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La soupe de poissons rougesexcerpts.numilog.com/books/9782070611317.pdf · a les yeux fermés sur la photo. Pour finir, il y a les petits. Jean-E., alias Zean-Euh parce qu’il zozote

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  • © Éditions Gallimard Jeunesse, 2007, pour le texte et les illustrations© Éditions Gallimard Jeunesse, 2007, pour la présente édition

    Couverture : Illustrations de Dominique Corbasson

    Loi n 49-956 du 16 juillet 1949sur les pu blications destinées à la jeunesse

    °

    Centre national du livre

    http://www.centrenationaldulivre.fr

  • GALLIMARD JEUNESSE

    Illustrations de Dominique Corbasson

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  • La famille des Jean-Quelque-Chose

    1. L’Omelette au sucre

    2. Le Camembert volant

    3. La Soupe de poissons rouges

    4. Des vacances en chocolat

  • Pour le gang de Puichéric, affectueusement.

  • – Cette fois, a dit maman, ça va vraiment barder. Depuis une semaine au moins, tout était prêt. On

    avait fait nos cartables, on avait plié au pied du litles vêtements qu’on allait mettre, on avait établi letour de passage à la salle de bains et mis à sonnertrois réveils au lieu d’un.

    La veille, maman nous avait même rassembléspour donner les dernières consignes.

    – Pas question d’être en retard un jour commecelui-là, elle a dit. Les grands, je compte sur vouspour aider les moyens…

    – Moi, j’aide pas les bananes, a décrété Jean-A. – Les moyens, je compte sur vous pour obéir aux

    grands…– Banane toi-même, a répondu Jean-C.– Tu veux une tarte ? j’ai dit.

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  • – Essaie un peu, a fait Jean-D.– Les petits, a continué maman, je compte sur

    vous pour être sages…– Ze suis pas une banane ! a zozoté Jean-E. – Ouin ! a crié le bébé Jean-F.– Et surtout : défense absolue de vous disputer ! a

    conclu maman. Est-ce que c’est bien compris ?– Oui, oui ! on s’est tous écrié en chœur. – Je rappelle, avait précisé papa en nous dévisa-

    geant tour à tour, qu’il existe une excellente pen-sion pour les enfants de troupe…

    – Tout va bien se passer, chéri, l’avait rassurémaman. Il suffit d’un peu d’organisation.

    Mais dans une famille comme la nôtre, rien ne sepasse jamais bien. Même quand on a une mère trèsorganisée et un père qui sait tout faire de ses dixdoigts.

    Sur la photo qu’a prise papa ce jour-là, on poseen rang d’oignons tous les six, par ordre de taille, àla façon des frères Dalton.

    Dans l’album où il l’a collée, papa a écrit : « Tou-lon, septembre 1969 : une joyeuse rentrée desclasses. » Vu la tête qu’on fait tous, c’est un drôlede titre. Surtout papa, d’ailleurs, parce qu’il a voulutester son nouveau retardateur juste ce jour-là pourêtre aussi sur la photo.

    Papa est très fort comme médecin. Mais bizarre-ment, les objets ne veulent jamais marcher avec

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  • lui. Quand l’appareil photo s’est enfin déclenchépour de bon, papa était en train de pousser un jurontellement retentissant qu’on peut presque l’en-tendre encore en tournant les pages de l’album.

    Maman nous avait commandé nos vêtements derentrée dans le catalogue de La Famille Moderne :chacun la même chemisette et le même bermudaqui gratte, pour éviter les histoires, mais dans destailles différentes, bien sûr.

    – C’est une tenue très à la mode et parfaitementadaptée au climat, avait-elle dit devant nos protes-tations. Idéal pour une rentrée !

    Déjà que papy Jean, mon grand-père, nousappelle pour rire « le gang des oreilles décollées » !On avait vraiment l’air fin sur cette photo, habilléstous pareil dans nos chemisettes à carreaux nullesde La Famille Moderne…

    Le plus à droite, c’est Jean-A., l’aîné, alias Jean-Ai-Marre parce qu’il râle tout le temps. Jean-A.porte des lunettes et déteste être pris en photo, sur-tout en bermuda. Sur celle-là, il fait une grimacetellement atroce que si jamais on la montre plustard, il ne pourra jamais trouver de fiancée. Il abeau dire qu’il s’en fiche et qu’il déteste les filles, çane fait jamais plaisir.

    À côté, c’est moi : Jean-B., dit James Bond. Enfin, pas exactement. Plutôt Jean-B., dit Jean-

    Bon, parce que j’adore manger et que je suis un peurondouillard… Du moins c’est ce que prétend

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  • Jean-A., mais c’est juste qu’il est jaloux : moi, plustard, je serai agent secret alors que lui, forcément,avec ses lunettes, il sera recalé aux tests sportifs.

    Jean-A. et moi, on est les grands. Ceux sur quitout retombe : les responsabilités, les corvées et lespunitions.

    Le troisième, c’est Jean-C., huit ans, surnomméJean-C-Rien, le roi des étourdis. Sur la photo, enfait, on voit juste son épi qui dépasse derrière lacouverture de On a marché sur la lune.

