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La Terre Ne Se Meut Pas

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Raluca MOCAN

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    Pour citer cet article :

    Raluca MOCAN, La Terre ne se meut pas ,Alliage, n65 - Octobre 2009, , mis en ligne le 30 juillet 2012URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3371

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  • La Terre ne se meut pas Husserl contre Copernic

    Raluca Mocan

    Enseigne la philosophie luniversit Paris XII. ATER,elle prpare une thse sur la thorie husserlienne delimagination lpreuve de la reprsentation thtrale.Ses recherches portent sur la philosophie contemporaine,sur la philosophie des sciences et sur lhistoire de laphilosophie ancienne. Elle a publi notamment Lestransformations de la phantasia dans la Seconde Sophistique, Studia Universitatis Babes-Bolyai Philosophia, 2007,n 1-2.

    fr

    49-57

    Octobre 2009

    Un texte tardif de Husserl, crit en 1934, sintitule Renversement de la doctrinecopernicienne dans linterprtation de la vision habituelle du monde. Larch-originaire Terre ne se meut pas . Malgr le choix de lditeur en faveur dun titremoins controvers, Recherches fondamentales sur lorigine phnomnologique de laspatialit de la nature, la radicalit de laffirmation que la Terre ne se meut pas nousincite examiner la validit de largumentation.

    Pour la communaut scientifique, la perspective copernicienne sur le mouvementde la Terre est le symbole de la victoire de la science sur le sens commun et lareligion. Pour Husserl, toute science est galilenne. Husserl savait sans doute que sonaffirmation lgard de limmobilit de la Terre encourait le risque de la drision.

    Le fragment de Husserl sur la Terre a un statut controvers pour les exgtes. Doit-on le prendre au srieux ? Ou sagit-il plutt dun jeu de mots lorsque Husserlprsente une Archi-Terre immobile ? Parfois, les commentateurs croient ncessairedappeler lattention sur le fait que Husserl tait au courant des thories scientifiques,ou au moins prennent leur distance lgard de la position extrme de Husserl.Cependant, son point de vue est pris au srieux. Plus encore, le texte respecte si bienla mthodologie phnomnologique quil peut tre considr comme exemplaire. Ilcontient galement un argument puissant, que nous nous proposons dexaminer ici.

    Manifestement, une tension existe entre la perspective de Husserl et celle dessciences de notre poque. Cela ne signifie pourtant pas contradiction ou exclusionentre la perspective de la phnomnologie husserlienne et celle des thoriesscientifiques. Selon Husserl, la phnomnologie sarrte l o commence la science etfera le lien entre la ralit exprimente et la ralit thorique et exprimentale de lascience moderne. Cette tche est trs prsente dans linvestigation husserlienne sur laTerre. Pour ces raisons nous allons nous attarder sur le texte intitul Larchoriginaire Terre ne se meut pas en procdant en trois tapes : 1. Un rappel de quelques moments de lhistoire de lastrophysique2. Un aperu de lidal et du principe de la recherche phnomnologique3. Les consquences de lapplication de la mthode phnomnologique au cas de laTerre.

    lments dhistoire de lastrophysiqueLa perspective dAristote sur la Terre comme centre immobile a t rlabore au

    IIe sicle dans lAlmageste de Ptolme. Sa formulation gocentrique fut accepte

    1

  • pendant les mille quatre cents annes suivantes. Malgr les contestations du modlegocentriste par Da Vinci et Nicolas de Cues, cest seulement avec le Derevolutionibus orbium clestium (1543) de Copernic que la thorie de Ptolme a trellement carte.

    De nos jours, nous pensons souvent que la thorie de Copernic a t demblesuprieure celle de Ptolme. Cependant, certains historiens des sciences ontsoutenu que la dispute entre Ptolme et Copernic na jamais eu de solution lintrieur des sciences naturelles. Fred Hoyle affirme qu

    aujourdhui [en 1973] nous ne pouvons pas dire en un sens physiqueque la thorie de Copernic a raison et que celle de Ptolme a tort. Lesdeux thories sont... physiquement quivalentes. 1

    Hoyle admet que ce sont deux faons diffrentes darranger les mmes donnes,ouvrant le domaine de la thorie de la relativit.

