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LA SEMAINE JURIDIQUE ENTREPRISE ET AFFAIRES LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES 26 JUILLET 2012, HEBDOMADAIRE, N° 30 ISSN 1290-5119 464 Professions libérales - 3 questions : La protection du titre d’avocat ou d’expert- comptable, M. Brault 465 Marché financier - L’AMF précise les règles applicables en matière de traitement des réclamations, de sondages de marché, d’OPA et de prospectus 469 Énergie - Le Conseil d’État annule l’arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel, CE, 10 juill. 2012 473 Protection du consommateur - Vente d’ordinateur avec logiciel préinstallé non constitutive d’une pratique commerciale déloyale, Cass. 1 re civ., 12 juill. 2012 477 Comité d’entreprise - L’avis motivé du CHSCT est un préalable à l’information- consultation du CE sur les conditions de travail, Cass. soc., 4 juill. 2012 481 Procédures collectives - Maintien du taux de la cotisation AGS à 0,30 % au 1 er juillet 2012 1468-1478 La conformité, accélérateur ou frein de la croissance ? Compliance and performance Lyon, 2 décembre 2011

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LA SEMAINEJURIDIQUEENTREPRISE ET AFFAIRES

LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES

26 JUILLET 2012, HEBDOMADAIRE, N° 30 ISSN 1290-5119

464 Professions libérales - 3 questions : La protection du titre d’avocat ou d’expert-comptable, M. Brault

465 Marché financier - L’AMF précise les règles applicables en matière de traitement des réclamations, de sondages de marché, d’OPA et de prospectus

469 Énergie - Le Conseil d’État annule l’arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel, CE, 10 juill. 2012

473 Protection du consommateur - Vente d’ordinateur avec logiciel préinstallé non constitutive d’une pratique commerciale déloyale, Cass. 1re civ., 12 juill. 2012

477 Comité d’entreprise - L’avis motivé du CHSCT est un préalable à l’information-consultation du CE sur les conditions de travail, Cass. soc., 4 juill. 2012

481 Procédures collectives - Maintien du taux de la cotisation AGS à 0,30 % au 1er juillet 2012

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La conformité, accélérateur ou frein de la croissance ?Compliance and performance

Lyon, 2 décembre 2011

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La conformité, accélérateur ou frein de la croissance ? Compliance and performance Lyon, 2 décembre 2011

Avant-propos

Le présent numéro réunit une partie des nombreuses contributions à la « Biennale Business & Droit » qui s’est tenue à Lyon, le 2 décembre 2011, organisée par Lyon Place Financière et Tertiaire en association avec le barreau de Lyon et FIDES (Forum sur les Institutions, le Droit, l’Économie et la Société). Le thème choisi (« La confor-mité, accélérateur ou frein de la croissance ? ») traduisait bien l’objectif général de ce

nouveau type de rencontres biennales : susciter un dialogue sans concession entre juristes et dirigeants d’entreprises ou d’institutions publiques, entre académiques et praticiens, et aussi, en reprenant la formule du think tank FIDES, entre analyses juridiques et théorie économique.La « conformité » dépasse le simple respect de la loi, des réglementations et des standards

techniques qui s’imposent à l’entreprise. Sans que ce soit par snobisme, elle est sans doute mieux comprise par un acteur français sous son acception anglaise de compliance. Parce qu’elle apparaît comme une démarche globale, elle constitue ce que nous pourrions appeler le « paradigme de la conformité ».Celui-ci peut se définir par sa nature et sa fonction et recouvre alors quatre éléments.

Il s’agit avant tout d’un processus à plusieurs dimensions : à la fois juridique et « régulatoire » mais aussi admi-nistratif au sein de la puissance publique, et opérationnel au sein de l’entreprise. Ce processus se développe d’abord à l’intérieur de l’entreprise mais il lui est largement imposé de l’extérieur, notamment parce que son objectif n’est pas défini par la firme elle-même.

En effet, il s’agit pour la puissance publique – souvent incarnée par des agences indépendantes de l’exécutif – de délé-guer une partie de ses fonctions de police administrative à travers deux prérogatives : l’application du droit mais aussi la rédaction d’une partie du cadre juridique, sous la forme de règles qui ne sont d’ailleurs pas toujours supplétives, dérivées des instruments habituels de la hiérarchie des normes ou propres à la sphère privée. Cette délégation s’opère au profit des entreprises ou des associations professionnelles qui sont l’objet même de ce cadre juridique ou « régulatoire ».

Pour les entreprises, il s’agit d’abord d’un nouveau mode d’exercice de la contrainte réglementaire mais aussi d’un mode de management. Ce n’est sans doute d’ailleurs pas par hasard si en France, parmi les premières analyses juridiques de cette notion, beaucoup sont empreintes de sciences de gestion1. Pour un juriste de droit public, il s’agit donc d’un mode inédit d’intervention publique. Il apparaît comme une al-ternative à l’approche classique d’un contrôle a posteriori exercé par une autorité administrative qui sanctionne, ex post, les manquements à la réglementation au moyen d’agents ou de dispositifs de contrainte et d’enquête qui sont externes à l’entreprise. En France, la conformité est considérée comme une alternative à l’approche « command and control », alors qu’aux États-Unis elle en est considérée comme le dernier avatar. Elle repose néanmoins sur la philosophie de l’autorégulation. Elle renvoie alors à tous les avantages mais aussi aux très nombreuses ambiguïtés et graves limites de l’autorégulation, qui sont apparues notamment avec l’actuelle crise financière.La conformité se retrouve dans un nombre croissant de domaines du droit : du droit bancaire et financier – où elle s’est implantée historiquement en premier, notamment sous le vocable de déontologie2 - en passant par la lutte contre le blanchiment ou la corruption, jusqu’à des problématiques très générales, qui concernent donc toutes les entreprises, y compris les PME, avec la protection des données personnelles ou la mise en œuvre de règles protégeant l’environnement.Malgré cette diversité, la conformité s’appuie sur plusieurs instruments ou institutions et notamment : de contrôle interne mais aussi les règles de délégation de pouvoir, auquel il faut désormais apporter un soin par-ticulier dans les entreprises ;

1 V. par exemple les emprunts au management dans C. Roquilly, De la conformité réglementaire à la performance : pour une approche multidimensionnelle du risque juridique : CDE 2009, dossier 34.

2 V. par exemple le Rapport dit « Brac de la Perrière » : Rapport au Pré-sident de la COB : Rapport général du groupe de déontologie des activités financières : Bull. mensuel de la COB, supplément n° 212, mars 1988.

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le correspondant à la protection des données notamment ; -istrateurs et donc modifie la gouvernance d’entreprise ; -néficier le directeur juridique, voire implique logiquement un véritable statut « d’avocat en entreprise » ; whistleblower (« l’informateur » ou « dénonciateur » interne), personnage assez peu apprécié dans notre droit national.

La conformité se présente également comme un des lieux d’hybridation entre droit privé et public. Il est amusant de voir que, sous son influence, le droit privé, le droit des sociétés et le droit boursier sont pénétrés par des raisonne-ments de droit public : on y utilise le terme de « statut » comme en droit de la fonction publique, de « délégation de pouvoir » comme en droit constitutionnel, etc. Au moment même où le droit public tend à se déliter sous l’effet de concepts hérités du droit privé, cette hybridation dont procède la compliance renvoie au profond mouvement de remise en cause de la frontière entre sphère privée et sphère publique, participant aux nouvelles formes de régula-tion dans nos sociétés postmodernes.Du point de vue des politiques publiques, il faut au moins évaluer les conséquences de cette démarche sur les en-treprises, car elle constitue une source d’incertitude juridique, voire pénale et n’est pas nécessairement spontanée en droit français.En effet, s’il y a eu des précédents en France3, cette démarche est principalement issue du droit américain, et par-ticulièrement des lois Sarbanes-Oxley et plus récemment, Dodd-Frank, souvent relayées par des conventions inter-nationales ou des directives européennes.Pour les pouvoirs publics, qu’ils soient législateurs, négociateurs dans les instances européennes ou internationales, régulateurs ou encore autorité de sanction disciplinaire ou pénale, il est alors important d’identifier les implica-tions, voire les déstructurations, que cette approche peut impliquer pour les acteurs français et le droit français.Par ailleurs, puisque cette approche par la compliance est largement subie, il est crucial pour les entreprises d’identifier comment la retourner en un instrument de performance, un avantage comparatif, et non seulement un fardeau bureaucratique supplémentaire.C’est l’ensemble de ces problématiques originales que le présent numéro essaie d’aborder, par des contributions venant autant de praticiens que d’universitaires, tant français qu’étrangers. Que l’ensemble des contributeurs et des organisateurs de cette manifestation en soient sincèrement remerciés.

Conseiller d’État, détaché comme Professeur de droit public

CONFORMITÉ

1468 La conformité, accélérateur ou frein à la croissance ? Compliance and performance (Lyon, 2 déc. 2011), Avant-propos B. du Marais

1469 Conformité, auto-régulation et efficacité économique, E. Schanze

1470 Réguler à contretemps ou les conséquences imprévues de la réponse des États à la crise, J. N. Drobak

1471 Conformité à la loi, conformité aux codes - Les mérites de la prévention, J.-P. Valuet

1472 Banque et Conformité, C. Percie du Sert

1473 La conformité, pierre angulaire du droit de l’environnement ?, C. Huglo

1474 Les programmes de conformité aux règles de concurrence : de l’auto-évaluation à l’auto-régulation ?, F. Zivy

1475 Quelques observations sur les liens entre conformité et responsabilité, A. Frechette Kerbrat

1476 Le Notariat précurseur de la régulation et de la conformité, D. Coiffard

1477 La conformité : nouvelles règles et nouveaux défis pour les professions juridiques internationales - Une perspective américaine, R. E. Lutz

1478 Prendre le parti de la conformité - Conclusion, J.-P. Gitenay

3 Comme par exemple le Rapport Brac de la Perrière, préc.

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Conformité, auto-régulation et efficacité économique

1 - Cette contribution s’efforcera de mettre en avant les avantages et les

coûts du développement de la standardisation et de la conformité. Pour

bien comprendre les caractéristiques de la régulation économique, j’ai

tendance à croire en la valeur pédagogique des fables – fabula docet.

L’idée de conformité est, en un sens, bien plus vieille que beaucoup

de ses praticiens actuels ne le pensent. Elle se retrouve déjà posée

en système dans l’une des fables d’Ésope3. La variante « Le Coq et

le Renard »4 de Jean de la Fontaine parlera plus au public français,

notamment cette phrase réjouissante : « (...) c’est double plaisir de

tromper le trompeur ». Ce n’est pas tromper le trompeur qui m’inté-

resse ici5. C’est plutôt le tour que joue le renard au coq qui va nous

La crise des marchés financiers internationaux n’illustre pas uniquement les limites des pres-criptions habituelles de la politique économique. Elle constitue également une remise en question des moyens et méthodes classiques de la régulation économique. L’interaction entre une économie de marché « privée » et un État « administratif » qui fixe et met en œuvre les normes s’est érodée au profit de l’auto-régulation des différents secteurs. Les procédures de conformité, développées et appliquées par les entreprises elles-mêmes, se multiplient. Cette « auto-régulation » par la voie de la standardisation, gérée par des responsables de la confor-mité et des agences spécialisées en la matière, transcende aisément les frontières nationales1. C’est un domaine nouveau et lucratif pour les professionnels du droit et de l’économie. La « conformité » s’imposera-t-elle comme le nouveau cadre normatif nécessaire à la création et la préservation d’un environnement fait de prévisibilité, de confiance et de sécurité dans un monde peuplé d’incertitudes ? Voilà la question fondamentale de cette conférence. Elle est on ne peut plus d’actualité.

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CONFORMITÉ

Erich SchanzeUniversités de Marburg (Allemagne), Bergen (Norvège) et St. Gall (Suisse)2

permettre d’établir un lien avec la problématique de la conformité. Le renard veut attraper un coq installé au sommet d’un arbre. Pour le séduire, il fait usage de la tactique de l’auto-régulation en formulant un cadre normatif aussi crédible que plaisant : « Frère (…) nous ne sommes plus en querelle : paix générale cette fois. Je viens te l’annon-cer, descends, que je t’embrasse ». Bienheureux le coq qui comprend que descendre et célébrer la paix avec le renard pourrait lui être fatal. Au passage, notons que la version originale d’Ésope réserve une fin bien moins sympathique que celle de la Fontaine puisque le renard futé y est tué par un chien qui dormait sous l’arbre6. Pas de plaisir.

2 - Les procédures de conformité sont des ensembles de règles nor-matives strictes d’auto-régulation, développés et mis en place par les secteurs concernés ou par des agences spécialisées. Il est utile de sou-ligner que la signification même du concept de conformité a connu un changement de façon récente. Au départ, nous parlions de « non-conformité » pour évoquer la violation d’une norme en place. Au-jourd’hui, nous utilisons le terme pour décrire ce que nous appelions

1 Se reporter aux récentes contributions dans : Peer Zumbansen et Gralf-Peter Calliess (dir.), Law, Economics and Evolutionary Theory : Ed-ward Elgar, Cheltenham UK, Northampton MA, États-Unis 2011.

2 Ceci est la version écrite de mon intervention en séance d’ouverture de la première édition de la Biennale Business & Droit à Lyon en décembre

2011. Je tiens à remercier Bertrand du Marais de son aimable invitation à la conférence et de toute sa peine pour la rédaction de la version traduite de ces remarques.

3 5e siècle av. JC.

4 Livre II, Fable 15.

5 Pour une analyse de ce problème dans le contexte réglementaire, V. Erich Schanze, Hare and Hedge-hog Revisited - The Regulation of Markets That Have Escaped Regulated Markets : Journal of Ins-titutional and Theoretical Economics 151 (1995), 162-176.

6 http://en.wikipedia.org/wiki/The Cock, the Dog and the Fox.

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7 Sur ce point et le texte suivant, V. Erich Schanze, Linking extra-legal codes to law : the role of inter-national standards and other off-the-rack regimes in Zumbansen/Calliess (Fn. 1) S.335-352, no-tamment p. 343-347.

8 Un article fondamental à ce sujet a été écrit : Bruno S. Frey, Does Monitoring Increase Work Effort ? The Rivalry with Trust and Loyalty : Eco-nomic Inquiry 31(1993), p. 663-670.

9 V. également Ernst E. Fehr et Klaus M. Schmidt, Fairness, Incentives, and Contractual Choices :

European Economic Review 44 (2000), 1057-1068 ; Roland Bernabeu et Jean Tirole, Intrinsic and Extrinsic Motivation : Review of Economic Studies 70(2003), 489-520.

10 V. Erich Schanze, Enforcing Good Banking Prac-tices through Manager Liability ? A Law and Eco-

parfois « révision » par le passé. Sur un plan sociologique, nous pou-

vons analyser cette évolution comme un mouvement d’institution-

nalisation. Dans son acception actuelle, la conformité couvre le déve-

loppement et la maintenance d’un ensemble de normes exhaustives

et leur application, y compris la formulation, l’instruction, l’obser-

vation et l’exécution de codes dans un processus d’auto-régulation.

Jean de la Fontaine nous enseigne que les auto-régulateurs peuvent se

duper eux-mêmes. Les plans de conformité peuvent également être liés

à un problème d’efficacité fondamental. Ils peuvent être conçus de telle

sorte qu’il en découle ou simplement qu’ils ont pour effet d’entraîner un

préjudice pour les intérêts de tiers.

1. Les caractéristiques de la standardi-sation et de l’auto-régulation

3 - La standardisation est une forme de « codification », voire de

« codage » des « pratiques » observées au niveau technologique, éco-

nomique et sociétal7. L’objectif est de documenter des conventions

relatives à des mesures, à la « monnaie » et à la « bonne conduite »

à suivre face aux problèmes de réseau ou de club. Cette documenta-

tion codifiée est justifiée par le besoin de faciliter l’interaction à venir

entre les participants du réseau ou du club. Elle rend l’utilisation de

dispositifs techniques spécifiques (tels des tournevis ou des prises

électriques) ou de certaines formes de comportement (pensez au

ratio de capitalisation des banques) plus prévisible ou mieux adap-

tée. Les normes techniques ou les règles d’utilisation d’un terrain de

sport en sont des exemples simples. Un exemple plus complexe de

ces conventions est donné par les règles et les modèles relatifs aux

swaps et produits dérivés émis par ISDA Inc.

La standardisation intervient fréquemment en dehors du cadre

légal, ce qui sous-tend qu’elle n’en est pas le fruit et ne s’entretient

pas explicitement au sein du système juridique constitutionnel, aux

différents échelons du processus de création des lois, tel qu’on en-

tend les sources légales classiques au plan national, supranational ou

international. La standardisation est davantage « liée à la loi » par

des normes de référence. Dans sa forme la plus légère, elle est simple-

ment tolérée dans un pays ou à l’échelle mondiale.

L’un des aspects intéressant de l’évolution de la standardisation est sa

relation par rapport aux codes et pratiques antérieurs qui n’étaient

pas formalisés. Elle se substitue parfois à des habitudes de travail et

des règles implicites liées à d’anciens systèmes de formation et de

pratiques professionnelles. Cette évolution traduit une tendance

séculaire vers la professionnalisation des fonctions. Il y a cinquante

ans, la plupart des banquiers étaient encore formés « en interne ».

Aujourd’hui, la plupart ont des diplômes universitaires et une for-

mation extérieure spécifique. Bon nombre des pratiques orales et des

règles bancaires sans support écrit sont aujourd’hui codées ou même

techniquement codifiées.

2. Avantages et inconvénients de la standardisation et de l’auto-régulation

4 - La standardisation puise son origine dans la complexité de l’objet

réglementé, dans le manque sévère de maîtrise des effets de la régu-

lation et dans le besoin de résoudre des problèmes essentiels liés aux

effets de réseau ou de club.

Il existe des avantages évidents à la proximité à l’égard des marchés et

des acteurs dans un environnement en mutation. Le développement

et le maintien au sein des secteurs concernés permettent d’intégrer

l’expertise et d’affiner rapidement et dans le détail le cadre réglemen-

taire. Les standards ouvrent la voie au changement et à l’innovation.

Dans de nombreux cas, ils sont une sorte de réponse du marché pour

réglementer un problème particulier qui bénéficie de l’existence

d’une concurrence potentielle entre institutions. Comme mention-

né, ils ne sont pas limités par le carcan du principe classique de la

compétence nationale et par les défauts bien connus du processus

politique d’élaboration des lois et de ses aléas constitutionnels.

Les mauvais côtés de la standardisation sont un manque de légitimi-

té politique, une probable discrimination à l’égard des acteurs exté-

rieurs, des difficultés en matière de concurrence et le coût lié à toute

externalisation. Y sont associés un possible manque de transparence

et plus particulièrement une « eutrophie réglementaire », à savoir la

création d’une véritable jungle de normes. Cette réalité nous conduit

à la problématique essentielle de la perte d’efficacité du fait d’une

sur-réglementation des plans de conformité. Je traiterai précisément

du problème central, fréquemment négligé par les défenseurs de la

conformité : la diminution de l’effort de travail (et par là même de

l’efficacité) sous l’effet d’un excès de contrôle.

3. Un phénomène d’éviction normative dans le contexte de l’auto-régulation

5 - L’effet que l’on pourrait appeler d’éviction normative dans le

cadre de la régulation est bien décrit par l’économie comportemen-

tale8. Les études empiriques montrent qu’une réglementation stricte

du comportement conduit à une perte de la motivation intrinsèque

de l’agent. Alors que la théorie économique standard dite du « prin-

cipal - agent » part du principe que des systèmes de contrôle exhaus-

tifs conduisent à un effort de travail supérieur, on peut démontrer

qu’un dispositif de supervision ultra rigoureux peut être considéré

par l’agent comme un manque de confiance, ce qui l’amènera à dimi-

nuer son effort de travail, notamment dans le cas de fonctions idio-

syncrasiques et/ou innovantes9. Ces idées s’appliquent également à

des programmes de conformité ambitieux. Ils mettent en exergue la

motivation extrinsèque et sous-estiment les vertus de la motivation

intrinsèque. Des jungles normatives conjuguées à des responsabilités

juridiques confuses peuvent même aboutir à de graves erreurs dans

la répartition des talents managériaux.10

.

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nomics Perspective in Peter Nobel, Kathrin Krehan et Anne-Cathrine Tanner, Law and Economics of Global Financial Institutions : Schulthess, Zurich, 2010, p. 251-268, tout particulièrement p. 267.

11 Financial Services Authority, The Turner Review. A regulatory response to the global banking crisis : London, March 2009.

4. Quelques enseignements pour la conception des programmes de conformité

6 - La conception et le contrôle des programmes de conformité de-vraient refléter les enseignements de la théorie de la motivation. Par-fois, moins de réglementation et une utilisation plus prudente de ces programmes peuvent servir l’objectif affiché du régulateur. Même si nous observons de nombreux défauts dans la régulation actuelle des marchés financiers, un phénomène de surréaction peut saper le mo-ral des acteurs du marché et même faire empirer la situation. L’évolu-

tion vers la conformité s’est accompagnée d’une spécialisation crois-sante qui a rendu plus difficile la compréhension d’interventions qui ont tout leur sens et toute leur utilité. Il n’est pas étonnant que les spécialistes prônent un retour à la culture des « généralistes » qui contrôleraient les effets macroéconomiques du marché à l’aide d’une « approche macro-prudentielle11». L’efficacité de la régulation et de la conformité requiert la restauration et le maintien d’un « contrat social » nécessaire entre les différents acteurs du marché, y compris les régulateurs. On tient peut-être là une autre manière de reformuler ce que cette conférence appelle la « croissance ». La croissance est alors le lubrifiant le plus important pour produire des interactions entre agents qui soient économiquement productives.

