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1 ENSAPM – Département Transitions – Séminaire de recherche – Année 2015-2016 La transpiration des bâtiments : rafraîchir les surfaces bâties par stratégie d’évaporation Mathilde Avinée* *Etudiante ENSAPM, MASTER 1, 14 rue Bonaparte, 75006 Paris RÉSUMÉ. Cette étude porte sur les stratégies de refroidissement des bâtiments par évaporation et passe en revue les recherches récentes menées sur les différents matériaux et leurs applications prévues à cet effet. La transpiration est l’une des stratégies de refroidissement utilisée par les mammifères. Dans le contexte d’un environnement toujours plus chaud et frappé par le phénomène des ilots de chaleur urbains, comment cette stratégie est-elle aujourd’hui transposée ? Les recherches en technologies constructives portent sur des systèmes « intelligents » qui évoluent en fonction de stimuli externes, qu’on appliquerait majoritairement aux toits de nos bâtiments inertes. Les matériaux investigués concernent autant des matériaux naturels que synthétiques, explorant les argiles aux hydrogels. MOTS CLÉS : refroidissement des bâtiments, matériaux poreux, argiles modifiées, sépiolite, hydrogels conventionnels et intelligents. 1. Introduction Plus de la moitié de la population actuelle vit dans les villes. Selon un rapport de l’ONU daté de 2014[Rapport ONU 2014] , 54% de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones urbaines, et cette proportion devrait dépasser 66% en 2050. L’organisation et l’aménagement des villes est stratégique pour contrôler les énergies et les consommations, notamment en contrôlant les systèmes de climatisation et de chauffage qui sont les principaux consommateurs d’énergies dans les bâtiments aujourd’hui. De nombreuses études actuelles [VARDOULAKIS, 2011, 2012, 2013] portent sur des systèmes de rafraîchissement passifs appliquées en particulier sur les toits et façades des bâtiments. Ces derniers jouent en effet un rôle important dans la

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1 ENSAPM – Département Transitions – Séminaire de recherche – Année 2015-2016

La transpiration des bâtiments : rafraîchir les

surfaces bâties par stratégie d’évaporation

Mathilde Avinée*

*Etudiante ENSAPM, MASTER 1, 14 rue Bonaparte, 75006 Paris

RÉSUMÉ.

Cette étude porte sur les stratégies de refroidissement des bâtiments par évaporation et passe en revue les recherches récentes menées sur les différents matériaux et leurs applications prévues à cet effet. La transpiration est l’une des stratégies de refroidissement utilisée par les mammifères. Dans le contexte d’un environnement toujours plus chaud et frappé par le phénomène des ilots de chaleur urbains, comment cette stratégie est-elle aujourd’hui transposée ? Les recherches en technologies constructives portent sur des systèmes « intelligents » qui évoluent en fonction de stimuli externes, qu’on appliquerait majoritairement aux toits de nos bâtiments inertes. Les matériaux investigués concernent autant des matériaux naturels que synthétiques, explorant les argiles aux hydrogels.

MOTS CLÉS : refroidissement des bâtiments, matériaux poreux, argiles modifiées,

sépiolite, hydrogels conventionnels et intelligents.

1. Introduction

Plus de la moitié de la population actuelle vit dans les villes. Selon un rapport de

l’ONU daté de 2014[Rapport ONU 2014] , 54% de la population mondiale vit

aujourd’hui dans des zones urbaines, et cette proportion devrait dépasser 66% en

2050.

L’organisation et l’aménagement des villes est stratégique pour contrôler les

énergies et les consommations, notamment en contrôlant les systèmes de

climatisation et de chauffage qui sont les principaux consommateurs d’énergies

dans les bâtiments aujourd’hui.

De nombreuses études actuelles [VARDOULAKIS, 2011, 2012, 2013] portent sur

des systèmes de rafraîchissement passifs appliquées en particulier sur les toits et

façades des bâtiments. Ces derniers jouent en effet un rôle important dans la

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régulation et le contrôle des énergies et leurs déchets, puisqu’ils forment un filtre

entre l’environnement extérieur et intérieur. Les bâtiments actuels sont inertes alors

que leur environnement change ; l’innovation actuelle dans la technologie

architecturale tend à créer des enveloppes adaptatives, changeant continuellement

face aux stimuli extérieurs.