    Un changement dcisif se produisit en 1687, avec la publication des Principia deNewton. Si la Terre est mise en mouvement, nous avons besoin de lespace non m, absolu , pour garantir lobjectivit de la description. Malgr le succs de la thoriede Newton, la perspective de la Terre comme corps en mouvement contre nospropres sens tait difficile admettre. Darwin crit :

    La croyance dans lexistence dune rvolution de la Terre autour deson propre axe tait jusqu il ny a pas longtemps difficilement attestepar des preuves directes. 2

    Lexprience du pendule de Foucault (1871) a t le pas dcisif pour lacceptationde la perspective copernicienne. Toutefois, la base scientifique du travail de Newtonavait t dj t mise en question. Dans les propres termes de Newton, le conceptdespace absolu devrait tre examin en termes scientifiques, tche qui nest pasaccomplie par les Principia. Selon Hegel, lerreur de Newton consiste essayerdexpliquer les concepts de la mtaphysique (espace, temps) lintrieur des sciencesnaturelles. Malgr cette critique, la recherche dun point de rfrence objectif pour lemouvement a continu. Les candidats Soleil, espace absolu, toiles ont failli trele rfrentiel final et unique de tout mouvement. Les sciences de la nature ont fini paraccepter la relativit du mouvement et lont formule comme principe cosmologique :chaque point de lunivers pourrait tout aussi bien servir comme rfrent dumouvement.

    Le point de vue de Copernic est devenu entre-temps fermement enracin dans laconscience de lhomme moderne. Essentiellement, la Terre est un corps. Cest cetaspect prcis et non pas les thories scientifiques en elles-mmes que Husserl met enquestion dans son manuscrit. Mme sil ne mentionne point la thorie de la relativitdEinstein, Husserl avait suivi dans une certaine mesure le dbat sur les aspectsphilosophiques de la physique. Husserl avait dirig la thse dhabilitation dOskarBecker, Beitrage zur phnomenologische Begrndung der Geometrie und ihrerphysikalischen Anwendung (1922-23), dans laquelle les sections finales (18-21)tentent dexpliquer les prsupposs dont la physique comme science positive nest pas(et ne peut pas tre) explicitement consciente.3

    En rsum, il y a eu, au cours de lhistoire, trois faons de comprendre la Terre :1. La Terre ne se meut pas. (Ptolme)2. La Terre se meut. (Copernic)

    1. Fred Hoyle, Nicolaus Copernicus, Suffolk Heinemann, 1973, p. 79.2. Charles Darwin, The Origin of Species by Means of Natural Selection or The Preservation of

    Favoured Races in the Struggle for Life, London Senate, 1994, p. 42. 3. Pierre Kerszberg lit le texte de Husserl sur la Terre comme alternative la thorie de la relativit.

    Voir son article The Phenomenological Analysis of the Earth's Motion , dans Philosophy andPhenomenological Research, n 48 (1987), pp. 177-208.

    2

  • 3. Le mouvement de la Terre dpend de lobservation. (Einstein)Observons que la perspective phnomnologique na pas de place parmi ces trois

    possibilits. Quand Husserl crit nous ne touchons donc pas la physique , il veutdire que la Terre, dans son sens originaire, nest pas situe parmi ces possibilits demouvement et de repos. Mais do vient la ncessit daboutir un concept originairede la Terre ? Par quels moyens thoriques peut-on y parvenir ?

    Lidal et le principe de la phnomnologieLidal de Husserl est la philosophie comme science rigoureuse lgard de tout ce

    qui apparat. Les lecteurs de Husserl confondent parfois cet idal avec le point dedpart des sciences exactes. Pourtant, lidal a plutt un effet contraire. Lexpos leplus clair de Husserl au sujet de la relation entre la phnomnologie et la science setrouve dans Lide de la phnomnologie, la fin de la premire leon :

    La validit objective de la connaissance exacte est devenue, quant son sens et sa possibilit, nigmatique et, par la suite, mme douteuse : laconnaissance exacte est par l devenue nigmatique tout autant que laconnaissance non exacte, la connaissance scientifique tout autant que laconnaissance prscientifique [] La plus rigoureuse mathmatique etscience mathmatique de la nature na pas, ici, la moindre supriorit parrapport une connaissance, relle ou suppose telle de lexpriencecommune. [] La philosophie [rside] dans une dimension nouvelle lgard de toute connaissance naturelle; et cette dimension nouvellerpond [] une mthode nouvelle, foncirement nouvelle, qui soppose la mthode naturelle. Celui qui le nie na rien compris cette dimensiondes problmes propre la critique de la connaissance, et na parconsquent rien compris non plus ce quen vrit veut et doit vouloir laphilosophie, et ce qui lui donne, face toute connaissance et sciencenaturelle, son caractre et sa justification propres. 4