Réguler à contretemps ou les conséquences imprévues de la réponse des États à la crise

1 - Nombre des entreprises et des citoyens qui appliquent la régle-mentation ont souvent le sentiment de perdre leur temps et leur énergie dans des activités, des rapports et autres formes de mise en conformité inutiles, considérant que ce qu’ils font ne servira guère à

personne1. Une bonne partie de leur frustration s’explique par le fait

que les nouvelles formes de régulation sont mises en œuvre à l’issue

d’une crise financière. Du coup, elles ont été pensées pour limiter

la résurgence des problèmes qui ont conduit à la crise précédente

et pour éviter les écueils du même type mais elles ont souvent des

conséquences imprévues dans l’univers qui fait suite à la crise. Cet

article se propose d’ouvrir certaines perspectives quant aux origines

de ces conséquences réglementaires involontaires. Bien qu’il s’appuie

sur des exemples issus de la réforme de la régulation aux États-Unis,

il est tout aussi valable pour l’expérience française, non seulement

Cet article explique pourquoi des conséquences inattendues découlent parfois des réformes des modes de régulation et qui sont autant de sources de frustration pour ceux qui doivent se conformer aux nouvelles règles. Il analyse les motifs de débats quant aux origines et aux réponses à apporter aux crises financières. Il insiste sur l’incertitude des effets d’une nouvelle réglementation dans un monde dynamique. En mettant en exergue les imperfections inhé-rentes à la réglementation, cet article vise à justifier une nécessaire tolérance face aux procé-dures de conformité d’apparence inutiles.

1470

CONFORMITÉ

John N. Drobak

Professeur de droit et d’économie, Washington University St. Louis, Miss.

1 V. George A. Madill, Professeur de droit, d’économie et de sciences poli-tiques à l’Université Washington, St. Louis, Missouri, USA.

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2 Douglass C. North, Understanding the Process of Economic Change : Princeton University Press, 2005, p. 83 [Traduction personnelle].

3 V. Douglass C. North, Institutions, Institutional Change, and Economic Performance : Cambridge University Press, 1990, p. 37 (« La culture peut être définie comme la transmission de généra-tion en génération, via l’enseignement et l’imi-

tation, de connaissances, de valeurs et d’autres facteurs qui influent sur le comportement » : citation de R. Boyd & P. J. Richerson, Culture and the Evolutionary Process 2 : The University of Chicago Press, 1985) [Traduction personnelle].

parce que l’Hexagone et les États-Unis ont traversé beaucoup de crises financières semblables dans leur histoire mais aussi parce que les causes à la base de ces conséquences imprévues sont pour une grande part identiques dans les deux pays.

2 - Les crises financières qui ont marqué les États-Unis au cours du siècle passé ont eu des répercussions majeures sur la taille du Gou-vernement fédéral américain et sur le poids des activités de mise en conformité nécessaires pour obéir à une régulation foisonnante. La Réserve fédérale américaine fut créée en son temps pour servir de bouclier contre les mouvements de panique financière au début du XXe siècle et évolua significativement face à la Grande dépression. Celle-ci a non seulement déclenché la création d’agences aussi puis-santes que la Securities and Exchange Commission mais a également occasionné une expansion sans précédent du Gouvernement fédéral, entraînant du même coup un bouleversement complet de la réparti-tion des pouvoirs initialement orchestrée entre le niveau fédéral et les États. Le scandale Enron a par la suite conduit à la promulgation de la loi Sarbanes-Oxley et ses réformes sur les méthodes comptables et de reporting. L’histoire se répétant, la Grande récession que nous venons de vivre a poussé le Congrès à adopter la loi Dodd-Frank pour régu-ler les marchés dérivés et le secteur de la finance.

3 - Les crises financières sont le résultat de causes multiples qui ou-vrent la voie à toutes sortes de discussions possibles sur leurs causes, sur le rôle de chacune et sur leur poids relatif, de même que sur le meilleur type de réglementation à mettre en place pour empêcher la répétition de la crise. Ces divergences dans l’analyse des causes d’une crise proviennent d’une compréhension imparfaite des origines de la crise qui n’est qu’une conséquence des limites du pouvoir décision-nel de l’homme. Voilà pourquoi l’économie n’est qu’un instrument partiel pour empêcher la récession, prévoir sa survenance et même pour expliquer pourquoi elle s’est déclenchée.

4 - Autre motif de dispute : il est toujours difficile de s’accorder sur la « vérité » d’un événement. Une bonne partie de ce que les gens en savent est ce qu’ils en ont appris des autres. Nous commençons notre apprentissage auprès de nos parents dès notre plus jeune âge, nous le poursuivons avec nos enseignants et nous passons notre vie à apprendre des autres. La plupart du temps, nous faisons confiance à ceux qui nous enseignent, nous les croyons sans éprouver le besoin d’aller vérifier leurs dires. Bien sûr, ce que nous révèlent nos propres sens est aussi une source directe de connaissance. Personne n’a be-soin de nous apprendre que le soleil brille dans le ciel tous les jours. La majeure partie de ce que nous savons du monde physique peut se vérifier par l’expérimentation, de même que les faits historiques sont étayés par des travaux contemporains. Et pourtant nous sommes le plus grand nombre à penser que la terre tourne autour du soleil sans avoir jamais conduit d’expérience propre pour vérifier cette conclusion. De la même façon, nous croyons que Louis IX fut roi

de France et un grand chef des Croisades sans jamais avoir examiné aucun document historique à l’appui. Cette connaissance fait partie de la culture transmise d’une génération à l’autre, nous y croyons « dur comme fer », même si une poignée d’originaux tentent de nous convaincre du contraire.

5 - Il existe toutefois un autre type de connaissance qui n’est pas véri-fiable ou manifestement éclairé par les preuves historiques. Certaines théories sur le fonctionnement de notre monde sont largement ac-ceptées par certains experts alors que, pour le grand nombre, elles ne semblent qu’une opinion. Ce type de connaissance est davantage susceptible de changer sous l’influence d’une opinion contraire dans l’esprit des gens, quels que soient les arguments avancés par les ex-perts. Les doutes sur la théorie de l’évolution des espèces ou sur le réchauffement de la planète en sont deux parfaits exemples.

6 - Ces désaccords sont également le résultat de visions divergentes sur la manière dont notre monde fonctionne ou, en d’autres mots, de « systèmes de croyance » différents. Le monde est trop complexe pour que chacun puisse analyser de façon rationnelle chaque ques-tion qui se pose à lui. Nous créons alors des représentations mentales du monde qui simplifient nos décisions et nous faisons donc appel à l’heuristique et à des règles empiriques pour nous aider à trouver des réponses à nos questions. Ce que les gens savent est le concentré des signaux envoyés par nos cinq sens, transmis pour traitement au cer-veau où nos systèmes de croyance contrôlent notre mode d’analyse de ces signaux et la prise de nos décisions. Comme Douglass North l’a expliqué :

« Le monde que nous (…) essayons d’appréhender est une pure construction de l’esprit humain. Il n’a pas d’existence propre en dehors de l’esprit et notre appréhension est dès lors différente de celle des sciences physiques qui peuvent utiliser le réductionnisme pour maîtriser et développer leur compréhension du monde phy-sique. Lorsqu’ils essaient de se faire une image à plus grande échelle d’un échantillon du monde physique, les physiciens peuvent écha-fauder à partir de l’unité fondamentale de leur science pour explo-rer les dimensions du problème qu’ils cherchent à aborder. Les sciences sociales n’ont rien de comparable aux gènes, aux protons, aux neutrons, autant de bases sur lesquelles on peut construire. La structure générale qui constitue l’édifice des interactions humaines est un pur produit de l’esprit humain et a évolué dans le temps selon un processus progressif… Il est essentiel de se rappeler que les constructions issues de la création humaine sont un mélange de phénomènes rationnels et irrationnels (superstitions, religions, mythes, préjugés) qui façonnent les choix »2.

Les systèmes de croyance partagés dans une société font partie de son héritage culturel transmis d’une génération à l’autre.3

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4 V. US Supreme Court, Pennell v. City of San Jose, 485 U.S. 1, 22, 108 S. Ct. 849,863 (1988) (Comme Justice Scalia l’a écrit : « Bien sûr, toute régulation économique induit des transferts de richesses »).

5 Telecommunications Act of 1996, Pub. Law No. 104-104, 110 Stat. 56 (1996).

6 AT&T considérait alors les services de télépho-nie locaux comme le « dinosaure » du secteur et préférait maintenir ses activités sur un nouveau segment concurrentiel, les communications longue distance, qui présentaient une source de

-menté des télécommunications locales.

7 Douglass C. North, Cognitive Science and the Stu-dy of the « Rules of the Game » in John N. Drobak, Norms and the Law : ed. Cambridge University Press 2006, at 48, 51-52.

7 - Dans toute société, les systèmes de croyance varient largement entre les individus. Du coup, les problèmes et leurs solutions sont perçus de manière très différente. Prenons un exemple : le secteur privé et l’État américain ont tous les deux participé à la bulle immo-bilière qui a conduit à la Grande récession actuelle. L’administration fédérale, soucieuse d’accroître l’accession à la propriété, a subven-tionné l’immobilier via Fannie Mae et Freddie Mac. Cette politique a conduit des gens à devenir propriétaires de maisons qu’ils n’étaient pas en mesure de s’offrir. Parallèlement, certaines sociétés privées de crédit immobilier ont cherché à faire acheter une maison à crédit à n’importe qui, sans faire attention à leurs ressources financières. Ces sociétés de crédit ne supportaient aucun des risques de ces prêts hasardeux et gagnaient simplement des commissions sur leur octroi. Les sociétés d’investissement ont ensuite attisé le feu en cherchant à récupérer ces crédits immobiliers pour y adosser leurs produits déri-vés. Il ne fait aucun doute que tant le secteur privé, que le Gouver-nement fédéral ont joué un rôle majeur dans la crise des subprimes. Pourtant, les détracteurs du Gouvernement ont jeté l’opprobre sur l’État sans jamais citer le secteur privé et, vice versa, les autres ont accusé le privé sans reconnaître un seul instant le rôle joué par les pouvoirs publics.

8 - Ces désaccords sincères entre les gens, qui découlent de leurs per-ceptions différentes des effets et des causes, renvoient parfaitement aux aspects politiques de la réforme de la régulation. Toute forme de régulation économique a ses gagnants et ses perdants4. Les groupes de pression luttent âprement pour défendre l’évolution réglemen-taire la plus profitable pour leurs intérêts. De nos jours, des groupes d’intérêt organisés existent pour des centaines, voire des milliers, de causes différentes, avec le même objectif : influencer le Congrès. Ces pressions politiques conflictuelles peuvent se traduire par une législation qui apporte peu à la résolution d’un problème. À titre d’illustration, citons les presque deux décennies de lobbying auprès du Congrès qui tentait d’instaurer une loi générale sur la régulation

aboutir à un texte de loi de 300 pages qui n’a rien résolu des choix politiques les plus difficiles5. Et si la loi était si longue, c’est justement parce qu’elle reprenait bon nombre des propositions souvent contra-dictoires des différents groupes d’intérêts. Toutes les questions non résolues ont alors dû être traitées par la Federal Communications

Commission à la place du Congrès.

9 - Des conséquences inattendues de la régulation proviennent aussi des délais dans l’adoption d’une nouvelle loi. Une fois une crise sur-venue, il faut des années pour mettre en œuvre la réglementation destinée à empêcher la répétition des causes de la crise. Entre temps cependant, le monde a profondément changé. La sphère écono-

mique est une réalité dynamique, en perpétuel mouvement grâce aux nouvelles technologies, à l’innovation, aux nouvelles formes de concurrence, etc. Pour poursuivre sur l’exemple du secteur des télé-communications, lorsqu’AT&T a été scindé en blocs, personne n’a vu venir la fin prochaine du secteur des gros ordinateurs centraux (sur lequel AT&T avait prévu de venir concurrencer IBM), pas plus que la révolution de la technologie cellulaire ou d’Internet (qui ren-dait les activités longue distance d’AT&T bien moins porteuses que les services locaux que le groupe abandonnait)6.

10 - La plupart des réformes réglementaires n’interviennent pas uniquement pour empêcher la résurgence de la dernière crise mais aussi pour faire obstacle à la survenance d’une nouvelle crise due à des raisons similaires. L’objectif est souvent de construire un monde économique meilleur pour l’avenir. Aussi nobles soient ces motifs, rendre l’avenir meilleur est souvent bien plus difficile qu’on ne le pense parce que le monde qui nous entoure suit une dynamique d’évolution constante. Douglass North a mis en doute le raison-nement selon lequel le monde serait suffisamment prévisible pour nous permettre de créer des théories qui justifieraient de meilleures lois et une meilleure régulation :

« Dans un monde ergodique, il y a une structure sous-jacente de base, une unité sous-jacente de base, de telle sorte que même lorsque nous faisons face à des problèmes de nature différente, nous pou-vons, tels des physiciens, des chimistes et des généticiens, retour-ner aux fondamentaux et construire notre théorie à partir de cette structure sous-jacente. Les sciences physiques ont fait des progrès impressionnants grâce à la reconstruction de théories neuves sur de nouveaux problèmes à l’appui de ces méthodes réductionnistes. Si le monde est ergodique, les économistes devraient alors pouvoir faire appel au fond d’eux-mêmes à un ensemble de théories sur lesquelles ils peuvent s’appuyer lorsqu’ils veulent comprendre de nouveaux phénomènes. Mais si le monde n’est pas ergodique, il n’y a plus de structure sous-jacente fondamentale sur laquelle nous appuyer. Si le monde n’est pas ergodique, nous devons nous poser des questions profondes et très perturbantes. Par exemple, lorsque nous tentons d’élaborer une politique face à un problème spéci-fique, nous devons nous demander “cette théorie que nous avons tirée de notre expérience de la modélisation du monde par le passé est-elle oui ou non applicable aux problèmes d’aujourd’hui et de demain” »7.

11 - En tant qu’historien de l’économie, North sait comme tout le monde que le passé est source d’enseignement mais il sait aussi que nous ne pouvons pas obtenir toutes les réponses que nous cherchons en regardant derrière nous. Par exemple, Ben Bernanke, qui fut pro-

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8 Sarbanes-Oxley Act of 2002.

fesseur d’économie à Princeton avant de présider la Fed, compte

parmi les plus grands experts au monde des causes de la Grande

dépression passée. Cette position lui permet de comprendre mieux

que la plupart d’entre nous les causes de la Grande récession pré-

sente et pourtant cette connaissance ne lui donne guère de solutions.

La Grande dépression n’a pas entraîné l’effondrement d’un système

financier complexe peuplé de dérivés de crédit, d’instruments syn-

thétiques, de swaps, de problèmes de notation pour ne citer que

quelques-uns des phénomènes actuels.

12 - L’incertitude du futur transparaît dans d’autres aspects de l’ef-

fondrement du système financier récemment observé. Le directeur

de la Commodities Futures Exchange Commission, autorité de régu-

lation des produits dérivés sur les marchés agricoles, a conseillé au

Président Bill Clinton de réglementer les dérivés bien avant qu’ils ne

deviennent une source de problèmes. Le Président américain a pré-

féré écouter les préconisations de son conseiller économique, Larry

Summers, et a donc décidé de ne pas réglementer les instruments fi-

nanciers dérivés. Personne n’a vraiment anticipé alors les problèmes

systémiques qui finiraient par s’ensuivre de cette décision.

13 - Sarbanes-Oxley est un autre exemple. L’une des causes du dé-

sastre Enron fut le conflit d’intérêts dans lequel se trouvèrent les cabi-

nets comptables qui jouaient à la fois un rôle d’audit comptable et de

consultant auprès des entreprises. Pour conserver leurs activités de

consultant, ces sociétés comptables étaient soumises à certaines pres-

sions quant aux résultats de leurs audits qui devaient convenir à leurs

clients. L’analyse de ce type de conflit d’intérêts s’exerçant au niveau

des cabinets comptables occupa une place prépondérante dans les

délibérations qui ont conduit à la loi Sarbanes-Oxley8. Et pourtant

personne n’a entrevu que les agences de notation financières seraient

confrontées au même type de conflits d’intérêts dans la constitution

de la bulle qui a précédé la catastrophe de l’automne 2008. Les émet-

teurs d’obligations d’entreprises se comptaient par milliers : ce n’était

donc pas un problème pour une agence de notation d’attribuer une

notation de mauvaise qualité à l’émission d’une entreprise. Si elles

en perdaient une, il en restait de très nombreuses à servir. Mais le

schéma ne se confirmait pas sur le marché des produits dérivés. Les

émetteurs se comptaient sur les doigts d’une main sur ce segment et

la perte des activités avec l’un deux par suite d’une mauvaise nota-

tion avait un impact important sur les activités de l’agence de nota-

tion. La complexité et la sophistication des instruments financiers

n’ont fait qu’aggraver le problème. La plupart des investisseurs n’ont

pas évalué leurs propres risques, se contentant de se fier à la notation

attribuée par l’agence. Avec le recul, nous savons que des centaines

de millions de dollars ont ainsi été mal évalués et ont provoqué des

pertes vertigineuses et l’écroulement du marché que nous connais-

sons. Avec le recul toujours, il est facile de souligner le rôle joué par

les conflits d’intérêts dont souffraient les agences de notation. Il est

certes difficile de montrer du doigt les autorités de réglementation

qui n’ont pas vu venir ce problème nouveau à partir des enquêtes

qu’elles ont menées sur les conflits d’intérêts liés au scandale Enron,

mais la crise ne serait peut-être jamais survenue si quelqu’un avait

contraint les agences à être plus rigoureuses dans leurs notations des

instruments dérivés.

14 - Nous pouvons tirer deux leçons de cette étude. La première

est à destination des décideurs et dirigeants privés qui doivent se

conformer à la réglementation. Ils doivent accepter les imperfections

inhérentes à la régulation et tolérer les règles de conformité d’appa-

rence parfois inutiles qui en découlent. Compte tenu des limites de

la capacité de décision de l’esprit humain, des failles dans les outils

disponibles et de la nature dynamique (et potentiellement non ergo-

dique) du monde, la réglementation est vouée à l’imperfection. La

seconde leçon est pour les législateurs et le personnel des régulateurs

qui promulguent et appliquent la réglementation : dans ce monde

dynamique, les dispositifs de régulation se doivent d’être souples et

réactifs pour s’adapter à l’évolution des situations. Les problèmes de

l’an passé ne sont pas ceux de cette année, de même que la dernière

crise financière n’est pas la même que celle qui l’a précédée. En réa-

lité, un peu d’humilité sur notre capacité à rendre le monde meilleur

dès aujourd’hui devrait nous aider à faire mieux dans le futur.

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Conformité à la loi, conformité aux codesLes mérites de la prévention

1 - Nous distinguerons la conformité à la loi et la conformité aux

codes patronaux et professionnels, pour enfin souligner les mérites

de la prévention contre les risques de non-conformité.

1. La conformité à la loi

2 - La conformité à la loi est d’autant plus assurée qu’elle s’accom-

pagne du respect de recommandations patronales qui la complètent

et explicitent le « millefeuille législatif ».

A. - Complexité du « millefeuille » législatif en matière de gouvernance

3 - L’exemple de la rémunération des dirigeants : une réglementation

déjà très abondante en 2008 a été complétée par les recommandations

AFEP/MEDEF d’octobre 2008. D’où la nécessité d’une fonction de veille

juridique et de communication pédagogique dans l’entreprise.

1° Une réglementation déjà abondante

4 - La règle de base avait été fixée par la loi du 24 juillet 1966 sur

les sociétés commerciales (aujourd’hui insérée dans le Code de com-

merce) : seul le conseil d’administration peut fixer la rémunération

du PDG et du directeur général, et dans les sociétés à directoire et

conseil de surveillance, celui-ci fixe la rémunération de chacun des

membres du directoire.

5 - Les différentes étapes. - Loi du 30 avril 19831 : tout actionnaire

a le droit d’obtenir communication du montant global certifié exact

par les commissaires aux comptes des rémunérations versées aux 5

ou 10 personnes les mieux rémunérées (10 à partir de 200 salariés).

Décret du 29 novembre 19832 : l’annexe des comptes annuels doit

indiquer le montant global des rémunérations versées à la direc-

tion générale, y compris les engagements de retraite.

3 : l’annexe des comptes consolidés doit

indiquer le montant des rémunérations allouées aux membres de

la direction générale au titre de leurs fonctions dans le groupe. Ces

informations ne sont pas individuelles.