Les villes sont de plus en plus chaudes comparées aux zones rurales ; à Athènes, des

écarts de 10°C peuvent être enregistrés entre la ville et les villages environnants

[KARAMANIS]. La ville de Paris est en moyenne plus chaude de 2,5°C par rapport

à sa périphérie [rapport météo France].

Ces différences de températures relevées en zone urbaine comparées aux

températures relevées des zones rurales sont en fait appelées « ilots de chaleur

urbains ». Ces derniers sont le résultat d’une accumulation de chaleur en ville,

principalement causée par sa forme et de la densité de ses bâtiments. Ils font, en

effet, barrière au vent et donc aux faibles déplacements de chaleur accumulée. De

plus, la perméabilité des surfaces bâties et l’usage de matériaux qui absorbent et

stockent les radiations solaires augmentent cette accumulation de chaleur et diminue

l’effet d’évaporation qui permettrait de les de refroidir. A cause du manque d’aires

végétales, l’évapotranspiration de la ville de Tokyo a été réduite de 38% de 1972 à

1995[KARAMANIS]. Enfin, la chaleur produite par les activités humaines et celle

des industries sont également des facteurs affectant cet effet d’ilot de chaleur.

Ce phénomène a pour conséquence l’augmentation de la consommation d’énergie

pour faire fonctionner l’air conditionnée, afin de réduire l’inconfort thermique

engendré à l’intérieur des bâtiments. En plus d’un impact environnemental lourd, il

est également la cause d’un lourd bilan financier.

De nombreuses solutions ont été proposées pour réduire ce phénomène, la première

recommandant de diminuer l’activité anthropogène. En réalité, la solution réside

dans une combinaison de mesures, notamment en terme d’aménagement urbain ;

choisir des matériaux de revêtement qui peuvent participer à l’augmentation de

l’albédo (pouvoir réfléchissant), introduire des espaces plantés pour diminuer le

rayonnement solaire direct et incident, et favoriser les surfaces perméables à l’eau

qui permettent des échanges thermiques par évaporation.

Geler des espaces d’une ville se révèle être un pari difficile à tenir quand on connait

la convoitise et la valeur grandissante de ses terrains.

Au contraire, se servir du bâti existant est une bonne solution ; « Cities are part of

the climate change problem, but they are also a key part of the solution » [LOPEZ M

et al. 2015].

Mon étude se développe en 2 parties, l’une est consacrée aux matériaux naturels

poreux et leurs dérivés, investigués par l’équipe grecque dirigée par E.Vardoulakis,

et destinés à l’application en toit pour rafraîchir le bâti existant. Mon objectif est de

faire l’inventaire des matériaux les plus adaptés, ainsi que d’étudier les protocoles,

les conditions des expérimentations menées, et d’évoquer les notions de base à

intégrer.

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La deuxième partie de mon développement concerne les hydrogels, avec l’étude de

l’équipe d’A.Rotzetter. Ce matériau synthétique « intelligent » se révèle

particulièrement pertinent pour un refroidissement des surfaces des bâtiments par

évaporation d’eau stockée.

Je terminerai avec l’exemple d’une expérimentation qui hybride les matériaux

précédemment énoncés, matériau naturel et matériau synthétique (argile et hydrogel)

pour créer une tuile rafraichissante. Cette expérience, menée par des étudiants

espagnols en 2014, est prometteuse mais nécessite d’être améliorée, au vue des

différentes lectures que j’ai effectuées. Cela pourrait constituer le point de départ

d’une expérimentation personnelle.

