'estde faire que les gens n'intègrent pas cedécalage comme une donnée incontour-nable, mais sortent du rôle de spectateursque les dominants leur assignent, pours'y attaquer. Alors que le pays vient devivre un mouvement exceptionnel, ceproblème fait qu'il n'est pas impossible,qu'à l'issue des échéances de 2012, noussoyons toujours dans une situation poli-tique très compliquée. Cette questionn'est d'ailleurs pas nouvelle puisque lasociété française a été capable de dire nonau traité constitutionnel européen àl'issue d'un débat formidable et d'élire,deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy. Est-ce qu'on est capable de changer cettesituation ? Eh bien, je crois que larencontre que nous venons de tenirmontre qu'il y a des chemins possibles.Une chose est sûre : il ne suffira pas defaire progresser dans la société l'adhé-sion à telle ou telle proposition. Il fautcréer les conditions de la reconquête despouvoirs et donc de la reconquête de lapolitique par la majorité du peuple fran-çais. Dans la situation que nous vivons,

tout doit commencer par cette ambitionde remettre le peuple au cœur de notreambition de transformation sociale. Aussi,la question de la décentralisation de cesrencontres nationales partout dans le paysest très importante. Le processus que nous initionsaujourd'hui doit devenir lui-même unacteur du débat politique de la sociétéfrançaise. Pas un moyen de préparercertains acteurs de la vie politique commeles partis, en particulier le Parti commu-niste, à gouverner, mais bien un acteur dela vie politique au point de la transformertrès profondément. Avec le mouvementdes retraites, le peuple vient de reprendrela parole, la question est maintenant qu'illa garde. Nous ne visons pas une dyna-mique populaire de soutien - au PCF ouà telle ou telle force - nous visons unedynamique populaire de création poli-tique, capable d'énoncer ses objectifs etde les rendre incontournables dans ledébat politique national. Nous devonspermettre aux gens de se sentir assez fortspour dire « voilà ce que la gauche doit etpeut faire » dans tous les domaines commeils ont pu le faire pour le mouvement desretraites. J'ai parfaitement conscience dudécalage entre cette ambition et la manièredont se structure tous les jours le débatpolitique à l'approche de l'élection présidentielle, mais nous devons tenirensemble ce cap pour réussir ce que nousentreprenons avec l'élaboration de ceprogramme populaire partagé par lesFrançaises et les Français. Nous voulonsaller le plus loin possible, j'ai parlé desdeux ans à venir, mais évidemment onvoit bien que cela porte très au-delà deséchéances électorales de 2012.

QUELS CONTENUS TRANSFORMATEURS ?Énormément de choses ont été ditespendant ces trois jours et il n'est évidem-ment pas facile de faire le tri, de mettrele tout en cohérence. Ceci étant dit, cequi me frappe, c'est la richesse deséchanges que l'on a eus et le nombreassez considérable de pistes, finalement

PIERRE LAURENT*

Je veux d'abord remercier tous les inter-venants, toutes celles et ceux qui ontrépondu à notre invitation, tous les

militants des syndicats et associations,tous les militants et dirigeants du Partiprésents, tous ceux qui ont travaillé à lasynthèse de nos débats. Je veux aussisaluer tous ceux qui ont suivi la rencontresur Internet, ce qui est le cas de 5000personnes au terme de ce week-end, ainsibien sûr que les camarades qui onttravaillé à cette retransmission. Je croisque la rencontre que nous venons de vivreest un événement. Elle a permis de croiserdes approches parfois très différentes ettoujours complémentaires. Des intellec-tuels, des militants sont intervenus, maiscette distinction, si elle a un sens, nepermet pas de rendre compte de la partd'engagement et de savoir des uns et desautres. Ce qui a fait la richesse de cetterencontre et qui peut faire la richesse duprocessus que l'on essaie de développer,c'est bien la mise en commun de tous lessavoirs, qu'ils soient universitaires oupopulaires, pour réussir le changement.Je ferai trois remarques : une premièresur l'enjeu de ce que l'on engage à traverscette rencontre, une deuxième sur lescontenus que nous avons débattus et puisune dernière sur ce qui nous attend.