Il faut distinguer la conformité à la loi et la conformité aux codes patronaux et professionnels. À cet égard, la complexité du « millefeuille » législatif français en matière de gouvernance et les changements incessants de la loi dans notre pays ne facilitent pas la tâche des entreprises. Mais le « recopiage » des codes patronaux par le législateur provoque aussi des méfaits, car il peut entraîner une attitude de rétention de la part des entreprises dans l’application et la dif-fusion des bonnes pratiques. Le principe « être conforme ou s’expliquer » a montré son utilité et son efficacité si l’on donne du temps aux entreprises et si l’on admet des adaptations et des souplesses en fonction de la taille des entreprises. Nous vanterons donc les mérites de la prévention contre les risques de non-conformité. La non-conformité à des principes adaptés peut en effet gravement léser l’image de l’entreprise. Notre conclusion est que la conformité globale en esprit, et non seulement dans la forme, est un facteur de croissance.

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CONFORMITÉ

Jean-Paul ValuetSecrétaire général de l’ANSA

1 L. n° 83-353, 30 avr. 1983, relative à la mise en harmonie des obligations comptables des com-merçants et de certaines sociétés avec la 4e direc-tive adoptée par le conseil des communautés euro-péennes le 25 juillet 1978 : JO 3 mai 1983, p. 1335.

2 D. n° 83-1020, 29 nov. 1983, pris en application de la loi n° 83-353 du 30 avril 1983 et relatif aux obligations comptables des commerçants : JO 1er déc. 1983, p. 3461.

3 D. n° 86-221, 17 févr. 1986, pris pour l’applica-tion de la loi n° 85-11 du 3 janvier 1985 relative aux comptes consolidés de certaines sociétés com-merciales et entreprises publiques et portant dis-positions diverses relatives à l’établissement des comptes annuels : JO 19 févr. 1986, p. 2729.

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Page 30 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

4 Cass. com., 3 mars 1987, n° 84-15.726 : JurisData n° 1987-000450 ; Bull. civ. 1987, IV, n° 64.

5 L. n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques : JO 16 mai 2001, p. 7776.

6 L. n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité finan-cière : JO 2 août 2003, p. 13220.

7 Ord. n° 2004-604, 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l’outre-mer

de dispositions ayant modifié la législation com-merciale : JO 26 juin 2004.

8 L. fin. 2005, n° 2004-1484, 30 déc. 2004, art. 83 : JO 31 déc. 2004.

9 L. n° 2005-842, 26 juill. 2005, pour la confiance et la modernisation de l’économie : JO 27 juill. 2005, p. 12160.

10 L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, pour le dévelop-pement de la participation et de l’actionnariat

salarié et portant diverses dispositions d’ordre éco-nomique et social : JO 31 déc. 2006, p. 20210.

11 L. n° 2007-1223, 21 août 2007, en faveur du tra-vail, de l’emploi et du pouvoir d’achat : JO 22 août 2007, p. 13945.

12 L. n° 2008-649, 3 juill. 2008, portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire : JO 4 juill. 2008, p. 10705.

4 : les rému-nérations du PDG et du DG ne sont pas soumises à la procédure de contrôle des conventions dites réglementées. Réglementation boursière : en application des directives euro-péennes sur le prospectus d’information, la COB demande en 1991 et 1994 que les prospectus et le document de référence comportent une information sur la rémunération globale, directe, indirecte et différée, des dirigeants effectifs du groupe (membres du Comex). Loi NRE du 15 mai 20015 : elle prévoit pour la première fois une information individuelle :- obligation d’indiquer dans le rapport annuel de gestion le mon-

tant de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés, durant l’année, à chaque mandataire social. Cette obliga-tion concerne également les rémunérations reçues des filiales ;

- production d’un rapport spécial sur les stock-options, indiquant les options accordées à chaque mandataire social et celles qu’il exerce.

Loi de sécurité financière du 1er août 20036 : le champ de l’infor-mation est réduit : seuls sont concernés les groupes dont la société mère est cotée. En revanche, l’information porte également sur les rémunérations versées par les sociétés contrôlantes. Ordonnance du 24 juin 20047 : elle précise que « les avantages de toute nature » comportent les attributions éventuelles de titres de capital. Mais l’information ne concerne que les mandataires déte-nant un mandat dans une société cotée. Loi du 30 décembre 20048 : elle prévoit un rapport spécial sur les ac-tions attribuées gratuitement durant l’année à chaque mandataire. Loi du 26 juillet 2005 (dite loi Breton)9 : le rapport annuel doit décrire, en les distinguant, les éléments fixes, variables et excep-tionnels composant les rémunérations et avantages, ainsi que les critères en application desquels ils ont été calculés ou les circons-tances en vertu desquelles ils ont été établis. Il indique également les engagements de toute nature, pris par la société au bénéfice de ses mandataires sociaux, correspondant à des éléments de rémuné-ration, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la prise, de la cessation ou du changement de ces fonctions ou postérieurement à celles-ci. L’information donnée à ce titre doit préciser les modalités de détermination de ces engage-ments. Hormis les cas de bonne foi, les versements effectués et les engagements pris en méconnaissance de ces dispositions peuvent être annulés.Pour leur part, les engagements de toute nature en matière de rémunérations différées (compléments de retraite et « parachutes dorés ») sont systématiquement soumis à la procédure des conven-tions réglementées, à savoir autorisation du conseil, rapport des

commissaires aux comptes à l’assemblée et vote de la résolution correspondante. Auparavant, seules certaines conventions y étaient soumises, celles qui n’étaient pas justifiées par un service particu-lier et proportionnées de ce dernier. À noter enfin que s’agissant des stock-options et des attributions gratuites d’actions, la loi du 30 décembre 2006 relative au dévelop-pement de la participation10 oblige les conseils d’administration soit à interdire au dirigeant la levée de ses stock-options avant la fin de son mandat, soit à fixer la quantité d’actions issues de levées d’options qu’il est tenu de conserver.

TEPA)11 : l’engagement doit comporter des conditions de performance du bénéficiaire, sous peine de nullité de tout versement effectué, la mesure ne concernant pas toutefois les clauses de non-concurrence et les retraites chapeau. Les engagements et le respect des conditions de performance sont rendus publics. Loi du 3 juillet 200812 : lorsqu’une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d’entreprise élaboré par les organisa-tions représentatives des entreprises, le rapport du président du conseil d’administration joint au rapport annuel de gestion précise également les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l’ont été.Dans les sociétés cotées sur un marché réglementé, le rapport pré-cise en outre les principes et les règles arrêtés par le conseil pour déterminer les rémunérations et avantages de toute nature accor-dés aux mandataires sociaux.

2° Les recommandations AFEP/MEDEF

6 - Cette réglementation foisonnante est complétée, généralement à la marge, par les nouvelles recommandations AFEP/MEDEF d’oc-tobre 2008 (« qui intègrent, complètent et précisent le code AFEP/MEDEF de gouvernement d’entreprise ») pour les sociétés cotées.

7 - Les recommandations AFEP-MEDEF portent sur 5 points.

8 - L’incompatibilité, dans les sociétés cotées, entre mandat social

et contrat de travail. - Lorsqu’un dirigeant devient mandataire so-cial de l’entreprise, il est recommandé de mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société.Cette recommandation qui est clairement la plus novatrice ne vise pas les collaborateurs qui, au sein d’un groupe coté, exercent des fonctions de mandataire social dans une filiale du groupe. C’est une exception très importante au maintien de laquelle il conviendra à l’avenir de veiller, si un processus plus contraignant devait se déclen-cher. Il est en effet parfaitement sain que des cadres supérieurs de

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Page 31LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

13 L. n° 2007-1223, 21 août 2007, préc.

14 Ne serait plus possible désormais pour les man-dataires sociaux de la mère.

15 V. L. n° 2008-649, 3 juill. 2008, préc.

16 Ord. n° 2009-80, 22 janv. 2009, relative à l’appel public à l’épargne et portant diverses dispositions en matière financière : JO 23 janv. 2009, p. 1431.

17 PE et Cons. UE, dir. 2006/46/CE, 14 juin 2006, modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés, 83/349/CEE concernant les

comptes consolidés, 86/635/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des banques et autres établissements financiers, et 91/674/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des entreprises d’assurance : JOUE n° L 224/1, 16 août 2006.

groupe puissent détenir des mandats sociaux dans les filiales, tout en conservant leur lien salarial avec la mère (y compris l’ancienneté).

9 - La suppression définitive des indemnités de départ abusives

(« parachutes dorés »). - Les conditions de performance fixées par TEPA13) doivent être

exigeantes et n’autoriser l’indemnisation d’un dirigeant qu’en cas de départ contraint et lié à un changement de contrôle ou de stratégie. L’indemnité ne doit pas pouvoir excéder deux ans de salaire, ce qui est d’ailleurs généralement le cas. Ces règles et ce plafond s’appliquent à l’ensemble des indemnités et incluent notamment les éventuelles indemnités versées en application d’une clause de non-concurrence (exclue du dispositif de la loi TEPA).

10 - Le renforcement de l’encadrement des retraites supplémen-

taires. - À la condition déjà prévue que le bénéficiaire soit manda-taire social (ou salarié14) de l’entreprise lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite, s’ajouteraient un certain nombre de règles complémen-taires nouvelles :- la prise en compte de la valeur de l’avantage dans la fixation globale

de la rémunération ;- l’attribution à un groupe de bénéficiaires sensiblement plus large

que les seuls mandataires sociaux ;- la fixation de conditions raisonnables d’ancienneté dans l’entre prise ;- la limitation des droits potentiels à un pourcentage réduit de la

rémunération fixe du bénéficiaire ;- la prise en compte d’une période de référence de plusieurs années

pour le calcul des prestations.

11 - La préconisation de règles complémentaires pour les options

d’achat et de souscription d’action. – Les règles complémentaires sont les suivantes :- l’attribution doit correspondre à une politique d’association durable

au capital et non à un complément de rémunération instantanée ;- si l’attribution ne bénéficie pas à l’ensemble des salariés, il convient

de prévoir un autre dispositif d’association de ceux-ci aux perfor-mances de l’entreprise ;

- les attributions d’actions aux dirigeants mandataires doivent être soumises à des conditions de performance ;

- les options et actions valorisées aux normes IFRS ne doivent pas représenter un pourcentage disproportionné de l’ensemble des rémunérations, options et actions attribuées à chaque mandataire ;

- pour éviter une trop forte concentration de l’attribution sur les dirigeants, il appartiendra aux conseils de définir le pourcentage maximum de l’enveloppe globale pouvant être attribué aux diri-geants mandataires sociaux ;

- supprimer la décote et interdire tous les éléments de couverture pour les options ;

- lier l’exercice des options à des conditions de performance à satis-faire sur plusieurs années consécutives ;

- fixer des périodes précédant la publication des comptes pendant lesquelles l’exercice des options d’actions n’est pas possible ;

- obliger les dirigeants mandataires sociaux à conserver un nombre important et croissant des titres acquis, le conseil pouvant retenir soit une référence à la rémunération annuelle pour chaque man-dataire, soit un pourcentage de la plus-value nette après les cessions nécessaires au financement de l’opération, soit une combinaison des deux ou enfin un nombre fixe d’actions.

12 - L’amélioration de la transparence sur tous les éléments de la

rémunération. – Les recommandations sont les suivantes :- rendre publics les éléments de rémunération des dirigeants, en sui-

vant la présentation standardisée AFEP/MEDEF, immédiatement après la réunion du conseil les ayant arrêtés ;

- les sociétés concernées devront expliquer s’il y a lieu, dans leur rap-port de gestion, les raisons pour lesquelles elles ne se réfèrent pas au code de gouvernement d’entreprise AFEP/MEDEF15.

B. - Conformité de l’action des conseils

13 - Le cas du « rapport joint » du président. - Modifié par l’article er août 2003, par la loi du

26 juillet 2005, par la loi d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire du 3 juillet 2008, puis par l’ordonnance du 22 jan-

Code de commerce impose au président du conseil d’administration des seules sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, des obligations spéciales d’informations desti-nées aux actionnaires, à produire dans un rapport joint au rapport de gestion annuel, sur le contrôle interne, étendu désormais au gou-vernement d’entreprise (pour le président du conseil de surveillance, V. C. com., art. L. 225-68).

14 - À noter également : contrairement à la législation antérieure, qui imposait cette obligation aux sociétés faisant appel public à l’épargne, l’ordonnance du 22 janvier 200916 a aligné le champ du texte français, à compter du 1er avril 2009, sur celui de la directive 2006/46/CE17 (article 46 bis

comptes annuels) : ne sont désormais visées que les sociétés dont les titres sont cotés sur un marché réglementé.

15 - Le rapport du président joint au rapport annuel de gestion doit rendre compte :

non seulement des conditions de préparation et d’organisation des travaux du conseil et des limitations apportées aux pouvoirs du directeur général, comme c’était le cas depuis la loi du 1er août

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18 L. n° 2003-706, 1er août 2003, préc.

19 L. n° 2008-649, 3 juill. 2008, préc.

20 V. ANSA, Recomm. 7 févr. 2006, communication n° 06-004.

21 V. Mémento Lefebvre sociétés commerciales 2011, n° 49620.

22 D. n° 2009-348, 30 mars 2009 : JO 31 mars 2009, mod. par D. n° 2009-445, 20 avr. 2009 : JO

22 avr. 2009 ; L. fin. rect. n° 2009-431, 20 avr. 2009, art. 25 : JO 22 avr. 2009.

23 V. supra § 11.

24 Mod. par L. 30 déc. 2006, n° 2006-1770, préc.

200318, mais également, avec la loi du 3 juillet 200819, de la « com-position » du conseil ; non seulement des procédures de contrôle interne, mais aussi des « procédures de gestion des risques » mises en place par la société, notamment celles qui sont relatives à « l’élaboration et au traite-ment de l’information comptable et financière » : il s’agit là d’une légalisation de diverses recommandations patronales diffusées depuis des années, notamment en ce qui concerne les comités des comptes ou d’audit.

On notera que le rapport annuel de gestion (C. com., art. L. 225-100,

al. 6) et le rapport consolidé de gestion (C. com., art. L. 225-100-

2) doivent par ailleurs donner des indications sur les « objectifs et la

politique de la société en matière de gestion des risques financiers ».

C. - Conformité des résolutions d’assemblée

16 - Le cas des autorisations financières. - L’article L. 225-129, in-séré par l’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières, se situe dans la continuité de la législation antérieure (C. com., art. L. 225-129 III, al. 2 et 3 ancien), permet-tant à l’assemblée générale extraordinaire de prendre la décision de principe de l’augmentation de capital et de déléguer au conseil ou au directoire les pouvoirs nécessaires à l’effet de réaliser l’émission. Ce qui est nécessaire pour permettre au conseil et à la DG de prendre les décisions effectives en s’adaptant rapidement à l’évolution des marchés.

17 - Cela étant, les textes sont excessivement complexes et parfois peu compréhensibles, ce qui oblige à présenter aux actionnaires des pro-jets de résolutions « en chinois ». D’où l’importance des exposés des motifs, qui doivent être très pédagogiques20.

18 - Comme cela était admis sous la législation antérieure, à notre avis, le conseil (ou le directoire) peut faire usage de cette déléga-tion en tout ou en partie, en bloc ou par tranches successives, aux moments qu’il juge les plus opportuns en fonction de l’évolution du marché21. Selon certains, du fait de l’institution par ailleurs de la délégation de compétence par l’assemblée (V. C. com., art. L. 225-

129-2), le conseil ne pourrait plus aller jusqu’à ne pas faire usage du tout de cette délégation. À notre avis, cet argument n’est pas convain-cant : dans tous les cas, nous estimons que le conseil peut ne pas faire usage de cette délégation si les conditions du marché sont décidé-ment défavorables. Au demeurant, la rédaction nouvelle du texte est proche de l’ancienne (V. C. com., art. L. 225-129, III, al. 3, ancien : « l’augmentation de capital qu’elle décide »…) : dans les deux cas, il s’agit d’une « décision » (de principe) de l’assemblée, que le conseil applique comme il l’entend pour sa réalisation.Lorsqu’il est fait usage d’une délégation, le conseil ou le directoire établit un rapport complémentaire (V. C. com., art. L. 225-129-5).

En outre, dans son rapport annuel de gestion ou dans un document annexé, le conseil ou le directoire présente un tableau récapitulatif des délégations en cours de validité et de leur utilisation (V. C. com.,

art. L. 225-100), ce qui est fort utile.

2. La conformité aux codes patronaux et professionnels

19 - Les codes patronaux ont été partiellement « légalisés », ce qui a provoqué des « dommages collatéraux ».

A. - Méfaits du « recopiage » des codes par le législateur

20 - Les méfaits du « recopiage » des codes par le législateur sont souvent méconnus : inutilité de certaines contraintes de fond, enche-vêtrement des lois et des codes, maladresses de forme du législateur, effets collatéraux sur le comportement des entreprises : on ne sou-haite plus tellement rendre publiques les meilleures pratiques.

21 - Le cas du rapport joint du président (à nouveau). - Outre des mesures de fond concernant la fixation et l’évolution de ces rému-nérations (les sociétés aidées par l’État étant par ailleurs soumises à des restrictions législatives et réglementaires spéciales22), les recom-

par celles d’octobre 2008 sur les rémunérations des dirigeants des sociétés cotées, qui ont été intégrées dans le code de gouvernement d’entreprise consolidé AFEP-MEDEF de décembre 2008, incitent les sociétés cotées à donner aux actionnaires une information très complète sur la politique de détermination de ces rémunérations, notamment en matière de stock-options et d’attribution gratuite d’actions23.Cela ne suffisait pas : le législateur est quand même à nouveau in-tervenu sur ce point : les sociétés cotées sur un marché réglementé doivent communiquer dans ces deux domaines (contrôle interne et fonctionnement du conseil d’une part, et politique de rémunération des dirigeants d’autre part) dans les conditions fixées par le règle-ment général de l’Autorité des marchés financiers (C. monét. fin., art.

L. 621-18-324 ; RG AMF, art. 222-9).

22 - Par ailleurs, et une fois de plus de façon redondante, le législateur est intervenu pour imposer aux sociétés cotées (dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé) d’inclure dans le rapport joint du président une présentation des « principes et [des]

règles arrêtés par le conseil pour déterminer les rémunérations et avan-

tages de toute nature accordés aux mandataires sociaux » (obligation introduite dans l’article commenté par la loi du 30 décembre 2006 sur la participation et l’actionnariat salarié, également applicable aux sociétés à conseil de surveillance, V. C. com., art. L. 225-68, al. 10).

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25 L. n° 2008-649, 3 juill. 2008, préc.

26 PE et Cons. UE, dir. 2006/46/CE, préc.

27 Mod. par L. n° 2009-526, 12 mai 2009, de simpli-fication et de clarification du droit et d’allègement des procédures : JO 13 mai 2009, p. 7920.

28 ex : Référentiel pour une gouvernance raisonnable de Middlenext, 2008 ; Guide pour la prévention des manquements d’initiés de Middlenext, 2011.

29 Freyria, L’assurance de responsabilité civile du management : D. 1995. chron. 120 ; Constantin, De quelques aspects de l’assurance de responsabi-

lité civile des dirigeants sociaux : RJDA 7/2003, p. 595 ; A. Constantin et J.-F. Louit, L’intérêt de l’assurance de responsabilité civile des dirigeants sociaux : Option fin. 4 oct. 2010, n° 1094, p. 38.

30 L’appréciation du caractère séparable de la faute - c’est-à-dire de la faute personnelle séparable

23 - En outre, selon la nouvelle rédaction de l’article commenté

(C. com., art. L. 225-68, al. 8) issue de la loi du 3 juillet 200825,

lorsqu’une société se réfère volontairement à un « code de gouverne-

ment d’entreprise » élaboré par les organisations représentatives des

entreprises, le rapport « joint » du président sur le gouvernement

d’entreprise et le contrôle interne doit préciser les dispositions qu’elle

a écartées et les raisons pour lesquelles elle les a écartées. Le rapport

doit préciser le lieu où un tel code peut être consulté. En outre, le

nouveau texte prévoit, conformément au b) de l’article 46 bis inséré

par la directive 2006/46/CE26, le cas où la société ne se réfère pas « à

un tel code » : malheureusement, il n’apparaît pas clairement de quel

code il s’agit alors. L’interprétation envisageable, en fonction du texte

européen (art. 46 bis, b : « aucune disposition d’un code de gouver-

nement d’entreprise ») est que la société ne se réfère alors à « aucun

code », quel qu’il soit. Dans ce cas, le rapport du président doit pré-

ciser les règles que la société s’est imposées en complément des exi-

gences de la loi et les raisons pour lesquelles la société a décidé de

n’appliquer aucune disposition de ce code.

Autre exigence nouvelle de la loi du 3 juillet 2008 : le rapport joint du

président devra également préciser les modalités de participation des

actionnaires à l’assemblée générale ou renvoyer aux dispositions des

statuts sur ce point.