    Depuis qu’il a découvert les bandes dessinées cetété, Jean-C. est plus distrait que jamais. Impossiblede le sortir de ses Tintin, même pour une photo de

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  • rentrée. Il passe toutes ses journées une BD à lamain. Là, c’est dans la main gauche qu’il tient sonTintin, parce que de la droite, il est occupé à collerune torgnole à Jean-D. qui veut le lui arracher.

    Jean-D., c’est Jean-Dégâts, six ans, le casse-coude la famille. À cause de la torgnole de Jean-C., ila les yeux fermés sur la photo.

    Pour finir, il y a les petits. Jean-E., alias Zean-Euhparce qu’il zozote tout le temps, et puis le bébéJean-F., surnommé Jean-Fracas. Bien sûr, eux, ils nevont pas à l’école, ils sont encore trop petits, maismaman leur a aussi acheté la même chemisette àcarreaux et le même bermuda qui gratte, histoirequ’ils ne se sentent pas exclus.

    Pour la photo, Jean-E. a voulu tenir Jean-F. dansses bras. Jean-F. en a profité pour faire dans sescouches, c’est pourquoi on voit Jean-E. qui se pincele nez et Jean-F., vexé, qui hurle à pleins poumons.

    – Cheese ! a lancé papa en prenant place derrièrenous. Souriez, les enfants : le petit oiseau va sortir !

    – Qu’est-ce que ça veut dire, tseeze ? a zozotéJean-E.

    – C’est du latin, banane, a fait Jean-A.– Pas du tout, j’ai dit. Ça veut dire « marmelade »

    en anglais.– Maman, Jean-D. veut me voler mon Tintin ! a

    crié Jean-C. en lui collant une beigne.– Il n’est pas qu’à toi, d’abord ! a protesté Jean-D.

    en ripostant.

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  • – Chéri, pourquoi le flash ne s’est-il pas déclen-ché ? a demandé maman qui ne connaît rien à latechnique.

    – Si je tenais le photographe de malheur qui m’avendu ce fichu appareil… ! a explosé papa.

    – Maman, il faut vraiment sanzer Zean-F. ! azozoté Jean-E. en se bouchant le nez.

    – Ouin ! a hurlé Jean-F.– Répète un peu ce que tu as dit sur ma chemi-

    sette pourrie ? a fait Jean-A.– Je frappe pas ceux qui ont des lunettes, j’ai dit.– Cette fois, les enfants, ça va vraiment barder !

    a averti maman. Clic ! C’est à ce moment précis que l’appareil

    s’est déclenché.Pour une joyeuse rentrée, c’était plutôt mal parti.

  • Il faut dire que cette rentrée des classes n’étaitpas comme les autres.

    D’abord, parce que c’était la première que nousfaisions à Toulon. Ensuite, parce que je quittais leprimaire pour entrer en 6e.

    « Tu vas voir, m’avait averti Jean-A. Les profs, en6e, sont archisévères. J’ai un copain qui a écopé dequarante-neuf heures de colle juste parce qu’il avaitfait tomber sa règle en cours de maths ! Fini de rigo-ler, c’est plus comme en primaire. Je te préviens,M. Martel, à côté des profs que tu risques d’avoir,c’est un papa gâteau… »

    M. Martel, c’est le maître qu’on a eu tous lesdeux en CM2. Il suffisait qu’il prononce votre pré-nom pour que vous sentiez vos orteils se rétracterdans vos chaussures.

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  • – J’ai un autre copain, en 6e, a continué Jean-A.d’une voix lugubre, il a eu tellement de lignes àcopier qu’il a eu une crampe de la main et qu’il afallu l’amputer.

    – Qu’est-ce qu’il avait fait pour être puni ? j’aidemandé en déglutissant avec peine.

    – Pas fini son assiette de gratin à la cantine…Cette fois, je me suis étranglé.– Tu rigoles ?Jean-A a eu un ricanement sinistre. Est-ce qu’il

    exagérait ? On était dans le noir, couchés l’un au-dessus de l’autre dans nos lits superposés et je nepouvais pas voir la tête qu’il faisait.

    – Et encore, je ne te dis pas tout pour que tun’aies pas trop la pétoche demain, il a ajouté.

    – Je te crois pas. C’est toi qui as la trouille, enfait.

    – La trouille ? Laisse-moi rire !– Parce qu’on a quitté Cherbourg et que t’as

    perdu tous tes copains.– J’ai pas besoin de copains pour te flanquer une

    rouste.– Descends un peu pour voir, j’ai dit.Mais c’était la veille de la rentrée, il était tard,

    alors on n’a pas bougé de nos lits superposés.– De toute façon, a ricané Jean-A. dans sa barbe,

    nous, les 4e, on massacre les petits 6e à chaquerécré !

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  • Même si je ne le croyais qu’à moitié, je n’enmenais pas large ce matin-là.

    Toute la nuit, j’avais fait le même cauchemar :j’étais dans la cour, avec mon cartable sur le dos, ledirecteur faisait l’appel et, au moment où il pro-nonçait mon nom, je m’apercevais que j’avais gardésur moi mon pantalon de pyjama.

