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Monsieur Peter A. Hall Madame Rosemary C. R. Taylor La science politique et les trois néo-institutionnalismes In: Revue française de science politique, 47e année, n°3-4, 1997. pp. 469-496. Résumé On peut mieux appréhender le « néo-institutionnalisme » en science politique comme le développement de trois écoles de pensée distinctes : institutionnalisme historique, institutionnalisme des choix rationnels, et institutionnalisme sociologique. Les auteurs résument les intuitions centrales de chaque école, en portant une attention particulière à la dualité entre les approches « culturelle » et « calculatrice » et évaluent les avantages et les faiblesses de chaque école de pensée en soulevant deux questions clés : comment les institutions influencent le comportement et où se situent l'origine et le changement de ces institutions. En conclusion, ils explorent, pour chaque école, les possibilités d'intégrer certaines de ces intuitions les unes aux autres, de façon à favoriser un dialogue plus fécond entre elles. Abstract Political science and the three new institutionalisms The "new institutionalism" in political science can best be understood as the development of three separate schools of thought : historical institutionalism, rational choice institutio-nalism and sociological institutionalism. The authors summarize the core insights of each school, with particular attention to the duality between a "cultural" and a "calculus" approach and compare the advantages and disadvantages of each school of thought for addressing two key issues : how do institutions affect behavior and how do institutions ori-ginate and change ? They conclude by exploring the potential for integrating some of the insights of each school with those of the others in order to encourage greater dialogue among them. Citer ce document / Cite this document : Hall Peter A., Taylor Rosemary C. R. La science politique et les trois néo-institutionnalismes. In: Revue française de science politique, 47e année, n°3-4, 1997. pp. 469-496. doi : 10.3406/rfsp.1997.395192 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1997_num_47_3_395192

La science politique et les trois néo-institutionnalismes · Le structuro-fonctionnalisme et les théories des conflits entre les grou pes se présentaient aussi sous la forme de

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Monsieur Peter A. HallMadame Rosemary C. R. Taylor

La science politique et les trois néo-institutionnalismesIn: Revue française de science politique, 47e année, n°3-4, 1997. pp. 469-496.

RésuméOn peut mieux appréhender le « néo-institutionnalisme » en science politique comme le développement de trois écoles depensée distinctes : institutionnalisme historique, institutionnalisme des choix rationnels, et institutionnalisme sociologique. Lesauteurs résument les intuitions centrales de chaque école, en portant une attention particulière à la dualité entre les approches «culturelle » et « calculatrice » et évaluent les avantages et les faiblesses de chaque école de pensée en soulevant deuxquestions clés : comment les institutions influencent le comportement et où se situent l'origine et le changement de cesinstitutions. En conclusion, ils explorent, pour chaque école, les possibilités d'intégrer certaines de ces intuitions les unes auxautres, de façon à favoriser un dialogue plus fécond entre elles.

AbstractPolitical science and the three new institutionalismsThe "new institutionalism" in political science can best be understood as the development of three separate schools of thought :historical institutionalism, rational choice institutio-nalism and sociological institutionalism. The authors summarize the coreinsights of each school, with particular attention to the duality between a "cultural" and a "calculus" approach and compare theadvantages and disadvantages of each school of thought for addressing two key issues : how do institutions affect behavior andhow do institutions ori-ginate and change ? They conclude by exploring the potential for integrating some of the insights of eachschool with those of the others in order to encourage greater dialogue among them.

Citer ce document / Cite this document :

Hall Peter A., Taylor Rosemary C. R. La science politique et les trois néo-institutionnalismes. In: Revue française de sciencepolitique, 47e année, n°3-4, 1997. pp. 469-496.

doi : 10.3406/rfsp.1997.395192

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1997_num_47_3_395192

LA SCIENCE POLITIQUE

ET LES TROIS NÉO-INSTITUTIONNALISMES

PETER A. HALL, ROSEMARY C.R. TAYLOR

Le terme « néo-institutionnalisme » est aujourd'hui de plus en plus souvent utilisé en science politique pour désigner une perspective théorique qui attire beaucoup de louanges, mais aussi certaines cri

tiques. Toutefois, la plus grande confusion règne concernant le sens précis du terme «néo-institutionnalisme», les différences qui le distinguent d'autres démarches, et le genre d'espoirs et de problèmes qu'il fait naître. L'objet du présent article est de fournir quelques réponses provisoires à ces questions en recensant quelques-uns des travaux représentatifs de cette école naissante.

Une grande partie de la confusion qui entoure le néo-institutionnalisme s'évanouira si nous admettons qu'il ne constitue pas un courant de pensée unifié. Au contraire, au moins trois méthodes d'analyses différentes, qui revendiquent toutes le titre de «néo-institutionnalisme», sont apparues ces quinze dernières années. Nous appellerons ces trois écoles de pensée l'insti- tutionnalisme historique (IH), l'institutionnalisme des choix rationnels (ICR) et l'institutionnalisme sociologique (IS) '. Ces différentes méthodes se sont développées par réaction contre les perspectives behavioristes qui furent influentes dans les années soixante et soixante-dix, et elles cherchent toutes à élucider le rôle joué par les institutions dans la détermination des résultats sociaux et politiques. Toutefois, elles dépeignent le monde politique avec des couleurs très différentes.

Dans les sections qui suivent, nous exposons brièvement la genèse de chacune de ces écoles, et nous définissons succinctement ce qui distingue leur manière d'aborder les problèmes sociaux et politiques. Nous comparons ensuite les forces et les faiblesses théoriques des ces trois écoles de pensée, en nous intéressant particulièrement à l'attitude adoptée par chacune d'entre elles concernant deux questions qui devraient être fondamentales dans toute analyse institutionnelle, à savoir: (1) comment construire la relation entre institution et comportement, (2) comment expliquer le processus par lequel les institutions naissent ou se modifient.

Étant donné les objets qu'elles ont en commun, il est paradoxal que ces trois écoles de pensée se soient développées indépendamment l'une de l'autre, du moins si l'on en juge par la rareté des références croisées dans

1. En principe, il serait envisageable d'identifier une quatrième école, à savoir le «néo-institutionnalisme» en économie. Toutefois, il aurait beaucoup en commun avec l'institutionnalisme des choix rationnels, ce qui explique que nous les traitons sous la même rubrique dans l'espace de ce bref article. Une analyse plus étendue pourrait observer que l'ICR insiste davantage sur l'interaction stratégique, tandis que le néo-institutionnalisme en économie privilégie les droits de propriété, les rentes, et les mécanismes de sélection compétitive. Cf. Th. Eggertsson, Economie Behaviour and Institutions, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 et L. Putterman (éd.), The Economie Nature of the Firm, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.

469 Revue française de science politique, vol. 47, n° 3-4, juin-août 1997, p. 469-496. © 1997 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

Peter A. Hall, Rosemary C.R. Taylor

la littérature. Jusqu'à une époque récente, elles ont peu échangé. En conséquence, un de nos soucis principaux est de nous demander ce que ces trois écoles pourraient avoir à apprendre l'une de l'autre et, dans notre conclusion, nous posons la question de savoir dans quelle mesure il serait possible de synthétiser leurs apports respectifs.

L'INSTITUTIONNALISME HISTORIQUE

L'institutionnalisme historique s'est développé en réaction contre l'analyse de la vie politique en termes de groupes en politique et contre le struc- turo-fonctionnalisme qui dominaient la science politique dans les années soixante et soixante-dix1. Il a emprunté à ces deux méthodes tout en cherchant à les dépasser. Ses théoriciens retenaient de l'approche par les groupes l'idée que le conflit entre groupes rivaux pour l'appropriation de ressources rares est central à la vie politique, mais ils recherchaient de meilleures explications permettant de rendre compte des situations politiques nationales, et, en particulier, de la distribution inégale du pouvoir et des ressources2. Ils trouvèrent ces explications dans la façon dont l'organisation institutionnelle de la communauté politique et les structures économiques entrent en conflit de telle sorte que certains intérêts sont privilégiés au détriment d'autres intérêts. Ils s'inspiraient en cela d'une tradition plus ancienne de la science politique qui accorde de l'importance aux institutions politiques officielles tout en développant une conception plus étendue des institutions qui ont de l'importance et de la façon dont cette importance se manifeste 3.

Ces théoriciens furent également influencés par la conception propre aux structuro-fonctionnalistes de la communauté politique comme système global composé de parties qui interagissent4. Ils acceptaient ce principe, mais critiquaient la tendance de nombreux structuro-fonctionnalistes à considérer les caractéristiques sociales, psychologiques ou culturelles des individus comme les paramètres régissant une bonne partie du fonctionnement du système. Au contraire, ils considéraient que l'organisation institutionnelle de la communauté politique ou l'économie politique était le principal facteur structurant le comportement collectif et engendrant des résultats distincts. Ainsi, ils privilégiaient le «structuralisme» inhérent aux institutions de la communauté politique de préférence au «fonctionnalisme» des théories antérieures qui considéraient les situations politiques comme la réponse aux exigences fonctionnelles du système.

1. Nous empruntons le terme « institutionnalisme historique» à S. Steinmo et al., Structuring Politics. Historical Institutionalism in Comparative Analysis, New York, Cambridge University Press, 1992.

2. Par nécessité, c'est là un exposé excessivement synthétique de développements multiples et complexes. Pour plus de détails, voir R. Chilcote, Theories of Comparative Politics, Boulder, Westview, 1981 et J. A. Bill, R. L. Hardgrave, Jr., Comparative Politics, Washington, University Press of America, 1981.

3. Cf. H. Eckstein, D. Apter (eds), Comparative Politics, Glencoe, Free Press, 1963. 4. Pour une synthèse qui a fait date, cf. G. Almond, G. Bingham Powell, Jr.,

Comparative Politics. A Developmental Approach, Boston, Little Brown, 1956.

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La science politique et les trois néo-institutionnalismes

Le structuro-fonctionnalisme et les théories des conflits entre les groupes se présentaient aussi sous la forme de variantes pluralistes et néomarxistes, et les débats concernant ces dernières jouèrent un rôle particulièrement déterminant dans le développement de l'institutionnalisme historique au cours des années soixante-dix [. En particulier, ils conduisirent nombre de ses théoriciens à accorder une attention particulière à l'État, qui n'était plus un agent neutre arbitrant entre des intérêts concurrents, mais un complexe d'institutions capable de structurer la nature et les résultats des conflits entre les groupes2. Peu de temps après, les théoriciens de cette école commencèrent à examiner comment d'autres institutions sociales et politiques, comme celles qui sont associées à l'organisation du travail et du capital, pouvaient structurer les interactions sociales de façon à engendrer des situations politiques et économiques propres à chaque pays3. Nombre de ces travaux portent sur des comparaisons transnationales ou sur l'étude comparée des politiques publiques et soulignent généralement l'impact des institutions politiques nationales, y compris celles qui structurent les relations entre les législateurs, les intérêts organisés, l'électorat et le pouvoir judiciaire4. Une importante littérature secondaire dans le domaine de l'économie politique comparative étend de telles analyses aux mouvements ouvriers, aux organisations patronales et aux systèmes financiers de divers pays5.

Comment les théoriciens de l'institutionnalisme historique définissent-ils les institutions ? Globalement, comme les procédures, protocoles, normes et conventions officiels et officieux inhérents à la structure organisationnelle de la communauté politique ou de l'économie politique. Cela peut aller des règles d'un ordre constitutionnel ou des procédures habituelles de fonctionnement d'une administration jusqu'aux conventions gouvernant le comportement des syndicats ou les relations entre banques et entreprises. En général, ces théoriciens ont tendance à associer les institutions aux organisations et aux règles ou conventions édictées par les organisations formelles6.

1. Cf. R. Blackburn (éd.), Ideology and Social Sciences, Londres, Fontana, 1972, chap. 11; F. Block, Revising State Theory, Philadelphie, Temple University Press, 1987 et M. Carnoy, The State and Political Theory, Princeton, Princeton University Press, 1984.