24 - Le commissaire aux comptes présente ses observations sur ce

rapport non seulement en ce qui concerne les procédures de contrôle

interne, mais également, à compter des exercices clos après le 30

juin 2009, de gestion des risques, qui sont relatives à l’élaboration

et au traitement de l’information comptable et financière (C. com.,

art. L. 225-23527) ; ces dispositions sont applicables également aux

sociétés à directoire et conseil de surveillance (renvoi par C. com.,

art. L. 225-235 à C. com., art. L. 225-68). Un « référentiel » ou « cadre

de référence » de contrôle interne, élaboré par un groupe de place

réuni à partir d’avril 2005 à l’initiative de l’AMF, a été rendu public

En outre, la loi du 3 juillet 2008 impose au président des sociétés

cotées – de façon quelque peu redondante à notre sens – de men-

tionner dans son rapport « joint » la publication des éléments d’in-

formation susceptibles d’avoir une incidence en cas d’offre publique

(énumérés par C. com., art. L. 225-100-3), qui figurent déjà dans le

rapport annuel de gestion du conseil (C. com., art. L. 225-100).

Enfin, la loi du 3 juillet 2008 (V. C. com., art. L. 225-68, dernier al.)

exige que le rapport « joint » du président soit expressément approu-

vé par le conseil d’administration : le procès-verbal de la séance du

conseil à l’ordre du jour duquel figure l’examen de ce document doit

donc mentionner cette décision d’approbation. Le rapport « joint »

doit également être rendu public : à notre sens, le rapport du pré-

sident étant une annexe du rapport annuel de gestion, il peut être

rendu public par la même voie.

B. - Utilité de l’autorégulation : « être conforme ou s’expliquer »

25 - Le rôle moteur et précurseur des grands groupes doit être souli-

gné dans ce domaine. Cela étant, ce dont ni le législateur ni l’opinion

n’ont conscience, c’est que, dans la diffusion naturelle des bonnes

pratiques, il faut compter avec le facteur temps. L’exemple de la mixi-

té dans la composition des conseils est particulièrement illustratif à

cet égard. Il faut par ailleurs tenir compte de l’adaptation nécessaire

aux caractéristiques propres des entreprises : telle est l’expérience

faite par les praticiens avec les codes applicables aux moyennes entre-

prises cotées28.

3. Les mérites de la prévention : bonne et mauvaise conformité

A. - Les risques de la non-conformité

1° La couverture par une assurance de la responsa-bilité des dirigeants

26 - L’administrateur n’est pas assimilable à un professionnel indé-

pendant qui souscrit à une assurance destinée à couvrir son acti-

vité professionnelle exercée en son nom propre. L’administrateur,

lorsqu’il agit ès qualités, agit au nom et pour le compte de la société

qu’il administre : il est dès lors normal qu’il soit couvert par une assu-

rance responsabilité civile.

Il s’agit en effet d’une conséquence de la théorie de la représenta-

tion : dès lors que le dirigeant n’agit pas pour lui-même mais pour

le compte de la personne morale qu’il représente, sa faute est celle de

la société. Il ne s’agit pas en effet de garantir la personne, mais bien

l’exercice de sa fonction dans la société. Dès lors que ces personnes,

en leur qualité d’administrateur, sont appelées à agir au nom de la

société, c’est au titre de leur fonction et non de leur personne ou de

leur individualité qu’elles sont garanties par l’assurance. Même en

cas de mise en cause individuelle de l’administrateur à l’occasion

d’un contentieux, il s’agit en réalité de rechercher la responsabilité

encourue au titre de la fonction : il n’y a pas réellement de responsa-

bilité personnelle dans cette situation29.

Ainsi, à l’exception du cas où une faute leur est imputable personnel-

lement30, les administrateurs sont responsables par le seul fait qu’ils

sont administrateurs, des fautes communes ou collectives ; autre-

ment dit, c’est l’ensemble du conseil qui est responsable, comme

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Page 34 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

de l’exercice des fonctions - est laissée au pou-voir des juges. Traditionnellement, dans le sec-teur public, la notion de « faute de service » était connue depuis longtemps dans la jurisprudence du Conseil d’État. Pour le secteur privé, les cri-tères d’appréciation de la « faute séparable » ont été fixés par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mai 2003 : Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092 : JurisData n° 2003-019081.

31 Cass. com., 30 mars 2010, n° 08-17.841 : Juris-Data n° 2010-002958 ; Bull. civ. 2010, IV, n° 69 ; RJDA 7/10 n° 760.

32 Dans ce sens, ANSA, Brochure n° 202, mars 2011, n° I-5, p. 33.

33 Dans ce sens, Ph. Bouchez El Ghozi et S. d’Arvi-senet, Actionnaires versus administrateurs : les

nouvelles règles du jeu : Option fin. 28 juin 2010, n° 1083, p. 36.

34 Dans ce sens, ANSA, Communication n° 04-005.

35 J.-P. Mattout, Information financière et respon-sabilité des dirigeants : RD bancaire et fin. 2004, dossier p. 454 : contribution au colloque organisé le 25 mai 2004, sous la direction du Professeur Hervé Synvet, par l’Université de Paris II Pan-théon-Assas (DESS de droit bancaire et financier et DEA de droit des affaires). Les dispositions re-latives à l’information réglementée, périodique et permanente, sont également applicables aux diri-geants de l’émetteur, de l’entité ou de la personne morale concernée (RG AMF, art. 221-1, dernier al., inséré par A. 26 févr. 2007 : JO 2 mars 2007).

36 PE et Cons. UE, dir. 2006/46/CE, préc., modifiant

concernant les comptes annuels et 83/349/CEE e directive ») concernant les comptes

consolidés, ainsi que les directives 86/635/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des banques et autres établisse-

comptes annuels et les comptes consolidés des entreprises d’assurance. Cette directive du 14 juin 2006 ne doit pas être confondue avec la directive 2006/43/CE du

concernant les contrôles légaux des comptes annuels et consolidés (cabinets d’audit et comi-tés d’audit).

l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mars 201031: selon nous, cet arrêt du 30 mars 2010 s’insère dans la continuité de la jurisprudence antérieure32. Selon une large partie de la doctrine, cet arrêt marquerait au contraire une nouvelle étape de la jurisprudence, en établissant une présomption de faute individuelle contre l’admi-nistrateur, qui par son action ou son abstention participe à la prise d’une décision fautive33. Cela étant, comme cela a toujours été admis, les administrateurs peuvent individuellement dégager leur respon-sabilité en prouvant qu’ils ont désapprouvé la décision prise par le conseil par une mention de leurs protestations dans le procès-verbal de la réunion au cours de laquelle la question a été examinée, le seul fait de voter contre la décision étant insuffisant ; dans les cas graves, ils ne doivent pas hésiter à démissionner.

27 - En tout état de cause, seule la responsabilité encourue par l’ad-ministrateur vis-à-vis des tiers peut être couverte par une assurance prise en charge par la société, du moins lorsqu’il agit au nom de la société, dans l’exercice de ses fonctions, en l’absence de toute faute personnelle détachable de ses fonctions : il ne peut s’agir alors que d’une faute de service. Il est donc clair que le risque pris individuel-lement par l’administrateur qui commet une faute intentionnelle ou dolosive au détriment de la société ne peut pas être couvert par un contrat d’assurance pris en charge par cette société ; l’action ut singuli – exercice de l’action sociale contre un ou des dirigeants par un ou des actionnaire(s), destinée dans ce cas à réparer le préjudice subi par la société – est pour la même raison exclue du champ de la couverture.

28 - La société administrée peut-elle licitement prendre en charge le coût de cette assurance ?

29 - Le paiement des primes d’assurance responsabilité civile des ad-ministrateurs par la société administrée doit être considéré comme conforme à l’intérêt social dans les conditions indiquées ci-dessous, et il est exclu de parler d’« abus de biens sociaux » à ce propos. Dans la mesure où la pratique examinée permet de faire face à un risque qui ne peut en règle générale être couvert par la simple solvabilité des administrateurs, qu’elle est en conséquence une condition sine qua non de la nomination de responsables de niveau élevé et dont la présence au conseil peut se révéler stratégique pour l’entreprise, elle

doit être considérée comme conforme à l’intérêt social. Dans la pra-tique, il est d’ailleurs impossible de refuser en France cette couverture aux administrateurs citoyens des États-Unis où elle est courante et il paraît difficile, en conséquence, de la refuser aux administrateurs ressortissants français.À notre avis, la validité de la prise en charge par la société administrée du coût de l’assurance responsabilité civile des administrateurs ne fait donc aucun doute34. C’est donc non seulement un droit mais aussi un devoir pour la so-ciété de prendre en charge l’assurance de tous les actes des personnes qui l’incarnent, pour le cas où ces personnes seraient poursuivies pour un acte qu’elles ont accompli au nom de la société. Les sociétés comme leurs créanciers et leurs actionnaires ont d’ailleurs un intérêt commun à ce que les administrateurs puissent faire face aux consé-quences de la mise en cause de leur responsabilité dans la gestion des affaires sociales. Au demeurant, il s’agit aujourd’hui d’un usage bien établi : un usage établi et non contesté peut être une source du droit.

30 - Cela étant, il est évidemment préférable d’agir en amont par une politique de prévention, pour éviter la mise en jeu de la responsabili-té des dirigeants, ce qui est particulièrement sensible pour l’informa-tion financière diffusée par la société à destination des actionnaires et du public.

2° La responsabilité spéciale des dirigeants en matière d’information financière35

31 - La directive européenne 2006/46/CE du 14 juin 200636 a notam-ment pour objectif de confirmer la responsabilité collective des ad-ministrateurs : « Les États membres veillent à ce que leurs dispositions législatives, réglementaires et administratives en matière de responsa-bilité s’appliquent aux membres des organes d’administration, de ges-tion, et de surveillance » (art. 1, § 8). « Les États membres déterminent les règles relatives aux sanctions applicables aux infractions aux dis-positions nationales adoptées conformément à la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer leur application. Les sanctions prévues doivent être efficaces, proportionnées et dissua-sives » (art. 1, § 10). La responsabilité des dirigeants se manifeste expressément et parti-culièrement dans les déclarations désormais obligatoires faites par

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37 V. Code consolidé AFEP-MEDEF, déc. 2008, ayant intégré les recommandations AFEP-ME-DEF sur les rémunérations des mandataires

38 Code consolidé AFEP-MEDEF, déc. 2008, n° 14.2. Le Rapport Viénot-Bouton consolidé, AFEP-MEDEF, oct. 2003, développait déjà ces thèmes (n° 2.1 à 2.3).

39 Code consolidé AFEP-MEDEF, déc. 2008, n° 18 et 20. Les Recommandations sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de sociétés

-paient déjà ces thèmes, notamment sur la poli-tique menée en la matière (p. 4) et les éléments à prendre en considération par le comité des rémunérations (p. 6 et s.).

40 ANSA, Recomm. pour la présentation des projets de résolutions aux assemblées générales d’action-naires, 7 févr. 2006 (Comm. ANSA n° 06-004), faisant suite au rapport du groupe de travail pré-sidé par M. Yves Mansion à l’AMF (sept. 2005).

les personnes physiques qui assument la responsabilité des rapports

annuels et semestriels, attestant qu’à leur connaissance les comptes

sont établis conformément aux normes comptables et donnent une

image fidèle de la situation financière et du patrimoine de la société

et des sociétés du groupe.

32 - L’information financière des sociétés cotées met donc spéciale-

ment en jeu la responsabilité des dirigeants, qui dépend davantage

d’une déontologie que de l’application stricte de la réglementation.

Les recommandations patronales37 rappellent que les dirigeants

de la société émettrice et le conseil d’administration doivent être

conscients de leurs responsabilités en matière d’information finan-

cière, particulièrement en ce qui concerne les méthodes non discri-

minatoires de communication, l’information des investisseurs et des

actionnaires sur les éléments hors bilan et le suivi de la gestion des

risques38, ainsi que l’information des actionnaires sur la politique de

rémunération des mandataires sociaux39. Ce qui implique pour les

dirigeants :

- un objectif de transparence : en particulier sur l’information rela-

tive à la rémunération des dirigeants ;

- diligence et loyauté dans l’élaboration et la diffusion de l’informa-

tion ;

- la conscience de la responsabilité qui incombe au conseil quant à la

vérification de la fiabilité et de la clarté des informations qui seront

fournies aux actionnaires et au marché ;

- une pratique accrue de la publication de l’avis du conseil d’admi-

nistration sur les opérations importantes, même quand la régle-

mentation ne l’exige pas.

Le marché étant concerné, il importe de délivrer, en temps utile,

une information pertinente et appropriée ; cette exigence implique

en pratique, pour le conseil une diligence particulière en ce qui

concerne notamment :

- l’élaboration des documents support d’information, en particulier

le rapport annuel qui tient lieu de plus en plus souvent de docu-

ment de référence, et qui contient les comptes annuels ;

- l’établissement d’un exposé des motifs clair sur tout projet de réso-

lution à soumettre à l’assemblée générale, même si les textes ne le

prévoient pas40 ;

- la diffusion d’un communiqué de presse après toute délibération

du conseil, dans les conditions et selon les exigences du règlement

général de l’AMF (RG AMF, art. 223-1 et 223-2).

33 - Les dirigeants et le conseil d’administration sont responsables

de la qualité de l’information et de son exactitude. Ils ont en ce do-

maine un devoir de surveillance sur l’action du représentant légal. Ils

encourent à ce titre non seulement une responsabilité civile et pénale,

mais aussi administrative, puisque l’AMF dispose d’un pouvoir de

sanction en cas de manquements à son règlement général, qui ont

notamment pour effet de porter atteinte à l’information des investis-

seurs. Le Code monétaire et financier confère à l’AMF le pouvoir de

prononcer des sanctions contre toute personne effectuant certains

actes prohibés, parmi lesquels la diffusion d’une fausse information

(C. monét. fin., art. L. 621-14 et L. 621-15 II, c).

Par ailleurs, les administrateurs ont un devoir d’abstention en tant

qu’initiés de droit et ne peuvent exploiter l’information dont ils dis-

posent à l’occasion de leurs fonctions.

B. - La conformité comme exercice pédagogique et comme prévention – L’exemple de la prévention des délits d’initiés

1° Le risque de sanctions pour la société du fait de ses préposés

34 - Les effets des manquements et fautes des collaborateurs sur la

responsabilité pénale de la société ne sauraient être négligés. Pour

éviter au maximum ce risque, la société doit organiser des méca-

nismes internes de prévention des délits d’initiés.

35 - Qu’il figure ou non sur une « liste d’initié », le collaborateur initié

qui divulgue à un tiers une information privilégiée peut en effet se

trouver et placer sa société dans différentes situations dangereuses.

36 - Si l’initié agit en violation des contrats qui le lient à la société

administrée ou son employeur (règlement intérieur, contrat de

confidentialité), il engage sa responsabilité personnelle vis-à-vis de

la société ; il risque par ailleurs d’être poursuivi en application des

textes législatifs et réglementaires :

qu’il s’agisse de sanctions pénales (C. monét. fin., art. L. 465-1) :

- pour les dirigeants et les personnes disposant d’informations

privilégiées dans l’exercice de leurs fonctions : peine de prison et

amende pouvant être portée au décuple du profit réalisé, pour le

fait d’avoir réalisé ou permis de réaliser une opération avant que

l’information soit rendue publique ;

- prison et amende élevée pour les personnes disposant d’infor-

mations privilégiées dans l’exercice de leurs fonctions en cas de

communication de ces informations à un tiers en dehors du cadre

normal de la profession ou des fonctions ;

- mêmes peines pour toute autre personne ayant réalisé ou permis

de réaliser une opération ou ayant communiqué à un tiers des

informations privilégiées, avant que l’information soit rendue

publique ; lorsque les informations en cause concernent la com-

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Page 36 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

41 ANSA, Guide sur les listes d’initiés, 3e éd. déc. 2007, n° 15 bis.

42 ANSA, Guide sur les listes d’initiés, préc.

43 V. ANSA, Communication n° 3023, sous-dossier « Délit d’initié : comment le prévenir ? » ; J.-P. Valuet, Information financière des sociétés cotées :

réglementation européenne et française : Joly Bourse, études, p. 104-106.

1 500 000 euros d’amende si les profits réalisés sont d’un montant

inférieur à ce chiffre (l’amende ne peut être inférieure au montant

des profits réalisés) ;

ou d’une sanction pécuniaire pouvant être infligée par l’AMF

(C. monét. fin., art. L. 621-15) : amende pouvant être égale au dé-

cuple des profits réalisés.

37 - Mais ce qui est le plus grave, c’est que cette infraction d’un col-

laborateur peut placer la société elle-même dans une situation, le cas

échéant, de risque pénal (V. C. monét. fin., art. L. 465-3, qui ren-

voie à C. pén., art. 121-2, 131-38 et 131-39) : la responsabilité pénale

d’une personne morale peut être mise en jeu. Rappelons que le taux

maximum de l’amende pouvant être infligée à une personne morale

est égal au quintuple de celui qui est prévu pour les personnes phy-

siques ; les sanctions peuvent être la dissolution, la fermeture pour

5 ans ou définitive de l’établissement, l’exclusion pour 5 ans ou défi-

nitive des marchés publics, l’interdiction, pour 5 ans ou définitive, de

faire appel public à l’épargne, l’affichage de la décision prononcée ou

diffusion de celle-ci par la presse, etc.

C’est dire que la société doit miser à fond sur la prévention, les

procédures formelles permettant d’assurer la confidentialité d’une

information sensible jusqu’à sa publication, et sur la formation des

collaborateurs.

2° La politique de prévention du délit d’initié

38 - Après l’identification des initiés, des mesures de prévention sont

à mettre en œuvre. En matière de prévention, il serait en effet insuffi-

sant pour la société émettrice de se borner à la stricte application des

textes. Même si la société émettrice est l’une des victimes du délit,

la réalisation de l’infraction pourrait lui être reprochée si, à défaut

de rendre publique, dès que possible, toute information privilégiée,

elle n’a pas pris les mesures pratiques nécessaires pour, dans le cadre

d’une obligation de moyens, assurer la confidentialité de l’informa-

tion. On notera que tout renseignement confidentiel, au sens du se-

cret des affaires, ne constitue pas nécessairement une « information

privilégiée » ; mais qu’une information privilégiée, tant qu’elle n’est

pas rendue publique, a un caractère nécessairement confidentiel.

Il est donc nécessaire de mettre en œuvre des mesures de prévention

qui ont également le mérite de protéger les salariés eux-mêmes vis-

à-vis d’actes qui seraient pénalement sanctionnés, parallèlement à

l’identification des initiés et à l’établissement des listes d’initiés.

39 - Parmi les mesures permanentes à prendre, il est recommandé de

prévoir, dans le règlement intérieur (ou la charte) du conseil d’admi-

nistration, du directoire ou du conseil de surveillance, un chapitre

sur la prévention du délit d’initié :

rappel des dispositions légales et réglementaires, du caractère d’ini-

tiés permanents des administrateurs, de l’obligation de suspendre

la gestion de leurs titres durant certaines périodes (le recours à un

gestionnaire de portefeuille extérieur ayant mandat discrétionnaire

de gestion est selon certains recommandé, mais cette mesure pré-

sente également des inconvénients41) ;

recommandation de demander conseil à la personne (ou aux per-

sonnes) chargée(s) de la prévention du délit (compliance officer,

« personne ressources », comité ad hoc, etc.) en cas de doute quant

aux opérations sur titres projetées ;

devoir de confidentialité sur les informations reçues avant et du-

rant les séances du conseil d’administration.

40 - Par ailleurs, les directeurs opérationnels des secteurs ou branches

d’activités et les directeurs fonctionnels des principales fonctions de

siège de la société mère, ainsi que leurs plus proches collaborateurs,

devraient recevoir une sensibilisation relative au délit d’initié, no-

tamment sur l’opportunité de demander conseil, avant toute opéra-

tion, à la personne désignée à cet effet, souvent sous la dénomination

de compliance officer ou responsable de la conformité, et agissant en

dehors des hiérarchies mises en place au sein des directions opéra-

tionnelles ou fonctionnelles : le déontologue, le président du comité

d’éthique, le directeur juridique ou toute autre personne directement

rattachée au président-directeur général (ou au directeur général en

cas de dissociation des fonctions).

41 - L’information de tous les salariés actionnaires ou susceptibles

de le devenir et pas seulement des personnes figurant sur les listes

d’initiés est, dans une moindre mesure, également recommandée. Il

s’agit d’une information sur la nature du délit d’initié : obligation

de confidentialité lorsqu’un responsable l’exige ; recommandation

d’aller demander conseil en cas de doute avant d’effectuer une opé-

ration. Cette information pourrait être renouvelée lors de chaque

opération d’actionnariat salarié, en particulier lors de la mise en

œuvre des plans de stock-options ou d’attribution gratuite d’actions.

Des mesures pratiques et ponctuelles de prévention doivent donc

être prises par la société. L’ANSA recommande qu’elles prennent les

formes suivantes42.