    Les philosophes sont parfois tents de prendre comme point de dpart les plushautes formes de connaissance : logique formelle, mathmatiques suprieures,physique mathmatique. Ce nest pas le cas de Husserl, qui estime quil fautcommencer en un sens radical. Ltrange possibilit dun dsaccord avec laperspective de Copernic sur la Terre devient donc une illustration de cette radicalitdu commencement, fonde sur lvidence immdiate de lexprience vcue.

    Quels sont les principes de mthode propres la phnomnologie ? Le principefondamental de toute connaissance est introduit dans Ideen I :

    ...toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour laconnaissance ; tout ce qui soffre nous dans l intuition de faonoriginaire (dans sa ralit corporelle pour ainsi dire) doit tre simplementreu pour ce quil se donne, mais sans non plus outrepasser les limites danslesquelles il se donne alors. 5

    Un conseil mthodologique est retenir : quand nous tudions quelque chose, nousdevons accepter seulement ce qui est donn dans sa prsence personnelle vivante etactuelle, in seiner leibhaften Wirklichkeit.

    Une reformulation de ce principe se trouve dans les Mditations cartsiennes(quinze ans aprs Ideen I) :

    Je ne dois pas faire ou accepter des jugements... que je nai pasdrivs de lvidence, ni des expriences dans lesquelles les choses et lescomplexes de choses en question ne sont pas prsentes comme eux-mmes. 6

    4. Husserl, Lide de la phnomnologie, trad. A. Lowit, Paris, PUF, 1970, pp. 47-48.5. Husserl, Ides directrices pour une phnomnologie, trad. Paul Ricur, Paris, Gallimard, 1950,

    p. 78, 24, Le principe des principes .6. Husserl, Mditations cartsiennes, trad. D. Cairns, p. 13.

    3

  • Autrement dit, je dois faire lexprience des choses mmes. Le principe est simpleet il semble presque aller de soi, mais sil est appliqu avec rigueur, les rsultatspeuvent surprendre. Le texte sur la Terre lexemplifie.

    La Terre est-elle un corps ?La perspective de notre culture et poque est rsume ainsi :

    Nous coperniciens, nous hommes des temps modernes, nous disons :la Terre nest pas la nature entire, elle est une des toiles de lespace infinidu monde. La Terre est un corps de forme sphrique qui, certes, nest pasintgralement perceptible dun coup et par un seul, [..] mais nest pasmoins un corps ! 7

    Pour Husserl, lessence de la rvolution copernicienne nest donc pas le doublemouvement de la Terre, mais la vue derrire cette thorie, la Terre comme corps. Et sitout ce qui apparat a aussi un mode dapparatre originaire, il faut lexaminer ensappuyant sur les principes de la dmarche phnomnologique noncs auparavant.Un corps apparat originairement comme situ un endroit, en mouvement ou enrepos. Et la Terre, comment nous apparat-elle ? Son mode dapparatre nest passemblable celui dun corps. La Terre telle que nous la voyons normalement nestpas situe un endroit et ninclut pas un horizon de mouvement ou de repos.

    Le point de dpart de largumentation de Husserl est de voir que, telle quelle estconstitue dans notre exprience, la Terre nest pas une chose.

    La Terre en elle-mme, dans la forme originaire de reprsentation, nese meut ni nest en repos, cest dabord par rapport elle que mouvementet repos prennent sens. 8

    Aucun de nous (y compris Copernic) ne voit la Terre se mouvant comme un corps.Il ne sensuit pas que la thorie de Copernic soit fausse. Nous remarquons juste quecette thorie nest pas un point de dpart lgitime pour une recherchephnomnologique sur la Terre.

    Les niveaux de constitution sont les suivants :(B) Le point de vue de Copernic sur la Terre comme plante, comme corps enmouvement.(A) Une vue originaire sur la Terre, en relation avec laquelle les choses peuvent semouvoir, mais qui en elle-mme nest pas une chose et donc ne peut pas se mouvoir.

