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JEAN D. KABONGO
LA VALORISATION RÉSIDUELLE : UNE ÉTUDE DE CAS
DANS DOUZE FIRMES CANADIENNES
Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en sciences de l’administration pour l’obtention
du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)
DÉPARTEMENT DE MANAGEMENT FACULTÉ DES SCIENCES DE L’ADMINISTRATION
UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC
Octobre 2006
©Jean D. Kabongo, 2006
ii
RÉSUMÉ
Depuis une vingtaine d’années, la valorisation des sous-produits industriels et des matières
résiduelles dans les procédés productifs suscite beaucoup d’intérêt de la part des dirigeants industriels
et politiques. Cet intérêt grandissant se justifie sans doute par le désir de nouvelles opportunités
d’affaires et par l’urgence qu’il y a à mettre en œuvre les principes du développement durable aux
échelles macroéconomique et microéconomique. Depuis lors, la valorisation résiduelle a fait l’objet de
nombreuses recherches qui s’articulent autour du concept d’écologie industrielle. Celle-ci propose un
cadre de référence à l’optimisation de l’usage des ressources dans les systèmes productifs. Les
recherches ont été largement dominées par les approches scientifiques et d’ingénierie. Ces approches
abordent l’écologie industrielle, en particulier la valorisation résiduelle, dans la perspective de l’analyse
des flux de matière et d’énergie et du développement des technologies de réduction et de
transformation des déchets, essentiellement au niveau global et interentreprises. Cependant, de telles
approches ignorent largement le fonctionnement des pratiques de valorisation résiduelle au niveau
intra-entreprise. Ainsi, en ce qui concerne la valorisation résiduelle, la vision technoscientifique pose le
problème de l’écologie industrielle en termes de modélisation mathématique et de description des
outils de mise en œuvre de l’écologie industrielle.
La présente recherche aborde la problématique de la valorisation résiduelle dans une perspective
différente. Elle se veut managériale. Elle s’attache à analyser les mécanismes de la valorisation
résiduelle comme pratique d’écologie industrielle à l’échelle des différentes fonctions des entreprises
industrielles canadiennes étudiées. Par cette analyse, la recherche vise à comprendre les enjeux de ces
pratiques pour la gestion des ces entreprises ainsi que les difficultés auxquelles les gestionnaires de ces
mêmes entreprises font face. Pour atteindre cet objectif, cette recherche repose sur une approche
qualitative et empirique prenant la forme d’une étude de cas qui emprunte des éléments de la grounded
theory. Pour mieux analyser la valorisation résiduelle dans la perspective managériale, le cadre
conceptuel est forgé à partir d’une synthèse des courants de pensée en écologie industrielle identifiés
dans la littérature. Le cadre conceptuel proposé repose ainsi sur les notions de reconnaissance
d’opportunités, de transformation des sous-produits industriels et de gestion des processus d’affaires.
C’est à partir de ces trois notions que les concepts fondamentaux de l’étude ont été définis.
iii
À partir des résultats portant sur les définitions de la valorisation ainsi que sur les motivations
favorisant des initiatives d’écologie industrielle dans les entreprises visitées, la recherche propose un
modèle conceptuel de la valorisation résiduelle, modèle qui repose sur les concepts d’introduction, de
transformation des résidus en produits à valeur commerciale, de réseau d’échange des sous-produits et
de développement des marchés pour les produits élaborés à partir des résidus industriels (ITEM). Ce
modèle conceptuel a permis d’examiner les structures et le fonctionnement des pratiques de
valorisation dans les entreprises étudiées. Cet examen montre que l’utilisation des sous-produits
industriels se fait aux trois échelles de la chaîne de production : à l’entrée, puis pendant le processus de
conversion de ces résidus et, enfin, à la sortie des produits élaborés. Les différents modes d’utilisation
des sous-produits définissent à leur tour quatre modes de valorisation résiduelle : la transformation des
résidus en produits à valeur commerciale, la substitution des matières nobles par différents résidus,
l’utilisation des matières résiduelles comme source énergétique et l’utilisation des matières résiduelles
pour renforcer la qualité des produits finis. À partir de ces modes d’utilisation identifiés, la présente
étude propose une typologie des pratiques de valorisation résiduelle.
L’analyse de la gestion environnementale des pratiques de valorisation dans les cas étudiés
montre que la valorisation résiduelle éco-efficiente constitue la forme la plus avancée des pratiques
d’écologie industrielle, c’est-à-dire celle qui se rapproche le plus des principes écologiques
d’optimisation de l’usage des ressources dans les procédés productifs (Frosch et Gallopoulos, 1989).
L’intégration de l’écologie et de l’économie se traduit par un processus graduel, sous-jacent aux
résultats économiques favorables de l’entreprise. La valorisation résiduelle soulève des problèmes
majeurs par rapport à l’introduction de résidus dans les procédés, à la transformation de ceux-ci en
produits commerciaux et au développement des marchés. L’intensité et l’extension de la plupart de ces
problèmes font de la valorisation résiduelle un type particulier d’activité industrielle appelé ici « hyper-
flexible », en comparaison avec d’autres activités basées sur l’introduction des matières premières
standardisées.
Les résultats de la présente thèse montrent, d’abord, la pertinence de l’analyse des pratiques de
valorisation résiduelle dans une perspective empirique et de gestion. Ce qui remet en cause deux
choses : les approches physico-chimiques sont les seules qui offrent un cadre de référence, et les bases
sur lesquelles devrait reposer l’écologie industrielle sont un moyen de mettre en œuvre les principes du
développement durable. Plusieurs études théoriques ont tenté de soutenir cette tendance dans le
développement actuel de l’écologie industrielle comme domaine d’étude et de recherche. La présente
iv
recherche contribue à montrer que la prise en compte de la dimension managériale ou les expériences
de valorisation des sous-produits industriels dans les entreprises font partie intégrante des thèmes de
l’écologie industrielle au même titre que les modélisations et les analyses physico-chimiques. Ce qui
apporte une réponse au débat actuel portant sur le statut « positif » ou « normatif » de l’écologie
industrielle. La présente thèse montre ainsi la nécessité d’incorporer l’approche managériale dans le
développement de l’écologie industrielle.
Ensuite, les résultats de la présente recherche donnent une consistance opérationnelle aux
pratiques d’utilisation et de transformation des sous-produits et des matières résiduelles dans les
procédés productifs. Les différents concepts construits et défendus dans cette étude précisent et
délimitent les frontières de la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle, ce qui
contribue à consolider les concepts et à donner de la rigueur aux concepts et aux termes utilisés en
écologie industrielle, et de façon plus précise, la valorisation résiduelle. Enfin, à partir des expériences
concrètes du vécu des gestionnaires, la thèse contribue à montrer les difficultés opérationnelles de la
valorisation résiduelle, comme pratique d’écologie industrielle dans l’entreprise.
Mots clés : écologie industrielle, valorisation résiduelle, développement durable, environnement,
optimisation, procédé, sous-produits, matières résiduelles, gestion environnementale, introduction,
transformation, échange, marché.
v
REMERCIEMENTS
L’élaboration de cette thèse, qui représente le couronnement de mon cheminement dans le
programme de doctorat, n’aurait pu se faire sans le soutien moral, intellectuel et financier d’un grand
nombre de personnes.
J’exprime ma profonde reconnaissance au professeur Olivier Boiral pour la confiance qu’il m’a
témoignée en acceptant de diriger ma thèse. Sa disponibilité, ses conseils et ses remarques pertinentes
ont contribué à enrichir mon expérience dans la conduite de ma recherche. Mes remerciements vont
également aux membres du jury de la thèse, les professeurs Marie-Josée Roy, Gérard Verna, Paule
Halley, Dominique Bourg ainsi qu’Antoine Gautier, directeur du programme de doctorat, pour avoir
accepté de suivre et d’évaluer cette thèse.
Je remercie de façon particulière M. Gérard Croteau du ministère de l’Environnement du
Québec pour les précieuses discussions et les nombreux échanges de données qui m’ont permis
d’élargir ma vision du domaine de l’écologie industrielle.
Je remercie les représentants du Fonds québécois de recherche sur la nature et les technologies,
en particulier Mme Marise Ouellet, pour la bourse d’excellence qui m’a été accordée afin de poursuivre
mes études de doctorat.
Ma reconnaissance va également aux responsables et aux gestionnaires des entreprises qui ont
accepté de participer à cette étude. Sans leur disponibilité et leur ouverture d’esprit, celle-ci n’aurait pas
pu être réalisée. Je remercie ainsi, au nom des tous les participants à l’étude, MM. Claude Fortin, vice-
président de Nova Pb; Alain Bergeron, chef de l’environnement chez Magnola; Pierre Beaulieu,
directeur de l’énergie et de l’environnement chez Ciment Saint-Laurent; Alain Beaudet, coordinateur à
l’environnement chez Lafarge; Paul Turcot, directeur général de Royal-Mat; Richard Turcotte,
coordinateur à l’environnement chez Papiers Stadacona; Claude Bourgault, directeur général de
Rothsay-Laurenco; Michel Allard, directeur général de Recmix; Daniel Gosselin, directeur général
d’Animat; Jean-Marie Raymond, directeur général de Scopcat; Duong Nguyen, vice-président de
Bitumar; et Jacquelin Dea, ingénieur de procédé chez Kronos.
Je remercie Mme Josette Brogan et Mme Line Poirier pour l’aide à la correction de cette thèse.
vi
À ma femme, Rosa, et à ma fille, Nathalie
vii
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ...................................................................................................................................................................ii
REMERCIEMENTS..............................................................................................................................................v
TABLE DES MATIÈRES ..................................................................................................................................vii
LISTE DES FIGURES........................................................................................................................................xii
LISTE DES TABLEAUX..................................................................................................................................xiii
LISTE DES ABRÉVIATIONS ........................................................................................................................xiv
INTRODUCTION GÉNÉRALE ......................................................................................................................1
PREMIÈRE PARTIE.........................................................................................................................................5
REVUE DE LITTÉRATURE SUR L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET CADRE
CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE ....................................................................................................5
CHAPITRE 1...........................................................................................................................................................7
LA VALORISATION DES DÉCHETS : ARRIÈRE-PLAN HISTORIQUE ET THÉORIQUE ....7
1.1. La gestion des déchets dans l’histoire 8 1.2. L’intégration des systèmes productifs : pratiques anciennes 12 1.3. Les antécédents de l’émergence de l’écologie industrielle contemporaine 15
CHAPITRE 2.........................................................................................................................................................19
LES DÉFINITIONS ET LES FONDEMENTS DE L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE..................19
2.1. Les définitions et les objectifs de l’écologie industrielle 20 2.1.1. Les définitions contextuelles...............................................................................................21
2.1.2. La perspective physico-chimique.......................................................................................27
2.1.3. Les objectifs principaux de l’écologie industrielle...........................................................32
2.2. Du bio-mimétisme à la valorisation résiduelle 36 2.2.1. Bio-mimétisme et écologie industrielle .............................................................................37
2.2.2. La perspective systémique...................................................................................................38
2.2.3. La valorisation résiduelle .....................................................................................................39
2.3. La mise en œuvre de l’écologie industrielle 50 2.3.1. Les trois échelles opérationnelles de l’écologie industrielle ..........................................50
2.3.2. Les stratégies régionale et globale de l’écologie industrielle..........................................53
2.3.3. L’écologie industrielle à l’échelle interentreprises ...........................................................57
2.3.4. L’écologie industrielle à l’échelle intra-entreprise ...........................................................66
2.4. Les typologies d’écologie industrielle 82 2.4.1. La typologie de Boons et Baas (1997)...............................................................................82
viii
2.4.2. La typologie d’Andersen (2003) .........................................................................................83
2.5. Les éléments fondamentaux de l’écologie industrielle 87 CHAPITRE 3.........................................................................................................................................................90
L'ANALYSE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE SUR L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE..........90
3.1. Les principaux courants de pensée en écologie industrielle 90 3.1.1. Les courants de pensée idéologiques selon Opoku (2004) ...........................................91
3.1.2. Les courants de pensée pratiques d’optimisation des ressources ................................97
3.2. Les limites de la littérature sur l’écologie industrielle 105 3.2.1. Manque de définitions rigoureuses................................................................................. 105
3.2.2. Concepts abstraits.............................................................................................................. 106
3.2.3. Délimitation des frontières de l’écologie industrielle .................................................. 107
3.3. Les obstacles à l’écologie industrielle 108 3.3.1. Les obstacles d’ordre technique ...................................................................................... 109
3.3.2. Les obstacles d’ordre structurel....................................................................................... 111
3.3.3. Les obstacles d’ordre socioculturel................................................................................. 112
3.3.4. Les obstacles d’ordre institutionnel................................................................................ 114
CHAPITRE 4...................................................................................................................................................... 118
LE CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE............................................................................. 118
4.1. La perspective de recherche : approche managériale 118 4.2. La construction du cadre conceptuel 121
4.2.1. La reconnaissance de l’opportunité ................................................................................ 121
4.2.2. La valorisation résiduelle comme utilisation et transformation ou axe matériel.... 123
4.2.3. La valorisation résiduelle comme réorganisation et gestion des processus d’affaires
ou « axe formel » ................................................................................................................................... 128
DEUXIÈME PARTIE................................................................................................................................... 134
FONDEMENTS MÉTHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE ......................................... 134
CHAPITRE 5...................................................................................................................................................... 136
LA MÉTHODOLOGIE ET LES TECHNIQUES DE RECHERCHE ............................................. 136
5.1. L’approche méthodologique 136 5.2. La collecte d’information 140 5.3. Les entreprises étudiées 141
5.3.1. Les critères de choix des entreprises étudiées .............................................................. 141
5.3.2. La présentation des cas étudiés ....................................................................................... 142
5.3.3. La présentation du questionnaire.................................................................................... 155
5.4. L’analyse et l’interprétation des résultats 159
ix
5.4.1. La collecte des données .................................................................................................... 159
5.4.2. La retranscription des verbatims..................................................................................... 160
5.4.3. La construction des catégories de données................................................................... 160
5.4.4. L’analyse de chaque cas étudié ........................................................................................ 165
5.4.5. L’interprétation globale des résultats.............................................................................. 165
TROISIÈME PARTIE .................................................................................................................................. 168
LES RÉSULTATS DE L’ÉTUDE ............................................................................................................ 168
CHAPITRE 6...................................................................................................................................................... 170
LA VALORISATION RÉSIDUELLE EN PRATIQUE......................................................................... 170
6.1. Des perceptions contrastées de la valorisation résiduelle 170 6.1.1. L’accès aux matières premières ....................................................................................... 171
6.1.2. Le cycle de traitement ....................................................................................................... 172
6.1.3. La valeur commerciale ...................................................................................................... 175
6.1.4. Les bénéfices pour l’environnement .............................................................................. 176
6.2. Les motivations pour la valorisation résiduelle 179 6.2.1. Le profit économique et le leadership du marché ....................................................... 179
6.2.2. La solution à un problème précis.................................................................................... 181
6.2.3. Les politiques gouvernementales, les lois et les règlements....................................... 182
6.2.4. L’image corporative........................................................................................................... 184
CHAPITRE 7...................................................................................................................................................... 186
LE MODÈLE CONCEPTUEL DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE..................................... 186
7.1. Les éléments de la valorisation résiduelle 187 7.1.1. L’introduction des sous-produits.................................................................................... 187
7.1.2. La transformation des sous-produits ou matières résiduelles.................................... 190
7.1.3. L’échange des sous-produits............................................................................................ 192
7.1.4. Le développement des marchés...................................................................................... 194
7.2. La valorisation résiduelle revisitée 196 CHAPITRE 8...................................................................................................................................................... 197
LES STRUCTURES ET LE FONCTIONNEMENT DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE197
8.1. Les échelles de valorisation résiduelle 197 8.1.1. La valorisation à l’entrée................................................................................................... 197
8.1.2. La valorisation pendant le processus de transformation............................................ 198
8.1.3. La valorisation à la sortie .................................................................................................. 199
8.2. Les modes de valorisation résiduelle 203
x
8.2.1. L’élaboration des produits finis....................................................................................... 204
8.2.2. La substitution des matières conventionnelles............................................................. 204
8.2.3. La source alternative d’énergie ........................................................................................ 206
8.2.4. Le renforcement de la qualité des produits finis.......................................................... 207
8.3. Les types identifiés de valorisation résiduelle 210 8.3.1. La valorisation primaire optimale ................................................................................... 211
8.3.2. La valorisation primaire maximale.................................................................................. 213
8.3.3. La valorisation secondaire optimale ............................................................................... 214
8.3.4. La valorisation secondaire maximale.............................................................................. 215
CHAPITRE 9...................................................................................................................................................... 217
LA GESTION ENVIRONNEMENTALE DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE................ 217
9.1. Les pratiques de gestion environnementale de la valorisation résiduelle 218 9.1.1. La politique environnementale........................................................................................ 218
9.1.2. Les indicateurs de performance environnementale..................................................... 221
9.1.3. Le paradoxe de la valorisation résiduelle ....................................................................... 224
9.2. Le processus d’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise 228 9.2.1. La conscientisation ou la connaissance du métier ....................................................... 230
9.2.2. La structuration des activités de valorisation................................................................ 231
9.2.3. L’affirmation de la fonctionnalité des procédés........................................................... 231
9.2.4. La consolidation vers l’éco-efficience ............................................................................ 232
CHAPITRE 10.................................................................................................................................................... 236
LES FACTEURS DE SUCCÈS DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE...................................... 236
10.1. Mobiliser les ressources 236 10.1.1. La disponibilité des matières résiduelles à valoriser .................................................... 236
10.1.2. Les moyens financiers et économiques ......................................................................... 238
10.1.3. Le personnel motivé et engagé........................................................................................ 240
10.2. Structurer les opérations résiduelles 242 10.2.1. Les structures en amont et en aval ................................................................................. 242
10.2.2. Les structures de pré-conditionnement et de transfert des technologies................ 244
10.3. Développer et gérer les compétences clés 248 10.3.1. La maîtrise de la variabilité des flux des matières ........................................................ 250
10.3.2. La maîtrise des procédés et innovation technologique............................................... 252
10.3.3. La maîtrise de savoir-faire professionnels ..................................................................... 253
10.3.4. La maîtrise des aspects commerciaux ............................................................................ 256
xi
10.4. Rationaliser les méthodes 258 CHAPITRE 11.................................................................................................................................................... 261
LES PROBLÈMES DE VALORISATION RÉSIDUELLE................................................................... 261
11.1. L’hyper-flexibilité fonctionnelle 261 11.1.1. La valorisation résiduelle comme type particulier d’activités industrielles .............. 262
11.1.2. La valorisation résiduelle comme une activité stochastique ...................................... 263
11.2. La dynamique de la valorisation résiduelle : difficultés générales 264 11.2.1. Administration générale des intrants.............................................................................. 267
11.2.2. La gestion opérationnelle des intrants ........................................................................... 271
11.2.3. La gestion des aspects réglementaires............................................................................ 278
11.2.4. L’administration générale du processus de transformation ....................................... 293
11.2.5. La gestion des opérations de transformation ............................................................... 296
11.2.6. Le développement des marchés et des ventes.............................................................. 300
CONCLUSION GÉNÉRALE ....................................................................................................................... 306
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................................ 320
ANNEXES .......................................................................................................................................................... 345
LE QUESTIONNAIRE DE RECHERCHE ............................................................................................. 346
xii
LISTE DES FIGURES
Figure 1. Niveaux d’opération de l’écologie industrielle (Lifset et Graedel, 2002)......................... 51
Figure 2. Processus d’identification des types d’écologie industrielle (Andersen, 2003, p. 23) ..... 85
Figure 3. Modèle intégrateur des éléments fondamentaux de l’écologie industrielle ...................... 88
Figure 4. Dimensions et concepts fondamentaux de la recherche .................................................. 122
Figure 5. Schématisation de la recherche sur la valorisation résiduelle ......................................... 137
Figure 6. Construction des catégories .............................................................................................. 162
Figure 7. Définitions de la valorisation résiduelle........................................................................... 171
Figure 8. Éléments de la valorisation résiduelle .............................................................................. 186
Figure 9. Échelles d’utilisation des matières résiduelles................................................................. 198
Figure 10. Types de valorisation résiduelle ..................................................................................... 211
Figure 11 : Modèle intégrateur de l’écologie et de l’économie de l’entreprise .............................. 229
Figure 12. Structures de valorisation résiduelle............................................................................... 248
Figure 13. Compétences clés de la valorisation résiduelle.............................................................. 249
Figure 14. Matrice des problèmes de la valorisation résiduelle ...................................................... 266
Figure 15. Problèmes d’administration générale des intrants ......................................................... 267
Figure 16. Problèmes de gestion opérationnelle des intrants ......................................................... 271
Figure 17. Problèmes de gestion des aspects réglementaires......................................................... 278
Figure 18. Types de réglementations environnementales ............................................................... 286
Figure 19. Problèmes d’administration générale du processus de transformation ........................ 293
Figure 20. Problèmes de gestion des opérations de transformation............................................... 297
Figure 21. Problèmes de développement des marchés et des ventes ............................................. 301
Figure 22. Problèmes de valorisation résiduelle............................................................................. 304
xiii
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1. Gestion des déchets dans l’histoire des hommes............................................................... 9
Tableau 2. Exemples d’intégration des systèmes productifs dans le passé ...................................... 13
Tableau 3. Définitions contextuelles de l’écologie industrielle ........................................................ 22
Tableau 4. Valorisation résiduelle et logistique inversée .................................................................. 46
Tableau 5. Types de comptabilité environnementale (EPA, 1995) .................................................. 79
Tableau 6. Courants de pensée idéologique....................................................................................... 92
Tableau 7. Courants de pensée d’optimisation des ressources.......................................................... 98
Tableau 8. Obstacles à l’écologie industrielle ................................................................................. 110
Tableau 9. Résumé des cas étudiés .................................................................................................. 143
Tableau 10. Catégories et passages codés........................................................................................ 163
Tableau 11. Indice de valorisation (iV) dans quelques cas analysés .............................................. 188
Tableau 12. Indice de valorisation (iV) dans les cimenteries analysées ......................................... 188
Tableau 13. Modes de valorisation selon les cas étudiés ................................................................ 203
Tableau 14. Gestion environnementale de la valorisation résiduelle.............................................. 219
Tableau 15. Lois, règlements et guides gouvernementaux qui traitent de la gestion des matières résiduelles inorganiques ........................................................................................................... 283
xiv
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AFPCC Association des fabricants des produits chimiques du Canada
BTU British Thermal Unit
CBOT Chicago Board Of Trade
CEAQT Commission européenne de l’environnement, de l’agriculture et des questions
territoriales sur l’agriculture
Cl2 Chlore gazeux
CNUCD Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement
CO2 Gaz carbonique
CTTÉI Centre de transfert technologique en écologie industrielle
DFE Design for Environment
EMAS Environmental Management and Audit Scheme
EPA Environmental Protection Agency
GES Gaz à effet de serre
GRN Global Recycling Network
HACCP Analyse des risques et points de contrôle critique
H2SO4 Acide sulfurique
HCl Acide chlorhydrique
ISO International Standards Organization
LCA Life-Cycle Assessment
MFA Material Flow Analysis
MgCl2 Chlorure de magnésium
NMEN National Materials Exchange Network
NPE Nonylphénol et ses dérivés éthoxylés
ONG Organisation non gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
QI Quantité introduite
QV Quantité valorisée
SF6 Hexafluorure de soufre
TiO2 Bioxyde de titane
xv
TRNEE Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie
UNEP United Nations Environment Programme
VRP Valorisation résiduelle primaire
VRS Valorisation résiduelle secondaire
WBCSD World Business Council for Sustainable Development
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La valorisation résiduelle constitue un phénomène qui fait l’objet de nombreuses recherches
depuis le début des années 1990 (Guide et Srivastava, 1998; Guide, 2000; Fleischmann et al., 2001;
Ferrer et Whybark, 2001; Guide et Van Wassenhove, 2002). Depuis les années 1990, bon nombre de
ces recherches s’articulent autour du concept d’écologie industrielle (Frosch et Gallopoulos, 1989;
Frosch, 1992). L’écologie industrielle s’est constituée comme un domaine d’étude et de recherche qui
tente d’introduire des transformations profondes dans les systèmes de production et de consommation
(Frosch et Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992; Graedel et Allenby, 1995; Allenby, 1997; Erkman, 1998;
Lifset et Graedel, 2002) en vue d’atteindre les objectifs du développement durable (DeSimone et
Popoff, 1997). Des efforts constants sont déployés dans plusieurs secteurs industriels pour récupérer
les sous-produits et les utiliser comme intrants principaux dans les procédés de production. Par cette
forme d’optimisation de l’usage des ressources de la part de nombreuses entreprises, l’écologie
industrielle apparaît de plus en plus comme la démarche la plus appropriée pour mettre en œuvre les
principes du développement durable dans les organisations (Tibbs, 1993; Van Barkel et Lafleur, 1997;
Laville, 2002). Selon bon nombre de chercheurs, l’écologie industrielle repose sur la volonté, de la part
des différents acteurs économiques, de fonder les activités productives sur de nouvelles valeurs visant
la préservation des écosystèmes naturels, ainsi que la conception de produits et de procédés qui laissent
moins ou presque pas d’impacts négatifs sur l’environnement (Graedel et Allenby, 1995; Chertow,
1998).
Le rôle des entreprises dans le développement de l’écologie industrielle a été souligné par
plusieurs chercheurs (Tibbs, 1993; Van Berkel, Willems et Lafleur, 1997; Allenby, 1999a). L’utilisation
des résidus industriels comme matières premières présente des opportunités d’affaires (Tibbs, 1993), ce
qui intéresse de nombreux industriels et instances gouvernementales (Boiral et Croteau, 2001b). D’une
part, cette utilisation présente des alternatives à la quête de solutions aux problèmes de gestion
d’énormes quantités de déchets générés chaque année par l’industrie. D’autre part, l’utilisation des
résidus industriels ouvre des voies vers des stratégies organisationnelles : la croissance et la pérennité
de l’entreprise, la restructuration des opérations de production, la recherche de partenaires ou encore le
développement de ressources humaines. Bien que les firmes industrielles soient considérées par les
2
spécialistes de l’écologie industrielle comme des partenaires dans l’adoption de nouvelles stratégies de
conception des produits et des procédés industriels (Lifset et Graedel, 2002), les études de cas qui
permettraient de comprendre la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle sont
encore peu nombreuses.
Cependant, il existe une littérature abondante qui se rapporte au domaine de l’écologie
industrielle. Cette vaste littérature repose, pour l’essentiel, sur des réflexions théoriques et des
modélisations mathématiques qui, elles, portent sur l’analyse de flux de matière et d’énergie dans les
systèmes actuels de production industrielle (Ibenholt, 2002; Bartelmus, 2002; Bringezu et Moriguchi,
2002; De Bruyn, 2002). Quelques travaux portent sur la mise en œuvre des principes d’écologie
industrielle à l’échelle de l’entreprise. Ces travaux soulignent les facteurs de réussite de cette mise en
œuvre, en particulier la valorisation résiduelle au sein des entreprises. Ils portent sur divers aspects : le
développement de nouvelles technologies (Ausubel et Langford, 1997; Grübler, 1998; Chertow, 2001);
l’adaptation des procédés aux matières résiduelles à utiliser (Ausubel, 1996; Hendrickson et al., 2002); le
développement des réseaux d’échange des matériaux et l’approvisionnement constant de ces derniers
(Schwarz et Steininger, 1997; Sagar et Frosch, 1997; Côté et Cohen-Rosenthal, 1998; Guide, 2000); le
développement de l’avantage concurrentiel (Esty et Porter, 1998); ainsi que la révision des mécanismes
réglementaires (Graedel et Allenby, 1995; Allenby, 1999a).
L’examen d’un grand nombre de ces travaux a mené à deux constats. Primo, il y a de nombreuses
contributions portant sur des modèles mathématiques d’optimisation et de design technologique de
l’usage des ressources. Ces données se proposent de décrire les outils de mise en œuvre de l’écologie
industrielle en mettant un accent particulier sur le développement des technologies de réduction et de
transformation des déchets ainsi que sur les modèles mathématiques d’analyse globale des flux de
matière et d’énergie dans les systèmes industriels de production. Secundo, la plupart des travaux portant
sur l’écologie industrielle tentent de mieux comprendre, dans une perspective élargie, les principes de
l’écologie industrielle, de théoriser les mécanismes d’échange et de transformation des flux de
production et, de façon plus générale, de démontrer le potentiel de la généralisation de cette démarche
à un niveau macro-économique. Par contre, peu d’études empiriques visant à comprendre le
fonctionnement des pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels et les
difficultés auxquelles les responsables des entreprises engagées dans la valorisation résiduelle font face,
ont été réalisées jusqu’à maintenant. La présente thèse entend répondre à cette lacune.
3
Cette thèse porte sur la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle dans les
entreprises industrielles. La valorisation résiduelle peut s’entendre par la récupération, l’utilisation et la
transformation des résidus industriels et des sous-produits dans les procédés de production
industrielle. La pertinence du sujet est issue des limites de la littérature sur l’écologie industrielle et sur
la valorisation résiduelle en particulier. Le problème central se situe à deux niveaux : d’abord,
comprendre le fonctionnement de la valorisation résiduelle dans les entreprises industrielles
canadiennes; ensuite, analyser les difficultés auxquelles les gestionnaires de ces entreprises font face.
Les questions de recherche portent sur les pratiques de récupération et de transformation des
résidus et des sous-produits industriels dans des entreprises canadiennes. De façon spécifique, elles
portent sur l’analyse du fonctionnement de ces pratiques. En ce sens, cette analyse sous-entend les
antécédents, les caractéristiques principales, le contexte précis des pratiques de la valorisation
résiduelle, et ce, selon les perceptions des responsables de la planification et de la gestion quotidienne
de ces mêmes pratiques. Ainsi, les questions auxquelles se propose de répondre cette étude s’articulent
de la façon suivante :
• quels sont les modes de fonctionnement des pratiques de valorisation résiduelle dans les
entreprises canadiennes étudiées?
• quelles sont les difficultés relatives à la valorisation résiduelle et auxquelles les gestionnaires
font face?
L’objectif principal de la présente recherche est d’analyser les mécanismes de la valorisation
résiduelle à l’échelle des différentes fonctions des entreprises par une approche inductive et empirique
qui vise à faire comprendre les enjeux de ces mêmes pratiques pour la gestion de ces entreprises. De
façon plus élaborée :
« L’analyse des pratiques de valorisation des sous-produits industriels dans les entreprises canadiennes…
Les pratiques de valorisation des sous-produits industriels se traduisent, entre autres, par la
récupération, l’introduction et l’utilisation de ceux-ci comme intrants principaux dans les procédés de
production. La recherche vise à analyser les différentes formes opérationnelles mises en pratique par
les entreprises étudiées. La présente thèse s’attache à identifier les structures et les fonctionnements de
ces pratiques, et à proposer des modèles conceptuels de celles-ci. Elle cherche également à connaître et
4
à documenter les difficultés rencontrées par les entreprises dans le processus de mise en œuvre des
pratiques de valorisation résiduelle.
… par une approche inductive et empirique…
La présente recherche s’appuie d’abord sur une démarche qualitative. D’abord, l’importance est
accordée au sens que les participants donnent à leurs expériences et à la structure de leur monde
(entreprise, unité de travail, etc.); ensuite, cette démarche est descriptive; enfin, elle est inductive, c’est-
à-dire qu’elle se base sur la construction de concepts, d’hypothèses et de théories à partir de détails
pertinents fournis par les participants tout au long de la recherche.
… qui vise à faire comprendre les enjeux de ces mêmes pratiques pour la gestion de ces entreprises. »
L’étude vise à comprendre les implications des pratiques de valorisation des sous-produits industriels
pour la gestion des entreprises engagées dans cette démarche. Ces enjeux portent sur les conditions qui
facilitent ou qui limitent les initiatives de valorisation résiduelle dans un contexte donné.
Quant aux objectifs secondaires de la présente recherche, ce sont les suivants :
• connaître les caractéristiques de la valorisation des sous-produits industriels selon les
perceptions des participants à l’étude;
• comprendre les motivations pour la valorisation résiduelle;
• comprendre le processus d’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise;
• comprendre la relation entre la productivité et l’environnement dans les pratiques de
valorisation résiduelle;
• comprendre les facteurs de succès de la valorisation résiduelle.
La présente thèse se divise en trois grandes parties. Dans la première, la revue des grands
travaux portant sur l’écologie industrielle et sur la valorisation résiduelle est présentée et discutée.
Ensuite, le cadre conceptuel de la recherche est défini et précisé. La deuxième partie porte sur la
méthodologie et les techniques de recherche utilisées. Enfin, la troisième partie aborde l’essentiel des
résultats de l’étude. Le chapitre portant sur les conclusions et les discussions présente la synthèse de
ces résultats et discute des contributions de la présente étude au développement de l’écologie
industrielle, en particulier de la valorisation résiduelle.
5
PREMIÈRE PARTIE
REVUE DE LITTÉRATURE SUR L’ÉCOLOGIE
INDUSTRIELLE ET CADRE CONCEPTUEL DE LA
RECHERCHE
6
Cette première partie se compose de quatre chapitres. Le premier présente les généralités et les
perspectives historiques de la gestion des déchets dans l’histoire des humains. Le deuxième chapitre,
consacré à la revue de la littérature sur l’écologie industrielle, porte sur la vision et les fondements de ce
domaine d’étude et de recherche. Le principal objectif de cette revue de la littérature est double :
fonder la recherche sur la compréhension de grands travaux concernant le domaine émergent de
l’écologie industrielle et identifier les lacunes et les biais de cette même littérature, particulièrement en
ce qui touche la valorisation résiduelle. C’est à partir de cette compréhension et de cette identification
des lacunes de la littérature qu’il devient possible de positionner les résultats de l’étude sur la
valorisation résiduelle par rapport aux théories et aux concepts en application dans les sciences de
l’administration et, en particulier, dans les sciences du management. Le troisième chapitre porte sur
l’analyse critique de la littérature de l’écologie industrielle et sur des réflexions concernant les courants
de pensée identifiés en écologie industrielle, les obstacles à l’écologie industrielle et les mécanismes
réglementaires.
Bien que la revue de littérature porte sur l’écologie industrielle comme problématique générale,
l’accent sera mis sur la valorisation résiduelle comme pratique de celle-ci. C’est ce qui justifie
l’introduction de nombreux exemples tirés des expériences concrètes des entreprises industrielles. Ces
exemples visent à illustrer les principes de l’écologie industrielle et, dans le cas de la présente thèse, de
la valorisation résiduelle – et à en montrer le fonctionnement.
Le quatrième chapitre porte sur le cadre conceptuel de la recherche, qui sera précisé à partir de
la synthèse de grands travaux du domaine et de différentes approches adoptées pour analyser les
pratiques d’optimisation de l’usage des ressources disponibles, en particulier la valorisation résiduelle.
La description des concepts fondamentaux de ce cadre part du postulat selon lequel la valorisation
résiduelle repose, d’une part, sur l’utilisation et la transformation « propre » des résidus industriels ou
sous-produits en produits à valeur commerciale et, d’autre part, sur la gestion des processus d’affaires à
l’échelle des différentes fonctions des entreprises engagées.
7
CHAPITRE 1
LA VALORISATION DES DÉCHETS : ARRIÈRE-PLAN HISTORIQUE ET THÉORIQUE
« The dump was our poetry and our history. »1 - Wallace Stegner
« Garbage is intolerable in a free society. »
- Richard Denison
L’écologie industrielle constitue un champ d’étude et de recherche qui a émergé au cœur des
préoccupations portant sur l’économie des ressources et les dommages sur l’environnement causés par
l’accélération des activités industrielles. Elle est souvent présentée comme une vision révolutionnaire
d’analyse et de gestion efficace des déchets qui permettrait de réduire la quantité de matières résiduelles
en circulation par la conversion des systèmes productifs actuels en boucle fermée (Frosch et
Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992; Graedel et Allenby, 1995; Erkman,1998; Bourg, 2003). L’intégration
des systèmes productifs, c’est-à-dire l’utilisation des résidus ou sous-produits d’un procédé comme
intrants principaux d’un autre procédé est souvent associée à l’émergence de l’écologie industrielle. Ne
s’agit-il pas là plutôt de la redécouverte, par les spécialistes de l’écologie industrielle, des pratiques
millénaires souvent ignorées ou oubliées2?
L’histoire nous montre que la récupération et la valorisation des déchets ne sont pas des
phénomènes nouveaux. Elles ne représentent pas non plus de nouveaux thèmes dans la littérature
scientifique (Desrochers, 2000a; 2000b; 2002b; Medina, 1998). C’est ce que tente de retracer ce
chapitre. Dans un premier temps, le chapitre présentera une brève synthèse historique de la gestion des
déchets depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Dans un deuxième temps, prenant appui en particulier sur
1 Ces citations, empruntées de Benjamin (2003), montrent bien l’évolution de la gestion des déchets dans
l’histoire des humains. De la décharge dans la rue, cette gestion a évolué vers des méthodes beaucoup plus rationnelles qui contemplent l’élimination de la notion des déchets et l’élaboration systématique, si possible, de produits à partir de ceux-ci.
2 « Trop souvent ce qui est présenté comme original ou nouveau n’est qu’une redécouverte d’un passé parfois récent trop vite oublié » (Marmonier et Thiétart, 1988, p. 163).
8
les travaux de Medina (1998) et de Desrochers (2000a; 2000b; 2002b), le chapitre montrera que la
récupération des matières, et donc la réalisation des boucles productives, constituent en effet des
pratiques très anciennes. La récupération et la transformation des matières résiduelles se situent donc
dans une longue trajectoire de l’histoire des hommes. Les entreprises engagées dans cette démarche
aujourd’hui ne font peut-être que perpétrer une vieille tradition qui fait partie intégrante de la condition
humaine : la quête d’opportunité. Dans un troisième temps, enfin, le chapitre retracera les antécédents
de l’avènement de l’écologie industrielle comme champ d’étude à l’époque contemporaine.
La mise en perspective des phénomènes de la récupération et de la transformation des déchets à
travers les temps permettra de mieux présenter la problématique de l’écologie industrielle, en
particulier la valorisation résiduelle dans les contextes actuels.
1.1. La gestion des déchets dans l’histoire
Produire et consommer sont des nécessités vitales pour les hommes. Ainsi, les déchets
constituent des sous-produits3 inévitables des activités de production et de consommation qui
caractérisent l’histoire des hommes, comme l’illustrent de nombreuses études, en particulier celles de
Rathje et Murphy (1992), de De Silguy (1996) et de Strasser (1999)4. Ces études indiquent ainsi que,
depuis des milliers d’années, trois moyens étaient connus et utilisés pour composer avec la génération
de déchets : la décharge, l’incinération et la réutilisation ou le recyclage5. Le tableau 1 à la page suivante
résume l’essentiel de l’information sur les hommes et la gestion de leurs déchets.
S’il a existé une période d’harmonie entre les activités des hommes et la présence des déchets
parmi eux, cet équilibre a été rompu par les changements des modes de vie causés par la fondation de
cités et l’accumulation des populations dans ces dernières. Cette accumulation s’accompagne du
développement des activités commerciales et, au Moyen Âge, de plus en plus de gens abandonnent les
campagnes pour s’installer dans les villes sédentarisées. C’est alors que le problème de la gestion des
déchets surgit. Les études ci-dessus mentionnées indiquent que pendant plusieurs siècles, les villes ont
3 Le terme « sous-produit » est utilisé ici dans le sens de « produit dérivé d’une activité ». 4 Cette section présente en effet une synthèse de ces études. 5 Le terme recyclage est souvent utilisé pour désigner les activités de réemploi et de réutilisation, connues et
utilisées depuis des milliers d’années par les humains. Cependant, ce terme ne fera son apparition dans le langage courant que plus tard, vers les années 1920. Les compagnies pétrolières l’ont « inventé » pour décrire le processus industriel de réutilisation des produits pétroliers (Gorman, 2001, cité dans Zimring, 2002).
9
été envahies par la présence et l’accumulation des déchets, débris ou détritus partout, ce qui occasionne
des problèmes sanitaires sérieux. Comme le montrent Rathje et Murphy, la présence de véritables
villes-dépotoires était monnaie courante du Moyen Âge jusqu’au début du 18ème siècle :
For thousands of years, it was commonplace to dump rubbish on site - on the floor, or out the window. Scavenging domestic animals, chiefly pigs and dogs, consumed the edible parts, and poor people salvaged what they could. The rest was covered and built upon. Over time, entire cities gradually were extended upward, rising on massive mounds called tells, which contained the remains of prior centuries (Rathje et Murphy, 1992, chapitre 2, cités dans Benjamin, 2003).
Tableau 1. Gestion des déchets dans l’histoire des hommes
Époque Caractéristiques et modes de vie
Méthode de gestion Enjeux majeurs
Antiquité Sédentarisation des hommes
Collecte : vases de pierre cuite Récupération : résidus organiques comme engrais
Pas d’enjeux majeurs
Du Moyen-Âge au 18ème siècle
Développement des villes Développement du commerce Développement du métier de chiffonnier Développement des industries Institutionalisation du métier de recycleur
Décharge dans la rue Récupération : résidus organiques comme engrais Recyclage Ramassage forcé Collecte par les municipalités
Sanitaires, épidémies Changements d’habitudes Imposition de mesures rigoureuses Pollution des eaux et des sols
19ème siècle Découvertes scientifiques sur le rôle des bactéries Révolution industrielle : engrais chimiques Augmentation de la quantité des déchets L’industrie du recyclage se développe
Balayeuses mécaniques Triage: récipients (poubelle) Incinération
Sensibilisation aux règles d’hygiène Pollution de l’air
20ème siècle à nos jours
Augmentation de la quantité des déchets ménagers et industriels Consumérisme Crise énergétique
Enfouissement RETOUR : réemploi-réutilisation-recyclage-valorisation-élimination
Écologiques et environnementaux Économie des ressources Gaspillage
10
La vie dans de tels capharnaüms était source de nombreux cas de pollution des eaux, des sols et
de l’air et de nombreux problèmes hygiéniques. Le manque d’hygiène et l’accumulation des bactéries
ont été à l’origine des maladies et des épidémies qui ont marqué l’histoire de l’humanité. Parmi ces
épidémies, il convient d’en mentionner deux : d’abord, la peste qui a décimé presque 25 millions de
personnes en Europe au 14ème siècle et ensuite, la coqueluche qui a laissé également un grand nombre
de morts au 16ème siècle. Vers la fin du 16ème siècle et avec l’évolution des mœurs, les hommes vont
progresser vers la recherche de moyens beaucoup plus élaborés pour gérer les quantités d’ordures
accumulées à l’extérieur des villes. Les autorités se saisissent de la question et commencent à prendre
des mesures incitant au nettoyage des rues, au ramassage des ordures et à l’imposition de taxes et
d’amendes pour mieux organiser le transport et la collecte des ordures. En France, en particulier,
comme le résume Vorburger (2005), les autorités de Paris ordonnaient aux habitants de déposer leurs
ordures dans des paniers clos et de balayer devant leur porte; la royauté s’occupait du ramassage et de
l’évacuation des déchets, ce qui se traduirait par l’instauration des paniers à ordures sous François 1er.
L’imposition de toutes ces mesures rigoureuses de la part des autorités des villes pour améliorer
la situation rencontrait bien des résistances parmi les populations. En effet, cela représentait des
changements majeurs dans les habitudes des gens. Les progrès dans ce sens étaient donc lents. Entre
temps, un véritable métier lié au ramassage des ordures se développait dans les villes : le métier de
chiffonnier. Les chiffonniers parcourent les cités pour ramasser tout ce qui peut avoir une certaine
valeur à leurs yeux. Parmi les objets récupérés, il y a évidemment des morceaux de cuir ou de métal, de
vieux vêtements et bouts de tissus, des débris de verre et des os d'animaux (De Silguy, 1996). Ces
objets sont nettoyés, réutilisés ou transformés en d’autres objets utiles à la société. Cependant, le métier
de chiffonnier est considéré comme un travail sale, méprisé par la société. Les chiffonniers sont des
gens pauvres qui gagnent leur pain en parcourant les rues et les dépotoirs, en ramassant et en triant ce
que les autres, en particulier les gens riches, mettent au rebut. La notion de déchet est associée à un
objet impur, pollué, sale et sans valeur (Douglas, 1966).
Les progrès scientifiques, et en particulier les connaissances dans les domaines de la
bactériologie à la fin du 19ème siècle, vont donner le ton à une véritable gestion des déchets. Les
autorités municipales se sont vues confier la lourde responsabilité de l’organisation de cette gestion par
la mise sur pied de méthodes efficaces pour assurer le ramassage, la collecte et le transport des ordures,
le nettoyage des rues ainsi que l’éducation de la population en matière d’hygiène et de savoir-vivre. En
France, par exemple, comme l’explique De Silguy (1996), le 24 novembre 1883, Eugène Poubelle, alors
11
préfet de Paris, obligeait tous les propriétaires à se procurer des récipients spéciaux pour le dépôt des
déchets de leurs locataires. Il s'agissait d’une première expérience de collecte sélective puisque les gens
devraient séparer ou trier leurs déchets selon trois catégories : les matières putrescibles, les papiers et
les chiffons, la céramique et les coquilles d'huîtres. Cependant, ce projet n’a connu au départ que peu
de succès. Il a fallu attendre des années pour voir s’installer une véritable collecte sélective. Dans le
même ordre d’idées de la réorganisation de la gestion des déchets par les autorités municipales, il est
intéressant de noter que, presque à la même époque qu’en France et que dans le reste de l’Europe,
Benjamin Franklin, homme d’État et philosphe américain, instaurait le premier service de nettoyage au
niveau municipal aux États-Unis (Rathje et Murphy, 1992). Ainsi, vers les années 1880, des services de
collecte municipale des déchets existaient dans 25 % des villes américaines. La ville de New York était
la première ville à instaurer un véritable système complet de service de gestion des déchets du secteur
public. D’après les études de Melosi (1981; 2000), vers les années 1910, la gestion des déchets faisait
partie intégrante du service du secteur public dans 80 % des villes américaines.
L’accumulation des déchets ménagers et industriels6 dans des dépotoirs près des villes n’était pas
non plus la solution face à l’augmentation en quantité de ces derniers. C’est alors que (re)surgissent les
méthodes d’incinération et d’enfouissement des déchets. Comme le documente Benjamin (2003),
l’incinération des déchets était déjà une méthode utilisée par les hommes depuis des milliers d’années.
Cependant, le premier incinérateur moderne, appelé « destructeur », fut inauguré à Nottingham en
Angleterre en 1874. Onze ans plus tard, un modèle américain, appelé « cremator », fut construit à New
York. Malgré les problèmes de pollution de l’air que comporte cette méthode - des odeurs atroces, des
fumées intenses et des gaz nocifs se dégageaient des incinérateurs -, elle a semblé aider à réduire le
volume de déchets mis au rebut dans une proportion de 85 % à 95 % (Benjamin, 2003).
L’autre méthode de gestion des déchets utilisée au début du 20ème siècle était l’enfouissement.
Les premières expériences des sites d’enfouissement sanitaire ont été conduites en Grande-Bretagne
dans les années 1920. Dès le débuts des années 1930, des lieux d'enfouissement sanitaire sont créés, en
particulier aux États-Unis et au Canada, pour remplacer les dépotoirs habituels. Ainsi, l’amoncellement
et le recouvrement des déchets se font de façon plus rationnelle dans un site choisi avec soin. Après la
Seconde Guerre mondiale, les sites d'enfouissement sanitaire commencent à remplacer les
6 Il convient de préciser que si le terme « déchet » renvoie à un débris, à un objet considéré comme sans valeur,
le terme « résidu » désigne une matière qui subsiste après une opération physique ou chimique (Le Petit Larousse illustré, 2002).
12
incinérateurs. Dans les années 1970, 300 à 400 sites sont créés chaque année aux États-Unis
(Benjamin, 2003). La crise des prix du pétrole de 1973 qui a été à l’origine de la récession économique
dans la plupart des pays industrialisés et la prise de conscience que l’immense majorité des déchets
industriels enfouis peuvent être reconverrtis en ressources (Allen, 1993) ont rremis à la page les
activités millénaires de réemploi, de réutilisation, de recyclage et de valorisation des déchets7.
L’organisation de ces activités à travers les temps montre que, dans une large mesure, elles constituent
des exemples d’intégration des systèmes productifs.