    – En route, mauvaise troupe ! a plaisanté papaquand ça a été le moment de partir.

    Ça n’a fait rire personne. On avait l’air fin, toushabillés pareil, dans notre vieille 404 familiale.Maman et les petits étaient restés sur le perron etils agitaient la main vers nous comme si on partaiten expédition au pays des réducteurs de têtes.

    – Bon courage à tous ! a crié maman.– Hein que moi aussi z’irai à l’école l’année pros-

    saine ? n’arrêtait pas de répéter Jean-E. À part papa qui essayait de faire des blagues, per-

    sonne n’a dit un mot de tout le trajet. Jean-D. finis-sait son petit déjeuner et Jean-C. relisait encachette le Tintin qu’il avait glissé dans son car-table.

    – Salut les minus, a fait Jean-A. quand ils sontsortis de voiture devant l’école primaire.

    – Minus toi-même, a dit Jean-C.Mais le cœur n’y était pas. – Vous êtes sûrs que ça va aller, mes grands ? a

    demandé papa en nous déposant à notre tour. Pasla peine que je vous accompagne ?

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  • – Non, non ! on a lancé d’une même voix.En fait, je n’étais pas mécontent d’être avec Jean-

    A. J’avais les mains toutes moites et le cœur quicognait quand on a franchi la grille principale dulycée Peiresc.

    La cour était déjà remplie d’élèves. Rien que desgarçons, mais pas un seul en bermuda anglais ni enchemisette à carreaux. Par malchance, mamandevait être la seule mère de Toulon à connaître lecatalogue de La Famille Moderne.

    Les listes de classes étaient affichées sur destableaux. On a voulu s’en approcher, mais impos-sible sans se faire écrabouiller ou prendre un coupde coude dans l’œil.

    – T’inquiète, a dit Jean-A. Ils vont faire l’appel.– Hé ! les gars ! a lancé une voix derrière nous.

    Visez ces deux-là !Le grand qui avait parlé mesurait au moins deux

    têtes de plus que Jean-A. et ses cheveux étaientplantés presque au ras de ses sourcils. Aussitôt, sescopains se sont approchés, formant un cercleautour de Jean-A. et moi en nous pointant dudoigt.

    – D’où vous venez, déguisés comme ça ? a rigoléle premier.

    – Trop fort, les chemisettes à carreaux ! a ren-chéri le deuxième.

    – Et les culottes anglaises ! a ricané le troisième.

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  • Vous les avez volées dans un cirque ou c’est justepour faire rire ?

    – C’est quoi, votre nom, les nouveaux ? ademandé le quatrième. Les frères Barnum ?

    – Je vous préviens, a dit Jean-A. en devenanttout rouge. Je fais du latin et j’ai chez moi un livrede karaté.

  • – Tu crois que tu nous fais peur, binoclard ? ademandé le grand.

    Ils étaient une bonne douzaine, et nous à peinedeux. Pour un premier contact, ça commençaitmal. Jean-A. n’avait aucune chance contre legrand. Encore moins contre toute la bande.

    Déjà, le grand avait saisi Jean-A. par le col de sachemisette nulle et le secouait comme un prunier.

    À cet instant précis, un grand coup de sifflet aretenti dans la cour.

    – Attention ! Voilà Godillot ! a lancé un garçonde la bande.

    Le grand a lâché Jean-A. et le silence est tombébrusquement, comme si le surveillant généralvenait de siffler un penalty.

    – Ouf ! j’ai murmuré.– Dommage, tu veux dire ! a corrigé Jean-A. Juste

    au moment où j’allais lui faire ma prise secrète ! En vérité, il était blanc comme un linge. C’est ça

    qui est agaçant avec Jean-A. Il veut toujours être leplus fort, même avec ses lunettes et sa chemisettenulle de La Famille Moderne.

    – De toute façon, il a ajouté, j’ai pas besoin d’unpetit 6e pour me défendre.

    J’ai failli répondre quelque chose de cinglantmais l’appel venait de commencer.

    D’abord les 3e, puis les 4e. Chaque nom, lancé àpleins poumons par le surveillant général, faisaitl’effet d’une balle explosive. Les élèves sursautaient

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  • Découvrez toute la collection en version numérique ici

    http://www.gallimard-jeunesse.fr/foliojunior-numerique

  • La soupe des poissons rougesJean-Philippe Arrou-Vignod

    Cette édition électronique du livre La soupe des poissons rouges de Jean-Philippe Arrou-Vignod

    a été réalisée le 21 octobre 2013 par les Éditions Gallimard Jeunesse.Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage

    (ISBN : 9782070611317 - Numéro d’édition : 147917).

    Code Sodis : N60415 - ISBN : 9782075037334Numéro d’édition : 261918.

    http://www.gallimard-jeunesse.fr

    CouvertureCopyrightTitreHistoire des Jean-Quelque-ChoseDédicace1. Photo de famille2. La rentrée des classesDans la même collectionAchevé de numériser