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La vaccination et ses résistances Hors-série de Galilée n°1 — Octobre 2017 —

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La vaccination et ses résistances

Hors-série de Galilée n°1

— Octobre 2017 —

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La Lettre de Gali lée 350, rue des Carignans 34790 GRABELS

SAS au capital de 1000€ SIRET 79739749400015 - RCS MONTPELLIER - TVA FR28797397494

ISSN : 2492-0770 CPPAP : 0119 Z 93290

La Lettre de Galilée est reconnue par la Commission paritaire comme un service en ligne d'information politique et générale au sens de l’article 39 bis A code général des Impôts.

Directeur de la publication : Vincent Fromentin

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Éditorial « La vaccination, cela ne se discute pas »

Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la santé, 29 mai 2015.

Par Vincent Fromentin

e 8 février dernier, une décision du Conseil d'État faisait la une des journaux en remettant sous les feux de l’actualité le sujet de la vaccination en France. Sollicité par des parents,

le Conseil abondait dans leur sens en demandant à l’État de fournir des doses de vaccins DTP, introuvables en France.

LA CONTROVERSE LANCEE PAR LE PR. JOYEUX C’est en juin 2015 que la controverse lancée par le Pr Joyeux met le feu aux poudres. La loi française oblige à vacciner les enfants de moins de 18 mois contre la diphtérie, le tétanos (selon l'article L3111-2 du Code de la Santé Publique) et la poliomyélite (article L3111-3). Or, depuis 2008, aucun vaccin ne correspondant à ces seules obligations n’est commercialisé en France. Seuls des vaccins contenant également d’autres vaccinations (comme la coqueluche, l’haemophilus ou l’hépatite B), non obligatoires, sont disponibles. Non seulement ces vaccins ne sont pas obligatoires, mais en plus ils contiennent de l’aluminium pointé du doigt pour leur toxicité supposée. C’est ce que décrie le Pr. Joyeux. Face à la polémique qui commençait à enfler, la Ministre s'était engagée, en janvier 2016, à forcer les industriels à fournir ces fameux vaccins DTP. Mais, la Direction Générale de la Santé, par la voix de son directeur, le Pr. Benoît Vallet, avait clos tout espoir.

Plusieurs personnes avaient donc sollicité le Conseil d'État pour casser cette décision.

LE CONSEIL D’ÉTAT EXIGE DE FOURNIR LES

VACCINS DTP DANS UN DELAI DE 6 MOIS Et le Conseil d’État a ainsi estimé en février 2017 "que la loi, qui n’impose que trois obligations de vaccination, implique nécessairement qu’il soit possible de s’y conformer en usant de vaccins qui ne contiennent que ces trois vaccinations" et demande au ministre "dans un délai de six mois, et sauf à ce que la loi évolue en élargissant le champ des vaccinations obligatoires, de prendre des mesures ou de saisir les autorités compétentes pour permettre de rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules obligations de vaccination." Aujourd’hui, les six mois se sont écoulés et les trois vaccins seuls ne sont toujours pas disponibles. L’action est toujours en cours.

UNE CONCERTATION CITOYENNE SUR LA

VACCINATION Entre temps, Marisol Touraine avait tout de même annoncé en début d’année l’ouverture d'un grand débat public, sous la houlette du Pr. Alain Fischer. Une "grande concertation citoyenne" qui a abouti à un insipide rapport en novembre dernier qui préconise d’étendre l’obligation vaccinale (page 27-33). Une extension de l’obligation vaccinale infantile que réclament également les syndicats de médecins comme la CSMF qui, face au flou général, appelle à

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une "décision forte et claire" concernant l’obligation vaccinale : "l’extension des obligations vaccinales, comme le préconise le rapport Fischer, remplirait un double objectif : mettre en adéquation la loi avec les besoins de santé et répondre aux contraintes actuelles." Les autorités sanitaires s’abritent derrière cette consultation citoyenne pour légitimer une décision de santé publique garantissant la meilleure couverture vaccinale et respectant les attendus du Conseil d’État.

LES ADJUVANTS DANS LE VISEUR Alors que la Ministre de la Santé martelait devant l’Hémicycle que l'aluminium contenu dans les vaccins est sans risque pour la santé, Le Parisien a jeté de l’huile sur le feu en montant en épingle un avis de l’ANSM sur les recherches du Pr. Gherardi. Le professeur Romain Gherardi est connu pour ses travaux et ses prises de position sur la dangerosité supposée des sels d'aluminium contenus dans certains vaccins. Avec son équipe de l'INSERM, il travaille sur ce sujet depuis les années 2000. Même s’il n’existe aucune autre publication internationale qui tendrait à valider ces mêmes résultats, l’Agence du Médicament (ANSM) a financé une de ses études sur laquelle elle a rendu un avis en mars dernier. Mais contrairement à ce que titre le journal, l'ANSM n'a pas cherché à cacher cette "étude". L'avis rendu par le conseil scientifique n'avait pas vocation à être publié. Il conclut que "l'apport de l'étude aux connaissances sur la sécurité des vaccins semble significatif, sans être encore déterminant." Pour éviter un effet de panique de cette affaire, l'ANSM a été contrainte de publier un communiqué dans lequel elle tenait à "rassurer les patients".

L’IRRATIONNEL ET LES RESEAUX SOCIAUX "Nous sommes dans l’irrationnel le plus total " assénait Agnès Buzyn en juillet 2017 lors d'une séance extraordinaire à l'Assemblée Nationale, à la question de Frédérique Tuffnell. La député LREM de la deuxième circonscription de Charente-Maritime lui demandait ainsi si l'on pouvait "envisager une autre solution que la menace pénale pour inciter nos concitoyens à faire vacciner leurs enfants" ? La réponse de la Ministre de la Santé a été lapidaire : "Nous avons sur les adjuvants un recul d’utilisation de quatre-vingt-dix ans et plusieurs centaines de millions de doses ont été utilisées depuis que les vaccins existent. [Les adjuvants] ne sont pas nocifs pour la santé, ainsi que tous les rapports le montrent. Nous sommes dans l’irrationnel le plus total. Nous travaillons aujourd’hui à lutter contre les réseaux sociaux et contre la désinformation." Au final, la Ministre de la Santé a tranché de manière très macronienne : il n’y aura pas de clause d’exemption pour les parents récalcitrants mais il n’y aura pas non plus de sanction pénale. Les enfants non-vaccinés ne pourront intégrer de structures collectives (crèche, école, etc.).

APOLLON ET DIONYSOS Face au déferlement d’informations des média, et l’effervescence des réseaux sociaux, les paroles se cristallisent et se crispent autour de positions de plus en plus radicales. Deux mondes s'opposent : d'un côté, la vertu ministérielle, nécessaire, rationnelle et sans appel; de l'autre, l'hybris, la démesure, des réseaux sociaux, complotistes et insaisissables. Apollon et Dionysos. Les analyses fouillées et documentées sont inaudibles. Ne peut-on s’interroger légitimement sur certains aspects de la vaccination sans remettre en cause son principe même ? Est-ce une spécificité française ? La vaccination et son refus sont-ils des sujets exclusivement français ? Quelle est la situation dans les autres pays ?

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Sommaire À l’origine de la vaccination : de la variolisation à l’inoculation 8

L’émergence des mouvements anti-vaccins 12

Le nouveau visage des antivax 16

Vaccinations obligatoires : une spécificité française ? 21

Les labos complices ? 24

Peut-on s’interroger sur la vaccination sans être anti-vaccins ? 26

Bibliographie indicative 29

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À l’origine de la vaccination : de la variolisation à l’inoculation

« La Science n’a pas de patrie.» Louis Pasteur, Discours d'inauguration de l'Institut Pasteur, 14 novembre 1888.