2. Phénomène de refroidissement par évaporation

La capacité à transpirer permet aux mammifères de vivre sous des températures

dépassant les 25°C grâce au réglage de la température de leur corps : le système

nerveux envoie un signal aux glandes sudorales, qui relâchent l’eau par les pores de

la peau, permettant à la sueur d’évacuer l’excès de chaleur dans l’air. Par cette

action, le corps évacue en moyenne une énergie de 580Kcal par litre de sueur. L’eau

en surface de la peau est sous sa forme liquide, où les molécules d’eau sont agitées

(liquide chaud). Au fur et à mesure, certaines molécules s’échappent sous forme de

vapeur au contact de l’air ambiant. Les molécules restantes en phase liquide

s’agitent moins, le liquide se refroidit. Cette eau rafraichit le sang près de la surface

et la température corporelle diminue. [video maxiscience.com]

Pour que le refroidissement soit possible, il faut que le degré d’humidité relative soit

inférieur à 100%. L’humidité relative (RH) est le rapport en pourcentage de la

quantité de vapeur d'eau contenue dans l'air sur la quantité de vapeur d'eau maximale

possible. [METEOFRANCE] L'humidité relative d'une masse d'air varie donc avec la température de l'air : plus l'air est chaud, plus il peut contenir d'eau sous forme

vapeur. Inversement, quand l'air se refroidit la vapeur condense et forme des

gouttelettes d'eau liquide. Lorsque la température augmente, en journée, l'humidité

relative diminue. Le développement de moisissure est propice dans une humidité

relative supérieure à 80%, l’activité bactérienne à une HR supérieure à 93%.

3. Application en architecture : où ? quoi ?

La technique de refroidissement par évaporation est bien connue et déjà utilisée pour

refroidir passivement les bâtiments, et plusieurs articles en font état [BADARNAH

L 2012 ; KARAMANIS. D 2013] en utilisant par exemple les matériaux à

changement de phase, des films fins retenant de l’eau ou encore mettant en place des

systèmes architecturaux, comme les tours à air frai de la célèbre Council House 2 à

Melbourne en Australie, où l’air traversant les tours se rafraichit via l’évaporation

HR (%) = (Pression de vapeur d’eau dans l’air considéré / Pression

vapeur d’eau max) x 100

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des gouttelettes et permet une réduction remarquable de température de l’air qui

passe de 35°C à 21°C.[BADARNAH L 2012].

L’étude présentée ici se concentre sur des stratégies de refroidissement du bâti par

des systèmes applicables en toit.

Les toits des bâtiments sont des surfaces clés pour l’échange de chaleur dans l’environnement urbain, car ils représentent plus de 20% des surfaces de la ville

exposées aux radiations solaires chaque jour pendant plusieurs heures. Dans les

zones arides, jusqu’à 50% de la chaleur accumulée par le bâtiment provient du toit

[KARAMANIS, 2012]. Il est donc important de comprendre et de réduire ce

mouvement de chaleur et de stockage pendant le cycle d’une journée.

Les pistes abordées jusque-là ont été l‘utilisation des technologies de toits

réfléchissants de toits végétaux. Bien que le cout des toits végétaux ait baissé, leur

application reste limitée du fait du besoin d’eau pour les irriguer leur cout de maintenance.

Par conséquent, de nouveaux matériaux plus efficaces doivent être produits et

développés pour réduire sensiblement les flux de chaleur dans l’atmosphère..

4/ Matériaux les plus adaptés pour une stratégie de refroidissement par évaporation en toit Les études successives menées par l’équipe E.VARDOULAKIS [KARAMANIS et

al. 2012] mettent en lumière les matériaux naturels et leurs dérivés les plus adaptés

pour un système d’évaporation rafraîchissante :

-Les matériaux naturels : sable, cendres volcaniques, graviers, argile silicieuse

-Les produits dérivés de l’industrie, matériaux poreux inorganiques : silice, zéolithe,

et argiles

-Les matériaux synthétiques à structure complexe : argiles modifiées (pontée) Chacun de ces matériau présente en fait une grande hygroscopicité (propriété

d’adsorber l’humidité de l’air) et un albédo intéressant. Ce sont ces matériaux

poreux qu’il faut utiliser pour reproduire un système de transpiration des bâtiments ;

« En suivant le principe de refroidissement par évaporation, l’eau de pluie ou

l’humidité pourrait être absorbée dans ces matériaux poreux pendant des épisodes

pluvieux ou pendant des nuits très humides. L’eau stockée à l’intérieur de petits

pores ou dans les chaines dans des matériaux poreux serait réversiblement relâchée

pendant un jour ensoleillé. L’humidité stockée dans les pores relâchée maintiendrait la surface de toit à une température faible grâce à la chaleur latente de l’eau en

évaporation»[KARAMANIS et al.2012].