2. Cf. P. Evans et al. (eds), Bringing the State Back In, New York, Cambridge University Press, 1985; S. Krasner, Defending the National Interest, Princeton, Princeton University Press, 1980 et P. Katzenstein (éd.), Between Power and Plenty, Madison, University of Wisconsin Press, 1978.

3. Cela a donné lieu à des rapprochements significatifs avec la littérature concernant le néo-corporatisme. Cf. J. Zysman, Governments, Markets and Growth, Berkeley, University of California Press, 1983, Ph. Schmitter, G. Lehmbruch (eds), Patterns of Cor- poratist Policy- Making, Beverly Hills, Sage, 1982 et P. A. Hall, Governing the Economy. The Politics of State Intervention in Britain and France, Oxford, Polity, 1986.

4. Cf. S. Steinmo et al. (eds), Structuring Politics, op. cit., et R. Kent Weaver, B. A. Rockman (eds), Do Institutions Matter? Washington, Brookings, 1993.

5. Cf. J. Goldthorpe (éd.), Order and Conflict in Contemporary Capitalism, New York, Cambridge University Press, 1984; D. Soskice, «Wage Determination. The Changing Role of Institutions in Advanced Industrialized Countries», Oxford Review of Economic Policy, 6 (4), 1990, p. 36-61; F. Scharpf, Crisis and Choice in Social Democracy, Ithaca, Cornell University Press, 1992.

6. Cf. K. Thelen, S. Steinmo, «Historical Institutionalism in Comparative Politics» dans S. Steinmo et al. (eds), Structuring Politics, op. cit., p. 2 et suiv. ; P. A. Hall,

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Par rapport aux autres écoles recensées ici, quatre caractéristiques propres à celle que nous venons de décrire sont relativement originales. En premier lieu, ces théoriciens ont tendance à conceptualiser la relation entre les institutions et le comportement individuel en des termes assez généraux. En deuxième lieu, ils soulignent les asymétries du pouvoir associées au fonctionnement et au développement des institutions. Ensuite, ils ont tendance à former une conception du développement institutionnel qui privilégie les trajectoires, les situations critiques et les conséquences imprévues. Enfin, ils ont le souci de combiner des explications de la contribution des institutions à la détermination de situations politiques et une estimation de la contribution d'autres types de facteurs, tels que les idées, à ces mêmes processus. Développons brièvement chacun de ces points l.

Une question cruciale pour toute analyse institutionnelle est la suivante: comment les institutions affectent- elles le comportement des individus? Après tout, c'est en dernière analyse par l'intermédiaire d'actions des individus que les institutions exercent une influence sur les situations politiques. De façon générale, les néo-institutionnalistes fournissent deux types de réponses à cette question, qu'on pourrait désigner, respectivement, sous le terme de «perspective calculatrice» et «perspective culturelle». Chacune répond de façon légèrement différente à trois questions capitales : comment les acteurs se comportent-ils, que font les institutions, pourquoi les institutions durent-elles?

Pour répondre à la première de ces trois questions, les partisans de la perspective «calculatrice» privilégient les aspects du comportement humain qui sont instrumentaux et orientés dans le sens d'un calcul stratégique. Ils postulent que les individus cherchent à maximiser leur réussite par rapport à un ensemble d'objectifs définis par une fonction de préférence donnée et que, ce faisant, ils adoptent un comportement stratégique, c'est-à-dire qu'ils examinent tous les choix possibles pour sélectionner ceux qui procurent un bénéfice maximal. En général, les objectifs ou préférences de l'acteur sont définis de manière exogène par rapport à l'analyse institutionnelle.

Que font les institutions, selon la perspective calculatrice? Elles affectent les comportements d'abord en procurant aux acteurs une certitude plus ou moins grande quant au comportement présent et à venir des autres acteurs. Cette formulation exprime bien le rôle central que l'interaction stratégique joue dans de telles analyses. Plus précisément, les institutions peuvent fournir des informations concernant le comportement des autres, les mécanismes d'application des accords, les pénalités en cas de défection, etc. Mais le point central est qu'elles affectent les comportements des individus en jouant sur les attentes d'un acteur donné concernant les actions que les autres acteurs sont susceptibles d'accomplir en réaction à ses propres actions ou en même temps qu'elles.

Governing the Economy, op. cit., p. 19. Comme exemple de conception plus large, cf. J. Ikenberry, «Conclusion: An Institutional Approach to American Foreign Policy» dans J. Ikenberry et al. (eds), The State and American Foreign Policy, Ithaca, Cornell University Press, 1988, p. 226.

1. Pour une synthèse excellente dont notre analyse a tiré parti, cf. J. Ikenberry, «History's Heavy Hand: Institutions and the Politics of the State», communication présentée à une réunion sur l'institutionnalisme aujourd'hui, «What is Institutionalism Now?», Université du Maryland, octobre 1994.

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La perspective culturelle aborde ces questions différemment, en soulignant à quel point le comportement n'est jamais entièrement stratégique, mais limité par la vision du monde propre à l'individu. En d'autres termes, tout en reconnaissant que le comportement humain est rationnel et orienté vers des fins, elle privilégie le fait que les individus recourent souvent à des protocoles établis ou à des modèles de comportement familiers pour atteindre leurs objectifs. Elle tend à considérer les individus comme des satisficers plutôt que comme des gens qui cherchent à maximiser leur utilité, et à souligner à quel point le choix d'une ligne d'action dépend de l'interprétation d'une situation plus que d'un calcul purement utilitaire.

Que font les institutions? De ce point de vue, les institutions fournissent des modèles moraux ou cognitifs permettant l'interprétation et l'action. L'individu est conçu comme une entité profondément imbriquée dans un monde d'institutions composé de symboles, de scénarios et de protocoles qui fournissent des filtres d'interprétation, applicables à la situation ou à soi-même, à partir desquels une ligne d'action est définie. Non seulement les institutions fournissent des informations utiles d'un point de vue stratégique, mais elles affectent aussi l'identité, l'image de soi et les préférences qui guident l'action1.

Il est intéressant de relever que ces deux démarches fournissent des explications différentes du fait que les modèles normalisés de comportement que nous associons aux institutions manifestent une indéniable continuité au cours du temps2. La perspective calculatrice suggère que les institutions perdurent parce qu'elles réalisent quelque chose de l'ordre d'un équilibre de Nash. En d'autres termes, les individus adhèrent à ces modèles de comportement parce que l'individu perdra plus à s'en écarter qu'à y adhérer3. Il en découle que, plus une institution contribue à résoudre des dilemmes portant sur une action collective, ou plus elle rend possibles les gains procurés par des échanges, plus elle sera robuste4. La perspective culturelle, en revanche, explique la persistance des institutions en relevant que beaucoup de conven-

1. Pour une description particulièrement pénétrante de cette position, cf. J. March, J.P. Olsen, Rediscovering Institutions. The Organizational Basis of Politics, New York, Free Press, 1989.

2. On peut aussi voir en elles des réponses à la dimension la plus importante du problème de la structure et de l'agent, à savoir: comment on peut dire d'une institution qu'elle structure l'action humaine, dans un sens plus ou moins déterministe, de façon à produire un modèle normalisé de comportement, alors que l'existence de l'institution elle-même dépend habituellement de la présence de ces modèles de comportement et, par conséquent, de la disposition des acteurs à se comporter d'une certaine façon. Le problème consiste à exprimer simultanément le caractère volontaire et déterministe de ces institutions. Pour une analyse plus générale de ces problèmes, cf. A. Giddens, Central Problems in Social Theory, Londres, Macmillan, 1978.

3. Pour un exposé radical de ce point de vue, cf. R. L. Calvert, «The Rational Choice Theory of Social Institutions», dans J.S. Banks, E. A. Hanushek (eds), Modern Political Economy, New York, Cambridge University Press, 1995, p. 216-266.

4. A cet argument, Kenneth Shepsle a ajouté l'observation selon laquelle les acteurs hésiteront à changer les règles institutionnelles parce que, bien qu'une réforme puisse leur permettre de réaliser un gain immédiat lié au contexte actuel, ils sont confrontés à de grandes incertitudes concernant l'impact des nouvelles règles sur des décisions qui ne sont pas encore prévues. Cf. K. A. Shepsle, «Institutional Equilibrium and Equilibrium Institutions», dans H. F. Weisberg (éd.), Political Science. The Science of Politics, New York, Agathon, 1986, p. 51-81.

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tions liées aux institutions sociales ne peuvent pas être l'objet explicite de décisions individuelles. Au contraire, en tant que composantes élémentaires à partir desquelles l'action collective est élaborée, certaines institutions sont si «conventionnelles» ou vont tellement de soi qu'elles échappent à toute remise en cause directe et, en tant que constructions collectives, elles ne peuvent pas être transformées du jour au lendemain par la simple action individuelle. En bref, les institutions résistent à toute remise en chantier radicale parce qu'elles structurent les décisions mêmes concernant une réforme éventuelle que l'individu est susceptible de prendre1.

Les théoriciens de l'institutionnalisme historique ont recours à ces deux perspectives quand ils abordent la relation entre institutions et actions dans leurs analyses. Ellen Immergut, par exemple, explique les différences entre pays en matière de réforme du système de soins par le degré auquel les groupements de médecins sont disposés à composer avec les partisans de la réforme, et elle relie cela à la façon dont la structure institutionnelle du système politique affecte les attentes de ces groupements concernant leur chances de succès dans le cas où ils feraient appel d'une décision qui ne leur conviendrait pas2. Son analyse repose sur une démarche calculatrice classique. Victoria C. Hattam emploie une démarche similaire, quand elle affirme que le pouvoir établi du pouvoir judiciaire a conduit le mouvement ouvrier américain à abandonner des stratégies qui risquaient de tomber sous le coup de la révision judiciaire. Toutefois, comme de nombreux théoriciens de cette école, elle va plus loin en examinant la façon dont les différences de contexte institutionnel aux États-Unis et en Grande-Bretagne ont donné lieu à des mouvements ouvriers liés à des visions du monde très différentes. Ce genre d'analyses suggère que les stratégies induites par un contexte institutionnel donné peuvent se fossiliser au cours du temps et devenir des visions du monde, qui sont propagées par des organisations officielles et finissent par façonner l'image de soi et les préférences des intéressés3.

La deuxième propriété remarquable de l'institutionnalisme historique est l'importance qu'il accorde au pouvoir et en particulier aux relations de pouvoir asymétriques. Toutes les études institutionnelles ont une portée directe sur les relations de pouvoir. De fait, il est possible d'y voir un effort d'élu- cidation des «deuxième» et «troisième» dimensions du pouvoir identifiées voici quelques années au cours du débat sur le pouvoir dans les communautés locales4. Mais les théoriciens de l'institutionnalisme historique ont surtout prêté attention à la façon dont les institutions répartissent le pouvoir de manière inégale entre les groupes sociaux. Ainsi, au lieu de fonder leurs scénarios sur la liberté des individus de passer des contrats, ils postuleront de préférence un monde où les institutions confèrent à certains groupes ou

1. Pour une critique radicale qui prend cette analyse comme point de départ pour la dépasser largement, cf. R. Graftstein, Institutional Realism. Social and Political Constraints on Rational Actors, New Haven, Yale University Press, 1992.

2. E. Immergut, Health Politics. Interests and Institutions in Western Europe, New York, Cambridge University Press, 1992.

3. V. C. Hattam, Labor Visions and State Power. The Origins of Business Unionism in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1993.

4. Cf. S. Lukes, Power: A Radical View, Londres, Macmillan, 1972 et J. Gaventa, Power and Powerlessness. Quiescence and Rebellion in an Appalachian Valley, Urbana, University of Illinois Press, 1980.

