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FRAN 4001 INTRODUCTION A LA LITERATURE Le Jeu d’Adam LA TENTATION Le Diable- Eve, je viens à toi. Eve- Pourquoi cela, Satan, dis-moi? Le Diable- Je veux ton bien et ton honneur. Eve- Que Dieu les accorde. Le Diable- N’aie pas peur: depuis longtemps je connais les secrets du paradis, je t’en dirai une partie. Eve- Commence donc, je l’entendrai. Le Diable- M’écouteras-tu? Eve- Bien sûr, je ne te fâcherai en rien. Le Diable- Me garderas-tu le secret? Eve- Oui, par ma foi. Le Diable- Il ne sera pas révélé? Eve- Pas par moi. Le Diable- Je me fie à ta promesse et ne te demande pas d’autre gage. Eve- Tu peux croire à ma parole. Le Diable- Tu as été à bonne école. J’ai vu Adam, mais il est trop fou. Eve- Il est un peu rude. Le Diable- Il mollira. Il est plus dur que le fer. Eve- Il est très noble. Le Diable- C’est un vrai serf. Il ne veut prendre soin de lui; mais qu’il prenne au moins soin de toi. Tu es faible et tendre chose, tu es plus fraîche que la rose, tu es plus brilante que le cristal ou que la neige sur glace unie. Il est mal assorti, le couple qu’a fait le Créatur. Tu es trop tendre et lui trop dûr. Et cela ne t’empêche pas d’être plus sage; tu t’est fait une tête pleine de sens. Aussi est-ce bon de s’adresser à toi. Je veux te parler. Eve- Aie confiance en moi. Le Diable- Que nul n’en sache rien. Eve- Qui le saurait? Le Diable- Pas plus Adam que les autres. Eve- Non, vrai de vrai. Le Diable- Je te parlerai donc, écoute-moi. Il n’y a que nous deux en ce chemin. Adam est là mais n’entend pas. Eve- Parle haut, il n’en saura mot. Le Diable- Je vous avertis d’une grande tromperie qui vous est faite en ce jardin. Les fruits que Dieu vous a donnés ne sont guère bons. Celui qu’il vous a tant défendu possède une grande vertu. En lui est la source de la vie, de la puissance, de la seigneurie, en lui est la science de tout, du bien et du mal. Eve- Quel goût a-t-il? Le Diable- Un goût céleste. A ton beau corps, à ton visage, il conviendrait que tu deviennes la reine du monde, des hauteurs du ciel aux profondeurs de l’enfer, que tu saches tout ce qui doit être, que tu sois maîtresse souveraine de l’Univers. Eve- Le fruit peut donner tout cela? Le Diable- Oui, en vérité. Eve- Rien que de le voir me fait du bien. Le Diable- Que sera-ce si tu en manges? Eve- Ah, je ne sais. Le Diable- Ne me croiras-tu pas? Prends-le, toi, la première. Puis donne-le à Adam, vous aurez alors la couronne du ciel, au Créateur vous serez pareils. Il ne pourra plus vous cacher aucun dessein. Aussitôt que vous aurez mangé du fruit,

La tentation

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La tentation

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Page 1: La tentation

FRAN 4001

INTRODUCTION A LA LITERATURE

Le Jeu d’Adam

LA TENTATION

Le Diable- Eve, je viens à toi.

Eve- Pourquoi cela, Satan, dis-moi?

Le Diable- Je veux ton bien et ton honneur.

Eve- Que Dieu les accorde.

Le Diable- N’aie pas peur: depuis longtemps je

connais les secrets du paradis, je t’en dirai une

partie.

Eve- Commence donc, je l’entendrai.

Le Diable- M’écouteras-tu?

Eve- Bien sûr, je ne te fâcherai en rien.

Le Diable- Me garderas-tu le secret?

Eve- Oui, par ma foi.

Le Diable- Il ne sera pas révélé?

Eve- Pas par moi.

Le Diable- Je me fie à ta promesse et ne te

demande pas d’autre gage.

Eve- Tu peux croire à ma parole.

Le Diable- Tu as été à bonne école. J’ai vu

Adam, mais il est trop fou.

Eve- Il est un peu rude.

Le Diable- Il mollira. Il est plus dur que le fer.

Eve- Il est très noble.

Le Diable- C’est un vrai serf. Il ne veut prendre

soin de lui; mais qu’il prenne au moins soin de

toi. Tu es faible et tendre chose, tu es plus

fraîche que la rose, tu es plus brilante que le

cristal ou que la neige sur glace unie. Il est mal

assorti, le couple qu’a fait le Créatur. Tu es trop

tendre et lui trop dûr. Et cela ne t’empêche pas

d’être plus sage; tu t’est fait une tête pleine de

sens. Aussi est-ce bon de s’adresser à toi. Je

veux te parler.

Eve- Aie confiance en moi.

Le Diable- Que nul n’en sache rien.

Eve- Qui le saurait?

Le Diable- Pas plus Adam que les autres.

Eve- Non, vrai de vrai.

Le Diable- Je te parlerai donc, écoute-moi. Il

n’y a que nous deux en ce chemin. Adam est là

mais n’entend pas.

Eve- Parle haut, il n’en saura mot.

Le Diable- Je vous avertis d’une grande

tromperie qui vous est faite en ce jardin. Les

fruits que Dieu vous a donnés ne sont guère bons.

Celui qu’il vous a tant défendu possède une

grande vertu. En lui est la source de la vie, de la

puissance, de la seigneurie, en lui est la science

de tout, du bien et du mal.