Impossible de faire l’impasse sur les débuts de la vaccination. Quelques dates importantes pour comprendre que l’essor des politiques vaccinales en Europe suscite, dès leurs origines, l’émergence des premiers phénomènes de résistances.

es premiers rituels prophylactiques renseignés ont été reportés par les historiens en Chine au XVIème siècle, ils visaient alors à combattre la variole dont les épidémies depuis l’Antiquité

ne cessaient de faucher des vies. Il s’agissait alors soit de déposer des squames varioliques sur la muqueuse nasale, soit, carrément, d’inoculer au patient du pus varioleux prélevé sur un sujet présentant une forme bénigne de la variole. L’objectif visé était de provoquer une variole bénigne pour se prémunir de la forme grave de la maladie.

MARY WORTLEY MONTAGU IMPORTE LA

TECHNIQUE DE LA VARIOLISATION DE L’EMPIRE

OTTOMAN La pratique de la variolisation s’est répandue le long de la Route de la Soie jusqu’à atteindre l’Europe au XVIIIème siècle grâce à l’action iconoclaste d’une aristocrate anglaise : Lady Mary Wortley Montagu, épouse de l’ambassadeur d’Angleterre en poste à Constantinople. Observant les techniques d’inoculation de la variole, très courante dans l’Empire Ottoman, elle fit elle-même inoculer son fils à Istanbul. De retour à Londres, Mary Wortley Montagu fit connaître cette pratique auprès de l’aristocratie, notamment à la princesse de Galles qui, assurée des bienfaits de la variolisation, fit inoculer ses enfants.

Même si, au même moment, sévit en Angleterre une épidémie de variole en 1723, au final, rares sont les parents qui se décident à suivre cet exemple. On compte un décès sur 50 à 250 inoculations.

Étude des symptômes de la variole. Illustration dans un livre d’étude des contagions et des infections paru en 1884..

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En France, la pratique est introduite par un médecin Suisse, Théodore Tronchin qui, après avoir inoculé son propre fils en 1756, introduit la pratique à la Cour de Versailles sur les enfants du duc Louis Philippe d’Orléans.

L’INTERET SUPERIEUR DE L’ÉTAT En 1760, Daniel Bernoulli, médecin et mathématicien suisse, publie un essai sur la petite vérole et sur les avantages de l’inoculation. Il démontre ainsi que les inoculations permettent d’éviter bien des décès. Sur 1300 enfants survivants à la naissance, 80 vies sont gagnées à 24 ans. Mais, au-delà du bénéfice/risque constaté, il en va de l’intérêt de l’État car une nation a besoin d’une population jeune et dynamique. Toutefois, la technique de variolisation reste hasardeuse : une personne inoculée peut transmettre la variole à toute autre personne non-inoculée.

L’EXPERIENCE D’EDWARD JENNER C’est un médecin de campagne anglais, Edward Jenner, qui réalise une innovation majeure dans la lutte contre la variole. Il observe que certains fermiers locaux ne réagissent pas à l’inoculation de la variole. En réalité, il remarque que les pis des vaches qu’ils traient quotidiennement ont des cloques similaires à celles de la variole : les fermiers sont infectés par un virus bien moins virulent, la vaccine – du latin vacca, vache –, qui les prémunie de la variole. Se pourrait-il que cette maladie bégnine puisse protéger de la variole durablement et sans risque majeur ? Le médecin décide donc de mener une expérience : en 1796, il introduit par incision sur James Phipps, un jeune cobaye de 8 ans, du pus prélevé à partir de la main d’une paysanne contaminée par sa vache. Il démontre ainsi que le pus de la vaccine dans l’organisme humain protège l’enfant de la variole.

Au fond, c’est donc aux paysans que l’on doit la disparition de cette maladie. Et c’est justement ce qui pose problème : cette maladie, qui vient de la vache, s’inocule de « bras à bras ». Alors même que les classes sociales ne se mélangent guère, comment concevoir de « mêler son sang » avec celui des paysans ? Comment croire encore au progrès de l’humanité en mêlant son sang à celui des animaux ?

La vaccine dans les trayons et la mamelle d'une vache laitière. Illustration dans un livre d’étude des contagions et des

infections paru en 1884.

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Néanmoins, cette nouvelle technique se diffuse très vite en Europe. Napoléon fonde la Société pour l’extinction de la petite vérole par la propagation de la vaccine. En 1805, 400 000 personnes sont vaccinées. Mais, comme souvent, ce que l’État impose, le peuple le conteste. Dès les années 1820-40, on constate un recul des activités vaccinales en particulier parmi les classes laborieuses.

LES EXPERIENCES DE LOUIS PASTEUR Si la technique se propage largement, elle reste incomprise et encore insuffisamment vérifiée. L’inoculation de bras à bras facilite la circulation du virus et d’autres maladies comme la syphilis, renforçant d’autant la défiance de la population. Ce sont finalement les travaux du français Louis Pasteur, à la fin du XIXème siècle qui permettront de comprendre le fonctionnement de la vaccination. Ils confirment les thèses du médecin allemand, Robert Koch, qui découvre en1876 le bacille de la tuberculose et le vibrion cholérique, établissant un lien évident entre germes et maladies. Ni médecin, ni chirurgien, ni vétérinaire, Louis Pasteur est un docteur en Sciences Physiques qui débute en 1877 une série d’expériences pour comprendre le rôle des microbes dans l’apparition des maladies infectieuses. Il inocule de vieilles cultures de bactéries à des poules et observe qu’elles résistent. Il démontre alors que le choléra des poules est une maladie contagieuse provoquée par une bactérie : il vient de créer un « virus vaccin atténué » de façon artificielle. En hommage au docteur Jenner, il le nomme « vaccin ». Ce qui le fera devenir une icône culturelle de l’histoire française, c’est sa découverte du vaccin antirabique lorsque le 6 juillet 1885 il procède à la première vaccination contre la rage d’un être humain : Joseph Meister. Il sauve ainsi un jeune berger alsacien mordu par un chien enragé. La reconnaissance de son travail devient rapidement internationale. L’histoire moderne des vaccins s’accélérera et les découvertes suivront un rythme

soutenu : vaccin contre la tuberculose (BCG) en 1921, vaccin contre la diphtérie et le tétanos (1923-26), contre la poliomyélite (1952) …

DE LA SAUVEGARDE INDIVIDUELLE A LA

PROTECTION COLLECTIVE… Progressivement, depuis le travail de Bernoulli, de nombreuses publications scientifiques valident l’argument de la nécessité collective de la vaccination. Plus on vaccine de personnes, moins une personne non immunisée peut rencontrer un malade. Le siècle de l’hygiène publique transforme le désir de se protéger, soi-même et ses enfants, en nécessité de protection collective. Il en va de l’intérêt général. En juin dernier, Agnès Buzyn l’a d’ailleurs rappelé en souhaitant étendre l’obligation vaccinale infantile : « la vaccination, ce n’est pas seulement l’intérêt qu’on y trouve soi-même, c’est un enjeu de solidarité, une façon de protéger l’ensemble de la société ». Curieuse assertion quand on sait que ces trois vaccins obligatoires (diphtérie, tétanos, poliomyélite) n’ont pas ou peu d’impact sur la protection collective. Le tétanos n’est pas contagieux et les vaccins contre la diphtérie et la poliomyélite n’empêchent pas la circulation du virus.

Dr Jenner réalisant son premier vaccine sur James Phipps, âgé

de 8 ans. 14 mai 1796. Peinture d'Ernest Board.