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La science politique et les trois néo -institutionnalism.es

intérêts un accès disproportionné au processus de prise de décision. En outre, au lieu de rechercher dans quelle mesure une situation donnée profite à tout le monde, ils ont tendance à insister sur le fait que certains groupes sociaux se retrouvent perdants, tandis que d'autres sont gagnants. Sven Steinmo, par exemple, explique les différences entre pays en matière de politique fiscale en fonction de la manière dont les institutions politiques structurent les catégories d'intérêts sociaux qui sont les plus susceptibles d'être représentées dans le processus de décision '. Dans le domaine de la politique économique des États-Unis, Margaret Weir a montré comment la structure du système politique plaide en faveur de la constitution de certaines coalitions sociales au détriment de certaines autres2.

Les adeptes de l'institutionnalisme historique sont aussi étroitement attachés à une conception particulière du développement historique. Ils se sont fait les ardents défenseurs d'une causalité sociale «dépendante du trajet parcouru» en rejetant le postulat traditionnel selon lequel les mêmes forces actives produisent partout les mêmes résultats, au profit d'une conception en vertu de laquelle ces forces sont modifiées par les propriétés de chaque contexte local, propriétés héritées du passé. Bien entendu, les plus importantes de ces propriétés sont considérées comme de nature institutionnelle. Les institutions apparaissent comme des composantes relativement permanentes du paysage de l'histoire en même temps qu'un des principaux facteurs qui maintiennent le développement historique sur un ensemble de «trajets»3.

En conséquence, les adeptes de l'institutionnalisme historique ont cherché à expliquer comment les institutions produisent de tels trajets, c'est-à- dire comment elles structurent la réponse d'une nation donnée à des défis nouveaux. Les premiers théoriciens soulignèrent la façon dont les «capacités de l'État» et les «politiques héritées» existantes structurent les décisions ultérieures4. D'autres insistent sur la façon dont les politiques adoptées dans le passé conditionnent les politiques ultérieures en encourageant les forces sociétales à s'organiser selon certaines orientations de préférence à d'autres, à adopter des identités particulières, ou à développer des intérêts dans des politiques dont l'abandon présenterait un risque électoral5. Dans de nombreux cas, ces théoriciens insistent particulièrement sur les conséquences

1. S. Steinmo, Taxation and Democracy. Swedish, British and American Approaches to Financing the Modern State, New Haven, Yale University Press, 1993.

2. M. Weir, «Ideas and the Politics of Bounded Innovation», dans S. Steinmo et al., Structuring Politics, op. cit., p. 188-216.

3. Cf. D. Collier, R. Collier, Shaping the Political Arena, Princeton, Princeton University Press, 1991 ; M. Downing, The Military Revolution and Political Change. Origins of Democracy and Autocracy in Early Modern Europe, Princeton, Princeton University Press, 1992; et S. Krasner, «Sovereignty: An Institutional Perspective», Comparative Political Studies, 21, 1988, p. 66-94.

4. Cf. M. Weir, Th. Skocpol, «State Structures and the Possibility for Keynesian Response to the Great Depression in Sweden, Britain and the United States», dans P. Evans et al., Bringing the State Back In, op. cit., p. 107-163.

5. Cf. P. Pierson, Dismantling the Welfare State? Cambridge, Cambridge University Press, 1994 et «When Effect Becomes Cause. Policy Feedback and Political Change», World Politics, 45(4), juillet 1993, p. 595-628; J. Jenson, «Paradigms and Political Discourse. Protective Legislation in France and the United States before 1914», Canadian Journal of Political Science, 22, juin 1989, p. 235-258 ; I. Katznelson, City Trenches. Urban Politics and the Patterning of Class in the United States, New York, Pantheon Books, 1981.

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Peter A. Hall, Rosemary C.R. Taylor

imprévues d'institutions existantes et sur les défauts qu'elles produisent, s'opposant ainsi à l'image de maîtrise et d'efficacité que beaucoup d'économistes proposent de la création institutionnelle l.

Dans le même esprit, de nombreux théoriciens de cette école ont tendance à distinguer dans le flot des événements historiques des périodes de continuité et des «situations critiques», c'est-à-dire des moments où des changements institutionnels importants se produisent, créant par là des «bifurcations» qui engagent le développement historique sur un nouveau trajet2. Le principal problème consiste évidemment à expliquer ce qui provoque les situations critiques, et les théoriciens insistent généralement sur l'impact des crises économiques et des conflits militaires3.

Enfin, bien qu'ils attirent l'attention sur le rôle des institutions dans la vie politique, il est rare que les théoriciens de l'institutionnalisme historique affirment que les institutions sont l'unique facteur qui influence la vie politique. Ils cherchent en général à situer les institutions dans une chaîne causale qui laisse une place à d'autres facteurs, en particulier les développements socio-économiques et la diffusion des idées. De ce point de vue, ils présentent un monde plus complexe que l'univers de préférences et d'institutions souvent postulé par les théoriciens de l'école des choix rationnels. En particulier, ils se sont souvent montrés attentifs aux relations entre les institutions et les idées ou les croyances. Judith Goldstein, par exemple, montre comment la structure institutionnelle mise en place pour élaborer la politique commerciale des États-Unis tend à renforcer l'impact de certaines idées en matière de commerce tout en nuisant à d'autres, et Margaret Weir soutient que les différences structurelles qui distinguent les systèmes politiques britannique et américain contribuent à expliquer pourquoi le keynésianisme n'a pas eu le même impact sur les politiques menées dans les deux pays, et pourquoi son influence n'y a pas été de même durée4.

L'INSTITUTIONNALISME DES CHOIX RATIONNELS

Un fait curieux de la science politique contemporaine est le développement relativement indépendant d'un deuxième « néo-institutionnalisme »

1. Cf. J. March, J. P. Olsen, «The New Institutionalism. Organizational Factors in Political Life», American Political Science Review, 78, septembre 1984, p. 734-749 et D. C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, New York, Cambridge University Press, 1990.

2. Cf. P. A. Gourevitch, Politics in Hard Times, Ithaca, Cornell University Press, 1986; D. Collier, R. Collier, Shaping the Political Arena, op. cit. et S. Krasner, «Approaches to the State», Comparative Politics, 1984, p. 223-246.

3. Ce point n'a pas encore reçu toute l'attention qu'il mérite. Cf. cependant Th. Skocpol, States and Social Revolutions, New York, Cambridge University Press, 1979.

4. Cf. J. Goldstein, «Ideas, Institutions and American Trade Policy», International Organization, 42(1), 1988, p. 179-217; M. Weir, «Ideas and Politics: The Acceptance of Keynesianism in Britain and the United States», dans P. A. Hall (éd.), The Political Power of Economic Ideas, Princeton, Princeton University Press, 1989, p. 53-86; K. S. Sikkink, Ideas and Institutions. Developmentalism in Brazil and Argentina, Ithaca, Cornell University Press, 1991.

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parallèlement à l'institutionnalisme historique. A l'origine, l'institutionna- lisme des choix rationnels est apparu dans le contexte de l'étude des comportements au sein du Congrès des États-Unis. Il trouva son inspiration, dans une large mesure, dans l'observation d'un paradoxe significatif. Si les postulats classiques de l'école des choix rationnels étaient exacts, il devrait être difficile de réunir des majorités stables pour le vote des lois au sein du Congrès américain, où les multiples ordres de préférence des législateurs et le caractère multidimensionnel des questions devraient rapidement entraîner des cycles, chaque nouvelle majorité invalidant les lois votées par la majorité précédente1. Toutefois, les décisions du Congrès sont d'une stabilité remarquable. Vers la fin des années soixante-dix, les théoriciens de l'école des choix rationnels commencèrent à se demander comment cette anomalie pouvait être expliquée.

Ils cherchèrent une réponse du côté des institutions. Beaucoup se mirent à affirmer que l'existence de majorités stables en matière de législation s'expliquait par la manière dont les règles de procédure et les commissions du Congrès structurent les choix et les informations dont disposent ses membres2. Certaines de ces règles permettent de fixer l'ordre du jour de façon à limiter l'éventail des décisions soumises au vote des représentants. D'autres attribuent la responsabilité de questions clés à des commissions structurées de façon à servir les intérêts électoraux des membres du Congrès ou produisent des mécanismes d'adoption des lois qui facilitent le marchandage entre les parlementaires. Plus généralement, on expliqua que les institutions du Congrès abaissaient les coûts de transaction liés à la conclusion d'accords de façon à permettre aux parlementaires de tirer des bénéfices de l'échange, ce qui rendait possible l'adoption de lois stables. En pratique, les institutions résolvent une grande partie des problèmes d'action collective ordinairement rencontrés par les législateurs3.

Comme on le voit, les théoriciens de l'école des choix rationnels ont importé de manière féconde dans le domaine de la science politique des outils théoriques empruntés à la «nouvelle économie de l'organisation», qui insiste sur l'importance des droits de propriété, des rentes et des coûts de transaction pour le développement et le fonctionnement des institutions4. Une thèse particulièrement influente fut celle développée par Oliver Williamson, pour qui le développement d'une institution donnée, par exemple

1 . Le texte fondamental est de W. Riker, « Implications from the Disequilibrium of Majority Rule for the Study of Institutions», American Political Science Review, 74, 1980, p. 432-447. Cf. aussi R. McCelvey, «Intransitivities in Multidimensional Voting Models and some Implications for Agenda Control», Journal of Economic Theory, 12, 1976, p. 472-482 et J. Ferejohn, M. Fiorina, «Purposive Models of Legislative Behavior», American Economic Review, Papers and Proceedings, 65, 1975, p. 407-415.

2. K. A. Shepsle, «Institutional Equilibrium and Equilibrium Institutions», dans H. F. Weisberg (éd.), Political Science. The Science of Politics, op. cit., p. 51-81 et K. A. Shepsle, «Studying Institutions. Some Lessons from the Rational Choice Approach», Journal of Theoretical Politics, 1(2), 1989, p. 131-147.

3. Cf. B. Weingast, W. Marshall, «The Industrial Organization of Congress», Journal of Political Economy, 96(1), 1988, p. 132-163.

4. Deux articles fondamentaux sont: T. Moe, «The New Economies of Organization», American Journal of Political Science, 28, 1984, p. 739-777; et B. Weingast, W. Marshall, «The Industrial Organization of Congress», art. cité.

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les aspects organisationnels d'une entreprise, peuvent se comprendre comme un effort pour réduire les coûts de transaction liés au fait d'entreprendre la même activité sans passer par cette institution1. Douglas C. North appliqua des thèses similaires à l'histoire des institutions politiques2. Enfin, les théories de l'action, qui s'intéressent aux mécanismes institutionnels par lesquels des principaux peuvent exercer un contrôle sur l'activité et l'obéissance de leurs mandataires, se sont révélées extrêmement utiles pour comprendre comment le Congrès peut structurer ses commissions ou ses relations avec les autorités administratives indépendantes qu'il supervise3.

La floraison de travaux sur le pouvoir législatif américain inspirés par la théorie des choix rationnels est bien représentée dans des recueils récents4. D'une manière générale, ces travaux cherchent à expliquer comment les règlements du Congrès affectent le comportement des législateurs et pourquoi ils ont été adoptés, en accordant une attention particulière au système des commissions du Congrès et aux relations entre le Congrès et les autorités administratives indépendantes. Plus récemment, Gary W. Cox et Mathew D. McCubbins ont tenté de déplacer le débat en s'intéressant à la façon dont les partis politiques structurent les délibérations. John Ferejohn a commencé à examiner les relations entre le Congrès et les tribunaux, et un débat animé s'est développé au sujet de la capacité du Congrès à encadrer les autorités administratives5.