1.2. L’intégration des systèmes productifs : pratiques anciennes
À chaque époque de l’histoire, les hommes se sont toujours intéressés, à des degrés divers, à la
récupération des résidus générés par le processus de fabrication de divers produits et à leur
transformation en matières premières servant à fabriquer d’autres produits. C’est l’intégration ou le
bouclage des systèmes productifs. Bien que considérés dans le sens large du terme, l’intégration des
systèmes productifs faisait partie des modes de vie et de production des sociétés anciennes.
Recycling has been carried out on a massive scale throughout human history, and undoubtedly dates from prehistoric times, when implements and animal skins were first modified and converted from one use to another. Hence, in a broad sens, recycling indeed has a “proven record” (Wiseman, 1997).
Il n’y a donc aucun doute que les déchets et les sous-produits étaient réutilisés ou recyclés depuis
les temps préhistoriques. L’analyse historique des modes de vie et du développement des anciennes
civilisations - les Grecs, les Romains, les Chinois, les Aztèques, les Songhaïs8, pour ne citer que
ceux-là - nous montre de nombreux exemples des pratiques d’intégration des systèmes productifs.
L’idée de récupérer et de valoriser les résidus industriels est donc vieille comme le monde. En quoi
consistait la réalisation des boucles des systèmes productifs dans le passé et avant l’avènement de
l’écologie industrielle contemporaine? Medina (1998) et Desrochers (2000a; 2000b; 2002b) ont compilé
7 Le sens précis de ces termes est donné au chapitre deuxième portant sur l’écologie industrielle. 8 Empire songhaï : empire africain qui, lors de son apogée (XVIe s.), s'étendait du Sénégal à la boucle du
Niger. Il disparut après l'occupation marocaine (1591). Ses souverains les plus illustres furent Sonni Ali (1464-1492) et Askia Mohammed (1492-1528) (Le Petit Larousse illustré, 2002).
13
et documenté quelques exemples9. Le tableau 2 présente l’essentiel de ces illustrations groupées par
secteurs d’activité, époques, brèves descriptions des pratiques et enjeux majeurs.
Tableau 2. Exemples d’intégration des systèmes productifs dans le passé Secteurs d’activité Époques Pratiques Enjeux majeurs
Sous-produits animaliers et déchets organiques
5000 av. J.-C. 79-69 av. J.-C. 19ème et 20ème siècles
Les déchets des êtres vivants, en particulier les excréments des hommes et des animaux, sont utilisés comme fertilisants des sols (Medina, 1998). Récupération et valorisation des urines chez les Romains (Medina, 1998). Récupération et utilisation des déchets organiques pour la fabrication des parfums, des lubrifiants, de la glycérine, des bougies, des savons (Medina, 1998). Réutilisation des déchets du coton (Thornley, 1912). Réutilisation des sous-produits du processus de la fabrication de la bière (Riley, 1913). Réutilisation des déchets des oranges (Cruess, 1914). Valorisation des résidus des poissons pour la fabrication des fertilisants (Turrentine, 1915). Valorisation des déchets des graines et pulpes de la tomate (Rabak, 1917). Récupération et transformation des déchets provenant des usines de pâtes et papiers (Strachan, 1918).
Économiques Économiques et écologiques (réduction des déchets)
Métallurgie
3000 av. J.-C. 20ème siècle
Récupération et valorisation des résidus des métaux, en particulier le bronze, puis le fer. Récupération des métaux précieux à partir des résidus liquides (Gee, 1920)
Économiques
Industrie chimique 19ème et 20ème siècles Utilisation des déchets de la cheminée (Silver, 1876). Valorisation des déchets provenant de la liqueur de sulfate.
Économiques
9 L’idée générale n’est pas de décrire en détail ces exemples, mais plutôt de montrer qu’il s’agit bien des cas de ce
que l’on désigne aujourd’hui, dans une large mesure, par « bouclage des systèmes productifs ».
14
À la différence des activités des chiffonniers qui devaient vivre en partie de ce qu’ils récupéraient
des piles entassées de déchets, les illustrations documentées par les auteurs ci-dessus mentionnés
montrent que les pratiques de récupération et d’élaboration des divers produits à partir des déchets ou
des sous-produits étaient plutôt centrées sur des activités commerciales (Medina, 1998). Comme le
montre le tableau 2, des expériences concrètes et variées d’application des principes de bouclage des
systèmes productifs et de valorisation des déchets dans des secteurs industriels divers ont fait l’objet de
nombreuses études, en particulier depuis les années 1800 (Simmonds, 1862; Simmonds, 1876; Silver,
1876; Koller, 1918; Spooner, 1918; Strachan, 1918; Johnsen, 1919; Gee, 1920; Talbor, 1920; Kershaw,
1928, cités dans Desrochers, 2000). À titre d’illustration, Gee (1920) a traité le problème de la
récupération des métaux précieux à partir des résidus liquides. De nombreuses entreprises industrielles
s’engagent aujourd’hui dans ce genre d’activités dans les secteurs de la production chimique. C’est le
cas de la multinationale Noranda, et en particulier de son usine de Montréal-Est au Québec. Strachan
(1918) a analysé et documenté quelques pratiques de récupération et de transformation des déchets
provenant des usines de pâtes et papiers. La plupart des usines de production de papier et de carton
valorisent aujourd’hui leurs déchets industriels. C’est le cas de l’usine de Papiers Stadacona de la ville
de Québec. À cela, il convient d’ajouter que plusieurs entreprises « font de l’écologie industrielle » sans
le savoir.
Bien que les exemples documentés d’intégration des systèmes productifs se limitent à la
description des pratiques d’élaboration des divers produits à partir des sous-produits en majorité
périssables10, comme le fait remrquer Desrochers (2000a, p. 31), ces exemples suggèrent que ces
mêmes pratiques se sont développées dans des époques et des contextes spatio-temporels particuliers.
Dès lors, ces pratiques constituent des exemples à part entière de réalisation des boucles productives et
donc des illustrations de l’écologie industrielle. Certes, les contextes technologiques, politiques et
socioculturels ont largement évolué. Ainsi, sur la question précise du caractère « nouveau » ou
« ancien » de l’écologie industrielle, il apparaît que les questions que se pose l’écologie industrielle
contemporaine11 peuvent être ou ne pas être nouvelles. Cependant, les circonstances des sociétés
industrialisées d’aujourd’hui, en particulier l’accélération de la production industrielle, la montée du
consumérisme, l’intégration des économies et des marchés, les enjeux écologiques et
10 Sous-produits et déchets organiques : des restes d’animaux morts ou encore des produits agricoles de la ferme. 11 Par opposition aux pratiques de récupération et de transformation des déchets avant l’avènement de l’écologie
industrielle comme domaine d’étude et de recherche.
15
environnementaux, n’exigent-elles pas des approches différentes aux questions auxquelles les hommes
et les femmes ont tenté de répondre depuis l’époque préhistorique? Quelles sont alors les
circonstances qui ont mené à l’émergence de l’approche de l’écologie industrielle contemporaine
comme champ d’étude et de recherche? C’est ce que tente de montrer la section suivante.
1.3. Les antécédents de l’émergence de l’écologie industrielle
contemporaine
L’analyse critique et historique d’une discipline scientifique ou d’un courant de pensée permet
d’examiner les différents moments de son évolution et de comprendre les contextes politique,
économique ou socioculturel de son avènement. L’objectif de cette section est de retracer les étapes les
plus importantes de l’émergence de l’écologie industrielle comme approche qui tente de repenser les
processus de production et de consommation. Les antécédents de l’écologie industrielle peuvent être
divisés en deux grandes périodes : les années antérieures à 1950 et les années s’étalant de 1950 à 1989.
Vers la fin du 19ème siècle, les industriels commencent à prendre conscience des limites de
l’abondance des matières premières. L’approvisionnement de ces matières, en particulier le coton, le
fer, le caoutchouc se fait de plus en plus difficile pour couvrir la demande de l’industrie. La pensée
économique néoclassique s’articule autour de la notion de rareté. Shaler (1905), par exemple, a publié
un ouvrage dans lequel il a tenté de démontrer que la consommation des ressources minérales avait
atteint des limites alarmantes. Dans ces contextes, et comme l’indique Zimring (2002), les responsables
des entreprises ne considèrent plus les déchets comme des objets encombrants dont il faut se
débarasser, mais plutôt comme des matières dont on peut encore chercher à tirer profit. Le recyclage
est alors encouragé dans la mesure où il permet, selon les perceptions des gens, de protéger les
ressources, de réduire les déchets et d’économiser les matières premières. Depuis les années 1867,
Marx et Engels ont appliqué la notion de métabolisme12 à l’analyse des rapports entre l’homme et son
monde naturel. C’est le métabolisme sociétal (Fischer-Kowalski, 2002).
Dans les années de l’Après-Guerre, c’est le boom de la croissance économique dans la plupart
des pays développés avec, comme conséquence, l’accélération de l’activité industrielle, l’augmentation
12 Métabolisme (du grec metabolê, changement) : ensemble des réactions chimiques de transformation de
matière et d'énergie, catalysées par des enzymes, qui s'accomplissent dans tous les tissus de l'organisme vivant ; ensemble des réactions biochimiques concernant une substance donnée. Métabolisme du glucose (Le Petit Larousse illustré, 2002).
16
de la consommation et, partant, l’augmentation de la quantité de déchets, les problèmes de pollution,
l’exploitation massive des ressources, etc. La recherche d’un équilibre entre l’activité économique et la
permanence des ressources disponibles se traduit par l’une des préoccupations majeures de la société.
Pour plusideurs, il était devenu plus qu’évident que le développement industriel proposé ne tenait plus
le coup et qu’il fallait considérer l’impact des activités industrielles sur l’environnement.
L’environnement devenait alors le centre de l’agenda du politique et de la politique à l’échelle
internationale. Plusieurs études montraient l’urgence de changer les modes de vie et de production, en
particulier celle de Commoner (1971) :
If we are to survive economically as well as biologically, industry, agriculture, and transportation will have to meet the inescapable demands of the ecosystem. These essential demands include essentially complete containment and reclamation of wastes… essentially complete recycling of all reusable metal, glass, and paper products; and ecologically sound planning govern land use…present productive technologies need to be redesigned to conform as closely as possible to ecological requirements. (Commoner, 1971, p. 282-283, cité dans O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996)
Dans cette perspective, l’analyse des facteurs d’ordre économique, politique, social et culturel qui
accompagnent les changements dans les modes de production et de consommation ont fait l’objet de
nombreuses autres études au sein de plusieurs disciplines. C’est ainsi que, depuis les années 1980, les
analyses de plusieurs travaux s’articulent autour d’une nouvelle approche pour la conception
industrielle de produits et de procédés et l’adoption de stratégies industrielles durables.
Ainsi, les origines de l’approche de l’écologie industrielle contemporaine sont nombreuses et elles
touchent plusieurs disciplines et tendances de la recherche d’harmonie entre l’environnement et les
activités industrielles. La chronologie suivante illustre, sans pour autant être exhaustive, les
circonstances qui ont mené à l’émergence de l’approche de l’écologie industrielle en prenant appui sur
Erkman (1998), Croteau (2001) et Fischer-Kowalski (2002).
Avant les années 1950
• L’idée de préserver l’environnement conduit à des pratiques assez structurées de gestion de
déchets et de leurs sous-produits.
• La pensée économique néo-classique s’est développée depuis le 19ème siècle. C’est :
17
L’abandon de la théorie de la valeur d’un bien basée exclusivement sur le travail : le prix d’un bien est vu comme représentant la rareté de ce bien, plutôt qu’une mesure du coût du travail. La rareté vient de l’interaction de ce qui est disponible – l’offre – et de ce qui est désiré par les gens – la demande; le mécanisme de marchés mène à une allocation des ressources efficace sous certaines conditions (Barla, 2001);
• 1867 : Marx et Engels introduisent la notion de métabolisme sociétal.
• 1905 : Nathaniel Shaler publie le livre Man and the Earth, dans lequel il soutient que la
consommation de ressources minérales a atteint des degrés alarmants.
• 1921 : publication du rapport Waste in Industry, par le Committee on Elimination of Waste
in Industry.
De 1950 à 1989
Cette période se caractérise en son début par des pressions de divers groupes écologistes relativement
à l’état de l’environnement et par la prise de conscience de la problématique environnementale par des
institutions publiques et privées à l’échelle régionale et globale, notamment dans les pays développés.
Quelques faits importants à noter :
• 1959 : Eugene Odum publie l’ouvrage Fundamentals of Ecology.
• 1969 : table de travail organisée par l’ONU sur les systèmes industriels et l’environnement,
préalable au Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)13 en 1972.
• 1971: Nicholas Georgescu-Roegen publie l’ouvrage The Entropy Law and the Economic Process,
dans lequel il démontre la dégradation physique irréversible que la société industrielle impose à
la Terre. Il est considéré comme le fondateur de l’économie écologique.
• 1971: Howard Odum publie l’ouvrage Environment, Power and Society.
• 1971: Barry Commoner publie l’ouvrage The Closing Circle, traduit en français l'année suivante
sous le titre de L'encerclement. Problèmes de survie en milieu terrestre.
• 1972 : publication du rapport du Groupe de travail Industrie-Écologie sur les perspectives des
technologies industrielles du ministère japonais du Commerce international et de l’Industrie
sous la direction de Chihiro Watanabe. 13 Issu de La Conférence de Stockholm de 1972, le Programme des Nations Unies pour l'environnement
(United Nations Environment Programme : UNEP) fournit un mécanisme intégrateur et interactif par lequel un grand nombre d'efforts réalisés par des organismes distincts (intergouvernementaux, non gouvernementaux, nationaux et régionaux) se trouvent renforcés puisque mis en corrélation (www.pnue.org).
18
• 1976 : table des Nations unies européennes (ECE), tenue du séminaire sur les technologies de
production sans déchets.
• 1983 : publication à Bruxelles de l’ouvrage collectif L’écosystème Belgique. Essai d’écologie industrielle.
• 1987 : publication du rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le
développement (commission Brundtland). Ce rapport définit la notion du développement
durable comme étant « Un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (p. 51).
• 1989 : publication de l’article de Frosch et Gallopoulos dans la revue Scientific American. Cet
article, intitulé Strategies for Manufacturing semble être le véritable moteur du déclenchement de
l’écologie industrielle comme champ d’étude et de recherche selon bon nombre de chercheurs
(Lifset et Graedel, 2002; Allenby, 1999; Erkman, 1998; Lowe, Warren et Moran, 1997; Graedel
et Allenby, 1995; Allen,1993; Jelinski, Graedel, Laudise, McCall et Patel, 1992). Frosch et
Gallopoulos (1989) suggèrent, entre autres, que « … la consommation d'énergie et de
matériaux doit être optimisée, en minimisant les déchets et les rejets de chaque
transformation » (p. 146).
Qu’est-ce, alors, que l’écologie industrielle contemporaine? Quelles sont les méthodes qu’elle propose
pour tenter de résoudre les questions liées aux impacts des activités industrielles sur l’environnement?
Voilà l’objectif du chapitre suivant.
19
CHAPITRE 2
LES DÉFINITIONS ET LES FONDEMENTS DE L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE
Industrial ecology is central to all new field of study. Over the past ten years, it has developed into a discipline in its own rights, with an emerging body of theory, tools and practice. It has its own sets of literature, including dedicated journals and conferences (Bourg, 2003, p. 13-14).
Le présent chapitre tâchera de présenter les définitions et les fondements de l’approche de
l’écologie industrielle à partir de la compréhension du concept même d’écologie industrielle, qui définit
le cadre général sur lequel repose cette recherche. Dans la perspective de cette compréhension, le
chapitre tentera d’introduire, de présenter et d’analyser progressivement les éléments fondamentaux de
l’écologie industrielle. La valorisation résiduelle se traduit, dans le cadre de la présente recherche, par
une pratique d’écologie industrielle. Le chapitre se compose de cinq sections.
La première section présente et analyse, dans une vision critique, les définitions et les objectifs de
l’écologie industrielle. La deuxième section positionne la valorisation résiduelle comme une pratique
d’écologie industrielle et montre en quoi elle se distingue de la logistique inversée. Les niveaux
d’application de l’écologie industrielle constituent l’essentiel de la troisième section. La quatrième
section présente les typologies de l’écologie industrielle, en particulier les modèles proposés par Boos
et Baas (1997) et Andersen (2003). La cinquième section tient lieu de conclusion. Elle récapitule
l’essentiel des aspects traités dans le chapitre et propose un modèle intégrateur des termes et des
éléments fondamentaux de l’écologie industrielle.
20
2.1. Les définitions et les objectifs de l’écologie industrielle
Avant de présenter les définitions proposées de l’écologie industrielle comme domaine d’étude
et de recherche et d’en discuter, il convient d’abord de comprendre le pourquoi de la dénomination
« écologie14 industrielle15 ». Plusieurs auteurs ont tenté de montrer et de justifier les caractères industriel
et écologique de l’approche de l’écologie industrielle (Allenby et Cooper, 1994; Garner et Keoleian, 1995;
Graedel, 1996) en prenant appui sur des études écologiques, physiques ou encore biologiques publiées
depuis les années 1970 par bon nombre de chercheurs (Holling, 1978, 1986; Odum, 1986; Odum,
1989; Ayres, 1989a). Lifset et Graedel (2002) ont fait une synthèse de ces deux dimensions
interdépendantes de l’écologie industrielle. Selon ces auteurs, l’approche de l’écologie industrielle est
industrielle parce qu’elle porte sur la production industrielle, les procédés et les processus de fabrication.
Elle s’appuie sur l’idée selon laquelle les entreprises sont des agents de la performance
environnementale dans la mesure où elles peuvent disposer des moyens technologiques nécessaires
pour la conception des produits et des procédés qui réduiraient les impacts sur l’environnement
(Socolow et al., 1994). L’industrie, dans son ensemble, est concernée parce qu’elle est considérée
comme une source importante de dommages sur l’environnement (Graedel et Allenby, 1995).
Toujours selon Lifset et Graedel (2002), l’écologie industrielle se comprend comme écologique parce qu’il s’agit d’appliquer le fonctionnement des écosystèmes naturels aux systèmes industriels
actuels (Frosch et Gallopoulos, 1989). C’est ce qui est désigné par l’analogie biologique (Allenby et
Cooper, 1994; Wernick et Ausubel, 1997)16. En outre, la dénomination écologique se justifie parce que
14 Écologie : ce terme, créé par Haeckel (1866) à partir du mot grec οιχοζ (maison), désigne à l’origine l’étude des
habitats naturels des espèces vivantes. Selon Serge Frontier (1999), l’écologie, dans sa version médiatisée, est aujourd’hui synonyme de science de l’environnement, et particulièrement de l’environnement humain dans la mesure où il est porteur de problèmes sociaux et économiques aigus (cadre de vie, ressources renouvelables ou non, déchets, bruit, santé…).
15 Industrie : l’ensemble des activités économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre des matières premières (Le Petit Larousse illustré, 2002).
16 Le domaine de l’écologie industrielle est défini par l’utilisation des métaphores. Cette façon de définir l’écologie industrielle va susciter des discussions sur le caractère normatif ou objectif de l’écologie industrielle et sur la clarté et la précision de ses concepts. Boons et Roome (2001) estiment à cet effet que, dans la mesure où une métaphore est normative, elle fournit, dans le cadre de l’écologie industrielle, des modèles et des perspectives sur les facteurs et les évènements observés, comme les activités industrielles et les flux qui en résultent. Par ailleurs, le véritable enjeu d’une métaphore n’est pas de discerner ce qu’elle est capable d’expliquer, mais d’explorer les différentes manières d’appliquer un phénomène (Vorburger, 2005).
21
l’écologie industrielle considère toutes les activités humaines comme faisant partie des écosystèmes
naturels. En ce sens, elle examine l’origine des ressources disponibles, leur utilisation et les facteurs qui
influencent leur usage (Frosch, 1992). Cette vision dite « globale » va jouer un rôle déterminant dans la
légitimation de l’écologie industrielle dans la mesure où elle essaie de montrer que les dommages sur
l’environnement sont fonction de trois facteurs essentiels : la croissance de la population, le niveau des
activités industrielles et économiques de cette population et les impacts environnementaux dus à ces
activités industrielles et économiques (Ehrlich et Holdren, 1971; Allenby, 1999). L’approche de
l’écologie industrielle est donc globale par opposition aux approches des questions environnementales
essentiellement centrées sur la prévention du risque, sur la réduction de la pollution et des dommages
des activités humaines sur le milieu naturel (approche anthropocentriste), sur les améliorations
incrémentales, sur les actions à envisager de la part des entreprises de façon individuelle, ainsi que sur
les technologies (équipements de dépollution et antipollution) qui coûtent de plus en plus cher
(Erkman, 1998).
Ces deux dimensions interdépendantes (écologique et industrielle) montrent la vision de l’écologie
industrielle comme la démarche la plus appropriée pour mettre en œuvre les principes de
développement durable dans les organisations (Van Barkel, Willems et Lafleur, 1997; Van Barkel et
Lafleur, 1997). L’écologie industrielle, bien que suscitant un courant de sensibilisation général aux
problèmes de l’environnement et de l’industrie, n’est pourtant pas définie de façon monolithique.
2.1.1. Les définitions contextuelles
Comment est-ce que l’écologie industrielle est définie dans la littérature? Il existe plusieurs
tentatives de définitions de l’écologie industrielle. D’ailleurs, De Kruijf et Weterings (1997), cités dans
Brand et Bruijn (1998), font remarquer que l’écologie industrielle est entendue comme un outil de
développement durable, une méthode de gestion des déchets, une approche de production industrielle,
un thème de recherche ou encore un sujet de discussion. Il est cependant intéressant de noter que les
définitions proposées sont profondément marquées par le contexte ou les cercles d’étude dans lesquels
elles sont formulées. Fayerabend (1979) soutient en effet que l’élaboration des théories scientifiques -
dans ce cas précis, les définitions d’un champ d’étude - ne peut pas être isolée des conditions socio-
économiques dans lesquelles ces théories sont produites. L’analyse des travaux portant sur ces
22
définitions montre que trois grands types ou cercles de conception de l’écologie industrielle se
profilent : les ingénieurs, les dirigeants d’entreprises et les écologistes ou environnementalistes. Cette
façon d’analyser les définitions de l’écologie industrielle semble pertinente parce qu’elle permettra
d’identifier par la suite les principaux courants de pensée en écologie industrielle ainsi que les manières
d’appliquer ses principes. Les termes clés de chacune de ces définitions montrent des différences de
conceptualisation quant à la perception de ce que devrait être l’écologie industrielle, l’échelle
d’application de ses principes fondamentaux et les acteurs principaux visés (tableau 3).
Tableau 3. Définitions contextuelles de l’écologie industrielle
Cercle de conception
Concepts fondamentaux Échelle d’application Principaux acteurs visés
Ingénieurs
Analyse, flux de matières et d’énergie, écosystèmes industriels, capacité de support, développement durable
Systèmes de production et de consommation, échelle macro
Scientifiques, secteurs industriels
Dirigeants
Programme intégré de gestion, efficience des équipements, outils de décisions stratégiques
Procédés de production industrielle, échelle micro
Entreprises industrielles, partenaires d’échange des sous-produits
Écologistes ou environnementalistes
Philosophie de gestion, usage et transformation des déchets, gestion des questions environnementales
Systèmes de production et de consommation, échelles macro et micro
Gouvernements, secteurs industriels, dirigeants d’entreprises industrielles
Le cercle des ingénieurs
Le cercle des ingénieurs est représenté par Frosch (1992), White (1994), Graedel et Allenby
(1995) ainsi que Garner et Keoleian (1995) :
The idea of industrial ecology is based upon a straight-forward analogy with natural ecological systems (…) We need to think of waste and products at the end of their lives in the industrial food web both as material and as energy (Frosch, 1992, p. 800). L’étude du flux des ressources et de l’énergie dans les systèmes de production industrielle et de consommation; de l’effet de ces flux sur l’environnement; des facteurs économiques, politiques, légaux, et sociaux sur le flux; de l’usage et de la transformation des ressources et de l’énergie (White, 1994, p. v). L’étude des voies et moyens pour permettre à l’humanité de maintenir, de façon délibérée et rationnelle, une capacité appropriée de support de l’environnement tout en assurant un développement économique, technologique et culturel durable. C’est aussi
23
l’étude objective et multidisciplinaire des systèmes industriels et économiques, et de leurs liens avec les systèmes naturels fondamentaux (Graedel et Allenby, 1995, p. 9). L’étude physique, chimique, biologique et économique des interactions entre les systèmes industriels de production et de consommation et les écosystèmes naturels (Garner et Keoleian, 1995, p. 2).
Selon tous ces auteurs, l’écologie industrielle peut être perçue comme un moyen pour
comprendre le flux de matière et d’énergie dans les systèmes de production et de consommation. Cette
compréhension repose essentiellement sur les analyses physiques et chimiques des matières dans les
systèmes actuels de production et de consommation. Elle se fonde sur l’utilisation et le développement
des moyens technologiques pour arriver à un développement durable dans le sens défini ci-dessus.
Cette analyse s’appuie sur les principes du métabolisme industriel, tels que décrits par Ayres (1989). Le
métabolisme industriel, par analogie au métabolisme sociétal tel que proposé par Marx et Engels en
1867, se définit comme l’étude des flux de matériaux et d’énergie, utilisés dans la production
industrielle, dans le but de détecter la présence des substances chimiques et physiques toxiques pour
l’environnement (Erkman, 1998). Si les concepts d’analyse de flux de matières et d’énergie,
d’écosystèmes industriels, de capacité de support et de développement durable constituent les éléments
fondamentaux de l’écologie industrielle, le cercle des ingénieurs entend appliquer les principes de
l’écologie industrielle à l’échelle macro. L’analyse de flux de matières et d’énergie comprend l’origine
des ressources, leur usage et les facteurs qui influencent leur utilisation dans les systèmes de production
et de consommation. Dans cette perspective, l’information résultant de l’analyse de flux et de matière
constitue le moteur de l’écologie industrielle (Graedel et Allenby, 1995).
Les principaux acteurs visés sont les scientifiques des différents domaines, en particulier les
chimistes, les physiciens, les biologistes ou les ingénieurs des disciplines des sciences de
l’environnement. Ceux-ci devraient donc générer et examiner l’information nécessaire portant sur
l’optimisation de l’usage des ressources disponibles. Cette optimisation se traduit, entre autres, par la
diminution de la consommation des ressources en matières premières et par la maximalisation de
l’efficience de celles-ci dans le but d’arriver à un meilleur résultat par quantité unitaire de matière
utilisée, sans accroître la pression sur l’environnement (Van Doren, 2002).
24
Le cercle des dirigeants
Le cercle des dirigeants est représenté par Piasecki (1992) et Tibbs (1993) :
Industrial ecology is the management science of focusing a corporation’s expertise on this third variable-toxic emission per unit of resource used. Thus, industrial ecology is involved with changing the efficiency of machines, not just changing the law or the firm’s compliance strategy (Piasecki, 1992, p. 7). Applied industrial ecology is an integrated management and technical program. On the management side, it offers tools for analysis of the interface between industry and the environment, and provides a basis for developing strategic options and policy decisions. On the technical side industrial ecology offers specific engineering and operational programs for data gathering, technology deployment and product design (Tibbs, 1993, p. 9).
Pour ces auteurs19, l’écologie industrielle peut être conçue comme un moyen pour réutiliser,
transformer et recycler les déchets industriels. Cette vision part du postulat selon lequel la valorisation
des déchets industriels, et donc leur élimination ou encore réduction, contribue à l’amélioration des
conditions générales de l’environnement (Frosch et Gallopoulos, 1989; 1992). Cette réutilisation des
déchets à l’échelle des procédés de production industrielle renforce ainsi le rôle des entreprises
industrielles dans le développement de l’écologie industrielle tel que souligné par Tibbs (1993). C’est
ainsi que les termes de programme intégré de gestion, d’efficience des équipements ou d’outils de
décisions stratégiques constituent les fondements de l’approche de l’écologie industrielle. Cette
perspective fait de l’écologie industrielle un système de coordination entre les technologies, les
procédés industriels et les habitudes de consommation (Frosh et Gallopoulos, 1992). L’accent est donc
mis sur la transformation des systèmes productifs actuels en écosystèmes industriels.
À la différence des ingénieurs, les dirigeants conçoivent l’écologie industrielle comme un moyen
d’intégrer les systèmes productifs principalement à l’échelle intra-entreprise et interentreprises. Tibbs
19 Certains facteurs externes aux idées lancées par Frosch et Gallopoulos en 1989 ont permis leur facile
acceptation et leur rapide diffusion dans le milieu des scientifiques et des affaires aux États-Unis, notamment le prestige de la revue Scientific American, le nom de l’entreprise General Motors associée aux chercheurs, le contexte général à ce moment-là, contexte où les questions environnementales suscitaient des intérêts stratégiques pour plusieurs acteurs économiques et, surtout, le rôle joué par Hardin Tibbs, un consultant anglais qui travaillait pour la prestigieuse firme américaine Arthur D. Little dans l’adaptation et la diffusion des idées clés de Frosch et Gallopoulos dans le monde des affaires aux États-Unis, avec la collaboration d’Arthur D. Little en 1991 et, deux ans plus tard, en 1993, dans la revue Global Business Network (Erkman, 1998).
25
(1993) suggère sept manières différentes pour atteindre cette intégration : l’amélioration des systèmes
d’usage et de transformation des matières; la création des boucles des pratiques industrielles; la
réduction de la quantité de matière utilisée dans les procédés industriels; la systématisation des modèles
d’utilisation de l’énergie; l’équilibre entre les intrants et les extrants en rapport avec la capacité des
écosystèmes naturels; la structuration des politiques réglementaires; et la mise sur pied de nouvelles
structures d’actions harmonisées, des réseaux de communication et d’information.
En ce sens, les principaux acteurs visés dans l’échange des divers sous-produits industriels utilisés
et transformés sont les gestionnaires des entreprises industrielles et les partenaires.
Le cercle des écologistes ou environnementalistes
Le cercle des écologistes ou environnementalistes est représenté entre autres par Hawken20 (1993) :
One of the most comprehensive proposals toward sustainable industrial methods is being called “industrial ecology” (...) Recognizing that industrial processes that harm and waste are, by definition, less economic and therefore more costly in the long run, companies and industries are trying to dovetail their material and waste flows, attempting to eliminate pollution by tailoring manufacturing by-products so that they become the raw material of subsequent processes. This philosophy goes well beyond the hygiene of curtailing waste; it entails using waste so that it is no longer waste at all. Industrial ecology provides a positive means for corporations to address environmental needs while also working within their own natural predilections (Hawken, 1993, p. 61).
Selon cet auteur, l’écologie industrielle peut être envisagée comme un moyen pour éliminer la
pollution et la notion de déchet et ainsi promouvoir le développement durable. Hawken (1993)
soutient que le développement durable porte sur les liens entre les deux systèmes les plus
complexes sur la terre : l’être humain et la vie sur la terre. Les liens entre ces deux systèmes complexes
marquent l’existence de chaque individu, déterminent l’essor ou le déclin de chaque civilisation. Cette
dernière perception renforce l’idée de bon nombre de chercheurs (Gladwin, 1993; Fischer et Schot,
1993; Paton, 1994) selon laquelle l’écologie industrielle est une nouvelle approche du management 20 Paul Hawken, environnementaliste, journaliste et homme d’affaires. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont
The Ecology of Commerce en 1993. Ce livre est à l’origine de la conversion de bon nombre d’hommes d’affaires et de leurs entreprises au développement durable. Le cas le plus évoqué est celui de l’entreprise Patagonia qui travaille dans le domaine du textile (Boiral et Kabongo, 2004).
26
environnemental. L’écologie industrielle est perçue comme un moyen de poursuivre, voire de
renforcer l’intégration des préoccupations environnementales dans les pratiques des entreprises. Ce qui
établit un lien étroit à développer entre l’écologie industrielle et l’engagement environnemental de
l’entreprise. D’ailleurs, comme il sera indiqué plus loin dans ce chapitre, Andersen (2003) conçoit les
systèmes de gestion environnementale comme un type particulier de l’écologie industrielle.
Ferrand (2000) conçoit le management environnemental comme une philosophie d’entreprise,
une prise de conscience :
Une façon de penser et d’agir qui favorise à la fois la prise en compte de l’environnement dans les activités des organisations et l’amélioration de leurs performances. C’est d’abord et avant tout une volonté continue d’optimisation des matières et des ressources qui contribuent aux flux de production, de distribution et d’utilisation des produits ou des services d’une entreprise. La planification et l’implantation de mesures et de programmes spécifiques viennent après (p. 5).
Gladwin (1993) soutient que les pratiques du management environnemental se présentent
comme l’une des voies du processus de transformation de l’entreprise contemporaine en une
organisation durable. Pour Post et Altman (1994), le management environnemental devrait être centré
sur la gestion de la qualité de l’environnement, sur les stratégies concurrentielles, sur l’innovation
technologique et le contrôle des impacts environnementaux et sur le changement de valeurs au sein de
l’entreprise. Pour concrétiser cette vision de l’engagement environnemental ou écologique de
l’entreprise, Fischer et Schot (1993) ont fondé Greening of Industry Network, un réseau d’échange
d’information et d’expériences entre les hommes d’affaires et les chercheurs dans le domaine de
l’environnement. Paton (1994), pour sa part, soutient que les principes de l’écologie industrielle sont
indispensables pour une approche intégrée de gestion qui inclut une vision claire de ce qui doit être
accompli, un plan d’affaires fonctionnel, des processus d’affaires efficaces et une réelle compréhension
des impacts financiers de la réutilisation ou du recyclage.
Ainsi, dans cette vision, les principes de l’écologie industrielle constituent les bases sur lesquelles
devraient reposer la production industrielle et la création de nouvelles entreprises industrielles centrées
sur les nouvelles valeurs de protection de l’environnement. Ainsi, pour les environnementalistes ou
écologistes, l’écologie industrielle repose sur une nouvelle philosophie de gestion centrée sur l’usage et
la transformation des déchets et la recherche des solutions aux questions environnementales par la
prise de responsabilité aux niveaux environnemental, économique et social. En ce sens, l’écologie
27
industrielle s’applique aux échelles macro et micro et ses acteurs sont les gouvernements, les secteurs
industriels ou les dirigeants d’entreprises.
Le fait que l’écologie industrielle soit perçue à différents niveaux et de différentes manières pose
le problème de sa présentation comme approche qui tente de résoudre les problèmes
environnementaux. Comme la section suivante tente de le montrer, l’écologie industrielle est largement
présentée dans une perspective physico-chimique.
2.1.2. La perspective physico-chimique
La vision selon laquelle l’écologie industrielle se traduit par l’étude physique et chimique de
l’ensemble des systèmes industriels de production et de consommation domine largement la littérature
sur le domaine. Ce qui s’apparente à une présentation monolithique du domaine ou croyance
fondamentale de ce que devrait être l’écologie industrielle. Trois points essentiels permettent d’illustrer
ce propos : la présentation de l’écologie industrielle dans les manuels classiques, sa présentation dans la
revue Journal of Industrial Ecology et le contenu de l’anthologie sur le domaine publiée en 2002 sous la
direction de Robert et Leslie Ayres (2002).
Les manuels classiques de l’écologie industrielle
Le premier point porte sur les manuels « classiques » parus peu après l’institutionnalisation de
l’écologie industrielle comme domaine d’étude et de recherche. En effet, depuis les années 1990,
l’écologie industrielle connaît un développement spectaculaire sur le plan institutionnel et conceptuel.
Des conférences internationales sont organisées un peu partout à travers le monde, de prestigieuses
institutions publiques et privées soutiennent les efforts de promotion de ses principes, entre autres la
National Academy of Engineering et Environmental Protection Agency (EPA). Les recherches sont menées avec
l’appui des nouvelles technologies et la production savante sur l’écologie industrielle prend de
l’ampleur. Dans ce sens, Graedel et Allenby (1995) s’adressent plus particulièrement à leurs collègues
ingénieurs dans leur ouvrage intitulé Industrial Ecology :
Industrial ecology, like biological ecology, has as its focus the cycling of resources rather than their extraction and eventual discard following use. The sustainable development of the planet is, in fact, dependent on achieving such cycling, and corporations, customers, and governments are turning from “end-of-pipe” thinking to forward-looking approaches to product and process design. To help today’s as well as
28
tomorrow’s engineers be part of these developments, this timely volume offers an introduction to this rapidly evolving field. (Graedel et Allenby, 1995, page couverture)
Cet ouvrage est centré essentiellement sur la conception des divers produits selon les principes
de l’écologie industrielle ou Design for Environment (DFE). Après avoir introduit des considérations
générales portant sur la situation mondiale de l’approvisionnement des matières premières et sur
l’urgence de réduire la production des déchets, l’ouvrage consacre de nombreux chapitres à la
description détaillée des processus de fabrication des produits à partir des déchets industriels.
L’innovation technologique, en particulier l’approche de l’analyse du cycle de vie des produits et des
procédés et la conception des produits sont des thèmes centraux de ce manuel classique.
Dans son ouvrage cherchant à présenter les différents thèmes de l’écologie industrielle aux
étudiants inscrits dans divers programmes universitaires (sciences de l’ingénieur, économie,
management, environnement, sciences politiques) et aux fonctionnaires des gouvernements et
employés des organismes non-gouvernementaux, Allenby (1999a) établit la différence entre les
perspectives de développement durable et d’écologie industrielle pour ainsi soutenir que cette dernière
repose essentiellement sur les approches scientifiques et d’ingénierie :
Important disciplines contributing to industrial ecology include the physical and biological sciences, engineering, economics, law, anthropology, policy studies and business studies. Even given this broad scope, however, it is important to note that the distinction between the vision of sustainable development, which is heavily normative and thus relies on political and cultural systems for its definition, and industrial ecology, which is an objective field of study, and thus relies on traditional, scientific, engineering, and other disciplinary research for its development…(Allenby, 1999a, p. 12-13).
À l’instar de l’ouvrage publié en collaboration avec Graedel, Allenby (1999a) renforce sa vision
technoscientifique en illustrant, par beaucoup plus de détails, l’application des principes d’écologie
industrielle dans le cas de l’industrie de l’automobile. Comme on peut l’imaginer, les thèmes centraux
s’articulent autour de la consommation et de la réduction de l’énergie par des modélisations
mathématiques. La vision de l’écologie industrielle présentée dans l’ouvrage de Allenby (1999a) sépare
les sciences « pures » des autres dites « sociales » et considère que seules les premières peuvent apporter
une contribution au développement de l’écologie industrielle.
29
Ce prétendu caractère scientifique et technologique se retrouve également dans la présentation
de l’ouvrage d’Erkman (1998) considéré comme le premier du genre en langue française :
Les traditionnelles remises en cause du système industriel, dominées par les questions de pollution et d’épuisement des ressources, ne suffisent plus. Une approche nouvelle, plus large, est en train d’émerger depuis quelques années : l’écologie industrielle. Au lieu de voir le système industriel comme séparé de la Biosphère, il est possible de le considérer comme un cas particulier d’écosystème. L’écologie industrielle s’intéresse à l’évolution à long terme du système industriel dans son ensemble, et pas seulement aux problèmes d’environnement. Cet ouvrage offre la première synthèse en français sur ce domaine en plein essor, au carrefour des sciences de l’ingénieur, de la biologie, de la géographie, de l’économie et de nombreuses autres sciences (Erkman, 1998, page couverture).
La revue Journal of Industrial Ecology
Le deuxième point porte sur la revue Journal of Industrial Ecology. Créée depuis 1997, cette revue
spécialisée fait montre d’une orientation technoscientifique (perspective physico-chimique) dans les
thèmes choisis et la majorité des articles publiés. Il est manifeste que la revue s’inscrit en accord avec la
définition de l’écologie industrielle de White (1994) et qu’en outre, l’approche de l’analyse du cycle de
vie des produits déjà largement présentée dans Graedel et Allenby (1995) et Allenby (1999a) y est
privilégiée. Cela confirme l’idée que cette approche est considérée, en écologie industrielle, comme
institutionnelle ou encore classique (Ehrenfeld, 1997a; Heiskanen, 2000; Frankl, 2002). L’analyse du
cycle de vie des produits est définie en ces termes :
Life Cycle Assessment (LCA) is a technique for assessing the environmental aspects and potential impacts associated with a product by compiling an inventory of relevant inputs and outputs of a system; evaluating the potential environmental impacts associated with those inputs and outputs; and interpreting the results of the inventory and impact phases in relation to the objectives of the study (Udo de Haes, 2002, p. 140).
Cette vision part du postulat selon lequel les impacts environnementaux de l’utilisation d’un
produit sont liés à cette utilisation et aux procédés ayant servi à la fabrication du même produit.
L’analyse du cycle de vie constitue l’essentiel des études et des réflexions publiées dans Journal of
Industrial Ecology, par exemple celles de McLaren, Wright, Parkinson et Jackson (1999), de Keoleian et
Spiltzley (1999), de Satish (1999), d’Hertwich, Hammitt et Pease (2000), de Field, de Kirchain et Clark
(2000), de Peters et Lundie (2001), ainsi que de Smith (2003). Cette approche s’attache à quantifier les
30
impacts environnementaux de l’usage des matières et des substances, en particulier la conception de
produits (Den Hond, 2000, p. 64). Pourtant, la revue Journal of Industrial Ecology est présentée22 comme
offrant un espace d’échanges dans le développement tant théorique que pratique du domaine de
l’écologie industrielle :
Journal of Industrial Ecology is an international, peer-reviewed, multi-disciplinary quarterly designed to foster both understanding and practice in the emerging field of industrial ecology. The journal addresses a series of related topics: material and energy flows studies (industrial metabolism); dematerialization and decarbonization; life cycle planning, design and assessment; design for the environment; extended producer responsibility (product stewardship); eco-industrial parks (industrial symbiosis); product-oriented environmental policy; and eco-efficiency;…
Industrial ecology is a rapidly-growing field that systematically examines local, regional and global materials and energy uses and flows in products, processes, industrial sectors and economies. It focuses on the potential role of industry in reducing environmental burdens throughout the product life cycle, from the extraction of raw materials, to the production of goods, to the use of those goods and to the management of the resulting wastes (présentation de la revue Journal of Industrial Ecology).
La présentation de la revue reconnaît, d’une part, le rôle potentiel des entreprises industrielles
dans les efforts de réduction des impacts sur l’environnement et, d’autre part, leur rôle dans la gestion
des matières résiduelles issues des procédés de production, ce qui sous-entend des liens clairs et à
développer entre les dimensions de gestion des entreprises engagées dans les pratiques d’écologie
industrielle et l’optimisation des ressources. Cependant, les expériences « qualitatives » et concrètes des
entreprises qui mettent en application les principes de l’écologie industrielle ne semblent pas encore
être des sujets des études publiées.
A Handbook of Industrial Ecology
Enfin, le troisième point porte sur les contributions de l’anthologie sur l’écologie industrielle, A Handbook of Industrial Ecology, conçue et réalisée par Robert U. Ayres et Leslie W. Ayres en 2002. Cette
anthologie comprend quarante-six chapitres sur l’état actuel des connaissances en écologie industrielle.
22 Présentation officielle de Journal of Industrial Ecology dans chaque numéro publié sous format papier et sur la
page d’accueil Internet de la revue à l’adresse http://mitpress.mit.edu.
31
L’analyse physique et chimique des matières par des modèles mathématiques domine l’essentiel de ces
contributions. Celles-ci tentent de décrire les outils d’analyse des flux des matières et de l’énergie
(analyse de cycle de vie des matières et des substances) dans les systèmes de production et de
consommation et de montrer la généralisation de l’approche de l’écologie industrielle aux échelles
nationale, régionale et sectorielle.
Les considérations qui viennent d’être présentées montrent que dans l’ensemble, l’écologie
industrielle semble se réduire à l’analyse physique et chimique des matières qui transitent dans les
systèmes de production. La vision selon laquelle l’écologie industrielle se traduit par l’étude physique et
chimique de l’ensemble des systèmes industriels de production et de consommation domine largement
la littérature sur le domaine. Cette même vision a débouché sur des définitions descriptives et abstraites
du domaine nouvellement constitué de l’écologie industrielle23. La plupart de ces définitions résultent
des idées portant sur ce que les spécialistes aimeraient que l’écologie industrielle soit et non sur une
construction des concepts à partir des observations des liens qui existent entre l’industrie et l’écologie.
Sans traiter davantage des discussions portant sur le caractère positif ou normatif de l’écologie
industrielle (Lifset et Graedel, 2002; Boons et Roome, 2001; Allenby, 2001), il semble simplificateur de
réduire l’écologie industrielle à une discipline technoscientifique qui tente de trouver des solutions à la
problématique environnementale par les seules analyses physique et chimique de flux de matière et
d’énergie dans les systèmes actuels de production.
La présente thèse entend montrer comment les expériences de valorisation des sous-produits
industriels dans certaines entreprises font partie intégrante des thèmes de l’écologie industrielle au
même titre que les modélisations et les analyses de flux de matière ou de substances. Cela signifie qu’il
n’est pas suffisant de simplement les concevoir et de les décrire comme des conséquences probables
de l’écologie industrielle sur les entreprises, comme ont tenté de le suggérer quelques auteurs (Graedel
et Allenby, 1995; Allenby, 1999b). Allenby (1999b) rejette les expériences des entreprises parce qu’elles
ne constituent pas des données objectives, lesquelles sont étroitement subordonnées au
développement de l’écologie industrielle. Selon cette position, seule la valorisation résiduelle qui
montre des évidences de l’analyse de flux des matières et de l’énergie ou qui développe des formules de
la conception des produits décrites dans les ouvrages classiques évoqués ci-dessus devient sujet
d’étude. 23 Cet aspect sera développé dans le chapitre troisième portant sur l’analyse critique de la littérature sur l’écologie
industrielle.
32
L’élaboration des produits à partir des résidus industriels telle que pratiquée par bon nombre
d’entreprises est un élément déterminant ou critique du développement de l’écologie industrielle.
Comme il vient d’être indiqué, les définitions actuelles de l’écologie industrielle intègrent très peu les
pratiques de la valorisation résiduelle, comme le suggèrent Lifset et Graedel (2002) :
While the firm and unit process is important, much of industrial ecology focuses at the inter-firm and inter-facility level, in part, as described above, because a systems perspective emphasizes unexpected outcomes-and possibly environmental gains-to be revealed when a broader scope is used and because pollution prevention, a related endeavor, has effectively addressed many of the important issues at the firm, facility or unit process level (p. 10).
Il nous faut trouver une définition « fonctionnelle » de l’écologie industrielle qui intègre de façon
spécifique la valorisation résiduelle. En ce sens, prenant appui sur White (1994) ainsi que sur Boiral et
Croteau (2001a), l’écologie industrielle pourrait être envisagée comme l’étude du flux des ressources et
de l’énergie dans les systèmes de production industrielle et de consommation; de l’utilisation et de la
transformation sécuritaire de ces ressources, c’est-à-dire de l’énergie et des matières résiduelles; des
implications de ces actions sur les entreprises; de l’effet de ce flux sur l’environnement; et enfin, des
facteurs économiques, politiques, légaux et sociaux liés au flux.
Cette définition semble tenir compte non seulement des caractéristiques essentielles ci-dessus
mentionnées et attribuées à l’écologie industrielle (White, 1994; Socolow et al., 1994; Graedel et
Allenby, 1995; Allenby, 1999a; Cohen-Rosenthal, 2000), mais aussi et surtout, elle considère la
pertinence de la valorisation résiduelle comme partie intégrante de l’écologie industrielle. C’est donc
dans cette vision managériale24, c’est-à-dire l’analyse des mécanismes de la valorisation résiduelle et de
leurs conséquences sur la gestion des entreprises engagées dans cette démarche, que s’inscrit la
présente thèse.
2.1.3. Les objectifs principaux de l’écologie industrielle
À l’instar des définitions proposées de l’écologie industrielle telle qu’elles ont été analysées dans la
section précédente, les objectifs poursuivis par cette approche sont présentés de façon différente selon
24 L’approche managériale sera davantage développée au chapitre portant sur le cadre conceptuel de la
recherche.
33
les auteurs. L’examen d’un nombre de travaux montre que l’écologie industrielle comporte un objectif
général et des objectifs spécifiques.
Comme objectif général, l’écologie industrielle cherche à améliorer et à maintenir une qualité
acceptable de l’environnement, c’est-à-dire à promouvoir une croissance durable basée sur le respect
de l’environnement (Frosch, 1992). Graedel et Allenby (1995) considèrent que l’élimination de la
notion de déchet constitue une façon de rendre opérationnel cet objectif.