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… DE L’OBLIGATION A LA CONTESTATION L’obligation vaccinale est-elle toujours pertinente ? Correspond-elle encore vraiment aujourd’hui aux réalités épidémiologiques ? Pourquoi ne pas opter pour d’autres vaccinations obligatoires, comme la grippe ou la varicelle par exemple ? L’idée d’obliger l’ensemble de la population à se vacciner simplement pour épargner une partie, plus

faible, est parfois difficile à concevoir. L’altruisme s’arrête souvent à ses propres enfants. Et l’arbitrage politique nécessaire qui prévaut pour la vaccination en France a depuis toujours suscité des réticences. C’est d’ailleurs au moment-même où l’idée d’obligation vaccinale est discutée en France au Parlement, en 1879, que s’organisent les premiers mouvements contestataires anti-vaccins.

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L’émergence des mouvements anti-vaccins

« Je vous parle comme une mère qui n'a pas fait vacciner ses enfants et qui le revendique. (…) Depuis que j'ai découvert la grande démarche propagandiste de l'industrie pharmaceutique, j'ai mis en acte réel mes convictions.»

Isabelle Adjani, lors de l'émission "Le Grand Atelier" de Vincent Josse sur France Inter, 3 septembre 2017.

Par Lucie Guimier

ontrairement à ce qu’on pourrait penser, les premières réticences à la vaccination en France n’obéissent pas à des motifs religieux. Décidée par le pouvoir, la

vaccination engendre rapidement une résistance politique. D’ailleurs le Vatican se montre résolument favorable à la vaccination dès avant le Concordat de 1801.

LA IIIEME REPUBLIQUE, HERAUT DE LA

VACCINATION Les premières obligations vaccinales antivarioliques ne concernent alors que certaines professions exposées comme les nourrices (1874) ou les militaires (1876). Mais c’est en 1902, sous l’impulsion de Jules Ferry, qu’est adoptée au Parlement l’obligation de la vaccination antivariolique. La loi du 15 février relative à la protection de la santé publique porte deux dispositions essentielles : la déclaration obligatoire de certaines maladies infectieuses (Art.4 et 5) et l’obligation de la vaccination antivariolique (Art.6).

Les instituteurs de la IIIème République sont chargés de diffuser activement les vertus morales de l’hygiène et de la vaccination. Au travers de cette vaste campagne d’éducation sanitaire, il s’agit d’idéologiser la vaccination et de l’assimiler aux valeurs de la République : la vaccination, inséparable de l’icône de la science qu’est Pasteur, devient un attribut des sociétés modernes.

EN REACTION A L’OBLIGATION VACCINALE, UNE

RESISTANCE POLITISEE Même si la France est en retard dans la mise en place de sa politique vaccinale par rapport aux autres pays européens, dès 1879, s’observe l’émergence des premiers mouvements anti-vaccins.

C Art. 6. La vaccination antivariolique est obligatoire au cours de la première année de la vie, ainsi que la revaccination au cours de la onzième et de la vingt et unième année. Les parents ou tuteurs sont tenus personnellement de l’exécution de ladite mesure. Un règlement d’administration publique, rendu après avis de l’Académie de médecine et du Comité consultatif d’hygiène publique de France, fixera les mesures nécessitées par l’application du présent article.

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C’est effectivement presqu’un siècle plus tôt que l’obligation est promulguée, en 1807, par la Bavière, suivie par la Suède en 1816, l’Angleterre en 1853 et l’Italie en 1859. En 1879, la première ligue anti-vaccinale française apparaît sous la direction d’un médecin d’origine belge, Hubert Boëns. Il crée la "Ligue Universelle des anti-vaccinateurs" qui rassemble principalement des médecins et organise des colloques à travers l’Europe sur le sujet. Leur lobbying réussit à mettre en échec un projet de loi présenté par le médecin et député de la Meuse Henri Liouville qui visait à assortir l’obligation de vaccination antivariolique de poursuites et de pénalités.

EN ANGLETERRE, LA RESISTANCE VACCINALE

FAIT PLIER LA LOI Parmi les nations d’Europe, l’Angleterre victorienne s’engage avec volontarisme dans la construction d’une administration sanitaire. En 1840, le Parlement britannique exige des autorités locales – Poor Law Commission, puis Poor Law Board à partir de 1847 –qu’elles vaccinent gratuitement les populations défavorisées. L’objectif visé est de contrôler le risque de contagion à une époque où la révolution industrielle, avec l’exode rural qu’elle provoque, concentre les masses prolétarisées dans des logements insalubres. L’application de la loi à l’ensemble de la population est votée dès 1853 avec le Compulsory Vaccination Act, qui oblige les parents à vacciner contre la variole leurs enfants dans les 3 premières années, sous peine d’amendes ou d’emprisonnement. En 1867 et 1871 ces peines sont renforcées. Les premières résistances ne tardent pas à naître et à s’organiser politiquement.

L’exemple du soulèvement populaire de Leicester dans les Midlands de l’Est est particulièrement édifiant. Face au zèle des autorités locales qui poursuivent les parents récalcitrants (en vingt ans, 6 000 parents sont poursuivis devant les tribunaux), des manifestations éclatent. En mars 1885, avec l’appui de la "Leicester Anti-Vaccination League", 80 à 100 000 militants défilent contre l’obligation vaccinale. Un cortège de masse qui réussit à faire plier la loi au niveau local. Et en 1898, le gouvernement cède aux pressions populaires et introduit une clause de conscience dans le nouveau Vaccination Act permettant aux parents réfractaires à la vaccination d’avoir un statut d’objecteurs.

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POURQUOI DES MEDECINS ? Le premier syndicat de médecin est créé en 1881. Dans le mouvement de vaccination, ce regroupement puissant a contribué à éliminer du paysage rebouteux, commerçants, ecclésiastiques, etc. Et la loi Chevandier du 30 novembre 1892 a achevé de leur conférer le monopole thérapeutique. On comprend dès lors que l’activisme résistant de certains médecins traduise une réelle répulsion vis-à-vis de l’intrusion de l’État dans l’exercice de la médecine libérale dont l’indépendance vient d’être fraîchement acquise. Les débats sont d’ailleurs plus portés sur les enjeux politiques de la profession médicale que sur les vertus de l’inoculation. Alors qu’en 1898 l’Angleterre victorienne adoucit sa politique vaccinale, la France opère le choix inverse en optant pour une obligation vaccinale, tout d’abord limitée a la variole en 1902, puis étendue en 1938 à la diphtérie, en 1940 au tétanos, en 1949 au BCG et en 1964 a la poliomyélite.

1954 : LA LIGUE NATIONALE CONTRE LES

VACCINATIONS OBLIGATOIRES En 1954, Marcel Lemaire, fonde la Ligue Nationale Contre les Vaccinations Obligatoires avec pour slogan : "Notre santé nous appartient, nous en sommes responsables, nous voulons pouvoir choisir ". Cette ligue est issue de la fusion de trois réseaux : l’Association des parents des victimes des vaccinations, des membres de la revue La Vie Claire lancée par Henri-Charles Geffroy (1895-1981), et la ligue "Santé et Liberté" fondée en 1948 par le biologiste Jules Tissot, un fervent détracteur des "dogmes pasteuriens". Les revues de ce réseau d’influence contribuent à diffuser les idées anti-vaccinales : la revue La Vie Claire, La Libre Santé de Louis Gastin et Vaccinations ou santé créée en 1955 par Marcel Lemaire. Les points de vue se basent à la fois sur une contestation de l’obligation vaccinale étatique et

également sur la défense de l’agriculture biologique et de l’alimentation saine. La Vie Claire est d’ailleurs maintenant un réseau de distribution de produits bio…

Un exemplaire de la Vie Claire de mars 1970.