Toutefois, au cours de ces dernières années, les théoriciens de l'école des choix rationnels se sont aussi intéressés à l'explication d'un certain nombre d'autres phénomènes politiques, parmi lesquels le comportement des coalitions selon les pays, le développement historique des institutions politiques et l'intensité des conflits ethniques6. Adam Przeworski, Barbara Geddes, Gary

1. O. Williamson, Markets and Hierarchies, New York, Free Press, 1975 et O. Williamson, The Economic Institutions of Capitalism, New York, Free Press, 1985.

2. Cf. D. C. North, P. Thomas, The Rise of the Western World, New York, Cambridge University Press, 1973.

3. P. Milgrom, J. Roberts, Economics, Organization and Management, New York, Prentice-Hall, 1992; J.W. Pratt, R. Zeckhauser, Principals and Agents, Boston, Harvard Business School Press, 1991.

4. M. D. McCubbins, T. Sullivan (eds), Congress: Structure and Policy, New York, Cambridge University Press, 1987 et Legislative Studies Quarterly, mai 1994.

5. G. W. Cox, M. D. McCubbins, Legislative Leviathan, Berkeley, University of California Press, 1987; J. Ferejohn, «Law, Legislation and Positive Political Theory», dans J. S. Banks, E. A. Hanushek (eds) Modern Political Economy, op. cit., p. 191-215; K. A. Shepsle, B. R. Weingast, «Positive Theories of Congressional Institutions», Legislative Studies Quarterly, mai 1994; T. Moe, «An Assessment of the Positive Theory of "Congressional Dominance"», Legislative Studies Quarterly, 12(4), 1987, p. 475-520; M. D. McCubbins, Th. Schwartz, «Congressional Oversight Overlooked. Police Patrols versus Fire Alarms», American Journal of Political Science, 28, février 1984, p. 165-179.

6. M. Laver, K. A. Shepsle, «Coalitions and Cabinet Government», American Political Science Review, 84, 1990, p. 843-890; D. C. North, B. Weingast, «Constitutions and Credible Commitments : The Evolution of Institutions Governing Public Choice in 17th Century England», Journal of Economic History, 49, décembre 1989, p. 803-832; B. Weingast, «Institutionalizing Trust: The Political and Economic Roots of Ethnic and Regional Conflict», communication présentée au Congrès «What is Institutionalism Now?», cité.

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Marks et d'autres auteurs analysent les transitions vers la démocratie selon le modèle de la théorie des jeux1; George Tsebelis et d'autres auteurs étudient les conséquences de la réforme institutionnelle au sein de l'Union européenne2; enfin, des chercheurs spécialisés dans les relations internationales ont commencé à employer les concepts de l'institutionnalisme des choix rationnels pour expliquer l'ascension ou la chute des régimes internationaux, le type de responsabilités que les États délèguent aux organisations internationales et la forme de ces organisations3.

Comme toutes les écoles de ce genre, l'institutionnalisme des choix rationnels abrite un certain nombre de débats internes, et il existe certaines variantes d'une analyse à l'autre. Toutefois, la recherche des points communs révèle quatre propriétés attachées à cette démarche qui sont présentes dans la plupart des analyses.

En premier lieu, ces théoriciens emploient une série caractéristique de présupposés comportementaux. En général, ils postulent que les acteurs pertinents ont un ensemble déterminé de préférences ou de goûts (se conformant habituellement à des conditions plus précises telles que le principe de transitivité) et se comportent de façon complètement utilitaire pour maximiser la satisfaction de ces préférences, souvent à un haut niveau de stratégie qui présuppose un nombre important de calculs4.

En second lieu, les théoriciens de l'école des choix rationnels ont tendance à considérer la vie politique comme une série de dilemmes d'action collective, définis comme des situations où des individus qui agissent de façon à maximiser la satisfaction de leurs propres préférences risquent de produire un résultat sous-optimal pour la collectivité (au sens où il serait possible de trouver un autre résultat qui satisferait davantage au moins un des intéressés sans qu'aucun des autres n'en soit lésé). Généralement, pareils dilemmes se produisent parce que l'absence d'arrangements institutionnels empêche chaque acteur d'adopter une ligne d'action qui serait préférable au niveau collectif. Parmi les exemples classiques, les plus connus

1. A. Przeworski, Democracy and the Market, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; B. Geddes, Politicians Dilemma, Berkeley, University of California Press, 1994; G. Marks, «Rational Sources of Chaos in Democratic Transitions», American Behavioral Scientist, 33(4/5), 1992, p. 397-421 ; Y. Cohen, Radicals, Reformers and Reactionaries, Chicago, Chicago University Press, 1994; J. de Nardo, Power in Numbers, Princeton, Princeton University Press, 1985.

2. G. Tsebelis, «The Power of the European Parliament as a Conditional Agenda Setter», American Political Science Review, 88(1), 1994, p. 795-815; M. Pollack, «Obedient Servant or Runaway Eurocracy?», Harvard Center for European Studies Working Paper, 1995; L. Martin, «The Influence of National Parliaments on European Integration», Harvard Center for International Affairs Working Paper, 1994.

3. R. O. Keohane, L. Martin, «Delegation to International Organizations», communication présentée au Congrès «What is Institutionalism Now?», cité; L. Martin, «Interests, Power and Multilateralism», International Organization, 46(4), automne 1992, p. 765-792 ; K. A. Oye (éd.), Cooperation Under Anarchy, Princeton, Princeton University Press, 1993; S. Krasner, «Global Communications and National Power: Life on the Pareto Frontier», World Politics, 43, avril 1991, p. 336-366.

4. Cf. K. A. Shepsle, B. Weingast, «The Institutional Foundations of Committee Power», American Political Science Review, 81, mars 1987, p. 85-104; cf. J. Elster, A. Hylland (eds), Foundations of Social Choice Theory , Cambridge, Cambridge University Press, 1986.

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sont le «dilemme du prisonnier» et la «tragédie des biens», mais de nombreuses situations comportent pareils dilemmes l.

Ensuite, ces théoriciens soulignent le rôle de l'interaction stratégique dans la détermination des situations politiques. Leurs intuitions fondamentales sont, premièrement, qu'il est vraisemblable que le comportement d'un acteur est déterminé, non par des forces historiques impersonnelles, mais par un calcul stratégique, et, deuxièmement, que ce calcul est fortement influencé par les attentes de l'acteur concernant le comportement probable des autres acteurs. Les institutions structurent cette interaction, en influençant la possibilité et la succession des alternatives dans l'ordre du jour, ou en procurant des informations ou des mécanismes d'adoption qui réduisent l'incertitude concernant le comportement des autres tout en permettant aux acteurs de tirer «des gains de l'échange», ce qui les incitera à se diriger vers certains calculs ou actions précis. C'est là une démarche «calculatrice» classique pour expliquer l'influence des institutions sur l'action individuelle.

Enfin, les institutionnalistes de cette école ont développé une démarche qui leur est propre concernant l'explication de l'origine des institutions. En général, ils commencent par utiliser la déduction pour arriver à une classification stylisée des fonctions remplies par une institution. Ils expliquent ensuite l'existence de l'institution par référence à la valeur que prennent ces fonctions aux yeux des acteurs influencés par l'institution. Cette formulation présuppose que les acteurs créent l'institution de façon à réaliser cette valeur, que les théoriciens conceptualisent la plupart du temps comme un gain tiré de la coopération (cf. plus haut). Ainsi, le processus de création d'institutions est généralement centré sur la notion d'accord volontaire entre les acteurs intéressés. Si l'institution est soumise à un processus quelconque de sélection concurrentielle, elle doit d'abord sa survie au fait de procurer davantage de bénéfices aux acteurs intéressés que les formes institutionnelles concurrentes2.

Ainsi, la forme de l'organisation de l'entreprise est expliquée par référence à la façon dont elle minimise les coûts de transaction, de production ou d'influence3. Les règlements du Congrès américain sont expliqués en fonction des gains tirés de l'échange entre ses membres. Les dispositions constitutionnelles adoptées en Angleterre en 1688 sont expliquées par référence aux avantages qu'elles procurent aux propriétaires. On pourrait multiplier les exemples. Il y a place pour bien des débats à l'intérieur de ce cadre général, mais ils portent habituellement sur le fait de savoir si les

1. Cf. G. Hardin, «The Tragedy of the Commons», Science, 162, 1968, p. 1243- 1248; R. Hardin, Collective Action , Baltimore, Johns Hopkins Press, 1982; E. Ostrum, Governing the Commons, New York, Cambridge University Press, 1990.

2. Comme on pouvait s'y attendre, les analyses portant sur les législatures ont tendance à souligner l'importance de l'accord volontaire, tandis que les analyses portant sur les institutions économiques insistent davantage sur la sélection concurrentielle.

3. Cf. O. Williamson, Markets and Hierarchies, op. cit. ; P. Milgrom, J. Roberts, Economies, Organization and Management, op. cit.; P. Milgrom, J. Roberts, «Bargaining Costs, Influence Costs and the Organization of Economic Activity», dans J. Alt, K. A. Shepsle (eds), Perspectives on Positive Political Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 57-89.

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fonctions remplies par l'institution concernée sont définies correctement. Ainsi, Keith Krehbiel a ouvert un débat animé sur la question de savoir si les commissions du Congrès américain ont pour tâche première de procurer aux membres des gains tirés de l'échange ou des informations sur les conséquences de la législation proposée '.

L'INSTITUTIONNALISME SOCIOLOGIQUE

Parallèlement à ces développements de la science politique, un néo-ins- titutionnalisme s'est développé en sociologie. Comme les autres écoles de pensée, il est agité de débats internes. Toutefois, ses partisans ont développé une série de théories qui devraient être d'un intérêt considérable pour les chercheurs en science politique.

Ce que nous appelons institutionnalisme sociologique a fait son apparition dans le cadre de la théorie des organisations. Ce mouvement remonte à la fin des années soixante-dix, au moment où certains sociologues se mirent à contester la distinction traditionnelle entre la sphère du monde social réputée être le reflet d'une rationalité abstraite des fins et des moyens (de type bureaucratique), et les sphères influencées par un ensemble varié de pratiques associées à la culture. Depuis Max Weber, de nombreux sociologues considéraient les structures bureaucratiques qui dominent le monde moderne, que ce soit dans les ministères, les entreprises, les écoles, les groupes d'intérêts, etc., comme le produit d'un effort intense d'élaboration de structures toujours plus efficaces destinées à accomplir les tâches formelles liées à ces organisations. Ils estimaient que la forme organisationnelle de ces structures était pratiquement la même en raison de la rationalité ou de l'efficacité inhérentes à ces formes et nécessaires pour remplir ces tâches2. La culture leur apparaissait comme quelque chose de tout à fait différent.

Contre cette tendance, les néo-institutionnalistes commencèrent à soutenir que beaucoup de formes et de procédures institutionnelles utilisées par les organisations modernes n'étaient pas adoptées simplement parce qu'elles étaient les plus efficaces eu égard aux tâches à accomplir, comme l'implique la notion d'une «rationalité» transcendante. Selon eux, en revanche, ces formes et procédures devaient être considérées comme des pratiques culturelles, comparables aux mythes et aux cérémonies élaborés par de nombreuses sociétés, que, par conséquent, elles étaient incorporées aux organisations, non pas nécessairement parce qu'elles en accroissent l'efficacité abstraite (en termes de fins et de moyens), mais en raison du même type de processus de transmission qui donne naissance aux pratiques culturelles en géné-

1. K. Krehbiel, Information and Legislative Organization, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1991; cf. K. A. Shepsle, B. Weingast, «Positive Theories of Congressional Institutions», art. cité.

2. Pour une présentation plus développée, cf. F. Dobbin, «Cultural Models of Organization. The Social Construction of Rational Organizing Principles», dans D. Crane (éd.), The Sociology of Culture, Oxford, Blackwell, 1994, p. 117-153.

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rai. Ainsi, on devait expliquer même la pratique apparemment la plus bureaucratique en fonction de cette grille culturaliste1.