One of the most important concepts of industrial ecology is that, like the biological system, it rejects the concept of waste…Hence, materials and products that are obsolete should be termed residues rather than wastes, and it should be recognized that wastes are merely residues that our economy has not learned to use efficiently (Graedel et Allenby, 1995, p. 10).
C’est aussi dans cette vision fondée sur l’action, la pratique et l’obligation des résultats que
Hawken (1993) conçoit l’écologie industrielle. Il est intéressant de noter ici le lien entre, d’une part,
l’amélioration et le maintien d’une qualité acceptable de l’environnement comme objectif général de
l’écologie industrielle et, d’autre part, l’élimination de la notion de déchet des systèmes de production
et de consommation (Hawken, 1993). Dans une réflexion philosophique sur les fondements de
l’écologie industrielle, Frosch (1992) présente l’écologie industrielle dans la perspective opérationnelle
d’optimisation de l’usage des ressources, en particulier la valorisation, c’est-à-dire l’utilisation et la
transformation des déchets industriels.
Partant de l’objectif général tel que défini par Frosch (1992), Wernick et Ausubel (1997)25
élaborent un peu plus les objectifs spécifiques de l’écologie industrielle. Selon ces auteurs, ces objectifs
spécifiques se répartissent selon les trois axes suivants : développer un corpus des savoirs techniques
rigoureux dans les domaines de l’environnement et de l’industrie; développer de nouvelles stratégies de
production industrielle; et promouvoir une économie durable. L’écologie industrielle se propose ainsi
de réorganiser l’ensemble des systèmes productifs actuels dans le but de les rendre compatibles avec les
systèmes naturels à long terme. Cette réorganisation se traduit par ce qu’on appelle « éco-
structuration ». Selon la vision de Lifset et Graedel (2002), les trois objectifs spécifiques se traduisent
25 Ce texte de Wernick et Ausubel (1997) présente l’essentiel de l’écologie industrielle en mettant un accent
particulier sur les pistes de recherche pour le développement du domaine.
34
par les actions suivantes : analyser la problématique environnementale de façon objective; optimiser
l’usage des ressources; et, introduire des changements dans les systèmes de production et de
consommation.
Par l’analyse objective de la problématique environnementale, l’écologie industrielle cherche à
décrire les interactions humaines en rapport avec leurs impacts sur l’environnement (Allenby, 1999a).
Ce qui suppose le développement de nouvelles connaissances et de techniques de réduction de ces
mêmes impacts sur l’environnement telles qu’évoquées par Wernick et Ausubel (1997). Optimiser
l’usage des matières et de l’énergie sous-entend principalement la réduction et la valorisation des
déchets dans les procédés de production, lesquels devraient reposer sur de nouvelles stratégies
industrielles (Wernick et Ausubel, 1997). Les changements visés dans les systèmes de production et de
consommation sont, entre autres, la diminution de la consommation des ressources et des émissions
toxiques; l’exploration de l’utilisation des énergies renouvelables et non polluantes; l'utilisation de
ressources plus abondantes, comme le gaz; la substitution du pétrole par le gaz naturel ou l’hydrogène;
le changement d’une économie basée sur l’utilisation des produits vers une autre qui repose sur la
notion de service (Erkman, 1998). Ce qui montre que l’écologie industrielle présente une vision centrée
sur trois domaines : l’environnement, l’économie et la société de façon générale. C’est sur la base de
ces objectifs « spécifiques » (Wernick et Ausubel, 1997; Lifset et Graedel, 2002) que l’écologie
industrielle va orienter la recherche et les applications de ses principes. Cette recherche va déboucher
sur des méthodologies26 d’optimisation de l’usage des ressources qui s’articulent en particulier autour
des concepts d’émission zéro (Pauli, 1997); de substitution des matières (Labys, 2002); de
dématérialisation (De Bruyn, 2002); et d’économie fonctionnelle ou de service qui consiste à vendre les
services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes (Stahel, 2003). Dans cette logique, les
producteurs des biens de consommation devraient optimiser les flux de matières et d’énergie
nécessaires à leur production et fabriquer des produits qui durent plus longtemps (Van Doren, 2002;
Stahel, 2003).
Les objectifs de l’écologie industrielle qui viennent d’être exposés montrent son caractère
multidisciplinaire comme domaine d’étude et de recherche. En effet, les thèmes abordés par l’écologie
industrielle touchent de nombreux domaines de recherche, en particulier l’optimisation efficace des
matières et de l’énergie, le développement de nouvelles matières, les nouvelles technologies, les bases
26 Ces méthodologies sont présentées dans la section portant sur la mise en œuvre de l’écologie industrielle.
35
des données scientifiques, les systèmes économiques, les réglementations environnementales, la
gestion des organisations, et le changement des habitudes de consommation. Ces thèmes embrassent
également de nombreuses branches des sciences sociales, en particulier la sociologie, l’anthropologie et
les sciences politiques. Cependant, le fait d’incorporer de nombreuses disciplines dans la recherche des
voies et moyens vers un développement harmonieux avec les écosystèmes naturels pose deux
problèmes majeurs : d’une part, la définition claire des objectifs en raison des différentes
interprétations possibles de ce que devrait être l’écologie industrielle et, d’autre part, le réalisme et
l’abstraction de son ambitieux programme d’action.
L’écologie industrielle : vision pragmatique ?
Les différentes façons de concevoir et de présenter les objectifs de l’écologie industrielle font
l’objet de critiques. Ces critiques touchent de façon directe la vision pragmatique que présente
l’approche de l’écologie industrielle. La vision pragmatique prend ici le sens de réaliste et d’efficace. En
d’autres termes, les objectifs poursuivis par l’écologie industrielle ne revêtent-ils pas un caractère
idéaliste ou encore spéculatif ? O’Rourke, Connelly et Koshland (1996) considèrent que l’écologie
industrielle propose de nouvelles manières susceptibles d’apporter des solutions à la problématique
environnementale : la réalisation des boucles de systèmes productifs et le changement du mode de vie
et de consommation. Cependant, les objectifs qu’elle poursuit demeurent trop larges. Ces auteurs
estiment que les transformations radicales de l’ensemble de l’industrie et la réalisation de boucles de
systèmes productifs telles que proposées par les spécialistes de l’écologie industrielle impliquent deux
principes bien connus des spécialistes du domaine de l’économie de l’environnement : l’information
environnementale nécessaire aux décideurs et concepteurs des produits (getting the right information) et
l’incorporation des externalités négatives dans les mécanismes du marché (getting the right price).
O’Rourke, Connelly et Koshland (1996) estiment que les objectifs de l’écologie industrielle n’indiquent
pas de façon précise comment l’information nécessaire et l’incorporation des externalités négatives
pourraient corriger et introduire des transformations dans les systèmes productifs actuels.
Pour sa part, Den Hond (2000) soutient que si l’idée d’introduire des changements profonds
dans les systèmes de production industrielle et de consommation est susceptible d’apporter des
résultats satisfaisants, les structures de fonctionnement actuel de ces systèmes semblent cependant
limiter le développement des pratiques d’écologie industrielle.
36
Industrial ecology is presented as a strong metaphor that may advance positive radical change in industrial resource efficiency and, consequently, in significant reduction of environmental pollution. Most of research into industrial ecology focuses on describing materials flows and transformation and developing tools for controlling them. However, studies into the manageability of materials flows indicate, on the one hand, that currently market and regulatory failures exist which inhibit the implementation of the principles of industrial ecology and, on the other hand, that decisions of actors, such as firms and consumers, that shape the flow and transformation of materials – at least in the societal context – are only partly informed by price, information and laws. These are major challenges for industrial ecology, not only in research but also in the practical implications for eco-industrial parks and dematerialization (Den Hond, 2000, p. 67).
Les considérations de ces auteurs montrent la pertinence de comprendre les mécanismes et le
fonctionnement de l’écologie industrielle. Ce qui signifie que la redéfinition et la délimitation des
frontières entre les différentes approches de l’écologie industrielle pourraient clarifier la vision
pragmatique de l’écologie industrielle. Cette redéfinition et délimitation apporteraient une consistance
opérationnelle aux pratiques et aux concepts utilisés en écologie industrielle. Bien que largement
présentée comme une discipline des sciences « pures » (Garner et Keoleian, 1995) ou encore comme
l’analyse des flux des matières et de l’énergie dans les systèmes de production industrielle et de
consommation (White, 1994), et bien que les objectifs poursuivis pour optimiser l’usage des ressources
soient assez larges (O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996), l’écologie industrielle tente d’aborder et
d’explorer la question de l’amélioration et du maintien d’une qualité acceptable de l’environnement
dans des perspectives diverses : le bouclage des systèmes productifs, l’analyse du cycle de vie des
produits et des procédés, et le développement des réseaux d’échange des déchets entre entreprises, les
déchets comme matières premières, entre autres (Lifset et Graedel, 2002).
2.2. Du bio-mimétisme à la valorisation résiduelle
À la base de l’écologie industrielle se trouve l’idée de comprendre et d’imiter le fonctionnement
des processus biologiques et écologiques. L’écologie industrielle s’inspire donc du bio-mimétisme.
D’une part, l’écologie industrielle cherche à mieux co-exister avec la nature et, d’autre part, à améliorer
les principes de conception et le mode de fonctionnement des systèmes actuels de production (Van
Doren, 2002). S’inspirer de la nature se traduit par une recherche d’optimisation de l’usage des
ressources qui vise et la réduction de la quantité de déchets dans les systèmes de production et de
consommation, et leur utilisation comme matières premières dans différents procédés industriels.
37
L’optimisation de l’usage des ressources sous-entend donc l’analyse et la compréhension du
fonctionnement des systèmes actuels de production en les comparant aux écosystèmes naturels, l’étude
du flux de matière et d’énergie par une approche systémique, et la transformation des sous-produits
dans les procédés industriels.
2.2.1. Bio-mimétisme et écologie industrielle
L’écologie industrielle repose sur le rapport des ressemblances qui existent entre les systèmes de
production industrielle et de consommation et les écosystèmes naturels (Frosch, 1992). En d’autres
termes, l’écologie industrielle part de l’idée selon laquelle les systèmes de production et de
consommation devraient fonctionner comme le font les écosystèmes naturels (Frosch et Gallopoulos,
1989; Frosch, 1992). Par l’analyse et la comparaison entre les systèmes actuels de production et de
consommation et les écosystèmes naturels, l’écologie industrielle tente de s’inspirer des modes de
production de la plus vieille industrie de tous les temps : la nature elle-même.
Pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée, l’écologie industrielle utilise la nature comme
modèle et s’appuie sur les principes et les stratégies proposés par le bio-mimétisme. Le bio-mimétisme
est défini par Benyus (1997) comme la discipline qui étudie les modèles de la nature et qui cherche à les
imiter ou à s’en inspirer pour la conception ou la mise en place des processus et des outils destinés à
résoudre les problèmes humains. Benyus (1997, chapitre 1) soutient qu’imiter la nature revient à
appliquer certaines stratégies et principes qui reposent sur des lois naturelles : « la nature fonctionne à
l’énergie solaire; elle utilise seulement l’énergie dont elle a besoin; elle adapte la forme à la fonction; elle
recycle tout; elle récompense la coopération; elle mise sur la diversité; elle fait appel à l’expertise locale;
elle n’admet pas d’excès; elle convertit ses limites en pouvoir d’action ».
L’écologie industrielle propose ainsi de mettre en pratique ces principes dans le but d’atteindre
l’un des ses principaux objectifs, c’est-à-dire d’optimiser l’usage des ressources disponibles dans les
systèmes de production et de consommation. C’est dans ce sens qu’elle propose d’analyser l’ensemble
des systèmes industriels de production et de consommation dans une perspective systémique.
38
2.2.2. La perspective systémique
L’écologie industrielle aborde les questions environnementales dans la perspective systémique
des interactions entre les systèmes de production industrielle et de consommation et les écosystèmes
naturels. Si l’ensemble des activités de production industrielle et de consommation doivent être
conçues à l’image de la nature, alors ces activités constituent des systèmes et elles doivent être
analysées en tant que tels (Allenby et Cooper, 1994). La vision systémique permet d’analyser la
problématique de l’optimisation de l’usage des ressources dans son ensemble et d’éviter des analyses
partiales et cloisonnées qui peuvent déboucher non seulement sur l’oubli de certaines variables
importantes, mais aussi et surtout sur des conséquences inattendues (Lifset et Graedel, 2002, p. 6).
Pour ce faire, l’écologie industrielle se propose de retrouver le lien avec la nature, de réintroduire la
notion fondamentale de cycle, et de s’interroger sur le rôle symbiotique de chacun des acteurs de ce
cycle : le producteur, le consommateur et le décomposeur (Van Doren, 2002).
Le fait que les questions de l’optimisation de l’usage des ressources soient abordées à partir des
perspectives différentes (économiques, politiques, légales et sociales), comme le montre la définition de
l’écologie industrielle proposée par White (1994), constitue un exemple de l’approche systémique.
Étant donné que des spécialistes de plusieurs disciplines (sciences de la vie, économie, sciences de
l’ingénieur, anthropologie, sociologie, philosophie, management) s’intéressent aux questions centrales
de l’écologie industrielle et proposent des voies et des moyens pour le développement de la discipline
nouvellement constituée est une autre illustration de la perspective systémique proposée par les
spécialistes du domaine.
Sur le plan de l’usage de matière et d’énergie, Lifset et Graedel (2002) soutiennent que le modèle
« intrants, transformation et sortants » sur lequel repose l’approche systémique donne lieu à plusieurs
pratiques d’écologie industrielle, en particulier l’analyse de cycle de vie des produits et des procédés,
l’analyse des flux des matières et de l’énergie, l’analyse et la gestion de la chaîne des produits, la
politique intégrée des produits, le management « vert » de la chaîne de fournisseurs et la responsabilité
élargie du producteur. Ces différentes pratiques prennent les formes de méthodologie ou encore
d’outils de mise en œuvre de l’écologie industrielle (Wernick et Ausubel, 1997). La vision systémique
montre la pertinence d’analyser les questions environnementales dans une perspective beaucoup plus
globale. La mise en application au sein des divers secteurs industriels des principes et des stratégies
39
calqués sur le modèle de la nature prouve que l’optimisation de l’usage des ressources peut prendre
plusieurs formes en particulier la valorisation des résidus et des sous-produits industriels.
2.2.3. La valorisation résiduelle
La valorisation résiduelle se traduit par la forme la plus élégante d’optimisation de l’usage des
ressources dans les procédés de production industrielle. Il s’agit en effet de la mise en application de
certains principes du bio-mimétisme tels que mentionné par Benyus (1997) : « la nature recycle tout »
ou encore « la nature n’utilise que l’énergie dont elle a besoin ». C’est dans ce sens que se comprend
l’idée d’éliminer la notion de déchet des systèmes actuels de production, idée proposée par Hawken
(1993). La valorisation fait donc de la notion de déchet comme ressource le pivot de ses activités. La
Loi sur la qualité de l’environnement du ministère québécois de l’Environnement apporte des précisions sur
les concepts de valorisation et de matière résiduelle.
D’abord, cette Loi sur la qualité de l’environnement, dans sa première section, définit le concept de
matière résiduelle en ces termes :
Tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau ou produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que le détenteur destine à l’abandon. (Section I, 1-11)
Ainsi, les pneus hors d’usage, les batteries au plomb-acide, les filtres à huile usagés, les huiles
usagées ou encore les animaux morts de la ferme constituent des exemples de matières résiduelles.
Dans le cadre de la recherche, le concept de sous-produit désigne tout résidu d’un processus de
production ou de transformation dans un procédé de production ou un produit dérivé. En ce sens, les
boues de désencrage, les résidus miniers, les scories d’acier inoxydable ou encore les stériles de minerai
de fer constituent des exemples de sous-produits industriels.
La même Loi sur la qualité de l’environnement, dans sa septième section portant sur la gestion des
matières résiduelles, définit les concepts de valorisation et d’élimination en ces termes :
Valorisation : toute opération visant le réemploi, le recyclage, le compostage, la régénération ou toute autre action qui ne constitue pas de l’élimination, à obtenir à partir de matières résiduelles des éléments ou des produits utiles ou de l’énergie;…
40
Élimination : toute opération visant le dépôt ou le rejet définitif de matières résiduelles dans l’environnement, notamment par la mise en décharge, stockage ou incinération, y compris les opérations de traitement ou de transfert de matières résiduelles effectuées en vue de leur élimination (Section VII- paragraphe 1 article 53.1).
La définition de ces notions constitue un aspect important dans la mesure où, comme il a été
indiqué au chapitre premier sur l’historique de la gestion des déchets dans l’histoire des hommes, la
gestion efficace des matières résiduelles et le traitement de ces diverses matières constitue l’une des
préoccupations majeures de la société. Aujourd’hui, dans la plupart des pays, la gestion intégrée des
matières résiduelles solides d’origine domestique s’appuie sur des principes qui se traduisent par
l’expression « 3RV-E » basés sur une hiérarchie : réduction à la source, réemploi, recyclage, valorisation
et élimination (Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008).
Dans une vision beaucoup plus centrée sur des activités industrielles, le centre de transfert
technologique en écologie industrielle (CTTÉI) situé à Sorel-Tracy au Québec définit la valorisation
résiduelle comme la transformation d’un produit sans intérêt en un produit ou une matière à valeur
ajoutée pour lequel il existe une demande. Cette façon de concevoir la valorisation résiduelle montre
qu’elle constitue une manière de capitaliser les opportunités d’affaires (Tibbs, 1993). C’est dans cette
perspective de la valorisation résiduelle comme activité commerciale que se situe la présente thèse. Il
est important de préciser que cette dernière entend analyser principalement la valorisation résiduelle
des matières résiduelles inorganiques industrielles telles que, entre autres, les résidus miniers, les résidus
de production de l’acier, les résidus de l’explotation des carrières, les résidus de la production de
l’industrie de l’aluminium, les résidus de l’industrie chimique, les déchets commerciaux et
institutionnels, ainsi que les déchets municipaux (CTTÉI).
Comme pratique d’écologie industrielle, la valorisation résiduelle repose donc sur la récupération
et l’utilisation ou la transformation des sous-produits et des matières résiduelles dans les procédés
productifs. Desachy (1996, p. 32) conçoit la récupération des déchets comme une « collecte séparée ou
un tri qui permet de valoriser les matériaux ou l’énergie contenus dans les déchets, de limiter leur
apport dans les installations de traitement, ou de leur faire suivre une filière de traitement spécifique »
(cité dans Vorburger, 2005). L’utilisation peut-être entendue comme l’usage ou l’introduction des sous-
produits ou des matières résiduelles dans l’un ou l’autre procédé de production. Ces différentes
matières résiduelles ou sous-produits sont introduits parce qu’ils représentent encore de la valeur aux
yeux des gestionnaires (Rogers et Tibben-Lembke, 2001). L’introduction des pneus hors d’usage dans
41
les fours à haute tension pour brûler le clinker et fabriquer la poudre grise du ciment constitue une
illustration de l’utilisation des matières résiduelles (Van Oss et Pandovani, 2002). La transformation
désigne le processus d’élaboration de nouveaux produits finis ou semi-finis à partir de sous-produits
ou matières résiduelles, lesquels produits sont destinés à des marchés ciblés (Tibbs, 1993).
Cette vision de la récupération, de l’utilisation ou de la transformation des matières résiduelles
montre que la valorisation résiduelle telle que définit ci-dessus se différencie des modes de traitement
des déchets par réemploi, réutilisation ou recyclage, comme le montrent Gouilliard et Legendre (2003)
cités dans Vorburger (2005). En effet, selon ces auteurs, le réemploi renvoie à utilisation, une nouvelle
fois, d’un produit ou d’un objet usagé, pour un usage analogue à celui de sa première utilisation ou
pour une autre utilité sans qu’il y ait de traitement intermédiaire. La réutilisation repose sur l’utilisation,
à nouveau, d’un déchet, pour un usage différent de son premier emploi. Comme les résultats de la
présente étude vont le préciser, la transformation ou le traitement des matières résiduelles dans les
procédés industriels constitue une des dimensions importantes de la valorisation résiduelle. Cette
dimension ne ressort pas dans les pratiques de réemploi ou de réutilisation.
Par contre, le recyclage - défini comme la récupération et la réintroduction, dans le cycle de
production, d’un matériau contenu dans un déchet, en remplacement total ou partiel d'une matière
première neuve (Gouilliard et Legendre, 2003, cités dans Vorburger, 2005) - considère le traitement ou
la modification physique de l’objet initial. Cependant, cette modification ne vise pas la conversion de
cet objet en un autre totalement différent. La valorisation résiduelle met en valeur un résidu par
d’autres voies autres que le réemploi, la réutilisation ou le recyclage (Environnement Canada). En
suivant la stratégie basée sur des principes des 3RV-E, la valorisation constitue la dernière étape pour
éviter que les résidus soient envoyés aux sites d’enfouissement ou éliminés. Ce qui justifie l’idée selon
laquelle la valorisation résiduelle se traduit par la forme la plus élégante d’optimisation de l’usage des
ressources dans les procédés de production industrielle.
Le principe selon lequel « la nature recycle tout » renvoie à deux notions principales associées à
la valorisation résiduelle : la quête du « zéro déchet » et le bouclage des systèmes productifs. La quête
du « zéro déchet » s’inspire du principe selon lequel la nature produit sans laisser beaucoup de déchets
ou en ne laissant que peu de déchets. Dans le cadre des opérations industrielles, la « zéro déchet »
signifie la réduction de la quantité de déchets dans les systèmes de production et de consommation
42
(Pauli, 1997), et l’utilisation de ces déchets comme matières premières dans différents procédés
industriels :
The first is to obey the waste-equals-food principle and entirely eliminate waste from our industrial production. This not only saves resources outright, but it rearranges our relationship to resources from a linear to a cyclical one, greatly enhancing our ability to lead prosperous lives while reducing environmental degradation (Hawken, 1993, p. 209).
Le bouclage des systèmes productifs vient du principe selon lequel la nature recycle tout ce
qu’elle produit. Graedel et Allenby (1995) ont développé le concept de bouclage (closing loop) des
systèmes productifs à partir du concept d’analogie biologique : une activité industrielle devrait produire
le moins de déchets possible ou presque pas de déchets et utiliser autant que possible les déchets
générés. La plupart des systèmes de production actuels (linéaires) produisent encore beaucoup de
déchets. Un système cyclique en produit moins et l’idéal est d’arriver à un système totalement cyclique,
qui produirait zéro déchet. Tous les déchets d’un procédé devraient être considérés comme les
matières premières d’un autre procédé (Frosch et Gallopoulos, 1989; Garner et Keoleain, 1995). C’est
en application des principes de « zéro déchet » et de bouclage des systèmes productifs que de plus en
plus d’entreprises fondent leurs activités de valorisation des matières résiduelles et d’échange des sous-
produits. Donnons ici l’exemple de Solplast, une entreprise montréalaise de recyclage des produits en
plastique.
Concrètement, Solplast recycle du polyéthylène et du polypropylène, des matériaux que l’on retrouve dans la plupart des contenants en plastique. L’entreprise de recyclage s’approvisionne auprès des centres de tri spécialisés en récupération et directement auprès des industries productrices. Utilisant des équipements à la fine pointe de la technologie, Solplast transforme cette matière première sous forme de granules. Ce nouveau matériau peut alors être réutilisé pour la fabrication de divers produits de consommation. En plus de vendre cette matière première recyclée à d’autres entreprises manufacturières, Solplast fabrique ses propres produits, principalement de solides palettes destinées à la manutention des marchandises et des bacs de recyclage pour les municipalités (Rochette, p. 35).
À l’instar de l’entreprise Solplast, l’émergence d’entreprises éco-industrielles dans plusieurs
secteurs industriels témoigne de l’engagement environnemental de ces mêmes entreprises et de
l’application des principes et des stratégies du bio-mimétisme. Cet engagement et les actions
entreprises s’inscrivent dans la restructuration écologique ou éco-restructuration des systèmes de
43
production et de consommation. Déployer des efforts constants pour développer des produits et des
procédés à partir de divers déchets fait partie des objectifs que se sont donnés les entreprises qui
travaillent dans le domaine de la récupération et de la transformation des résidus. Le bouclage du cycle
des matières, un autre volet de la restructuration écologique, constitue également un champ où les
entreprises industrielles développent de l’expertise. Pour mieux comprendre ce développement,
donnons l’exemple d’une entreprise qui travaille dans un autre secteur d’activité, celui de la
récupération des déchets métalliques.
L’entreprise Option Métal Recyclé récupère, traite et remet en marché des résidus métalliques
ferreux et non ferreux. Ainsi, plus de 600 tonnes de métaux sont transformées. La plupart de ces
matières résiduelles proviennent des panneaux de signalisation, des poteaux de feux de circulation et de
fils électriques (Reid, 2003).
Les exemples présentés de Solplast et de Québec Métal Recyclé montrent que la valorisation
résiduelle se traduit par la mise en évidence des opportunités d’affaires que représente l’utilisation des
divers sous-produits et des diverses matières résiduelles dans les procédés de production industrielle. À
ce niveau, trois points essentiels méritent d’être soulignés.
D’abord, la récupération et la valorisation des matières résiduelles constituent des enjeux
stratégiques pour les entreprises industrielles. Loin des considérations d’ordre environnemental ou
éthique qu’implique l’introduction des déchets dans les procédés de fabrication, cette utilisation
modifie l’ensemble des processus d’affaires des entreprises industrielles. La stratégie est conçue ici dans
le sens que lui donne Steiner (1979), c’est-à-dire l’ensemble de ce que les gestionnaires font pour
contrer les actions actuelles ou futures des concurrents sur les marchés. Comme enjeux stratégiques, la
récupération et la transformation mènent les dirigeants d’entreprises à faire des choix et à se
démarquer des autres, et les entreprises à « être différentes » (Porter 1980, 1985, 1986, 1991).
Ensuite, l’entreprise fonde et crée cette différence en prenant appui sur les ressources dont elle
dispose. La vision des ressources disponibles de l’entreprise est comprise ici dans le sens large que lui
donne Daft (1983), cité dans Barney (1991, p. 101) :
Firm resources include all assets, capabilities, organizational processes, firm attributes, information, knowledge, etc. controlled by the firm that enable the firm to conceive of and implement strategies that improve its efficiency and effectiveness.
44
Ces ressources permettent à l’entreprise de former une chaîne de valeurs qui la distinguent et la
caractérisent. C’est donc dans le choix que les dirigeants font des activités qui vont les différencier des
autres entreprises que repose l’avantage concurrentiel (Porter, 1980, 1985). La mobilisation des
ressources, c’est-à-dire la mise en commun, l’acquisition et le développement des ressources
nécessaires en vue de la valorisation efficiente et effective des sous-produits industriels et des matières
résiduelles, peut mener à la création de valeur. La création de valeur est entendue ici comme la
transformation des sous-produits industriels et des matières résiduelles en biens destinés à des
marchés. Ces biens sont élaborés dans le respect total des normes environnementales et dans
l’application des principes d’écologie industrielle.
Enfin, le succès des pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels
et des matières résiduelles est crucial pour la pérennité de l’entreprise. Dès lors, identifier les facteurs
de succès des pratiques de valorisation résiduelle devient un des points centraux du management des
entreprises engagées dans cette démarche. Les facteurs de succès se traduisent par des éléments
critiques identifiables susceptibles de conduire aux résultats positifs sur les plans commercial,
organisationnel et environnemental des pratiques de récupération et de transformation des sous-
produits et des matières résiduelles dans les procédés industriels. Après avoir examiné les grands
travaux portant sur la conception écologique des produits, Johansson (2002) a identifié les facteurs
critiques de succès de l’incorporation des considérations écologiques dans le développement des
produits destinés à des marchés ciblés. Selon Johansson (2002), le succès de l’incorporation des
considérations écologiques dans le développement des produits et donc, par anticipation, le succès de
la valorisation résiduelle repose sur les six dimensions critiques suivantes : la nature de la gestion mise
en place, les relations avec les clients, les relations avec les fournisseurs, le processus de développement
des produits mis en place, le développement des compétences organisationnelles et les facteurs
motivationnels.
La définition de la valorisation résiduelle comme activité commerciale donnée ci-dessus serait
incomplète sans la différencier de la logistique inversée, une autre pratique industrielle de récupération
et de transformation des produits finis largement répandue. Cette distinction permettra de préciser
davantage, du moins pour le moment, la notion de valorisation résiduelle.
45
La valorisation résiduelle et la logistique inversée : similarités et différences
La valorisation résiduelle repose sur la récupération et la transformation sécuritaire des sous-
produits et des matières résiduelles dans les procédés industriels. En ce sens, elle s’apparente en partie
aux activités industrielles et opérationnelles dans le domaine de la récupération des produits en fin de
cycle de vie. Ce qui fait partie intégrante du domaine d’étude et de recherche connu sous le nom de
« reverse logistics » ou logistique renversée. Rogers et Tibben-Lembke (1999) conçoivent la « reverse
logistics » comme
The process of planning, implementing, and controlling the efficient, cost effective flow of materials, in-process inventory, finished goods and related information from the point of consumption to the point of origin for the purpose of recapturing value of proper disposal (p. 2).
Loin des considérations portant sur les motivations économiques et commerciales de ces
pratiques qui s’observent de plus en plus dans plusieurs secteurs industriels depuis quelques décennies
(Guide, 2000), il est intéressant de faire dès à présent la distinction entre la valorisation résiduelle,
thème central de la présente recherche, et la logistique inversée. Ce qui permettra de mettre en relief les
similarités et les différences de ces deux approches de l’écologie industrielle. Comme le montre le
tableau 4 à la page suivante, cette distinction s’articule autour de quatre points essentiels : la finalité ou
l’objectif principal, les types de produits récupérés, les enjeux majeurs et les acteurs principaux.
46
Tableau 4. Valorisation résiduelle et logistique inversée
Points de comparaison Valorisation résiduelle Logistique inversée
Finalité ou objectif principal
Faible valeur ajoutée. La récupération et l’utilisation ou la transformation des sous-produits et des matières résiduelles dans les procédés productifs.
Haute valeur ajoutée. La planification, le contrôle d’inventaire, l’analyse numérique, le traitement de l’information logistique des opérations et le contrôle statistique des données portant sur les intrants (Guide, 2000; Rogers et Tibben-Lembke, 2001).
Types de matières récupérées
Variable. Toute matière résiduelle pouvant être réutilisée ou valorisée dans les procédés de production (Frosch, 1992).
Spécifique. Pièces détachées, emballages et biens de consommation (Fleishman et al., 1997).
Enjeux majeurs
Multiples. Économiques, politiques, légaux, environnementaux et socioculturels (Tibbs, 1993; White, 1994).
Triple. Économiques, légaux et sociétaux (Gungor et Gupta, 1999).
Acteurs principaux
Chaînes intégrées d’approvisionnement. Entreprises industrielles et parties prenantes (Seuring, 2004).
Chaînes simples d’approvisionnement. Entreprises industrielles (Fuller, 1995).
Le premier point de différence entre la valorisation résiduelle et la logistique inversée est relatif à
la finalité de chacune de ces approches d’écologie industrielle. Tandis que la valorisation porte sur la
récupération et la transformation des matières résiduelles en majorité à faible valeur ajoutée, la
logistique inversée vise à optimiser le retour des produits à haute valeur ajoutée dans la chaîne de
production. L’essentiel des études dans le domaine de la logistique inversée repose sur le contrôle
d’inventaire, l’analyse numérique, le traitement de l’information logistique des opérations et le contrôle
statistique des données portant sur les intrants (Fleischmann et al., 1997; Van der Laan et al., 1999;
Guide, 2000; Rogers et Tibben-Lembke, 2001; Dekker et al., 2004; Inderfurth, 2005). La notion de
matière résiduelle introduit ici une grande différence entre les deux approches. Comme le montrent De
Brito et Dekker (2004), cette notion de matière résiduelle induit des conséquences environnementales
et légales importantes. Les activités de valorisation résiduelle, comme il sera montré dans cette thèse,
sont sujet à de strictes normes environnementales compte tenu du fait qu’elles sont susceptibles de
causer des dommages à l’environnement. La logistique inversée se préoccupe peu des problèmes liés à
47
la gestion et au traitement des matières résiduelles. C’est ainsi que selon Camm (2001), les points
saillants de la logistique inversée dans le domaine de l’environnement concernent en particulier la
consommation des ressources naturelles non renouvelables, les émissions d’air, la congestion sur les
routes, la pollution par le bruit et l’élimination des déchets dangereux et non dangereux.
Le deuxième point de différence concerne les types de produits récupérés dans le cadre des
opérations industrielles de valorisation résiduelle et de logistique inversée. La valorisation résiduelle
contemple, dans la vision de Frosch (1992), la récupération de toute matière résiduelle à laquelle on
peut encore donner une valeur commerciale par le processus de transformation industrielle. Elle vise
ainsi la récupération d’une grande variété de matières autrefois enfouies tels que les pneus hors d’usage,
les boues de désencrage, les scories d’acier inoxydable ou encore les résidus provenant des fermes. La
logistique inversée, quant à elle, vise le retour d’un type spécifique de produits tels que les ordinateurs,
les imprimantes, les équipements médicaux ou encore les moteurs d’automobiles (Linton et al., 2002;
Rogers et Tibben-Lembke, 2001; Guide, 2000). En ce sens, Rogers et Tibben-Lembke (2001)
soulignent que la logistique inversée repose essentiellement sur la fonction de gestion des opérations
dans la mesure où elle englobe tous les aspects de la chaîne d’approvisionnement tant au niveau
manufacturier, de la production que du commerce de détail. Cependant, comme le montre l’étude de
Boiral et Kabongo (2004), les activités de valorisation résiduelle vont au-delà des seuls aspects
opérationnels : elles incluent toutes les activités fonctionnelles de l’entreprise. Ce qui se justifie dans la
mesure où, comme le présentent Ferrer et Guide (2002), la transformation ou conversion des matières
récupérées en divers produits est complète dans le cas de la valorisation résiduelle. Par contre, la
logistique inversée ne considère qu’une transformation limitée d’équipements finis récupérés en fin de
cycle de vie.
Le troisième point de différence entre la valorisation résiduelle et la logistique inversée touche les
enjeux majeurs de ces deux approches. Tel que l’ont souligné plusieurs auteurs, la mise en application
des principes de « zéro déchet » et de bouclage des systèmes productifs induit des enjeux multiples :
économiques, politiques, environnementaux, légaux ou encore socioculturels. La définition de
l’écologie industrielle proposée par White (1994) laisse entrevoir ces enjeux. Les stratégies d’adoption
des pratiques de l’écologie industrielle développées par Tibbs (1993) montrent également les défis
rencontrés par les responsables d’entreprises engagées dans cette démarche. Comme il sera exposé un
peu plus loin dans cette thèse, le choix des initiatives de valorisation résiduelle tient compte de tous ces
enjeux multiples. Or, selon Gungor et Gupta (1999), l’application et l’organisation des opérations de
48
logistique inversée ne considèrent que trois types d’enjeux majeurs : économiques, légaux et éthiques
ou de responsabilité corporative.
D’abord, les enjeux économiques sont au cœur des stratégies opérationnelles de l’optimisation du
retour d’équipements en fin de cycle de vie. Ce qui vient renforcer l’idée de miser sur les produits à
haute valeur ajoutée. Les entreprises engagées dans la logistique inversée visent ainsi la réduction des
coûts d’opération de façon significative. Comme le montrent Guide et Van Wassenhove (2003), dans
les années 1990, l’industrie des téléphones cellulaires a fait des gains économiques importants avec le
retour puis la commercialisation d’importantes quantités d’appareils usagés. Ces équipements étaient
fourbis avant d’être remis sur le marché. En effet, dans le domaine de l’industrie électronique, par
exemple, le cycle de vie de plusieurs produits est relativement court. Ce qui offre aux entreprises des
opportunités de les récupérer et de les réintroduire, totalement ou en partie, dans la chaîne
d’approvisionnement.
Ensuite, en logistique inversée, les enjeux légaux sont pris en compte comme conséquence du
développement de nouvelles stratégies industrielles (Wernick et Ausubel, 1997) et de l’application des
principes de l’économie fonctionnelle, centrée plutôt sur le service que sur l’usage et qui favorise la
longévité et la fiabilité ainsi que la réutilisation des produits (Stahel, 2003). Dans la plupart des pays
industrialisés, les nouvelles législations obligent les fabricants, les importateurs ou encore les
distributeurs d’équipements électriques et électroniques à reprendre ces produits en fin de cycle de vie.
Bloemholf et al. (2003) indiquent à cet égard que les industries de l’automobile et de la fabrication
d’équipements électriques et électroniques sont particulièrement la cible de nombreuses pressions
légales comme le résultat de la restructuration de l’ensemble des modes de production et de
consommation dans les sociétés industrialisées.
Enfin, à l’exemple de l’adoption des stratégies environnementales dans les pratiques
industrielles, bon nombre de fabricants d’équipements électriques et électroniques apprécient les
expériences de logistique inversée comme étant une manière d’affirmer leur engagement
environnemental ou leur responsabilité éthique et corporative en matière de protection de
l’environnement. Cette vision reste cependant liée à l’obligation légale de reprendre les produits finis
en fin de cycle de vie. Par ailleurs, independamment du fait que les fabricants voient dans ces
expériences un moyen de réduire les coûts opérationnels ou qu’ils soient dans l’obligation de mettre
sur pied des initiatives visant le retour des produits selon les législations en vigueur, les résultats de
49
l’étude menée par Bansal et Roth (2000), et qui porte sur les raisons d’adopter des stratégies
« écologiques », montrent que la logistique inversée se traduit également par une façon élégante
d’améliorer l’image corporative aux yeux des consommateurs.
Le quatrième et dernier point de différence entre la valorisation résiduelle et la logistique
inversée a trait aux acteurs principaux. Les acteurs principaux sont ici tous les intervenants qui
prennent une part déterminante dans la réussite des opérations de valorisation résiduelle ou de
logistique inversée. La finalité ou les objectifs poursuivis par chacune des approches indiquent
l’importance et le rôle joué par les différents acteurs dans le développement des activités respectives de
l’écologie industrielle. Les acteurs principaux de la valorisation et de la logistique inversée se
distinguent par leur participation dans le développement des chaînes d’approvisionnement, considérés
comme une dimension essentielle dans la réalisation du bouclage des systèmes productifs (Graedel et
Allenby, 1995).
La distinction faite par Seuring (2004) entre les chaînes intégrées d’approvisionnement et les
chaînes simples d’approvisionnement dégage la différence entre le rôle des acteurs dans la valorisation
résiduelle et la logistique inversée. Seuring (2004) applique cinq critères pour mettre en évidence cette
distinction : le fondement physique, le fondement conceptuel, les types d’acteurs, la nature de la
coopération et les objectifs poursuivis. Les chaînes intégrées d’approvisionnement se fondent
physiquement sur le flux de matières et de substances, tandis que les chaînes simples
d’approvisionnement reposent sur les matières et le flux d’information portant sur celles-ci. Les
chaînes intégrées reposent sur la notion d’évaluation de cycle de vie par opposition à celle de logistique
dans le cas des chaînes simples. Si les entreprises industrielles et les parties prenantes font partie des
acteurs principaux dans les chaînes intégrées, seules les entreprises industrielles jouent un rôle
déterminant dans le cas des chaînes simples d’alimentation. Fuller (1995), par contre, identifie les
chaînes simples comme étant composées principalement de manufacturiers, de grossistes et de
détaillants.
Cette démarcation entre les acteurs principaux se note dans la nature de la coopération entre les
différentes filières. Cette coopération est multiple dans le cas des chaînes intégrées et dans le cas des
chaînes simples, elle est verticale et se limite à l’étendue de la chaîne. Les objectifs poursuivis par les
acteurs engagés renforcent davantage la distinction entre la valorisation résiduelle et la logistique
inversée. Alors que, dans les chaînes intégrées, les acteurs s’attachent à réduire les impacts négatifs sur
50
l’environnement, ceux qui sont engagés dans les chaînes simples recherchent l’amélioration de
l’efficacité de l’approvisionnement. De toute évidence, la valorisation résiduelle s’identifie avec les
chaînes intégrées d’approvisionnement au moment où la logistique inversée s’apparente aux chaînes
simples d’alimentation en produits finis récupérés.
Ayant précisé la distinction nécessaire et souvent oubliée entre la valorisation résiduelle et la
logistique inversée comme l’indiquent Ferrer et Guide (2002), la section suivante poursuit la
compréhension du concept d’écologie industrielle en analysant cette fois-ci les différentes stratégies de
sa mise en œuvre.
2.3. La mise en œuvre de l’écologie industrielle
Comment rendre opérationnels les principes de l’écologie industrielle? L’optimisation de l’usage
des ressources, le développement de nouvelles stratégies de production industrielle et la promotion
d’une économie durable touchent la dimension pratique de l’écologie industrielle. La mise en œuvre
peut être envisagée à trois échelles différentes : régionale et globale, interentreprises et entreprise.
Tandis que l’écologie industrielle, aux échelles « macro » et régionale, s’attache à définir les grandes
orientations au niveau de l’analyse des flux des matières et de l’énergie, de la dématérialisation, du
développement des éco-parcs industriels et de l’analyse du cycle de vie des produits (Lifset et Graedel,
2002), l’écologie industrielle dans l’entreprise répond à des besoins spécifiques et concrets de sa mise
en application dans différents secteurs industriels. Cette section portant sur la mise en application de
l’écologie industrielle s’articule autour des quatre points suivants : le modèle opérationnel de mise en
œuvre de l’écologie industrielle tel que proposé par Lifset et Graedel (2002); les stratégies nationales et
régionales; les stratégies interentreprises, en particulier le développement des éco-parcs industriels et
l’échange des sous-produits; et les stratégies de mise en œuvre à l’échelle de l’entreprise.
2.3.1. Les trois échelles opérationnelles de l’écologie industrielle
Le cadre conceptuel de l’écologie industrielle en ce qui touche les différentes échelles
d’opérations et de mise en œuvre de ses principes a été proposé par Lifset et Graedel (2002) à partir de
la synthèse de plusieurs contributions portant sur le domaine. Selon ce modèle largement accepté par
les spécialistes du domaine, le développement durable est le principe sur lequel repose l’approche de
l’écologie industrielle. Les différents niveaux d’opération comprennent les interactions intra-entreprise
51
(avec, comme applications, la nouvelle conception des produits et des procédés, la prévention de la
pollution, l’éco-efficience et la comptabilité verte); les interactions interentreprises (les parcs éco-
industriels ainsi que l’analyse du cycle de vie des produits et des procédés); et les interactions régionales
et globales (l’analyse des flux des matériaux et de l’énergie, la dématérialisation et la décarbonisation).
La figure 1 ci-dessous illustre bien ces niveaux d’opération de l’écologie industrielle.
La restructuration des niveaux opérationnels constitue une tentative de rendre intelligible le
concept d’écologie industrielle. En effet, l’éco-restructuration vise à rendre les systèmes industriels plus
compatibles avec la Biosphère, sur un mode de fonctionnement viable à long terme (Tranchant et al.,
2004). Cette restructuration a eu un double effet sur le développement de l’écologie industrielle comme
domaine d’étude et de recherche. En premier lieu, elle a permis le développement des différentes
approches reposant sur l’un ou l’autre niveau d’opération de l’écologie industrielle. En deuxième lieu,
cette même structuration opérationnelle a aussi permis le développement d’outils de mise en œuvre de
l’écologie industrielle aux échelles micro, interentreprises et macro.
Figure 1. Niveaux d’opération de l’écologie industrielle (Lifset et Graedel, 2002)
L’analyse des antécédents de l’émergence de l’écologie industrielle comme champ d’étude
montre que la période qui a précédé son éclosion était caractérisée par la recherche d’une approche
Écologie industrielle
Global Inter-entreprises
Intra-entreprise
1. Conception des produits2. Prévention de la pollution3. Éco-efficience 4. Comptabilité verte
1. Parcs éco-industriels2. Analyse du cycle de vie
1. Analyse des flux des matières 2. Dématérialisation 3. Décarbonisation
Développement durable
52
différente pour la conception industrielle de produits et de procédés et la mise en œuvre de stratégies
durables de production industrielle. Ainsi, pour certains auteurs, en particulier DeSimone et Popoff
(1997), l’écologie industrielle constitue une façon de mettre en œuvre le développement durable. Le
concept d’écologie industrielle repose avant tout sur la réflexion systématique et critique, c’est-à-dire
philosophique, sur les rapports que les hommes entretiennent avec le milieu naturel comme le
soulignent Den Hond (2000), Boons et Roome (2001) ainsi que Bourg (2003). Les activités de
production industrielle et de consommation, partie intégrante de la totalité de l’expérience humaine,
sont au centre des préoccupations des spécialistes de l’écologie industrielle. Cette réflexion a pour but
d’orienter la praxis vers de nouvelles formes de fonctionnement des systèmes industriels actuels. Les
impacts négatifs de l’ensemble des activités industrielles sur l’environnement constituent le point de
départ de cette réflexion (Frosch et Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992; Garner et Keoleian, 1995;
Graedel et Allenby, 1995).
Socolow et al. (1994), par exemple, soutiennent que l’écologie industrielle est une métaphore qui
permet de remettre en question toute notre civilisation27. Allenby (1999a) se place dans cette optique
en soutenant que le développement durable constitue la base sur laquelle repose l’approche de
l’écologie industrielle. Cette vision est partagée par plusieurs spécialistes. Ainsi, selon Boiral et Croteau
(2001b), les principes d’écologie industrielle représentent l’application la plus concrète et la plus
complète du concept de développement durable. Dans cette perspective, ils conçoivent l’écologie
industrielle comme étant :
Une approche intégrée d’analyse et de réduction des flux de matières et d’énergie visant à améliorer l’éco-efficience des métabolismes industriels par la promotion de technologies, de valeurs et de pratiques destinées à assurer la protection, la durabilité ainsi que le renouvellement des ressources nécessaires au développement (Boiral et Croteau, 2001b, p. 17).
L’écologie industrielle se traduit ainsi par une tentative de mise en œuvre des principes du
développement durable à trois niveaux différents : régional, interentreprises et intra-entreprise. Ces
trois niveaux sont analysés dans les sections suivantes.
27 La civilisation prise dans le sens général.
53
2.3.2. Les stratégies régionale et globale de l’écologie industrielle
La première échelle opérationnelle de l’écologie industrielle est régionale ou encore globale
(Lifset et Graedel, 2002). L’approche régionale et globale découle de la notion de métabolisme
industriel développé par Robert Ayres depuis les années 1960. Le métabolisme industriel se définit
comme l’étude des flux de matériaux et d’énergie utilisés dans la production industrielle dans le but de
détecter la présence de substances chimiques et physiques toxiques pour l’environnement (Erkman,
1998). Le métabolisme industriel est considéré comme étant à l’origine de l’écologie industrielle
comme domaine d’étude et de recherche (Fischer-Kowalski, 2003). L’analyse des flux des matières et
de l’énergie, la dématérialisation et la décarbonisation constituent des stratégies de mise en œuvre de
l’écologie industrielle aux échelles régionale et globale (Lifset et Graedel, 2002).
Analyse des flux des matières
Telle qu’elle a été définie ci-dessus, l’analyse des flux des matières se traduit par l’analyse de la
quantité de matières premières transformées en unité de temps dans les chaînes de production
(Bringezu et Moriguchi, 2002). Les différents efforts d’analyse des interactions entre les principes de la
thermodynamique et les approches utilisées en économie, entre les systèmes de production et de
consommation et les impacts des activités industrielles sur l’environnement (Ayres et Kneese, 1969)
ont démontré l’importance de l’analyse de l’écologie industrielle aux échelles nationale et régionale.
Rogich et Matos (2002) présentent l’étude de cas sur la comptabilité du flux des matières aux États-
Unis et dans le monde; Bringezu (2002) analyse la gestion durable des matières et des ressources en
Allemagne et en Europe; Moriguchi (2002) applique les principes de l’analyse des flux des matières
dans le cas du Japon; Durney (2002) présente l’étude de l’écologie industrielle en Australie; et Schandl
et Schulz (2002) font la même chose dans le cas du Royaume-Uni.