    Mme si normalement nous nous satisfaisons de partir du niveau B, les principesphnomnologiques nous obligent de partir du niveau A, plus originaire et plusprimitif. Le problme serait maintenant de comprendre comment la Terre en tantque corps a acquis une validit constitutive . Comment seffectue donc la transitionentre le niveau A, de la Terre exprimente, vers le niveau B, de la vue copernicienne ?Nous devrons ne pas sparer la vue copernicienne des considrations intuitivessur lespace et le temps. Ainsi, un niveau intuitif, une investigation sur lespacesignifie une considration du lieu, du repos et du mouvement. Il nous faut donccommencer par considrer la Terre en relation avec lintuition dun seul corps situdans un endroit.Le rsultat est que les corps se meuvent ou peuvent se mouvoir en relation avec laTerre-sol. Pour les corps, il y a des horizons ouverts de mouvements possibles,profondment ancrs dans notre monde effectif (wirklich).

    7. Husserl, La Terre ne se meut pas, trad. D. Franck, D. Pradelle et J.-F. Lavigne, Paris, Minuit,1989, p. 12.

    8. Ibid.

    4

  • Le repos se donne comme quelque chose de dcid et dabsolu, toutcomme le mouvement : et ce au niveau de la strate premire en soi de laconstitution de la Terre comme sol. 9

    Pourtant, Husserl crit juste aprs que dans ce rsultat il y a un aspect dans lequeltout nest pas dcid . Cet aspect non dcid est la perspective copernicienne. Sinous admettons que la Terre devient un corps-sol , il sensuit que

    repos et mouvement cessent dtre absolus. Mouvement et reposdeviennent ncessairement relatifs. 10

    En dautres termes, en admettant que la Terre est un corps, nous entronsncessairement dans une vue relative sur le mouvement et le repos.

    Y a-t-il dbat ce sujet ? Peut-on nier la relativit du mouvement et du repos ? Sily avait un diffrend sur la relativit ou la vue absolue du mouvement et du repos, ceserait donc sur la question de savoir si la Terre est un corps ou nest pas un corps. Caren acceptant que la Terre est un corps, le diffrend prend fin et la seule alternativerestante est la thorie de la relativit. La question qui demeure est si la perspectivecopernicienne sur la base de la thorie de la relativit est valide. Cette vue sur la Terreest-elle seulement une thorie, ou bien la Terre est-elle vraiment constitue comme uncorps ?

    Dun point de vue phnomnologique, la constitution de la Terre et celle duncorps sont tellement diffrentes quil est trange daffirmer que la Terre est un corps.Pour Husserl, le concept de corps a le sens dune chose qui peut se mouvoir outre en repos. En revanche, le concept de Terre-sol est ce par rapport quoi les corpspeuvent se mouvoir ou tre en repos. Afin de comprendre la naissance ducopernicianisme, une troisime possibilit est requise : le corps-sol.

    Il y a donc trois niveaux fondamentaux en relation au mouvement et au repos :1. Ts : la Terre-sol2. cs : le corps-sol3. c : le corps.

    Il sajoute mon corps anim, que je peux mouvoir, et les autres corps anims,potentiellement mobiles.

    Selon Luther, lerreur de Copernic est de considrer la Terre selon le modle dunvhicule (bateau, voiture) et de prendre la Terre-sol pour un corps-sol. Cest ainsi queHusserl comprend lorigine du copernicianisme. Cela na pas de sens daffirmer quela Terre-sol est un corps, comme elle napparat jamais comme un corps. Pourtant,nous pouvons imaginer que la Terre-sol est comme un vhicule qui se meut danslunivers. Au lieu de dire directement que Ts=c, Copernic affirme dabord Ts=cs,et cs=c. Il sensuit que Ts=c. Est-ce une constitution phnomnologiquement valide ?

    Dans le 21 de la Troisime recherche logique , Husserl crit : Un contenu de lespce A est fond dans un contenu de lespce B

    quand un A, par essence (cest--dire par une loi, en vertu de son caractrespcifique), ne peut exister sans que nexiste aussi un B. 11

    La relation entre la Terre-sol et les corps en mouvement est-elle une relationessentielle semblable ? Le titre du manuscrit, Recherches fondamentales , suggreune relation de fondation. Husserl crit :

    La Terre [...] rend possible le sens de tout mouvement et tout reposcomme mode du mouvement.