Étant donné l'optique qui est la leur, les sociologues institutionnalistes choisissent généralement une problématique qui cherche à expliquer pourquoi les organisations adoptent un ensemble donné de formes, procédures ou symboles institutionnels, en insistant sur la diffusion de ces pratiques. Ils cherchent, par exemple, à expliquer les similarités frappantes, du point de vue de la forme et de la pratique organisationnelles, entre les ministères de l'Éducation à travers le monde, quelles que soient les différences de contexte, ou entre des entreprises appartenant à des secteurs industriels différents, quel que soit le produit qu'elles fabriquent. Frank Dobbin utilise cette approche pour montrer comment des conceptions culturellement déterminées de l'État et du marché ont conditionné la politique des chemins de fer en France et aux États-Unis au 19e siècle2. John W. Meyer et W. Richard Scott l'utilisent pour expliquer la prolifération de programmes de formation dans les entreprises américaines3. D'autres l'appliquent à l'explication des isomorphismes institutionnels en Extrême-Orient et de la diffusion relativement aisée des techniques de production de cette zone à travers le monde4. Neil Fligstein s'en sert pour expliquer la diversification de l'industrie américaine, et Yasemin Soysal pour expliquer la politique d'immigration actuelle en Europe et en Amérique5.

Trois caractéristiques de l'institutionnalisme en sociologie lui confèrent une certaine originalité par rapport aux autres variétés de « néo-institutionna- lisme». D'abord, les théoriciens de cette école ont tendance à définir les institutions de façon beaucoup plus globale que les chercheurs en science politique, de façon à inclure non seulement les règles, procédures ou normes formelles, mais les systèmes de symboles, les schémas cognitifs et les modèles moraux qui fournissent les «cadres de signification» guidant l'action humaine6. Cette position entraîne deux conséquences importantes.

1. Les premiers à défricher ce terrain furent des sociologues de Stanford. Cf. J.W. Meyer, B. Rowan, «Institutionalized Organizations. Formal Structure as Myth and Ceremony», American Journal of Sociology, 83, 1977, p. 340-363; J.W. Meyer, W.R. Scott, Organizational Environments. Ritual and Rationality, Beverly Hills, Sage, 1983. Pour une très bonne vue d'ensemble, cf. P. DiMaggio, W.W. Powell, «Introduction», dans W.W. Powell, P. DiMaggio (eds), The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 1-40.

2. F. Dobbin, Forging Industrial Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

3. W. R. Scott, J.W. Meyer et al., Institutional Environments and Organizations, Thousand Oaks, Sage, 1994, chap. 11 et 12.

4. M. Orru et al., «Organizational Isomorphism in East Asia», dans W.W. Powell, P. DiMaggio (eds), op. cit., p. 361-389 et R. E. Cole, Strategies for Industry: Small- Group Activities in American, Japanese and Swedish Industry, Berkeley, University of California Press, 1989.

5. N. Fligstein, The Transformation of Corporate Control, Cambridge, Harvard University Press, 1990; Y. Soysal, Limits of Citizenship, Chicago, University of Chicago Press, 1994.

6. Cf. J. L. Campbell, «Institutional Analysis and the Role of Ideas in Political Economy», communication présentée au séminaire sur l'État et le capitalisme depuis 1800, Harvard, 1995, et W.R. Scott, «Institutions and Organizations: Towards a Theoretical Synthesis», dans W. R. Scott, J.W. Meyer et al., Institutional Environments..., op. cit., p. 55-80.

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En premier lieu, elle brise la dichotomie conceptuelle qui oppose les «institutions» et la «culture», ces deux notions en venant à s'interpénétrer. En conséquence, cette démarche met en péril la distinction que beaucoup de spécialistes de science politique aiment à établir entre les «explications institutionnelles », qui considèrent les institutions comme les règles ou les procédures instituées par les organisations, et les «explications culturelles», qui renvoient à la culture définie comme un ensemble d'attitudes, de valeurs et de démarches communes face aux problèmes1. En deuxième lieu, cette démarche a tendance à redéfinir la «culture» comme synonyme d'« institutions » 2. A cet égard, elle reflète un « tournant cognitiviste » au sein même de la sociologie, tournant consistant à s'écarter de conceptions qui associent la culture aux normes, aux attitudes affectives et aux valeurs, pour se rapprocher d'une conception qui considère la culture comme un réseau d'habitudes, de symboles et de scénarios qui fournissent des modèles de comportement3.

Les néo-institutionnalistes en sociologie se distinguent également par leur façon d'envisager les relations entre les institutions et l'action individuelle, qui est une conséquence de la «démarche culturaliste » grossièrement décrite plus haut (p. 472-474), mais qui développe certaines nuances particulières. Une école d'analyse sociologique plus ancienne résolvait le problème des relations entre les institutions et l'action en associant les institutions à des «rôles» auxquels des «normes de comportement» pres- criptives étaient attachées. Selon ce point de vue, les individus auxquels leur socialisation fait jouer des rôles particuliers intériorisent les normes associées à ces rôles, et c'est de cette façon que les institutions sont supposées influencer le comportement. Nous pourrions désigner cette conception comme la «dimension normative» de l'impact des institutions.

Bien que certains continuent à utiliser de telles conceptions, de nombreux théoriciens insistent désormais sur ce que nous pourrions appeler la «dimension cognitive» de l'impact des institutions. En d'autres termes, ils insistent sur la façon dont les institutions influencent le comportement en fournissant des schémas, catégories et modèles cognitifs qui sont indispensables à l'action, l'une des raisons principales étant que sans eux, il serait impossible d'interpréter le monde et le comportement des autres acteurs4. Les institutions influencent le comportement non pas simplement en précisant ce qu'il faut faire, mais aussi ce qu'on peut imaginer faire dans un contexte donné. Ici, on peut constater l'influence du constructivisme social sur le néo-institutionnalisme en sociologie. Dans de nombreux cas, les insti-

1. Cf. G. Almond, S. Verba, The Civic Culture, Boston, Little Brown, 1963 et P. A. Hall, Governing the Economy, op. cit., chap. 1.

2. Cf. L. Zucker, «The Role of Institutionalization in Cultural Persistence», dans W.W. Powell, P. DiMaggio (eds), The New Institutionalism in Organizational Analysis, op. cit., p. 83-107; J.W. Meyer et al., «Ontology and Rationalization in the Western Cultural Account», dans J.W. Meyer, W. R. Scott et al., Institutional Environments and Organizations, op. cit.

3. Cf. A. Swidler, «Culture in Action: Symbols and Strategies», American Sociological Review, 51, 1986, p. 273-286 et J. March, J. P. Olsen, Rediscovering Institutions, op. cit., chap. 3.

4. Cf. P. DiMaggio, W.W. Powell, «Introduction», cité.

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tutions sont censées procurer les conditions mêmes de l'attribution de la signification dans la vie sociale. Il s'ensuit que les institutions n'influencent pas seulement les calculs stratégiques des individus, comme le soutiennent les théoriciens de l'école des choix rationnels, mais aussi leurs préférences les plus fondamentales. L'identité et l'image de soi des acteurs sociaux sont elles-mêmes censées être constituées à partir des formes, images et signes institutionnels fournis par la vie sociale1.

En conséquence, de nombreux institutionnalistes insistent sur la nature hautement interactive de la relation entre les institutions et l'action individuelle, relation dans laquelle chaque pôle constitue l'autre. Quand ils agissent selon une convention sociale, les individus se constituent simultanément en tant qu'acteurs sociaux, c'est-à-dire qu'ils entreprennent des actions dotées d'une signification sociale et renforcent la convention à laquelle ils obéissent. Un corollaire fondamental de cette vision des choses est l'idée que l'action est étroitement liée à l'interprétation. Ainsi, les théoriciens de l'institutionnalisme sociologique soutiennent que, lorsqu'il est confronté à une situation, l'individu doit trouver un moyen de l'identifier aussi bien que de réagir à cette situation, et les scénarios ou modèles inhérents au monde de l'institution lui procurent les moyens d'accomplir l'une et l'autre de ces tâches, souvent de façon relativement simultanée. La relation qui lie l'individu et l'institution repose donc sur une sorte de «raisonnement pratique» par lequel, pour mettre au point une ligne d'action, l'individu utilise les modèles institutionnels disponibles en même temps qu'il les façonne2.

Rien dans tout cela ne suggère que les individus ne sont pas doués d'intentions, ou sont irrationnels. Toutefois, les théoriciens de l'institutionnalisme sociologique soulignent que ce qu'un individu tend à considérer comme une «action rationnelle» est un objet lui-même socialement constitué, et ils conceptualisent les objectifs que se donne un acteur selon une grille beaucoup plus vaste que d'autres théoriciens. Si les théoriciens de l'école des choix rationnels postulent souvent un univers d'individus ou d'organisations cherchant à maximiser leur bien-être matériel, en revanche, les sociologues décrivent un univers d'individus ou d'organisations cherchant à définir ou à exprimer leur identité selon des modes socialement appropriés.

Enfin, les néo-institutionnalistes en sociologie se distinguent par leur façon d'aborder le problème de l'explication de la naissance et de la modification des pratiques institutionnelles. Comme nous l'avons vu, beaucoup de théoriciens de l'institutionnalisme des choix rationnels expliquent le développement d'une institution par référence à l'efficacité avec laquelle elle sert les finalités matérielles de ceux qui l'acceptent. Au contraire, les institutionnalistes en sociologie soutiennent que les organisations adoptent souvent une nouvelle pratique institutionnelle, moins parce qu'elle accroît

1. Cf. le classique de P. Berger, Th. Luckmann, The Social Construction of Reality, New York, Anchor, 1966 et son application plus récente à la science politique par A. Wendt, «The Agent- Structure Problem in International Relations Theory», International Organization, 41(3), été 1987, p. 335-370.

2. Cf. P.J. DiMaggio, W.W. Powell, «Introduction», dans P.J. DiMaggio, W.W. Powell, The New Institutionalism..., op. cit., p. 22-24 et les essais de L. Zucker et R. Jepperson dans le même ouvrage.

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leur efficacité, que parce qu'elle renforce leur légitimité sociale ou celle de leurs adhérents. En d'autres termes, les organisations adoptent des formes ou des pratiques institutionnelles particulières parce que celles-ci ont une valeur largement reconnue dans un environnement culturel plus large. Dans certains cas, il peut arriver que ces pratiques soient aberrantes si on les rapporte à l'accomplissement des objectifs officiels de l'organisation. John L. Campbell exprime bien cette façon d'envisager les choses en parlant d'une «logique des convenances sociales» par opposition à une «logique instrumentale» '.

Ainsi, par opposition aux théoriciens qui expliquent la diversification des entreprises américaines dans les années cinquante et soixante comme une réaction fonctionnelle à des exigences économiques ou technologiques, Neil Fligstein soutient que les entrepreneurs ont fait ce choix en raison de la valeur qui a fini par être attachée à cette notion dans les nombreux forums professionnels auxquels ils participaient, et parce que ce choix apportait une caution à leur rôle social et à leur vision du monde2. De la même manière, Yasemin Soysal soutient que la politique d'immigration adoptée par de nombreux États fut poursuivie, non parce qu'elle était la plus fonctionnelle pour chaque État, mais parce que la nouvelle conception des droits de l'homme proclamée par les régimes internationaux faisait apparaître cette politique comme appropriée alors que d'autres paraissaient illégitimes aux yeux des autorités nationales3.