Ces différentes études aux échelles nationales montrent, d’une part, la pertinence du débat
portant sur la croissance et le développement économique, et d’autre part, l’importance de l’utilisation
rationnelle de l’énergie et des ressources naturelles. Moriguchi (2002) montre comment le Japon a pu
surmonter la crise énergétique des années 1970 et 1980 grâce aux mesures et aux réglementations
encourageant l’innovation technologique et l’utilisation efficiente de l’énergie. Selon Bringezu (2002), et
de façon générale, les résultats des différentes études sur le flux des matières en Allemagne et en
Europe ont suscité beaucoup d’intérêt sur les plans régional et communautaire. Par exemple, de
54
nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) ont vu le jour. Ces organismes tentent de
promouvoir de nouvelles valeurs écologiques en finançant des projets de développement régional et
communautaire qui reposent principalement sur l’identification des voies et moyens pour optimiser
l’usage des ressources :
In 1997, the German Federal Office for Building and Regional Planning (FOBRP 1999) initiated a competition between 26 “regions of the future”. The results were presented at the Urban 21 conference in Berlin 2000. Several pilot projects designed to create more efficient materials and energy flows were also conducted within those regions (Bringezu, 2002, p. 300).
Ces considérations montrent l’intérêt que suscite l’écologie industrielle comme forme de mise en
œuvre des principes du développement durable. Si les résultats des études portant sur l’écologie
industrielle dans certaines régions (Bringezu, 2002) semblent déboucher sur des initiatives concrètes et
viables de sa mise en œuvre, des études portant sur le flux de matières et d’énergie dans d’autres
régions ont permis de montrer plutôt le manque d’infrastructure nécessaire pour analyser et
comprendre les interactions dans les systèmes de production et de consommation. C’est le cas de
l’étude de Durney (2002) portant sur l’écologie industrielle en Australie. Les conclusions de cette étude
révèlent deux tendances principales et pertinentes pour le développement de l’écologie industrielle
selon Wernick et Ausubel (1997) : d’abord, la nécessité d’une harmonisation des activités de l’écologie
industrielle aux échelles régionale et internationale; ensuite, la pertinence de l’analyse des flux des
matières aux niveaux des différents secteurs des industries nationales.
Dématérialisation et décarbonisation
La dématérialisation désigne le processus qui vise l’utilisation, dans les différents procédés de
production, de la quantité et de la qualité d’intrants nécessaires (matière et énergie) en tenant compte
de l’efficacité et de l’utilité des produits, des services à obtenir et des impacts de ceux-ci sur
l’environnement (Bernardini et Galli, 1993). La dématérialisation renvoie à la quantité de matière tandis
que la décarbonisation renvoie à la quantité d’énergie. En ce sens, la dématérialisation ou la
décarbonisation apparaît comme une conséquence logique du bouclage des systèmes productifs dans la
mesure où elle vise l’utilisation de moins de matière et d’énergie pour assurer la production industrielle.
La dématérialisation est mesurée en termes de volume de matière et d’énergie utilisées par unité
d’activité économique ou encore per capita. La dématérialisation est considérée par bon nombre de
55
spécialistes comme l’une des méthodes ou outils de mise en œuvre de l’écologie industrielle (Wernick
et Ausubel, 1997; Ayres et Ayres, 1996).
La dématérialisation pratiquée par l’entreprise Procter & Gamble illustre bien ce point. Procter
& Gamble a mis sur pied des procédés innovateurs qui permettent de réduire la quantité de matière
utilisée dans la fabrication de ses divers produits et de leurs emballages. Selon les documents de cette
entreprise, les versions concentrées de ses produits de nettoyage Tide et Cher (en liquide et en poudre)
éliminent la quantité d’énergie nécessaire pour emballer, expédier ou encore distribuer les produits. La
production des petits contenants permet aussi d’éliminer l’équivalent de 600 000 BTU (British Thermal
Unit - unité anglo-saxonne de mesure calorifique qui équivaut à 1 055,06 joules) et de 35 livres de
déchets solides pour chaque lot de 1 000 bouteilles de détergent. La même source indique que d’autres
produits en forme concentrée sont fabriqués, en particulier le café Folgers ainsi que les savons Ivory et
Dawn. En outre, plus de 90 % du papier d’emballage est fabriqué à partir de fibres recyclées. Ces
exemples de dématérialisation et de recyclage dans l’entreprise Procter & Gamble démontrent que les
initiatives d’écologie industrielle prennent naissance dans les unités de production à l’échelle de
l’entreprise.
Bien que l’idée de réduire la quantité de matière et d’énergie (la dématérialisation) accompagne le
progrès technologique amorcé depuis la révolution industrielle, les spécialistes de l’écologie industrielle
soutiennent que des efforts devraient être fournis pour éviter tout gaspillage possible. La
dématérialisation s’appliquerait ainsi aux échelles des différents secteurs industriel, régional, national et
global de l’économie (Wernick, Herman, Govin et Ausubel, 1997; Adriaanse et al., 1997). Elle suppose
donc l’innovation technologique pour produire plus avec moins de matière et d’énergie. Cette notion
de dématérialisation renvoie également à un changement de conception du rapport entre les biens
offerts aux consommateurs et les services ou les bénéfices qu’ils en retirent.
Donnons un exemple de décarbonisation. Selon l’organisme Business Sustainable Development,
l’entreprise canadienne de transport de poids lourds Bison Transport constitue un exemple d’efficience
énergétique dans le cadre des pratiques d’écologie industrielle. Avec plus de 500 tracteurs sur les routes
nord-américaines, Bison Transport est engagée dans le programme canadien Voluntary Challenge and
56
Registry29 , qui incite les entreprises à réduire de façon volontaire les émissions de GES. Les entreprises
et les industries inscrites dans ce programme représentent environ 70 % des GES produits au Canada.
Conscients que cette initiative allait avoir des impacts tant sur le plan environnemental que sur le plan
économique de l’entreprise, les dirigeants de Bison Transport ont dû investir dans l’achat de 160
nouveaux tracteurs aérodynamiques, sécuritaires et confortables de marque Volvo pour les chauffeurs.
L’efficience en consommation atteint les 12 litres au mille pour une puissance de 425 chevaux, en
comparaison des 14-15 litres nécessaires pour les tracteurs d’une même puissance. L’entreprise a
également demandé au constructeur des tracteurs un peu plus légers afin de réduire davantage la
consommation de carburant. Comme résultat, Bison Transport a réussi à réduire de 20 % sa
consommation de carburant. Ce qui signifie également une importante réduction des émissions de
GES. Si cette stratégie a reposé essentiellement sur l’achat et la conception de nouveaux tracteurs, la
formation des employés a constitué aussi un élément de force. Il a fallu enseigner à ceux-ci à rouler à
une vitesse inférieure à 70 milles par heure sur les routes américaines.
Les exemples de dématérialisation et de décarbonisation présentés se traduisent par des actions
envisagées au niveau de l’entreprise. Ces exemples montrent que les changements dans les systèmes de
production commencent par une restructuration des entreprises individuelles. Les stratégies pour
introduire ces changements ont d’abord et avant tout pour point de départ l’unité de production dans
l’entreprise avant de devenir une approche interentreprises ou régionale. Ces exemples de
dématérialisation et de décarbonisation montrent ainsi la pertinence du rôle des entreprises dans le
choix des initiatives d’écologie industrielle. Cette logique pragmatique et opérationnelle se fonde sur
deux points essentiels. En premier lieu, les entreprises sont des agents et des partenaires des
changements qui doivent être introduits dans les systèmes de production et de consommation
(Socolow et al., 1994). Bien que ces changements doivent être réalisés dans la totalité des processus
d’affaires, ils reposent d’abord et avant tout sur la conception des équipements capables de recevoir
des matières résiduelles comme principaux intrants et sur l’élaboration des produits à partir de ces
mêmes matières. En deuxième lieu, ce sont les entreprises qui possèdent les moyens nécessaires pour
développer les compétences requises pour réaliser ces changements.
29 Depuis janvier 2005, ce programme n’existe plus. Il a été intégré dans l’Association canadienne de
normalisation dont le but principal est d’offrir aux entreprises les outils nécessaires pour mesurer, rapporter et gérer leurs émissions de gaz à effet de serre, les réduire ou encore les éliminer.
57
2.3.3. L’écologie industrielle à l’échelle interentreprises
La deuxième échelle d’opération de l’écologie industrielle est l’échelle interentreprises. À ce
niveau, l’optimisation de l’usage des ressources repose essentiellement sur la coopération entre
entreprises et l’échange des sous-produits en se basant sur le modèle de la symbiose industrielle de
Kalundborg. C’est ainsi que la structuration de Lifset et Graedel (2002) propose comme méthodologie
le développement des éco-parcs industriels ou les symbioses industrielles; l’évaluation du cycle de vie
des produits; et la mise sur pied des initiatives aux niveaux des secteurs industriels. Après avoir
présenté l’essentiel sur les symbioses industrielles, en particulier la coopération interentreprises,
l’utilisation des déchets comme ressources et l’importance de la proximité géographique dans le
développement des initiatives de valorisation résiduelle, le cas de la symbiose industrielle de
Kalundborg sera brièvement présenté.
Symbioses industrielles
Les spécialistes de l’écologie industrielle reconnaissent que les échanges interentreprises
constituent un moyen privilégié de développer et de consolider l’optimisation de l’usage des ressources
dans les systèmes de production industrielle (Frosch et Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992; Chertow,
2001). Cette utilisation est considérée comme la base même du concept d’écologie industrielle (Frosch
et Gallopoulos, 1989). Ce qui démontre bien l’importance que revêt la mise sur pied des structures
d’échange des divers déchets industriels.
En écologie, le terme symbiose est défini comme suit : « L’association étroite de deux ou
plusieurs organismes différents, mutuellement bénéfiques, voire indispensables à leur survie » (Le Petit
Larousse). C’est par analogie qu’il est appliqué aux échanges des déchets industriels entre les entreprises.
Les entreprises, ensemble avec les systèmes de production et de consommation, forment les
écosystèmes industriels (Frosch et Gallopoulos, 1989). Ces écosystèmes industriels devraient, d’une
part, optimiser l’usage des ressources par la réduction de la quantité de déchets générés et, d’autre part,
réutiliser ces déchets comme matières premières dans différents procédés industriels (Graedel et
Allenby, 1995). Le concept de symbiose industrielle repose sur cette idée-maître.
58
Chertow (2000) définit ainsi la symbiose industrielle :
The part of industrial ecology known as industrial symbiosis engages traditionally separate industries in a collective approach to competitive advantage involving physical exchange of materials, energy, water, and by-products. The keys to industrial symbiosis are collaboration and the synergistic possibilities offered by geographic proximity (Chertow, 2000, p. 314).
Cette définition montre que le concept de symbiose industrielle repose sur trois éléments
essentiels : la coopération entre les entreprises, l’échange des industriels et la proximité géographique.
Coopération ou réseaux d’échanges
La coopération entre entreprises est un thème qui fait l’objet de nombreuses études et
recherches dans le domaine de la gestion. Une présentation des diverses contributions dans ce
domaine permettra d’apprécier son utilisation dans le cadre des symbioses industrielles. Ces
contributions portent, entre autres et en particulier, sur la compréhension du concept même de
collaboration (rapprochement, coopération, alliance), les motivations, les bénéfices, et le caractère
stratégique des différentes formes de coopérations entre entreprises, entre autres.
Les entreprises collaborent de diverses façons pour trouver des solutions à leurs problèmes
communs, et ce, dans un contexte d’affaires de plus en plus compétitif. Dans l’économie du savoir, qui
caractérise depuis quelques décennies notre société, les entreprises échangent technologie, ressources
ou connaissances dans le but de mieux redéfinir leurs stratégies respectives, de renforcer leurs
compétences, de pénétrer de nouveaux marchés et de faire du bénéfice (Johnston et Lawrence, 1988;
Jarillo, 1988; Browing, Beyer et Shelter, 1995).
Tout en reconnaissant que les rapprochements entre entreprises constituent un phénomène
organisationnel croissant depuis les années 1980, la quasi-totalité des études consacrées à ces
rapprochements soulignent clairement l’existence d’une forte relation entre ces formes
organisationnelles et le succès de bon nombre de firmes dans les marchés concurrentiels (Postel-Vinay
et Audoux, 1993; Rainelli, Gaffard et Asquin, 1995; Aliouat, 1996). Dans ce sens, il apparaît pertinent
de souligner, comme l’ont fait bon nombre de chercheurs, en particulier Dulbecco et Rochhia (1995),
que la pérennité d’une entreprise dépend de sa capacité à développer des compétences à long terme en
59
ayant recours aux relations interentreprises. Ces accords de coopération sont devenus, pour la plupart
des firmes d’aujourd’hui, des options stratégiques souhaitables, voire incontournables (Aliouat, 1996, p.
9).
Sur le plan conceptuel, les rapprochements entre entreprises sont définis de plusieurs façons
selon les auteurs. Pour Aliouat (1996), la coopération est une concertation plus ou moins à long terme
entre les firmes qui ne renoncent pas à leur indépendance juridique et à leur autonomie de décision
(p. 12). Dans cette vision, l’alliance devient une option stratégique de coopération ou de collaboration
entre deux ou plusieurs entreprises concurrentes. Stopford et Wells (1972), Hagedoorn et Schakenraad
(1994), ainsi que bien d’autres auteurs ont démontré que le succès des premières formes de
coopération entre les entreprises dans le domaine de la technologie, déjà dans les années 1950-1960,
semble avoir propulsé ces modes de rapprochement et donné lieu à un phénomène multiplicateur à
l’échelle de toute l’industrie.
Il apparaît évident pour plusieurs chercheurs que, quelles que soient les formes de coopération,
celles-ci représentent une réponse des entreprises aux questions spécifiques liées au contexte interne et
externe. Ces questions portent tant sur le développement et la maîtrise des procédés et des
compétences que sur la façon d’atteindre les objectifs fixés. Les modes de coopération font partie
intégrante d’une stratégie organisationnelle. C’est dans ce sens que Niosi (1995, p. 11) apporte un peu
plus de précision sur la question du rapprochement entre les entreprises en définissant ainsi les
alliances dans le domaine technologique : « Des engagements entre deux ou plusieurs firmes, dans le
but de réaliser le développement de nouveaux produits ou de procédés, ou les deux, ou l’amélioration
de produits ou de procédés existants, ou les deux. ».
Ainsi, bon nombre de spécialistes admettent qu’une alliance interentreprises est un
rapprochement stratégique d’entreprises indépendantes sous forme d’accord de coopération ou de
coparticipation (Schermerhorn, Hunt et Osborn, 2002, p. 310). Si les collaborations entre entreprises
sont perçues et définies dans une perspective d’économie des entreprises participantes, Gulati (1998)
intègre dans sa vision des alliances stratégiques une perspective sociale qui dépasse les frontières des
seules entreprises engagées. Selon lui, l’engagement des entreprises dans des alliances stratégiques
comporte des dimensions structurelle, cognitive, institutionnelle et culturelle. C’est ce qui justifie, selon
Gulati (1998), les frontières verticales et horizontales de ces alliances :
60
Strategic alliances are voluntary arrangements between firms involving exchange, sharing or codevelopment products, technologies, or service. They can occur as a result of a wide range of motives and goals, take a variety of forms, and occur across vertical and horizontal boundaries (Gulati, 1998, p. 293).
Ces définitions et distinctions montrent clairement que les alliances interentreprises reposent sur
la recherche commune de bénéfices économiques, base pour la croissance de toute entreprise. Comme
nouvelles formes d’organisation des entreprises, ces alliances modifient les frontières d’une entreprise
et la notion même de concurrence. De nombreux exemples classiques montrent comment des firmes
concurrentes deviennent des partenaires d’affaires. Hamel, Doz et Prahalad (1989) soulignent que la
recherche du bénéfice économique et des avantages concurrentiels privilégie le développement des
connaissances et des alliances même avec les concurrents :
Successful companies view each alliance as a window on their partner’s broad capacities. They use the alliance to build skills in areas outside the formal agreement and systematic diffuse new knowledge throughout their organization. Using an alliance with a competitor to acquire new technologies or skills is not devious. It reflects the commitment and the capacity of each partner to absorb the skills of the other (Hamel, Doz et Prahalad, 1989, p. 134).
La coopération interentreprises dans le domaine de l’environnement a fait l’objet de plusieurs
réflexions et études empiriques (Boiral et Jolly, 1997; Ehrenfeld et Gertler, 1997; Keckler et Allen,
1999; Korhonen et Savolainen, 2001; Fichtner, Tietze-Stöckinger et Rentz, 2004). Dans l’ensemble, ces
travaux montrent que les entreprises ou encore les organisations qui collaborent dans le domaine de
l’environnement forment des réseaux d’échange de sous-produits ou de matières résiduelles. Plusieurs
études se sont attachées à comprendre le fonctionnement de ces réseaux d’échange.
Boiral et Jolly (1997), par exemple, distinguent deux types de collaboration : l’alliance
interentreprises et la collaboration interorganisationnelle. Si, dans une alliance interentreprises, les
partenaires cherchent d’abord et avant tout le bénéfice économique, ce bénéfice est élargi par contre
dans une collaboration interorganisationnelle dans laquelle « … les participants sont plus diversifiés et
s’attachent à trouver des solutions à des enjeux qui dépassent les intérêts particuliers de chaque partie
prenante » (Boiral et Jolly, 1997, p. 66).
61
En partant d’une étude empirique portant sur les échanges effectués dans le cadre d’une
symbiose industrielle (écosystème industriel ou encore éco-parc industriel), Fichtner, Tietze-Stöckinger
et Rentz (2004) distinguent à leur tour deux types de réseaux : le réseau des fournisseurs industriels et
le réseau des récupérateurs. Les premiers sont des entreprises qui fournissent des marchandises ou des
services de logistique à d’autres entreprises situées géographiquement dans le même éco-parc
industriel. Les récupérateurs sont des équipes de travail appartenant à différentes entreprises qui sont
chargées de réduire les coûts de la gestion des déchets ou encore de se procurer des résidus industriels.
Selon Fichtner, Tietze-Stöckinger et Rentz (2004), le réseau des récupérateurs se divise lui-même en
deux autres catégories : les récupérateurs ayant des investissements en commun et ceux qui n’en ont
pas.
Comme dans le cas de tout rapprochement stratégique entre entreprises, les études portant sur
les différentes formes de rapprochement dans le domaine de l’environnement arrivent à la même
conclusion : ces collaborations apportent, de façon générale, des avantages environnementaux et
économiques aux partenaires impliqués.
Les déchets comme ressources
Les différentes formes de collaboration dans le domaine de l’écologie industrielle s’articulent
autour de l’échange des déchets industriels. Cet échange repose sur la notion de bouclage des cycles de
production (Graedel et Allenby, 1995) déjà évoquée. Les différentes formes de collaboration favorisent
l’optimisation de l’usage des ressources dans les systèmes de production industrielle (Frosch et
Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992), ainsi que la récupération, la transformation des déchets industriels et
le recyclage (Ayres et Kneese, 1968, 1969). Cette idée centrale repose sur trois postulats : d’abord, la
conceptualisation des déchets comme composants des systèmes productifs (Frosch et Gallopoulos,
1989 ; Frosch, 1992 ; Allen, 2002); ensuite, le design des procédés et des produits en fonction de ces
nouveaux composants (Ausubel, 1996); et enfin, le fonctionnement des systèmes de production qui
facilitent ces échanges (DiPietro, 1994; Graedel et Allenby, 1995). L’utilisation des déchets industriels
ou encore des sous-produits comme intrants principaux constitue, en effet, l’un des principes
fondateurs de l’approche de l’écologie industrielle : « waste from one industrial process can serve as the
raw material for another, thereby reducing the impact of industrial activity on the environment »
(Frosch et Gallopoulos, 1989, p. 144).
62
Comme il a été mentionné, cette vision de « déchet industriel-matières premières » a été reprise
par Hawken, qui insiste sur le changement de mentalité dans la conceptualisation de l’ensemble des
systèmes actuels de production et de consommation. La conception de déchets comme matières
premières implique la compréhension et l’assimilation de la transformation de la notion de déchet par
tous les acteurs économiques. En ce sens, la définition des concepts, en particulier la notion de déchet,
constitue ainsi un aspect important dans l’utilisation des déchets comme ressources en écologie
industrielle. La transformation de la notion de déchet implique la création de nouvelles lois et
réglementations (Lehman, 1999; Malcolm et Clift, 2002).
L’utilisation des déchets comme ressources implique ainsi le développement de l’écologie
industrielle dans trois domaines particuliers : celui des déchets comme matières primaires, secondaires
ou dérivées (Allen, 1993), la récupération de ces matières (Ayres, Ferrer et Van Leynseele, 1997;
Tibben-Lembke et Rogers, 2002) et la réglementation sur l’utilisation et la gestion de ces mêmes
matières résiduelles (Lehman, 1999).
La proximité géographique
À côté de la collaboration entre entreprises et de l’échange des déchets industriels, le troisième
élément essentiel de la définition de la symbiose industrielle proposée par Chertow (2000) se traduit
par la proximité géographique. Cet élément semble avoir joué un rôle déterminant dans le
développement de l’approche de l’écologie industrielle centrée sur les éco-parcs industriels. Après avoir
souligné les éléments essentiels de cette approche, quelques exemples d’application ainsi qu’une
appréciation critique de cette même approche seront présentés.
Le développement des éco-parcs industriels apparaît comme une approche de l’écologie
industrielle largement soutenue par bon nombre d’auteurs (Gertler, 1995; Schwarz et Steiniger, 1997;
Thermoshare, 1997; Ehrenfeld et Gertler, 1997; Côté et Cohen-Rosenthal, 1998; Keckler et Allen,
1999; Chertow, 2000; Hollander, 2001; Ehrenfeld et Chertow, 2002). Cette approche repose
essentiellement sur les concepts de proximité géographique, de réduction du coût des transports et de
décisions stratégiques (Chertow, 2000). D’abord, la proximité géographique des centres
d’approvisionnement en matières premières offre des avantages stratégiques aux gestionnaires
(Krugman, 1991; Porter, 1998). Ensuite, l’échange et l’utilisation des résidus industriels dans les
secteurs industriels sont perçus comme des moyens de réduire les coûts des matières premières et du
63
transport de celles-ci (Desrochers, 2002). Enfin, la mise en œuvre du modèle de bouclage des cycles
productifs évoqué par Graedel et Allenby (1995) se traduit par des actions stratégiques de la part des
dirigeants d’entreprises (Tibbs, 1993).
Comme le montrent plusieurs études, l’échange des résidus industriels et des sous-produits offre
des avantages sur le plan environnemental et le plan économique (Gertler, 1995; Ehrenfeld et Gertler,
1997 ; Erkmen, 1998). Les avantages environnementaux s’articulent autour de l’usage de moins de
matières premières nobles, de la génération de moins de déchets dans les systèmes productifs, et de la
mise en œuvre d’une société durable. Les avantages économiques se traduisent en particulier par la
conversion des coûts de production en gains, par la réduction des coûts des matières premières et par
la maximisation de l’usage des matières. Les partisans du développement d’éco-parcs industriels
soutiennent que ces avantages se perçoivent plus lorsque les entreprises industrielles sont situées sur
un même territoire géographique.
Erkman (1998) définit ainsi l’éco-parc industriel : « Une zone où les entreprises coopèrent pour
optimiser l’usage des ressources, notamment en valorisant mutuellement leurs déchets (les déchets
d’une entreprise servant de matière première à une autre » (Erkman, 1998, p. 29). Les exemples
d’établissement d’éco-parcs industriels sont nombreux dans diverses régions du monde. Parmi ces
exemples, il y a entre autres Kalundborg au Danemark (Gertler, 1995; Ehrenfeld et Gertler, 1997;
Ehrenfeld et Chertow, 2002); Riverside dans le Vermont; Londonderry au New Hampshire;
Brownsville au Texas; Red Hills dans le Mississippi; Guayama à Puerto-Rico; et Tampico au Mexique
(Chertow, 2000). Depuis les années 1990, des recherches sur le développement des éco-parcs
industriels ont lieu au Canada (Côté et Cohen-Rosenthal, 1998), en particulier à Burnside, en Nouvelle-
Écosse, depuis 1997, avec la collaboration de l’université Dalhousie, d’Environnement Canada et
d’Industrie Canada. Près de 65 des 1 200 entreprises de Burnside participent à ce projet. Des projets
sont en cours de réalisation à Sarnia, à Sault Sainte-Marie, à Fort Saskatchewan, à Bruce et à Saint-Jean
(Nouveau-Brunswick). Au Québec, depuis 1997, quelques projets privés et des études d’opportunités
d’éco-parcs industriels sont en réalisation.
L’idée d’implanter des éco-parcs industriels est attrayante et ell pourrait aider à résoudre les
problèmes d’accumulation et de non-valorisation des déchets produits par les entreprises (Cohen-
Rosenthal, 2003). Mais les questions liées à la planification, à la dimension géographique, à la
valorisation des ressources, à l’échange des déchets, aux forces du marché, à l’intervention des
64
institutions publiques, à la complexité des échanges, etc. semblent encore préoccuper les chercheurs
(Erkman, 1998; Côté et Cohen-Rosenthal, 1998; Lifset et Graedel, 2002; Desrochers, 2002, 2000).
Lifset et Graedel (2002) font remarquer que l’écologie industrielle n’a pas, pour seul objectif, celui
d’établir partout des éco-parcs industriels.
Cette remarque de Lifset et Graedel (2002) constitue une critique de l’approche de l’écologie
industrielle centrée sur le développement des éco-parcs industriels. Ce qui montre la nécessité de bien
définir le concept de symbiose industrielle. Lowe, Moran et Warren (1997) proposent une vision large
du concept d’éco-parc industriel. Selon ces auteurs, ce dernier ne devrait pas seulement être compris
en termes de réseaux d’échange, d’entreprises de recyclage ou encore de communauté d’entreprises à
vocation environnementale. Chertow (2000) s’appuie sur cette vision multidimensionnelle de symbiose
industrielle proposée par Lowe, Moran et Warren (1997) pour définir cinq types ou modèles d’éco-
parcs industriels. Ces modèles reposent sur des échanges de matières résiduelles de façon générale
(type 1); des échanges à l’intérieur d’une usine, d’une entreprise ou encore d’une organisation (type 2);
des échanges entre entreprises situées dans un parc industriel (type 3); des échanges entre entreprises
qui ne sont pas situées dans un parc industriel (type 4); et enfin, des échanges entre entreprises
organisées de façon virtuelle à travers une vaste région géographique (type 5) (Chertow, 2000, p. 321).
Selon le modèle de Chertow (2000), le type 1 s’apparente aux collaborations
interorganisationnelles évoquées par Boiral et Jolly (1997). Dans ces formes de collaboration, les
intervenants sont diversifiés et les échanges se font souvent dans un sens unique. C’est le cas de
l’entreprise Recyclage Vanier. Comme le rapporte Reid (2003), cette entreprise de la région de Québec
a développé une expertise qui lui permet de récupérer et de traiter l’équivalent de 215 000 arbres tous
les cinq ans. Cette entreprise détruit en effet des documents confidentiels provenant d’institutions
financières, de compagnies d’assurances, d’hôpitaux, de services juridiques et de différents ministères.
Elle traite environ 2 000 tonnes de documents confidentiels par année. La récupération et la
destruction des sapins de Noël et des déchets monstres (meubles, électroménagers, etc.) par différentes
municipalités rentrent également dans le cadre des échanges des résidus de façon générale selon le type
1, tel que défini par Chertow (2000).
La compagnie Papiers Stadacona pratique, entre autres, les échanges de type 2. Divers déchets
ramassés sur le site de son usine située à Québec alimentent son centre de production d’énergie par
combustion. Les types 3 et 4 reposent sur la localisation ou non des entreprises dans une zone
65
géographiquement délimitée. Les exemples de synergies industrielles fournis par Boiral et Croteau
(2001b) rentreraient dans le type 5 de la classification de Chertow (2000). Ces auteurs citent, entre
autres, le cas de la compagnie Air Liquide Canada qui utilise du gaz carbonique provenant de
l’entreprise Kronos pour la fabrication de gaz carbonique industriel.
La typologie de Chertow (2000) tente de rendre intelligible le concept de symbiose industrielle
en définissant les formes que peuvent prendre les échanges interentreprises en tenant compte des
résidus et des structures mises en place. Comme déjà souligné, la symbiose industrielle de Kalundborg
sert de modèle de référence aux échanges des sous-produits et à l’établissement des éco-parcs
industriels dans diverses régions du monde (Gertler, 1995; Ehrenfeld et Gertler, 1997; Côté et Cohen-
Rosenthal, 1998; Erkman, 1998; Ehrenfeld et Chertow, 2002). Quelles sont donc les particularités de
ce modèle classique pour l’écologie industrielle à l’échelle interentreprises?
Modèle de Kalundborg
L’exemple le plus évoqué de l’analogie biologique dans la littérature portant sur l’écologie
industrielle est celui de la symbiose industrielle de Kalundborg basée essentiellement sur l’échange de
déchets entre les principales entreprises (Gertler, 1995; Ehrenfeld et Gertler, 1997). L’idée centrale de
Kalundborg s’appuie sur trois points essentiels déjà évoqués: la conceptualisation des déchets
industriels comme composantes des systèmes productifs, le design des procédés et des produits en
fonction de ces nouvelles composantes et les modes de fonctionnement qui facilitent les échanges de
ces déchets. Selon bon nombre de chercheurs, le succès de Kalundborg a été de démontrer la
fonctionnalité de la plupart des concepts d’écologie industrielle. Plusieurs leçons sont à tirer des idées
de Kalundborg sur le plan écologique des interactions entre les entreprises. Erkman (1998, p. 26) en
fait une synthèse approximative :
- une réduction de la consommation des ressources, en particulier le pétrole, le charbon et l’eau;
- une réduction des émissions des gaz à effet de serre et des polluants, notamment le gaz
carbonique (CO2) et le dioxyde de souffre (SO2);
- une (forte) réutilisation des déchets, en particulier des cendres, du soufre, du gypse, de l’azote
et du phosphore;
66
- des avantages économiques considérables pour l’économie de la région en général. Par
exemple, Kalundborg représente, selon Erkman (1998), un investissement total en 25 ans de
plus de 60 millions de dollars; un revenu annuel de plus de 10 millions de dollars; un revenu
cumulé de plus de 120 millions de dollars; et un temps moyen d’amortissement inférieur à 5
ans.
Le succès de la symbiose industrielle de Kalundborg semble donc incontestable dans une
certaine mesure. Elle montre que le succès des pratiques de l’écologie industrielle à l’échelle
interentreprises repose en grande partie sur la nature des collaborations entre les entreprises (Boiral et
Jolly, 1997; Fichtner, Tietze-Stöckinger et Rentz, 2004), sur les spécificités des matières échangées
(Chertow, 1998; Allen, 2002), sur les structures mises en place (Chertow, 2000) et sur les intervenants
qui participent aux échanges (Gertler, 1995). L’écologie industrielle à l’échelle interentreprises s’attache
ainsi à définir les grandes orientations au niveau du développement des éco-parcs industriels et de
l’échange des sous-produits entre les entreprises. Ce qui repose sur l’idée centrale de l’optimisation de
l’usage des ressources telle que proposée par Ayres et Kneese (1968, 1969). L’écologie industrielle dans
l’entreprise s’inscrit dans cette même lignée. Elle tente de répondre à des besoins spécifiques et
concrets de sa mise en application dans différents secteurs industriels.
2.3.4. L’écologie industrielle à l’échelle intra-entreprise
L’écologie industrielle dans l’entreprise constitue la troisième façon de rendre opérationnelle
l’optimisation de l’usage des ressources selon le modèle de Lifset et Graedel (2002). Les stratégies
opérationnelles s’articulent autour des termes de conception de produits, de prévention de la pollution,
d’éco-efficience et de comptabilité environnementale.
Conception de produits ou Design for Environment
Le premier élément de la modélisation de Lifset et Graedel (2002) est la conception de produits
ou Design for Environment. Elle est définie par Graedel et Allenby (1995, p. 398) comme étant « An
engineering perspective in which the environmentally related characteristics of a product, process, or
facility design are optimized ».
67
Cette définition montre que la conception environnementale ou écologique des produits et des
procédés suppose que la mise en pratique de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise revient
d’abord et avant tout à changer systématiquement la façon de produire et de consommer les biens et
les services. Cette façon de concevoir les produits et les procédés se traduit par l’intégration
systématique des considérations environnementales dans la conception des produits et des procédés
(Graedel et Allenby, 1995; Allenby, 1999a). Cette intégration suppose la combinaison des différentes
techniques et méthodes d’évaluation : l’analyse des flux des matières (Bringezu et Moriguchi, 2002;
Van der Voet, 2002), l’évaluation du cycle de vie (Udo de Haes, 2002) et l’évaluation des impacts
environnementaux (Steen, 2002). Les réflexions théoriques sur la conception des produits et
l’invention des procédés assument que l’idée derrière la stratégie de conception écologique est de
s’assurer que toutes les considérations pertinentes et les contraintes sont intégrées dans les procédés de
réalisation d’un produit (Wernick et Ausubel, 1997). En ce sens, la conception environnementale
devient une composante de la définition du produit à fabriquer ou du procédé utilisé. Ainsi, les
pratiques d’écologie industrielle mèneraient, en premier lieu, à une nouvelle conception des produits et
des procédés « propres » et durables.
Les pratiques de nombreuses entreprises semblent s’inscrire dans le cadre de la stratégie de la
conception écologique des produits et des procédés. L’entreprise Peintures Récupérées du Québec de
Victoriaville est une excellente illustration. En opération depuis 1994, cette entreprise récupère et
valorise les résidus de peintures. Selon les documents de cette entreprise, sa stratégie repose sur deux
points essentiels : éliminer les dommages causés à l’environnement par les restants de peintures et
responsabiliser les fabricants de peintures quant à la gestion de surplus :
Peintures Récupérées du Québec inc. est à l'heure actuelle la seule entreprise au Québec à mettre sur le marché de la peinture récupérée. Le produit fini représente 64 % de tous les produits reçus. Les contenants d'acier (21 % des arrivages) sont récupérés, pressés et expédiés dans une fonderie. Enfin, les déchets, comme la peinture sèche et autres (15 % des arrivages), sont pour le moment non traités et en partie éliminés par des entreprises spécialisées dans ce domaine (Documents de l’entreprise).
Avec la collaboration des détaillants tels que Rona et La Coopérative Fédérée du Québec, cette
entreprise a mis dix ans pour développer un procédé innovateur de valorisation des résidus de
peintures de grandes marques. Avec plus de 2 600 tonnes de résidus traités en 2003, l’entreprise vend
des peintures d’aussi grande qualité que les originales. Sa nouvelle marque de peinture, Boomerang, a
68
gagné en 2004 le prix de la catégorie « Nouveauté : tendances et décor » au Salon de l’Association
canadienne des détaillants en quincaillerie (ACDQ). Toujours selon les documents de l’entreprise, les
critères de sélection étaient basés sur le design, l’originalité, les fonctions et le coût du produit.
Tous nos produits sont fabriqués à 100 % de restants de peintures de marques reconnues. C'est pourquoi leur qualité est égale à celle des peintures distribuées au Québec. Lavable, facile à appliquer et doté d'un excellent pouvoir cachant, notre produit est vendu sur le marché à moins de la moitié du prix d'une peinture neuve de qualité égale;… Afin d'obtenir la meilleure qualité possible, tous les produits sont inspectés et contrôlés avant d'être mis en marché. Ainsi, vous aussi pouvez donner un coup de pinceau pour la nature, soit en achetant un produit récupéré, soit en rapportant vos restants de peintures au dépôt le plus proche! (Documents de l’entreprise)
Sur le plan économique, Peintures Récupérées du Québec est rentable. La preuve en est que
cette entreprise, qui a commencé tout d’abord comme un organisme à but non lucratif, vient d’être
achetée par un groupe industriel, la Société Laurentides. La nouvelle société entend investir dans divers
projets dans le but d’assurer une croissance rapide avec la récupération des peintures usées. L’exemple
de Peintures Récupérées montre le bon fonctionnement de la nouvelle conception de produits et de
procédés. Sur quoi repose en effet le succès d’une telle initiative? Paton (1994) soutient que le succès
de la nouvelle conception de l’environnement repose sur une approche intégrée de gestion qui inclut
une vision claire de ce qui doit être accompli, un plan d’affaires fonctionnel, des processus d’affaires
efficaces et une réelle compréhension des impacts financiers de la réutilisation ou du recyclage.
L’exemple de Peintures Récupérées du Québec illustre bien ces propos.
En premier lieu, la nouvelle conception de l’environnement vise l’amélioration des
performances environnementales et commerciales de l’entreprise. Pour ce faire, les produits conçus
devraient réduire les impacts sur l’environnement, être sécuritaires, optimiser la consommation
d’énergie et de matières, rencontrer ou dépasser les normes établies, être réutilisables ou recyclables, et
être éliminés de façon sécuritaire sur le plan environnemental. Ensuite, le plan d’affaires devrait inclure
les exigences environnementales comme faisant partie de ses facteurs de succès. La bonne gestion des
processus d’affaires permet de mieux évaluer les impacts environnementaux des produits et des
procédés utilisés pour les fabriquer. Ces processus se traduisent par la conception des produits, la
conception des procédés de fabrication, la gestion des matériaux, la gestion de la chaîne des
fournisseurs, la commande des matières premières, et le service et support technique après vente.
69
Enfin, les impacts financiers de la nouvelle conception de l’environnement sont multiples et variés. De
nombreux exemples démontrent en effet qu’un produit écologique bien conçu au départ tend à être
rentable (Hawken, 1993; King et Lenox, 2001).
Le parcours et le succès de Peintures Récupérées du Québec montrent les enjeux stratégiques de
la conception écologique des produits et des procédés. Ces enjeux s’articulent autour de trois points
essentiels : le choix du matériau à valoriser, les stratégies de récupération et l’innovation technologique.
Ce qui pourrait se traduire par une bonne planification de la conception environnementale des
produits et des procédés. Les dirigeants des entreprises sont appelés à faire de nombreux choix portant
sur la technologie, les équipements, la gestion de matière ou encore le mode de fonctionnement du
procédé (Graedel et Allenby, 1995, p. 183-189). En ce qui concerne la conception du produit en
particulier, ces choix devraient porter sur la définition du produit, la gestion de la matière, les
interactions entre le produit et le procédé choisi, les interactions avec les fournisseurs et la
commercialisation du produit élaboré.
Le cas d’une professeure de chimie, en Inde, qui a réussi à obtenir de l’essence à partir de résidus
de plastique, représente un deuxième exemple d’illustration de l’innovation technologique :
À première vue, l'histoire a tout d'un conte de fées. Dans un modeste laboratoire du centre de l'Inde, une professeure de chimie inconnue aurait trouvé un moyen de transformer des déchets de plastique en essence. Aucune perte, aucune pollution, et un carburant prêt à l'emploi, le tout pour la modique somme de 0,13 euro le litre d'essence produit. Cette histoire est pourtant vraie. La découverte spectaculaire d'Alka Zadgaonkar, professeure dans une petite université de la ville de Nagpur, a en effet été testée et validée par la Indian Oil Corporation (IOC), l'une des plus grandes compagnies pétrolières indiennes. Le procédé demande à être optimisé, mais ça marche, confirme Niranjan Raje, directeur de la branche Recherche et Développement de l’IOC;… Une petite révolution puisque, à ce jour, personne n'a trouvé le moyen efficace de se débarrasser des 150 millions de tonnes de matières plastiques produites chaque année dans le monde. Brevetée par l'organisation mondiale de propriété intellectuelle, l'invention pourrait notamment s'avérer providentielle pour l'Inde, qui, avec une production quotidienne de plus de 9 000 tonnes, croule sous les déchets de plastique. Bien que l'inventrice ait été approchée par plusieurs compagnies étrangères, elle refuse de leur vendre son brevet, estimant que l'invention doit d'abord servir à [son] propre pays. Elle calcule que si l'Inde utilisait ce procédé sur la moitié de ses déchets de plastique, non seulement elle limiterait la pollution, mais en plus elle bénéficierait chaque jour de 2,5 millions de litres d'essence supplémentaires (Prakash, 2004).
70
L’entreprise québécoise Dry-Rex a mis au point un procédé innovateur qui permet, dans une
première étape, de sécher des boues et des écorces provenant de milieux industriels et municipaux et,
dans une deuxième étape, de les incinérer pour produire de la vapeur. Comme le souligne Simard
(2004, p. D3), « cette biomasse séchée remplace le gaz naturel ou le mazout que l'on utilise
habituellement. Aux plans environnemental et social, cette solution augmente la production de
l'électricité verte en n’utilisant que de la biomasse. »
Cette technologie tente ainsi d’éviter des solutions simplistes d’enfouissement et elle réduit les
émissions des gaz à effet de serre (GES) produites par les combustibles fossiles. Les bénéfices sur le
plan économique sont énormes, dans la mesure où cette technologie permet de réduire au maximum le
recours aux combustibles conventionnels (le gaz naturel, le charbon et le pétrole), dont les prix sont
élevés. En plus, les coûts d’exploitation de cette technologie semblent être nettement inférieurs à ceux
des technologies conventionnelles.
Ces exemples illustrent l’innovation technologique évoquée en écologie industrielle. Les activités
de ces entreprises reposent sur la récupération et sur la transformation des résidus en produits à valeur
commerciale. Cette transformation repose essentiellement, entre autres, sur le développement de
nouveaux procédés, sur l’adaptation de la technologie aux exigences environnementales, sur la
substitution des matières pour optimiser les ressources, sur l’apprentissage de nouvelles façons de faire
et sur le développement des compétences organisationnelles. Ces différentes dimensions inhérentes à
la gestion des organisations montrent une fois de plus la pertinence du rôle des entreprises dans le
développement de l’écologie industrielle.
La conception de produits suppose que mettre en pratique l’écologie industrielle revient d’abord
et avant tout à changer systématiquement la façon de produire et de consommer les biens et les
services (Stahel, 2003). La nouvelle conception des produits et des procédés se traduit par l’intégration
systématique des considérations environnementales dans la conception des produits et des procédés
(Graedel et Allenby, 1995; Allenby, 1999a). Ainsi, les pratiques d’écologie industrielle mèneraient, en
premier lieu, à une nouvelle conception des produits et des procédés « propres » et durables. Ce qui
suppose la combinaison des différentes techniques et méthodes d’évaluation depuis l’extraction des
matières premières jusqu’à la consommation des biens finis et à leur récupération ou réutilisation, en
passant par leur transformation au moyen de procédés modifiés « écologiquement ».
71
Prévention de la pollution
La prévention de la pollution ou encore la production propre constitue une autre stratégie
opérationnelle de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise selon la modélisation de Lifset et
Graedel (2002). Jackson (2002, p. 38) l’a définie comme suit : « The continuous application of an
integrated, preventive environmental strategy applied to processes, products and services in pursuit of
economic, social, health, safety and environmental benefits. »
Comme pratique d’écologie industrielle, la prévention de la pollution est centrée sur les
changements dans les méthodes de gestion et dans les procédés, sur la réduction des polluants à la
source (logique d’intégration) et sur la réduction des déchets (Boiral, 1998, p. 29). Cette pratique vise à
réduire et à prévenir le risque et la pollution écologique. Elle repose sur des techniques diversifiées, en
particulier sur l’amélioration de l’efficience des systèmes productifs de l’entreprise et la substitution des
matières dangereuses par d’autres qui le sont moins (Jackson, 2002). Deux exemples concrets tirés des
expériences des entreprises C.S. Brooks et Irving Pulp and Paper, selon les sources d’Environnement
Canada (2004), permettent d’illustrer la prévention de la pollution comme stratégie d’écologie
industrielle.
Située à Magog (Québec), C.S. Brooks est une entreprise spécialisée dans la fabrication de
produits de literie. Comme toutes les entreprises qui travaillent dans ce domaine, elle utilise, pour le
blanchiment, l’impression au cadre, la teinture et la finition à partir de produits toxiques, en particulier
le nonylphénol et ses dérivés éthoxylés (NPE). Selon les spécialistes en chimie, le nonylphénol est
considéré comme un produit toxique difficilement biodégradable qui altère le rythme reproductif des
poissons. Sa présence est décelée dans les produits d’entretien, d’emballage ou encore dans les
pesticides. C’est par l’utilisation des vaporisateurs que ce produit arrive à s’infiltrer dans la chaîne
alimentaire. Dans un vaste programme de prévention de la pollution et dans une saine gestion de la
chaîne des fournisseurs, les dirigeants de C.S. Brooks s’engageaient en 2002 à réduire l’utilisation de
tous les produits contenant les NPE. Les analyses effectuées révélaient que 17 000 kg de NPE étaient
utilisés chaque année. C.S. Brooks a donc demandé à ses fournisseurs de lui proposer d’autres
produits.
Depuis janvier 2004, C.S. Brooks n’utilise, dans ses procédés, que deux produits contenants des
NPE. Selon les estimations faites par les services techniques de l’entreprise, 80 kg de NPE seront
utilisés en 2004, ce qui représente une réduction considérable. Sur le plan économique, cette réduction
72
en approvisionnement des produits chimiques permettra à l’entreprise d’économiser environ 75 000 $
par année. Et sur le plan environnemental, l’entreprise a réussi à réduire la pollution dans ses
installations en remplaçant des produits toxiques par d’autres qui représentent moins de risques. En
agissant ainsi, C.S. Brooks a adopté la substitution comme stratégie de base pour prévenir et réduire la
pollution.
De la même manière que C.S. Brooks, Irving Pulp and Paper a lancé un programme ambitieux
de prévention de la pollution entre 1995 et 2000. Installée à Saint-John, au Nouveau-Brunswick
(Canada), cette entreprise travaille dans le domaine des pâtes et papiers. Comme la plupart des
papetières, Irving Pulp and Paper était confrontée au problème des rejets et des polluants qui
contaminent les eaux de surface. Les rejets des produits nocifs de cette entreprise pourraient causer des
dommages à l’écosystème aquatique. Pour contrer ce problème, l’entreprise a opté pour une stratégie
de substitution de technologie. L’analyse de technologies plus efficaces et plus rentables sur les plans
environnemental et économique a mené à deux technologies en particulier : celles du « lessivage de la
pâte brune » et de la « délignification à l’oxygène ».
Ces deux technologies ont apporté des gains significatifs : la diminution de la quantité d’eau
consommée, la réduction de la quantité d’énergie et des produits chimiques utilisés, et le retrait des
produits de bois inutilisables. En plus d’améliorer l’efficience des procédés de fabrication des pâtes et
papiers, ces modifications ont également permis le remplacement des produits de blanchiment qui ne
contiennent pas de chlore élémentaire, en particulier le péroxyde d’hydrogène. Et en amont du
procédé, ces transformations ont permis de réduire considérablement les rejets dans les eaux de
surface et de rendre l’effluent totalement non toxique.
Ce programme, qui s’est étalé sur cinq ans et qui a bénéficié de l’appui de tout le personnel, a
apporté des bénéfices à l’entreprise sur les plans environnemental et économique. Si, en fin
d’opération, l’entreprise a réussi à réduire le volume de son effluent devenu non toxique de 30 %, ces
changements dans les procédés lui permettent d’économiser environ 10 millions de dollars par année.
En plus, puisque les nouveaux procédés et les nouvelles technologies ont éliminé le système de
traitement secondaire, l’entreprise peut également économiser environ un million de dollars par année.
Cet exemple montre l’efficacité économique et environnementale de la stratégie de substitution de
technologie adoptée par l’entreprise Irving Pulp and Paper. Cette efficacité à la fois économique et
environnementale est désignée par le concept d’éco-efficience.
73
Les liens entre la prévention de la pollution et l’écologie industrielle font l’objet de discussions
parmi les spécialistes du domaine (Oldenburg et Kenneth, 1997; Ehrenfeld, 2001; Lifset et Graedel,
2002; Jackson, 2002). Le problème se situe sur le plan opérationnel des pratiques d’optimisation de
l’usage des ressources dans les procédés de production de l’entreprise individuelle. Faudrait-il alors
parler d’écologie industrielle ou de prévention de la pollution, ou encore des deux? Le problème est
clairement posé dans Oldenburg et Kenneth (1997) quand ces deux auteurs se demandent s’il convient
de parler de l’écologie industrielle ou de la prévention de la pollution dans l’entreprise. Oldenburg et
Kenneth (1997) tentent de répondre à cette question en dressant un tableau de comparaison entre les
pratiques d’écologie industrielle et de prévention de la pollution. Ils soutiennent donc que les deux
domaines partent du même postulat selon lequel les systèmes actuels de production et de
consommation occasionnent des dommages à l'environnement et que des mesures doivent être prises
pour changer l'état des choses. Dans la pratique, la prévention de la pollution et l'écologie industrielle
présentent des similitudes et des différences. Si, pour la prévention de la pollution, l'objectif primordial
est de prévenir le risque et la pollution, l'écologie industrielle vise d'abord l'optimisation des ressources
et le développement durable. Cette même vision est partagée par Lifset et Graedel (2002) en
s’appuyant sur Allen (1996) :
Industrial ecology emphasizes the optimization of resource flows where other approaches to environmental science, management and policy sometimes stress the role of risk. For example, pollution prevention (P2) (also known as cleaner production or CP) emphasizes the reduction of risks, primarily, but not exclusively, from toxic substances at the facility or firm level (Lifset et Graedel, 2002, p. 11).