42 - Concernant les mesures préalables à une opération (projet de

grand contrat, de rapprochement avec d’autres groupes, filiales

communes, de fusion acquisition, d’offre publique), il est recom-

mandé de prévoir la mise en place d’une procédure de prévention,

soit par une collaboration entre le responsable du projet et le res-

ponsable de la conformité (compliance officer), soit directement par

ce responsable. Cette procédure pourra, le cas échéant, contribuer à

apporter la preuve que la société et ses dirigeants ont agi avec la plus

grande diligence pour prévenir tout délit. Cette procédure consiste

en résumé43 :

au moment des travaux préparatoires, à constituer la plus petite

équipe possible, spécialement avertie sur le problème des initiés,

qui figurera sur la première version de la liste d’initiés « occasion-

nels » : chacun des membres de l’équipe se verra remettre cette

liste qui demeurera purement interne et confidentielle et qui lui

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ÉTUDE DOSSIER 1471

Page 37LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

44 « The Smith Guidance », annexée au « Combined Code » britannique prévoit ainsi qu’une section séparée dans le rapport annuel décrive les travaux du comité d’audit.

45 En ce sens, IFA, Les 40 propositions de l’IFA.

permettra de savoir en toute sécurité avec quelles autres personnes il peut s’entretenir du projet ; puis, au fur et à mesure de l’avancement du projet, à identifier les initiés ponctuels ou « occasionnels » supplémentaires, à étendre également ces mesures de prévention aux conseils extérieurs (les « tiers »), le chef de projet ou le responsable de la conformité (com-

pliance officer) exigeant de chaque personne intervenant dans le projet qu’elle signe une lettre de confidentialité ;

ensuite, dès que possible une fois le projet parvenu à maturité, à établir un calendrier de la communication publique, afin d’infor-mer rapidement le marché sur les informations sensibles conte-nues dans ce projet : à cet égard, le texte du communiqué (et si nécessaire, plusieurs versions alternatives) doit être établi à l’avance et prêt à la publication immédiate (V. RG AMF, art. 222-3 et 222-

4) ; tel est le cas notamment d’un protocole d’accord entre les pré-sidents – lequel constitue un accord ferme sur les grandes lignes de l’opération – quitte à indiquer que ce protocole est un projet soumis à l’approbation des conseils d’administration respectifs : il s’agit naturellement là d’une condition suspensive. Dans certains cas, s’il est possible de réunir rapidement le conseil, le communi-qué pourra être rendu public à l’issue de celui-ci ; bien entendu, les instances sociales auront été le cas échéant saisies de ce projet avant qu’il ne devienne définitif.

C. - Conformité ponctuelle et artificielle et conformité globale en esprit - L’exemple des comités d’audit

43 - Le comité d’audit est chargé de préparer les décisions du conseil. Selon le droit français, et conformément au bon sens, le comité ne constitue pas un organe social que l’on utiliserait comme « argu-ment publicitaire » pour prouver la conformité des pratiques d’une société, organe qui prendrait des décisions dans certains domaines, déchargeant ainsi le conseil de certaines tâches : inévitablement, une telle conception encouragerait la déresponsabilisation des administrateurs.

44 - En dépit des principes qui découlent de la responsabilité collé-giale du conseil, certaines préconisations tendent ainsi, aujourd’hui, à ce que le rapport du comité d’audit soit présenté à l’assemblée de façon distincte du rapport de gestion du conseil d’administration, ou du moins constitue une section distincte de ce rapport44. De même, certains préconisent que de manière plus générale, les présidents des divers comités permanents prennent la parole de leur propre chef en assemblée générale des actionnaires, pour présenter l’activité de leurs comités respectifs ou répondre aux questions les concernant45. Récemment, certains ont prétendu confier au comité lui-même, et non au conseil, la désignation de son président.

L’ANSA ne partage pas ce point de vue, qui à terme pourrait avoir un effet démobilisateur sur le conseil lui-même.

45 - En effet, à force de promouvoir l’autonomie des comités vis-à-vis du conseil, on va inévitablement déplacer le jeu des responsabilités face aux actionnaires et au marché. Le conseil aurait ainsi tendance à déléguer ses pouvoirs et ses responsabilités à certains comités.Or, il nous semble indispensable au contraire de maintenir la respon-sabilité collégiale du conseil. Il ne peut y avoir d’administrateurs de différents niveaux. Une éventuelle « juxtaposition » de comités déci-sionnels à l’américaine, outre qu’elle serait contraire à notre droit, est très mal vue par les actionnaires, car elle diluerait les responsabilités, encouragerait les administrateurs, considérés individuellement, à fuir leurs devoirs, et « brouillerait » la portée de l’action collective de l’équipe dirigeante, que l’assemblée doit pouvoir nommer et « révo-quer » en bloc si nécessaire.En ce sens, le Comité Émetteurs-Actionnaires Individuels (CEAI) de l’ANSA, lors de sa séance du 14 octobre 2009, a condamné à l’una-nimité, y compris les représentants de l’actionnariat salarié, les ten-dances actuelles aboutissant à briser la collégialité du conseil d’ad-ministration et la responsabilité collective de l’équipe dirigeante et à les remplacer par une juxtaposition de comités comme aux États-Unis. Notre CEAI a également vivement et unanimement critiqué l’idée, qui commence à émerger, d’instituer des « contre-experts » des comités en matière de contrôle des comptes, parallèlement aux commissaires aux comptes nommés par l’assemblée. Ces innova-tions sont donc très mal vues par les actionnaires individuels, ce que l’opinion ignore.En tout état de cause, concernant les règles relatives au fonctionne-ment et à la composition des comités, on ne peut qu’approuver les recommandations du code consolidé AFEP/MEDEF de décembre 2008, qui viennent en complément de l’ordonnance du 8 décembre 2008.

46 - En conclusion, le rapport coûts/avantages de la conformité doit donc être apprécié au regard des risques considérables encourus par la société, qui peuvent conduire celle-ci à subir le poids des sanc-tions civiles, pénales et administratives d’une attitude trop forma-liste dans la politique de prévention qu’elle aura mise en œuvre. Bien plus, l’image à long terme de la société risque d’être écornée par une négligence relative, consistant à se contenter d’appliquer superficiel-lement les textes et les codes : c’est en réalité non seulement l’équipe dirigeante, mais aussi l’ensemble des collaborateurs qui doivent s’en-gager dans la prévention. Fondamentalement, notre conclusion est que la conformité globale en esprit, et non seulement dans la forme, est un facteur de croissance.

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1472 ÉTUDE DOSSIER

Page 38 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

Banque et Conformité

1 - Demandez à un banquier de parler de conformité, il vous répon-

dra que la conformité a toujours existé.

On peut définir la conformité comme la mise en adéquation perma-

nente de ses actions, de ses procédures et de ses relations, avec deux

impératifs : d’une part, la réponse aux besoins du client, en termes

de qualité de service et de diligence, et, d’autre part, l’exercice d’une

vigilance renforcée sur tous les risques auxquels l’institution peut

être exposée.

L’actualité des derniers mois sur les problèmes des échanges inter-

bancaires et du refinancement sur les marchés a rendu ce thème

encore plus pertinent.

Si la banque a toujours eu le souci de cette adéquation dans ses deux

volets, des obligations nouvelles sont venues les compléter. Pour

autant, son périmètre reste encore incomplet et elle a engendré des

responsabilités nouvelles.

1. Les fondements historiques et ré-glementaires de la conformité bancaire

2 - Traditionnellement, plusieurs instruments internes ont été depuis

longtemps mis en œuvre pour satisfaire à cette double adéquation :

des codes de déontologie par exemple. Mais l’impulsion est surtout

venue de l’extérieur en termes d’obligations réglementaires : déjà le

réglementaire en matière de contrôle bancaire (gestion du risque)

et assurer la stabilité du système bancaire international. L’intercon-

nexion des marchés financiers mondiaux imposait un élargissement

du périmètre de la conformité (affaires Barings en 1995 et Enron en

2001). Parallèlement la jurisprudence française a consacré les droits

du consommateur tant en matière de produits financiers qu’en ma-

tière de crédits : citons les profils de gestion insérés dans la notice

d’information des OPCVM, mais également la création jurispru-

dentielle du devoir de conseil, etc.

3 - -

sements de crédit et des entreprises d’investissement) du 21 février

donne la définition a contrario (la non-conformité) : le risque de

non-conformité est le « risque de sanction judiciaire, administrative

ou disciplinaire, de perte financière significative, ou d’atteinte à la

réputation, qui naît du non-respect de dispositions propres aux acti-

vités bancaires et financières qu’elles soient de nature législatives ou

réglementaires, ou qu’il s’agisse de normes professionnelles et déon-

tologiques ou d’instructions de l’organe exécutif prises notamment en

application des orientations de l’organe délibérant ». Ce règlement,

modifié à plusieurs reprises au fil des années, a vocation à organiser

structurellement les obligations des établissements bancaires pour

faire face à ce risque.

4 - Autre source réglementaire, la transposition en droit français des

normes de prudence du Comité de Bâle et des accords internatio-

naux (G20). Ainsi, le dispositif de conformité s’est constitué progres-

sivement depuis quelques années.

2. L’extension de la notion de conformité bancaire

5 - Les exigences du régulateur ont porté essentiellement sur deux

points :

- d’une part, la mise en place d’un service interne dit de la confor-

mité, imposé par un arrêté du 31 mars 20051 : disposant d’outils de

contrôle perfectionnés, ce service est une fonction centrale qui tra-

vaille sur les nouveaux produits, la veille réglementaire, la cartogra-

phie des risques, la déontologie, la formation, etc. Il rend compte

directement de ses activités aux autorités de tutelle : il est le cor-

respondant TRACFIN pour la lutte anti-blanchiment et de l’AMF

pour le contrôle des prestations en services d’investissements ;

- d’autre part un élargissement des périmètres : deux axes très sen-

sibles qui mobilisent cette fonction conformité ont vu leur péri-

Le risque de non-conformité est devenu progressivement une des composantes essentielles du risque bancaire. Cette évolution appuyée par les législateurs français et européen n’est pas achevée et suscite réflexion sur le plan juridique.

1472

BANQUE

Christian Percie du Sert

Directeur Juridique Lyonnaise de Banque

1 A. 31 mars 2005, modifiant le règlement du Comité de la réglementation ban-caire et financière n° 97-02 du 21 février 1997 relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’investissement : JO 9 avr. 2005.

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ÉTUDE DOSSIER 1472

Page 39LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

2 Ord. n° 2009-104, 30 janv. 2009, relative à la pré-vention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme : JO 31 janv. 2009, p. 1819.

3 V. Les banques américaines ne cessent de retar-der l’adoption de normes plus dures : Les Échos, 24 mars 2012.

4 CRBF n° 97-02, 21 févr. 1997, art. 11.

5 A. 19 janv. 2010, modifiant le règlement n° 97-02 du 21 février 1997 relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’inves-tissement : JO 12 févr. 2010, p. 2532.

mètre s’élargir de façon significative : d’un côté, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LAB-FT), de l’autre les prestations en matière de marchés financiers.

A. - La lutte anti-blanchiment

6 - L’ordonnance du 30 janvier 20092 portant transposition de la troisième directive européenne anti-blanchiment a étendu le champ d’application de la LAB-FT : l’obligation de déclaration de soupçon a été étendue aux fraudes fiscales et aux infractions passibles d’une peine de prison supérieure à un an, soit une grande majorité des délits (C. monét. fin., art. L. 561-15).S’appuyant sur des requêtes informatiques et sur une cascade de contrôles jusqu’au niveau le plus près du client, la fonction confor-mité assume la responsabilité de la justification de la licéité et la cohé-rence des flux transitant sur les comptes de clientèle. Elle contrôle notamment les entrées en relation, le suivi des tiers suspects aux yeux des autorités de police (personnes politiquement exposées).

B. - La commercialisation des services et instruments financiers

7 - Par ailleurs, s’agissant des services d’investissement (réception-trans-mission d’ordres, gestion de portefeuille, conseil en investissement, tenue de compte-conservation) l’adaptation en droit interne de la di-rective européenne sur les marchés d’instruments financiers (MIF) au 1er

la classification (« catégorisation ») obligatoire et normée de la clientèle, la formalisation de la connaissance et de l’information du client, et un renforcement du devoir de conseil, d’information et d’alerte.S’inspirant du droit anglo-saxon de la best execution, la directive impose à la banque de tout mettre en œuvre pour obtenir le meilleur résultat possible dans l’exécution d’ordres sur les marchés. En consé-quence, il appartient à la fonction conformité de contrôler la gestion d’exécution des ordres, et le cas échéant de vérifier la politique de sélection des intermédiaires.La fonction conformité a élargi son périmètre au contrôle du respect des procédures spécifiques concernant la détection des abus de mar-ché et délits d’initiés, ainsi que le respect des règles de couverture sur le marché à règlement différé (SRD). Le risque de non-conformité est désormais au même rang que le risque de crédit, ou le risque de marché.

3. Réflexions sur les limites de la conformité

8 - On constate d’abord une certaine réticence de la part de la clien-tèle qui voit la banque enquêter dans l’intimité des vies privées (le fameux KYC : know your customer) et devenir le vecteur du contrôle

et des sanctions de la puissance publique. En effet, les transactions financières sont non seulement enregistrées, mais font l’objet d’in-terrogations sur leurs origines ou leurs causes, et leurs réponses sont consignées. Le traditionnel devoir de non-immixtion du banquier est mis à mal.

9 - Ensuite, on peut se demander si un excès de réglementation et de protection ne serait pas antinomique avec le métier de la banque, qui est de donner au client les moyens de prendre des risques. La confor-mité peut constituer un frein par la standardisation des produits et un excès de prudence dans les méthodes de vente. L’accès à certains produits financiers est forcément restreint par l’obligation de mise en garde et le risque de mise en jeu par la voie judiciaire de la responsa-bilité du « placeur ».

10 - Enfin, la lourdeur des procédures découlant de la conformité française, voire européenne, peut constituer un handicap face à la concurrence de législations plus légères, notamment vis-à-vis des Anglo-Saxons. Aux États-Unis, les principes de régulation, de trans-parence et de responsabilité n’ont pas de concrétisation aussi forte qu’en Europe et encore moins qu’en France3.

11 - La délocalisation ou la mondialisation des opérations financières limite l’efficacité des règles nationales de conformité, et les transactions financières par Internet demandent une vigilance accrue qui ne peut pas concerner uniquement des instances dispersées et indépendantes les unes des autres. À ce propos, il reste des champs encore inexploités dans une vision où la conformité dépasserait le cadre de l’établissement bancaire : la gestion des flux internationaux au sein des grands groupes, la constitution de sociétés ou de fondations off shore, etc.

4. Une conséquence de la confor-mité : l’extension de la responsabilité personnelle dans l’entreprise

12 - Les enjeux extrêmement forts de la conformité ont conduit pro-gressivement à élargir le périmètre de responsabilité de la fonction au sein du dispositif de contrôle à l’intérieur des établissements, en particulier, la lutte anti-blanchiment. Elle débouche sur la désigna-tion d’un « responsable chargé de veiller à la cohérence et à l’efficacité

du contrôle du risque de non-conformité, dont elles communiquent

l’identité à la Commission bancaire »4.Ce mouvement de personnalisation s’inscrit dans une perspective plus large où les organismes de tutelle et les organes de contrôle (commissaires aux comptes par exemple) imposent à certains membres des directions des établissements financiers un engage-ment individuel pour attester du respect de certaines procédures ou de l’authenticité de documents juridiques ou comptables : dans cet esprit, est désigné un responsable « risque »5. Idem pour le direc-

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1473 ÉTUDE DOSSIER

Page 40 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

6 V. Ndeyebinty Diop, Le soupçon en droit pénal des affaires : Thèse Toulouse 2.

teur juridique qui fait office aujourd’hui de legal officer comme s’il se

situait en dehors de la hiérarchie interne.

Dans cet esprit, la désignation d’un RCSI (responsable de la

conformité et des services d’investissements) a également person-

nalisé cette fonction. Le salarié affecté à cette tâche, compte tenu

des enjeux, doit disposer d’une certification professionnelle, et

ne peut mener à bien ses travaux qu’en disposant d’une visibilité

complète sur toutes les activités de la banque. La conséquence en

est l’élargissement de sa responsabilité personnelle, qui vient se

juxtaposer à celle des dirigeants et à celle de la personne morale.

On note à ce propos que les compagnies d’assurances couvrant les

mandataires sociaux et les salariés dans le cadre de leurs fonctions

ont augmenté fortement leurs tarifs.

13 - S’agissant de la LAB-FT, la responsabilité pénale des personnes

physiques et morales découlant des textes fait craindre une nouvelle

catégorie de délits non intentionnels, comme le sont déjà les man-

quements à la sécurité, même si cette évolution a été heureusement

mais provisoirement contenue par les juges dans le célèbre jugement

Société Générale (affaire dite du sentier) du 11 décembre 2008 où le

délit de complicité de blanchiment n’a pas été retenu contre le diri-

geant faute d’élément intentionnel. Mais le champ est ouvert pour

des mises en cause individuelles par les autorités administratives ou

judiciaires. Le soupçon devient un concept juridique nouveau, alors

qu’il n’est pas défini par le Code pénal, même s’il sert à la justice pour

fonder des poursuites et en justifier la validité6. Sans attendre cette

définition, la non-déclaration de soupçon est déjà consacrée comme

un délit (C. monét. fin., art. L. 562-1 et s., et surtout C. monét. fin.,

art. L. 562-7).

14 - En conclusion, à l’heure où le système bancaire français a fait la

preuve de sa solidité, la fonction conformité est reconnue comme un

élément fondamental de sécurisation et de confiance. Le mouvement

vers une extension au niveau mondial de cette régulation est sou-

haitable, pour la solvabilité et la stabilité de l’ensemble du système

financier, et la maîtrise du risque systémique.

La conformité, pierre angulaire du droit de l’environnement ?

1 - Le concept de conformité mériterait à lui seul une définition. Il se

distingue aisément de la notion de la compatibilité ou encore de celle

de convergence.

La notion de compatibilité touche plutôt au domaine bien connu des

rapports qui doivent exister, par exemple, entre une conduite indi-

viduelle ou des actes individuels et des normes liées à des schémas

d’aménagement ou de gestion qui fixent des objectifs très généraux.

Dans ce contexte, la compatibilité prédomine. On est dans le droit

beaucoup plus dur lorsque sont en cause les objectifs aussi impor-

tants que la santé des consommateurs et d’une façon générale des

usagers de l’environnement.

La question de la conformité ne se trouve certainement pas à l’ori-

gine du droit de l’environnement puisque lorsqu’il a été bâti, avec

l’intervention du juge, bien avant le droit public composé de polices

administratives qui le constitue en majeure partie, n’existait pas en-

core le droit de la responsabilité.

Le droit de l’environnement repose, dans sa conception actuelle, sur la notion de conformité (même si ce n’est pas celle qui a prévalu à l’origine). Aujourd’hui, le droit du développement durable qui en est la prolongation, fait appel à des techniques très différentes qui n’excluent en aucune façon le recours à la notion de norme et d’objectifs ; l’un et l’autre systèmes sont donc appelés à coexister en l’état.

1473

ENVIRONNEMENT

Christian Huglo

Avocat à la cour, Docteur en droit, co-directeur du JurisClasseur Environnement

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ÉTUDE DOSSIER 1473

Page 41LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 30 - 26 JUILLET 2012

En réalité, comme on le verra, il a existé et existe encore dans le déve-loppement du droit de l’environnement différentes phases selon les objectifs qu’il s’est fixés (soit la protection de la nature, soit la pro-tection des éléments constitutifs de l’environnement : air, eau, sol, faune, flore ou encore la protection de la santé humaine).On comprend très bien que dans ces différentes phases, la notion de conformité n’ait pas la même place puisqu’elle n’emporte pas la même exigence. Aujourd’hui, la question se pose de savoir si dans le cadre de la notion de développement durable la question de la conformité a toujours la même place.

2 - Mais il faut tenir compte d’une autre variable à savoir que le droit de l’environnement n’est pas composé seulement de droit public ou de droit administratif mais également, d’une part, de droit privé (droit des contrats, droit de la responsabilité civile en particulier, droit de la propriété) et, d’autre part, de droit pénal (lequel contient de très nombreux délits visant, de façon inégale, selon le milieu concerné, des comportements illicites pour atteinte aux éléments composant les éléments fondamentaux de l’environnement : le domaine de l’eau est beaucoup plus couvert que le domaine de l’air, par exemple).D’une façon générale le droit pénal vise plutôt des comportements illicites eu égard aux prescriptions de l’Administration (droit des déchets, droit des installations classées pour la protection de l’envi-ronnement notamment).La question de la norme et de la conformité à la norme reste une question centrale qui se situe au cœur même du droit de l’environ-nement mais celui-ci n’est pas apparu en un seul jour (1).Aujourd’hui le nouveau développement du droit de l’environne-ment vers le droit du développement durable semble vouloir écarter la question de la conformité ; il ne s’agit que d’une apparence.Si tel était le cas, le droit de l’environnement se serait totalement dis-sout dans le droit du développement durable (2).On examinera successivement ces deux points.

1. Le droit de l’environnement : corpus basé sur un système de normes de compatibilité et de conformité

3 - La question de la conformité a été une conquête du droit de l’envi-ronnement qui ne s’est pas faite en un jour.À l’origine du droit de l’environnement se trouve le juge, et c’est lui, d’ailleurs, qui est aujourd’hui le garant de sa progression.Les raisons pour lesquelles le juge est intervenu dans le domaine de l’environnement restent en définitive assez mystérieuses puisque l’intérêt général, qui s’attache à la protection de l’environnement, n’était pas affirmé en tant que tel par des lois ou par un corpus juri-dique de déclarations internationales dont le juge interne aurait pu s’inspirer.Nulle trace du mot « environnement » dans le Traité de Rome de

Droits de l’Homme de 1948.Cet intérêt général a été en quelque sorte découvert et révélé par le juge à partir de la confrontation des expertises et des droits. On peut en donner quelques exemples.