La question fondamentale, dans cette optique, est évidemment de savoir ce qui confère de la «légitimité» à certains arrangements institutionnels plutôt qu'à d'autres. En dernière analyse, cette question implique une réflexion sur les sources de l'autorité culturelle. En sociologie, certains institutionna- listes insistent sur le fait que l'expansion du rôle régulateur de l'État moderne impose, par voie d'autorité, de nombreuses pratiques aux organisations. D'autres soulignent que la -professionnalisation croissante de nombreuses sphères d'activité donne naissance à des communautés professionnelles dotées d'une autorité culturelle suffisante pour imposer à leurs membres certaines normes ou certaines pratiques4. Dans d'autres cas, des pratiques institutionnelles communes sont censées naître d'un processus de discussion plus interprétatif entre les acteurs d'un réseau donné (portant sur les problèmes communs, leur interprétation et leur résolution), et ayant lieu sur divers forums, qui vont de l'école de gestion au colloque international. Pareils échanges sont censés procurer aux acteurs des schémas cognitifs communs, qui concrétisent l'intuition des pratiques institutionnelles appropriées, qui sont ensuite largement diffusées. En pareil cas, les dimensions interactive et créative du processus par lequel les institutions sont socialement constituées

1. Cf. J.L. Campbell, «Institutional Analysis and the Role of Ideas in Political Economy», cité et J. March, J.P. Olsen, Rediscovering Institutions, op. cit., chap. 2.

2. N. Fligstein, The Transformation of Corporate Control, op. cit. 3. Y. Soysal, Limits of Citizenship, op. cit. 4. Cf. P.J. DiMaggio, W.W. Powell, «The Iron Cage Revisited: Institutional Is

omorphism and Collective Rationality» et W.W. Powell, «Expanding the Scope of Institutional Analysis, dans W.W. Powell, P.J. DiMaggio, The New Institutionalism in Organizational Analysis, op. cit. , chap. 3 et 8.

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apparaissent nettement1. Certains affirment que nous pouvons même observer ces processus à l'échelle transnationale, où les concepts habituels de la modernité confèrent un certain degré d'autorité aux pratiques des États les plus «développés», et où les échanges qui ont lieu sous l'égide des régimes internationaux encouragent des accords qui diffusent des pratiques communes au-delà des frontières nationales2.

LES INSTITUTIONNALISMES : ESSAI DE COMPARAISON

Dans leurs multiples variantes, les « néo-institutionnalismes » font progresser de façon significative notre compréhension du monde politique. Toutefois, les images qu'ils proposent du monde politique ne sont nullement identiques, et chacune présente des avantages et des faiblesses particuliers.

Considérons d'abord le problème consistant à définir les relations entre les institutions et le comportement.

L'institutionnalisme historique offre la conception la plus large de cette relation. Les théoriciens de cette tendance utilisent fréquemment les approches «calculatrice» et «culturaliste», ce qui, à nos yeux, est une vertu non négligeable, puisque nous estimons que ce sont deux approches à la fois convaincantes et importantes. Toutefois, l'éclectisme a ses inconvénients : l'institutionnalisme historique a accordé moins d'attention que les autres écoles de pensée au développement d'une compréhension fine de la façon précise dont les institutions influencent le comportement, et certains travaux ne définissent pas avec tout le soin requis l'enchaînement causal précis par lequel les institutions qu'ils identifient comme importantes influencent le comportement qu'elles sont censées expliquer. Sur ce point, l'institutionnalisme historique pourrait tirer parti d'échanges plus développés avec les autres écoles.

L'institutionnalisme des choix rationnels, en revanche, a développé une conception plus précise des relations entre les institutions et le comportement, ainsi qu'un ensemble généralisable de concepts qui se prêtent à l'élaboration d'une théorie systématique. Mais ces microfondations tellement vantées reposent sur une image relativement simpliste des motivations humaines, image qui risque de passer à côté de certaines de ses dimensions les plus importantes3. Les défenseurs de cette approche sont enclins à la comparer à un ensemble d'équations à forme réduite, qu'il convient de juger non pas tant d'après l'exactitude de leurs postulats qu'à l'aune de la

1. Sur ce point, nous sommes redevables à l'analyse pénétrante développée par J.L. Campbell dans «Recent Trends in Institutional Analysis», p. 11.

2. Cf. J.W. Meyer et al., «Ontology and Rationalization», J.W. Meyer, «Rationalized Environments», et D. Strang, J.W. Meyer, «Institutional Conditions for Diffusion», dans W.R. Scott, J.W. Meyer, Institutionalized Environments and Organizations, op. cit., chap. 1, 2 et 5.

3. Pour des analyses plus développées, cf. K. S. Cook, M. Levi (eds), The Limits of Rationality, Chicago, University of Chicago Press, 1990; J. Mansbridge (dir.), Beyond Self-interest, Chicago, University of Chicago Press, 1990.

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capacité de prédiction de leurs modèles '. Mais c'est un terrain glissant, étant donné que les prédictions engendrées par ces modèles sont souvent sensibles à de petites modifications portant sur les matrices de gains, les structures de préférences, etc., qui sont souvent arbitraires ou sans fondement empirique2. L'utilité de cette approche est encore limitée par la nécessité de préciser les préférences ou les objectifs sous-jacents des acteurs de façon exogène par rapport à l'analyse, en particulier dans des situations empiriques où ces préférences présentent des facettes multiples et sont ambiguës ou difficiles à identifier ex ante.

Toutefois, étant donné que les comportements instrumentaux sont une donnée majeure de la vie politique, l'institutionnalisme des choix rationnels a contribué dans une large mesure à son analyse, en particulier en attirant l'attention sur des aspects fondamentaux de la vie politique, sous-estimés par les autres approches, et en procurant des outils permettant de les analyser. Les tenants de cette école soulignent que l'action politique implique la gestion de l'incertitude, qui est restée longtemps un des aspects les plus fondamentaux et les plus négligés de la réalité politique. De plus, ils démontrent l'importance des flux d'information aussi bien pour les relations de pouvoir que pour les situations politiques.

Plus important, ils attirent notre attention sur le rôle de l'interaction stratégique dans la détermination des situations politiques. Cette démarche représente un progrès considérable par rapport aux démarches traditionnelles qui expliquent les situations politiques comme résultant de l'application de forces que des variables structurelles, telles que le niveau de développement socio-économique, le niveau d'éducation ou l'insatisfaction matérielle, sont supposées exercer directement sur le comportement individuel. Au contraire, les analyses des théoriciens de l'école des choix rationnels accordent beaucoup plus de place à l'intentionnalité humaine dans la détermination des situations politiques, sous la forme du calcul stratégique, tout en faisant jouer un rôle aux variables structurelles, sous la forme des institutions. On peut résumer cette différence par le passage de modèles où la causalité est représentée par les coefficients de variables structurelles dans des équations de régression à des modèles inspirés de la théorie des jeux. L'inconvénient, évidemment, est que ce progrès est réalisé au prix d'une conceptualisation de l'intentionnalité à partir d'une théorie relativement légère de la rationalité humaine.

Il suffit d'avoir attendu à un feu rouge sans personne autour pour reconnaître qu'il y a des dimensions de la relation entre les institutions et l'action qui ne sont peut-être pas très utilitaires, ni correctement modélisées par les théories des choix rationnels. Les théoriciens de l'institutionnalisme en sociologie sont souvent mieux placés pour éclairer ces dimensions-là. D'une part, leurs théories définissent les voies par lesquelles les institutions

1. Nous remercions Kenneth A. Shepsle d'avoir attiré notre attention sur ce point. Cf. M. Friedman, «The Methodology of Positive Economies», dans Essays in Positive Economies, Chicago, University of Chicago Press, 1953.

2. Le problème est amplifié par le fait que dans une situation donnée, de nombreuses solutions d'équilibre peuvent se présenter, comme le suggère le «théorème des gens ordinaires» (folk theorem). Plus généralement, cf. P. Green, I. Shapiro, Pathologies of Rational Choice Theory, New Haven, Yale University Press, 1994.

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peuvent influencer les préférences ou identités sous-jacentes des acteurs, que les institutionnalistes de l'école des choix rationnels doivent accepter comme une donnée. D'autre part, ils nous apprennent que même un acteur fortement utilitariste peut choisir des stratégies (et des concurrents) dans des répertoires qui ont une spécificité culturelle et par là ils identifient de nouvelles possibilités pour l'environnement institutionnel d'influencer les choix stratégiques des acteurs. En un certain sens, les sociologues expriment des aspects de l'impact des institutions qui sont peut-être un préalable nécessaire à l'action instrumentale1.

Si nous examinons maintenant le second point qui nous préoccupait, nous observons encore des avantages et des faiblesses propres à chacune de ces approches dans leur explication de l'origine et des modifications des institutions.

Les institutionnalistes de l'école des choix rationnels ont produit les explications les plus élégantes de l'origine des institutions, en s'intéressant surtout aux fonctions qu'elles remplissent et aux avantages qu'elles procurent. De notre point de vue, cette approche est d'une force incontestable lorsqu'il s'agit d'expliquer la permanence des institutions, étant donné que cette permanence dépend souvent des avantages que l'institution peut procurer. Toutefois, certaines caractéristiques de cette approche réduisent considérablement sa capacité à servir de cadre théorique permettant d'expliquer l'origine des institutions.

D'abord, c'est une approche souvent rétrospective: l'origine d'une institution donnée est expliquée pour une large part à partir des effets de son existence. Bien qu'il soit possible que ces effets contribuent à la permanence de l'institution, il ne faut pas confondre l'explication de cette permanence et l'explication de l'origine de l'institution. Parce que le monde social offre de nombreux exemples de conséquences non voulues, remonter des conséquences aux origines est une voie hasardeuse2. Deuxièmement, c'est une approche très «fonctionnaliste». Elle postule souvent que les institutions existantes sont les plus efficaces, étant donné les conditions initiales qui pouvaient être mises en place de façon réaliste pour accomplir la tâche visée. Dans certains cas, les nombreux exemples d'inefficacité que présentent bien des institutions restent inexpliqués. De plus, la théorie risque d'exagérer l'efficacité réelle de certaines d'entre elles3. Ensuite, c'est, dans une large mesure, une approche «intentionnaliste». En d'autres termes, elle a tendance à postuler que le processus de création d'une institution est fortement intentionnel, largement maîtrisé par les acteurs qui ont une perception correcte des effets des institutions qu'ils créent, et qu'ils les créent

1. Cf. J. Johnson, «Symbolic Dimensions of Social Order», communication présentée au Congrès sur l'actualité de l'institutionnalisme, «What is Institutionalism Now?», cité.

2. C'est ce qu'affirme R. Bates, «Contra Contractarianism. Some Reflections on the New Institutionalism», Politics and Society, 16, p. 387-401.

3. Pour une tentative impressionnante d'affronter ce problème sans renoncer aux postulats de la théorie des choix rationnels, cf. T. Moe, «The Politics of Structural Choice. Towards a Theory of Public Bureaucracy », dans O. Williamson (éd.), Organizational Theory from Chester Barnard to the Present and Beyond, New York, Oxford University Press, 1990, p. 116-153. Cependant toutes les applications des théories du choix rationnel ne sont pas également fonctionnalistes.

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La science politique et les trois néo -institutionnalism.es

justement dans le but précis d'obtenir ces effets. Bien que l'existence d'un élément d'intentionnalité dans la genèse des institutions ne fasse aucun doute, pareilles analyses impliquent souvent des postulats héroïques concernant la prescience des acteurs historiques et leur capacité à maîtriser les événements. Dans certains cas, ces analyses imputent également des intentions excessivement simples aux acteurs historiques qui, quand on y regarde de plus près, semblent agir en fonction d'un ensemble de motivations beaucoup plus complexes l.