Toujours selon Oldenburg et Kenneth (1997), la prévention de la pollution s’inscrit dans les
activités individuelles des entreprises industrielles. Ainsi, les pratiques de l’écologie industrielle à
l’échelle de l’entreprise ne se réduisent pas à la seule prévention de la pollution. En plus, optimiser
l’usage des ressources à l’échelle de l’entreprise suppose la combinaison de plusieurs techniques
opérationnelles qui visent l’amélioration et le maintien de la qualité acceptable de l’environnement
(Wernick et Ausubel, 1997). Enfin, l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise suppose, comme le
soutient Jackson (2002), la poursuite des objectifs des systèmes de management environnemental.
Éco-efficience
Le troisième élément de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise est l’éco-efficience.
Celle-ci apparaît comme une forme de mise en pratique des principes de développement durable à
74
l’échelle de l’entreprise. Depuis les années 1990, ce concept connaît un développement rapide sur le
plan institutionnel et sur celui de la promotion de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise. Dans
cette perspective, l’éco-efficience est définie par Schmidheiny et Zorraquin (1998) comme
Un processus de changement dans lequel l’exploitation des ressources, la direction des investissements, l’orientation du développement technologique et les transformations au niveau de la direction de l’entreprise maximisent la valeur ajoutée tout en minimisant la consommation des ressources, les déchets et la pollution (Schmidheiny et Zorraquin, 1998, p. 7).
Cette conception de l’éco-efficience montre qu’à l’image de « zéro défaut » dans le domaine de
la qualité totale, l’éco-efficience s’apparente à un concept plus intégrateur dans la mesure où ce dernier
englobe toutes les activités fonctionnelles de l’entreprise (Boiral et Kabongo, 2004). L’éco-efficience
est également conçue dans les dimensions sociales et économiques des activités de production et de
consommation. Dans sa dimension sociale, le concept d’éco-efficience est compris sous l’angle de la
philosophie de gestion et de direction d’entreprise, se rapprochant du concept de développement
durable (Keoleian et Menerey, 1994; Ehrenfeld, 1997b). Ceci résulte de la définition de l’éco-efficience
par la WBCSD dans ces termes :
Eco-efficiency is achieved by the delivery of competitively priced goods and services that satisfy human needs and bring quality of life, while progressively reducing ecological impacts and resource intensity throughout the life cycle, to a level at least in line with the Earth’s estimated carrying capacity (DeSimone et Popoff, 1997, p. 47).
Comme on peut le constater, cette définition s’apparente beaucoup à celle du développement
durable de la Commission mondiale portant sur l’environnement et le développement, et selon laquelle
il s’agit d’« un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la
capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Notre Avenir à Tous, rapport de la Commission
mondiale sur l'environnement et le développement, dite commission Brundtland). Ainsi, la dimension
sociale de l’éco-efficience met un accent sur l’efficacité avec laquelle les ressources écologiques sont
utilisées pour répondre aux besoins des êtres humains, à des prix compétitifs, tout en réduisant les
impacts environnementaux et l’intensité d’usage des ressources et de l’énergie, tout au long du cycle de
vie et en respectant la capacité de support des écosystèmes.
75
La dimension économique apporte plutôt une approche métrique dans l’entreprise. En ce sens,
l’éco-efficience représente le rapport entre la valeur ajoutée et les impacts environnementaux des
activités de l’entreprise, selon DeSimone et Popoff (1997).
Eco-efficiency focuses as well on creating additional value by better meeting customer’s needs while maintaining or reducing environmental impacts. And its implementation draws on the insights of other business and environmental approaches such as quality management and pollution prevention (DeSimone et Popoff, 1997, p. 3).
L’éco-efficience mesure ainsi, pour l’entreprise, les rapports « ressources utilisées - impacts
causés sur l’environnement » et « qualité du produit – prix/besoin satisfait d’une entreprise ». L’usine
de Norsk Hydro de Bécancour (Québec) constitue une illustration du concept d’éco-efficience. En
opération depuis 1986, cette entreprise industrielle produit du magnésium pur et des alliages de ce
métal à partir de la magnésite, qui provient principalement de Chine. Avec une production annuelle
évaluée à 48 000 tonnes, le procédé d’électrolyse utilisé exige l’introduction et la manipulation de
produits potentiellement toxiques, notamment l’acide chlorhydrique (HCl) et le chlore gazeux (Cl2).
En plus, les multiples réactions chimiques survenant tout au long de ce procédé comportent un risque
de présence de polluants dans les effluents, par exemple l’acide chlorhydrique ou le chlorure de
magnésium (MgCl2), l’émanation de GES comme l’hexafluorure de soufre (SF6) ou encore le gaz
carbonique (CO2) et, éventuellement, la contamination des sols.
Pour réduire tous ces effets et maximiser l’usage des intrants dans les systèmes de production,
les dirigeants de Norsk Hydro de Bécancour s’engageaient, dès 1990, dans un vaste et ambitieux
programme de gestion efficace des processus. À l’instar des entreprises comme 3M, Interface ou
encore General Motors qui ont recentré leurs activités sur un modèle inspiré de l’éco-efficience
(Johansen, 1998; Isaak, 2002), Norsk Hydro s’engageait à « produire le maximum de magnésium avec
le minimum de ressources dans le respect de la génération actuelle et de celles qui vont suivre »30. Cette
vision, qui s’inscrit dans la perspective de rationalisation de l’usage des ressources, repose sur trois
actions : respecter les lois et les normes environnementales en vigueur, prévenir et éliminer tout
accident écologique, et réduire les pertes des matières premières et les émissions de polluants. Les
30 Laperrière, J. (2002), « La gestion préventive au quotidien : le cas de Norsk Hydro », conférence donnée en
2002 dans le cadre du cours Les systèmes de gestion environnementale, Faculté des sciences de l’administration, Université Laval, Québec.
76
structurations au niveau des ressources humaines ont exigé la mise sur pied de programmes de
formation du personnel ainsi que de programmes d’information destinée à la clientèle et à la
population avoisinante.
Ces changements de gestion de Norsk Hydro se sont accompagnés d’actions concrètes et de
gestes quotidiens sur lesquels reposent les principes d’éco-efficience. En effet, des efforts soutenus ont
été déployés pour améliorer de façon constante l’efficacité des procédés. Qu’il s’agisse de la révision du
bon fonctionnement des équipements, du lavage des pompes de HCl (acide chlorhydrique), de NaOH
(hydroxyde de sodium), de NaOCl (hypochlorite de sodium), ou encore de l’achat de nouveaux
équipements, les employés sont sensibilisés aux problèmes de perte et de gaspillage des matières
utilisées. L’une des facettes des actions et des gestes concrets concerne plus directement le recyclage et
la revalorisation des rejets. Avec environ 17 400 tonnes de boues générées par année chez Norsk
Hydro, ses dirigeants s’engageaient à connaître les propriétés des résidus ainsi qu’à contrôler et à
calculer ces derniers, considérés désormais comme des ressources. L’analyse de la composition
physique et chimique des boues révélait qu’elles contiennent près de 18 % de magnésium. Ainsi, Norsk
Hydro est passé de l’enfouissement au développement d’un nouveau produit, le Mag III, la formule
commercialisée des boues de magnésium.
Si l’éco-efficience et les indicateurs de ses mesures représentent l’expression la plus concrète de
l’application du développement durable à l’échelle de l’entreprise (Schmidheiny et Zorraquin, 1998), les
liens entre les deux concepts demeurent cependant nébuleux. D’abord, les méthodologies et les outils
de mesure de l’éco-efficience s’apparentent souvent à des principes généraux que les entreprises sont
appelées à appliquer de façon volontaire. Ainsi, la réduction de la demande pour les produits et les
services, la réduction de l’intensité énergétique, la réduction de la dispersion des substances toxiques,
l’augmentation de la capacité de recyclage des matières, la maximisation de l’utilisation durable des
ressources renouvelables, l’augmentation de la durabilité des biens et services, qui constituent des
éléments clés selon le WBCSD (2000), apparaissent plus comme des idéaux à atteindre que comme des
pratiques réalistes et intégrées à la gestion quotidienne des opérations.
Ensuite, la complexité de la collecte des données, le manque de fiabilité des unités de mesure et
le caractère volontaire des indicateurs d’éco-efficience montrent que la portée et l’interprétation des
résultats sur l’éco-efficience présentent certaines limites pour la plupart des entreprises. Enfin,
l’intégration des réalités économiques et écologiques dans les indicateurs de performance pour
77
l’ensemble des activités de l’entreprise rend complexe le calcul des différents indicateurs d’éco-
efficience (Helminen, 2000; Farber, Constanza et Wilson, 2002).
Paradoxalement, c’est cette dimension environnementale qui, en s’ajoutant à sa dimension
économique, en fait un concept innovateur dans le cadre de l’optimisation de l’usage des ressources.
Par essence, les entreprises recherchent la productivité. Les responsables des entreprises savent ce que
représente la réduction totale des coûts d’opération par unité de biens et de services produits. L’éco-
efficience ajoute des dimensions jusqu’ici négligées dans la production industrielle. L’attention
particulière portée aux gestes quotidiens quant à la façon d’utiliser l’énergie et l’eau, par exemple, peut
devenir une source significative d’économies supplémentaires. En ce sens, le calcul des indicateurs
d’éco-efficience apparaît comme une prise de conscience de l’utilisation efficace des ressources
disponibles pour le bénéfice des entreprises. Cette dimension fait partie de la perspective du
changement global qui devrait se produire dans les systèmes de production et de consommation par
l’optimisation de l’usage des ressources (Frosch et Gallopoulos, 1989; Tibbs, 1993; Graedel et Allenby,
1995; Allenby, 1999a).
Bien que l’éco-efficience comme application du développement durable à l’échelle de
l’entreprise présente certaines difficultés de compréhension et d’interprétation sur le plan conceptuel
(Helminen, 2000), la situation semble être différente sur le plan opérationnel. En effet, des études
empiriques montrent que des entreprises évoluant dans des secteurs d’activités aussi diversifiés que les
pâtes et papiers, la production chimique ou encore la fabrication d’automobiles affichent leur caractère
éco-efficient comme une réponse logique à de nouveaux impératifs de l’évolution des marchés et du
monde des affaires (Hart et Abuja, 1996; von Weizsäcker et al., 1997; Dobers et Wolf, 1999; Helminen,
2000; Cramer, 2000). Ces études portent essentiellement sur la réduction de certains impacts
environnementaux, sur la diminution de la consommation de matière et d’énergie et, partant, sur celle
de ressources naturelles dans une vision élargie, sur la réalisation d’économies substantielles, et sur le
positionnement des entreprises par rapport aux autres du même secteur en matière de performance
environnementale.
Comptabilité environnementale
Le quatrième et dernier élément de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise selon Lifset et
Graedel (2002) est la comptabilité environnementale ou verte. Le Petit Larousse définit le terme
« comptabilité » comme une « technique de mesure de l’activité d’un agent économique ». Selon
78
l’organisme World Spy, le terme de « comptabilité verte » (green accounting) ou « comptabilité
environnementale » aurait été inventé vers 1989 par David Pearce, professeur d’économie
environnementale du University College de Londres. Comme le terme lui-même l’indique, il s’agit,
pour une entreprise, une région ou encore une nation, d’une technique de mesures économiques des
effets de la production et de la consommation sur l’environnement. Le rapport de la Commission
européenne de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales de février 2004 définit la
comptabilité environnementale dans ces termes :
La comptabilité environnementale est un système qui permet de répertorier, organiser, gérer et fournir des données et des informations sur l’environnement, par l’intermédiaire d’indicateurs physiques ou monétaires. Elle constitue un outil indispensable à la mise en œuvre du concept du développement durable et s’impose à l’heure actuelle comme un moyen d’assurer la préservation de l’environnement en Europe (CEAQT, 2004, document 10071, p. 1).
Dans une perspective plus technique, Fortin, Martel et Rakotosoa (1995), en s’appuyant sur
plusieurs sources et travaux, l’entendent comme suit :
La mesure de la performance environnementale de l’entreprise et la communication d’informations à caractère environnemental à toutes les parties intéressées. Prise dans son sens le plus large, cette expression [comptabilité environnementale] couvre tout autant les préoccupations de vérification environnementale que le contrôle de gestion, de comptabilité et de vérification financière ainsi que de fiscalité liées à l’interface entreprise-environnement (Fortin, Martel et Rakotosoa, 1995, p. 13).
Selon cette définition, Fortin, Martel et Rakotosoa (1995) conçoivent la comptabilité
environnementale comme outil de mesure du progrès de l’écologie industrielle dans l’entreprise. Cette
même vision est partagée par Lifset et Graedel (2002). Ces deux auteurs conçoivent la comptabilité
environnementale comme l’un des quatre éléments de la mise en œuvre de l’écologie industrielle dans
l’entreprise à côté de la conception des produits, la production propre et l’éco-efficience.
Les définitions ci-dessus présentées montrent que, de façon générale, la comptabilité
environnementale porte sur l’identification, la gestion et la communication de l’information sur les
activités environnementales en rapport avec la production des biens et des services. En d’autres
termes, la comptabilité environnementale analyse les coûts environnementaux de ces activités. La
compréhension, la connaissance et la comptabilité des coûts environnementaux deviennent ainsi un
79
outil de prise de décision. Ces coûts pourraient être réduits ou encore éliminés par la mise sur pied des
différents types d’actions stratégiques comme, entre autres, la vente des sous-produits ou des déchets
industriels, l’achat des équipements appropriés et la conception des procédés ou des produits qui
laissent peu ou presque pas de dommages environnementaux (EPA, 1995, p. 1-3).
Comme stratégie opérationnelle, la comptabilité environnementale peut prendre deux formes :
la comptabilité financière environnementale (Ullman, 2003) et la comptabilité de gestion
environnementale(Schaltegger, 2003). La comptabilité financière environnementale vise à préparer les
résultats financiers de l’entreprise en incluant les activités et les coûts environnementaux. Ces rapports
sont destinés aux différentes parties prenantes. Quant à la comptabilité de gestion environnementale,
elle vise à utiliser les différents types d’information recueillie pour mieux planifier et organiser les
activités de l’entreprise. Ces deux formes de comptabilité environnementale à l’échelle de l’entreprise
se retrouvent dans la définition proposée par Fortin, Martel et Rakotosoa (1995). Le tableau 5 suivant
illustre les types de comptabilité environnementale (EPA, 1995).
La comptabilité environnementale repose en grande partie sur la comptabilisation des coûts
environnementaux. Il s’agit de tous les coûts supportés par l’entreprise dans le cadre d’actions
préventives ou correctives qui ont un impact sur l’environnement (Christophe, 1995; EPA, 1995;
Bartelmus et Seinfert, 2003). Les exemples des coûts environnementaux sont nombreux : les
opérations de décontamination ou de nettoyage de sites, les opérations de démantèlement
d’infrastructures, les opérations visant à diminuer la pollution, ou encore les opérations visant à
diminuer les risques de pollution (Graedel et Allenby, 1995).
Tableau 5. Types de comptabilité environnementale (EPA, 1995)
Type de comptabilité environnementale
Portée Audience
Comptabilité du PIB Nationale Externe (population générale)
Comptabilité environnementale financière
Entreprise Externe (parties prenantes)
Comptabilité environnementale de gestion
Entreprise, division, usine, ligne de produit ou système de production
Interne (gestionnaires)
80
La comptabilité environnementale offre des outils et des techniques qui permettent de rendre
compte des actions environnementales de l’entreprise (Christophe, 1995). En ce sens, elle est utilisée
pour enregistrer les conséquences financières des actions environnementales (Dittenhofer, 1995) et les
rapports environnementaux. Ces rapports décrivent les actions environnementales en utilisant des
indicateurs autres que financiers, en particulier les indicateurs de performance environnementale
(Schaltegger, 2003). Selon le communiqué de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le
développement (CNUCD), l’entreprise Ciba Specialty Chemicals est l’une des premières à rendre
publiques ses informations environnementales. Ce même communiqué cite les propos du directeur
général de cette entreprise, lesquels montrent comment la comptabilité environnementale pourrait
devenir un véritable instrument de l’éco-efficacité des entreprises :
En associant dès 2001 des paramètres environnementaux essentiels aux bénéfices bruts de l’entreprise, nous avons pu montrer comment des produits de grande qualité créent de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de valeur, en utilisant moins de ressources et en réduisant au minimum l’impact sur l’environnement (Armin Meyer, président et directeur général de Ciba Specialty Chemicals).
Telle que définie par différents auteurs, la comptabilité verte ou environnementale semble
toucher plusieurs aspects de la gestion de l’entreprise : les coûts environnementaux, les bénéfices pour
l’environnement des activités de l’entreprise, la publication des données et des informations sur
l’environnement et le développement des indicateurs de mesure. Cependant, la revue de la littérature
montre que la comptabilité environnementale présente deux limites principales pour les entreprises. La
première limite tient à la complexité de la comptabilité environnementale comme outil d’évaluation des
impacts. Dittenhofer (1995, p. 40) soulève cette question en faisant remarquer que
The administration of the environmental affairs of an organization is complex; this complexity requires the expertise of engineers, lawyers, scientists, accountants and auditors.
Cette complexité tient principalement à la comptabilisation des coûts environnementaux.
Comme le souligne Bailey (1991), il existe plusieurs façons d’enregistrer et de catégoriser les coûts
environnementaux d’une entreprise. En d’autres termes, la définition des coûts, des actifs et des passifs
environnementaux pose problème (Graedel et Allenby, 1995). La deuxième limite repose sur la
divulgation des résultats de la comptabilité financière et environnementale aux différentes parties
81
prenantes, en particulier les analystes financiers, les investisseurs et créanciers et les marchés financiers.
La difficulté pour la plupart des entreprises industrielles réside dans le fait que la comptabilité
environnementale implique la prise en compte des coûts sociaux dans les états financiers de
l’entreprise. Ce qui mène à la responsabilité sociale de l’entreprise. Cette question fait l’objet de
nombreuses discussions et débats parmi les spécialistes de l’écologie industrielle et les acteurs
économiques. À cet effet, Gradel et Allenby (1995) expriment des doutes quant à la prise en charge des
coûts environnementaux sociaux par les entreprises industrielles :
More fundamentally, there is a question as to the extent to which private firms should be encouraged to move independently toward a broader social responsibility for the achievement of a long-term stable carrying capacity (Graedel et Allenby, 1995, p. 87).
Les différentes échelles d’opérations et de mise en œuvre des principes de l’écologie industrielle
proposés par Lifset et Graedel (2002) peuvent prendre des formes différentes selon les contextes
politiques, économiques, légaux et socioculturels précis dans lesquels ces principes sont mis en
application. Ces contextes sont déterminés par, entre autres, l’intérêt pour l’écologie industrielle de la
part des responsables industriels et politiques, la nature des sous-produits disponibles, les types de
collaboration entre les entreprises et les structures de récupération des matières résiduelles mises en
place. Bien qu’en plein développement comme champ d’étude et de recherche, il convient de souligner
que quatre tendances de mise en pratique des principes de l’écologie industrielle s’affirment sur la
scène mondiale en suivant Bourg et Erkman (2003) : la mise sur pied des études de métabolisme
industriel à l’échelle des régions pour générer des outils de prise de décision, comme dans les cas
évoqués en Europe, en particulier en Allemagne; l’application des principes de l’écologie industrielle à
l’échelle du territoire urbain ou régional considéré comme un écosystème naturel; la formation des
parcs éco-industriels ainsi que l’implémentation des bouclages des systèmes productifs au niveau des
échanges locaux. Ces tendances confirment que l’écologie industrielle suscite l’intérêt de nombreux
acteurs économiques et politiques à l’échelle internationale, comme il a déjà été indiqué.
La compréhension du concept d’écologie industrielle serait incomplète sans l’examiner sous
l’angle des différentes classifications selon les auteurs. Les différentes classifications aideront à mettre
en évidence des dimensions pertinentes de la mise en œuvre des principes de l’écologie industrielle
telles que les moyens utilisés, l’intensité, l’espace, le temps ou encore la combinaison de ces différentes
82
dimensions. Ce qui montre que l’écologie industrielle, ou du moins sa mise en application, n’est pas un
tout homogène.
2.4. Les typologies d’écologie industrielle
Bien que la mise en œuvre de l’écologie industrielle aux échelles intra-entreprise, interentreprises
et globale puisse prendre plusieurs formes, l’étude des traits caractéristiques spécifiques de ces formes
ou typologies permet de mieux expliquer et comprendre l’adoption de ses principes par les entreprises.
Plusieurs auteurs ont tenté de classifier les pratiques d’écologie industrielle. L’analyse que présente
cette section a porté en particulier sur les modèles de Boons et Baas (1997) et Andersen (2003).
2.4.1. La typologie de Boons et Baas (1997)
En analysant les pratiques d’écologie industrielle à partir d’une perspective à la fois sociologique
et organisationnelle tout en mettant un accent particulier sur le problème de coordination des activités
entre les différents acteurs économiques engagés, Boons et Baas (1997) ont proposé une typologie qui
distingue quatre types d’écologie industrielle. Ces différents types s’articulent autour de l’écologie
industrielle centrée sur le produit, la matière, la région géographique et le secteur industriel.
Dans le premier type d’écologie industrielle selon Boons et Baas (1997), les interactions entre les
acteurs économiques tournent autour du cycle de vie d’un produit. L’évaluation du cycle de vie d’un
produit (Udo de Haes, 2002) ou encore la politique intégrée d’un produit (Jackon, 1999) constituent
des concepts fondamentaux de ce type d’écologie industrielle. Les interactions dans le cadre de
l’industrie de fabrication d’automobiles (fournisseurs de matières premières, producteurs et
consommateurs) constituent une illustration de l’écologie industrielle centrée sur le produit.
Le deuxième type d’écologie industrielle est centré sur la matière. À l’instar du premier type, les
interactions entre les acteurs économiques engagés dans les pratiques d’écologie industrielle tournent
autour de l’optimisation de l’usage d’une matière : l’acier, l’aluminium, le magnésium ou encore le
plastique. Les interactions entre différents acteurs économiques dans une région géographique donnée
dans le cadre de l’optimisation de l’usage des ressources constituent le troisième type d’écologie
industrielle selon Boons et Baas (1997). Selon ces auteurs, ce type d’écologie industrielle s’apparente
aux interactions dans le développement de symbioses industrielles ou encore des éco-parcs industriels.
83
Le quatrième type d’écologie industrielle selon Boons et Baas (1997) est basé sur le secteur industriel.
Un groupe d’entreprises engagées dans des activités de même nature dans le cadre de l’optimisation de
l’usage des ressources forment ce type d’écologie industrielle.
La typologie de l’écologie industrielle centrée sur le produit, la matière, la région géographique
ou encore le secteur d’activité industrielle a pour point de repère la coordination des différentes
activités dans une perspective sociologique. Si cette classification permet de mieux comprendre les
interactions entre divers acteurs économiques engagés dans les pratiques d’écologie industrielle ainsi
que les implications organisationnelles de ces mêmes pratiques, elle présente cependant trois limites
pour l’analyse des pratiques d’utilisation et de transformation des matières résiduelles ou des sous-
produits dans les entreprises.
D’abord, les caractéristiques sur lesquelles se fonde la classification semblent être générales.
Celles-ci reposent principalement sur les concepts de coordination et d’organisation des activités
d’écologie industrielle. Ensuite, les frontières entre l’écologie industrielle de type géographique et celle
de type sectoriel sont difficiles à établir. Si, par l’écologie industrielle de type géographique, on entend
les symbioses industrielles ou encore les éco-parc industriels, le type sectoriel ne semble pas être
clairement défini. Selon Boons et Baas (1997), les entreprises ayant les mêmes activités et qui
collaborent dans les projets d’optimisation de l’usage des ressources constituent l’écologie industrielle
de type sectoriel. Or, ceci représente un type particulier de symbiose industrielle selon Chertow (2000).
Enfin, la classification de Boons et Baas (1997) ne semble pas tenir compte des pratiques d’écologie
industrielle à l’échelle de l’entreprise. En effet, les quatre types d’écologie industrielle définis
représentent des activités d’optimisation de l’usage des ressources au-delà des frontières de l’entreprise
individuelle.
2.4.2. La typologie d’Andersen (2003)
Dans sa thèse doctorale portant sur les problèmes de transport dans l’écologie industrielle, Otto
Andersen (2003) conçoit un modèle théorique de classification des pratiques d’optimisation de l’usage
des ressources. Cet auteur distingue cinq types d’écologie industrielle : design de produits, analyse des
ressources, système de gestion environnementale, éco-parcs industriels et facteur X. L’identification
des divers types d’écologie industrielle répond à un processus de distinction entre différents niveaux et
84
échelles d’analyse et d’application de l’écologie industrielle. La figure 2 à la page suivante illustre ce
processus d’identification selon Andersen (2003).
Dans le processus d’identification des types d’écologie industrielle, Andersen (2003) commence
par faire la distinction entre la perspective de design, qu’il nomme « perspective formelle », et la
structure ou perspective d’application et d’organisation dans l’ensemble de l’écosystème industriel.
L’application proprement dite de la perspective de design donne lieu au premier type d’écologie
industrielle : la conception de produits. L’application et l’organisation des initiatives d’écologie
industrielle tiennent compte de deux éléments : l’analyse et le changement. L’application proprement
dite de l’analyse donne lieu au deuxième type d’écologie industrielle : l’analyse des ressources.
85
Figure 2. Processus d’identification des types d’écologie industrielle (Andersen, 2003, p. 23)
Design (perspective
formelle)
Structure (perspective systémique)
Conception de produit
Analyse Changement
Analyse des ressources
Entreprise Société
Système de management
environnemental
Écosystème Dématérialisation
Éco-parc
Facteur X
86
L’application des changements à l’échelle de l’entreprise donne lieu au troisième type d’écologie
industrielle : les systèmes de management environnemental. Andersen (2003) prend appui sur les
travaux portant sur l’écologie industrielle dans l’entreprise, en particulier ceux de Gladwin (1993) et de
Paton (1994) pour soutenir que les systèmes de management environnemental comme type d’écologie
industrielle se caractérisent principalement par l’adoption et la mise en œuvre d’outils de gestion
environnementale tels que la norme ISO 14001 ou le système européen EMAS.
Andersen (2003) prend appui sur Erkman (1997) pour soutenir que les changements à l’échelle
de la société prennent deux directions : l’application des principes d’écologie industrielle à l’échelle des
écosystèmes industriels et la dématérialisation. L’application des changements à l’échelle des
écosystèmes industriels donne lieu au quatrième type d’écologie industrielle : les éco-parcs industriels.
Le cinquième type d’écologie industrielle, le facteur X, porte sur les stratégies d’amélioration de
l’efficience des ressources par la dématérialisation ou la décarbonisation. Le facteur X représente, d’une
part, la mesure de la réduction de matière ou d’énergie, et d’autre part, l’amélioration de l’efficience
dans les systèmes de production et de consommation (Schmidt-Bleek, 1993; von Weizsäcker et al.,
1997).
La typologie d’Andersen (2003) représente une façon de rendre intelligible les différentes formes
que prennent les pratiques d’écologie industrielle en tenant compte des différents niveaux d’analyse et
des changements à introduire dans les systèmes de production et de consommation. À l’opposée de
celle de Boons et Baas (1997), la typologie d’Andersen (2003) tient compte de la mise en œuvre de
l’écologie industrielle aux trois niveaux (régional ou global, interentreprises et entreprise) selon le
modèle de Lifset et Graedel (2002). À l’échelle de l’entreprise, les systèmes de management
environnemental constituent un type particulier d’écologie industrielle. Ce qui constitue une façon de
prendre en compte les efforts de réduction des impacts environnementaux de la part des entreprises
individuelles comme une forme particulière d’écologie industrielle. Cette vision semble reconnaître
que les changements à apporter dans les systèmes de production et de consommation ont comme
origine les unités de production dans les entreprises industrielles. C’est la perspective adoptée dans la
présente thèse.
87
2.5. Les éléments fondamentaux de l’écologie industrielle
Le présent chapitre a tenté de présenter les définitions et les éléments de base de l’écologie
industrielle comme domaine d’étude et de recherche par l’examen de grands travaux du domaine.
L’analyse des différents travaux montre ainsi que l’écologie industrielle repose sur la volonté, de la part
des différents acteurs économiques, de bien gérer l’utilisation d’énergie, de matières et de capitaux de
façon à optimiser l’exploitation de ces ressources et d’en minimiser l’impact sur l’environnement
(Graedel et Allenby, 1995; Chertow, 1998). L’écologie industrielle constitue également une tentative de
mettre en œuvre les principes de développement durable (Allenby, 1999a). C’est ainsi qu’elle fonde ses
méthodes sur l’analyse des flux de matière et d’énergie et la conception écologique des produits à partir
de l’analogie avec les écosystèmes naturels (Allenby et Cooper, 1994; Wernick et Ausubel, 1997).
L’écologie industrielle n’est pas à proprement dit une nouvelle discipline en tant que telle, mais elle
pourrait être considérée comme une nouvelle pratique, orientée sur la synergie, et qui fait appel à
plusieurs disciplines traditionnelles qu’elle mobilise (sciences de l’ingénieur, sciences naturelles, sciences
humaines, économie, droit…) en les associant activement à la réalisation d’un même objectif (Van
Doren, 2002).
La mise en œuvre des principes d’optimisation de l’usage des ressources tient compte des trois
niveaux différents : régional ou global, interentreprises et entreprise. Si la dématérialisation caractérise
l’écologie industrielle aux échelles régionale ou globale, l’analyse du cycle de vie des produits et le
développement des symbioses industrielles ou éco-parcs basés sur l’échange des sous-produits
constituent l’essentiel de sa mise en œuvre à l’échelle interentreprises. À l’échelle de l’entreprise, les
pratiques de l’écologie industrielle reposent sur la conception des produits, sur la prévention de la
pollution, sur l’éco-efficience et sur la comptabilité environnementale (Lifset et Graedel, 2002). Les
types d’écologie industrielle selon Boons et Baas (1997) et Andersen (2003) montrent que la
classification des pratiques d’écologie industrielle peut répondre à des critères diversifiés, tels que la
coordination et l’organisation des activités d’écologie industrielle ou les différents niveaux d’analyse et
des changements à introduire dans les systèmes de production et de consommation. La recherche
contemporaine dans le domaine de l’écologie industrielle s’est beaucoup orientée, d’une part, vers la
description des méthodes d’analyse des flux des matières et de l’énergie dans les systèmes de
production et de consommation, et d’autre part, vers le développement d’outils pour la mise en œuvre
de l’écologie industrielle dans une perspective élargie. La figure 3 à la page suivante présente un modèle
intégrateur de la synthèse des éléments fondamentaux de l’écologie industrielle.
88
Figure 3. Modèle intégrateur des éléments fondamentaux de l’écologie industrielle
Analogie biologique
Comprendre les flux de matière et
d’énergie
Conception écologique
des produits
Approche systémique
Stratégies régionales et
globales
Analyse des flux desmatières Dématérialisation Décarbonisation
Bouclage des systèmes productifs
Innovation technologique
Stratégies industrielles
Rôle des entreprises
Éliminer la notion de déchet
Échelle interentreprises
Échelle intra-entreprise
Analyse du cycle de vie Symbioses industrielles Coopération entre entreprises
Conception des produits Prévention de la pollutionÉco-efficience Comptabilité verte
Opérations
89
D’abord, l’analyse des flux de matière et d’énergie dans les systèmes actuels de production et de
consommation repose sur une approche systémique. Étant donné l’étendue de l’analyse, les stratégies
proposées pour comprendre le fonctionnement du flux de matières et d’énergie sont essentiellement
régionales ou encore globales. Ensuite, l’analogie biologique est appliquée dans les systèmes industriels
pour réutiliser et transformer les sous-produits et les déchets industriels dans le but de réaliser le
bouclage des systèmes productifs. La réutilisation et la transformation des sous-produits industriels
reposent sur l’innovation technologique et le rôle que les entreprises sont appelées à jouer dans le
choix des différentes initiatives d’écologie industrielle. Ces initiatives, qui visent l’élimination de la
notion de déchet et de la pollution dans les procédés de production industrielle, peuvent être
appliquées aux échelles interentreprises et intra-entreprise.
La symbiose industrielle de Kalundborg montre la pertinence de l’approche de l’écologie
industrielle, avec entre autres, comme élément central, l’échange des sous-produits industriels basé sur
le développement des chaînes fonctionnelles d’approvisionnement (Seuring, 2004). Le développement
d’une telle structure susceptible de donner une consistance opérationnelle aux principes de l’écologie
industrielle présente cependant plusieurs défis liés aux facteurs conjoncturels qui influencent l’échange
et la transformation des sous-produits dans les systèmes actuels de production. Le développement
rapide que connaît, depuis les années 1990, l’écologie industrielle, tant sur le plan institutionnel que
conceptuel, et l’intérêt que suscitent ses idées séduisantes semblent présenter une vision monolithique
de l’approche de l’écologie industrielle : l’optimisation de l’usage des ressources fonctionne.
Cependant, un regard critique mérite d’être porté sur l’ensemble de la littérature portant sur l’écologie
industrielle.
90
CHAPITRE 3
L’ANALYSE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE SUR L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE
À partir du bilan de ce qui existe dans la littérature sur l’écologie industrielle, le présent chapitre
tente d’évaluer et de critiquer la pertinence des différents éléments sur lesquels se fonde l’approche de
l’écologie industrielle. Ce regard critique porte sur trois points essentiels. En premier lieu, une
appréciation critique des grands courants de pensée en écologie industrielle. Cette démarche permettra,
sur le plan conceptuel, de situer la recherche par rapport à l’un ou à l’autre courant de pensée ou
paradigme de recherche. En deuxième lieu, la présentation des limites de la littérature sur l’écologie
industrielle en mettant un accent particulier sur la présentation des termes ou éléments de base de
l’écologie industrielle. Cette présentation des limites a pour but d’apporter des précisions sur le
positionnement de la présente thèse par rapport aux grands travaux du domaine de l’écologie
industrielle. En troisième lieu, enfin, l’analyse des obstacles de la mise en œuvre de l’écologie
industrielle, en particulier la valorisation résiduelle.
3.1. Les principaux courants de pensée en écologie industrielle
La variété des thèmes abordés en écologie industrielle, la diversité des interprétations et, dans
une grande mesure, le manque de cohérence et de précision dans les efforts d’intégrer des stratégies de
réduction des déchets et de pollution dans les systèmes productifs et dans les mécanismes du marché
qui faciliteraient une meilleure optimisation des ressources (O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996;
Desrochers, 2002) rendent difficile la classification des courants de pensée de façon systématique.
Pourtant, en ce qui touche la présente thèse, cette classification s’avère nécessaire pour deux raisons.
En premier lieu, elle permettrait de mieux comprendre les différentes interprétations des principes de
l’écologie industrielle de manière plus au moins systématique. En effet, au sein d’un champ de
recherche ou d’une discipline, un courant de pensée se développe à partir des caractéristiques distinctes
de l’objet dont on se fait la représentation. Ensuite, cette classification des courants de pensée
permettra de positionner la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle par rapport à
l’un ou l’autre courant ou encore de s’appuyer sur des éléments empruntés de ces différents courants
pour construire le cadre conceptuel de l’étude.
91
Il convient de les appeler « courants de pensée » ou paradigmes de recherche parce qu’ils
représentent différentes conceptualisations de l’écologie industrielle comme domaine d’étude et de
recherche. Quelques auteurs ont tenté de classifier les courants de pensée en écologie industrielle.
L’analyse que présente la section suivante a porté en particulier sur les catégorisations de Opoku
(2004)31 et sur une tentative de catégorisation des courants de pensée centrés sur la valorisation
résiduelle comme pratique d’écologie industrielle.
3.1.1. Les courants de pensée idéologiques selon Opoku (2004)
Les conceptualisations idéologiques de l’écologie industrielle selon Opoku (2004) reposent sur
trois points principaux. D’abord, le développement d’une théorie politique de l’écologie industrielle qui
permettrait de comprendre comment les spécialistes du domaine entendent proposer l’adoption des
mesures politiques ou des actions concrètes visant à introduire des changements dans les modes de
production et de consommation des sociétés actuelles. Ensuite, la compréhension des choix de ces
actions politiques se fonde sur l’analyse des rapports qu’entretiennent les différents acteurs engagés
dans le processus de prise de décisions et leurs intérêts respectifs, sur les institutions ou espaces
d’échanges d’idées dans lesquels ces auteurs militent et sur les conceptions qu’ont les acteurs du flux de
matière et d’énergie. Enfin, la manière de gérer ces différents rapports constitue la base sur laquelle
repose les propositions à faire aux pouvoirs publics dans le but d’introduire des changements
structurels dans les modes de production et de développement. Selon Opoku (2004), ces propositions
supposent des moyens ou instruments de mise en œuvre des changements structurels visés. Ces
instruments peuvent prendre les formes d’outils administratifs ou encore économiques. Par exemple, la
diffusion de l’information portant sur le flux de matière et d’énergie ou encore les campagnes de
sensibilisation de la population aux habitudes de consommation et de préservation des ressources
constituent des illustrations des outils administratifs. Par ailleurs, les mesures incitatives visant
l’adoption de stratégies industrielles d’optimisation de l’usage des ressources sont des exemples d’outils
économiques. Les changements dans les modes de production et de développement proposés
supposent également des stratégies permettant de bien coordonner les actions envisagées.
C’est dans cette vision qui emprunte des éléments des théories des sciences politiques et de la
sociologie que Opoku (2004) propose quatre courants de pensée en écologie industrielle : réformiste
31 Basées en grande partie sur Vorburger (2005).
92
souple, technocratique, radical et pragmatique. Bien que les frontières entre ces approches ne soient
pas claires, les éléments sur lequel repose la base de sa pensée tentent cependant de les distinguer : les
fondements, l’institution promotionnelle, les types d’instruments et les stratégies de mise en œuvre
(tableau 6).
Tableau 6. Courants de pensée idéologique
Perspective politique
Fondements Motivation première Types d’instruments
Stratégies
Reformiste souple
Promotion de l’éco-efficience technique (Graedel et Allenby, 1995; Ayres et Ayres, 2002)
Intérêts des acteurs engagés
Économiques Responsabilité élargie du producteur Ajustements continuels des systèmes dominants
Technocratique
Déterminisme technologique (Allenby, 1999b) Caractère positif ou objectif de l’écologie industrielle
Intérêts des acteurs engagés
Économiques Conception des produitsEfficience des marchés Changements dans les systèmes politiques
Radicale
Changement radical comme nouvel ordre social (Ehrenfeld, 2000) Caractère normatif de l’écologie industrielle Intégration de nouveaux rôles et règles pour tous les acteurs dans la société
Intérêts environnementaux
Administratifs et économiques
Organisations sociales : joints, collaboration, communautés. Changements dans les systèmes politiques
Pragmatique
Perspective holistique (Huber, 2000; Tibbs, 1993; Ayres et Ayres, 1996) Propositions concrètes des politiques publiques
Intérêts environnementaux
Administratifs et économiques
Efficacité de l’usage des matières : suffisance, efficience et cohérence Ajustements continuels des systèmes dominants
Le premier courant de pensée identifié en écologie industrielle selon Opoku (2004) se traduit par
l’approche réformiste souple. Pour les tenants de l’approche réformiste souple (Graedel et Allenby,
1995; Ayres et Ayres, 2002), les actions politiques à entreprendre se fondent essentiellement, du point
de vue méthodologique, sur la promotion des pratiques d’éco-efficience dans les entreprises
industrielles. Comme il a déjà été mentionné, le concept d’éco-efficience est compris sous l’angle de la
93
philosophie de gestion et de direction d’entreprise. Ce qui se rapproche du concept de développement
durable (Keoleian et Menerey, 1994; Ehrenfeld, 1997b). Selon Opoku (2004), l’approche réformiste
souple se centre plutôt sur l’éco-efficience technique - c’est-à-dire sur la réduction d’impacts des
activités industrielles sur l’environnement en prenant appui sur les progrès technologiques - que sur
l’éco-efficience fonctionnelle qui, elle, se centre sur la réduction de ces impacts en tentant de modifier
les habitudes des consommateurs actuels.
Cette vision qui envisage la réduction des impacts des activités industrielles par les moyens des
progrès technologiques est le centre des théories de la modernisation de l’écologie développées dans
les années 1980. Ces théories insistent sur le caractère structurel des problèmes environnementaux et
du développement en général tout en soutenant que des changements significatifs dans le cadre de
l’amélioration des conditions de l’environnement viendraient de l’intégration des considérations
économiques et environnementales dans un projet de société qui vise un développement harmonieux
(Hajer, 1996; Dryzek, 1997). Les discussions sur la réorientation et la conceptualisation de l’écologie
industrielle dans le cadre de l’approche réformiste souple se déroulent au sein de la Commission
mondiale pour l’environnement et le développement. L’intégration des considérations économiques
dans la problématique environnementale suppose donc la modernisation des mécanismes de
l’économie des marchés, ce qui ne pourrait se produire sans la rationalisation de ces mécanismes et
l’introduction de mesures incitatives et donc économiques pour les acteurs industriels. En ce sens,
Opoku (2004) estime que l’approche réformiste souple privilégie d’abord les intérêts des acteurs
engagés. Comme stratégie de mise en œuvre ou de réorientation des pratiques industrielles, l’approche
réformiste souple s’appuie sur les pratiques de responsabilité élargie du producteur. Ces pratiques
constitue une des applications de la notion d’analyse du cycle de vie des produits dans les systèmes
productifs (Lifset, 1993). En somme, Opoku (2004) pense que les stratégies de mise en œuvre
envisagées par l’approche réformiste souple provoqueront des changements ou ajustements dans les
systèmes actuels de production et de consommation.
Le deuxième courant de pensée en écologie industrielle identifié selon Opoku (2004) se traduit
par l’approche technocratique. Pour les tenants de l’approche technocratique, la conceptualisation de
l’écologie industrielle repose sur la vision selon laquelle le monde social est fondamentalement
rationnel et, par conséquent, il est possible de comprendre les structures et le fonctionnement de
l’écologie industrielle par les méthodes scientifiques (Opoku, 2004, p. 323). Cela implique la négation
des considérations idéologiques ou morales associées aux principes de l’écologie industrielle. Cette
94
approche est essentiellement représentée par Allenby (1999) qui considère que l’écologie industrielle
devrait être comprise comme une science positive et non comme une science normative, ce qui se
rapproche beaucoup des considérations portant sur la perspective physico-chimique, tel qu’évoqué
dans le chapitre précédent.
Comme caractéristique principale, l’approche technocratique de Allenby (1999b) met l’accent
sur le déterminisme technologique. Dans cette optique, cet auteur, en réaction à l’article de Boons et
Roome (2001) portant sur l’écologie industrielle comme un phénomène culturel, affirme sa position en
soutenant que la conceptualisation de l’écologie industrielle ne devrait pas reposer sur l’utilisation
partielle ou sélective des données portant sur l’environnement ni sur l’imposition des impératifs
idéologiques aux systèmes réalistes et complexes. Elle devrait plutôt reposer sur une vision objective de
l’ensemble de la problématique environnementale. Allenby (1999a; 1999b) envisage donc que les
progrès technologiques et la conception des produits par la mise en application des théories des
sciences de l’ingénieur sont susceptibles de déboucher sur une meilleure optimisation de l’usage des
ressources. C’est dans ce sens que Allenby (1999b) appuie les théories selon lesquelles les mécanismes
de l’économie du marché apporteront des solutions aux problèmes que se posent les spécialistes de
l’écologie industrielle. Ce qui suppose donc des changements majeurs dans les systèmes politiques
actuels. Allenby (1995; 1999b) utilise ses travaux comme espace de discussion. En effet, comme il a été
déjà mentionné, il est l’auteur, ensemble avec Thomas Graedel, du premier manuel « classique » sur
l’écologie industrielle. C’est dans cet ouvrage que ces auteurs ont proposé le cadre conceptuel et
analytique de l’écologie industrielle tel qu’il a été présenté dans le chapitre précédent. Ce cadre est
considéré par bon nombre de spécialistes comme une contribution importante au développement de
l’écologie industrielle comme domaine d’étude et de recherche. Opoku (2004) estime que l’approche
technocratique fomente les intérêts propres des acteurs.
Le troisième courant de pensée en écologie industrielle identifié par Opoku (2004) se traduit par
l’approche radicale. Bien que l’idée centrale de l’écologie industrielle repose sur l’introduction des
changements dans les systèmes de production et de consommation (Frosch et Gallopoulos, 1989;
Frosch, 1992; Graedel et Allenby, 1995; Allenby, 1997; Erkman, 1998; Lifset et Graedel, 2002) en vue
d’atteindre les objectifs du développement durable (DeSimone et Popoff, 1997), le courant de pensée
radical, représenté par Ehrenfeld (2000), chercheur au Centre de l’écologie industrielle rattaché à
l’Université de science et technologie de Norvège, propose un changement « radical » ou
paradigmatique des modes de production et de développement. L’approche radicale de Ehrenfeld
95
(2000) repose sur la conceptualisation de l’écologie industrielle comme étant une approche normative
qui propose des principes et des métaphores susceptibles de mener l’humanité vers le développement
durable. Ces principes, qui reposent sur les notions de joint (connectedness), de collaboration (cooperation)
et de communauté (community), présentent pourtant des caractéristiques plus au moins opposées par
comparaison avec les éléments actuels des structures sociales dans des économies de marché et des
sociétés industrialisées. Ainsi, le caractère paradigmatique de l’écologie industrielle contraste avec la
façon dont elle est présentée comme science de la durabilité.
Cette vision contradictoire, selon Ehrenfeld (2000), se reflète dans la définition même du
concept de développement durable telle qu’elle est endosée par la Commision mondiale pour
l’environnement et le développement. En effet, cette définition repose sur les principes des théories
économiques néoclassiques. D’abord, ces théories considèrent le bien-être humain au même titre que
les produits économiques et elles prétendent que la croissance économique se produit lorsque les
mécanismes du marché fonctionnent de façon parfaite. Ensuite, elles définissent la rareté en termes de
disponibilité limitée des produits substituts à des prix concurrentiels, sans tenir compte des réalités
matérielles et physiques des facteurs dérivés de la nature d’où proviennent ces produits. Enfin, ces
théories assument qu’avec la croissance de la rareté économique, les innovations technologiques
permettront d’offrir des produits substituts à des prix beaucoup plus concurrentiels (Ehrenfeld, 2000,
p. 232).
Cette remise en question oblige Ehrenfeld (2000) à proposer sa conception du développement
durable. Le développement durable se fonde ainsi sur la possibilité donnée aux hommes et à toute
autre espèce de prospérer pour toujours sur la terre. L’accent est ainsi mis sur les notions de
« possibilité » et de « prospérité ». En ce sens, dans la vision radicale de Ehrenfeld (2000), le point de
démarcation réside dans la possibilité de concevoir et de construire les visions futures. Ce qui implique
que le développement durable oblige les humains à rompre avec les structures d’organisation sociale
actuelles. Comme stratégies de mise en œuvre, Ehrenfeld (2000) s’appuie sur les notions
métaphoriques de joint, de communauté et de collaboration sociale. Comme le soutient Opoku (2004),
bien que Ehrenfeld (2000) n’élabore pas beaucoup sur les types d’instruments pour sa vision de
changement social radical, il est à supposer que la logique derrière cette vision proposera des
instruments à la fois administratifs et économiques. Selon Opoku (2004), l’approche radicale place les
intérêts environnementaux au premier plan dans la restructuration des systèmes politiques. Les
96
stratégies de mise en œuvre proposées sont susceptibles de provoquer des changements majeurs dans
ces mêmes systèmes.
Le quatrième et dernier courant de pensée identifié en écologie industrielle se traduit par
l’approche pragmatique. Selon Opoku (2004), cette approche se traduit par une intégration claire des
politiques publiques et industrielles et de la perspective holistique des questions environnementales.