-

cès aux mines de potasse d’Alsace pour l’introduction de chlorures

dans l’eau potable distribuée à Amsterdam et dans ses environs. Il

existe bien entendu des normes OMS sur la potabilité de l’eau, mais

le litige s’est tranché non pas sur cette évidence mais sur la base de la

règle dégagée par les tribunaux administratifs selon laquelle un État

ne peut autoriser des activités qui ont un effet négatif à l’étranger

dès lors qu’il est démontré que cet effet négatif peut être mesuré en

termes d’impact. Autrement dit le juge a inventé, avant la convention

d’Espoo, l’étude d’impact internationale.

4 - La première décision rendue en matière d’expropriation, dans la

célèbre affaire dite des « boues rouges de Cassis », relève du même

raisonnement : la Haute juridiction fait dans sa décision rendue en

1969 une forme de bilan coûts/avantages et a procédé à l’évaluation

des dommages causés à l’environnement de façon acceptable ou

non, afin de vérifier s’ils sont compatibles avec le milieu.

Cela se mesure en termes d’emplois perdus (pour les marins pê-

cheurs de la Baie de Seine dans le contentieux qui a opposé le Syndi-

cat des Marins Pêcheurs de la Baie de Seine aux industries du Havre

qui s’est déroulé pendant 15 ans devant la juridiction administrative,

la juridiction civile et la juridiction répressive), la question posée

était : quels sont les emplois créés et maintenus par l’activité indus-

trielle ? Quels sont les emplois induits perdus par une disparition

progressive des marins pêcheurs en Baie de Seine (emplois hôteliers,

touristiques etc.) ?

Ce sont, en définitive, des calculs ou si l’on préfère des bilans, une

analyse objective débattue, qui sont à la source du droit de l’envi-

ronnement puisque les premières directives européennes en ma-

tière d’environnement sont issues des suites de ces procédures

internationales.

Le droit européen de l’environnement, à la différence des pays anglo-

saxons, s’est calqué sur le droit interne de l’environnement, il a fait

appel à des techniques du droit administratif et du droit public, ce

qui suppose l’établissement d’un système, c’est-à-dire des autorisa-

tions individuelles qui doivent être données en conformité avec une

réglementation aussi précise que possible.

La législation des installations classées reposait pendant des années,

notamment en ce qui concerne la pollution de l’eau, sur une simple

circulaire, puis elle a été repoussée sur des bases réglementaires, qui

sont constituées de règles précises en matière de rejets dans l’atmos-

phère, de rejets dans l’eau. Le droit de la pollution des sols est apparu

beaucoup plus tardivement et, finalement, a échappé à la question

des normes grâce à la pression des acteurs mis en cause.

5 - Aujourd’hui, le corpus du droit de l’environnement se divise entre

deux grandes catégories, celle du droit des pollutions, d’une part, et

celle du droit des protections, d’autre part, et est totalement basé sur

un système de normes de compatibilité et de conformité.

Compatibilité lorsqu’il s’agit de comparaison entre des actes indivi-

duels et des schémas (schémas d’urbanisme, schémas d’aménage-

ment des eaux, schémas de carrières, schémas de déchets) dont on

peine d’ailleurs à mesurer la compatibilité.

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Conformité mais avec des possibilités de dérogations pour le droit

des déchets et en particulier le droit de l’eau et le droit des installa-

tions classées.

Le droit de la pollution atmosphérique, en dehors du droit industriel,

reste relativement dans un certain flou artistique sur la question des

normes impératives dès lors que l’on passe du droit sur l’environne-

ment à un droit de l’environnement à un droit à l’environnement

qui devient effectivement un droit de l’Homme et qui exige une plus

grande vigilance.

Le système mis en place n’est pas en amont à l’abri des critiques

dès lors que l’expertise n’est pas suffisamment organisée. Les ques-

tions relatives aux conflits d’intérêts des membres des organismes

d’experts ont fait l’objet de plusieurs rapports qui ont montré les

défauts du système (l’exemple de l’affaire de l’amiante n’en est pas le

moindre exemple).

2. L’évolution du droit de l’environne-ment vers le droit du développement durable

6 - Il n’en reste pas moins que le droit de l’environnement, pour

continuer à évoluer, a été obligé de rassembler de nouveaux acteurs

au-delà des collectivités publiques (des associations, des ONG). Il

a visé notamment une politique d’entreprises tendant à leur offrir

une certaine sécurité juridique grâce à l’adoption de plans internes

et de systèmes de normes telles que les normes ISO ou les règles

EMAS qui sont beaucoup plus proches de la conformité que ne

l’exigent les règles d’ISO, et notamment l’ISO 14000 pour la ques-

tion environnementale.

Le Grenelle de l’environnement a ouvert de nouveaux horizons dans

des domaines qui étaient peu touchés jusqu’à présent, notamment

le domaine de l’énergie et le domaine de l’immobilier qui ont mani-

festement rejoint le champ du droit de l’environnement sans pour

autant l’appauvrir.

7 - Mais l’évolution du droit de l’environnement vers le droit du

développement durable n’a pas anéanti la question de la conformité

ou tout au moins l’obligation impérative de respecter un certain

nombre de normes, notamment des normes d’ordre juridique.

On sait que la notion de développement durable est très liée à la

volonté de convergence entre divers objectifs qui sont, comme on le

sait, d’ordre social, d’ordre économique et d’ordre environnemen-

tal à proprement parler en recherchant l’harmonie, la compatibilité

entre les trois.

Il s’agit d’un concept issu du droit international qui a vocation effec-

tivement à constituer un point d’accord entre les nations. Transposé

au plan interne il autorise a priori beaucoup plus de souplesse et

d’appréciation, le social et l’économique paraissant a priori comme

devant constituer des amortisseurs du droit de la conformité.

C’est ainsi que sont apparus des plans internes de gouvernance pour

les entreprises de l’environnement devant s’inscrire notamment

dans ce que l’on appelle la responsabilité sociale et environnemen-

tale, dont le principe a été développé considérablement dans la loi

Grenelle pour toute une catégorie d’entreprises. Nombreuses sont,

en revanche, les entreprises qui ne sont pas liées ou soumises à cette

réglementation mais qui ont développé spontanément des plans

de développement durable et qui ont tenté d’agir dans le domaine

de l’environnement non seulement pour des questions d’image de

marque, mais encore pour des questions d’économie d’énergie : éco-

nomie en termes de gestion des déchets ou d’épuration des eaux au

moindre coût.

De plus, en matière de contrats, des règles éthiques sont dévelop-

pées dans des domaines comme celui de « la chaîne d’approvision-

nement ». L’intérêt de cette nouvelle orientation est qu’en définitive,

elle ne doit pas et ne peut pas s’éloigner de toutes contraintes, notam-

ment d’ordre juridique, et en cela il s’agit d’une nouvelle politique

qui rejoint des objectifs de conformité déjà posés par le droit public.

De la contrainte on est peut-être passé en bonne partie au contrat,

mais derrière le contrat il y a aussi contraintes et objectifs.

8 - Sans aller dans les détails, on observe en définitive que les entre-

prises, les collectivités publiques ou les entreprises privées au sens

large s’imposent des règles dans le domaine de l’environnement. Ces

règles ont une certaine cohérence et une certaine exigence dès lors

qu’elles sont clairement affichées. Ainsi se créent à un autre niveau

de nouvelles règles et contraintes sous forme d’engagements unilaté-

raux. Pour être parfaitement clair, une entreprise qui affirme qu’elle

fabrique des lessives sans phosphates ne peut en aucun cas vis-à-vis

des consommateurs s’exposer à la critique.

De même, dans le domaine de la gestion d’entreprise, dès lors qu’une

entreprise a élaboré un plan de développement durable au niveau du

groupe, les filiales ne peuvent s’en défaire.

L’insertion de règles éthiques dans la chaîne d’approvisionnement et

l’apparition de chartes créent un réseau de normes au sens large qui

sont, en apparence, souples mais qui finalement sont placées sous la

vigilance du consommateur ou des tiers.

Il est donc faux de dire que les règles éthiques peuvent supprimer

les règles fondamentales relatives aux normes et objectifs à suivre en

matière d’environnement et de santé. En définitive, elles le dépassent,

elles le remettent dans un ensemble sans pour autant les supprimer.

9 - En conclusion, on peut dire aujourd’hui que la conformité est

une contrainte obligatoire en tant que telle, mais une fois qu’elle a été

développée et qu’elle a été partagée, c’est une autre forme d’engage-

ment pour l’environnement qui doit apparaître sans que la ligne de

conduite qui a été fixée au départ soit abandonnée.

Les enjeux de l’application de ces nouvelles contraintes qui se tra-

duisent en termes d’image et de positionnement économique sont,

à cet égard, beaucoup plus considérables qu’auparavant et servent à

l’évolution du droit.

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Les programmes de conformité aux règles de concurrence : de l’auto-évaluation à l’auto-régulation ?

1 - Comme vous le savez, l’Autorité de la concurrence a publié, le

14 octobre 2011, un projet de document-cadre relatif aux pro-

grammes de conformité aux règles de concurrence. Ce texte fait à

présent l’objet d’une consultation publique ouverte à toute personne

intéressée jusqu’au 14 décembre. Un débat public est également

prévu le 20 décembre à Paris. Je vous encourage à y participer, car

c’est le moment de faire valoir votre point de vue sur un sujet qui est,

finalement, encore peu évoqué par les pouvoirs publics en France, y

compris au sein des autorités de régulation comme l’Autorité de la

concurrence.

C’est aussi un sujet sur lequel les autorités de concurrence, en Europe

et même ailleurs dans le monde, sont parfois peu enclines à s’expri-

mer, en considérant que la conformité, c’est avant tout l’affaire des

entreprises. Nous sommes d’accord sur un point : c’est aux entre-

prises, et à elles seules, de décider si, oui ou non, elles souhaitent s’en-

gager dans une démarche proactive de prévention de leurs risques

réglementaires. Ce n’est pas aux autorités publiques de leur imposer

des prescriptions à cet égard, en créant finalement une « couche »

de contrainte légale supplémentaire. Mais cela ne veut pas dire que

les autorités de contrôle devraient rester muettes sur le sujet. Au

contraire, le fait qu’une autorité publique s’investisse pour aider

les entreprises à prendre conscience que le risque d’infraction n’est

pas une fatalité, qu’il peut au contraire être anticipé et réduit, nous

semble utile.

Je vais donc revenir, en répondant aux deux questions posées par

Me Gitenay, sur les raisons qui conduisent l’Autorité à s’engager aux

côtés des entreprises pour promouvoir le développement des pro-

grammes de conformité.

1. Pourquoi l’Autorité française s’en-gage-t-elle en faveur de la conformité alors que beaucoup d’autres autorités de concurrence sont un peu sceptiques ?

2 - L’Autorité soutient la conformité, tout simplement parce que cela

lui paraît être à la fois nécessaire et opportun.

L’Autorité de la concurrence a publié, le 10 février 2012, un document-cadre relatif aux pro-grammes de conformité1. Elle y fournit des conseils et des bonnes pratiques aux entreprises qui voudraient mettre en place des mécanismes de formation, d’audit et de responsabilisa-tion de leurs cadres et de leurs employés, afin de limiter et de mieux gérer les risques liés à la commission d’infractions aux règles de concurrence (cartels, ententes verticales, abus de position dominante, etc.). L’Autorité y confirme et précise également sa politique consistant à accorder des réductions de sanctions aux entreprises qui s’engagent à mettre en place des programmes de conformité crédibles et vérifiables.La publication de ces lignes directrices a été précédée par une large consultation des acteurs économiques et juridiques, pendant l’hiver 2011/2012. La présente intervention, faite au cours de cette consultation publique, revient sur les raisons conduisant l’Autorité à soutenir le déve-loppement des programmes de conformité.

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CONCURRENCE

Fabien Zivy

chef du service juridique de l’Autorité de la concurrence2

1 Ce document est disponible sur le site Internet de l’Autorité de la concur-rence, dans ses versions française et anglaise (http://www.autoritedela-concurrence.fr/user/standard.php?id_rub=427).

2 Le style oral de l’intervention a été conservé.

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Nécessaire, parce que le droit de la concurrence, du point de vue

des entreprises, c’est quelque chose qui peut sembler très simple en

apparence, mais qui s’avère être beaucoup plus compliqué en réalité.

Pourquoi ? On peut citer deux principales raisons à cela.

3 - Première raison : à la différence de ce qui est le cas dans d’autres

domaines du droit, comme le droit boursier ou financier, où les

règles fourmillent et semblent parfois être en chantier perpétuel, le

droit des pratiques anticoncurrentielles est axé sur deux règles de

base : l’interdiction des ententes, d’une part, et l’interdiction des abus

de position dominante, d’autre part. Le texte de ces infractions n’a

pas changé depuis près de soixante ans, c’est-à-dire depuis le traité

de Rome. On peut donc se dire que c’est un droit simple et stable.

En réalité, c’est justement parce que ces règles sont si générales

qu’elles peuvent être difficiles à appréhender pour les entreprises. Le

texte applicable à l’interdiction des ententes est rédigé de la manière

suivante : « sont prohibées les actions concertées, les ententes expresses

ou tacites et les coalitions qui ont pour objet ou peuvent avoir pour

effet de restreindre la concurrence ». Quant à celui relatif à l’inter-

diction des abus de position dominante, il prévoit ce qui suit : « est

prohibée l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’en-

treprises d’une position dominante ». En laissant de côté les cartels,

c’est-à-dire les ententes entre concurrents prévoyant une fixation des

prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore des quo-

tas de production, dont tout le monde devrait savoir qu’elles sont

le « cancer de l’économie de marché », pour citer Mario Monti qui

était alors commissaire chargé de la concurrence au sein de la Com-

mission européenne, tout un éventail de comportements peut donc

enfreindre la loi. Par ailleurs, ces comportements sont appréhendés

par le droit de la concurrence en fonction de leur objet ou de leurs

effets actuels ou potentiels sur le marché. Il n’est donc pas toujours

facile de déterminer – même pour des spécialistes ! – si telle ou telle

stratégie commerciale, tel ou tel projet de contrat, tel ou tel accord,

respecte les règles de concurrence ou non.

4 - Second facteur de complexité : il n’existe plus, depuis 2004, de

système permettant aux entreprises de notifier leurs accords à la

Commission européenne pour savoir s’ils sont conformes aux règles

de concurrence ou s’ils posent problème. Nous vivons donc dans un

monde où les entreprises doivent évaluer elles-mêmes leurs risques.

Il n’y a rien d’anormal à cela : c’est le système qui a toujours existé en

France, même à l’époque où le régime de notification préalable était

en vigueur au niveau de l’Union européenne. Il est naturel, dans un

système économique fondé sur la liberté d’entreprendre, que les en-

treprises n’aient pas à faire valider leurs choix de politique commer-

ciale ex ante par l’Administration, autrement dit qu’elles prennent

leurs responsabilités.

5 - Il n’en reste pas moins que cet exercice d’auto-évaluation peut

parfois être délicat. Je prends deux exemples : les échanges d’infor-

mations entre concurrents et les clauses d’exclusivité entre un fabri-

cant et ses distributeurs ne sont pas interdits en tant que tels, et ne

sont généralement pas non plus considérés comme anticoncurren-

tiels en raison de leur objet même. Ils peuvent toutefois être illégaux

s’ils sont susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels. Lisez la

jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ou de la

Cour de cassation et vous verrez que, même pour un juriste ou un

économiste de la concurrence, c’est un point qui peut susciter des

interrogations.

Dans le même temps, les risques encourus en cas d’infraction aux

règles de concurrence sont substantiels : outre les amendes, qui se

sont élevées considérablement depuis dix ans, pour atteindre au-

jourd’hui des niveaux jugés plus dissuasifs qu’auparavant, mais aussi

pour tenir compte du dommage que certaines pratiques anticoncur-

rentielles, en particulier les plus graves comme les cartels, peuvent

causer à l’économie et aux consommateurs, les entreprises font face,

de plus en plus souvent, à des risques d’actions en réparation de la

part de leurs clients ou même de consommateurs. Sans parler du

risque pénal qui reste limité en pratique à ce jour en France, mais est

majeur dans d’autres pays du monde.

6 - C’est dans ce contexte que l’Autorité française a lancé, comme

je l’annonçais en introduction, une consultation publique (achevée

mi-décembre 2011) sur son projet de document-cadre sur les pro-

grammes de conformité. Quelle en est la raison d’être ?

Elle est triple. Le premier objectif est de donner un encouragement

public aux entreprises qui souhaiteraient s’investir dans la mise en

place d’un programme de conformité. Je ne reviens pas sur ce point

que j’ai déjà évoqué.

Le deuxième objectif poursuivi par ce projet de document-cadre

consiste à aller au-delà de ces encouragements, en proposant des

« bonnes pratiques » et des conseils concrets aux entreprises sur

les éléments qui peuvent contribuer au succès d’un programme de

conformité. Il ne s’agit pas de prescrire une « potion magique » ou

d’imposer un modèle « prêt-à-porter » qui pourrait être vécu comme

un carcan réglementaire de plus. L’idée est seulement de signaler des

points auxquels il nous semble important que les entreprises réflé-

chissent avant de s’engager dans l’aventure. L’expérience accumulée

par l’Autorité en la matière depuis dix ans montre en effet qu’il y a

des constantes, qui sont fondamentales pour le succès ou l’échec de

ces programmes. Le document-cadre synthétise ce « retour d’expé-

rience » concret, afin que les entreprises intéressées puissent en tirer

profit au moment de concevoir leur propre programme.

Mais comme l’a dit à plusieurs reprises le président de l’Autorité,

Bruno Lasserre, un programme sera a priori d’autant plus efficace

qu’il aura été pensé et conçu en fonction des particularités propres

à chaque entreprise, comme sa taille, son mode de gouvernance,

sa culture, ses secteurs d’activité, etc. En un mot qu’il sera fait « sur

mesure ». On ne peut évidemment pas attendre la même chose d’une

grande entreprise bien outillée juridiquement et dotée de ressources

financières importantes, et d’une petite ou moyenne entreprise. Cha-

cune doit pouvoir construire un programme de conformité adapté à

son « profil de risque », à ses enjeux et à ses moyens.

Troisième et dernier objectif, l’Autorité a voulu s’engager, de façon

transparente et prévisible, sur la façon dont elle pourrait inciter

concrètement les entreprises ayant commis des infractions aux règles

de concurrence à mettre en place des programmes de conformité

destinés à les aider à éviter que cela se reproduise. Cela l’a conduite à

prévoir, dans certaines conditions, des réductions de sanction pour

les entreprises qui s’engagent à instituer de tels programmes.

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7 - Nous savons que certains de nos pairs, en Europe ou ailleurs, sont plus réservés, voire parfois sceptiques, sur le sujet de la conformité. Il est naturel, même dans les familles très unies – comme le sont les au-torités de concurrence des États membres de l’Union européenne ! –, qu’il existe des points de vue différents sur certains sujets. Cela n’interdit pas de se parler, de comparer les idées, les expériences aussi, de s’enrichir mutuellement. Notre projet a vocation à contribuer à la réflexion.

2. Concrètement, que fait l’Autorité pour encourager les entreprises à développer l’auto-régulation et les programmes de conformité ?

8 - Trois choses. D’abord, comme je viens de le dire, nous expliquons dans des termes simples pourquoi la mise en place d’un programme de conformité peut être une initiative gagnante pour les entreprises.

9 - Ensuite, nous expliquons les ingrédients qui, selon nous, devraient y figurer pour que cela marche. Schématiquement, il faut combiner deux dimensions : la prévention, d’une part, la surveillance, d’autre part. Il nous semble clair, en effet, que des actions d’information, de formation et de sensibilisation sont nécessaires, mais pas suffisantes : si l’on ne va pas au-delà, en les conjuguant avec des mécanismes de contrôle et d’audit, le programme de conformité risque de demeurer lettre morte. Cela veut dire aussi qu’il faut que quelqu’un, dans l’en-treprise, connaisse les règles et puisse conseiller les opérationnels, en particulier ceux qui présentent un profil « à risque », quand ils sont confrontés à des interrogations sur la conduite à tenir sur le terrain. C’est le rôle du compliance officer, qui n’a pas nécessairement à être quelqu’un qui s’occupe à plein temps de conformité ou même de questions juridiques. L’important n’est pas le « label » mais la fonc-tion, c’est-à-dire le fait qu’il y ait, en interne, des personnes capables de renseigner et d’orienter les opérationnels.

10 - L’autre raison justifiant les audits et les contrôles, c’est que la pré-vention peut aider à éviter les infractions par ignorance, mais risque de demeurer impuissante face à ceux qui savent très bien ce qu’ils font. Autrement dit, les mécanismes de contrôle sont nécessaires si l’entreprise veut se donner les moyens de lutter contre les infractions commises de propos délibéré par certains de ses cadres, c’est-à-dire les cartels, qui sont aussi celles qui l’exposent le plus au risque de sanctions pécuniaires très élevées.