La Ligue de Marcel Lemaire est fréquentée par des notables (des médecins, des avocats, des hommes politiques) qui peuvent influencer l’écriture de la loi. À l’image du médecin et député René Arbeltier (SFIO) qui dépose en 1956 une proposition de loi visant à instituer le droit à réparation du préjudice causé aux victimes des vaccinations obligatoires. Lors du vote de la loi sur l’obligation de vaccination contre la poliomyélite en 1964, un amendement est déposé par le député André Fanton visant à faire taire les anti-vaccins. Le but de l’amendement est d’interdire "toute propagande ou toute publicité [...] tendant à inciter autrui à se soustraire à la vaccination obligatoire". Mais l’association anti-vaccin sollicite la Ligue des Droits de l’Homme en faisant valoir le droit à la liberté d’expression : le Sénat annule l’amendement Fanton.

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1977 : L’INTOXICATION VACCINALE En 1969, l’arrivée d’un leader charismatique renouvelle l’identité de la Ligue et lui donne un second souffle. D’autant que le contexte contestataire de Mai 68 joue à plein et offre une nouvelle légitimité d’action à la Ligue. Fernand Delarue, nouveau président de la ligue, la rebaptise Ligue Nationale Pour la Liberté des Vaccinations (LNPLV). Une évolution sémantique importante : auparavant "contre les vaccinations obligatoires", la ligue est désormais "pour la liberté". Le rayonnement de la LNPLV atteint son apogée en 1977 avec la publication de la bible vaccinophobe, L’intoxication vaccinale.

UN BASCULEMENT IDEOLOGIQUE La contestation anti-vaccinale, très courante dans les milieux de l’agriculture biologique, a d’abord été portée par des groupes d’extrême-droite puis, à partir des années 70, a progressivement été récupérée par la vague environnementaliste de gauche, voire d’extrême-gauche. Ainsi, dans les années 30, le courant valorisant l’agriculture biologique est plutôt porté par une mouvance conservatrice : maurrassienne, poujadiste et nationaliste. Les témoignages des membres de la Ligue contre les vaccinations dans les publications de La Vie Claire font le trait d’union entre leurs convictions morales et leurs certitudes sur la dangerosité des vaccins. Le magazine se fait ainsi le porte-voix d’une morale conservatrice fustigeant l’État-providence, l’effritement de la famille et de la religion, le matérialisme, etc. Le bio devient à la mode (label bio en 1981). Et on assiste à un basculement à partir des années 70-80 : l’idéologie environnementaliste de gauche supplante celle plus conservatrice qui a marqué l’essor de l’agriculture bio jusque-là. Le parcours des réseaux de la résistance vaccinale est donc loin d’être linéaire. Le discours anti-vaccins a tantôt été porté par des valeurs morales et politiques, et tantôt été déterminé par l’opportunité d’atteindre un nouveau public. L’héritage laissé par les réseaux de l’alimentation biologique au mouvement de résistance actuel est donc considérable. En revanche, le modèle des ligues anti-vaccinales semble aujourd’hui dépassé, bouleversé par la multiplicité d’acteurs rendue possible par l’avènement d’Internet dans les années 2000.

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Le nouveau visage des antivax

Capture d’écran du compte offic iel de Donald Trump, 3 septembre 2014.

Par Lucie Guimier Jusque dans les années 1990-2000, les mouvements de contestations des vaccins pouvaient fédérer des courants libertaires ou contestataires tout autant que des mouvements vaccino-sceptiques et naturalo-vitalistes. On est contre la politique autoritaire d’un État qui oblige à se vacciner ; on est pour une liberté et un respect de la nature. Avec l’avènement d’Internet, la vaccination n’est plus vécue seulement comme une intrusion ou une restriction de la liberté ; l’opposition vaccinale revêt de nouvelles formes de contestation. Et les théories complotistes ont rejoint l’univers hétéroclite de la résistance vaccinale contemporaine.

n France, 9 % de la population s’estime défavorable à la vaccination. "Être à jour dans ses vaccinations" n’arrive qu’en cinquième position des mesures préventives de

protection contre les maladies infectieuses selon l’enquête Nicolle réalisée en 2006 par l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES).

Selon cette même enquête, un pédiatre sur cinq (21 %) se déclare contre l’obligation vaccinale contre 8% des médecins généralistes.

Ajoutons à cela que 58% des médecins généralistes s’interrogent sur son utilité, 38% doutent de son efficacité et 39% ne souhaitent pas se faire vacciner. Pour les médecins spécialistes : 63% ne souhaitent pas se soumettre au vaccin ; en 2009, 63 % des infirmiers

refusaient la vaccination anti-H1N1. Un comble dans le pays de Pasteur.

Selon cette même étude, si 56,5 % des personnes interrogées sont favorables à l’obligation vaccinale, plus le niveau d’études est élevé, moins les personnes sont favorables à l’obligation. On est loin du cliché de la famille décroissante vivant sous yourte au fin fond de l’Ardèche…

Les récents scandales sanitaires contribuent également à assombrir l’image de la vaccination tant auprès du public qu’auprès des professionnels de santé. Le refus vaccinal est-il devenu un fait de société ? Comment s’ancre cette contestation au sein de la

société ?

E

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LA TENTATION COMPLOTISTE Par le passé, l’opposition à la vaccination reposait principalement sur l’activisme des ligues anti-vaccinales. Plusieurs scandales ont émaillé l’histoire de la vaccination et légitimé d’autant leurs prises de position. C’est le cas en 1930, en Allemagne, un vaccin contre la tuberculose fut contaminé par une souche humaine de bacille tuberculeux, 127 enfants contractèrent la tuberculose dont 71 moururent ; en 1955, l’affaire Cutter avait révélé qu’un vaccin de Jonas Salk contre la polio avait provoqué des cas de poliomyélite : 205 malades et 11 morts furent recensés, toutes les doses provenaient du laboratoire Cutter où le virus n’avait pas été suffisamment inactivé. Les peurs d’effets secondaires ou de dangerosité des vaccins, les craintes de modifier la nature humaine par l’injection de substances vaccinale dans le corps humain, ou encore le refus d’une contrainte imposée par l’État sont des arguments qui ont traversé les différents âges de la vaccination. Même si aujourd’hui les raisonnements gardent la même base, ils n’ont plus la même portée. Les scandales sanitaires des années 1980 alimentent désormais cette idée que les autorités publiques, à la manne de Big Pharma, nous cachent des informations concernant ce que nous avons de plus cher : notre santé.

LE FIASCO DE LA VACCINATION CONTRE

L’HEPATITE B Plus récemment, en 1994, la campagne de vaccination contre l’hépatite B a tourné au fiasco du fait de son impréparation. Une campagne de vaccination massive est organisée en 1994. Deux ans plus tard, une polémique, relayée par le journal de la ligue anti-vaccinale depuis 1977, l’Impatient - devenu depuis 2003 Alternative Santé - relie des cas de scléroses en plaques survenues après des vaccinations anti-hépatite B.

La polémique enfle et en 1997, l’association REVAHB (Réseau vaccin Hépatite B) est créée pour défendre les victimes de scléroses en plaques, incriminant le vaccin anti-hépatite B d’être à l’origine de leur maladie.

Le vaccin Twinrix contre les hépatites A et B.

La pression médiatique est telle qu’en octobre 1998, Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État à la Santé décide la suspension de la vaccination au collège précisant que cette décision n’est "ni un recul, ni une avancée. Mais cela vise essentiellement à calmer l’émotion, bien souvent négative, que nous avons connue ces derniers temps". Trop tard. Loin de calmer la polémique, cette décision l’alimente. D’un côté, l’OMS critique cette suspension qu’elle juge infondée. Et, en même temps, elle est perçue par l’opinion publique comme un aveu de la dangerosité du vaccin.