Quatrièmement, ces analyses sont souvent nettement «volontaristes». En d'autres termes, comme l'affirme Robert Bates, elles ont tendance à présenter la création des institutions comme un processus quasi contractuel caractérisé par un accord volontaire entre des acteurs relativement égaux et indépendants, tout à fait du genre de ceux qu'on trouverait dans F «état de nature»2. Bien que pareille description puisse rendre compte de façon adéquate de certains cas, pour beaucoup d'autres, elle risque de sous-estimer le fait que l'asymétrie des relations de pouvoir confère beaucoup plus d'influence à certains acteurs qu'à d'autres dans le processus de création des institutions3. Enfin, le postulat d'« équilibre» de cette approche conduit les théoriciens dans une contradiction. Une des implications de cette approche est en effet que la situation initiale à partir de laquelle une institution est créée a toutes chances de refléter un équilibre de Nash. Ainsi, il n'est pas du tout évident que les acteurs devraient se mettre d'accord pour changer les institutions existantes. Paradoxalement, les efforts de Kenneth A. Shepsle et d'autres auteurs pour montrer que les institutions sont stables, en invoquant l'incertitude qui entoure le changement institutionnel, font qu'il est encore plus difficile de comprendre pourquoi il arrive que les institutions changent4. Cette approche a besoin, pour le moins, d'une théorie des équilibres dynamiques beaucoup plus robuste.

Ces réflexions suggèrent que, bien que l'institutionnalisme des choix rationnels puisse contribuer à expliquer pourquoi les institutions continuent à exister, l'explication qu'il propose de leur genèse ne s'applique avec succès qu'à un nombre limité de contextes. Plus précisément, sa portée théorique est la plus grande dans des contextes où le consensus entre des acteurs rompus à l'action stratégique et de statut relativement identique est indispensable pour assurer un changement institutionnel comme dans certaines

1. Comme exemple, cf. l'analyse par ailleurs valable développée dans D. C. North, B. Weingast, «Constitutions and Credible Commitments», art. cité. De même, il est possible que de nombreuses analyses de l'école des choix rationnels postulent trop rapidement que la présence de problèmes d'action collective engendre automatiquement une «demande» de création d'institutions. Pour des correctifs, cf. R. Bates, «Contra Contractarianism...», art. cité et J. Knight, Institutions and Social Conflict, New York, Cambridge University Press, 1992.

2. Cf. R. Bates, «Contra Contractarianism...», art. cité et R. Grafstein, Institutional Realism, op. cit., chap. 3.

3. Pour une analyse pénétrante qui tente d'introduire une prise en compte des asymétries du pouvoir dans l'analyse de la création d'institutions en termes de choix rationnels, voir J. Knight, Institutions and Social Conflict, op. cit. Cela peut constituer un problème, même dans une législature, où des majorités peuvent souvent imposer des changements institutionnels aux minorités, comme le montrent des études portant sur le gouvernement des partis. Cf. G. W. Cox, M.D. McCubbins, Legislative Leviathan, op. cit.

4. Cf. K.A. Shepsle, «Institutional Equilibrium and Equilibrium Institutions», cité.

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assemblées législatives ou dans des arènes internationales. En revanche, cette théorie peut s'appliquer à des contextes où une concurrence intense entre diverses formes d'organisation sélectionne celles qui sont dotées d'une certaine efficacité qu'il est possible de définir avec précision ex ante, par exemple dans certaines situations concurrentielles de marché1.

En revanche, les institutionnalismes historique et sociologique ont une tout autre approche de l'explication de l'origine et du changement des institutions. L'un et l'autre commencent par souligner que les institutions nouvelles sont créées et adoptées dans un monde qui en contient déjà beaucoup. Cela peut paraître anodin, mais c'est une remarque lourde de conséquences.

En sociologie, les institutionnalistes partent de ce constat pour examiner la façon dont les institutions existantes structurent le champ de vision des acteurs qui envisagent une réforme institutionnelle. Ainsi, ils font porter leur attention sur les processus par lesquels les acteurs qui créent de nouvelles institutions font des «emprunts» aux modèles institutionnels existants. Cette démarche souligne utilement le fait que le monde institutionnel existant circonscrit l'éventail des créations possibles. Les sociologues de cette école développent eux aussi une conception plus large des raisons pour lesquelles une institution particulière peut être choisie, conception qui va bien au-delà des seules considérations d'efficacité pour englober le rôle que des efforts interactifs d'interprétation et un souci de légitimité sociale peuvent jouer dans ce processus. Cette approche permet d'aller très loin dans l'explication des nombreux cas d'inefficacité constatés dans des institutions sociales et politiques 2.

Toutefois, du point de vue de la science politique, l'approche de l'insti- tutionnalisme en sociologie semble souvent étrangement éthérée. En d'autres termes, elle peut tout à fait passer à côté du fait que les processus de création ou de réforme institutionnelle impliquent un conflit de pouvoir entre des acteurs dont les intérêts entrent en concurrence3. Après tout, de nombreux acteurs, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur d'une organisation, ont en jeu des intérêts profonds liés à ce que l'entreprise ou le gouvernement adopte ou non de nouvelles pratiques institutionnelles, et les initiatives de réforme engendrent souvent des luttes de pouvoir entre ces acteurs, ce qu'une trop grande insistance sur les processus de diffusion risque de négliger. Dans certains cas, les néo-institutionnalistes en sociologie semblent privilégier tellement les processus macro- sociologiques que les acteurs

1. Bien que certains chercheurs aient soutenu que la concurrence entre États-nations ou élites politiques tend à sélectionner certains types d'institutions de préférence à d'autres, les recherches menées sur ce point sont en nombre étonnamment réduit. Cf. T. Ertman, Birth of the Leviathan, New York, Cambridge University Press, 1997; H. Root, Fountain of Privilege, Berkeley, University of California Press, 1994; W. G. Runciman, A Treatise in Social Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1984; et plus généralement, J. Knight, Institutions and Social Conflict, op. cit., chap. 1 et D. C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, op. cit.

2. J.W. Meyer, B. Rowan, «Institutionalized Organizations», art. cité, et G. M. Thomas et al., Institutional Structure: Constituting State, Society and the Individual, Beverly Hills, Sage, 1987.

3. Il y a des exceptions importantes: par exemple N. Fligstein, The Transformation of Corporate Control, op. cit.

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concernés semblent s'évanouir dans le lointain, et le résultat finit par ressembler à «une action sans acteurs». En général, leur approche pourrait tirer profit d'une plus grande attention prêtée à la façon dont les cadres de signification, les scénarios et les symboles naissent non seulement des processus d'interprétation, mais aussi des processus de conflit1.

Les institutionnalistes qui adoptent une approche historique partent du même constat, à savoir un monde saturé d'institutions, pour attirer notre attention sur la façon dont les relations de pouvoir inscrites dans les institutions existantes confèrent à certains acteurs ou intérêts davantage de pouvoir qu'à d'autres concernant la création de nouvelles institutions2. A cet égard, ils rejoignent les institutionnalistes de l'école des choix rationnels, qui s'inspirent du célèbre constat résumé par une génération antérieure de théoriciens dans la formule selon laquelle «l'organisation est la mobilisation du parti pris»3. Toutefois, ils combinent avec ce point de vue une conception de l'influence du parcours qui reconnaît également l'importance des modèles institutionnels existants dans les processus de création et de réforme institutionnelle.

Si la présentation qui est faite de l'origine des institutions dans l'optique des choix rationnels est dominée par la déduction, celle de l'institution- nalisme historique semble souvent reposer fortement sur l'induction. Généralement, les théoriciens de cette école fouillent les archives historiques à la recherche d'indices des raisons pour lesquelles les acteurs historiques se sont comportés comme ils l'ont fait. Cette insistance néo-webérienne sur la signification prêtée par les acteurs historiques à leurs propres actions accroît considérablement le réalisme des analyses produites par ces théoriciens, et elle leur permet de choisir entre des explications concurrentes quand le calcul déductif lié au postulat d'acteurs rationnels aboutit à plus d'une situation d'équilibre. En conséquence, ils ont provoqué des révisions parfois déchirantes de notre compréhension habituelle de l'origine de certaines institutions, comme par exemple le corporatisme suédois4. Mais cette insistance sur l'induction est une faiblesse autant qu'une force: les institutionnalistes qui adoptent une approche historique ont mis moins de temps que d'autres chercheurs à rassembler leurs résultats dans des théories systé-

1. Pour certains travaux exceptionnels qui accordent davantage d'attention à cette dimension de l'institutionnalisation, P.J. DiMaggio, «Constructing an Organizational Field as a Professional Project», dans W.W. Powell, P. DiMaggio, The New Institutio- nalism in Organizational Analysis, op. cit., p. 267-292; N. Fligstein, The Transformation of Corporate Control, op. cit. et L. Edelman, «Legal Environments and Organizational Governance», American Journal of Sociology, 95, 1990, p. 1401-1440.

2. Comme T. Moe et J. Knight l'ont signalé, de nombreuses analyses de l'école des choix rationnels sont curieusement apolitiques. Leur insistance sur les avantages collectifs procurés par les institutions semble souvent masquer à quel point celles-ci, comme beaucoup de choses en politique, résultent de conflits pour le pouvoir et les ressources. Cf. T. Moe, «The Politics of Structural Choice», art. cité et J. Knight, Institutions and Social Conflict, op. cit.

3. Cf. S. Steinmo, Taxation and Democracy, op. cit., p. 7 et E. E. Schattschneider, The Semi-Sovereign People, New York, Holt, Rinehart, 1960.

4. Cf. P. Swenson, «Bringing Capital Back In or Social Democracy Reconsidered», World Politics, 43(4), 1991, p. 513-544 et B. Rothstein, «Explaining Swedish Corporatism: The Formative Moment», Scandinavian Political Studies, 14(2), 1991, p. 149-171.

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matiques portant sur les processus généraux impliqués par la création et le changement institutionnels.

En résumé, la science politique est aujourd'hui confrontée, non pas à un seul « néo-institutionnalisme » mais à trois. De plus, il est frappant de constater à quel point ces écoles de pensée sont restées cloisonnées. Chacune a passé son temps à affiner son propre paradigme. Comment aller de l'avant? De nombreux auteurs prônent l'adoption d'une seule de ces approches au détriment des autres. Le présent article s'efforce de suggérer que le temps est venu d'intensifier les échanges entre ces différentes écoles. Au minimum, nous suggérons qu'une meilleure connaissance réciproque permettrait aux tenants de chacune d'elles de mieux percevoir les questions sous- jacentes à leur propre paradigme.

Peut-on aller plus loin? Chacune de ces écoles pourrait-elle emprunter aux autres certaines de leurs intuitions ? Pareille démarche sera nécessairement limitée. Au niveau hautement théorique des premiers principes, les représentants extrêmes de chaque école adoptent des positions radicalement différentes sur des questions aussi fondamentales que celle de savoir si on peut désigner l'identité des acteurs de façon exogène en vue d'une analyse institutionnelle, ou si l'on peut postuler l'existence d'une sorte d'action rationnelle ou stratégique homogène quel que soit le contexte culturel.

Toutefois, nous sommes partisans de pousser ces échanges aussi loin que possible, la raison la plus fondamentale étant que chacune des ces écoles semble révéler des aspects importants du comportement humain et de l'impact que les institutions peuvent avoir sur lui. Aucune de ces écoles ne semble aller dans une mauvaise direction ou reposer sur des postulats foncièrement erronés. Le plus souvent, chacune semble fournir une explication partielle des forces à l'œuvre dans une situation donnée, ou exprimer des dimensions différentes du comportement humain et de l'impact des institutions.

C'est ainsi que le comportement d'un acteur peut être influencé en même temps par les stratégies probables des autres acteurs et par la référence à un ensemble familier de modèles moraux ou cognitifs, chaque facteur étant lié à la configuration des institutions existantes. Prenons le cas des ouvriers français qui s'interrogeaient sur l'adhésion à une politique des revenus dans les années cinquante. D'une part, la structure divisée du mouvement ouvrier français décourageait une stratégie d'adhésion parce qu'elle favorisait un comportement de passager clandestin. D'autre part, les idéologies syndicalistes de nombreux syndicats français militaient également contre toute coopération entre eux dans une telle entreprise1. Il est possible qu'à l'époque, ces deux caractéristiques des institutions du mouvement ouvrier français, chacune révélée par une école de pensée différente, aient influencé les comportements.