Opoku (2004) montre, par l’analyse des travaux des tenants de cette approche (Tibbs, 1993; Ayres et
Ayres, 1996; Huber, 2000), que les actions à entreprendre pour introduire des changements dans les
systèmes de production et de consommation exigent une direction cohérente des politiques. En
premier lieu, Tibbs (1993) a souligné la nécessité d’adopter de nouvelles politiques innovatrices qui
nivelleraient de façon cohérente les résultats financiers, économiques et réglementaires à l’échelle
internationale. En deuxième lieu, Ayres et Ayres (1996) ont montré la faisabilité de faire passer des lois
visant à prélever les taxes publiques non pas sur le travail élaboré mais plutôt sur la consommation des
ressources et sur les émissions en termes de pollution comme moyens pour réduire les coûts
opérationnels et augmenter les coûts des matières. Ayres et Ayres (1996) ont ainsi démontré que cette
mesure pourrait avoir des effets bénéfiques avec le temps, en accélérant la croissance par la réalisation
des gains autant par la productivité des ressources que par la productivité du travail. En troisième lieu,
enfin, Huber (2000), prenant appui sur les notions ou stratégies de suffisance, d’efficience et de
consistance, montre comment les principes de l’écologie industrielle tentent d’équilibrer, aux échelles
macro et micro, les modes de production et de consommation. À l’instar de l’approche radicale,
Opoku (2004) estime que cette vision pragmatique place les préoccupations environnementales au
premier plan. Cependant, à l’opposé de la perspective radicale, les stratégies proposées de mise en
œuvre ne favorisent que des ajustements dans les systèmes actuels de production et de consommation.
La démarche suivie par Opoku (2004) pour identifier les différentes conceptualisations de
l’écologie industrielle (réformiste souple, technocratique, radicale et pragmatique) aboutit à
l’énonciation d’une théorie politique de l’écologie industrielle. Cette théorie place le discours portant
sur l’écologie industrielle dans la ligne de la modernisation écologique. Holm et Stauning (2002)
indiquent que la modernisation de l’écologie repose sur le postulat selon lequel les sociétés
industrialisées actuelles pouvent être guidées, à travers les institutions dominantes de l’économie du
marché, des politiques et des cultures, vers une réconciliation avec la nature ou l’environnement. Ainsi,
derrières les conceptualisations de l’écologie industrielle identifiées par Opoku (2004), c’est bien une
question politique qui est posée, face aux stratégies de l’introduction des changements dans les
97
systèmes productifs actuels. Cette question politique tente de débattre, sur le plan philosophique ou
idéologique, la problématique de l’écologie industrielle comme moyen de mettre en œuvre le
développement durable, en analysant le rôle et la place des pouvoirs publics, le rôle et les intérêts des
acteurs engagés dans cette démarche ainsi que les institutions ou espaces publics où militent ces
acteurs. Opoku (2004) reconnaît bien que l’approche technocratique ou positiviste de Allenby (1999a;
1999b) constitue une négation de tout critère idéologique ou moral de l’écologie industrielle et que
l’approche radicale de Ehrenfeld (2000) se fonde sur une nouvelle vision philosophique de la notion
du développement durable. Ainsi, les approches réformiste, technocratique, radicale et pragmatique se
traduisent par des courants de pensée idéologiques de l’écologie industrielle.
La gestion du flux de matière et d’énergie appelle également un autre type d’interpellation : la
question expérimentale face à la transformation des sous-produits et des matières résiduelles qui
transitent dans les systèmes productifs. Cette question expérimentale rappelle que l’écologie industrielle
n’est pas seulement un champ d’étude : elle est aussi un domaine pratique (Boons et Roome, 2001).
D’où les approches centrées sur les pratiques d’optimisation de l’usage des ressources.
3.1.2. Les courants de pensée pratiques d’optimisation des
ressources
Les approches de l’écologie industrielle identifiées par Opoku (2004) reposent essentiellement
sur l’adoption des mesures politiques pour introduire des changements dans les systèmes de
production et de consommation. Bien qu’elles permettent de comprendre les différentes
conceptualisations de l’écologie industrielle comme manière de mettre en œuvre les principes de
développement durable dans une perspective de changement global, elles limitent cependant, dans une
certaine mesure, la compréhension de l’adoption de ces mêmes principes du développement durable
dans les secteurs industriels, en particulier les entreprises. C’est la question expérimentale et
symbiotique qui est posée ici, par opposition à la question politique discutée dans la section
précédente. L’analyse de la littérature a permis d’identifier ainsi trois principaux courants de pensée
d’optimisation des ressources en écologie industrielle : les approches analytiques, environnementales et
stratégiques. Trois éléments principaux permettent de faire la distinction entre ces différentes
approches : les fondements de l’écologie industrielle selon les différents auteurs; les caractéristiques
spécifiques de l’écologie industrielle selon les échelles d’application, et les outils qui permettent de gérer
les différents niveaux d’analyse des pratiques d’écologie industrielle (tabeau 7).
98
Tableau 7. Courants de pensée d’optimisation des ressources
Courants de pensée
Fondements Caractéristiques Outils principaux
Analytiques
Métabolisme industriel (Ayres, 1989a, 1989b; Fischer-Kowalski, 2003) Application des principes d’équilibre des masses et application des lois de la thermodynamique (Diwekar et Small, 2002)
Description quantitative des matériaux Analyse des flux des matières et de l’énergie (AFM) Analyse des flux des substances (AFS)
Indicateurs d’équilibre des masses aux échelles nationale et régionale Indicateurs d’efficience
Environnementaux
Conception écologique de procédés, de produits et de services (Allen, 1993; Paton, 1994; Oldenburg et Kenneth, 1997; Jackson, 2002) La prise en compte des impacts des activités industrielles sur le milieu naturel (Gladwin, 1993; Fischer et Schot, 1993)
Production propre Réduction de la pollution Analyse du cycle de vie des produits
Les principes de précaution, de prévention et d’intégration Indicateurs de performance environnementale Normes de la série ISO 14000 ou EMAS
Stratégiques
Utilisation des résidus comme ressources (Tibbs, 1993; Allen et Behmanesh, 1994; Hart, 1995) Amélioration de la productivité (Esty et Porter, 1998)
Développement des produits Développement des procédés Développement des marchés Compétences clés
Analyse d’inventaires des matériaux Analyse coût-bénéfice Réorganisation du travail
Le premier courant de pensée d’optimisation des ressources identifié se traduit par les
approches analytiques. Pour les tenants des approches analytiques ou techniques et scientifiques,
l’optimisation (et donc l’écologie industrielle) se fonde essentiellement, du point de vue
méthodologique, sur l’analyse positive des quantités de matière et d’énergie qui se déplacent dans les
systèmes de production et de consommation. Cette vision se rapproche beaucoup du métabolisme
industriel (Fischer-Kowalski, 2003). À ce titre, Ayres (1989a, 1989b) soutient que comprendre la
structure et le fonctionnement du métabolisme industriel ou sociétal constitue le noyau de l'écologie
industrielle. L’analyse des flux des matières et de l’énergie qui constitue le centre de l’écologie
99
industrielle dans la vision technique et scientifique prend les formes d’analyse des matériaux (Bringezu
et Moriguchi, 2002), du flux de substances (van der Voet, 2002), de comptabilité physique input-output
(Bartelmus, 2002), d’analyse du cycle de vie des produits (Udo de Haes, 2002) et d’évaluation d’impacts
environnementaux (Steen, 2002). Ces différentes formes d’analyse appliquent les principes d’équilibre
des masses et les lois de la thermodynamique qui sont bien connus des scientifiques et des ingénieurs
(Diwekar et Small, 2002).
En tenant compte de la nature des outils utilisés pour l’analyse des flux des matières et de ses
variations, les approches analytiques privilégient les interactions entre le flux des matières qui transitent
par des entreprises et régions géographiques (Bringezu, 2002; Rogich et Matos, 2002; Smil, 2002;
Moriguchi, 2002; Durney, 2002). Ces approches utilisent des indicateurs d’équilibre des masses et
d’efficience aux échelles nationales et régionales comme outils principaux d’analyse. Si l’on tient
compte des pratiques d’optimisation de l’usage des ressources dans les entreprises industrielles, il faut
toutefois souligner que les approches analytiques présentent quelques limites. Premièrement, ces
approches analysent les matériaux qui transitent dans les systèmes de production et de consommation
dans une vision élargie (Erkman, 1998). Elles appliquent l’écologie industrielle au niveau régional et par
pays (Moriguchi, 2002; Durney, 2002; Schandl et Schulz, 2002). Deuxièmement, les méthodes utilisées
nécessitent des investissements coûteux en équipements de laboratoire et en personnel qualifié
(scientifiques et ingénieurs de haut niveau) que les entreprises individuelles ne sont pas en mesure de
payer. Enfin, les analyses faites dans le cadre de l’analyse des flux des matières semblent ne pas tenir
suffisamment compte des interactions et des autres facteurs qui influencent le flux des matières et de
l’énergie. Plus concrètement, elles ne considèrent pas les implications directes au niveau de la gestion
des entreprises individuelles ni les enjeux socio-économiques et environnementaux qui y sont souvent
associés. En outre, la vision élargie de l’analyse des flux des matières semble négliger le rôle que
doivent jouer les entreprises dans le développement de l’écologie industrielle. La présente thèse
considère en effet les entreprises individuelles comme les unités d’action par excellence des pratiques
de récupération et de transformation des sous-produits. En ce sens, l’optimisation de l’usage des
ressources ne saurait se réduire aux seules approches technologiques et scientifiques. Plus encore, le
management comme domaine d’étude et de recherche apporterait une contribution importante à ce
développement.
Le deuxième courant de pensée identfiié relativement à l’optimisation des ressources se traduit
par les approches environnementales. Pour les tenants des approches environnementales,
100
l’optimisation de l’usage des ressources se fonde méthodologiquement sur la nouvelle conception de
procédés, de produits et de services (Allen, 1993; Paton, 1994). Comme caractéristique principale, ces
approches mettent l’accent sur la production propre, qui se traduit par la prise en compte des impacts
des activités industrielles sur le milieu naturel (Gladwin, 1993; Fischer et Schot, 1993). Dans cette
optique, l’optimisation de l’usage des ressources prend les formes d’amélioration de l’efficience, de
substitution des matières polluantes utilisées dans les procédés par d’autres qui le sont moins, et de
récupération et d’utilisation des résidus industriels et ménagers (Jackson, 2002). Cette approche de
« cleaner production » tente d’apporter une vision globale d’analyse, contrairement aux visions
réductionnistes des approches environnementales développées dans les années 1980 (Bishop, 2000).
En ce sens, elle se définit comme « une application continue de la stratégie intégrée et préventive des
procédés, des produits et des services dans la poursuite des bénéfices économiques, sociaux, de santé,
de sécurité et environnementaux » (Jackson, 2002, p. 38). Cette vision globale inclut, à part la
prévention et la réduction de la pollution à la source, l’analyse de cycle de vie, la réduction des déchets
et les principes de développement durable.
Ainsi, ces approches utilisent comme outils d’application les principes de précaution, de
prévention et d’intégration (Jackson, 2002). Le principe de précaution vise la mise en place des
mesures réglementaires en vue de minimiser les causes potentielles de risque et de pollution des
activités de production industrielle. Le deuxième principe repose, en grande partie, sur la prévention de
la pollution et des risques écologiques associés aux activités de la production industrielle. Le principe
d’intégration tient compte de l’ensemble des flux de matière et d’énergie étant donné que la vision de la
« production propre » est d’analyser et de prévenir toutes les émissions durant le cycle de vie des
produits. Ceci concerne l’extraction des matières, la transformation et la production, la distribution,
l’usage ou la consommation, la réutilisation ou le recyclage et la dernière mise au rebut (Jackson, 2002).
Sur le plan opérationnel, les approches environnementales privilégient les niveaux
interentreprises et entreprise d’application des outils d’optimisation de l’usage des ressources. La mise
en application des trois principes de prévention, de précaution et d’intégration est très complexe et cela
dépend beaucoup des secteurs d’activités. Mais comme le soutient Jackson (1993, 1996), il y a
cependant deux stratégies qui se démarquent : l’amélioration de l’efficience (von Weizsäcker, Lovins et
Lovins, 1997) et la substitution des matières (Verschoor et Reijnders, 2000). Ces deux stratégies
peuvent être mises en application à des niveaux différents au sein des entreprises industrielles. Les
techniques utilisées se traduisent en particulier par le cycle de vie des produits, la catégorisation des
101
substances et des produits, la comptabilité des matières, les audits de déchets et l'intégration des coûts
environnementaux (Oldenburg et Kenneth, 1997).
L’amélioration de l’efficience repose sur des actions qui visent principalement à minimiser les
impacts environnementaux des procédés, des cycles des produits et des activités économiques, en
réduisant les flux de matière dans ces mêmes procédés, cycles et produits. Au niveau des procédés, les
actions s’orientent vers le processus du « redesign » des procédés en vue de boucler les systèmes
productifs, vers la construction des installations pour mieux entreposer les matières premières, vers le
traitement amélioré des matières dans le but de prévenir tout accident, vers la mise sur pied de
programmes corporatifs d’action, etc. Dans les années 1970-1980, les entreprises américaines 3M (avec
le programme Pollution Prevention Pays), Dow Chemical et Dupont ont mené de vastes campagnes de
sensibilisation, ce qui leur a permis d’économiser quelques millions de dollars par année (Isaak, 2002).
Au niveau des produits, « l’analyse de cycle de vie » transpose les principes de l’optimisation de
l’usage des ressources au niveau des différentes étapes de la vie d’un produit, du berceau à la tombe
(Ehrenfeld, 1997a; Frankl, 2002). Ce concept a débouché sur diverses applications, notamment
l’analyse et la gestion de la chaîne des produits (Wisberg et Clift, 1999), la politique intégrée des
produits (Jackson, 1999), le management « vert » de la chaîne de fournisseurs (Sarkis, 1995) et la
responsabilité élargie du producteur (Lifset, 1993).
Les approches environnementales de l’optimisation de l’usage des ressources sont centrées
principalement sur le design des produits et des procédés. Ceux-ci devraient être propres, écologiques.
Les résultats de ces approches peuvent aider à mieux résoudre les problèmes liés à la pollution et au
risque écologique dans les systèmes de production et de consommation. Cependant, ces approches
présentent certaines limites. Celles-ci se traduisent par la perspective élargie des questions
environnementales, par l’accent mis sur les entreprises industrielles chimiques et par le caractère
juridique et positif des actions à entreprendre.
Les principes de précaution, de prévention et d’intégration sur lesquels se fondent les approches
environnementales de l’optimisation de l’usage des ressources ont une perspective élargie des questions
écologiques. Bien qu’Oldenburg et Kenneth (1997) soutiennent que la « production propre » vise la
planification des procédés des entreprises individuelles, certaines actions relèvent de l’analyse
sectorielle et régionale (cycle de vie des produits du berceau à la tombe). Ces actions font appel à des
102
spécialistes de haut niveau (chimistes et ingénieurs). À ce titre, ces approches semblent se focaliser sur
les seules entreprises industrielles chimiques. Les autres secteurs d’activités (non chimiques) sont
quelque peu négligés.
Le principe de précaution a une forte orientation juridique. Les gouvernements doivent jouer un
rôle d’assistance technique (Oldenburg et Kenneth, 1997), ce qui rend très complexe l’interprétation de
certaines réglementations, surtout à l’échelle interrégionale. À l’instar des approches
technoscientifiques, les approches environnementales mettent également l’accent sur l’analyse physique
et chimique des substances qui transitent dans les systèmes de production et de consommation.
Les approches techniques, scientifiques et environnementales (production propre) partagent
beaucoup d’éléments communs. Les frontières entre les deux ne semblent pas encore bien tracées, à tel
point que les deux approches se réclament du concept d’écologie industrielle. Mais aux yeux de Lifset
et Graedel (2002), tandis que la « production propre » fait de la notion de risque le fondement de ses
actions, l’écologie industrielle, quant à elle, se fonde sur l’optimisation de l’usage des ressources dans
les flux de matière et d’énergie. Ce dont se réclament aussi les spécialistes de la « production propre ».
Le troisième courant de pensée d’optimisation des ressources identifié se traduit par les
approches stratégiques. Les approches stratégiques reposent, d’une part, sur le postulat selon lequel les
principes d’écologie industrielle appliqués au niveau des entreprises (par opposition aux niveaux
régionaux et globaux) représentent un moyen d’améliorer la productivité et le niveau de concurrence
(Esty et Porter, 1998) et, d’autre part, sur le principe suivant lequel il est possible d’utiliser les sous-
produits comme sources potentielles de matières premières dans les procédés de fabrication
industrielle (Allen, 1993; Allen et Behmanesh, 1994; Hart, 1995; Obernberger et Narodoslawsky, 1997;
Allen, 2002). Ces approches établissent le lien direct entre l’optimisation de l’usage des ressources et
l’amélioration de la productivité.
L’utilisation des sous-produits industriels comme matières premières présente des opportunités
d’affaires (Tibbs, 1993), ce qui intéresse de nombreux industriels et certaines instances
gouvernementales (Boiral et Croteau, 2001b). D’une part, cela présente des alternatives dans la quête
de solutions aux problèmes de gestion d’énormes quantités de déchets générés chaque année par
l’industrie. D’autre part, utiliser les sous-produits industriels ouvre des voies vers des stratégies
organisationnelles. Celles-ci se traduisent par un processus de positionnement dans un environnement
103
concurrentiel et par un processus d’implantation de mesures qui permettent de soutenir efficacement
cette concurrence (Jauch et Osborn, 1981; Bantel et Osborn, 1995). En effet, les responsables
d’entreprises, en utilisant les sous-produits comme intrants principaux dans leurs procédés de
production industrielle, cherchent à améliorer les performances et à maîtriser certains coûts, ainsi qu’à
se différencier sur les marchés et à répondre aux exigences de nombreux acteurs (Bansal et Roth, 2000;
Preston et Sayin, 2000; King et Lenox, 2001).
Le contexte précis dans lequel évoluent les entreprises, les capacités internes de chacune, la
nature et les préoccupations des responsables, la nécessité de créer un avantage concurrentiel (Hafsi et
Toulouse, 1996) constituent quelques-uns des éléments de l’analyse des approches stratégiques. Il
apparaît que l’identification du potentiel des sous-produits industriels sert de point de départ pour la
formulation d’une stratégie d’entreprise. Cette identification s’apparente à la reconnaissance de
l’opportunité selon Lumkin, Hills et Shrader (2001). La stratégie est définie ici comme le processus
consistant à positionner l’organisation dans un environnement concurrentiel et à implanter les mesures
qui lui permettent de soutenir efficacement cette concurrence (Jauch et Osborn, 1981).
L’une des idées centrales des approches stratégiques est exprimée par la logique
« gagnant-gagnant ». L’incorporation des questions environnementales dans les pratiques de gestion
(Shrivastava, 1995a; Curcio et Wolf, 1996) ou dans le cadre de l’optimisation des ressources
disponibles ainsi que l’utilisation des déchets comme matières premières apportent des bénéfices aux
entreprises tant sur le plan commercial qu’environnemental (Esty et Porter, 1998). Le développement
des compétences clés (Prahalad et Hamel, 1990) ou encore des compétences organisationnelles basées
sur les ressources (Wernerfelt, 1984; Barney, 1991) constituent des outils de mise en application de
cette logique. Ce développement prend les formes de conception des produits « verts » en prenant
appui sur l’analyse d’inventaires, l’amélioration de produits et de procédés, l’analyse « coût-bénéfice » et
la réorganisation des processus d’affaires (Van Barkel, Willems et Lafleur, 1997). Comme le soulignent
Rugman et Verbeke (1998), le développement de ces compétences requiert des efforts supplémentaires
de la part des gestionnaires, ce qui peut prendre plusieurs années. Ce développement des compétences
repose sur le processus d’apprentissage de nouvelles façons de faire (Argyris et Schön, 1978).
La question qui mérite d’être posée est celle de savoir si les stratégies développées pour utiliser
les sous-produits comme matières premières sont motivées en premier lieu par la logique de profits à
réaliser ou par l’amélioration des performances environnementales. Des études empiriques sur cette
104
question concluent que la logique « gagnant-gagnant » se centre davantage sur « l’écologisation » des
marchés (c’est-à-dire la production de produits écologiques et la promotion de ceux-ci auprès des
consommateurs) que sur l’amélioration des écosystèmes naturels; que les résultats des compétences
commerciales sont difficiles à garantir; et que les exemples évoqués pour illustrer la mise en œuvre des
stratégies environnementales correspondent de plus en plus à de grandes corporations. L’approche
stratégique se présente donc, dans son ensemble, comme une capitalisation de la problématique
environnementale au profit des seuls intérêts des entreprises (Levy, 1997; Banerjee, 2001; Kitzman,
2001; King et Lenox, 2001). Il apparaît pertinent d’analyser, dans cette logique de productivité, les
efforts des entreprises dans l’harmonisation de l’économie et de l’écologie de l’entreprise.
Comme précédemment mentionné, l’usage des sous-produits industriels en vue d’améliorer les
performances commerciales intéresse particulièrement les dirigeants d’entreprises. La révision et
l’appréciation critique des travaux portant sur les sous-produits comme matières premières (Finster,
Eagan et Hussey, 2001; Guide, Teuter et van Wassenhove, 2003; Geyer et Jackson, 2004) montrent
que trois actions stratégiques caractérisent en particulier les entreprises qui font de l’écologie
industrielle : récupérer les matières résiduelles rentables sur le plan économique, inventer et améliorer
les procédés pour les transformer, et améliorer les relations avec les différents partenaires
commerciaux.
La rentabilité commerciale des matières résiduelles et la valeur commerciale acceptable du
produit fini fabriqué à partir de ces matières sont parmi les critères qui motivent les entreprises à
choisir les sous-produits à récupérer et à transformer. Ensuite, vient, comme critère, le succès
opérationnel et technique. Enfin, la réussite dans les relations avec les filières de récupération. Les
exemples de valorisation résiduelle déjà mentionnés ainsi que les entreprises Solplast (recyclage du
polyéthylène et du polypropylène) et Option Métal Recyclé en sont des illustrations. Ces facteurs
aident à mieux comprendre le courant stratégique des pratiques d’écologie industrielle et, en particulier,
la récupération et la transformation des sous-produits industriels. La présente thèse s’inscrit dans ce
dernier cadre.
105
3.2. Les limites de la littérature sur l’écologie industrielle
Après cette tentative de catégorisation des différents courants de pensée en écologie
industrielle, en particulier l’optimisation de l’usage des ressources dans les procédés productifs, il
convient maintenant de porter un regard critique sur la littérature portant sur l’écologie industrielle.
L’appréciation critique présentée porte en particulier sur la définition des termes utilisés en écologie
industrielle. Lors de la révision de grands travaux portant sur les concepts de base de l’écologie
industrielle (Frosch et Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992; Allenby et Cooper, 1994; Graedel et Allenby,
1995; Allenby, 1999; Lifset et Graedel, 2002), nous nous sommes heurtés à certaines questions sous-
jacentes à la compréhension de ces termes et à l’extension de leur application dans divers secteurs
industriels. Si ces termes tentent de définir cette dernière comme domaine d’étude et de recherche, ils
présentent cependant certaines limites liées, en particulier, à l’élasticité, à l’abstraction de ces termes et à
la difficulté de tracer les frontières entre ce qui est écologie industrielle et ce qui ne l’est pas.
3.2.1. Manque de définitions rigoureuses
En premier lieu, la plupart des termes utilisés en écologie industrielle que nous avons étudiés
manquent de rigueur et, par conséquent, peuvent être interprétés de façon très élastique (O’Rourke,
Connelly et Koshland, 1996). Cette polysémie tient de la diversité des mesures et des pratiques
d’optimisation de l’usage des ressources dans divers secteurs industriels (Den Hond, 2000). Afin de
mieux comprendre ce manque de définitions rigoureuses, il convient de montrer clairement en quoi
consiste le manque de précision du sens de certains termes utilisés en écologie industrielle.
- L’analogie biologique est définie comme un rapport de ressemblances entre les systèmes de
production industrielle et de consommation et les écosystèmes naturels (Frosch, 1992). Cette
définition est tellement large qu’il est difficile de saisir la réalité ou l’idée qu’elle représente.
L’analogie biologique est-elle synonyme de bouclage des systèmes productifs, de mimétisme
écologique ou encore d’éco-parcs industriels? Ou s’agit-il des applications de l’analogie
biologique? Quels sont les différents types de ressemblances entre les systèmes actuels de
production industrielle et de consommation et les écosystèmes naturels? Voilà quelques-unes
des questions que soulève le manque de rigueur de la définition du concept d’analogie
biologique.
106
- La perspective systémique n’est pas clairement définie dans la littérature. Lifset et Graedel
(2002, p. 6) tentent de la présenter ainsi : « Industrial ecology emphasizes the critical need for a
systems perspective in environmental analysis and decision making ». S’agit-il d’un concept de
base d’une discipline scientifique comme le présentent Lifset et Graedel (2002) ou d’une
approche particulière d’analyse des flux des matières et de l’énergie avec de multiples
applications telles que l’analyse de cycle de vie de produits? Quel est le lien entre la perspective
systémique et le métabolisme industriel? Sont-ils des synonymes ou des applications séparées
de l’analogie biologique?
- L’innovation technologique n’a pas de définition claire non plus. Ici encore, la réalité à laquelle
ce terme se réfère est mieux comprise par l’analyse de quelques-unes de ses applications, en
particulier la nouvelle conception des produits design for environment qui paraît être assez bien
définie. Si l’innovation technologique désigne en premier lieu la nouvelle conception des
produits, pourquoi alors ne pas parler de nouvelle conception des produits plutôt que
d’innovation technologique qui renvoie à plusieurs réalités à la fois?
- Il en est de même pour le rôle des entreprises dans le développement de l’écologie industrielle.
Tel que présenté dans la littérature, le rôle que les spécialistes de l’écologie industrielle
entendent être joué par les entreprises renvoie plus à une attitude à adopter et donc à une
condition structurelle de réussite ou de gestion de l’écologie industrielle. Ce rôle n’est pas
clairement défini.
- La dématérialisation apparaît comme le concept le mieux défini parmi ceux présentés (Lifset et
Graedel, 2002) comme éléments de base de l’écologie industrielle. La dématérialisation comme
processus qui vise l’utilisation, dans les différents procédés de production, de la quantité et de
la qualité d’intrants nécessaires (matière et énergie) en tenant compte de l’efficacité et de
l’utilité des produits, des services à obtenir et des impacts de ceux-ci sur l’environnement
(Lifset et Graedel, 2002) renvoie à l’une des caractéristiques principales de l’écologie
industrielle comme domaine d’étude et de recherche. En ce sens, la dématérialisation prend la
forme d’éco-efficience à l’échelle de l’écologie industrielle dans l’entreprise.
3.2.2. Concepts abstraits
En deuxième lieu, certains termes utilisés comme éléments de base en écologie industrielle
renvoient à des concepts très abstraits. Le concept d’analogie biologique, par exemple, a été l’objet de
107
plusieurs discussions entre les spécialistes pour approfondir sa pertinence et justifier l’analogie entre les
secteurs industriels et les écosystèmes naturels, l’idée à la base même du concept d’écologie industrielle.
Ehrenfeld (2003), en établissant une nette différence entre une analogie et une métaphore, soutient que
ces deux notions ont été utilisées à tort et à travers en écologie industrielle. Selon lui, il convient de
reconnaître que sur le plan conceptuel et sur le plan pratique, l’équilibre et la ressemblance avec les
écosystèmes naturels ne sont pas assurés. Il serait donc pertinent de concevoir un autre modèle
d’analyse des questions environnementales et industrielles étant donné la complexité des deux systèmes
(industriel et écologique), qui présentent à la fois des éléments communs et des éléments qui les
séparent profondément.
Cette conclusion d’Ehrenfeld (2003) démontre une fois de plus le niveau d’abstraction des
concepts utilisés en écologie industrielle. Comme le soulignent O’Rourke, Connelly et Koshland
(1996), l’écologie industrielle est un ensemble cohérent de concepts, mais pas encore un corpus
théoriquement constitué.
3.2.3. Délimitation des frontières de l’écologie industrielle
En troisième lieu, la façon dont la plupart des termes fondamentaux de l’écologie industrielle
sont présentés ou encore définis actuellement rend difficile la délimitation de ses frontières (Lifset et
Graedel, 2002; Den Hond, 2000). En effet, l’intérêt que suscite l’écologie industrielle dans divers
milieux et la diversité des opportunités de l’optimisation de l’usage des ressources donnent lieu à la
multiplicité des concepts et des pratiques associées à l’écologie industrielle. Ceux-ci se traduisent en
particulier par le « bouclage des systèmes productifs », l’« analyse des flux de matière et d’énergie »,
l’« analyse du cycle de vie des produits et des procédés », le développement des « réseaux d’échange des
déchets entre entreprises », ainsi que la « dématérialisation et la transmatérialisation » des économies.
Étant donné que l’écologie industrielle analyse les questions touchant l’environnement, l’industrie et la
société (Graedel et Allenby, 1995; Socolow et al., 1994), la question est de savoir si tout effort relevant
de l’économie des ressources, du droit environnemental ou de l'ingénierie industrielle constitue une
composante de l’écologie industrielle. Où commence et où se termine l’écologie industrielle? Cette
question de délimitation des frontières de l’écologie industrielle renvoie à celle de manque de clarté
dans les objectifs mêmes de la discipline évoquée par O’Rourke, Connely et Koshland (1996).
108
L’écologie industrielle est à la fois une vision du développement durable, un domaine d’étude et
de recherche et une source d’inspiration pour des initiatives opérationnelles dans les systèmes de
production et de consommation (Rajeski, 1997; Erkman, 1998; Den Hond, 2000). Elle présente une
vision large de la problématique environnementale et tente d’offrir des pistes de solutions pour réduire
les impacts des activités industrielles sur l’environnement. En même temps, il convient de souligner le
fait que l’écologie industrielle présente des facettes différentes quant à son interprétation et à sa
compréhension comme approche du développement durable.
Comme déjà mentionné, la présente recherche entend se centrer sur la valorisation résiduelle
comme pratique d’écologie industrielle. La compréhension des fonctionnements de l’utilisation des
sous-produits industriels dans les procédés productifs permettra de répondre aux lacunes ci-dessus
identifiées en proposant de bien définir la valorisation résiduelle, de donner une plus grande précision
dans l’emploi des termes associés à la valorisation résiduelle et de cerner les limites de celle-ci.
La section suivante transposera l’analyse critique de la littérature sur l’écologie industrielle vers
une autre dimension : celle des obstacles liés à sa mise en œuvre comme manière d’appliquer les
principes du développement durable. Si l’écologie industrielle présente des obstacles à sa mise en
œuvre, ceux-ci sont encore très peu explorés dans la vaste littérature sur l’écologie industrielle et, de
façon précise, la valorisation résiduelle.
3.3. Les obstacles à l’écologie industrielle
L’un des points sensibles de l’approche de l’écologie industrielle repose sur la question de savoir
dans quelles mesures on peut réaliser le bouclage des systèmes productifs à l’exemple de Kalundborg
et donc introduire des transformations profondes dans les systèmes actuels de production et de
consommation à l’image des écosystèmes naturels (Frosh et Gallopoulos, 1989). Ce qui conduit à
l’analyse des obstacles éventuels que présente la démarche d’une telle envergure aux échelles nationale
ou régionale, interentreprises et intra-entreprise. Les obstacles ou freins de l’écologie industrielle se
traduisent par l’ensemble des situations diverses externes et internes dans le temps et dans l’espace qui
tentent d’empêcher ou qui s’opposent directement ou indirectement à la mise sur pied des initiatives
viables de valorisation résiduelle. Frosch (1992) montre que les changements profonds dans les
systèmes de production proposés par les spécialistes de l’écologie industrielle, en particulier la
valorisation résiduelle, ne peuvent avoir lieu sans la flexibilité des mécanismes sociétaux sur lesquels se
109
fondent les systèmes économiques actuels. Cette vision montre simplement que les spécialistes de
l’écologie industrielle reconnaissent que les changements dans les systèmes de production et de
consommation devraient être accompagnés de changements dans les structures sur lesquelles repose
l’optimisation de l’usage des ressources. Cependant, l’abondante littérature sur l’écologie industrielle
insiste très peu sur les obstacles à sa mise en œuvre. Il apparaît important de souligner ici que le fait de
reconnaître que la mise en œuvre de l’écologie industrielle présente des obstacles ne signifie pas sa
remise en cause comme approche de développement durable comme ont tenté de démontrer quelques
auteurs, en particulier O’Rourke, Connelly et Koshland (1996) ainsi que Desrochers (2000).
Bon nombre d’études ont tenté d’aborder la question des obstacles à la mise en œuvre de
l’écologie industrielle dans des perspectives diverses (Lifset, 1993; Allen, 1993; Esty, 1994; Frosch,
1996; Allenby, 1997; Wernick et Ausubel, 1997; Malcolm et Clift, 2002; Geyer et Jackson, 2004). Si la
plupart de ces travaux ont identifié les facteurs qui contribuent à freiner l’adoption des pratiques
d’écologie industrielle, très peu ont défini avec soin les obstacles particuliers et ont proposé des
mesures nécessaires pour les surmonter. Les sections suivantes présentent l’essentiel de ces obstacles.
Une façon de les ordonner serait de les classifier selon les obstacles d’ordre technique, structurel,
socioculturel et institutionnel. Le tableau 8 à la page suivante présente l’essentiel des obstacles à
l’écologie industrielle.
3.3.1. Les obstacles d’ordre technique
Les obstacles d’ordre technique portent sur l’impossibilité physique de mettre en œuvre les
initiatives de l’écologie industrielle. Selon Allen (2002), ceux-ci se traduisent essentiellement par le
manque d’information sur les sous-produits, le manque d’infrastructure de recyclage, les
réglementations en vigueur ainsi que les limites technologiques. Le manque de données fiables se situe
à trois niveaux : au niveau de l’analyse de la composition chimique et physique des matières, au niveau
de la quantité disponible et au niveau de la localisation géographique de ces matières. Par ailleurs,
l’information sur le flux des matières résiduelles ne sera disponible que s’il existe des infrastructures de
récupération et de recyclage au sein de l’industrie. Enfin, les réglementations environnementales
(méconnaissance, interprétation inadéquate et inflexibilité) constituent également des obstacles
techniques pour l’utilisation des sous-produits dans les entreprises industrielles.
110
Tableau 8. Obstacles à l’écologie industrielle
Techniques Structurels Socioculturels Institutionnels
Manque de données sur les sous-produits : composition physique et chimique, quantité et localisation géographique (Allen, 2002) Manque d’infrastructure de recyclage (Allen, 2002) Manque de technologies appropriées (Allen, 2002)
Manque de marché pour l’échange et la commercialisation des sous-produits (Wernick et Ausubel, 1997) Manque d’information sur les sous-produits pour bien fixer les prix (Allen, 1993, 2002; Sharft et al., 1997; O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996; Kneese, 1998) Manque de motivation pour améliorer et développer les pratiques d’écologie industrielle (Wernick et Ausubel, 1997; Jackson et Clift, 1998)
Discours, perceptions et attitudes des populations face aux projets d’écologie industrielle (Lash, Szerszynski et Wynne, 1996) Manque de formation aux valeurs écologiques (Eder, 1996) Manque de communication entre l’entreprise et la communauté (Van Oss et Pandovani, 2002, 2003).
Aspects réglementaires Manque de flexibilité des réglementations environnementales (Esty, 1994; Graedel et Allenby, 1995; Chertow et Esty, 1997; Frosch, 1997; Allenby, 1999a) Classification des matières résiduelles Graedel et Allenby, 1995; Frosch, 1997; Allen, 2002; Malcolm et Clift, 2002) Limites des normes et réglementations environnementales (Esty, 1994; Graedel et Allenby, 1995; Chertow et Esty, 1997; Allenby, 1999a) Aspects juridiques Manque de flexibilité des politiques juridiques-responsabilité légale et solidaire (Esty, 1994; Graedel et Allenby, 1995; Frosch, 1997) Pratiques d’antitrust (Esty, 1994; Graedel et Allenby, 1995; Frosch, 1997)
Les conclusions des études portant sur la récupération et le recyclage des matières plombifères
et les résidus industriels à base de nickel montrent des résultats intéressants en ce a trait au
développement du recyclage de ces matières (Steele et Allen, 1998; Allen, 2002). Les matières
plombifères, en particulier les batteries au plomb-acide, sont récupérées assez facilement et acheminées
vers les centres de recyclage parce qu’il existe des réseaux structurés de récupération et de transport de
111
ces matières. Par contre, les matières contenant le nickel ne sont pas encore largement recyclées à
cause, justement, du manque de réseaux de récupération, de procédés techniques et d’équipements
nécessaires. À l’instar des matières résiduelles à base de nickel, de nombreux secteurs industriels
manquent encore des technologies nécessaires qui leur permettraient de récupérer et de valoriser bon
nombre de types de résidus (Allen, 2002).
3.3.2. Les obstacles d’ordre structurel
Les obstacles d’ordre structurel portent sur la planification, l’organisation et l’intégration des
activités liées à l’optimisation de l’usage des ressources dans les pratiques des entreprises industrielles.
Trois obstacles d’ordre structurel peuvent se dégager de l’ensemble des obstacles liés à l’écologie
industrielle. En premier lieu, le manque de marchés pour la commercialisation des résidus industriels.
L’optimisation de l’usage des ressources, en particulier la valorisation des résidus et des sous-produits,
repose sur la vitalité de l’échange et de la commercialisation de ces résidus et sous-produits industriels.
L’absence de structures fonctionnelles pourrait entraver le développement de ces espaces publics sur
lesquels reposent les initiatives de récupération des résidus (Wernick et Ausubel, 1997). Il existe des
exemples de ces marchés, en particulier le Chicago Board Of Trade (CBOT), le National Materials Exchange
Network (NMEN), le Global Recycling Network (GRN) ou encore l’organisme Recyc-Québec. Cependant,
beaucoup de secteurs industriels ne bénéficient pas encore des structures fonctionnelles qui
permettraient de faciliter la récupération des résidus industriels.
Le deuxième obstacle d’ordre structurel est lié au manque d’information sur les résidus ou
encore les sous-produits industriels. De l’avis de spécialistes tels qu’Allen (1993, 2002) et Sharft et al.
(1997), le manque de données fiables sur les résidus se situe à trois niveaux : au niveau de l’analyse de
la composition chimique et physique des matières, au niveau de la quantité disponible et au niveau de
la localisation géographique de ces matières. Par ailleurs, l’information sur le flux des matières
résiduelles ne sera disponible que s’il existe des infrastructures de récupération et de recyclage au sein
de l’industrie. O’Rourke, Connelly et Koshland (1996) soutiennent que ce manque d’information ne
permet pas aux dirigeants d’entreprise de planifier les activités de valorisation résiduelle et de prendre
des décisions stratégiques portant sur la réduction des coûts souvent associés à la mise en application
des projets d’écologie industrielle. Kneese (1998) pose le problème de restructuration des marchés à
partir d’une perspective économique :
112
Why is interest not more widespread in achieving the benefits seen by industrial ecologists? To an economist, the question is why markets are failing to incorporate on their own the objectives of industrial ecology. The answer is that prices need to be fundamentally restructured so that prices reflect the full social costs of production (Kneese, 1998, p. 10).
Le troisième obstacle d’ordre structurel porte sur l’absence de motivation pour améliorer et
adopter des pratiques de l’écologie industrielle dans les décisions stratégiques des entreprises (Wernick
et Ausubel, 1997). Les changements dans les systèmes de production commencent par une
restructuration des entreprises individuelles. Les stratégies pour introduire ces changements ont
d’abord et avant tout pour point de départ l’unité de production dans l’entreprise individuelle (Diwekar
et Small, 2002). La question fondamentale de l’écologie industrielle, celle de savoir comment rendre
opérationnel le concept de développement durable dans une perspective viable économiquement
(Allenby et Cooper, 1994; Ayres et Ayres, 1996; Graedel, 1996; Allenby, 1999a), trouve en partie sa
réponse dans l’entreprise industrielle. Le manque de structures motivationnelles et de mécanismes
viables pourrait empêcher bon nombre d’entreprises d’adopter et d’intégrer les pratiques de l’écologie
industrielle dans leurs systèmes de gestion (Jackson et Clift, 1998). C’est le cas, par exemple, de
l’intégration de la comptabilité environnementale dans les systèmes comptables financiers
conventionnels ou encore des pratiques de l’éco-efficience.
3.3.3. Les obstacles d’ordre socioculturel
Les projets de valorisation des sous-produits touchent des aspects socioculturels et impliquent,
de façon générale, les populations qui résident dans les alentours des installations industrielles. Ces
populations tendent souvent à s’opposer aux initiatives d’utilisation et de transformation des sous-
produits industriels dans les procédés de production des entreprises installées près des zones
résidentielles ou lorsque le transport des matières résiduelles transitent par ces mêmes zones. C’est
l’attitude ou le syndrome classique du « pas dans ma cour » ou NIMBY (not in my backyard).
Robinson et Brown (2002, p. 25) concluent que les contraintes socioculturelles des activités de
production de l’agrégat naturel et, par voie de conséquence, les pratiques d’écologie industrielle
reposent sur les préoccupations et les perceptions des populations concernant la qualité de vie, la
santé, la valeur de la propriété foncière, la qualité de l’environnement, les règlements de zonage ou les
réglementations environnementales.
113
Comme le montre l’étude empirique menée par Robinson et Brown (2002), les oppositions aux
projets d’écologie industrielle viennent des associations de résidents à l’échelle locale ou encore des
organismes non gouvernementaux (ONG) bien structurés et financés. Ces associations ou organismes
peuvent exercer de fortes pressions sur l’opinion des autorités locales et des élus en matière
d’environnement et de risques associés à celui-ci. Une fois de plus, et comme dans le cas des obstacles
institutionnels, leurs influences modifient et orientent les activités dans les dimensions politiques,
économiques, commerciales, culturelles et sociales de la société (Jamison, 1996). En guise de réponse à
ces multiples pressions et actions des groupes lobbyistes, certains fonctionnaires des gouvernements au
niveau local, provincial ou fédéral peuvent retarder la prise de décisions sur des dossiers touchant les
projets d’écologie industrielle ou encore refuser l’octroi des certificats d’autorisation, comme le
soutient Drew (1999).
Les entreprises industrielles ont la fâcheuse réputation d’être parmi les plus polluantes (Tibbs,
1993). Cette perception est encore amplifiée lorsqu’il s’agit de l’utilisation et de la manutention des
déchets industriels, même si ceux-ci ne représentent aucun danger sur le plan environnemental. C’est le
cas, par exemple, des papeteries dont la plupart ont modifié leurs procédés de production depuis les
années 1980 (la plupart des papeteries utilisent depuis les années 1980 le procédé de désencrage dans la
fabrication des papiers et du papier journal). En fait, l’une des priorités des intervenants en matière
d’optimisation est de travailler à l’élimination des mythes qui entourent la production industrielle ainsi
qu’à la récupération et à la valorisation des déchets.
La perception de la valorisation résiduelle qu’ont les communautés tient également compte du
discours qui traite de ces questions (Lash, Szerszynski et Wynne, 1996). Si ce discours n’est pas clair et
compréhensible pour la population, celle-ci tendra à s’opposer aux initiatives écologiques mêmes si ces
dernières présentent des bénéfices sur le plan environnemental. Le discours sur les questions
environnementales et les actions qui s’y rapportent devrait changer afin de permettre une certaine
transparence entre les entreprises et les communautés (Van Oss et Pandovani, 2002, 2003). En ce sens,
la transformation de la notion de déchet (qui passe de la conception du rebut à celle des ressources à
valoriser) ne devrait pas être limitée à l’usage des seuls responsables industriels. Cette transformation
devrait être comprise et assimilée par la population. Cela signifie que la population comprend ce que
veut dire « déchets comme matières premières » et les implications réelles de l’utilisation des déchets
sur l’environnement et l’économie des entreprises engagées dans cette démarche. Il appert que cette
transformation s’inscrit également dans le cadre de la modernisation écologique. Elle se traduit par la
114
maturité écologique, ce qu’Eder (1996) désigne par la rationalité cognitive, morale et esthétique
inhérente à une culture de la modernité. Ainsi, la maturité écologique devrait permettre une
collaboration basée sur la transparence et l’échange d’informations qui alimentent mutuellement la
communauté et les entreprises industrielles engagées dans la valorisation résiduelle (Den Hond, 2000).
La perception qu’a la communauté des pratiques écologiques oriente bien souvent la collaboration, la
transparence et l’établissement d’un partenariat de longue durée.
3.3.4. Les obstacles d’ordre institutionnel
Les obstacles d’ordres institutionnels touchent de façon particulière les aspects réglementaires et
légaux liés aux pratiques de l’écologie industrielle, en particulier la valorisation résiduelle. Plusieurs
auteurs ont souligné le fait que la mise en œuvre des pratiques d’optimisation doit s’accompagner de
profondes restructurations à l’échelle des gouvernements locaux et nationaux (Esty, 1994; Graedel et
Allenby, 1995; Chertow et Esty, 1997; Allenby, 1999a). Tant au niveau réglementaire que juridique, les
difficultés des pratiques de valorisation résiduelle portent sur le manque d’actualisation et de flexibilité
des instruments de politiques réglementaires et juridiques (Esty, 1994).
Aspects réglementaires
Sur le plan réglementaire, Frosch (1997) souligne que ce manque d’actualisation repose, entre
autres, sur les facteurs suivants : l’origine ou la conceptualisation des normes environnementales, la
classification de nombreuses matières résiduelles, la lourdeur administrative, et l’application différente
ou sévère des normes environnementales selon les secteurs industriels.
Frosch (1997) fait remarquer que la réglementation environnementale en matière de traitement
des déchets aux États-Unis, par exemple, a d’abord été conçue pour trouver des solutions à des
questions spécifiques liées à l’élimination ou à l’enfouissement des déchets. Force est de reconnaître
que dans plusieurs pays industrialisés, la plupart des sous-produits industriels ou matières résiduelles
aujourd’hui valorisées étaient autrefois envoyés aux sites d’enfouissement. Ainsi, la plupart des
réglementations environnementales traitent les questions de valorisation résiduelle ou de recyclage
comme des formes particulières d’élimination des déchets. Au Québec, par exemple, le Programme
d’aide au réemploi, au recyclage et à la valorisation énergétique des pneus hors d’usage a été lancé en
1993. Selon Recyc-Québec, ce programme visait à orienter le flux annuel des pneus hors d’usage vers
115
l’industrie du réchapage, du recyclage et de la valorisation énergétique en favorisant son émergence
tout en diminuant le recours à l’entreposage et à l’enfouissement.
Cette conceptualisation des normes environnementales en matière de recyclage ou de
valorisation résiduelle en termes d’élimination de l’enfouissement a conduit au manque de clarification
des concepts en matière de résidus, de déchets, de déchets dangereux, de déchets toxiques, ou tout
simplement à l’interdiction de les utiliser dans l’un ou l’autre contexte, pour ne citer que ces cas
(Graedel et Allenby, 1995; Frosch, 1997; Allenby, 1999a; Allen, 2002). Ce qui peut freiner la mise en
œuvre des projets intéressants de valorisation selon l’interprétation technique des réglementations
environnementales en vigueur, comme le montre le cas controversé de la classification des chiffons
imbibés de solvant.
For example, the waste classification of a solvent-laden rag used to clean machinery depends on how it was used. If the solvent is poured first on the machinery and then wiped with a clean rag, the rag is a hazardous waste. However, if the solvent is poured first on the rag and then the rag is used to wipe the machinery clean, the rag is not a hazardous waste (Starr et al., 1994, cité dans Frosch, 1997, p. 44).