11 - D’autres outils peuvent être utiles, comme les mécanismes de responsabilisation individuelle tels que les attestations de confor-mité signées par les salariés ou les cadres concernés. Si l’entreprise y est prête, on peut même envisager d’aller plus loin, par exemple en instituant un dispositif d’alerte, dans le respect des dispositions du droit du travail. C’est ce qu’ont fait plusieurs entreprises au cours des dernières années.

12 - Enfin, le document-cadre rappelle qu’il existe des possibilités de réductions de sanction pour les entreprises qui ont commis une infraction et se retrouvent devant l’Autorité, si elles s’engagent à créer un programme de conformité ou à améliorer un programme exis-tant. Nous incitons aussi les entreprises qui découvrent des infrac-tions grâce à leur programme de conformité à faire usage des pro-cédures de clémence et de transaction, qui permettent d’avoir une exonération totale ou partielle de sanction.

13 - J’espère que vous serez nombreux à contribuer, via une associa-tion ou une organisation, ou même directement, à la consultation publique accessible sur le site Internet de l’Autorité. C’est aussi grâce à votre soutien et à vos points de vue qu’une autorité de régulation telle que l’Autorité de la concurrence peut progresser dans la façon dont elle remplit sa mission.

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Quelques observations sur les liens entre conformité et responsabilité

1 - La conformité est intrinsèquement liée à la notion de responsa-bilité : la non-conformité est une source de responsabilité. Récipro-quement, nous le verrons, la responsabilité est facteur de conformité. Explorant plus avant les liens entre les deux notions, nous serons amenés à faire un constat nuancé s’agissant de la question de la vertu exonératoire des programmes de conformité.

1. La responsabilité des acteurs, facteur de conformité

A - La responsabilité de l’entreprise et des dirigeants, source principale de la démarche de conformité au sein de l’entreprise

2 - La conformité est étroitement liée à la notion de responsabilité et, plus largement, à celle de risque juridique : une entreprise qui ne se conforme pas encourt un risque juridique. En s’inspirant de la définition du risque de non-conformité retenue par la Commission bancaire et financière, il est possible de définir le risque juridique de l’entreprise comme le risque de sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires, de pertes financières significatives ou d’atteintes à la réputation, naissant du non-respect des dispositions qui lui sont

applicables, qu’elles soient de nature législative, réglementaire, ou

qu’il s’agisse de normes professionnelles et déontologiques ou d’ins-

tructions de l’organe de marché1. Allant plus loin, l’Autorité des

marchés financiers (AMF) inclut dans la notion de risque, outre les

menaces qui pèsent sur l’entreprise, les opportunités manquées2.

3 - C’est généralement la conscience du risque qui va déclencher la

démarche de conformité au sein de l’entreprise, soit l’adoption d’un

ensemble d’actions, de décisions et de process visant à réduire le

risque auquel l’entreprise est exposée.

4 - Ce lien entre conformité et responsabilité est encore plus patent

lorsque l’adoption d’une démarche de conformité est érigée en obli-

gation légale ; le fait de ne pas adopter un système de gestion et de

prévention des risques constitue dans ce cas la violation d’une obli-

gation primaire susceptible, en tant que telle, d’engager la responsa-

bilité de l’entreprise et de ses dirigeants.

C’est le cas pour les sociétés cotées qui sont tenues, depuis la loi amé-

ricaine Sarbanes-Oxley3

1er août 2003 dite de sécurité financière4, de se doter d’un dispositif

de contrôle interne. À la suite des différents scandales financiers révé-

lés aux États-Unis au début des années 2000, tels ceux d’Enron et de

Worldcom, il est apparu que la question de la conformité ne pouvait

être laissée à la seule initiative des dirigeants. La même évolution est

intervenue dans le secteur financier : les règles prudentielles appli-

cables aux banques (Bâle II et Bâle III) et aux assurances (Solven-

cy II) comportent également des exigences en matière de contrôle

Les liens entre conformité et responsabilité sont étroits. La responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants est l’une des principales sources de la démarche de conformité au sein de l’entreprise. La responsabilité des acteurs de la conformité constitue, ensuite, l’une des clés de l’efficacité des dispositifs de conformité.Pour autant, si l’existence d’un dispositif de prévention des risques peut, dans certains cas, être de nature à alléger la responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants, ce n’est pas tou-jours le cas.En définitive, l’efficacité des procédures de conformité et leur vertu exonératoire reposent es-sentiellement sur l’instauration d’une véritable culture de la conformité au sein de l’entreprise.

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CONFORMITÉ

Anne Frechette Kerbrat

Avocat, Directeur associé Département Droit des Sociétés FIDAL

1 Comité de la réglementation bancaire et finan-cière, Règl. n° 97-02, 21 févr. 1997, relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.

2 AMF, Les dispositifs de gestion des risques et de contrôle interne : Cadre de référence, 22 juill. 2010.

3 Sarbanes-Oxley Act du 30 juillet 2002.

4 L. n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité finan-cière : JO 2 août 2003, p. 13220.

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5 L. n° 2010-788, 12 juill. 2010, portant engagement national pour l’environne-ment : JO 13 juill. 2010, p. 12905.

interne et de gestion des risques se traduisant par des obligations de

conformité.

5 - La démarche de conformité dépasse aujourd’hui largement

le cadre des sociétés cotées et le secteur financier. On citera, à titre

d’exemple, les obligations de transparence imposées par la loi Gre-

nelle 25 en matière sociale et environnementale aux sociétés cotées

mais également aux sociétés non cotées d’une taille importante.

Une telle démarche s’impose, plus généralement, à l’ensemble des

entreprises en raison de la multiplication des textes juridiques et de

l’internationalisation croissante des économies. L’une comme l’autre

rendent en effet particulièrement délicate l’identification des normes

applicables à l’entreprise, laquelle risque bien souvent d’être dans

l’ignorance de l’existence de certaines normes auxquelles elle est cen-

sée se soumettre.

6 - Les dirigeants sont eux-mêmes fortement incités à engager l’en-

treprise qui les emploie dans une démarche de conformité, à peine

de voir leur responsabilité personnelle engagée. En dehors même

des domaines dans lesquels l’adoption d’un dispositif de contrôle

interne est obligatoire, le fait, pour un dirigeant, de ne pas mettre en

place des procédures internes cohérentes de prévention et de gestion

des risques peut constituer une faute dans certaines hypothèses.

C’est notamment ce qui ressort de la jurisprudence relative à la res-

ponsabilité pénale du chef d’entreprise : la faute du chef d’entreprise

résidera souvent dans le fait de ne pas avoir délégué ses pouvoirs alors

qu’il aurait dû faire le constat que, eu égard à la taille de son entre-

prise ou à la complexité de son fonctionnement, il ne pouvait, seul,

faire face à toutes les situations nécessitant une anticipation du dom-

mage, que celui-ci soit corporel ou économique. La mise en place de

délégations de pouvoirs fait partie, on le verra, des mesures d’organi-

sation participant de la démarche de conformité.

L’inaction des dirigeants peut également être source de responsabi-

lité civile dans les conditions du droit commun de la responsabilité

des dirigeants.

B. - La responsabilité des acteurs de la conformité, composante essentielle des programmes de conformité

7 - Le lien étroit entre responsabilité et conformité se manifeste en-

core au stade de la mise en œuvre des programmes de conformité,

lesquels reposent sur une responsabilisation des différents acteurs de

la conformité au sein de l’entreprise.

Dans les domaines identifiés comme prioritaires du point de vue de

la conformité, l’entreprise doit mettre en place des dispositifs pra-

tiques appelés à encadrer l’action des opérationnels afin de la fiabi-

liser et de la rendre conforme aux principes énoncés : les compliance

programs.

Leur mise en œuvre est l’affaire de tous : celle des organes de gouver-

nance, mais également celle de l’ensemble des collaborateurs de la

société. Ils reposent sur une identification claire des responsabilités

de chacun (descriptions de tâches et de fonctions, organigrammes

hiérarchiques et fonctionnels, délégations de pouvoirs) et la mise en

place de procédures ou modes opératoires.

8 - Cette identification et précision du rôle de chacun s’accompagne

de procédures de suivi et de sanctions. L’existence de ces sanctions est

la condition de l’efficacité des programmes de conformité.

L’Autorité de la concurrence s’en est fait l’écho dans son docu-

ment-cadre sur les programmes de conformité aux règles de

concurrence qui a fait l’objet d’une consultation publique d’oc-

tobre à décembre 2011. Elle y précise, en effet, que pour entraîner

un allégement des sanctions pour non-conformité aux règles de la

concurrence encourues par la société dans le cadre des procédures

de clémence, ces programmes de conformité doivent comprendre

une échelle de sanctions, en particulier disciplinaires, pouvant aller

jusqu’au licenciement de l’intéressé et/ou la révocation de son man-

dat social en cas de manquement à la politique de l’entreprise en

matière de conformité aux règles de concurrence.

Outre les sanctions hiérarchiques relevant du droit du travail, les

sanctions encourues en cas de non-respect d’un programme de

conformité peuvent être des sanctions pénales, notamment par le jeu

de délégations de pouvoirs.

2. La vertu exonératoire des programmes de conformité

9 - Une démarche de conformité efficace conduit, ainsi, à substituer

à une responsabilité diffuse au sein de l’entreprise un schéma d’orga-

nisation et de délégations dans lequel la responsabilité des différents

acteurs est clairement identifiée et sanctionnée.

10 - Sur le plan de la responsabilité individuelle des dirigeants, la mise

en place de process destinés à prévenir le risque est ainsi de nature à

limiter l’exposition au risque juridique. Cela se vérifie tant du point

de vue de la responsabilité civile que de la responsabilité pénale.

Dans le domaine de la responsabilité pénale, lorsqu’elle se traduit par

la mise en place de délégations de pouvoirs, la démarche de confor-

mité opère un transfert de responsabilité des dirigeants vers les colla-

borateurs de l’entreprise.

Outil d’organisation interne de la société, la délégation de pouvoirs

est l’acte par lequel le titulaire initial d’un pouvoir juridique (le délé-

gant) habilite une autre personne (le délégataire) à prendre à sa place

certaines décisions afin d’accomplir une fonction déterminée. Sous

réserve que le délégataire soit doté de l’autorité, des compétences et

des moyens nécessaires pour exercer les pouvoirs délégués, la délé-

gation de pouvoirs entraîne un transfert de la responsabilité du chef

d’entreprise vers le délégataire. Corrélativement, en vertu du carac-

tère alternatif de la responsabilité liée aux infractions non intention-

nelles, le chef d’entreprise se trouve exonéré de toute responsabilité

encourue à raison des faits reprochés à son préposé.

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11 - Quelle est la vertu exonératoire des programmes de conformité

du point de vue de la responsabilité de l’entreprise ?

On l’a vu, la mise en place de programmes de conformité constitue

dans certains cas une obligation légale ; dans le même sens, l’absence

de mise en place de mesures de prévention des risques pourra consti-

tuer un facteur d’aggravation de la responsabilité civile ou pénale de

l’entreprise.

L’inverse ne se vérifie toutefois pas toujours : en cas de matériali-

sation du risque qu’il a pour vocation de prévenir, l’existence d’un

programme de conformité ne suffira généralement pas à exonérer

l’entreprise concernée de sa responsabilité, civile ou pénale.

L’attitude des juges est, à cet égard, des plus casuistiques : la portée

exonératoire des programmes de conformité dépend des éléments

de qualification de la faute ou de l’infraction considérée, de même

que des circonstances de fait.

Il existe, toutefois, un domaine dans lequel la question du caractère

exonératoire des compliance programs a été tranchée de manière

générale : il s’agit du droit de la concurrence.

Dans son document-cadre sur les programmes de conformité aux

règles de concurrence, l’Autorité de la concurrence adopte une po-

sition sévère à cet égard : hors demande de clémence de la part de

l’entreprise concernée, l’existence d’un programme de conformité,

qui se sera révélé inefficace par hypothèse, ne sera pas considérée

comme une circonstance atténuante, cet élément ne changeant rien

à la réalité de l’infraction.

On discerne derrière cette approche la crainte que les programmes de

conformité ne soient utilisés comme des paravents à l’abri desquels

les dirigeants se sentiraient autorisés à encourager de la part de leurs

salariés des pratiques non-conformes mais réputées plus efficaces,

d’un point de vue économique, que les pratiques « conformes ».

12 - Les programmes de conformité peuvent-ils, à l’inverse, consti-

tuer des facteurs d’aggravation de la responsabilité de l’entreprise et

de ses dirigeants et collaborateurs ?

Dans le document précité, l’Autorité de la concurrence prend le soin

de répondre par la négative : l’adoption d’un programme de confor-

mité ne constitue pas une circonstance aggravante.

Une telle précision ne laisse pas de surprendre au premier abord.

Mais l’examen de la jurisprudence civile et pénale révèle, en effet,

que dans certains cas, l’existence de procédures internes qui se se-

ront, par hypothèse, révélées impuissantes à prévenir la réalisation

d’un risque, conduit à une sévérité accrue des tribunaux : soit que le

non-respect de ces procédures soit retenu pour caractériser la com-

posante objective de la faute, l’illicite ; soit que ces procédures favo-

risent l’établissement de l’élément moral de la faute, qu’elle soit civile

ou pénale : en présence de telles mesures de gestion des risques, les

dirigeants ne pouvaient ignorer le non-respect des normes par leurs

collaborateurs.

13 - De manière similaire, l’existence d’une délégation de pouvoirs peut,

paradoxalement, favoriser la mise en jeu de la personne morale. Si l’im-

putation de l’infraction à une personne morale requiert en principe que

la faute ait été commise par un organe ou représentant de celle-ci, un

salarié bénéficiant d’une délégation de pouvoir est en effet aujourd’hui

assimilé par la jurisprudence à un représentant de la personne morale

pour les besoins de l’application de l’article 121-2 du Code pénal.

14 - En conclusion, la responsabilité est, on le voit, un enjeu majeur

des problématiques de conformité.

Toutefois, si l’efficacité des programmes de conformité passe par une

responsabilisation des acteurs internes de la conformité, la mise en

œuvre d’une sanction individuelle, dans le cas où le risque identi-

fié se matérialise, n’est qu’un pis-aller et n’est, pour cette raison, que

rarement appliquée au sein des entreprises.

Plus que la crainte d’une éventuelle sanction, le respect de la norme

par les salariés suppose le développement d’une culture de confor-

mité au sein de l’entreprise. Les dispositifs de conformité mis en

place ne seront efficacement suivis que si les collaborateurs ont le

sentiment que la conformité fait véritablement partie des valeurs

reconnues au sein de l’entreprise et portées par les dirigeants.

Les directeurs juridiques ont un rôle essentiel à jouer dans ce do-

maine auprès des dirigeants et opérationnels, rôle qui est pleinement

reconnu aujourd’hui en France, et est au cœur du débat actuel sur la

reconnaissance d’un statut d’avocat en entreprise.

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Le Notariat précurseur de la régulation et de la conformité

1 - Quand Bertrand du Marais m’a contacté pour participer à ce col-

loque, des mots ayant une résonance particulière à mes oreilles ont

été prononcés : contrôle de conformité, délégation du pouvoir de

l’État, et régulation.

Au départ j’ai même cru que Monsieur du Marais me conviait à as-

sister à un congrès de notaires tant ces préoccupations sont au cœur

de notre métier, au cœur de notre fonction.

Cette mission de régulation, la profession notariale l’exerce, dans sa

version moderne, depuis plus de deux cents ans. Elle a été définie par

le conseiller Réal devant le corps législatif.

Je le cite : « À côté des fonctionnaires qui concilient et qui jugent

les différends, la tranquillité appelle d’autres fonctionnaires, qui,

conseils désintéressés des parties, aussi bien que rédacteurs impar-

tiaux de leur volonté, leur faisant connaître toute l’étendue des obli-

gations qu’elles contractent, rédigeant ces engagements avec clarté,

leur donnant le caractère d’un acte authentique et la force d’un ju-

gement en dernier ressort, perpétuant leur souvenir et conservant

leur dépôt avec fidélité, empêchent les différends de naître entre les

hommes de bonne foi et enlèvent aux hommes cupides avec l’espoir

du succès, l’envie d’élever une injuste contestation. Ces conseils dé-

sintéressés, ces rédacteurs impartiaux, cette espèce de juges volon-

taires qui obligent irrévocablement les parties contractantes, sont les

notaires. Cette institution est le notariat ».

Les notions de conformité et de régulation sont au cœur de nos pré-

occupations : éclairer sur le droit applicable, sans prendre le parti de

le détourner ou de le contourner pour mieux répondre à des intérêts

particuliers.

Cette mission de régulation confiée au notariat dans la vie des fa-

milles et des entreprises est la résultante d’une délégation de l’État

dont la marque la plus visible est le sceau, qui engage celui qui le

détient tant dans sa sphère professionnelle que privée.

2 - Toute mission de régulation, pour être crédible, doit s’accompa-gner d’une déontologie rigoureuse et d’une responsabilité aggravée, voisinant avec une quasi-obligation de résultat dans la conduite de cette régulation.Prévenir pour s’assurer de la conformité aux lois, accompagner pour éviter un contentieux aux effets dévastateur, sont les actions qui doivent guider toute autorité de régulation.

3 - Cette préoccupation que nous partageons tous est-elle un frein ou un accélérateur de croissance ?À mon sens elle est les deux :- elle est un frein car s’assurer de la conformité nécessite d’accorder

un minimum de temps avant de s’engager dans un processus d’éla-boration d’un contrat, d’un produit ou d’un concept ;

- mais au final, elle est un accélérateur de croissance car le temps passé à contrôler la conformité, est un temps gagné sur la mise en œuvre. Elle est aussi un label de qualité : celui de l’entreprise citoyenne, celui de l’entreprise responsable.

Chacun d’entre nous a parfaitement conscience qu’il est beaucoup plus difficile, voir parfois impossible de corriger un défaut de confor-mité. Quel juriste n’a pas été confronté à un contrat comportant l’omission d’une information environnementale qui a bouleversé son équilibre ? Les effets peuvent être dévastateurs et faire regretter de n’avoir pas accordé au contrôle de conformité le temps nécessaire… celui de la prévention. Le bon sens commun nous enseigne d’ailleurs qu’il est plus facile de prévenir que de guérir. Prévenir c’est accepter des contraintes dont il faut savoir placer le curseur au bon niveau. Pour prendre un exemple qui touche à mon cœur de métier, et qui nous affecte chaque jour un peu plus, je vous livre cette réflexion sur la crise des subprimes : le FBI ainsi que des universitaires américains de renom ont reconnu qu’en Europe continentale, l’existence des notaires a permis d’éviter les nombreuses fraudes qui, aux USA, ont aggravé cette crise. Cet exemple démontre, si besoin en était, qu’une régulation efficace n’est pas nécessairement liée au pouvoir de sanc-tionner, elle est aussi liée au pouvoir de dire non à l’élaboration d’un contrat quand celui-ci n’est pas conforme à la loi.

4 - Le choix entre une régulation de direction et une régulation à la carte constitue donc un enjeu majeur pour nos sociétés. La régulation

La raison d’être et la mission première du Notariat sont de réguler les rapports juridiques entre les personnes grâce au rôle de prévention que lui délègue l’État car la pratique apaisée du droit constitue le véritable besoin de droit.

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NOTAIRE

Didier CoiffardNotaire, Délégué du Conseil Supérieur du Notariat

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n’est-elle pas à l’arbitrage impartial ce que l’auto-régulation est à la loi du plus fort si elle n’est pas parfaitement encadrée et sanctionnée ? La récente crise financière semble malheureusement là pour démon-trer que la production de normes et la mise en œuvre de contrôles de conformité sont plus que nécessaires à la croissance…elles sont vitales. Un vaste chantier s’ouvre donc devant nous ; nous allons en poser au-jourd’hui et ensemble les bases. Les consommateurs, les familles et les entreprises attendent de nous une régulation responsable. La question est politique, la grande politique, celle au service de nos concitoyens.

5 - La réflexion que nous menons ensemble doit aussi s’accompagner d’une autre réflexion, celle de la simplification des normes en tous genres, fruits de textes mal préparés, de lois incompréhensibles qui s’empilent par strates successives. L’enjeu est là aussi important, car quand la loi murmure on ne l’entend plus. Cet objectif est celui de la sagesse, démontrée par Montesquieu qui écrivait « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires »…

La conformité : nouvelles règles et nouveaux défis pour les professions juridiques internationalesUne perspective américaine

1. Internationalisation du monde des affaires, responsabilités des juristes et méthodes de régulation

A. - La « régulation » et son acceptation aux États-Unis

1 - Aux États-Unis, la « régulation » a toujours reçu un accueil mitigé, qu’elle concerne l’activité commerciale privée (à petite comme à grande échelle) ou qu’elle soit destinée à restreindre l’ac-tion du Gouvernement. En général, lorsque les excès du « laisser-faire les entreprises privées » ne tiennent pas compte de l’intérêt général, la société civile supplie fréquemment le Gouvernement

« Once the trash gets picked up, government should leave me the hell alone1 ».« Les législateurs devraient adopter des règles simples et laisser les autorités de régulation les appliquer. Est-ce qu’il en découlerait trop de pouvoir délégué à des bureaucrates non élus ? Non, si ceux-ci sont rendus plus responsables. Leurs décisions manifestement erronées de-vraient faire l’objet d’une voie de recours rapide. Les régulateurs qui prennent de mauvaises décisions devraient pouvoir être facilement sanctionnés. Rien de tout cela ne résoudra les difficultés inhérentes à la régulation d’une société moderne complexe. Mais cela permettrait d’atténuer un danger réel : que la régulation finisse par tuer le cœur de la vie économique américaine2 ».