LA PANDEMIE H1N1

La médiatisation des fiascos sanitaires, comme le plan pandémie grippale H1N1 de 2010 (où la surévaluation de la menace avait conduit à l’incinération de 19 millions de doses non utilisées, pour un coût de 400 millions d'euros), ont contribué à atomiser le mouvement de résistance vaccinal. Suite à l’annonce par l’OMS de la pandémie de grippe H1N1, la France décide de commander plusieurs centaines de millions de doses de vaccins, près du tiers du stock mondial du médicament antiviral Tamiflu.

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L’objectif est de vacciner 78% de la population ; las, seulement 7% de la population s’est faite vaccinée.

La Ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot, se fait vacciner en novembre 2009 dans un centre de

vaccination du 14ème arrondissement à Paris.

Gâchis d’argent public pour des vaccins finalement revendus à d’autres pays ou même aux laboratoires auxquels ils ont été achetés ; tumulte médiatico-politique pour un virus moins meurtrier que la grippe saisonnière ; éviction initiale des médecins généralistes qui sont ensuite réinvestis dans la campagne de vaccination en janvier 2010 ; signalement de cas de narcolepsie et de syndromes de Guillain-Barre liés au vaccin pandémique, ou encore diffusion de messages contradictoires : toutes les conditions étaient réunies pour la formation de mouvements de rejet de la vaccination. Les conflits d’intérêts patents (notamment au sein-même de l’OMS) pointés par un rapport d’enquête sénatoriale, doublés en France d’une gestion de crise mal maîtrisée, ont suscité de vives réactions tant au sein de l’opinion publique que chez certains experts comme l’anthropologue Fréderic Keck qui a souligné l’"absurdité" de la situation française ou le professeur de médecine Marc Gentilini qualifiant l’affaire de "pandémie de l’indécence".

La proportion de Français se déclarant défavorables à la vaccination en général est ainsi passée de 8,5 %

et 9,6 % respectivement en 2000 et 2005, à 38 % en 2010. L’effondrement est perceptible aux deux extrêmes, avec d’un côte une importante baisse du taux de personnes très favorables aux vaccins (43,6 % en 2000 contre 15 % en 2010), et de l’autre une franche augmentation du taux de personnes très défavorables aux vaccins (2,7 % en 2000 contre 19 % en 2010). Les données commerciales corroborent la chute de l’adhésion vaccinale : les ventes de vaccins – tous types confondus – ont chuté de 12 % entre 2008 et 2012 selon le cabinet d’études IMS Health. A l’image de la France, la rupture de confiance a été remarquée dans divers pays tels que la Grèce, le Brésil, la Turquie ou encore Israël. Plusieurs sondages publiés au cours de l’épidémie ont révélé que les professionnels de sante eux-mêmes n’ont pas été épargnés par les doutes vis-à-vis du vaccin et/ou les incertitudes sur la gravité de la grippe pandémique. Des études menées en 2009 ont révélé qu’un médecin sur deux et 74 % des infirmiers français déclaraient refuser cette vaccination, comme 70 % des infirmiers britanniques. DES RETICENCES ET DES HESITATIONS Aujourd’hui, du fait de ces scandales sanitaires répétés, la confiance de la population est émoussée et les réticences face à l’obligation vaccinale ne sont plus le simple fait des ligues anti-vaccinales ou de mouvements libertaires radicaux. Le terreau revendicatif est toujours actif, certainement renforcé par des théories complotistes. Toutefois, sans remettre en question le principe de la vaccination, une partie de plus en plus importante de la population s’interroge et doute.

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DECROISSANCE ET ÉCOLOGIE

Plus récemment c’est le mouvement de la décroissance qui se mêle de la santé, d’une façon plus discrète. Essentiellement développé en France par le philosophe et agro-écologiste Pierre Rabhi, ce mouvement a puisé sa force dans la seconde moitié des années 2000, en plein cœur de la crise financière, trouvant là une argumentation de taille pour prôner qu’un autre monde est possible. À l’origine du « Mouvement pour la Terre et l’Humanisme » crée en 2007 - désormais nommé « Mouvement Colibris » - Pierre Rabhi entend proposer aux citoyens de construire de nouveaux modèles de sociétés fondés sur « l’autonomie, l’écologie et l’humanisme ». Sur leur site Internet, aucun appel à la résistance vaccinale mais une mise en garde contre le « danger pharmaceutique » (voir ci-contre). C’est toute la subtilité des mouvements actuels qui n’inscrivent pas la lutte contre l’obligation vaccinale dans leur combat mais qui prônent plutôt une autre façon de se soigner par les médecines alternatives. DE LA RESISTANCE VACCINALE A

L’HESITATION VACCINALE Les recherches se focalisent désormais sur les individus indécis parce qu’il est convenu qu’il est le plus souvent illusoire de convaincre les parents les plus réticents. C’est bien là que se situe la frontière entre hésitants et résistants. Ces derniers agissent en fonction de choix militants, raisonnés et argumentés face auxquels les campagnes de promotion de la vaccination se heurtent à un mur d’indifférence. Un parent hésitant, quant à lui, vaccinera partiellement son enfant parce que son indécision le conduira, par exemple, à ne pas inoculer la seconde dose du vaccin contre la rougeole, alors qu’un parent résistant refusera la majorité ou la totalité des vaccinations.

LE DANGER PHARMACEUTIQUE L’escalade pharmaceutique invite à la vigilance au vu des nombreux effets secondaires observés et les scandales récents commencent à alerter l’opinion : vaccin de l’hépatite, du BCG, du cancer col de l'utérus chez les adolescentes, hormone de croissance, médicament Champix pour le sevrage tabagique. Les effets secondaires pervers établis des médicaments chimiques dits de synthèse n’empêchent néanmoins pas la prescription […] Les autorisations de mise sur le marché sont parfois délivrées par des personnes ayant des intérêts communs avec les laboratoires fabricants ; les retraits une fois les nuisances établies au grand jour ne soulagent pas les souffrances des victimes. […] Il est donc fréquent que des médicaments entraînent des troubles plus graves que ceux qu’ils sont supposés traiter. Le Dr Louis de Brouwer dans son livre : « Dossier noir des médicaments de synthèse », publié chez Encre, en 1989, cite le professeur Lwoff, prix de Nobel de médecine en 1972 qui affirmait d’ailleurs que « 30 % des maladies sont causés par les médicaments eux-mêmes » et le professeur Minkowski pour qui : « 99 % des médicaments sont inutiles ».

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L’expression d’hésitation vaccinale a principalement été développée dans les travaux d’Heidi Larson. Cette anthropologue dirige depuis 2010 le Vaccine Confidence Project, un programme de détection, par veille informatisée, des polémiques concernant les vaccins. Larson fait également partie du groupe de travail sur la réticence à la vaccination au sein du Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) sur la vaccination de l’OMS, une instance, financée en partie par la Fondation Gates, contestée en raison des conflits d’intérêts qui lient certains de ses membres à l’industrie pharmaceutique et créée dans la foulée de la crise de confiance observée à l’échelle mondiale lors de la pandémie grippale. L’hésitation vaccinale a dépassé les frontières territoriales et sociales qui caractérisaient les mouvements historiques de résistance à la vaccination. Le premier rempart contre l’hésitation vaccinale repose en France sur la force de conviction des professionnels de santé de proximité. Or, tous les praticiens ne sont pas acquis à la pertinence de la vaccination. Et c’est pourtant sur eux que reposent les politiques vaccinales.

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Vaccinations obligatoires : une spécificité française ?

« Ce que les gens détestent c'est d'être contraints sans être convaincus.»

Pr. Romain Gherardi, interviewé dans Le Parisien , 22 septembre 2017.

n France, au pays de Pasteur, les seules obligations vaccinales sur la population générale concernent l’enfant et sont prévues par les articles L3111-1 et suivants du Code

de la Santé Publique.

LA LOI FRANÇAISE

Ils prévoient que les vaccinations antidiphtérique, antitétanique par l'anatoxine sont obligatoires, "sauf contre-indication médicale reconnue".