Ces considerations montrent que la définition des concepts utilisés dans les réglementations
constitue souvent une contrainte pour les initiatives de valorisation résiduelle dans les entreprises
industrielles (Malcolm et Clift, 2002). Au problème du manque de clarification des concepts en matière
de résidus, de déchets, de déchets dangereux ou de déchets toxiques s’ajoute le problème de
l’application de normes rigoureuses et de façon différente selon les secteurs industriels. Au Québec,
par exemple, les stériles miniers de l’industrie de la valorisation résiduelle sont sujet à un contrôle plus
sévère que ne le sont les stériles des sablières et des carrières. Plusieurs études portant sur les obstacles
des pratiques de l’écologie industrielle, en particulier celles de Malcolm et Clift (2002) et de Geyer et
Jackson (2004), concluent que la question réglementaire centrale repose sur deux aspects : d’un côté,
les possibles impacts des activités d’optimisation de l’usage des ressources sur l’environnement, et de
l’autre, la peur de voir les initiatives d’écologie industrielle créer de nouveaux problèmes
environnementaux qui seraient difficiles à contrôler et à gérer. De nombreux exemples de
contradictions dans la mise en application des normes environnementales dans le traitement, la gestion
ou la valorisation des sous-produits montrent donc que, de façon générale, ces réglementations restent
centrées sur l’utilisation des sous-produits industriels comme forme particulière de leur mise au rebut,
116
et non pas assez sur des efforts de compréhension de leur fonctionnalité et des réalités vécues au
niveau des secteurs industriels respectifs (Frosch, 1997).
Aspects juridiques
L’intégration des pratiques d’écologie industrielle dans les structures de production et de
consommation touche, entre autres, des dimensions telles que le commerce, la sécurité,
l’approvisionnement en biens et services et la protection des consommateurs, entre autres (Graedel et
Allenby, 1995; Allenby, 1999a). C’est à ces niveaux que se situent les difficultés légales majeures. Ces
enjeux se traduisent principalement par la responsabilité légale des entreprises génératrices de matières
résiduelles dangereuses, le principe de responsabilité solidaire et les pratiques d’antitrust (Esty, 1994).
Plusieurs auteurs soutiennent que le manque de flexibilité des instruments de politiques
juridiques fait que, de façon générale, les entreprises industrielles optent pour le dépôt définitif des
matières résiduelles dangereuses plutôt que par leur valorisation in situ ou leur échange moyennant
rétribution (Graedel et Allenby, 1995; Frosch, 1997; Allenby, 2002). Ce qui touche de façon précise les
dispositions pénales, c’est-à-dire les amendes en cas d’infraction ou la peine d’emprisonnement. Par
exemple, selon les lois environnementales en vigueur aux État-Unis, en cas de dommages causés à
l’environnement, la responsabilité incombe au premier vendeur des matières résiduelles dangereuses
même si celles-ci ont été transférées à des utilisateurs secondaires ou tertiaires. Ce qui freine les
transactions commerciales des matières résiduelles dangereuses dans plusieurs cas. En plus, la mise en
application du principe de responsabilité solidaire ou joint and several liability rend difficile la
détermination des responsabilités légales environnementales des différentes parties engagées dans un
cas de dommage ou atteinte à l’environnement issu de l’utilisation de matières résiduelles dangereuses.
D’autres chercheurs ont également évoqué le fait que le changement d’une économie basée sur
l’utilisation des produits vers une autre qui repose sur la notion de service (Erkam, 1998) pourrait avoir
comme conséquence fâcheuse la multiplication des pratiques d’antitrust (Graedel et Allenby, 1995;
Frosch, 1997). Les grandes corporations pourraient ainsi exercer leur pouvoir sur les filières de
location ou de distribution de services.
Trouver un équilibre entre les pressions extérieures, les contraintes et la gestion quotidienne des
entreprises implique une kyrielle d’enjeux pour les responsables d’entreprises. Ces enjeux se traduisent
en particulier par l’inscription aux engagements du développement durable, comme le montre Laville
117
(2002) en prenant appui sur de nombreux exemples d’entreprises, telles que Patagonia ou Ben &
Jerry’s, qui ont opté pour des stratégies innovatrices de production; l’assurance de la pérennité des
activités industrielles dans l’utilisation des sous-produits, comme dans les cas déjà cités de Soplast et
Option Métal Recyclé; la création d’emplois dans des secteurs concurrentiels; l’accès à de nouveaux
marchés avec des produits issus des sous-produits tels que les tapis industriels fabriqués à partir des
pneus hors d’usage; et la croissance de ces entreprises en continuant à fabriquer des produits, en
grande partie, à faible valeur ajoutée.
La compréhension du concept d’écologie industrielle sur laquelle repose la présente recherche,
les limites des différents termes qui s’y rapportent, l’esquisse des courants de pensée identifiés en
écologie industrielle ainsi que les obstacles aux initiatives de valorisation des sous-produits industriels
qui viennent d’être présentés et analysés ont réuni les conditions nécessaires pour définir les
paramètres de l’étude. Le prochain chapitre tentera de définir le cadre conceptuel de la présente
recherche sur les mécanismes et le fonctionnement de la valorisation résiduelle.
118
CHAPITRE 4
LE CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE
La valorisation résiduelle a été définie jusqu’à présent comme la mise en évidence des
opportunités d’affaires que représente l’utilisation des divers sous-produits et des diverses matières
résiduelles dans des procédés de production industrielle. Cette définition permet de restreindre la
présente recherche aux seules applications de la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie
industrielle à l’échelle de l’entreprise. Ensuite, le fait que l’utilisation des sous-produits industriels soit
conçue comme une recherche d’opportunités d’affaires (Gungor et Gupta, 1999; Guide, 2000) amène
à fonder la présente recherche sur un corpus de concepts qui tiennent compte non seulement des
matières résiduelles utilisées dans des procédés industriels (Allen, 1993) mais aussi de la gestion des
processus entourant la récupération et l’utilisation de ces sous-produits dans les procédés industriels.
Cette façon de concevoir la récupération et l’utilisation des matières résiduelles dans des procédés
industriels vient des concepts qui ont émergé des premières données recueillies pour cette recherche.
Ces concepts révèlent et repositionnent le rôle de la gestion dans la compréhension de la mise en
œuvre des principes de valorisation résiduelle à l’échelle de l’entreprise (Van Barkel, Willems et Lafleur,
1997; Van Barkel et Lafleur, 1997). En d’autres termes, la valorisation résiduelle repose d’abord et
avant tout sur le choix des actions planifiées de la part des gestionnaires, lesquelles actions cherchent à
maximiser les opportunités d’utilisation des déchets industriels (Esty et Porter, 1998).
Dans un premier temps, ce chapitre sur le cadre conceptuel tâchera de présenter et de définir
l’approche managériale comme étant la perspective de recherche adoptée dans cette thèse. Dans un
deuxième temps, le chapitre tentera de définir les concepts fondamentaux de la recherche.
4.1. La perspective de recherche : approche managériale
La perspective de recherche proposée est l’approche managériale. Tout comme Erkman (1998)
suggère aux épistémologues le développement épistémologique de l’écologie industrielle, la présente
thèse soutient qu’il incombe aux spécialistes du management de développer l’approche managériale de
cette discipline. L’approche managériale de l’écologie industrielle s’entend comme l’analyse critique et
systématique des actions, des décisions et des stratégies des entreprises dans la valorisation des sous-
119
produits industriels, et de leurs implications dans la gestion de celles-ci. Les résultats de cette analyse
critique offrent des outils pour la compréhension, l’enseignement32 et la promotion de l’écologie
industrielle, de même qu’une orientation en matière de politiques liées à la réglementation
environnementale. En ce sens, il apparaît que les analyses de l’approche managériale sont directes,
contrairement aux analyses historico-descriptives des approches technoscientifiques. Van Barkel,
Willems et Lafleur (1997) montrent la pertinence des outils managériaux pour mieux identifier, évaluer,
planifier et (ré)organiser les activités d’écologie industrielle dans les entreprises. Boons et Baas (1997)
soutiennent que les études portant sur les stratégies d’entreprises et sur le comportement
organisationnel pourraient aider à mieux comprendre les structures et le fonctionnement des pratiques
de l’ecologie industrielle.
La façon de procéder pour analyser les mécanismes de valorisation résiduelle dans les entreprises
répond aux critères d’évaluation utilisés en management, comme plusieurs spécialistes le suggèrent
(Emory, 1985; Van Barkel, Willems et Lafleur, 1997; Van Barkel et Lafleur, 1997; Cooper et Schindler,
1998; Zikmund, 2000; Sekarah, 2003). Ainsi, à l’instar des méthodes utilisées dans les approches
« technologiques et scientifiques », l’approche managériale privilégie la traduction et la conversion des
grands thèmes de l’écologie industrielle en un langage accessible et propre au management et au
monde des affaires. Ceci comporte un double avantage. D’une part, le fait de parler le « même
langage » facilite les interactions avec les milieux d’affaires et, d’autre part, cela évite de faire du
développement de l’écologie industrielle une affaire d’universitaires et d’intellectuels moins préoccupés
par ce qui se passe sur le terrain. En outre, cette méthode privilégie la compréhension des points
suivants :
- les stratégies corporatives de transformation des organisations dans la mise en œuvre des
pratiques de récupération et de transformation des sous-produits;
- le choix des outils de mise en œuvre de la valorisation des sous-produits industriels;
- la transition des modes de production vers des formes plus écologiques;
- la demande de biens et services écologiques qui augmente les attentes internes et externes des
dirigeants d’entreprises;
32 La thèse appuie l’introduction de programmes d’enseignement de l’écologie industrielle dans les écoles de
gestion, comme le font déjà quelques universités au Canada, aux États-Unis et en France. Depuis l’essor que l’écologie industrielle a connu dans les années 1990, de plus en plus de programmes sont offerts dans les écoles pour ingénieurs.
120
- l’exigence adressée aux dirigeants de s’inscrire dans le schéma du développement durable;
- la reconnaissance du pouvoir et du rôle que jouent les entreprises dans la transformation des
systèmes de consommation; et,
- l’exemple des modèles opérationnels et de réussite des pratiques d’écologie industrielle.
Certains de ces éléments ont déjà été présentés sous une forme ou une autre par différents
auteurs et diverses organisations qui tentent de favoriser l’essor de l’écologie industrielle, en particulier
la valorisation résiduelle au sein des entreprises. À titre d’exemple, il convient de mentionner en
particulier les contributions de Hardin Tibbs qui ont donné un élan remarquable aux principes de
l’écologie industrielle dans les milieux d’affaires (Hawken, 1993; Benyus, 1997; Erkman, 1998), les
travaux de la Business Council for Sustainable Development (BCSD) qui ont donné naissance à l’idée
d’éco-efficacité (Erkman, 1998), les efforts de la TRNEE33 dans l’élaboration de différents indicateurs
d’éco-efficacité, les outils d’introduction des pratiques d’écologie industrielle dans les entreprises
développés par Van Barkel, Willems et Lafleur (1997) et la contribution de Boiral et Croteau (2001a)
relativement aux exemples d’application des pratiques d’écologie industrielle. Il reste toutefois à
accomplir le travail de récupération de tous ces éléments et de bien d’autres encore dans le but de les
ordonner sur le plan conceptuel et pratique.
Pour bien situer les pratiques de valorisation résiduelle dans le cadre de l’approche managériale
analytique, la présente étude porte, d’une part, sur les actions menées par les entreprises à de multiples
niveaux, tel que suggéré et, d’autre part, sur les implications de ces actions sur les différentes fonctions
au sein des entreprises, en particulier les ressources humaines, la gestion des opérations, les finances et
l’environnement. Ainsi, l’analyse pourrait, entre autres, aider à mieux comprendre la nouvelle
structuration des entreprises à partir de la découverte de nouvelles opportunités, les efforts déployés
pour mobiliser les connaissances, le changement organisationnel, les nouveaux partenariats, la
population et les gouvernements, l’augmentation de la part des marchés avec les produits issus de la
valorisation résiduelle, de même que l’adaptation des procédés aux exigences environnementales. Ce
travail ne sera toutefois possible que si les éléments de base de l’écologie industrielle sont exprimés en
des termes clairs et dans un langage propre aux milieux d’affaires.
33 Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie (Canada).
121
4.2. La construction du cadre conceptuel
Le cadre conceptuel proposé pour cette recherche repose sur une axiomatisation de trois
dimensions essentielles de la valorisation résiduelle. À partir de ces trois dimensions, les concepts
fondamentaux de l’étude sont définis: la reconnaissance de l’opportunité; la valorisation résiduelle
comme utilisation et transformation des sous-produits et des matières résiduelles; et la gestion des
processus d’affaires.
Comme reposant essentiellement sur l’utilisation et la transformation des sous-produits et des
matières résiduelles en produits finis ou semi-finis destinés à des marchés ciblés, la valorisation
résiduelle se traduit, d’une part, par le processus d’utilisation et de transformation (axe matériel), et
d’autre part, par le processus de gestion des activités entourant cette utilisation et transformation dans
les procédés industriels (axe formel). C’est autour de ces deux axes que les concepts fondamentaux de
la recherche sont construits et que les mécanismes de la valorisation résiduelle dans les entreprises
industrielles sont analysés. D’abord, pour comprendre le processus d’utilisation et de transformation
des sous-produits, les concepts d’indice de valorisation, échelle ou créneau, mode de valorisation et
intégration de l’écologie et l’économie de l’entreprise sont définis et précisés. Ensuite, pour la
compréhension du processus de gestion des activités, les concepts suivants sont identifiés et proposés :
vocation résiduelle, motivation résiduelle, collaboration et coopération interentreprises ainsi que
apprentissage organisationnel. La figure 4 illustre la façon dont ces dimensions et ces concepts
s’intègrent dans le cadre de la recherche.
4.2.1. La reconnaissance de l’opportunité
La première grande dimension du cadre conceptuel est la notion de reconnaissance de
l’opportunité. Cette dernière est considérée comme un concept essentiel pour la compréhension du
phénomène d’entrepreneurship (Lumpkin, Hills et Shrader, 2001). En effet, comme définie ci-dessus,
la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle repose sur l’adoption d’actions
innovatrices dans l’utilisation et la transformation des sous-produits et des matières résiduelles dans les
procédés industriels. Implicitement, l’analyse et la définition des concepts portant sur la réorganisation
des activités de la valorisation résiduelle (et donc de la gestion des processus fonctionnels des
entreprises engagées) passent par la compréhension du concept de reconnaissance de l’opportunité.
L’intention de cette thèse n’est certes pas d’analyser le phénomène de création d’entreprises nouvelles
122
de valorisation résiduelle. Il apparaît plutôt que la reconnaissance de l’opportunité dans la création
d’initiatives de valorisation résiduelle joue un rôle déterminant dans la réorganisation et la gestion des
activités fonctionnelles de l’utilisation et la transformation des matières résiduelles et des sous-produits
industriels. La reconnaissance de l’opportunité constitue la source d’où jaillit l’orientation de
l’entreprise vers la valorisation résiduelle.
Figure 4. Dimensions et concepts fondamentaux de la recherche
La reconnaissance de l’opportunité est conçue comme un phénomène économique ou encore
comme un processus de créativité de la part des gestionnaires. Selon Kirzner (1973), la reconnaissance
de l’opportunité se traduit par un événement déclenché par des conditions économiques particulières.
Reconnaissance de l’opportunité
Valorisation résiduelle
Utilisation et transformation
Gestion des processus d’affaires
Axe matériel Axe formel
Indice de valorisation Échelle de valorisation Mode de valorisation Intégration de l’écologie et de l’économie
Vocation résiduelle Motivation résiduelle Collaboration et coopération Apprentissage organisationnel
123
Dans cette logique, la reconnaissance de l’opportunité renvoie à la capacité d’identifier, de reconnaître
ou encore de détecter les occasions d’affaires là où les autres ne voient rien. C’est ce que Kirzner
désigne par l’éveil entrepreneurial (entrepreneurial alertness), qu’il définit d’ailleurs comme suit : « The
ability to notice opportunities that have hitherto been overlooked » (Kirzner, 1979, p. 48).
La reconnaissance de l’opportunité constitue également l’aboutissement d’une démarche
analytique dans laquelle l’entrepreneur joue un rôle déterminant de planification, d’identification et de
mise en pratique des occasions d’affaires trouvées dans son entourage. Ainsi, la reconnaissance de
l’opportunité est un processus d’identification des occasions d’affaires. Dans ce processus,
l’entrepreneur est appelé à bien utiliser et à bien gérer les facteurs contrôlables et incontrôlables qui
caractérisent son entourage. Comme l’ont déjà expliqué Lumpkin, Hills et Shrader (2001), la
reconnaissance de l’opportunité peut se traduire par un processus de créativité dans la mise sur pied de
nouvelles entreprises ou encore dans l’initiation de nouvelles activités de valorisation résiduelle au sein
des entreprises déjà existantes.
Après que le concept de reconnaissance de l’opportunité ait été défini et précisé, les concepts
fondamentaux portant sur les deux axes matériel et formel le seront à leur tour.
4.2.2. La valorisation résiduelle comme utilisation et
transformation ou axe matériel
La deuxième grande dimension du cadre conceptuel se traduit par l’utilisation et la
transformation des sous-produits et des matières résiduelles. L’axe matériel de la valorisation résiduelle
est constitué de différentes étapes liées à l’utilisation et à la transformation des sous-produits et des
matières résiduelles dans les procédés industriels. L’utilisation et la transformation supposent ainsi la
récupération des sous-produits ou matières résiduelles (Allen, 1993); leur réintroduction dans l’un ou
l’autre procédé (Frosch et Gallopoulos, 1989; Ehrenfeld et Gertler, 1997); et l’élaboration des produits
finis ou semi-finis à partir de ces résidus ou sous-produits (Hendrickson et al., 2002). Chacune de ces
actions implique la prise en compte de plusieurs dimensions qui se traduisent par différents concepts :
indice de valorisation, échelles de valorisation, modes de valorisation, et intégration de l’écologie et de
l’économie de l’entreprise.
124
Indice de valorisation résiduelle
La valorisation résiduelle repose sur la récupération et la transformation des sous-produits et des
matières premières dans les procédés industriels. Elle s’appuie ainsi sur le modèle « intrants,
transformation et sortants ». Ce modèle tient beaucoup compte non seulement de la quantité de
matières utilisées et transformées dans les systèmes de production industrielle ou encore de l’analyse
des flux des matières (Bringezu et Moriguchi, 2002; Van der Voet, 2002; Ibenholt, 2002; Bringezu,
2003), mais aussi de l’efficience de l’utilisation de celles-ci (Schmidheiny et Zorraquin, 1998). Dans la
perspective stratégique de l’amélioration de la productivité avec l’utilisation des sous-produits comme
intrants principaux (Esty et Porter, 1998) et l’adoption des opportunités d’affaires (Tibbs, 1993), il est
intéressant d’analyser le rapport entre le volume des produits élaborés à partir des matières résiduelles
récupérées, introduites dans les procédés, et la quantité initiale de ces matières; ou encore entre le
volume des matières introduites comme intrants de remplacement et la quantité totale des matières
premières conventionnelles. D’où le concept d’indice de valorisation résiduelle. Ce concept est
développé à partir du concept d’éco-efficience et celui de waste ratio ou l’indice de déchet introduit par
l’entreprise américaine 3M Corporation (Richards et Frosch, 1994). À l’instar de ces deux concepts,
l’indice de valorisation permet de mesurer l’efficience de la transformation des sous-produits et des
matières résiduelles introduits et transformés dans les procédés industriels.
L’indice de valorisation résiduelle est entendu comme le rapport entre la quantité reçue ou
introduite de matières résiduelles ou sous-produits et la quantité de produits élaborés à partir de ces
mêmes matières résiduelles ou sous-produits dans les procédés de production sur une période bien
déterminée. La formule suivante montre comment se calcule cet indice :
Indice de valorisation = QIQV
QI = quantité introduite QV = quantité valorisée
L’indice de valorisation pourrait apporter une meilleure compréhension de l’axe matériel de la
valorisation résiduelle. L’hypothèse la plus plausible indique que, dans les conditions favorables de
production industrielle, l’entreprise de valorisation résiduelle a tout intérêt à améliorer son indice de
125
valorisation. Si l’indice de valorisation est élevé, ceci laisserait entendre que l’entreprise transforme le
plus de matières résiduelles possible. Ce qui suppose l’efficacité des équipements utilisés et des
procédés mis en place, ou encore l’existence de structures fonctionnelles de récupération et d’échange
des sous-produits ou matières résiduelles transformées. Cet indice pourrait aider aussi à déterminer les
formes que prennent l’utilisation et la transformation des sous-produits dans les procédés productifs.
Ces considérations montrent que l’indice de valorisation pourrait mener à une meilleure
compréhension de la gestion des processus d’affaires ou axe formel de la valorisation résiduelle. Si cet
indice est élevé, c’est-à-dire si l’entreprise transforme le plus de matières résiduelles possibles, ceci
indiquerait que l’entreprise compte sur un système de gestion des compétences clés (Prahalad et
Hamel, 1990) qui permettrait de maintenir ou d’augmenter la valeur de son indice de valorisation. Pour
ce faire, les dirigeants pourraient miser sur les investissements dans la recherche et le développement,
la formation des employés, le benchmarking ou encore le développement de réseaux d’échange
d’information, tel que le montrent Van Berkel, Willems et Lafleur (1997).
Si l’indice de valorisation renvoie à l’efficience de l’utilisation et de la transformation des
matières introduites dans les procédés, l’identification des opportunités suppose la détermination de
l’endroit spécifique de l’utilisation et la transformation de ces mêmes matières sur la ligne de
production (Allen, 2002). D’où le concept d’échelle ou créneau de valorisation résiduelle.
Échelle ou créneau de valorisation résiduelle
L’échelle ou créneau de valorisation se traduit par le segment de la ligne de production où peut
être utilisé ou exploité un type donné de sous-produit ou de matière résiduelle. Van Oss et Pandovani
(2002, 2003) montrent comment l’industrie de la fabrication du ciment offre des opportunités
d’exploiter divers types de sous-produits et de matières résiduelles à des échelles différentes : à l’entrée
comme matières premières alternatives, pendant la transformation sous forme de combustibles de
remplacement et à la sortie du produit fini pour améliorer les propriétés de celui-ci.
La définition du créneau de valorisation résiduelle constitue une étape importante dans le
processus de récupération et de transformation des matières résiduelles. L’information pertinente sur
les matières résiduelles à exploiter, la rentabilité de ces matières, le développement des procédés mis en
place et la quantité de matières à introduire sur une base régulière constituent quelques-uns des
126
facteurs déterminants. Afin de compléter le processus d’identification des opportunités, il faut bien
définir le créneau de valorisation. Ce dernier ne pourrait se comprendre sans déterminer la façon dont
les sous-produits ou matières résiduelles seront exploitées. Le concept de créneau conduit donc à celui
de mode de valorisation.
Mode de valorisation résiduelle
Un mode de valorisation résiduelle se traduit par la manière particulière dont se définit
l’utilisation des résidus industriels et des sous-produits sur la chaîne de production dans les unités de
production des entreprises industrielles. Bon nombre d’études analysent les synergies industrielles dans
le cadre des pratiques d’optimisation de l’usage des ressources entre différentes entreprises industrielles
(Gertler, 1995; Boiral et Croteau, 2001b; Bossilkov et Van Berkel, 2004). Bossilkov et Van Berkel
(2004) identifient principalement trois catégories de synergies industrielles dans le cas de la symbiose
de Kwinana : approvisionnement en matières premières et services de base, utilisation des divers sous-
produits et utilisation d’installations en commun. Pour leur part, Boiral et Croteau (2001b) ont identifié
quatre synergies industrielles au Québec en termes de transformation des produits finis ou semi-finis
en matières premières, de transformation de résidus industriels en matières premières, d’utilisation de
déchets industriels dans l’un ou l’autre procédé et de valorisation énergétique.
Si ces symbioses industrielles reposent sur l’idée de complémentarité des entreprises comme
dans le cas de Kalundborg (Ehrenfeld et Gertler, 1997), les modes de valorisation résiduelle reposent
plutôt sur la manière dont l’entreprise comme unité de production crée de la valeur dans sa chaîne de
production à partir des matières rebutées. Cependant, dans les deux cas de symbioses industrielles ou
modes de valorisation résiduelles, ces activités industrielles devraient refléter les deux dimensions
interdépendantes de l’écologie industrielle. D’où le concept d’intégration de l’écologie et de l’économie
de l’entreprise.
Intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise
L’intégration de l’écologie dans les pratiques de fabrication industrielle des entreprises constitue
la raison d’être de l’écologie industrielle (Frosch et Gallopoulos, 1989; Tibbs, 1993; Lifset et Graedel,
2002). Elle constitue également une question fondamentale dans la mesure où elle tente de montrer le
niveau de mise en application des principes d’écologie industrielle et donc de développement durable
127
dans l’utilisation et la transformation des sous-produits et des matières résiduelles dans les procédés de
production industrielle. En d’autres termes, l’intégration de l’écologie et de l’économie permet de situer
la question de réduction, d’utilisation et de transformation des matières résiduelles et des sous-produits
(Frosch, 1992 ; Hawken, 1993) par rapport à la réduction des impacts environnementaux entourant la
production industrielle d’une entreprise (Jackson, 2002).
À la suite des postulats des approches analytiques, environnementales et stratégiques, l’intégration
de l’écologie et de l’économie est définie comme la philosophie de l’entreprise qui vise à
l’harmonisation et à l’introduction progressive et systématique des pratiques écologiques dans les
stratégies de production industrielle. L’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise se
traduit ainsi par le processus de construction de l’orientation écologique de l’entreprise (Miles et
Munilla, 1993) ou encore de la vision éco-centrique de celle-ci (Shrivastava, 1995b). Cette orientation
écologique repose sur la capacité de l’entreprise de mettre sur pied des programmes d’action qui
favorisent l’intégration de l’écologie et de l’économie (Labbat, 1991). Ces actions peuvent prendre,
entre autres, les formes suivantes : audits environnementaux, développement d’une politique
environnementale, formation des employés en environnement, développement et utilisation des
indicateurs de performance environnementale, adoption des certifications internationales de gestion
environnementale, programme de réduction de la pollution, création de poste de coordinateur en
environnement (Dorfman et al., 1992; Smart, 1992; Shrivastava, 1996).
Tibbs (1993) suggère que l’intégration de l’écologie dans les stratégies de production industrielle
se traduit par un processus graduel qui comporte huit étapes : la conformité aux normes
environnementales; la mise sur pied des initiatives partielles de recyclage; le développement des outils
de gestion écologique; l’intégration des bouclages des cycles productifs; l’introduction des changements
dans la conception de produits et d’emballage; l’intégration complète des considérations
environnementales dans la gestion des entreprises; le développement des synergies industrielles; et, la
mise sur pied des initiatives d’écologie industrielle.
Dans la vision de l’écologie industrielle, en particulier la valorisation résiduelle telle qu’elle est
conçue dans cette thèse, les entreprises sont appelées à améliorer de façon progressive les liens entre
l’environnement et leurs pratiques de production industrielle (Tibbs, 1993; Lifset et Graedel, 2002;
Jackson, 2002). Dès lors, l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise constitue une
dimension importante dans la compréhension des choix stratégiques de valorisation résiduelle. Ce qui
128
se mesure par la performance environnementale des pratiques de valorisation résiduelle, entendue
comme étant les résultats positifs obtenus par l’entreprise dans le temps, lesquels résultats montrent
une progression significative dans l’amélioration des conditions environnementales entourant
l’utilisation et la transformation des matières résiduelles et des sous-produits dans les procédés
industriels. Cette intégration signife que la valorisation résiduelle se traduit par une pratique d’écologie
industrielle.
Le modèle d’analyse des pratiques d’écologie industrielle proposé par Diwekar et Small (2002,
p. 15) est utilisé pour adapter les critères d’évaluation de cette progression dans le cas précis de la
valorisation résiduelle. Ces critères s’articulent, entre autres, autour de l’efficacité énergétique, de
l’optimisation de l’usage de matière et d’énergie par procédé (productivité), de la valorisation de tous
les déchets générés par les procédés de l’usine, de la substitution des matières pour optimiser les
ressources, des coûts d’opération par tonne de matière valorisée, du facteur « perte de matière » et de la
génération des déchets non-valorisables. L’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise est
entendue comme un processus d’amélioration des pratiques de gestion environnementale de la
valorisation.
À la suite de la définition des concepts fondamentaux qui portent sur l’utilisation et la
transformation des sous-produits et des matières résiduelles dans les procédés de production
industrielle, ou « axe matériel », la section suivante va procéder à la définition des concepts qui portent
sur la gestion ou la réorganisation des activités, ou « axe formel ».
4.2.3. La valorisation résiduelle comme réorganisation et gestion
des processus d’affaires ou « axe formel »
La troisième grande dimension du cadre conceptuel se traduit par la valorisation résiduelle
comme étant la gestion des processus d’affaires. L’axe formel de la valorisation résiduelle est composé
d’éléments liés à la planification et à la réorganisation du travail dans le but d’atteindre les objectifs
fixés par les gestionnaires de façon effective et efficiente. Comme utilisation et transformation des
sous-produits dans les procédés industriels, la valorisation résiduelle repose sur des activités
productives et commerciales au sein des entreprises. Ces activités impliquent la prise en compte des
différents aspects internes et externes de la gestion stratégique des entreprises. Bien que ces aspects
s’appuient sur les fonctions classiques de la gestion (planifier, organiser, diriger et contrôler), ils
129
prennent des formes différentes en tenant compte de la nature même de la valorisation résiduelle et du
contexte précis dans lequel les entreprises s’engagent dans cette démarche.
Ainsi, l’axe formel de la valorisation résiduelle repose sur les concepts de vocation résiduelle, de
motivation résiduelle, de collaboration et coopération interentreprises, ainsi que d’apprentissage
organisationnel.
Vocation résiduelle
La compréhension de l’axe formel de la valorisation résiduelle commence par la compréhension
de la vocation résiduelle. La définition de la reconnaissance de l’opportunité qui a été retenue en
prenant appui sur Lumpkin, Hills et Shrader (2001) permet de définir la vocation résiduelle dans le
cadre de cette thèse. Il s’agit de la raison d’être d’une entreprise qui s’articule autour de la récupération
et de la transformation des sous-produits en produits finis ou semi-finis destinés à des marchés ciblés.
Cette même définition de la reconnaissance de l’opportunité permet de faire la distinction entre deux
types de vocation résiduelle : la vocation résiduelle primaire (VRP) et la vocation résiduelle secondaire
(VRS).
La valorisation résiduelle primaire représente les activités des entreprises dont la vocation
principale s’inscrit dans la récupération et la transformation des sous-produits industriels et des
matières résiduelles. La valorisation résiduelle secondaire représente les activités des entreprises dont la
valorisation fait partie des activités associées. Cette distinction permettra ainsi de faire des liens entre
ces types de vocation résiduelle et d’autres dimensions de la valorisation résiduelle, en particulier les
structures mises en place, la taille de l’entreprise, l’orientation économique, le type de matières
résiduelles ou de sous-produits transformés et l’importance de la gestion environnementale.
La notion de vocation résiduelle est intrinsèquement liée aux mobiles qui poussent les dirigeants
à opter pour les initiatives de valorisation résiduelle dans des circonstances données. Il apparaît
pertinent d’introduire le concept de motivation résiduelle.
Motivation résiduelle
Les motifs qui expliquent l’adoption et la mise sur pied des initiatives de valorisation résiduelle
comme pratique d’écologie industrielle constituent une dimension importante de la présente recherche.
130
D’autres recherches se sont attachées à étudier les motivations qui poussent les dirigeants d’entreprises
à incorporer les considérations environnementales dans leurs pratiques de gestion. La plupart de ces
recherches portent sur des secteurs industriels diversifiés ou encore sur une dimension particulière de
l’incorporation de l’environnement dans la gestion des entreprises. Les résultats de ces études ont
révélé que les considérations économiques ou souci de compétitivité, la légitimation des pratiques ou
image de l’entreprise et la responsabilité écologique et éthique sont parmi les motivations dominantes
(Bansal et Roth, 2000; King et Lenox, 2001 ; Tzschentke, Kirk et Lynch, 2004).
La motivation résiduelle s’entend par les facteurs qui déterminent et expliquent la vocation
résiduelle primaire ou secondaire de l’entreprise industrielle. Il existe peu d’études portant sur les
motivations résiduelles des entreprises. Ayres, Ferrer et Leynseele (1997) ont analysé les facteurs
déterminants dans la mise sur pied des pratiques de récupération des produits en fin de cycle de vie
dans les entreprises manufacturières telles que Rank Xerox, IBM ou encore SEMEA. Dans le cas
précis de ces entreprises, les motivations premières s’articulent autour des bénéfices en termes des
coûts à économiser par l’entreprise. Par exemple, la réduction des coûts d’opération et
d’enfouissement, la valeur à récupérer qui reste encore dans les produits rebutés, l’existence des
structures de récupération fonctionnelles, le coût de la main-d’œuvre, entre autres. Bien que ces
motivations peuvent se résumer comme faisant partie des considérations économiques et
commerciales, l’étude réalisée par Ayres, Ferrer et Leynseele (1997) montre cependant le caractère
spécifique de ces mêmes motivations économique pour un secteur industriel bien précis.
Les considérations d’ordre économique et commercial sur lesquelles reposent les motivations
résiduelles montrent que les dirigeants d’entreprises de valorisation résiduelle cherchent à tout prix à
maximiser les opportunités d’affaires découvertes par l’amélioration de l’indice de valorisation ou
encore par le changement de mode de valorisation. Ce qui ne saurait se faire sans collaboration, sans
coopération ou sans échange des sous-produits.
Collaboration, coopération et réseaux d’échange des sous-produits
La mise sur pied des initiatives de récupération et de transformation des sous-produits et des
matières résiduelles tient beaucoup compte de la dimension « échange de résidus entre les entreprises ».
Les différentes approches d’optimisation de l’usage des ressources, en particulier les approches
stratégiques, partent du postulat selon lequel il est possible d’utiliser des sous-produits et des matières
131
résiduelles rebutées dans les procédés de fabrication industrielle (Keckler et Allen, 1999 ; Allen, 2002).
Les approches environnementales voient dans cet échange de sous-produits et de matières résiduelles
un moyen de réduire les impacts des activités industrielles sur l’environnement (Hawken, 1993).
La distinction faite par Boiral et Jolly (1997) entre l’alliance interentreprises et la collaboration
interorganisationnelle est ici retenue. En effet, selon ces deux auteurs, dans une alliance
interentreprises, les partenaires cherchent d’abord et avant tout le bénéfice économique tandis que
dans la collaboration interorganisationnelle, les partenaires sont beaucoup plus nombreux et cherchent
« à trouver des solutions à des enjeux qui dépassent les intérêts particuliers de chaque partie prenante »
(Boiral et Jolly, 1997, p. 66).
À la suite de la définition de symbiose industrielle proposée par Chertow (2000) et Fichtner,
Tietze-Stöckinger et Rentz (2004), le réseau d’échange des sous-produits et des matières résiduelles est
entendu comme étant un groupe d’entreprises et d’organismes engagés dans la collaboration qui
favorise l’utilisation et la transformation des résidus industriels dans les procédés de production.
Fichtner, Tietze-Stöckinger et Rentz (2004) ont identifié deux types de réseaux d’échange : le réseau
des fournisseurs industriels et le réseau des récupérateurs. Il serait pertinent de penser par ailleurs que
les échanges des sous-produits industriels entre entreprises ne reposent pas seulement sur les actions
des générateurs et des utilisateurs des matières, mais sur un ensemble d’intervenants, d’organismes et
de structures. Les structures des réseaux d’échanges des sous-produits peuvent être, à l’échelle externe,
des organisations professionnelles déjà établies, des cercles de gestionnaires d’une même région ou
d’un même secteur industriel, des chambres de commerce de divers paliers, des comités de citoyens,
des regroupements d’entreprises certifiées ISO 9000 ou ISO 1400, etc. À l’échelle interne, elles
peuvent prendre la forme de cercles d’optimisation des ressources (à l’instar des cercles de qualité), de
groupes de formation, de départements d’optimisation des ressources et de l’énergie, etc.
Les concepts de collaboration, de coopération ou d’échange qui viennent d’être introduits
montrent que le développement de réseaux d’échange des sous-produits fait partie du processus
d’apprentissage organisationnel de nouvelles formes d’utilisation et de transformation des sous-
produits et des matières résiduelles.
132
Apprentissage organisationnel
Christensen et Peterson (1990) soutiennent que non seulement la recherche des solutions à des
problèmes spécifiques ou sociaux conduit à la reconnaissance des opportunités, mais surtout les
connaissances des techniques et des marchés constituent des conditions sine qua non de la découverte
des occasions d’affaires. Ce qui implique la pertinence de l’apprentissage dans le processus de
construction et de mise en pratique des opportunités découvertes. La stratégie formulée pour
récupérer et valoriser les déchets industriels se réalise par l’apprentissage de nouvelles façons de faire,
de nouvelles techniques de traitement des déchets. La valorisation résiduelle s’apparente à une création
artistique ex nihilo.
En ce sens, selon Fiol et Lyles (1985), l’apprentissage organisationnel se définit comme étant le
processus d’acquisition progressive de connaissances relatives aux techniques de réception, d’utilisation
et de conversion des sous-produits et des matières résiduelles. Comme dans tout processus
d’apprentissage, la valorisation résiduelle se centre sur le développement des compétences
organisationnelles, sur la production de la connaissance et sur l’apprentissage de cette connaissance par
les individus.
D’une part, la valorisation industrielle s’inscrit dans le cadre du changement dans l’entreprise et,
d’autre part, elle concerne le développement des produits dans des contextes incertains et complexes.
La valorisation privilégie en particulier les notions de compétences clés de l’entreprise (Prahalad et
Hamel, 1990), d’avantages concurrentiels (Edmondson et Moingeon, 1996), d’innovations
technologiques (Drejer, 2002), de détection d’erreurs et d’apprentissage dans l’action (Argyris et Schön,
1978), d’ajustements continuels (March, 1991) et d’entreprise apprenante (Pedler, Burgoyne et Boydell,
1991). La valorisation industrielle repose sur des actions d’entreprises apprenantes qui savent marier
l’écologie et l’économie par l’introduction de changements à des niveaux divers (individuel, groupal et
organisationnel) en tenant compte des contextes concurrentiels.
Avant de présenter l’approche méthodologique de recherche adoptée pour analyser les pratiques
de valorisation résiduelle dans douze entreprises industrielles canadiennes, un rappel sur le cadre
théorique de la thèse qui vient d’être présenté s’impose ici. La présente thèse prend appui sur la
synthèse des courants analytiques, environnementaux et stratégiques de l’optimisation de l’usage des
ressources dans les procédés de production industrielle. La valorisation résiduelle comme pratique
d’écologie industrielle tire son origine de la reconnaissance de l’opportunité ou du potentiel
133
économique que représentent l’utilisation et la transformation des résidus comme matières premières
dans les procédés de production industrielle.
Entendue comme la source des opportunités d’affaires que représente l’utilisation et la
transformation sécuritaire des divers sous-produits et des diverses matières résiduelles en produits ou
matières à valeur ajoutée pour lesquels il existe une demande, la valorisation résiduelle repose sur deux
éléments principaux : l’utilisation et la transformation (axe matériel) et la gestion des processus
d’affaires (axe formel). À partir de ces concepts de base, la recherche est fondée sur d’autres concepts
qui permettent de mieux analyser l’objet de l’étude. Ces concepts reposent sur les notions d’indice de
valorisation, d’échelle de valorisation, de mode de valorisation, d’intégration de l’écologie et de
l’économie, de vocation résiduelle, de motivation résiduelle, de collaboration, de coopération et de
réseaux d’échanges et apprentissage.
134
DEUXIÈME PARTIE
FONDEMENTS MÉTHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE
135
Comme déjà indiqué dans l’introduction, la présente recherche porte sur l’analyse de la
valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle. Confronté aux approches techniques et
scientifiques, environnementales et stratégiques, le raisonnement présenté opte pour la synthèse de ces
approches, ce qui justifie la perspective managériale que la présente recherche tente d’adopter. Comme
les chapitres précédents ont tenté de le montrer, le phénomène de valorisation résiduelle est encore
peu étudié, du moins en ce qui a trait aux implications pour la gestion des entreprises industrielles.
Pourtant, celles-ci sont appelées à mettre en application les principes de l’écologie industrielle. Ce qui
semble être un paradoxe. Dans l’état actuel des choses, les approches techniques dominent amplement
les recherches dans le domaine de l’écologie industrielle. Le tour d’horizon de ces questions a permis
de présenter une analyse critique de la littérature dans le domaine de l’écologie industrielle et de retenir
les éléments clés qui permettront de construire le modèle d’analyse de cette recherche.
Le bagage conceptuel et théorique sur l’écologie industrielle issu de la revue de la littérature
permet d’aller sur le terrain pour interroger ceux qui savent et vivent la valorisation résiduelle. À l’instar
des entreprises qui travaillent dans la valorisation résiduelle, le parcours de la présente thèse ne s’inscrit
pas dans une démarche linéaire qui tente de découvrir un objet totalement constitué à l’avance. Cette
démarche est plutôt holistique. Ce modèle qualitatif d’analyse constitue en effet une façon de
construire la connaissance à partir des données empiriques. Ainsi, après avoir défini le cadre
conceptuel, c’est-à-dire l’approche managériale, comme cadre approprié d’analyse des pratiques de
valorisation dans les entreprises industrielles, il ne reste qu’à présenter et à déterminer la démarche
méthodologique de l’étude. C’est ce que tente de faire le prochain chapitre.
136
CHAPITRE 5
LA MÉTHODOLOGIE ET LES TECHNIQUES DE
RECHERCHE
Le présent chapitre tentera de présenter en détail la démarche méthodologique suivie pour
mener à bien cette recherche portant sur la valorisation résiduelle. Cette démarche traduit la façon
particulière dont l’objet d’étude de la recherche est approché et cerné. Le chapitre se compose de trois
sections. La première section s’attachera à présenter les stratégies et les techniques de recherche.
L’approche méthodologique adoptée est celle d’une étude qualitative et empirique. La deuxième
section présentera en détail la démarche suivie pour la collecte des données. Enfin, la troisième section
présentera la façon dont les données recueillies ont été organisées et analysées. La figure 5 schématise
la démarche de la recherche en prenant appui sur Maxwell (1999).
5.1. L’approche méthodologique
L’approche méthodologique de la présente recherche sur la valorisation résiduelle repose
essentiellement sur les postulats de recherche qualitative et empirique (Yin, 1989; Strauss et Corbin,
1990; Creswell, 1994; Maxwell, 1999).
D’abord, l’importance est accordée à la signification et au sens que les participants donnent à
leurs expériences et à la structure de leur monde (entreprise, unité de travail, etc.); ensuite, le caractère
exploratoire de la recherche implique une démarche descriptive; enfin, elle est inductive dans le sens où
elle se base sur la construction de concepts, d’hypothèses et de théories à partir des détails pertinents
fournis par les participants tout au long de la recherche :
By the term qualitative research we mean any kind of research that produces findings not by means of statistical procedures or other means of quantification. It can refer to research about persons’ lives, stories, behavior, but also about organizational functioning, social movements, or interactional relationships (Strauss et Corbin, 1990, p. 17).
137
Figure 5. Schématisation de la recherche sur la valorisation résiduelle
Ainsi, les réalités partagées et tenues pour pertinentes dans la conduite des recherches
qualitatives se reflètent dans tous les aspects de cette étude. Les questions traitées, telles que présentées
ci-dessus, se résument de la manière suivante : l’analyse des modes de fonctionnement de la
valorisation des sous-produits industriels dans douze entreprises canadiennes dans une approche
Objectifs
Analyser les mécanismes de la valorisation résiduelle Comprendre le fonctionnement de la valorisation Analyser les implications pour la gestion des entreprises
Cadre conceptuel
Littérature sur l’écologie industrielle Contributions portant sur la récupération des sous-produits Concepts portant sur la gestion des entreprises
Méthodologie
Entretiens semi-directifs Documents des entreprises Visites d’usines Transcription des verbatims Construction des catégories Étude de cas
Validité
Triangulation des sources, comparaison des données Re-visitation des concepts portant sur la récupération des sous-produits
Questions de recherche
Quels sont les processus de gestion sous-jacents à la valorisation résiduelle? Quelles sont les difficultés managériales de la valorisation résiduelle?
138
inductive et empirique visant à mieux comprendre les expériences de ces entreprises, et l’exploration
des difficultés de cette mise en œuvre pour l’ensemble du système de gestion de ces mêmes
entreprises.
Trois éléments en particulier permettent d’orienter l’étude de cas comme stratégie de ce projet de
recherche.
D’abord, la dimension temporelle et la nature même de la valorisation des sous-produits
industriels dans les procédés de production : en effet, comme bon nombre de chercheurs l’ont fait
remarquer, la valorisation résiduelle constitue un phénomène contemporain qui a émergé (ou
réapparu) dans les années 1980 et qui suscite l’intérêt des dirigeants industriels et politiques (Graedel et
Allenby, 1995; Erkman, 1998; Allenby, 1999a). Ensuite, la nature des questions que ce projet de
recherche se propose d’analyser : ces questions tentent d’éclairer la façon dont les dirigeants
d’entreprises planifient, mettent en œuvre, dirigent, gèrent et contrôlent les activités liées à la
valorisation résiduelle. Ce qui revient à dire que ces mêmes questions s’orientent plus vers les
« Quoi? », « Comment? » et « Pourquoi ?». Enfin, les formes de collecte d’information : étant donné la
nature de l’objet de la présente recherche, plusieurs sources d’information peuvent être envisagées
pour la collecte de données. En mettant ces trois éléments ensemble, il appert que la méthode d’étude
de cas constitue la démarche la plus appropriée pour analyser les différentes dimensions des pratiques
de valorisation des sous-produits industriels.
Les trois éléments qui viennent d’être présentés s’inscrivent bien dans la conception de l’étude de
cas selon plusieurs chercheurs. Creswell (1998), par exemple, en prenant appui sur Stake (1994) et
Merriam (1988), met en relief la variété des sources d’information qui permet une analyse approfondie
d’une situation donnée dans le temps et dans l’espace :
[…] an exploration of a bounded system (bounded by time and place) or a case (or multiple cases) over time through detailed, in-depth data collection involving multiple sources of information rich in context (Creswell, 1998, p. 61).
Yin (1989), quant à lui, privilégie la dimension empirique et phénoménale de la recherche, en
plus de cette variété de sources d’information :
139
A case study is an empirical inquiry that investigates a contemporary phenomenon within its real-life context; when the boundaries between phenomena and context are not clearly evident; and in which multiple sources of evidence are used (Yin, 1989, p. 23)
Dans le but de mieux explorer les nouvelles idées qui commencent à émerger, la thèse a eu
recours à la grounded theory. Cette démarche repose sur la catégorisation et le regroupement des données
qualitatives en vue de faciliter l’interprétation des résultats relatifs à un thème déterminé (Glaser et
Strauss, 1967; Strauss et Corbin, 1990) :
A grounded theory is one that is derived from the study of the phenomenon it represents. That is, it is discovered, developed, and provisionally verified through systematic data collection and analysis of data pertaining to that phenomenon. Therefore, data collection, analysis, and theory stand in reciprocal relationship with each other. One does not begin with a theory, then prove it. Rather, one begins with an area of study and what is relevant to that area is allowed to emerge (Strauss et Corbin, 1990, p. 23)
En fait, l’approche de recherche privilégiée est en quelque sorte une combinaison de l’étude de
cas et de la grounded theory. L’objectif primordial n’est pas de développer une théorie à partir des
données recueillies sur le terrain comme le fait la grounded theory. Cette méthode vient plutôt appuyer la
démarche entreprise dans l’étude de cas, en particulier en ce qui a trait au regroupement des thèmes
(catégories). Plusieurs auteurs reconnaissent l’enrichissement que représente la combinaison des
éléments méthodologiques puisés d’approches diverses (Creswell, 1994). C’est de cette façon que la
thèse a analysé le phénomène de valorisation résiduelle. Comme le soutient Silverman (1993), le plus
important est que la méthodologie choisie soit utile pour les fins recherchées :
A methodology is a general approach to studying a research topic. It establishes how one will go about studying any phenomenon. Like theories, methodologies cannot be true or false, only more or less useful (Silverman, 1993, p. 2)
Dans la démarche d’analyse qualitative accomplie dans le cadre de cette étude, plusieurs
dimensions associées à la mise en œuvre de la valorisation résiduelle sont prises en compte, en
particulier les activités de chaque entreprise, le contexte opératoire, les motivations et les niveaux
d’intégration des pratiques de valorisation des matières résiduelles, les types de synergie industrielle, les
140
performances commerciales et environnementales, les difficultés rencontrées dans la gestion
quotidienne des ressources humaines, la gestion des opérations, les ventes et l’environnement.
5.2. La collecte d’information
La collecte de données a reposé, en grande partie, sur des entretiens individuels avec des
responsables de « départements » liés à l’environnement, aux opérations, à la production et aux ventes
dans des entreprises industrielles canadiennes qui appliquent certains principes de la valorisation
résiduelle. Dans bon nombre d’entreprises étudiées, les responsables comptent parmi les gestionnaires
qui connaissent à fond le dossier « écologie industrielle » et qui y travaillent depuis au moins cinq ans.