CONSTRUIRE UN PROCESSUS D'UN TYPE NOUVEAUDans la restitution des débats, plusieurspersonnes ont dit : « c'est encore confus ;on a le problème d'identifier les ques-tions ; on doit hiérarchiser les proposi-tions... ». Au terme de ces trois jours et àl'étape actuelle, la question n'est pas, jepense, celle de savoir si on sort de larencontre avec un beau programme maisplutôt celle de savoir si on engage le travailpour y parvenir de la bonne manière.Cette question me semble être la bonneet être un enjeu politique en tant que tel.Est-ce que l'on est capable de créer unprocessus politique de type nouveau ?

LA MISE EN COMMUN DE TOUS LES SAVOIRS POUR RÉUSSIR LE CHANGEMENTDévelopper un processus visible dans la société qui libère l’intelligence populaire.

CONCLUSIONS

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un niveau où elle n'est pas encore por-tée dans la société, parce qu'elle struc-ture beaucoup d'autres questionsdéterminantes, est essentiel pour latransformation sociale. Je pense ici à laquestion de l'égalité femme-hommedont parlait Christiane Marty avantmoi. Réfléchissons ensemble aux ques-tions qui peuvent nous donner de nou-veaux degrés de liberté pour faire évo-luer la situation.J'entends parfois, au sein même du Frontde gauche, « on a le programme » ouencore « on est d'accord sur beaucoup dechoses ». Oui, on a des propositions, oui,on est d'accord sur beaucoup d'enjeux,mais cela ne résout pas le problème desavoir par où commencer et commenténoncer intelligemment nos objectifspour rassembler une majorité de nosconcitoyens et modifier vraiment la situa-tion. La bataille des retraites est un bonexemple : nous avons su, comme beau-coup de forces dans le pays, voir que l'onavait avec elle la possibilité de révéler undébat de société très profond autour d'uneconception du vivre ensemble, d'unrapport entre générations, du rapport autravail... Notons à quel point le gouver-nement s'est quant à lui fait dépasserquand, en croyant assommer le mouve-ment avec l'argument de l'espérance devie, il a en fait ouvert un débat fonda-mental sur les temps de vie.

CE QUI NOUS ATTEND Je l'ai dit d'emblée : je pense que nousdevons viser un processus populaire,multiforme, décentralisé. Ne cherchonspas à nous mettre d'accord au départ pourdéployer notre dynamique, pour savoirtout ce que l'on doit dire à nos conci-toyens. Quelqu'un a dit tout à l'heure : « Ilne s'agit pas de relever ce qui est communau départ, mais de se mettre déjà d'ac-cord sur ce que nous voulons construireensemble. » Cela me paraît essentiel. Etquelqu'un d'autre a dit aussi : « il y a tantde choses dans la société qui ne se disentpas par pudeur ou par fatalisme ». Effec-tivement, il y a aujourd'hui une part consi-dérable de l'intelligence populaire qui esteffacée, qui ne s'exprime pas parce quela pression dominante ne le permet pas.L'urgence est de rendre notre processusvisible dans la société pour faire sauter leverrou qui empêche le déploiement del'intelligence populaire. Si nous y parve-nons, alors cela changera comme cela achangé en 2005 au moment du traitéconstitutionnel européen, comme celavient de changer sur les retraites. Lepeuple est bien plus capable d'audace,