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ÉTATS-UNIS

Robert E. LutzProfesseur de droit Southwestern Law School, Los Angeles3

1 Kevin Horrigan, Who needs government ? : Daily Breeze, A11. 18 avr. 2012.

2 Over-regulated America : The Economist, 18-24 févr. 2012, p. 9.

3 Le présent article reprend les thèmes et les débats relatifs à l’intervention lors de la première Biennale Business et Droit, Rencontre Entre Acteurs de L’Entreprise et du Droit, qui s’est tenue au Palais de la Bourse de Lyon, France, le 2 décembre 2011 sur le thème « La conformité, accélérateur ou frein de la croissance ? Compliance and performance ».

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4 Au moment de la rédaction de cet article, la course à l’élection présidentielle américaine de 2012 démarre et la question de savoir qui a la meilleure vision du rôle du Gouvernement dans une société capitaliste et démocratique fondée sur le principe de la libre entreprise est un axe essentiel de la campagne des deux grands partis politiques au pouvoir. V. Over-regulated America : The Economist, 18-24 févr. 2012, p. 9. - Parmi les autres articles de ce numéro, citons : Tangled up in green tape 28) ; Of Sunstein and sunsets (p. 28-29) ; America is becoming a less attractive place to do business

Measuring the impact of regulation-The rule of more European financial regula-tion-Laws for all (p. 56).

5 V. l’entrée « Régulation » dans : Glossary of Industrial Organisation Economics and Compe-

tition Law : OCDE, 1993 (mis au point par R.S. Khemani & D.M. Shapiro), V. http://stats.oecd.org/glossary/detail.asp?ID=3295.

6 L’attention du lecteur est attirée sur le fait que, aux États-Unis, il n’y a pas de distinction entre les différentes professions juridiques. Ainsi, l’American Bar Association accueille aussi bien les avocats que les magistrats et professeurs de droit. Tous les juristes sont considérés comme des « lawyers », et le terme « attorney » désigne autant les avocats à la française que les juristes d’entreprise, qui jouissent alors de certains pri-vilèges. Dans le reste de cet article, la traduction se référera autant que possible à la situation française.

7 Comme la médecine, la profession dentaire, les infirmières, les comptables, etc. De façon géné-

rale, V. www.ed.gov/about/offices/list/ous/inter-national/usnei/us/prfrecogn.doc.

8 Pour une analyse intéressante de la structure de la Californie, V. William T. Gallagher, Ideologies of Professionalism and the Politics of Self-Regu-lation in The California State Bar : 22 PEPPER-DINE L. REV. 485 (1994-1995).

9 V. les règles de conduite professionnelles de l’ABA.

10 Pour mieux apprécier l’influence de cet accent mis sur la « conformité » sur le travail des ju-ristes, soulignons qu’un rapport du Center for Responsive Politics établit que les sociétés ont dépensé 1,9 milliard de dollars US depuis 2009 en lobbying auprès du Congrès sur les questions financières. De façon générale, se rendre sur www.opensecrets.org.

d’intervenir au nom du plus grand bien commun pour assurer un équilibre et préserver certains intérêts publics. Par opposition, lorsque le frein de la régulation de l’État devient trop lourd pour le secteur privé (entre autre via la fixation de normes, l’imposi-tion de permis ou d’obligations de conformité, la fiscalité), les secteurs concernés, en coordination avec certains acteurs publics qui estiment que le Gouvernement est allé trop loin, cherchent souvent à faire lâcher la bride (c’est la « dérégulation »). Même l’État qui maintient pourtant une surveillance constante de ses propres activités de régulation devra traverser divers cycles de réforme de la régulation avant de parvenir à un juste équilibre (notamment en termes de transparence, de responsabilité et d’ef-ficacité de l’Administration) entre l’intérêt général et des objectifs d’innovation, de rentabilité, de flexibilité, de liberté d’action4.

2 - Ainsi, même si la « régulation » est généralement définie comme « l’imposition de règles par l’État, soutenue par le recours à des sanctions, qui sont spécifiquement destinées à modifier le comportement économique des personnes et des entreprises du secteur privé5 », les méthodes employées et l’autorité à l’origine de cette imposition peuvent être autres que « gouvernementales », par délégation ou simplement par volonté d’auto-régulation de la part d’un secteur d’activité. En résumé, la « régulation » peut signifier bien des choses pour bien des gens et son acceptation publique peut être cyclique.

B. - La régulation des professions du droit aux États-Unis

1° Quelques généralités

3 - Les avocats américains6 peuvent être considérés comme des pri-vilégiés, notamment à la lumière de la manière dont leur profession est réglementée. Comme bon nombre de professions américaines7, être avocat est un métier largement auto-régulé. Aux États-Unis en effet, il est réglementé de l’intérieur même de la profession par les organisations représentatives de la profession. La fixation et l’appli-cation des règles sont essentiellement le fait des barreaux et des cours suprêmes au niveau de chaque État fédéré8. Ces institutions gou-

vernent les qualifications et fixent les règles de conduite des acteurs de la profession, de même qu’elles sanctionnent ceux qui s’en écartent. Si des modèles de normes déontologiques sont développés au plan national et principalement par l’American Bar Association9, ils sont adoptés et mis en œuvre par la profession au niveau des États, tandis que les questions disciplinaires sont essentiellement réglées par les conseils de discipline des barreaux locaux. La jurisprudence sur les cas de mauvaises pratiques complète ce processus et les tribunaux peuvent être considérés comme une voie de recours indépendante pour ceux qui sont victimes de la conduite abusive d’un avocat.

4 - Indépendamment de l’organisation centralisée au niveau des États (et non pas du pays tout entier) de cette institution que nous appelons la « Profession juridique américaine », les pressions de la mondialisation et le développement des technologies, qui rendent perméables les frontières entre les systèmes juridiques, viennent remettre en question la fonction régulatrice des États fédérés et imposent de nouvelles pressions au-delà des frontières de ces derniers.

5 - L’exposé qui suit évoquera, dans un premier temps, brièvement ces nouvelles forces de changement qui vont dans le sens d’une plus grande mobilité des avocats et montrera que la régulation de la pro-fession juridique s’adapte à ce nouvel environnement de différentes façons. Il décrira l’utilisation des avocats, mais aussi de l’ensemble des juristes, par la législation fédérale en tant qu’agents de confor-mité réglementaire sous différentes formes, malgré l’auto-régulation de la profession. Dans un second temps, l’article examinera le chan-gement de nature de la profession occasionné par un développement spectaculaire de la technologie et la dynamique du mouvement de mondialisation. Pour finir, l’article explore le futur de l’enseigne-ment du droit face à ces nouvelles forces.

2° Les juristes : un outil de la « conformité »

6 -

connu une augmentation très forte de ce qu’on pourrait appeler les « juristes spécialisés en conformité », à savoir les juristes recru-tés pour aider les entreprises à respecter leurs obligations légales.10

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11 V. la Loi Dodd-Frank en réponse à la crise ban-caire américaine.

12 V. la loi Sarbanes-Oxley Act en réponse au scan-dale Enron.

13 V. Rex V. Brown, Environmental Regulation: De-velopments in Setting Requirements and Verifying Compliance.

14 V. la loi sur les pratiques anti-corruption à l’étranger (Foreign Corrupt Practices Act).

15 D’autres professions peuvent être citées comme des bénéficiaires de cette évolution : les comp-tables, les conseillers financiers, les responsables de la gestion des risques, les spécialistes du re-dressement d’entreprises et les fournisseurs de technologies.

16 Certains experts ont avancé que la règle de droit devenait la règle des juristes du fait de leur implication nécessaire dans les questions de conformité.

17 V. la loi Dodd-Frank, Section 922.

18 Ainsi, ce système transforme-t-il les juristes d’entreprises en charge de la conformité, en ce qu’on a appelé des « chasseurs de prime d’en-treprise ». En vertu de la Section 922 de la loi Dodd-Frank, un informateur (whistle-blower) est ainsi autorisé à percevoir jusqu’à 30 % des

sanctions pécuniaires imposées par la SEC à l’auteur de l’infraction si : - l’informateur fournit des informations sur un

cas de violation à la SEC de son propre chef ; - il s’agit d’informations originales ; - l’information révélée permet de conduire une

action à l’encontre de l’entreprise ; - l’action se traduit par une sanction adminis-

trative de la SEC et/ou une procédure judi-ciaire ;

- les poursuites se traduisent par des sanctions pécuniaires supérieures à 1 million de dollars US.

19 V. P. R. Rice, Attorney-Client privilege in the United States (2012).

20 R. Susskind, The End of Lawyers ? (2008) et Tho-mas Morgan, The Vanishing American Lawyer (2009).

21 Près de 30 % de la population de la Californie d’aujourd’hui est née à l’étranger. Le nombre de femmes juristes n’a jamais été aussi important et l’âge moyen des avocats dans la plupart des États est supérieur à ce qu’il n’a jamais été. - V. F. Ury, Atticus Finch and the Future of the Legal Profes-sion : Southwestern J. of Int’l Law (2012).

22 Les changements qui sont intervenus au Royaume-Uni ont été largement alimentés par la perception selon laquelle les préoccupations

des consommateurs et autres intérêts publics n’étaient pas adéquatement pris en compte par la profession juridique. Voir également l’évolu-tion de la situation en Australie. Aux États-Unis, une commission d’éthique a été formée au sein de l’American Bar Association pour examiner les effets de la mondialisation et de la technologie sur la profession et suggérer de nouvelles orientations pour la profession. Ces différents rapports sont disponibles sur www.americanbar.org/ethics2020.

23 V. www.americanbar.org/ethics2020.

24 Il n’en reste pas moins que les préoccupations des associations du barreau restent les sui-vantes : - la protection du public ; - la préservation des valeurs de base de la pro-

fession ; - le maintien d’une profession forte, indépen-

dante et auto-régulée (avant toute une régula-tion de la profession au niveau de la juridiction des États).

25 V. R. E. Lutz, An Essay Concerning the Changing Legal Profession : Southwestern J. of Int’l Law (2012). V. aussi www.americanbar.org/ethics2020 concer-nant les recommandations sur l’outsourcing.

26 Ibidem.

La banque11, la bourse12, l’environnement13, la corruption d’officiels étrangers14, sont autant de domaines de responsabilité profession-nelle qui se sont retrouvés en ligne de mire de la législation. Les ju-ristes ont profité du travail à accomplir du fait de ces nouvelles légis-lations15 qui ont en général imposé une responsabilité juridique et une obligation de dédommagement de la part des administrateurs et dirigeants d’entreprises en cas de méconnaissance16.

7 - Cette nouveauté consistant à utiliser les juristes comme gar-diens de la conformité a été introduite par la loi Dodd-Frank et sert d’exemple quant au rôle étendu des avocats et juristes dans la régu-lation. Le mécanisme des whistle-blowers (informateurs internes)17 prévoit de protéger et récompenser les juristes qui révèlent le non-respect des lois18, mais peut tout autant les désigner en tant que « complices ou instigateurs » s’ils taisent de telles violations. Le juriste informateur est protégé de toute mesure de rétorsion même s’il marche sur une corde raide dès lors que l’on pense que le secret professionnel en vigueur entre l’avocat et son client (en vertu de la loi américaine)19 pourrait tout aussi bien s’appliquer, y compris au sein de l’entreprise.

3° Un changement de nature dans la pratique du droit

8 - Deux ouvrages récents ont souligné de façon évidente le chan-gement de nature dans la pratique des professions juridiques, tant dans les économies nationales modernes qu’au plan international20. Compte tenu des nouvelles forces en action dans la mondialisation, de la technologie et de la démographie21, la « normalité » de la pra-tique juridique est devenue bien différente de ce qu’elle était. Ces pressions ont radicalement changé bon nombre de structures régle-

mentaires applicables aux juristes au plan national22, ont conduit à

proposer des structures de cabinets d’avocats plus efficaces et plus

viables sur un plan économique23 et se sont traduites par un certain

nombre de réactions des barreaux locaux aux États-Unis.24

9 - Citons, comme exemple ce phénomène auquel les avocats sont

contraints de se confronter, ce qu’on appelle « l’outsourcing »

(l’externalisation)25. Dans bien des coins du monde développé,

les clients exigent des services juridiques moins onéreux et plus

efficaces, ce qui a contraint les avocats à externaliser leurs tâches

les moins compliquées et les plus répétitives à des fournisseurs

meilleur marché et néanmoins compétents, dont un certain

nombre sont basés à l’étranger. La manière dont les juristes sont

à même de répondre aux besoins de leurs clients concernant les

recherches juridiques de base, les due diligences, l’étude des bre-

vets et même la rédaction des contrats, peut soulever des inter-

rogations en termes de compétence, de supervision, de conflits

d’intérêt et même de confidentialité.

10 - Aux États-Unis, l’approche consiste à conférer certaines obli-

gations, et donc responsabilités, aux juristes et cabinets d’avocats

concernés afin qu’ils s’assurent que le travail externalisé à des juristes

externes au cabinet est accompli de façon professionnelle et contri-

bue globalement à une représentation compétente du client dans le

respect des obligations déontologiques26. Lorsque des travaux juri-

diques sont confiés à des non-avocats, les avocats qui supervisent le

travail doivent faire un « effort raisonnable » pour s’assurer que les

services ainsi rendus sont « compatibles avec les obligations profes-

sionnelles de l’avocat, y compris la protection des informations de

son client ».

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27 V. GATS sur www.wto.org.

28 V. la recommandation de protection, de respect et de remède contre les abus en matière de droits de l’homme du Conseil des droits de l’homme :

http://www.business-humanrights.org/Documents/UNWorkingGrouponbusinesshumanrights.

29 V. ISO 14000, http://www.iso.org/iso/iso_14000_es-sentials.

11 - Au vu de l’éventail des nouveaux défis technologiques en pré-sence – le cloud-computing, les cabinets d’avocats virtuels, la publicité et le développement de clientèle via les réseaux sociaux et la problé-matique de la mobilité – et des problèmes potentiels qu’ils soulèvent quant aux responsabilités professionnelles des juristes, de nouvelles directives sont nécessaires et le rôle du juriste pour le respect de ses obligations va s’accroissant.

4° Régulation de l’enseignement du droit

12 - Les défis de la technologie et de la globalisation façonnent la pra-tique de la profession juridique. En même temps, on pourrait argu-menter que la formation juridique devrait jouer un rôle important dans la préparation des juristes qui seront partie prenante à ces défis. Contrairement à la régulation de la profession, centrée sur les États fédérés aux États-Unis, la formation juridique est, elle, organisée sous la forme d’une accréditation à l’échelon national. L’organisation gouvernementale en charge de la question, le ministère américain de l’Éducation, délègue la responsabilité de cette accréditation à l’Ame-

rican Bar Association et plus précisément à sa section en charge de la formation et de l’admission au barreau. Mais si les écoles de droit sont accréditées au plan national, les barreaux au niveau des États fédérés gardent toujours un contrôle sur la qualification des diplô-més qui sortent de ces écoles. Ce contrôle s’exerce par le biais des « Examens du Barreau » qui comportent également des critères de personnalité et de moralité.Ainsi, tandis que les entités nationales réglementent les normes d’accréditation, ce sont les 50 États des États-Unis, en grande partie par l’intermédiaire des barreaux locaux, qui établissent si un avocat dispose des qualités nécessaires pour pratiquer le droit dans la juri-diction concernée. Ce qui peut sembler manquer à cette répartition dans la responsabilité de la formation juridique est que la pratique ne soit pas intégrée dans la formation mais qu’elle n’y soit associée que de façon incidente et principalement dans les écoles de droit qui ont pris conscience de l’interrelation qui s’exerce entre les deux aspects.

2. Tendances à l’internationalisation

13 - Parallèlement au mouvement d’internationalisation d’inspi-ration économique et d’avancée technologique, les tendances à l’internationalisation se retrouvent aussi à travers les organisations commerciales internationales (GATS) 27 qui visent une libéralisation des échanges de services. Citons l’exemple du Conseil des droits de l’homme de l’ONU qui a récemment instauré, en matière de droits de l’homme au travail, une responsabilité des entreprises de protéger, respecter et instaurer des remèdes aux abus et, plus précisément, une obligation de développement et de mise en œuvre de normes de pro-tection des droits humains28. Cette décision, de même que d’autres contraintes similaires imposées à l’activité commerciale privée29, tra-duisent de plus en plus une démarche de réglementation de l’activité économique mondiale en vue d’atteindre différents objectifs parta-gés à l’échelle internationale.Quel rôle les juristes joueront-ils dans ce processus ? S’ils ne sont pas présents à l’étape initiale de la formulation des règles, ils œuvre-ront sans doute aux côtés des sociétés pour assurer leur conformité et, dans certains cas, défendre celles qui ont enfreint les nouvelles normes.

14 - On peut tirer plusieurs conclusions de cette brève analyse :

profession aux États-Unis ; -tantes dans leur pratique professionnelle, notamment lorsque des transactions et affaires transnationales sont en jeu ; -tant il joue un rôle tellement essentiel dans la formation de juristes compétents dans ce nouvel univers que cette omission est déjà une erreur.

Les progrès et le développement des professions juridiques garan-tissent l’État de droit. Alors qu’il est souvent facile de négliger le rôle de la régulation dans la structuration et le pilotage de la profession juridique aux États-Unis, les nouvelles forces en présence laissent à penser que cette absence d’attention n’est favorable, ni à la profes-sion, ni à la préservation des enjeux publics qu’elle incarne.

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1478 ÉTUDE DOSSIER

Prendre le parti de la conformitéConclusion

Les travaux des ateliers de la première Biennale Business et Droit

qui s’est tenue à Lyon le 2 décembre 2011 ont parfaitement

démontré, s’il en était besoin, que la régulation peut concerner

tous les domaines de politique économique : le Professeur John

N Droback et Christian Piercé du Sert ont décrit son rôle capi-

tal dans le domaine financier avec une dimension internationale

marquée depuis la succession récente de crises économiques.

Jean-Paul Valluet et Anne Fréchette Kerbrat pour la gouver-

nance, Christian Huglo pour l’environnement et Fabien Zivy

pour la concurrence, ont insisté sur la place prise par la régula-

tion dans leur domaine respectif.

La régulation permet le maintien de la constante d’une fonction :

elle peut être totale, on parlera alors de politique conjoncturelle,

ou libre, et on parlera d’autorégulation. Elle peut être réalisée en

agissant sur les marchés ou sur les acteurs du marché, voire les

deux.

L’adéquation des acteurs économiques avec les normes externes

qui leur sont imposées ou internes qu’ils choisissent, constitue

la mesure du degré de conformité. La non-conformité, est une

mauvaise pratique qui peut engendrer la responsabilité des diri-

geants, responsabilité sociétale a minima, mais aussi responsabi-

lité civile voire pénale. Mais peut-on estimer pour autant que la

conformité est facteur de progrès économique ?

En pratique la conformité est souvent subie par les dirigeants

d’entreprises qui en mesurent la lourdeur administrative, et les

surcoûts directs et indirects associés.

Les régulateurs, de leur côté, peuvent, ne pas être dans le rythme

de l’économie, et intervenir à contre temps. Ils ont aussi hérité du

législateur dont ils ont reçu une partie de leur fonction, un goût

marqué pour l’exhaustivité qui se conjugue difficilement avec

pédagogie et efficacité.

Il faut alors sans cesse revenir aux fondamentaux et se appeler

qu’en sous-jacent de la norme et de la conformité, il doit y avoir

l’éthique. La relation tripartite juridique – conformité – éthique

doit être forte. Dans ce sens, le fait que le risque éthique soit de-

venu un risque stratégique est facteur de progrès.

On doit aussi faire preuve de pragmatisme et traduire la confor-

mité, en potentiel de performance et en avantage concurren-

tiel. Il faut considérer la conformité comme un investissement

judicieux.

La bonne attitude, pour conclure, est de prendre le parti de la

conformité qui s’est imposée comme un nouveau mode norma-

tif nécessaire pour préserver la confiance et la sécurité juridique

dans un monde de plus en plus incertain.

Au nom de Lyon Place Financière et Tertiaire il me revient de

remercier tous ceux qui ont contribué à la réussite de la première

édition de cette manifestation.

La conformité s’est imposée comme un nouveau mode normatif nécessaire pour préser-ver la confiance et la sécurité juridique dans un monde de plus en plus incertain.

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CONFORMITÉ

Jean-Pierre Gitenay

Avocat associé Lamy Lexel Vice-Président de Lyon Place Financière et Tertiaire