4.1/ Porosité : détermination et classement des différents matériaux

L’hygroscopicité du matériau est donc un facteur clé, déterminant son efficacité en

vue d’une stratégie d’évaporation en toit.

Les propriétés de sorption d’un matériau dépendent de la géométrie de ses pores, de

leur rayon (de leur taille), de leur distribution. Elles dépendent également de la charge de surface et de la température de surface).

Il existe un classement des caractères hydrophiles des matériaux qui se base sur les

isothermes de sorption.

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Une isotherme de sorption correspond à la teneur en eau d’un matériau en fonction

de l’humidité relative de l’air, à une température donnée. Les isothermes

d’adsorption se calculent à partir d’un produit sec, les isothermes de désorption à

partir d’un produit saturé en eau. L’isotherme de désorption correspond ainsi à la

limite de teneur en eau d’un produit en fin de séchage. En d’autres mots, connaitre l’isotherme de sorption est important car cela revient à

connaitre les capacités maximum du produit « à être imbibé » ou « séché », en

somme à connaitre son caractère hydrophile.

Les isothermes d’adsorption sont classés précisément par l’IUPAC (Union

Internationale de Chimie Pure et Appliquée) qui a établi 6 types différents

d’isothermes correspondant chacune à un type différent d’interaction et de porosité

(par exemple, le gel de silice hautement hydrophile est de type I).

[UIPAC classement]

Il est courant également de distinguer les différents matériaux poreux hydrophiles en

fonction de la grandeur de leurs pores [UIPAC] (un même matériau peut présenter

plusieurs types de pores) :

Micropores ( x<= 2nm) < Mésopores (2nm<x<50nm) < Macropores(x>50nm)

(avec x la taille des pores du matériau)

L’étude menée en 2013 [KARAMANIS, 2013] met en évidence le fait que les

matériaux mésoporeux, reproduisent le phénomène de transpiration de la peau : « le processus exothermique de condensation par capillarité est observé, avec

l’apparition d’un état liquide dense […] Par conséquent, après une nuit adsorption

de vapeur d'eau et de condensation capillaire, l'eau liquide dans les mésopores seront

évaporés et désorbés ». De cette manière, la température de ces matériaux

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mésoporeux pourrait être hautement réduite après ces transformations même sous de

faibles radiations solaires.

4.2. Argiles conventionnelles et argiles modifiées

[VARDOULAKIS E. 2011]

Une première étude [2011] compare les capacités de sorption de terre, de pierre

poreuse, d’argile de montmorillonite (type d’argile) et d’argile modifiée (argile

pontée ou dites argiles à piliers) pour une application en toit afin de rafraichir par

évaporation d’eau adsorbée.

Les argiles pontées sont des argiles dont on a modifié la structure chimique. C’est

une opération d’introduction d’une espèce minérale entre les feuillets d’argile, qui a

pour conséquence d’améliorer le gonflement de l’argile.

L’étude est une comparaison des échantillons, qui subissent de manière cyclique des

pics de chaleur suivis de pics d’humidité relative à 12h d’intervalle. Cela reproduit

en laboratoire les conditions naturelles de rayonnements solaires de jour et

d’évaporation des sols de nuit.

L’équipe utilise notamment en un tunnel à vent, composé de 5 parties.

[VARDOULAKIS 2011]

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Les 4 matériaux ici testés ont permis de déterminer les capacités de sorption de

l’humidité à basse et haute pression, afin de mesurer le refroidissement par

évaporation possible.

L’argile est un matériau concurrentiel et intéressant pour l’utilisation en toit ; sa température de surface était moindre que la terre et la pierre poreuse.