    Un corps est quelque chose qui est soit en mouvement, soit en repos et cest travers la Terre quun corps reoit son tat de mouvement. Lexistence de tout corps

    9. Ibid., p. 14.10. Ibid.11. Husserl, Troisime recherche logique dans Recherches logiques, tome 2. Recherches pour

    la phnomnologie et la thorie de la connaissance , Deuxime Partie : Recherches III, IV, V, trad. H.Elie, A.L. Kelkel et Ren Schrer, Paris, PUF, p. 61.

    5

  • comme quelque chose qui se meut ou est en repos se fonde sur lexistence de la Terre.Il sensuit que la Terre peut tre un corps et peut se mouvoir seulement sil y a uneterre par rapport laquelle la Terre recevra sa signification de corps.

    La Terre arch originaire est sdimente en dessous des strates de la connaissancetoujours renouvele. La tche du phnomnologue est de puiser travers ces stratesde sdimentation et daboutir au niveau original de constitution. Le cas dumouvement de la Terre savre plus compliqu que dautres objets de rflexion de laphnomnologie, tels les nombres. Le point de vue de Copernic sur la question nestpas construit sur notre exprience, mais la nie compltement. Cest dans cette absencede connexion entre les thories scientifiques et lexprience vcue que Husserl avaitvu une crise de la science.

    Le statut de la Terre comme quasi-objet, un objet sans position dans la physique, nesignifie pas ncessairement que la constitution de la Terre ne soit pas relle pour nous.Le monde prscientifique dans lequel nous vivons, malgr toutes les thories que nousapprenons, ne peut pas devenir lobjet des sciences naturelles. Ceci est manifeste dansle cas de la Terre originaire. Jacques Derrida crit :

    ... si une science objective des choses terrestres est possible, unescience objective de la Terre elle-mme, sol et fondement de ces objets, estaussi radicalement impossible que celle de la subjectivit transcendantale.La Terre transcendantale nest pas un objet et ne peut jamais le devenir. 12

    ConclusionLa vue copernicienne sur la Terre de lattitude naturelle et des sciences de la nature

    est juste en son sens, et Husserl nessaye pas de nier cela. Pourtant, linverse estgalement vrai : lvidence exprimentale des sciences naturelles ne peut pas rfuterla perspective phnomnologique. Une solution possible serait de diviser le concept de Terre : dun ct, nous avons laTerre en tant que corps, la Terre copernicienne. De lautre, nous avons la Terreoriginaire de notre exprience, laquelle nest pas un corps. Dune part, la Terre peuttre envisage en qualit dobjet plusieurs titres, selon les diffrentes sciences quiltudient : gographie, gologie, astronomie. En tant quobjet, la Terre supposeplusieurs chemins dexprience qui y donnent accs et diffrentes idalisations (etschmas de comprhension) spcifiques chaque domaine. Ainsi, le nom Terre sapplique plusieurs objets idels : corps cleste ou systme des mers, dplacementstectoniques, lieu dhabitation, de rpartition des populations ou des ressources.Mais, dautre part, la Terre est arch pour un type dexprience. Et dans ce deuximesens, elle nest pas un objet, mais ce qui accompagne toutes nos expriences dedonation primaires, la perception et tous les actes fonds sur ces expriences(expressions, jugements, significations ou valuations). Le concept thmatique de Terre appartient donc une ample analyse portant sur lesconditions daccs lexprience. Cette question revenant dans les annes 1935-1938roriente la notion du monde de la vie (Lebenswelt) dans une organisationintellectuelle bipolaire, o le monde fonctionne comme horizon et la Terre comme sol.Cela nous amne au point de vue de lexprience dtres humains incarns et non plusde la subjectivit transcendantale pure.

    Le cas de lanalyse sur le mouvement de la Terre est exemplaire et il nous permetde statuer au terme de ce parcours sur le rapport entre la phnomnologie et lascience : chez Husserl, il ny a pas refus de la thorie copernicienne du mouvement dela Terre, et encore moins y a-t-il rejet de la science mathmatique de la nature.

    12. Derrida, Introduction Lorigine de la gomtrie de Husserl, Paris, PUF, 1962, p. 79.

    6

  • Simplement, ct de la science mathmatique de la nature, il y a la phnomnologietranscendantale au sens dune phnomnologie scientifique. Husserl critique lecaractre absolu dun modle de scientificit afin dintroduire la possibilit dunescience du monde vcu et dune ontologie du monde de la vie.

    7

    lments dhistoire de lastrophysiqueLidal et le principe de la phnomnologieLa Terre est-elle un corps?Conclusion