Eve- Quel goût a-t-il?

Le Diable- Un goût céleste. A ton beau corps, à

ton visage, il conviendrait que tu deviennes la

reine du monde, des hauteurs du ciel aux

profondeurs de l’enfer, que tu saches tout ce qui

doit être, que tu sois maîtresse souveraine de

l’Univers.

Eve- Le fruit peut donner tout cela?

Le Diable- Oui, en vérité.

Eve- Rien que de le voir me fait du bien.

Le Diable- Que sera-ce si tu en manges?

Eve- Ah, je ne sais.

Le Diable- Ne me croiras-tu pas? Prends-le, toi,

la première. Puis donne-le à Adam, vous aurez

alors la couronne du ciel, au Créateur vous serez

pareils. Il ne pourra plus vous cacher aucun

dessein. Aussitôt que vous aurez mangé du fruit,

Page 2: La tentation

votre cœur sera transformé, avec Dieu vous serez

d’égale bonté, d’égal pouvoir.

Eve- J’ai peur.

Le Diable- Ne t’occupe pas d’Adam.

Eve- Plus tard.

Le Diable- Quand?

Eve- Attends qu’Adam soit parti.

Le Diable- Mange ce fruit sans hésiter. Tarder

serait de l’enfantillage.

[Le Diable quitte Eve et va vers l’Enfer. Adam

s’approche, mécontent et impatient.]

Adam- Dis-moi, femme, que te demandait le

méchant Satan? Que te voulait-il?

Eve- Il m’a parlé de notre honneur.

Adam- Ne crois pas le traître! C’est un traître, je

le sais.

Eve- Et comment le sais-tu?

Adam- Parce que je l’ai éprouvé.

Eve- Et que m’importe? Vois-le, il te fera

changer d’avis.

Adam-Il ne le fera pas, car jamais je ne le

croirai, sauf bonne preuve. Ne le laisse plus

t’approcher, il est de très mauvaise foi. Il a

voulu jadis trahir son seigneur et s’élever à sa

hauteur. Un misérable qui a fait cela, je ne veux

pas qu’il ait accès auprès de nous.

[A ce moment, un serpent bien machiné monte

le long du tronc de l’arbre défendu. Eve

approchera son oreille comme pour écouter ses

avis. Ayant reçu de lui une pomme, elle la

présentera à Adam; mais Adam ne la prendra

pas.1]

Eve- Mange, Adam; tu ne sais ce que c’est.

Prenons ce bien qui s’offre à nous.

1 Ces indications de scène étaient rédigées en

latin.

Adam- Est-ce tellement bon?

Eve- Tu le sauras, mais tu ne peux le savoir si tu

n’y goûtes pas.

Adam- J’ai peur.

Eve- Va.

Adam- Je ne veux pas.

Eve- Tu hésites par lâcheté.

Adam- Eh bien, je le prendrai.2

Eve- Mange, tiens. Grâce à lui, tu connaîtras le

bien et le mal. J’en mangerai la première.

Adam- Et moi après toi.

Eve- J’espère bien... J’y ai goûté. Dieu, quelle

saveur! Je n’ai jamais senti rien de si doux. Oh,

la saveur de cette pomme!

Adam- Vraiment?

Eve- Jamais homme n’y goûta. Mais voilà que

mes yeux voient tout. Je ressemble à Dieu tout-

puissant. Tout ce qui fut et qui doit être, je n’en

ignore rien. Tout est à moi. Mange, Adam,

n’attends pas, il est temps.

Adam- Je te croirai, tu as mon cœur.

Eve- Mange, tiens, et n’aie pas peur.

[Adam mord au fruit et tout aussitôt,

connaissant son péché, il se baisse pour se

cacher des spectateurs, ôte son vêtement

d’apparat, en revêt un de pauvre, fait de feuilles

de figuier. Puis il commence une longue

plainte.]

Adam- Hélas, me voilà mort, j’ai perdu mon

âme, comment rencontrer mon Seigneur? Ah,

Mort, pourquoi me laisses-tu vivre? Que le

monde se délivre de moi! Pourquoi s’encombre-

t-il de moi? En Enfer sera ma demeure, en Enfer

j’aurai ma vie... Malédiction est sur moi! Qui se

2 Remarquez comme Eve a habilement piqué

l’amour-propre d’Adam.

Page 3: La tentation

souciera de mon sort? J’ai manqué au Roi du

ciel!... A qui crier à l’aide, à qui, alors que ma

femme me trahit, elle que Dieu me donna pour

moitié! Ah! Eve! (il l’aperçoit) Femme

insensée! Pour notre malheur tu naquis de moi.

Que n’a-t-elle brûlé, la côte qui m’a mis en

pareille peine!... Quand on me l’a prise, que ne

m’a-t-on plutôt tué? La côte a trahi tout le corps.

Elle l’a livré au mal... Ah! Eve, quelle mauvaise

heure! J’ai péri par ton conseil, me voilà tombé

de la plus haute montagne au fond du ravin, qui

m’en tirerait si ce n’est le Dieu de Majesté? Que

dis-je, hélàs! Qui ai-je nommé? Il m’aiderait?

Je l’ai mis en colère. Seul à l’aide me viendra

celui qui de Marie naîtra... De personne je ne

sais prendre du réconfort, puisque l’accord avec

Dieu nous l’avons rompu. Alors, que Dieu fasse

à son gré! Pour nous il n’y a plus qu’à mourir.

[Ici le chœur entonne un verset de la Genèse,

mis en musique sur des paroles latines qui

signifient: <<Adam, où es-tu? etc.>>]