L’article L.3111-2 ne vise pas l’obligation de vaccin anti-poliomyélite. Il indique seulement que la justification du vaccin doit être fournie à l’entrée en collectivité. L’obligation est établie par la jurisprudence pour la poliomyélite alors qu’elle l’est par la loi pour la diphtérie et le tétanos. L’article L3111-4 précise l’obligation de se vacciner contre l’hépatite B et la grippe pour les soignants exerçant "dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées". Des sanctions sont prévues pour les récalcitrants à l’article L3116-4: "Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination ou la volonté d'en entraver l'exécution sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 Euros d'amende".

LES PARADOXES FRANÇAIS La première obligation a concerné en France le vaccin anti-variolique en 1902. Par la suite, entre 1938 et 1964, d’autres vaccinations ont été rendues obligatoires : la diphtérie, le tétanos, la tuberculose et la poliomyélite. Après celle de la variole en 1984, l’obligation de la vaccination par le BCG (le vaccin bilié d’Albert Calmette et Camille Guérin) a été abandonnée en 2007. Aucune incidence épidémiologique n’a été observée dix ans après. L’incidence de la maladie n’a cessé de baisser. Finalement, en Europe, sur 29 pays, 15 recommandent des vaccins et 14 (dont la France, la Belgique, le Portugal ou l’Italie) optent pour une obligation d’au moins une vaccination, selon une étude comparative réalisée à l’échelle européenne. Mais, les résultats sont identiques avec ou sans obligation. L’exemple le plus éclairant est celui du vaccin DTP en France et en Allemagne. Même si en Allemagne la vaccination est simplement recommandée, elle atteint le même taux de couverture que dans l’Hexagone (99%), où les vaccins sont obligatoires. La Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a cité en exemple la couverture vaccinale de la Finlande. Mais la Finlande, comme la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni ou les Pays Bas ont un système de santé centralisé où 100 % des vaccinations se font dans le secteur public alors qu’en France seules 5 a 20 % des vaccinations y sont pratiquées.

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En France, les politiques vaccinales sont décidées par l’État, qui fixe les obligations et les recommandations, tout en laissant le soin aux professionnels libéraux de remplir la plus grande partie de cette mission. Encore un paradoxe français. La crainte d’une chute de la couverture vaccinale apparaît aujourd’hui comme la principale raison du maintien du régime d’obligation sans qu’aucune justification médicale ne soit avancée car la poliomyélite et la diphtérie ont disparu en France et en Europe occidentale depuis 30 ans. La source du tétanos se trouve partout, elle est tellurique et donc inépuisable, et son éradication est impossible.

UNE ATTEINTE A LA LIBERTE ? Les pays anglo-saxons ont préféré introduire dans leurs politiques vaccinales des clauses d’exemption d’ordre médical, religieux ou philosophique. Pour autant, les États-Unis, par exemple, où les vaccins sont simplement recommandés, contrôlent très strictement l’accès aux écoles des enfants s’ils ne sont pas vaccinés. A contrario, en France, 13% des enfants de grande section de maternelle n’étaient pas à jour de leurs vaccinations selon une enquête du Ministère de l’Éducation. Le rapport de la Cour des Comptes souligne que si les familles ont été averties et incitées à réaliser les rappels nécessaires, il n’existe pas de certitude quant a la régularisation de leurs situations car les services de l’éducation nationale donnent la priorité a la scolarisation des enfants. En France, certains pointent du doigt une obligation vaccinale qui serait en contradiction avec la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades (la loi Kouchner) qui octroie la possibilité à toute personne de pouvoir refuser des soins.

Vaccination au centre de PMI Laplace dans le Val-de-Marne Crédits : Christian PETIT Conseil Départemental Val-de-Marne

À l’échelle européenne, un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’arrêt Salvetti, rendu en juillet 2002, a précisé "qu’en tant que traitement médical non volontaire, la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales".

UN PRINCIPE SANCTIONNE PAR LA LOI Si l’obligation de vaccination est une exception française par rapport aux autres pays européens, la loi est intervenue récemment pour affirmer ces politiques jugées parfois contradictoires avec les libertés individuelles. Le Conseil Constitutionnel a ainsi confirmé en mars 2015 que les articles fixant l’obligation de vaccination dans le code de la santé publique sont "conformes à la Constitution". L’intérêt du groupe prime sur l’intérêt particulier : selon la Direction générale de la santé, dans une note de février 2014, "les obligations vaccinales qui répondent donc à un intérêt public portent atteinte à la liberté individuelle et l’intégrité physique de la personne ; l’intérêt public l’emporte donc sur les libertés individuelles mais, dans la mesure où il s’agit d’une atteinte importante aux libertés individuelles, seul le législateur est compétent pour édicter des obligations vaccinales".

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Dans un rapport sur les politiques vaccinales, Sandrine Hurel rappelait en janvier 2016 que si l’obligation de la vaccination n’est pas à remettre en question, cela ne signifie pas que la pertinence de l’obligation vaccinale et des résultats de la politique ne doit pas se poser.

QUELLE PERTINENCE ? L’obligation vaccinale n’est plus adaptée aux réalités épidémiologiques contemporaines. Et désormais, il est difficile de comprendre la pertinence entre vaccination recommandée et vaccination obligatoire. Car la vaccination est recommandée parfois pour des maladies bien plus dangereuses que celles que protège la vaccination obligatoire. L’hépatite B et les infections a papillomavirus humains (HPV), par exemple, sont respectivement responsables annuellement en France d’environ 1 300 décès par cirrhose ou cancer du foie pour le premier et, pour le second, de 1 000 décès par cancer du col de l’utérus, second cancer féminin en Europe

après le cancer du sein chez les femmes âgées de 15 à 44 ans. Pourtant, cette distinction, qui n’obéit pas à une logique de santé publique, a un impact administratif ou pénal en cas de non respect de l’obligation. De surcroît, ce système peu lisible peu conduire la population à assimiler le vaccin recommandable à un vaccin simplement "facultatif". Comme conclut Sandrine Hurel dans son rapport, "l’impact épidémiologique du taux de couverture vaccinale montre des résultats très satisfaisants pour la diphtérie, la poliomyélite et le tétanos chez l’enfant (vaccins obligatoires). Mais ce constat est plus nuance pour les infections invasives méningocoques, la rougeole et la rubéole, la grippe ainsi que l’hépatite B. La question d’une relation entre les résultats de la politique vaccinale française et l’existence d’obligations pour certaines vaccinations mérite donc d’être posée".

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Les labos complices ? « La pénurie de vaccins a été créée pour orienter les gens vers des vaccins combinés, beaucoup plus chers.»

Michel Georget, ancien président de la LNPLV.

Par Séverine Charon

compter de janvier 2018, il sera obligatoire de vacciner les jeunes enfants contre onze maladies, au lieu de trois seulement auparavant.

Toutefois, si cette décision surmédiatisée suscite la polémique depuis quelques mois, la question semble n’avoir été abordée qu’avec un seul et unique point de vue pénal : que faire face aux parents qui refusent de faire vacciner leurs enfants ? Faut-il sévir ? Leur faire payer l’amende théoriquement prévue par la loi ? Personne n’évoque un autre écueil possible à la mise en œuvre de cette politique : les vaccins seront-ils bien tous disponibles ?

LES PENURIES DES ANNEES 2000 Et cette question n’a rien de théorique. Lors des pénuries massives de 2001 aux États-Unis, huit des 11 vaccins recommandés pour la vaccination universelle des nourrissons et des enfants étaient indisponibles ou en nombre insuffisant. Les États-Unis ont été confrontés à ce problème dès les années 2000 et une abondante littérature a tenté d’en analyser les causes. Ainsi, les tensions d’approvisionnement concernent globalement les vaccins pédiatriques et ceux contre la grippe. Ces ruptures de stock ou tension ne sont pas liées à des questions de prix mais plutôt à des problèmes de production (lorsqu’un laboratoire quitte le marché ou lorsqu’il faut respecter de nouvelles normes sanitaires).