De plus, si on assouplit les postulats extrêmes des théories propres à chaque école, on peut dégager un terrain théorique commun, à partir duquel

1. Pour davantage d'information sur cet exemple, voir P. A. Hall, Governing the Economy, op. cit., p. 247-249.

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les intuitions de chacune de ces approches pourraient être utilisées pour compléter ou renforcer celles des autres. Ainsi, les approches «calculatrice» et «culturelle» de la relation qui lie les institutions et l'action constatent toutes les deux que les institutions influencent l'action en structurant les attentes concernant les actions futures des autres acteurs, même si les modèles qu'elles proposent de l'origine de ces attentes sont légèrement différents. Dans un cas, la théorie affirme que ces attentes sont déterminées par ce que l'autre acteur devrait considérer comme viable du point de vue instrumental; dans l'autre, ces attentes sont censées être déterminées par ce que l'autre acteur devrait considérer comme approprié du point de vue social. Dans ces conditions, il y a place pour un dialogue fructueux. De même, il ne serait pas difficile pour les tenants des approches calculatrice et culturelle de reconnaître qu'une bonne partie des comportements sont stratégiques ou guidés par des objectifs, mais que l'éventail des possibilités envisagées par un acteur stratégique est susceptible d'être circonscrit par un sentiment culturel- lement déterminé de ce qu'il est approprié de faire.

Un certain nombre de théoriciens ont déjà commencé à intégrer des notions stratégiques et culturalistes dans leurs analyses, ce qui rend pareilles synthèses très prometteuses. Ainsi, dans une analyse par ailleurs conforme à la théorie des choix rationnels, David Kreps, étudiant la façon dont les organisations observent et régulent les comportements de leurs employés, élargit son approche de manière à englober la «culture d'organisation», définie comme un ensemble de modèles d'action collectifs. D. Kreps affirme que pareilles «cultures» peuvent suppléer de manière efficace aux mécanismes traditionnels d'observation et de régulation dont dispose une organisation, en particulier quand elle n'est pas en mesure de définir immédiatement les comportements appropriés à toutes les éventualités l.

D'autres chercheurs de l'école des choix rationnels ont commencé à intégrer dans leurs travaux la «culture» ou les «croyances» pour expliquer pourquoi les acteurs s'orientent vers une situation donnée quand une analyse conventionnelle définit plusieurs équilibres possibles. Geoffrey Garrett et Barry Weingast, par exemple, affirment que les normes ou les idées favorisées par un environnement institutionnel donné fournissent souvent les points locaux qui permettront aux acteurs rationnels de converger en direction d'un seul des divers équilibres possibles2. Dans une analyse particulièrement suggestive des jeux à équilibres multiples, Fritz Scharpf montre comment le comportement peut être déterminé à la fois par les «règles de décision» qui représentent les incitations que les institutions peuvent proposer aux acteurs considérés comme des calculateurs rationnels, et par les «styles de décision» de ces acteurs, par quoi on peut comprendre les croyances portant sur les comportements appropriés qui font l'objet des analyses culturalistes. Pour prendre un seul exemple, ces «styles» peuvent

1. D. Kreps, «Corporate Culture and Economie Theory», dans J. Alt, K. A. Shep- sle, Perspectives on Positive Political Economy, op. cit., p. 90-143.

2. Cf. G. Garrett, B. Weingast, «Ideas, Interests and Institutions: Constructing the European Community's Internal Market», dans J. Goldstein, R. Keohane (eds), Ideas and Foreign Policy, Ithaca, Cornell University Press, 1993, p. 173-206 et S. Krasner, «Global Communication and National Power. Life on the Pareto Frontier», art. cité.

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déterminer si l'acteur attache une plus grande valeur aux gains absolus ou relatifs quand la matrice de gains impose de choisir entre les deux1. De la même manière, R. Bates et B. Weingast soutiennent que les interactions stratégiques sont des jeux de signalisation, dont la signification et les enjeux ne sont compréhensibles qu'à condition de comprendre le contexte culturel qui assigne une signification à des symboles précis; ils vont même plus loin en suggérant que l'objet de nombreuses catégories d'interaction stratégique est précisément d'influencer ces croyances2.

L'institutionnalisme historique est placé dans une position particulièrement cruciale. Nombre de thèses récemment proposées par cette école pourraient facilement être traduites dans le langage des choix rationnels, tandis que d'autres présentent une tendance certaine à s'ouvrir au néo-insti- tutionnalisme sociologique3. Les meilleures de ces analyses intègrent déjà des éléments empruntés aux autres écoles, par exemple lorsque, à la façon des théoriciens de l'école des choix rationnels, elles montrent comment les acteurs historiques sélectionnent de nouvelles institutions dans un but instrumental, mais en les choisissant dans une liste d'alternatives historiquement déterminées par les mécanismes que décrit l'institutionnalisme sociologique4. Comme nous l'avons observé plus haut, d'autres travaux sont allés encore plus loin en suggérant que les réactions stratégiques à un environnement institutionnel donné peuvent finir par engendrer des visions du monde et des pratiques organisationnelles qui continuent à conditionner l'action alors que l'environnement institutionnel initial s'est modifié5.

Qu'on nous comprenne bien: notre intention n'est pas d'affirmer qu'une synthèse grossière des positions développées par chacune de ces écoles est immédiatement réalisable ou même nécessairement souhaitable. Après tout, c'est précisément parce que le débat implicite qui a eu lieu entre elles a été si éclairant que nous avons tenté ici de le rendre plus explicite, et il y a beaucoup à dire en faveur d'un débat soutenu. Ce que nous voulons dire, c'est surtout que, après quelques années pendant lesquelles chacune de ces écoles a connu, isolée, sa période d'incubation, le temps est venu pour elles de développer des échanges plus explicites et plus soutenus. Il y a toutes

1. F. Scharpf, «Decision Rules, Decision Styles and Policy Choices», Journal of Theoretical Politics, 1(2), 1989, p. 149-176. On retrouve à peu près la même thèse défendue par Robert Putnam, qui affirme que les régions d'Italie qui ont un passé relativement riche d'expérience de l'association collective constituent un meilleur terrain pour les efforts collectifs, même des siècles plus tard, que les régions dépourvues de cette expérience. Cf. R. Putnam, Making Democracy Work. Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993.

2. R. Bates, B. Weingast, «A New Comparative Politics. Integrating Rational Choice and Interpretivist Perspectives», Harvard Center for International Affairs Working Paper, 1995; B. Weingast, «The Political Foundations of Democracy and the Rule of Law» (à paraître); J. A. Ferejohn, «Rationality and Interpretation: Parliamentary Elections in Early Stuart England», dans K. R. Monroe (dir.), The Economic Approach to Politics, New York, Harper Collins, 1991.

3. Pour des exemples du premier cas, voir E. Immergut, Health Politics, op. cit. et P. A. Hall, «Central Bank Independence and Coordinated Wage Bargaining. The Interdependence in Germany and Europe», German Politics and Society, automne 1994; et, pour des exemples du deuxième cas, cf. V. C. Hattam, Labor Visions and State Power, op. cit. et S. Steinmo, Taxation and Democracy, op. cit.

4. Cf. Th. Ertman, Birth of the Leviathan, op. cit. 5. Cf. V. C. Hattam, Labor Visions and State Power, op. cit.

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les raisons de penser que nous avons à apprendre de toutes ces écoles de pensée, comme chacune d'elles a à apprendre des autres*.

Traduit de l'anglais par Jean-François Bâillon

Peter A. Hall est professeur de science politique et chercheur au Center for European Studies de l'Université de Harvard. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Governing the Economy: The Politics of State Intervention in Britain and France, Cambridge, Polity, 1986; "Policy Paradigms, Social Learning and the State", Comparative Politics, avril 1993 ; «The Role of Interests, Institutions and Ideas in the Comparative Political Economy of the Industrialized Nations», dans M. Lichbach, A. Zuckerman (dir.), The Future of Comparative Politics, New York, Cambridge University Press, 1997. Il a aussi dirigé The Political Power of Economic Ideas, Princeton, Princeton University Press, 1989 ; et, en collaboration avec J. Hayward et H. Machin, Les développements politiques en France, Paris, PUF, 1993. Il travaille sur la comparaison des politiques publiques et sur l'économie politique de l'Europe (Center for European Studies, Harvard University, 27 Kirkland Street, Cambridge, MA 02138 États-Unis).

Rosemary C.R. Taylor est professeur de sociologie et de santé publique à l'Université de Tufts et chercheur associé au Center for European Studies de l'Université de Harvard. Ses recherches portent sur la politique de développement de Y État-providence et les politiques publiques, surtout dans le domaine de la santé, en Europe de l'Ouest et aux États-Unis. Elle a publié, avec V. Beardshaw et D.J. Hunter, un ouvrage intitulé Local AIDS Policies, Londres, HEA, 1993, ainsi que de nombreux articles sur les politiques de santé publique et de soins ; avec J. Case, elle a dirigé Coops, Communes and Collectives, New York, Pantheon, 1979. Elle termine actuellement un livre sur les politiques publiques face au SIDA en France, en Angleterre et aux États-Unis. Elle travaille aussi sur un nouveau projet, avec Y. Soy- sal, qui étudie les modèles d'une politique sociale et d'une solidarité sociale dans une Europe en mutation (Center for European Studies, Harvard University, 27 Kirkland Street, Cambridge, MA 02138 États-Unis).

* Cet article a été publié en anglais dans Political Studies, décembre 1996. Une première version a été présentée en 1994 au Congrès annuel de l' American Political Science Association, et lors d'une réunion sur «l'institutionnalisme aujourd'hui» («What is Institutionalism Now?») à l'Université du Maryland (octobre 1994). Nous voudrions remercier, pour leur hospitalité et pour les encouragements qu'ils nous ont apportés pendant la préparation de cet article, le Stanford Center for Organizations Research et le Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences. Nous sommes très reconnaissants envers Paul Pierson pour avoir souvent discuté de ces questions avec nous. Pour leurs commentaires écrits sur cette première version, nous remercions Robert Bates, Paul DiMaggio, Frank Dobbin, James Ennis, Barbara Geddes, Peter Gourevitch, Ian Lustick, Cathie Jo Martin, Lisa Martin, Paul Pierson, Mark Pollack, Bo Rothstein, Kenneth Shepsle, Rogers Smith, Adria Warren, Marc Smyrl, Barry Weingast, Deborah Yashar et Martha Zuber.

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RESUME/ ABSTRACT

LA SCIENCE POLITIQUE ET LES TROIS « NEO- INSTITUTIONNALISMES » On peut mieux appréhender le « néo-institutionnalisme » en science politique comme le développement de trois écoles de pensée distinctes : institutionnalisme historique, institu- tionnalisme des choix rationnels, et institutionnalisme sociologique. Les auteurs résument les intuitions centrales de chaque école, en portant une attention particulière à la dualité entre les approches « culturelle » et « calculatrice » et évaluent les avantages et les faiblesses de chaque école de pensée en soulevant deux questions clés : comment les institutions influencent le comportement et où se situent l'origine et le changement de ces institutions. En conclusion, ils explorent, pour chaque école, les possibilités d'intégrer certaines de ces intuitions les unes aux autres, de façon à favoriser un dialogue plus fécond entre elles.

POLITICAL SCIENCE AND THE THREE NEW INSTITUTIONALISMS The "new institutionalism" in political science can best be understood as the development of three separate schools of thought : historical institutionalism, rational choice institutionalism and sociological institutionalism. The authors summarize the core insights of each school, with particular attention to the duality between a "cultural" and a "calculus" approach and compare the advantages and disadvantages of each school of thought for addressing two key issues : how do institutions affect behavior and how do institutions originate and change ? They conclude by exploring the potential for integrating some of the insights of each school with those of the others in order to encourage greater dialogue among them.

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