L’argile modifiée (pontée) a présenté un caractère encore plus hydrophile que

l’argile conventionnelle, assurant en seulement 12h sa pleine désorption.Sses

capacités de sorption sont plus efficaces. D’autre part, sa couleur rouge-blanche

présente un albédo plus faible que l’argile conventionnelle de couleur marron.

L’argile modifiée a démontré une température de surface inférieure à tous les

échantillons, en moyenne plus fraiche de de 3.8°C. D’après les résultats, l’argile

modifiée semble avoir un potentiel significatif dans l’application de matériaux pour refroidissement par évaporation.

La sépiolite, quant à elle, est une argile de structure fibreuse. [VARDOULAKIS

2012]. Elle est le minéral naturel le plus absorbant qui existe. En prenant les

avantages en terme de porosité de la sépiolite, avec une haute capacité de sorption

d’humidité pendant la nuit et de désorption pendant le jour, les surfaces du matériau

peuvent être rafraichies par l’évaporation de l’eau. Les tests du tunnel à vent ont

révélé une réduction de 5°C pour la sépiolite, par rapport à la température maximale

atteinte par un échantillon de béton.

En diminuant la température des surfaces du toit on diminue aussi le transfert de

chaleur à l’intérieur du bâtiment. Les matériaux poreux peuvent aussi, de la même

manière qu’une plante utiliser le système d’évapotranspiration, utiliser l’énergie de

son environnement en pour évaporer l’eau stockée [LOPEZ 2015]. Les argiles sont

des matériaux qui pourraient être utilisées pour stocker l’humidité dans les

enveloppes des bâtiments, afin de mitiger l’effet d’ilot de chaleur urbain.

5. Hydrogels conventionnels et intelligents

Ma recherche sur les « matériaux actifs » réagissant à l’humidité m’a conduit à

explorer la piste des hydrogels, ces matériaux « hautement absorbants, qui peuvent

stocker de grandes quantités d’eau et qui possèdent un degré de flexibilité similaire

aux tissus naturels du fait de sa haute teneur en eau » [LOPEZ M et al. 2015].

Les hydrogels sont des gels intelligents basés un réseau tridimensionnel de chaines

de polymères capables de gonfler dans l’eau, tout en conservant leur structure. Ils

sont capables d’absorber jusqu’à 1 millier de fois leur poids sec en eau [ENSAIT GENT, 2012].

La capacité des hydrogels à absorber l’eau provient de leur structure chimique, plus

précisément de leurs groupes fonctionnels hydrophiles. Pendant ces deux dernières

décennies, les hydrogels naturels ont progressivement été remplacés par les

hydrogels synthétiques, qui ont des durées de vie plus longues, des capacités

d’absorption plus intéressantes et des résistances plus grandes. [AHMED E.N.

2015]. L’alginate, le chitosan, le collagène et la gélatine sont des exemples

d’hydrogels naturels. Les polypeptides, le polyéthylène sont des hydrogels synthétiques.

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Les hydrogels se différencient des autres matériaux polymères par leurs propriétés

uniques de forme et de comportement, souple et fortement chargés en eau.

[AGUILAR M.R. 2007]

Pendant le gonflement, les chaines de polymères se séparent ; les interactions entre

les chaines du réseau s’affaiblissent. Dans l’état déshydraté, les chaines de

polymères sont rapprochées. Les hydrogels fortement réticulés ont une structure plus

compacte et serrée et gonflent moins que les hydrogels dont le réseau est plus lâche

(là où il y a moins de nœuds de réticulation). Ainsi, le degré de réticulation affecte le comportement au gonflement du réseau de polymères.

Aujourd’hui on explore les matériaux capables de s’adapter, de répondre à leur

environnement changeant en modifiant leur structure. Ces matériaux ont été

qualifiés de « smart materials ».

La différence entre les hydrogels conventionnels et sensibles aux stimuli est

dépendante du degré « d’intelligence » des polymères les constituant. Les polymères

intelligents ont la capacité de répondre à de faibles changements de leur environnement physiologique ou biologique en changent de volume en se gonflant

ou en se rétractant. Les polymères thermo répondants, ont la capacité de répondre

aux changements de températures.