Pourtant, on imagine mal les quelques laboratoires producteurs de vaccins organiser une pénurie. Si le vaccin ne représente qu’une très faible part du marché pharmaceutique, il est caractérisé par une forte croissance (14 % par an depuis 2002) sous l’effet d’une recherche dynamique qui lui permet de compter une centaine de produits en développement, alors que dans le même temps l’activité des médicaments traditionnels recule. En 2016, Sanofi a encaissé un chiffre d’affaires proche de 4,6 milliards d’euros grâce aux vaccins. Si les labos n’ont aucun intérêt à organiser la pénurie, celle-ci fait souvent loi car la demande, mondiale, progresse fortement.

UNE PRODUCTION LONGUE ET COMPLEXE Les vaccins sont des produits vivants et les technologies actuelles ne permettent pas de réduire les délais de fabrication, qui varient de 12 à 24 mois. Par ailleurs, les laboratoires pharmaceutiques ne peuvent anticiper les changements de politiques vaccinales – rarement revus à la baisse – et prévoir d’adapter leur production. Et ni les laboratoires, ni les autorités sanitaires n’ont intérêt à constituer des sur-stocks de produits vivants (et donc périssables) en cas de tension ou de rupture d’approvisionnement. Bref, l’offre mondiale court après la demande mondiale, et la quantité de vaccins disponibles sur le marché

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français varie en fonction de la stratégie des laboratoires, et de leurs éventuels problèmes de production.

Cela fait des mois que le vaccin monovalent contre l’hépatite B n’est délivré qu’au compte-gouttes pour les seules personnes à risques. L’obligation vaccinale des professionnels de santé a même été adaptée car les deux laboratoires fournissant l’Engerix B (GSK) et le HBVaxPro (MSD Vaccins) n’arrivaient pas à suivre. Le Haut comité de Santé publique (HCSP) a ainsi recommandé en février dernier de différer la 3ème injection après la pénurie ou de recourir à un algorithme décisionnel pour les professionnels à vacciner.

Pour ce qui concerne l’extension de l’obligation de vaccination infantile, la Ministre de la santé a souligné que les nouvelles obligations vaccinales de 2018 ne changeront pas grand-chose à la demande, car la pratique actuelle est proche de ces nouvelles règles. Effectivement, l’extension de l’obligation à 11 vaccins correspond à 10 injections pour les enfants, étalées sur 2 ans. Aujourd’hui, au moins 70% des enfants reçoivent déjà ces 10 injections et 80% d'entre eux au moins 8 injections.

ÉVITER LES RATES DE PRODUCTION Reste que des ratés de production ne sont pas à exclure pour les deux seuls producteurs qui se partagent ce marché. Pour le vaccin contre le Méningocoque C, où il y a déjà eu pénurie en 2015 suite à des problèmes de production, la couverture vaccinale chez les nourrissons n’était que de 70% en 2015. La demande va donc augmenter sensiblement, les labos sont-ils prêts ?

Pour le pneumocoque, Pfizer est en situation de monopole. Il ne faut donc aucun raté de production, puisque la vaccination systématique reposera sur la capacité de ce seul laboratoire à approvisionner le

marché français.Quatre laboratoires seulement détiennent la totalité du marché des vaccins utilisés pour la vaccination infantile en France. Il s’agit des laboratoires Sanofi, GSK, Pfizer et MSD. Des délais de production longs, une augmentation notoire de la demande mondiale, une réglementation de mise sur le marché complexe : ces arguments ne suffisent pas à convaincre tout le monde. Certains s’interrogent. Pour des vaccins coûteux comme celui contre le papillomavirus ou pour la production d’hormones, on n’observe pas de rupture de stocks. Les retraits du marché obéissent à des logiques concurrentielles où la santé publique est absente. Et les pouvoirs publics sont bien impuissants pour réclamer tel ou tel vaccin indisponible. Une seule chose est sûre : la survenance d’une pénurie pour l’un ou l’autre des vaccins devenus obligatoires serait forcément mal comprise par l’opinion publique, au moment-même où les obligations sont renforcées.

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Peut-on s’interroger sur la vaccination sans être anti-vaccins ?

Tribune libre

ans la balance entre l’intérêt du groupe et l’intérêt individuel, la France a fait le choix, contrairement à d’autres pays, de l’obligation vaccinale. C’est une

préférence qui s’inscrit dans l’histoire du pays et qui s’explique par les politiques de santé déclenchées dès le début de l’histoire de la vaccination.

L’OBLIGATION VACCINALE EST

CONSTITUTIONNELLE Si certaines lois, comme la loi Kouchner, peuvent s’interpréter comme une dispense ou une liberté de choix, l’obligation de se vacciner n’est pas contraire à la Constitution française. L’État français a choisi de considérer l’obligation vaccinale comme une mesure de police sanitaire en adéquation avec l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « l’État garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Pour autant, l’obligation ne répond plus aux réalités épidémiologiques. Faut-il pour autant condamner l’obligation vaccinale ? Aujourd’hui, les anti-vaccination, c’est-à-dire les personnes fondamentalement opposées à toute forme de vaccination, restent marginaux car les controverses n’ont pas porté sur l’obligation de la vaccination mais bien plus sur la pertinence de la vaccination.

LA PERTINENCE DE LA VACCINATION

On ne peut réduire ainsi le débat à un simple « pour ou contre » la vaccination. Les scandales sanitaires de la grippe n’ont pas porté sur une opposition à la vaccination mais bien plus sur la débauche des moyens engagés par simple précaution. L’infléchissement de la confiance dans la vaccination est survenu à cause de ces épisodes malheureux dont les autorités sanitaires portent l’entière responsabilité. La récente controverse sur les vaccins infantiles DTP ne portait pas, non plus, sur l’opposition à la vaccination : le problème présenté devant le Conseil d’État était la pénurie de vaccins DTP pour justement respecter l’obligation vaccinale sans avoir recours à d’autres vaccins contenant d’autres valences (et de l’aluminium). Pour les principaux opposants, c’est plus la présence de cet aluminium qui devrait alerter les autorités. Alors pourquoi étendre la vaccination plutôt que de respecter un principe de précaution d’usage ? Le principal argument avancé (et qui se retrouve dans la plupart des rapports publiés sur le sujet) est l’ambivalence trompeuse du calendrier vaccinal entre

D

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"obligatoire" et "recommandé". Ce dernier étant trop souvent considéré comme "facultatif". L’extension de l’obligation vaccinale correspond à des vaccins dont bénéficient déjà 70% des enfants.

PREVALENCE DES VACCINS OBLIGATOIRES EN

2018 Au 1er janvier 2018, en plus des trois vaccins déjà obligatoires (diphtérie, tétanos et poliomyélite) viendront s'ajouter ceux contre l'haemophilius influenzae B, la coqueluche, l'hépatite B, la rougeole, les oreillons, la rubéole (ROR), le méningocoque C et le pneumocoque. Le virus haemophilius influenzae B est responsable de méningites parfois sévères et létales chez le nourrisson. De sévères bouffées épidémiques en Afrique (dans ce qu’on appelle la "ceinture de la méningite" de l'Erythrée à la Gambie) ont conduit à généraliser un vaccin en Europe. À partir de 1992 en France, la couverture vaccinale est donc devenue très élevée. L’incidence des infections invasives a été divisée par deux entre 1991 et 2009, et l’incidence des méningites a été divisée par dix. En 2014, la couverture vaccinale contre l’haemophilius influenzae B est de 89%. Entre 1998 et 2008, la fréquence des bactériémies dues à l’haemophilius influenzae B a eu tendance à augmenter chez les personnes de plus de 64 ans. On constate une recrudescence récente de la coqueluche certainement liée, selon les experts, à l’introduction de nouveaux vaccins, dits acellulaires, dans les années 2000 dont l’immunité contre le virus serait moins importante que celle des précédents vaccins. La couverture vaccinale contre la coqueluche est de 91% en 2014. En 2014, la couverture vaccinale contre l’hépatite B est de 78% pour les enfants de moins de 2 ans. C’est ce vaccin qui cristallise le plus les réticences car il devrait concerner les personnes les plus exposées aux

risques. D’autant que la durée du vaccin est limitée et ne protègera pas l’enfant à l’âge adulte.