lorsque son intelligence est libérée, quene le sont actuellement les forces poli-tiques, y compris à gauche. Nous devonsfaire ce pari pour changer les choses. Notre responsabilité est très importantepour faire émerger ce processus dans lasituation politique actuelle, pour l'im-poser aux tenants du pouvoir qui veulentconfisquer le débat, pour le faire dominerchez nombre de responsables de gauchequi sont loin encore de cette conception-là, le faire dominer au sein du Front degauche, et je dirais jusqu'à nous-mêmes,contre nos propres habitudes. C'est l'am-bition pour laquelle nous avons créé leFront de gauche. Nous devons donc êtretrès vigilants dans la période à poursuivredans cette voie au moment où elle peutvraiment bousculer la donne à gauche. Il y a beaucoup de rendez-vous devantnous. Le comité de pilotage de cetterencontre va continuer de travaillerpour lui donner des suites. Nous avonsmis en place aussi un comité du projetau PCF qui travaille déjà sur la tenued'ici à notre congrès de juin de troisconventions nationales pour permettreà notre parti de pousser sa réflexion et ses propositions dans tous lesdomaines. Et, avec le Front de gauche,nous tiendrons plusieurs forums encommençant par les retraites à Paris le2 décembre, puis sur la VIe Républiquele 9 décembre à Nanterre, et sept initia-tives suivront dans toute la France surles questions de l'Europe, de l'argent,de l'écologie, du travail, de l'école, desservices publics et de la politique inter-nationale. Notre processus, multiformeet touchant une pluralité de domaines,nous devons l'assumer pleinement,même si cela paraît difficile, car il est lacondition de lever suffisamment d'in-telligence populaire pour pouvoirsérieusement bousculer la situation.Nous avons évidemment un travail de synthèse politique de tout cela, de propositions à progressivementélaborer, mais nous devons mener cetravail-là au cœur de ce processus popu-laire et non pas en essayant de subor-donner ce processus à notre capacité àexprimer un projet fini. C'est ainsi quenous bousculerons le paysage politique.Faisons que s'empare du plus grandnombre l'idée que nous pouvons fairevivre la politique autrement qu'elle ne vitaujourd'hui. Rendons visible cet objectif-là, faisons qu'il s'empare de millions degens pour que nous soyons capables deprogresser tous ensemble. n

*Pierre Laurent est secrétaire national du PCF

assez concrètes, qui ont été énoncéespour répondre aux problèmes posés. Ilne s'agit pas pour moi de faire unesynthèse. Alors que viennent de s'achevernos débats, il m'est bien sûr impossiblede citer toutes ces pistes, souvent trèsintéressantes. Je veux néanmoins enpointer quelques-unes. Face à l'essoufflement de nos institutions,élire une assemblée constituante et lancerdes états généraux citoyens en vue d'unréférendum pour élaborer une VIe Répu-blique ; face aux atteintes à la liberté dela presse, créer un véritable droit descitoyens d'accès à l'information et un élar-gissement de la protection des sourcesdes journalistes. Autres exemples : face àla dictature des actionnaires, s'attaquerau droit de propriété en distinguant lasociété de capitaux, comme entité juri-dique, de l'entreprise comme structureproductive ; face aux fléaux que sont lechômage et la précarité, construire unesécurité d'emploi et de formation ; faceaux logiques financières, construire uncrédit bancaire au service des besoinshumains. Ou encore : face à la dépen-dance de l'Europe aux marchés finan-ciers, à l'hyper-concurrence et au déni desouveraineté qui va jusqu'à la mise soustutelle d'États entiers, revenir sur les traitéseuropéens pour réorienter l'Europe. Jepeux vous dire à ce sujet, à quelques joursdu congrès du PGE qui se tient à Paris les3, 4, 5 décembre prochains, que beau-coup de forces regardent ce qui se passeen France avec le mouvement des retraiteset qu'il existe en leur sein une rechercheextrêmement vive de solutions à la crise.Enfin : face à la marchandisation des acti-vités humaines, protéger les biens publicscomme la culture ou l'école et permettreleur pleine démocratisation ; face à la stig-matisation, à la répression des jeunes,faire le pari de la jeunesse en lui donnantles moyens de prendre son autonomie ;face aux aliénations de toutes sortes, seréapproprier les temps de vie, reconquérirdes activités sociales libres pour reprendrele pouvoir sur nos vies.

DE NOMBREUSES AUTRES PISTES La rencontre d'aujourd'hui doit nousencourager à développer toutes les pro-positions abordées et à interroger nospriorités. Quand on écoute le débat deces trois jours, on voit qu'au delà deceux qui sont déjà programmés, d'au-tres rendez-vous sont nécessaires. Jepense par exemple à la construction deforums sur la jeunesse ou sur l'énergiepour instruire en profondeur cesenjeux. Parfois, mettre une question à

Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy [email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Economie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie [email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

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Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

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