La plupart de ces matériaux polymères qui subissent une phase de transition de

solubilité en réponse aux changements de température démontrent une LCST,

température critique inférieure de solubilité. La LCST peut être modulée par des

interactions supra-moléculaires.[DE LA ROSA V. al. 2015]

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5.1. Tapis transpirant de toiture, utilisation d’un polymère thermo-répondant

[ROTZETTER A.2012]

L’équipe de l’université de Delft en 2012 a testé un polymère thermo répondant afin

de créer une surface transpirante, constituant un moyen efficace pour rafraîchir les

bâtiments.

Pour cette étude, l’équipe a utilisé le Poly(N-isopropylacrylamide), soit le PNIPAM,

polymère thermo-répondant le plus célèbre, dont la température critique inférieure

de solubilité LCST est autour de 32°C.

A cette température, le PNIPAM suit une phase de transformation d’un état gonflé et

hydraté à un état hydrophobe libérant ainsi l’eau stockée et réduisant son volume

global. Ce phénomène reproduit le phénomène de transpiration de la peau : à haute

température, le tissu est capable de relâcher l’eau qu’il contient afin de la faire

s’évaporer et ainsi refroidir ses surfaces.

L’équipe a conçu deux tapis d’hydrogels distincts : l’un est un tapis d’hydrogel

conventionnel (pHEMA), l’autre d’un hydrogel thermo répondant. Les deux tapis

ont été appliqués en toit sur des « maquettes » de maisons, appliqués sur une plaque de pvc et recouverts d’une membrane de polycarbonate. Cette membrane est utilisée

pour protéger l’hydrogel de l’abrasion.

Les calculs effectués par les chercheurs montrent que le toit d’ « une maison

familiale » nécessite de 3kg d’eau par m² pour se refroidir pendant un après-midi

ensoleillé. Cela correspondrait à appliquer une couche de tapis d’hydrogel d’une

épaisseur de 3mm seulement (en considérant une énergie d’évaporation à 2.3 MJ kg-1 H2O, et une irradiation d’une valeur de 750 Wm-2 à midi).

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L’étude met en évidence l’inertie thermique de l’hydrogel thermo répondant : le

matériau retarde à chauffer, maintenant un écart moyen de 15°C par rapport à la

couche d’hydrogel conventionnel.

Elle démontre également qu’un hydrogel conventionnel est moins efficace qu’un

hydrogel thermo-répondant, notamment parce que l’hydrogel conventionnel finit par obstruer ses pores de surface et ainsi limiter le phénomène de sorption de l’eau.

L’hydrogel thermo-répondant reste peu investigué dans le domaine de la

construction, bien qu’il démontre des propriétés intéressantes pour une stratégie de

refroidissement pour les surfaces bâties, que son prix soit abordable et les

connaissances à son sujet soient étendues. L’équipe de chercheurs estime qu’une

maison typique pourrait économiser plus de la moitié des énergies consommées en

un an. La capacité infinie de l’hydrogel thermo répondant à se régénérer le distingue des hydrogels conventionnels.

5.2 Conclusions et limites

Il apparait une première limite dans l’application des hydrogels conventionnels : ils

s’obstruent et empêchent la transpiration. D’autre part, la membrane de

polycarbonate utilisée pour recouvrir et protéger les tapis d’hydrogels a fini par

jaunir et casser sous l’exposition répétée aux rayons UV. Enfin, Le rechargement des surfaces en eau dépendant d’une irrigation fréquente :

les climats tropicaux sont les plus adaptés. Il faut hybrider les hydrogels pour

développer des matériaux capables d’adsorber l’eau la nuit dans les autres climats.

5.3. Projet « hydrocéramique »

[MITROFANOVA E. et al, 2014]

Des étudiants espagnols de l’ « Institute for advanced architecture of catalonia »,

Akanksha Rathee, Elena Mitrofanova, Pongtida Santayanon, ont expérimenté en

2014 une tuile hybride, qui reprend à la fois les propriétés de sorption de l’argile couplées à celles de l’hydrogel.