La pochette du film "Vaxxed ", soutenant la thèse d’un lien entre vaccination et autisme, d’Andrew Wakefield, radié de

l’ordre des médecins anglais pour fraude scientifique.

La couverture vaccinale pour le ROR en 2014 pour les enfants de moins de 2 ans est de 72%. Malgré tout, entre 2008 et 2012, la France a connu une épidémie majeure de rougeole (environ 20 000 cas et 10 décès enregistrés). L’argument souvent avancé est l’hésitation des parents voire la falsification des documents administratifs. La couverture vaccinale pour le méningocoque C est disponible depuis peu de temps. Elles atteignent 57,6 % chez les enfants âgés de 1 à 4 ans, 31,7 % chez les 5-14 ans et seulement 10,5 % chez les adolescents ou jeunes adultes âgés de 15 à 24 ans. Entre 2012 et 2015, plusieurs pics d’infections invasives à méningocoque C ont été constatés, particulièrement dans la population homosexuelle masculine. La couverture vaccinale contre les infections invasives à pneumocoque est en progression pour atteindre, en 2014, 89 % (schéma complet) ou 97 % (une dose). L’incidence de la maladie touche particulièrement les nourrissons. Elle reste stable dans le temps ces dernières années, soit environ 13 cas pour 100 000 personnes.

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Mais l’InVS constate que la couverture vaccinale du nourrisson pour la primo-vaccination contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite et les méningites à haemophilus influenzae b, effectuée avec des vaccins combinés qui peuvent également inclure l’hépatite B, est très élevée en France depuis de nombreuses années, autour de 98%. Tous les indicateurs montrent que la couverture vaccinale chez les nourrissons augmente jusqu’en 2015. Toutefois, l’institut français s’alerte, entre les premiers semestres 2014 et 2015, d’une diminution du nombre de doses de ces vaccins remboursées chez les enfants de moins de 9 mois, estimant, à partir de ces données, que "la baisse de l’activité de vaccination du nourrisson serait proche de 5%. Le fait que cette diminution concerne les vaccins combinés mais également le vaccine Prevenar© pour lequel il n’y a pas eu de difficultés d’approvisionnement en 2015, plaide en faveur de l’hypothèse d’un accroissement de l’hésitation vaccinale. Cette baisse constitue un résultat préoccupant."

UN RAPPORT ALLEMAND QUI SEME LE TROUBLE Un rapport du sérieux Institut Robert Koch allemand en date de juillet 2017 s’alarme de la recrudescence de certaines maladies qui réapparaissent avec les vagues de migrants dernièrement. L’institut a ainsi recueilli les données sur plus de 50 maladies infectieuses en Allemagne : la plupart des maladies infectieuses à déclaration obligatoire augmente. Notamment la tuberculose, en augmentation significative en 2015.

Face à l’absence d’arguments solides pour justifier l’extension de l’obligation vaccinale en France, certains n’hésitent pas à faire le lien avec l’entrée de nouveaux virus et maladies avec l’afflux des populations migrantes.

LE BENEFICE/RISQUE DE LA VACCINATION

ETENDUE L’extension de l’obligation vaccinale infantile ne va pas améliorer la mortalité infantile. On constate environ 2700 décès d’enfants de moins de 1 an et 4000 décès pour les moins de 15 ans. La vaccination obligatoire ne va pas changer grand-chose. Certains vaccins concernent des maladies très rares comme la méningite à méningocoque C dont on recense 120 cas par an. La vaccination universelle risque de provoquer plus d’effets indésirables graves chez les nourrissons que de bénéfices dans la population générale. Les autorités sanitaires invoquent des justifications fallacieuses car on ne peut observer en France de réduction nette de la couverture vaccinale des nourrissons mais seulement la crainte d’une réduction de cette couverture vaccinale. Enfin, l’extension de l’obligation vaccinale infantile ne garantit pas une augmentation de la couverture vaccinale et aucun bénéfice de santé publique significatif ne peut être espéré pour certains des vaccins concernés par l’extension de l’obligation. Cette décision unilatérale d’une vaccination "en bloc" risque bien d’avoir l’effet inverse que celui escompté…

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Bibliographie indicative

ÉTUDES ET RAPPORTS « Vaccination des jeunes enfants : des données pour mieux comprendre l’action publique », InVS Santé Publique France, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, Hors série, 19 octobre 2017, 40 p. « Rapport sur la vaccination », Fischer Alain, Comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, novembre 2016, Ministère des Affaires sociales et de la Santé, 502 p. « Rapport sur la politique vaccinale », Hurel Sandrine, Paris, Assemblée nationale, rapport parlementaire demandé par le Premier Ministre, janvier 2016, 121 p. « Vaccinations : attitudes et pratiques des médecins généralistes », Etudes et Résultats n°910, DREES, mars 2015, 8 p. « La politique vaccinale en France », Cour des Comptes, Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales du Sénat, octobre 2012, 161 p.

« Libertés individuelles et santé collective. Une étude socio-historique de l’obligation vaccinale », Bertrand Anne et Torny Didier, rapport CERMES, novembre 2004, 106 p.

OUVRAGES Barnéoud Lise, « Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins », Paris, Premier Parallèle, 2017, 237 p. Belle Virginie, « Faut-il faire vacciner son enfant ? », Paris, Max Milo, 2012, 250 p. Berthoud Françoise, « La (bonne) santé des enfants non vaccinés », Saint-Julien-en-Genevois, Jouvence, 2013, 160 p. Bertrand Jean-Jacques, Saliou Pierre, Seytre Bernard, « Les sentinelles de la vie, Le monde des vaccins », Paris, Albin Michel, 2006, 220 p. Chamayou Grégoire, « L’inoculation, expérience de masse », dans Les corps vils. sous la direction de Chamayou Grégoire. Paris, La Découverte, « Poche/Sciences humaines et sociales », 2014, p. 97-138. Delarue Fernand, « L’intoxication vaccinale », Paris, Seuil, 1977, 255 p. Georget Michel, «Vaccinations. Les vérités indésirables », Escalquens, Dangles, 2011, 480 p. Guimezanes Annick et Mathieu Marion, « Vaccination : agression ou protection ? », Paris, Le Muscadier, « Choc santé », 2015, 128 p.

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Guimier Lucie, « Approche géopolitique de la résistance aux vaccinations en France : le cas de l’épidémie de rougeole de 2008-2011 », Sous la direction de Béatrice Giblin et de Jeanne-Marie Amat-Roze, soutenue en novembre 2016, Paris 8, 461 p. Guthmann Jean-Paul, Fonteneau Laure, Levy-Bruhl Daniel, « Mesure de la couverture vaccinale en France : Sources de

données et données actuelles. » , Institut de veille sanitaire , 2012. 98 p. Levy-Bruhl Daniel, « La politique vaccinale », chapitre 34, dans Traité de santé publique, Bourdillon François, Brücker Gilles, Tabuteau Didier, « Collection Traités », Lavoisier, 2007.

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