L’expérience a consisté à créer une tuile de céramique avec des billes d’hydrogel

(qu’on trouve communément dans le commerce, pour les décorations florales par

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exemple). Leur étude démontrer qu’une bille est capable d’absorber 400 fois son

volume en eau, en environ 2h30. L’hydrogel est composé de 98% d’eau, lorsqu’il

s’évapore il rafraichir son environnement proche. Lorsqu’il perd de l’eau il rétrécit

et retourne à son état solide d’origine

Le projet est un matériau composite qui tire parti des propriétés d’évaporation lente

de l’hydrogel : intégré à la céramique, lorsque l’hydrogel s’évapore, la céramique

absorbe l’eau et la diffuse dans son environnement.

Ces tuiles sont composées de plusieurs couches : la couche supérieure présente une

surface parée de trous dans lesquels des billes d’hydrogels sont placées.

- la couche supérieure est en céramique. Elle comporte des trous afin que les billes

d’hydrogel s’y gonflent ou s’y rétractent. La taille d’un trou correspond donc à la taille d’expansion maximum d’une bille.

- Une couche intermédiaire est composée de tissu extensible et absorbant : il capture

l’eau et permet l’expansion de l’hydrogel

-Enfin, une couche extérieure de céramique, qui présente des bosselages, dans

lesquels les billes viennent se caler.

Les étudiants ont testé quel serait le meilleur support, le meilleur allié de l’hydrogel

pour cette expérience. Ils ont comparé les propriétés d’un support en argile, d’un support en plastique et d’un support en aluminium. L’argile a augmenté sa

température sous rayon solaires (artificiels) mais de 5°C de moins que les autres

matériaux, et a récupéré 200% de plus humidité.

L’argile, par ses propriété d’hygroscopicité s’est révélée être la plus adaptée pour

récupérer l’humidité relâchée par les billes d’hydrogel.

L’expérience met en évidence que l’évaporation cause le refroidissement : la

température n’augmente que faiblement, ralentie par la perte lente d’humidité.

Ce matériau composite a la capacité de transférer l’humidité et de rafraîchir son environnement.

Ce matériau qui hybride l’hydrogel à un autre matériau semble performant pour un

système de refroidissement applicable aux bâtiments.

6. Conclusions

Cette dernière étude de cas est une piste intéressante qui combine différentes

propriétés de sorption d’eau, et différents matériaux, qui permettent de rafraîchir les surfaces bâties par une stratégie d’évaporation.

Cependant, sachant que l’hydrogel conventionnel utilisé dans cette dernière

expérience est voué à s’obstruer, on pourrait optimiser le système en utilisant un

hydrogel thermo-répondant.

On pourrait également tester l’hybridation d’un matériau comme l’hydrogel avec des

matériaux poreux comme des argiles modifiées ou des sépiolites, auparavant

mentionnées.

Son dessin, sa géométrie pourrait aussi être réinterrogée, tirant parti des systèmes développés dans la nature [L.BADARNAH].

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De faible cout, ces expériences demandent également à être développées à plus

grande échelle.

Développer des techniques de « climatisation » passive des batiments de nos villes

est un enjeu actuel important pour limiter la consommation d’énergies dans nos villes mais aussi pour le confort de chacun. D’autres bénéfices non évoqués peuvent

être aussi considérés par l’application d’un matériau poreux qui retient l’eau pendant

des pluies intenses : l’augmentation de l’isolation thermique du bâtiment et

l’évacuation plus aisée des polluants contenus en surface.

De plus, la dégradation des matériaux de toit par les hautes températures se verrait

réduite tandis que l’humidité relative en hiver pourrait se modifier. Un climat rendu

plus humide permettrait la réduction de la propagation de maladies comme la

grippe.[KARAMANIS, 2013]

8. Bibliography

[AHMED E.N., 2015,] “Hydrogel : preparation, characterization, and applications :

a review”, Journal of Advanced Research, n°6, 105-121

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