En effet, ils ont, pour la plupart, participé à la planification du projet de départ et ils s’occupent de sa
gestion quotidienne.
Au total, soixante entretiens ont été réalisés auprès de gestionnaires qui travaillent dans 12
entreprises industrielles canadiennes différentes, auprès de fonctionnaires du ministère de
l’Environnement du Québec et des entreprises du conditionnement des sous-produits. Comme la
méthode de cas utilisée pour mener cette recherche n’obéit pas à une logique d’échantillonnage et de
représentativité de la population (Yin, 1989), dans chaque entreprise concernée, un nombre limité de
participants a été rencontré. Ce nombre a varié de deux à huit. Cette variation dépend de plusieurs
facteurs tels que la taille de l’entreprise, la disponibilité des gestionnaires, la nature et la quantité
d’information pouvant être collectée. La nature et la quantité d’information dépendent de l’instrument
utilisé.
Quatre entretiens ont été réalisés en dehors des entreprises étudiées : un entretien avec un
fonctionnaire du ministère de l’Environnement du Québec et trois autres avec des gestionnaires
d’entreprises (Boulay et Services, Matrek Incorporés) dont les activités s’inscrivent dans le cadre du
pré-conditionnement de matières granulaires et d’huiles usées. Ces entretiens ont porté essentiellement
sur la nature des activités de valorisation résiduelle, sur les difficultés rencontrées ainsi que sur les
obstacles et difficultés au développement de la valorisation résiduelle au Canada. Avec ces quatre
entretiens additionnels, le nombre total des entretiens réalisés dans le cadre de la présente étude s’élève
à soixante. Une fois encore, prenant appui sur Yin (1989), ce n’est pas le nombre qui compte, mais
plutôt la qualité et la profondeur des données empiriques collectées.
141
Comme technique complémentaire, la collecte des données a reposé sur des visites d’usines et
sur des documents internes d’entreprises. Les visites d’usines, qui se sont déroulées après les entretiens,
ont permis de faire des observations directes et de corroborer certaines informations transmises lors
des entretiens individuels.
Il apparaît pertinent de souligner que la présente étude a été menée dans le strict respect de
l’éthique de la recherche. L’étude n’a pas porté sur des sujets humains. Les engagements (par échange
de messages électroniques ou encore conversations téléphoniques) ont été pris avec les entreprises et
les participants à l’étude pour utiliser les données recueillies uniquement à des fins de recherche, garder
l’anonymat des participants à l’étude, et, respecter l’opinion exprimée par chacun lors de l’analyse et
l’interprétation générales des résultats. Les participants avaient la pleine liberté de répondre ou pas à
l’une ou l’autre question qui leur était posée.
5.3. Les entreprises étudiées
Avant de présenter l’analyse et l’interprétation des résultats de cette étude qualitative et
empirique, la présente section aborde la question des entreprises qui ont fait l’objet de l’étude. Pour se
faire, elle s’articule autour des trois points suivants : les critères de choix des entreprises étudiées, la
présentation de cas et la présentation du questionnaire de recherche.
5.3.1. Les critères de choix des entreprises étudiées
Afin de délimiter les paramètres de l’étude, le choix des entreprises industrielles à étudier a
reposé sur quatre critères : les pratiques de valorisation résiduelle, l’accessibilité de l’entreprise, la
disponibilité des gestionnaires et la proximité géographique.
Le premier critère sur lequel a reposé le choix des entreprises est la mise en œuvre des pratiques
de valorisation des matières résiduelles et des sous-produits industriels. Bon nombre d’entreprises
industrielles au Canada travaillent dans le domaine de l’écologie industrielle en mettant sur pied des
pratiques environnementales ou encore écologiques diverses telles que l’évaluation des impacts
environnementaux, la réhabilitation et la décontamination des sites, la mise en marche des programmes
de réduction et de prévention de la pollution ou encore l’adoption et l’implantation des normes
environnementales. Toutes ces pratiques reposent dans une large mesure sur les principes de
142
développement durable en particulier l’écologie industrielle. Dans le cadre de la présente recherche, le
choix a porté uniquement sur les entreprises industrielles dont les activités s’inscrivent entièrement ou
partiellement dans le cadre de l’utilisation et la transformation des sous-produits et des matières
résiduelles dans les procédés industriels.
Le deuxième critère sur lequel a reposé le choix des cas à étudier est l’accessibilité de l’entreprise.
Comme dans le cas des initiatives de l’écologie industrielle mentionnées plus haut, plusieurs entreprises
mettent en œuvre les pratiques de valorisation résiduelle. Malheureusement et pour des raisons
diverses, toutes ne sont pas accessibles. Ce critère complète donc le premier. Par exemple, trois
entreprises contactées ont refusé de participer à l’étude en invoquant des raisons de restructuration de
leurs activités et de manque de temps.
Le troisième critère de choix a reposé sur la disponibilité des gestionnaires. Il était essentiel de
rencontrer des gestionnaires qui connaissent bien le dossier « écologie industrielle » en particulier la
valorisation résiduelle des activités de leurs entreprises respectives et qui y travaillent depuis au moins
cinq ans. Ainsi, non seulement l’entreprise doit-elle ouvrir ses portes, mais les gestionnaires ciblés se
doivent également d’être disponibles. Deux entreprises de valorisation résiduelle qui avaient déjà
accepté de participer à l’étude ont dû être abandonnées. En effet, les gestionnaires de ces entreprises
renvoyaient chaque fois à plus tard le début des entretiens.
Le quatrième et dernier critère est la proximité géographique. Compte tenu du budget
disponible, le périmètre géographique de l’étude a dû éetre délimité. Des entreprises situées en
Colombie-Britannique ou en Alberta n’ont pas pu être prises en considération, même si celles-ci
étaient accessibles et leurs gestionnaires prêts à accorder des entretiens.
5.3.2. La présentation des cas étudiés
Les douze entreprises industrielles canadiennes étudiées mettent en œuvre les pratiques de
valorisation des matières rebutées et de sous-produits appartenant à sept groupes différents : les pneus
hors d’usage, les scories des aciéries et les résidus miniers, les cimenteries, les batteries au plomb-acide,
les sous-produits animaliers, les résidus provenant des entreprises de pâtes et papiers et les produits
chimiques. Les sous-sections suivantes tenteront de décrire brièvement ces douze entreprises en les
groupant selon les secteurs d’activités. Cette description a pour but principal de partager avec le lecteur
143
les caractéristiques essentielles de chaque cas analysé. En ce sens, la description porte sur les activités
industrielles, la structure organisationnelle et le nombre d’entretiens réalisés. Le tableau 8 résume les
douze entreprises et l’essentiel de leurs activités de valorisation résiduelle.
Tableau 9. Résumé des cas étudiés
Secteur industriel Nombre d’employés (E)
et entretiens réalisés (ER)
Activité principale Chiffre d’affaires en $ CAD
CAS 1 (ANIMAT) E: 40
ER: 4
Fabrique des tapis industriels pour les stalles d’animaux depuis 1983.
15 M
CAS 2 (ROYAL-MAT)
E: 117 ER: 6
Fabrique des tapis insonorisants, des tapis protecteurs pour les commerces et les industries, des garde-boue et de petits pneus à partir de la poudrette et des résidus de meulage depuis 1983.
35 M
CAS 3 (BITUMAR)
E: 115 ER: 4
Produit de l’asphalte liquide destiné aux industries du pavage des routes et de recouvrement des toitures.
50 M
Pneus hors d’usage
CAS 4 (SCOPCAT)
E: 25 ER: 3
Produit de la granule et de la poudrette depuis 1996.
5 M
CAS 5 (RECMIX) E: 30 ER: 2
Revalorise les scories d’acier inoxydable et les stériles de minerai de fer depuis 1985.
50 M
Scories des aciéries et résidus
miniers
CAS 6 (MAGNOLA) E: 360 ER: 8
Récupérait du magnésium à partir des résidus de la serpentine de 2000 à 2003.
N/A
144
CAS 7 (LAFARGE) E: 388 ER: 6
Utilise une trentaine de résidus et de combustibles de substitution pour la fabrication d’environ 1 million de tonnes de ciment et de béton par année depuis 1998.
400 M
Cimenteries
CAS 8 (CIMENT SAINT-LAURENT) E: 200 ER: 4
Utilise plus de 80 types de résidus et de matières premières dérivées pour la production d’environ 1 million de tonnes de ciment et de béton par année depuis 1991.
390 M
Batteries au plomb-acide
CAS 9 (NOVA Pb) E: 140 ER: 7
Recycle les batteries d'automobiles et les résidus dangereux tels que les filtres à huile, les huiles usagées, les polymères et le carbonate de sodium depuis 1984.
50 M
Sous-produits
animaliers
CAS 10 (ROTHSAY-LAURENCO) E: 60 ER: 2
Recycle les huiles et les graisses de cuisson, et produit un carburant à base de déchets animaliers recyclables depuis 1966.
5 M
Pâtes et papiers
CAS 11 (PAPIERS STADACONA) E: 1000 ER: 6
Revalorise les boues de désencrage depuis 1990.
50 M
Produits
chimiques
CAS 12 (KRONOS) E: 388 ER: 4
Revalorise de l’acide sulfurique et récupère également de son procédé de fabrication de TiO2 le CO2 liquide qui en est dégagé.
35 M
Entretiens en dehors des cas
analysés
4
TOTAL
60 ENTRETIENS
145
Pneus hors d’usage
Dans le cadre de cette thèse, la définition de « pneus hors d’usage » proposée par Recyc-Québec
a été retenue.
Il s’agit de pneus endommagés qui ne peuvent plus être réutilisés ou rechapés, ou de pneus comportant des défauts de fabrication. Les pneus hors d’usage peuvent être recyclés en produits finis caoutchoutés (tapis de dynamitage ou d’étable, asphalte caoutchouté, etc.) ou en d’autres sous-produits (noir de carbone, huiles, etc.). Ils peuvent également être dirigés vers la valorisation énergétique (cimenteries, centrales d’énergie, etc.). Il importe de faire la distinction entre un pneu hors d’usage et un pneu usé, ce dernier pouvant encore être réutilisé ou rechapé (Recyc-Québec)
Dans ce groupe, quatre entreprises ont été étudiées.
Cas 1 : Animat
Située à Saint-Élie-d’Orford, près de Sherbrooke, Animat compte sur une force de 40 employés. En
opération depuis 1983, cette entreprise fabrique des tapis industriels pour stalles d’animaux. La
structure organisationnelle de cette entreprise comprend trois grandes divisions : la gestion des ventes,
l’administration et la gestion de l’usine ou la production chargée des opérations de déchiquetage des
pneus et de la production des tapis industriels. La production annuelle est évaluée à 250 000 tapis
industriels ou 45 000 tonnes de tapis. Pour ce faire, Animat, entreprise inscrite dans le programme
gouvernemental de Recyc-Québec, traite environ 2 000 pneus de camions par jour. Avec un chiffre
d’affaires de 15 millions de dollars en 2003, Animat vend l’essentiel de sa production au Canada et au
Japon où l’entreprise vient de trouver un distributeur de produits agricoles. Animat ne compte pas de
certification internationale de la série ISO 9000 ou 14000, ni de politique environnementale. La
structure de l’entreprise ne compte pas non plus de poste directement lié à la fonction
« environnement ». Quatre entretiens ont été réalisés dans l’usine d’Animat de Saint-Élie-d’Orford. Le
contact principal s’est fait par le directeur général de l’usine.
Cas 2 : Royal-Mat
L’usine de Royal-Mat est située à Beauceville, au Québec. Avec ses 117 employés, Royal-Mat fabrique
une variété de produits à base de caoutchouc recyclé. Depuis ses débuts artisanaux en 1983,
146
l’entreprise Royal-Mat s’est sans doute taillée une réputation industrielle grâce à l’ingéniosité de ses
fondateurs et à l’implication de ses employés. La structure organisationnelle de Royal-Mat comprend
les départements suivants : administration, production, ventes, recherche et développement et
comptabilité. La production est évaluée à 45 000 livres de caoutchouc, à 15 000 livres d’acier et à 5 000
livres de nylon par jour. Royal-Mat reçoit de Recyc-Québec 3,6 millions de pneus par année. Avec un
chiffre d’affaires de 35 millions de dollars, l’entreprise distribue ses produits au Canada principalement.
Aucun poste n’est lié directement à la fonction « environnement », et l’entreprise ne compte pas non
plus de certification internationale de type ISO 9000 ou 14000. Bien que la nature des activités de
l’entreprise requière un certificat d’opération livré par le ministère de l’Environnement, Royal-Mat n’a
pas de politique environnementale qui oriente ses actions. Six entretiens ont été réalisés dans l’usine de
Royal-Mat de Beauceville. Le contact avec cette entreprise s’est fait par le biais de son directeur
général.
Cas 3 : Bitumar
En opération depuis 1977, Bitumar s’est spécialisée dans la fabrication du bitume de polymère et
de caoutchouc ou d’asphalte liquide destiné aux industries de pavage des routes et du recouvrement
des toitures. Comptant sur une seule usine à Montréal à ses débuts, la croissance de l’entreprise et la
demande pour ses produits ont fait que l’entreprise s’est installée à Baltimore (Maryland) et une
troisième usine est en construction à Hamilton (Ontario). Aujourd’hui, Bitumar emploie 114
personnes, dont 85 à Montréal et 29 à Baltimore. Bitumar est une entreprise fortement spécialisée qui
compte parmi ses employés des professionnels tels des ingénieurs chimistes, des ingénieurs de
procédés, des ingénieurs mécaniques, des chimistes, des opérateurs, des techniciens d’usine en plus des
administrateurs de la compagnie.
C’est au début des années 1990 que Bitumar se lance dans la valorisation industrielle en
développant un procédé innovateur de production de bitume à partir de caoutchouc recyclé et de
pneus hors d’usage dans une proportion de 5, 10 et 15 %. La structure organisationnelle compte,
comme fonctions, les finances, les ventes, l’administration, les opérations et la technologie (recherche
et développement). Le dossier « environnement » est confié à un ingénieur qui y travaille à temps
partiel. Bien que l’entreprise n’ait pas encore développé de politique environnementale clairement
définie, cette personne s’assure du respect des normes et elle joue le rôle de liaison entre l’entreprise et
147
les instances gouvernementales dans la résolution des questions environnementales. La production de
l’entreprise est estimée à 300 000 tonnes de bitume par année et un chiffre d’affaires de 100 millions de
dollars (80 millions à Montréal et 20 millions à Baltimore). L’entreprise est détentrice de deux brevets
pour le procédé de fabrication de bitume à partir du caoutchouc recyclé. En outre, l’usine de Montréal
est certifiée ISO 9001 depuis 1997 et elle est sur le point d’obtenir la certification ISO 14001. Au total,
quatre entretiens ont été réalisés dans cette entreprise. Le contact principal avec Bitumar s’est fait à
partir de son vice-président à la recherche et au développement.
Cas 4 : Scopcat (1996)
La Société coopérative des travailleurs du caoutchouc (Scopcat) a été formée en 1996. Les
fondateurs, habitués de l’industrie du recyclage, travaillaient tous pour le compte d’une entreprise de
recyclage de caoutchouc depuis 1991. Profitant de la faillite de cette dernière en 1996, du nouveau
créneau des produits fabriqués en caoutchouc recyclé et surtout du fait que le gouvernement du
Québec octroyait, à travers Recyc-Québec, des subventions pour les entreprises qui voulaient se lancer
dans la valorisation des matières résiduelles, vingt-cinq ex-employés se réunissaient pour créer Scopcat
(1996). Avec vingt-cinq travailleurs, cette entreprise se spécialise dans la conversion des pneus hors
d’usage en granule et en poudrette.
Ces granules de caoutchouc servent de matière première pour la fabrication de divers produits
en caoutchouc. Les entreprises clientes de Scopcat (1996) utilisent directement les granules dans leurs
procédés ou les transforment davantage pour en faire d’autres produits. Scopcat (1996) détient donc
une position clé de fournisseur de granules et de poudrette auprès des entreprises qui utilisent le
caoutchouc recyclé comme matière première.
Comme toute petite entreprise, Scopcat (1996) possède une structure simplifiée : un directeur
général, responsable de toutes les opérations (réception des matières premières, production,
commercialisation, finances) aidé par un assistant à la direction et un comptable. Dans son usine située
à Laval (Québec), Scopcat (1996) déchiquette 10 000 tonnes de pneus par année. De cette quantité,
60 % est converti en granules et en poudrette. Les 40 % restant sont constitués de résidus de métal
dont l’entreprise dispose. Cela représente environ 3 000 tonnes par année. Le chiffre d’affaires est de 5
millions de dollars. L’entreprise n’a pas de politique environnementale ni de certification internationale.
148
Au total, trois entretiens ont été réalisés dans cette entreprise. Le contact principal s’est fait par
l’entremise de son directeur général.
Scories des aciéries et résidus miniers
Ces sous-produits sont connus sous le nom de « résidus inorganiques industriels ». Selon Recyc-
Québec, ce sont des matières résiduelles dont les industries se servent généralement dans leurs
procédés de fabrication et qu’elles doivent éliminer suite à une certaine forme de contamination. On
retrouve dans cette catégorie des produits tels que l’alumine, le carbonate de sodium, la poussière de
cimenterie et de perlite, les résidus des fonderies, etc. Dans ce groupe, deux entreprises seront étudiées.
Cas 5 : Recmix
Le centre des opérations de l’entreprise Recmix est basé à Sorel-Tracy, au Québec. En
opération depuis 1985, cette entreprise de l’industrie métallurgique est spécialisée dans la valorisation à
100 % des scories d’acier inoxydable (la seule en Amérique) et dans la récupération du métal des laitiers
et des scories. L’entreprise est membre de la multinationale Trocan qui a son siège social au 1200,
route des Aciéries à Contrecœur. Recmix possède des divisions au Canada, au Brésil et en Afrique du
Sud. Au Québec, il y a deux filiales de Trocan : Melri et Recmix. Melri se spécialise dans le service
direct aux aciéries tandis que Recmix a pour créneau la valorisation et la commercialisation.
Comptant sur une force de 30 employés, Recmix possède une structure assez simple : un
directeur général, un ingénieur en recherche et deux techniciens. Cette petite entreprise partage avec
Melri, la compagnie affiliée, quelques fonctions, par exemple les finances et l’environnement. Le même
ingénieur chargé du dossier « environnement » remplit cette fonction pour les deux entreprises sœurs.
Bien que l’entreprise possède ce poste en environnement, elle n’a cependant pas de politique
environnementale. Par contre, Recmix a signé, avec le ministère de l’Environnement, un protocole
innovateur à l’égard de la valorisation des scories et des stériles miniers. Aujourd’hui, ce protocole sert
de base aux ententes de valorisation qui sont négociées dans l’industrie métallurgique au Québec.
La compagnie traite environ 60 000 tonnes de scories d’acier inoxydable. Le produit
métallique récupéré correspond aux normes de l’industrie et il contient moins de 2,5 % de scories. Il
est vendu directement pour la production des aciers alliés spéciaux. De ces 60 000 tonnes de scories
par année, le taux de récupération varie selon le fournisseur. Avec un taux allant de 2 % à 8 %, la
149
production est d’environ 4 800 tonnes d’acier inoxydable par année. Le produit résiduel est
commercialisé comme agrégat pierreux pour la construction des routes, des pavements, des remblais
routiers ainsi que pour la fabrication du béton. Le chiffre d’affaires atteint les 50 millions de dollars.
Recmix n’a pas de certification internationale de type ISO. Au total, trois entretiens ont été réalisés
dans cette entreprise. Le contact principal s’est fait par le biais du directeur général.
Cas 6 : Magnola
Construite juste à côté des résidus miniers entreposés par la mine JM Asbestos à Danville
(Québec), Métallurgie Magnola représente l’une des usines les plus modernes de l’industrie
métallurgique au Canada. Depuis 2000, cette filiale de la grande multinationale Noranda est spécialisée
dans la production du magnésium pur et de ses alliages (à partir des résidus de la serpentine), destinés
particulièrement aux industries de l’aluminium et des pièces moulées pour les automobiles. Le procédé
consiste à lixivier la serpentine à l’aide de l’acide chlorhydrique (HCl) pour sortir le magnésium de la
pierre. Le magnésium en solution est par la suite séché pour l’obtenir sous forme de sel. Et à partir de
ce sel, on procède par électrolyse (dissociation des ions chimiques des substances en solution ou en
fusion) pour finalement obtenir le magnésium.
Comme usine en rodage, Magnola s’était fixé l’objectif d’atteindre la production de 58 000
tonnes de magnésium par année pour 2004. La production annuelle a successivement été de 10 000
tonnes en 2001 et de 25 000 tonnes en 2002; en 2003, la production estimée était de 50 000 tonnes et
de 58 000 tonnes en 2004. Les difficultés du marché ont obligé Noranda à procéder à une fermeture
technique de l’usine en mai 2003. Au moment de cette fermeture, Magnola comptait sur une force de
360 employés directs et de 360 autres employés sous-traitants. La structure organisationnelle
comportait les fonctions suivantes : le président de Magnola, le directeur général et vice-président,
quatre grandes directions (entretien, technique, ressources humaines [la SST], comptabilité et
approvisionnement [achat, service électronique]). Les opérations de l’usine dépendaient directement du
directeur général (secteur « coulées », secteur « électrolyse » et secteur « préparation »). Les services de
qualité et d’environnement dépendaient aussi du directeur général. Le département « environnement »
était confié à un ingénieur à temps complet qui était aidé par deux techniciens. La politique
environnementale de l’entreprise était clairement définie.
150
En automne 2002, le secteur « coulées » était certifié ISO 9001. Magnola comptait obtenir cette
certification pour l’ensemble de l’usine en automne 2003. L’usine avait déjà passé l’étape du pré-audit
dans le cadre de la certification ISO 14001. Elle était sur la bonne voie étant donné qu’il n’y avait pas
eu de non-conformités majeures lors de cette première étape. Au total, huit entretiens ont été réalisés
dans l’usine de Magnola, à Danville. Le contact principal s’est fait par l’intermédiaire du responsable de
l’information et des services à la communauté.
Cimenteries
Dans cette catégorie, deux cimenteries qui utilisent divers types de résidus pour la combustion et
pour renforcer les propriétés du béton ont été analysées. Deux usines ont été étudiées dans ce groupe.
Cas 7 : Lafarge
L’usine de la cimenterie Lafarge Canada Inc. est située à Saint-Constant (Québec). En opération
depuis les années 1950, cette usine produit principalement de la poudre grise pour la fabrication du
béton. Les activités de valorisation résiduelle ont commencé vers 1998-1999. Cette valorisation
consiste à introduire différents types de résidus : pour remplacer, lors de la combustion, les sources
d’énergie conventionnelles; pour remplacer les ingrédients conventionnels qui entrent dans la
fabrication du ciment; pour modifier les propriétés chimiques du béton. Comme filiale d’une grande
multinationale, l’usine de Saint-Constant bénéficie de l’expérience et de l’expertise d’autres usines du
groupe.
Comptant sur une force de 134 employés, la cimenterie Lafarge produit environ 1 million de
tonnes de ciment par année. Son chiffre d’affaires atteint les 400 millions de dollars. L’usine est
répartie en fonction de la production, et la structure organisationnelle est divisée en ateliers. Le
directeur de l’usine s’occupe de la gestion de l’ensemble de l’usine et les différents ateliers sont :
maintenance et entretien, qualité, optimisation, approvisionnement et production. Les services
administratifs comprennent le contrôleur et les ressources humaines.
L’usine compte sur une politique de la qualité et sur une politique environnementale. La
première est définie dans le cadre de la certification ISO 9001, version 2000, obtenue en 1997. La
deuxième, définie en 1999, découle de la « Charte environnementale Lafarge » adoptée au niveau de
toute l’entreprise il y a sept ans. Toutes les usines Lafarge ont également adopté une politique de santé
151
et sécurité au travail. Il existe, à l’usine de Saint-Constant, un département « environnement » où
travaillent deux personnes à temps plein : un ingénieur, comme coordinateur, et une personne
supplémentaire, comme assistante en environnement. Cette personne s’occupe de l’intégration d’ISO
14001 dans l’usine : la formation, les procédures, la documentation, etc. Elle s’occupe aussi de gérer le
système complet ISO dans l’usine. L’usine travaille sur le dossier de la certification ISO 14001 et elle a
déjà passé l’étape de pré-audit. Il lui manque de petits détails à régler pour être dans le processus de
certification. Au total, six entretiens ont été réalisés dans l’usine Lafarge de Saint-Constant. Le contact
principal s’est fait par le biais du coordinateur en environnement.
Cas 8 : Ciment Saint-Laurent
L’usine de Ciment Saint-Laurent de Joliette (Québec) existe depuis 1965. C’est en 1976 que
Ciment Saint-Laurent a acheté l’usine de la famille Miron et qu’elle a installé son siège social à
Montréal. L’usine produit principalement de la poudre grise qui sert à la fabrication du béton. Les
activités de valorisation industrielle ont commencé en 1991. Aujourd’hui, l’usine utilise dans ses
procédés plus de 80 matières résiduelles pour la combustion, pour la substitution des composantes
naturelles dans la fabrication du ciment et pour l’amélioration des propriétés chimiques du béton.
Filiale de la multinationale suisse Holcim Ltd. et de sa filiale américaine Holcim US inc., l’usine
bénéficie de l’expertise de ses usines sœurs pour répondre aux besoins spécifiques de ses clients tout en
étant compétitive sur les marchés.
Comptant sur une force de 200 employés, l’usine produit environ 1 million de tonnes de ciment
par année. Le chiffre d’affaires atteint les 390 millions de dollars. La structure organisationnelle
comprend les grandes fonctions suivantes : production, entretien, qualité, ingénierie et projet,
comptabilité, environnement, ressources humaines et achat. Deux ingénieurs travaillent à temps plein à
la fonction « environnement », et l’entreprise possède une politique environnementale. Cette politique
environnementale a mené l’usine à la certification internationale ISO 14001 en mars 2003. Elle
comptait obtenir la certification ISO 9000 en 2004. Au total, quatre entretiens ont été réalisés dans
cette entreprise, à Joliette et au siège social de Montréal. Le contact principal s’est fait par le directeur
de l’énergie et de l’environnement.
152
Batteries au plomb-acide
Dans ce groupe, une seule entreprise a fait l’objet de l’étude.
Cas 9 : Nova PB
L’entreprise Nova Pb de Sainte Catherine (Québec) est en opération depuis 1984. Elle recycle
les métaux ferreux, les métaux non ferreux et en particulier le plomb, les batteries d'automobiles et les
résidus dangereux tels que les filtres à huile, les huiles usagées, les polymères et le carbonate de sodium.
Nova Pb fabrique des lingots de plomb et des alliages de ce métal; elle fabrique également de la fritte
de verre à partir des brasques provenant des alumineries.
Avec ses 140 employés, Nova Pb produit entre 50 000 et 60 000 tonnes métriques de plomb
recyclé par année et 4 500 tonnes métriques de polypropylène par année (ces deux types de matières
provenant essentiellement des batteries hors d’usage). Les autres matières résiduelles telles que les
filtres et les huiles usées sont utilisées et consommées en production. Le chiffre d’affaires atteint les 50
millions de dollars. Le développement rapide de l’entreprise a amené ses dirigeants à diversifier les
activités de recyclage et à restructurer l’entreprise. La structure est composée d’un président, de cinq
vice-présidents, de directeurs, de contremaîtres, d’employés et d’ouvriers de la base. Le groupe
Lamifor, créé récemment, contrôle Nova Pb inc. Trois autres filiales ont été créées : Nova Fret
International pour les exportations de tout ce que produit Nova Pb, Cage Fret et Calsimarque. Cette
dernière est chargée de la production et de la commercialisation de la fritte de verre produite à partir
des brasques provenant des alumineries, et qui porte le nom commercial de Calsifrit. Certifiée ISO
14001 depuis septembre 2000, l’usine Nova Pb compte sur une politique environnementale qui oriente
ses activités.
Au total, sept entretiens ont été réalisés dans l’usine de Nova Pb de Sainte-Catherine. Le contact
principal s’est fait par l’intermédiaire de son vice-président aux opérations, chargé de la recherche et du
développement.
Résidus animaliers
L’entreprise Rothsay-Laurenco est la seule entreprise étudiée dans ce groupe.
153
Cas 10 : Rothsay-Laurenco
Filiale de la grande compagnie canadienne Maple Leaf, Rothsay-Laurenco opère une usine à
Sainte-Catherine (Québec) depuis 1966. Elle recycle principalement les huiles et les graisses de cuisson;
elle fabrique de la farine d’os, de viande et de gras animal, et elle produit un carburant à base de
déchets animaliers recyclables. C’est cette dernière réalisation qui fait toute la fierté de Rothsay-
Laurenco. En effet, l’entreprise est sur le point de devenir, dans son domaine, l’une des plus
importantes au monde grâce à la production de biodiesel à partir des grasses animales.
Rothsay-Laurenco compte sur une force de 60 employés. Sa structure organisationnelle est assez
simple et elle comprend trois fonctions principales : la récupération des matières premières, la
transformation de ces dernières en farine protéinique, en gras animal et en biodiesel et, enfin, la
livraison aux meuneries. Entre ces fonctions, il y a, bien sûr, les fonctions administratives. Le chiffre
d’affaires de l’entreprise avoisine les 5 millions de dollars. Celui-ci est censé se multiplier avec la
commercialisation du biodiesel à partir de 2005. L’usine n’a pas de certification internationale de type
ISO ni de politique environnementale clairement définie. Comme les autres usines de Maple Leaf, elle
est par contre certifiée HACCP (Analyse des risques et points de contrôle critique), un système propre
à l’industrie agroalimentaire.
Au total, deux entretiens ont été réalisés dans l’usine de Rothsay-Laurenco de Sainte-Catherine.
Le contact principal s’est fait par le biais de son directeur général.
Résidus provenant des pâtes et papiers
L’entreprise Papiers Stadacona a été étudiée dans ce groupe.
Cas 11 : Papiers Stadacona
Papiers Stadacona, la plus grande usine de production de papier journal et de carton de la
capitale de la province de Québec, opère depuis 1927. C’est dans les années 1990 qu’elle commence à
s’intéresser à la valorisation de ses déchets industriels. Cette valorisation s’enracine dans la nouvelle
orientation que s’est donnée l’usine.
Avec ses 1 000 employés, Papiers Stadacona produit 1 500 tonnes de papier journal et 130
tonnes de carton par jour. Le chiffre d’affaires est de 50 millions de dollars. Les procédés utilisés pour
154
cette production génèrent environ 470 tonnes de résidus industriels par jour parmi lesquels 80 % sont
revalorisés. Pour sa taille, l’usine a une structure standard : un président, des vice-présidents, des
directeurs (ressources humaines, ventes, technique, environnement, etc.), des « surintendants » qui se
rapportent à des directeurs, des superviseurs, des coordinateurs, des contremaîtres, des employés et des
ouvriers de la base. L’usine compte sur une politique environnementale adoptée en 2003 qui guide les
principes de gestion responsable à l’interne. Elle n’est pas certifiée ISO 14001, mais elle détient la
certification ISO 9001.
Au total, six entretiens ont été réalisés dans l’usine Stadacona de Québec. Le contact principal
s’est fait par l’intermédiaire de son coordinateur à l’environnement.
Résidus de l’industrie chimique
L’entreprise Kronos a été étudiée dans ce groupe.
Cas 12 : Kronos
L’usine de Kronos Canada Inc. de Varennes (Québec) fabrique principalement du bioxyde de
titane (TiO2) depuis 1957. À compter de 1994, elle revalorise de l’acide sulfurique (H2SO4) pour
fabriquer du gypse. Elle récupère également de son procédé de fabrication de TiO2 le CO2 liquide qui
en est dégagé. Avec ses 388 employés, Kronos Canada produit annuellement 80 000 tonnes de TiO2,
65 000 tonnes de gypse et 9 000 tonnes d’air liquide. Le chiffre d’affaires est de 35 millions de dollars.
Membre de l’Association des fabricants des produits chimiques du Canada (AFPCC), l’usine de
Kronos possède une politique environnementale qui se définit par un mode de gestion responsable. La
structure est faite de personnel des secteurs des ressources humaines, de l’ingénierie, de la technique
(laboratoires, procédés), de la production et de l’environnement. Ce dernier poste est confié à un
ingénieur à temps plein qui se fait aider par deux autres personnes provenant du département
technique. L’usine possède déjà la certification ISO 9002. Au total, quatre entretiens ont été réalisés
dans l’usine de Kronos Canada de Varennes.
La diversité des secteurs d’activité et les différents niveaux d’intégration de la valorisation
résiduelle constituent, dans le cadre de cette étude, des facteurs qui favorisent la compréhension de sa
mise en marche. Cela justifie la raison pour laquelle la recherche porte sur des entreprises oeuvrant
155
dans sept secteurs industriels différents. Cela a permis également de confronter des données
empiriques avec les concepts théoriques portant sur l’écologie industrielle et sur la valorisation
résiduelle.
5.3.3. La présentation du questionnaire
Examiner avec soin le questionnaire utilisé comme instrument de recherche constitue un aspect
important dans la démarche méthodologique. L’objectif de cet examen est de montrer que le
questionnaire utilisé constitue le point d’ancrage de la présente recherche tel que déjà schématisé
(figure 5). En ce sens, la présentation du questionnaire porte sur trois points essentiels de la pertinence
des questions posées pendant les entretiens.
Quelle est la nature des questions posées? Le questionnaire conçu se compose de cinq sections
essentielles : information générale sur l’entreprise, valorisation résiduelle, procédés de base,
performances de l’entreprise, problèmes de valorisation résiduelle. Les questions de chaque section
tentent d’apporter des réponses et d’explorer des dimensions spécifiques de la recherche. Il apparaît
pertinent de rappeler ici que la recherche s’inscrit dans le cadre d’une étude qualitative, empirique et
inductive (Strauss et Corbin, 1990). Les questions posées sont donc de type semi-ouvert. Les réponses
du répondant vont au-delà des questions posées. C’est dans ce sens que beaucoup de dimensions de la
recherche sont identifiées par le chercheur dans la démarche de l’analyse et de l’interprétation des
résultats (Creswell, 1998). C’est bien là ce que Strauss et Corbin (1990) désignent par le développement
et l’identification de nouvelles catégories. En d’autres termes, dans une recherche qualitative reposant
sur une démarche inductive comme la nôtre, un certain nombre de concepts sont introduits dans la
présentation générale des résultats, lesquels concepts peuvent ou ne pas être reflétés dans le
questionnaire de façon explicite. Ayant précisé cette dimension importante de la recherche qualitative,
il faut passer maintenant à l’examen des questions posées lors des entretiens avec les gestionnaires des
entreprises visitées.
Informations générales sur l’entreprise
La première section du questionnaire porte sur des informations générales liées à l’entreprise.
Ces informations permettent de positionner l’entreprise par rapport à ses activités de valorisation
résiduelle. Cet aperçu général de l’entreprise oriente le reste des sections du questionnaire. De façon
156
spécifique, des informations suivantes ont été obtenues : le secteur d’activité, le moment où les
pratiques de valorisation ont été initiées, la définition de la mission de l’entreprise, la politique
environnementale, le genre de production et son importance, les niveaux d’intégration et les types de
synergie industrielle, entre autres. L’essentiel de ces informations ont permis d’identifier et de
développer d’autres catégories de la recherche. À titre d’exemple, les types de synergie industrielle
reflètent la dimension échange de sous-produits et des matières premières. Cette dimension est liée aux
concepts de récupération, d’utilisation, de collaboration, de coopération entre entreprises tels que
définis dans le cadre conceptuel. Les informations portant sur le genre de production et son
importance ont permis par exemple de déterminer la mesure de la valorisation résiduelle. Les
informations sur la politique environnementale et l’adoption des certifications internationales (la série
des normes ISO 1400 ou encore ISO 9000) ont permis de comprendre des dimensions portant sur la
gestion environnementale de la valorisation résiduelle. Ainsi, à partir des informations recueillies de
cette première section, les deux premiers chapitres de la thèse portant sur la valorisation résiduelle en
pratique et sur le modèle conceptuel de la valorisation résiduelle ont être construits.
Valorisation des sous-produits industriels
La deuxième section du questionnaire porte sur la valorisation des sous-produits industriels.
L’objectif principal de cette section était de recueillir des perceptions des gestionnaires sur la
valorisation résiduelle. Les questions ont tourné autour de la conceptualisation des activités de
valorisation de la part des gestionnaires, les motivations vis-à-vis la valorisation, les facteurs internes et
externes qui ont influencé leurs décisions de se lancer dans la valorisation résiduelle ainsi que les liens
qu’ils établissent entre la valorisation résiduelle et les stratégies mises de l’avant dans l’ensemble de
leurs activités industrielles.
Les informations portant sur les façons dont les gestionnaires conçoivent la valorisation
résiduelle constituent l’essentiel de la première partie du chapitre consacrée à la valorisation résiduelle
en pratique. Il était important pour la recherche de connaître les motivations pour la valorisation. Ce
qui a permis de développer les catégories portant sur l’orientation économique des activités de
valorisation et de faire des liens avec la valorisation résiduelle primaire et secondaire ainsi qu’avec le
concept de reconnaissance de l’opportunité. Cette section sur les perceptions des gestionnaires sur la
157
valorisation résiduelle a permis de mettre en évidence les considérations des différentes approches de
l’optimisation de l’usage des ressources telles que déjà mentionnées.
Procédés mis en place
La troisième section du questionnaire porte sur les procédés mis en place pour utiliser et
transformer les sous-produits et les matières résiduelles. Les questions spécifiques ont tourné autour de
l’origine des intrants, les procédés utilisés, les équipements, l’indice de valorisation, etc. Les
informations recueillies dans cette section ont permis de comprendre comment les gestionnaires
tentent d’optimiser l’usage des ressources. Comme indiqué, les différents courants de pensée en
écologie industrielle mettent un accent particulier sur le design des procédés, sur la compréhension de
la façon dont les entreprises visitées composent avec la conception et l’amélioration de l’efficience et
avec leur adaptation aux exigences environnementales - aspects importants, que l’étude a tenté
d’explorer.
Performances de l’entreprise
La quatrième section du questionnaire porte sur les performances commerciales et
environnementales de l’entreprise. En ce qui concerne les résultats financiers positifs des activités de
valorisation résiduelle primaire ou encore secondaire, les questions posées ont tourné autour de
l’augmentation de la part des marchés, du chiffre d’affaires en terme général. L’essentiel des
performances environnementales a reposé sur les questions sur le développement des indicateurs de
mesure de la performance environnementale et sur le type d’information recherchée pour planifier et
réorganiser les activités de valorisation. La question de la performance environnementale des activités
d’écologie industrielle, en particulier la valorisation résiduelle, se trouve au cœur des débats entre les
spécialistes.
C’est ainsi que les informations recueillies dans cette section ont permis de construire l’essentiel
des aspects discutés dans le chapitre portant sur la relation entre l’environnement et la productivité.
158
Problèmes rencontrés
La cinquième et dernière section du questionnaire porte sur les difficultés rencontrées par les
gestionnaires dans la poursuite des activités de valorisation résiduelle. L’identification de ces difficultés
constitue l’un des objectifs majeurs de la présente thèse. Ces difficultés ont été regroupées par domaine
(ressources humaines, opérations, ventes et environnement). Pour chacun de ces domaines, des
questions beaucoup plus précises ont été posées. Par exemple, en ce qui a trait à la gestion des
opérations, elles ont porté sur les aspects suivants : approvisionnement en matières premières,
transport des résidus, localisation de l’entreprise, adaptation aux technologies environnementales, effet
de l’apprentissage, substitution des matières premières, dépendance des systèmes de production et de
consommation, etc.
Ces différents aspects ont permis de mieux comprendre les structures et le fonctionnement des
initiatives de valorisation résiduelle dans les entreprises visitées, de faire des liens avec les approches
d’optimisation de l’usage des ressources identifiées et de construire des modèles représentatifs de
l’objet de recherche. Ainsi, le questionnaire tel que conçu pour la recherche, sans prétendre apporter
des réponses à toutes les interrogations sur l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise, a servi afin
de recueillir des informations nécessaires pour comprendre l’objet de la présente recherche et pour
atteindre les objectifs de celle-ci. Ce même questionnaire a servi de pont entre les différentes théories
élaborées sur l’écologie industrielle comme une façon de mettre en œuvre le développement durable et
le cadre conceptuel construit pour la recherche et les résultats de l’étude.
Par ailleurs, certains documents « internes » des entreprises ont servi de source alternative
d’évidence. Ces documents portent sur la mission, les objectifs, les procédés, les systèmes de gestion
environnementale, les produits offerts, les marchés cibles, etc. Ils ont permis de compléter les
informations qui ont été recueillies lors des entretiens et, surtout, d’apporter certains détails techniques
quant à la description des procédés, à la typologie des intrants, à la classification des effluents, etc.
159
5.4. L’analyse et l’interprétation des résultats
Bien que, schématiquement, l’analyse et l’interprétation des résultats soient des étapes qui
suivent la collecte des données, il en va différemment en pratique. En effet, cette étape fait déjà partie
de la recherche dès le début de celle-ci. Elle se fait donc de façon progressive et accompagne les autres
étapes de l’étude, en particulier la collecte des données, la transcription des verbatims et la constitution
des catégories.
Tout au long de la recherche, la connaissance est rendue possible par un processus de
construction qui se fait au fil de l’interaction entre le sujet-connaissant (le chercheur) et son objet de
recherche (Piaget, 1967). Piaget considère le sujet connaissant comme l’acteur principal du processus
d’accroissement ou de développement de la connaissance : il est le centre d’action et de coordination
de ce processus. Mais l’interprétation et l’analyse se différencient des autres étapes dans la mesure où le
chercheur tente de construire une connaissance jugée « objective » par lui. Cette section s’articule ainsi
autour des points suivants : la collecte des données, la transcription des verbatims, la construction des
catégories de données, l’analyse de chaque cas étudié et l’interprétation globale des résultats.
5.4.1. La collecte des données
Dans le cas des entretiens déjà réalisés dans le cadre de ce projet de recherche, l’interprétation et
l’analyse des résultats ont commencé dès que les premières données ont été recueillies. Une analyse
préliminaire a accompagné chaque entretien réalisé. Et même lors du déroulement de chaque entretien
ou pendant les visites d’usines, les propos recueillis ont permis sur-le-champ de faire des liens directs
avec les concepts d’écologie industrielle et du management. Chaque question posée au participant a été
suivie de nombreuses autres questions dans le but de faciliter la compréhension des propos tenus par
le répondant. Mais en fait, ce qu’il convient de signaler ici, c’est que cette procédure correspond bien à
une interprétation et à une analyse des données en présence du répondant. En effet, cet exercice d’une
grande importance pour le développement des connaissances a permis de discerner les différentes
réponses aux questions posées et d’arriver à une explication des rapports que ces dernières
entretiennent les unes avec les autres.
160
C’est bien là l’une des caractéristiques des études qualitatives dans lesquelles la collecte des
données ainsi que l’analyse et l’interprétation de celles-ci constituent un processus spontané et continu,
tel que le soutient Merriam (1988) :
Collection and data collection should be a simultaneous process in qualitative research. It is, in fact, the timing of analysis and the integration of analysis with other tasks that distinguish a qualitative design from traditional positivistic research. A qualitative design is emergent: One does not know whom to interview, what to ask, or where to look next without analyzing data as they are collected. The process of data collection and analysis is recursive and dynamic. But this is not to say that the analysis is finished when all the data have been collected. Quite the opposite. Analysis becomes more intensive once all the data are in, even though analysis has been an ongoing activity (Merriam, 1988, p. 123)
5.4.2. La retranscription des verbatims
Les entretiens enregistrés ont été ensuite écoutés et retranscrits dans leur intégralité (verbatims)
sur traitement de texte. Lors de la transcription de chaque verbatim, outre la transcription proprement
dite, les données collectées ont été soumises à un traitement afin de pouvoir faire ressortir les éléments
les plus saillants de chaque entretien. Le fait que la même personne qui a réalisé les entretiens et visité
les usines ait également écouté les enregistrements et retranscrit les verbatims a beaucoup facilité cette
analyse préliminaire. Les éléments saillants de chaque entretien ont permis, d’une part, de les comparer
avec ceux des autres entretiens et, d’autre part, d’orienter les entretiens ultérieurs. Les notes prises lors
des entretiens ont été également insérées dans les verbatims. Ces notes ont favorisé le regroupement et
la catégorisation des données. En outre, elles ont permis de mieux orienter la comparaison entre les
verbatims et le recours aux concepts théoriques sur l’écologie industrielle. Afin de ne pas perdre de vue
des détails importants, les entretiens enregistrés ont été retranscrits quelques heures seulement après
avoir été réalisés.
5.4.3. La construction des catégories de données
Si l’analyse primaire telle que décrite dans la section précédente correspond à un processus de
déconstruction des données, la catégorisation s’apparente à celui de la construction de ces mêmes
données, fut-elle aussi primaire. En effet, les données recueillies sur le terrain sont brutes. Les
répondants, par exemple, pendant tout le temps que dure l’entretien, abordent divers sujets touchant la
161
planification des pratiques de valorisation résiduelle ainsi que les difficultés techniques et financières
avec les employés, le ministère de l’Environnement, etc. La première étape dans le processus de
catégorisation de ces informations est celle de la classification. Cette classification a permis
l’élaboration des catégories selon les thèmes préétablis d’abord, puis selon des thèmes qui ont tenu
compte des concepts qui ont émergé au fur et à mesure de la collecte des données sur le terrain. Une
catégorie est conçue comme un thème central qui regroupe les concepts abordant le même sujet. Au
total, 84 catégories, regroupées en 5 thèmes généraux (informations générales sur l’entreprise, sur la
valorisation des sous-produits industriels, sur les procédés utilisés dans la valorisation résiduelle, sur les
performances commerciales et environnementales, et sur les difficultés rencontrées) et en 23 sous
thèmes, ont été constituées.
Category: A classification of concepts. This classification is discovered when concepts are compared one against another and appear to pertain to similar phenomenon. Thus the concepts are grouped together under a higher order, more abstract concept called a category (Strauss et Corbin, 1990, p. 61).
Le logiciel d’analyse qualitative QRS N’Vivo (version 2.0) a été utilisé pour faciliter ce processus
de catégorisation (figure 6). En effet, la codification et les interactions entre les catégories, les
documents intégraux d’où elles sont issues ainsi que les hyperliens que permettent ce logiciel en font
un outil d’analyse par excellence. Les concepts appartenant à une même catégorie et ses sous-
catégories forment ainsi l’arbre de cette catégorie. Il est important de préciser ces arbres dans la mesure
où ils montrent la démarche suivie depuis une donnée brute jusqu’à son intégration dans un groupe de
concepts en suivant un ordre ascendant d’abstraction. L’arbre d’une catégorie montre en effet le
résultat de la démarche de la codification qui se trouve à la base de la grounded theory.
Le projet portant sur l’écologie industrielle contenu dans le logiciel N-Vivo comprend huit grands
thèmes ou grandes catégories ou encore nœuds34 : l’orientation entrepreneuriale, la transformation
résiduelle, le design des procédés, la performance de la valorisation résiduelle, les structures et les
fonctionnements, les problèmes rencontrés, les remises en questions ainsi que les implications
managériales. Ces huit nœuds en hiérarchie du projet portant sur les entretiens ont permis de 34 La démarche de la grounded theory s’apparente au processus de catégorisation du logiciel N-Vivo. Les
catégories deviennent, dans N-Vivo, des nœuds-parents et nœuds-enfants. La démarche reste la même, celle de construire, de grouper et de comparer les concepts appartenant au même phénomène.
162
construire près de 65 « nœuds-enfants » différents. La construction de ces nœuds ou catégories a été le
résultat d’un long processus de restructuration de toutes les catégories initialement construites. En
effet, le processus d’analyse des résultats s’accompagne toujours de celui de révision et de
regroupement des catégories déjà existantes, ce qui facilite également leur gestion.
Figure 6. Construction des catégories
Un nœud est un contenant dans lequel N-Vivo emmagasine une catégorie ou un codage. Si les documents peuvent être associés à la partie empirique du projet, les nœuds sont, pour leur part, plus près des idées, de la théorie. Ils permettent de classifier et de représenter des processus, des faits, des concepts abstraits, des lieux ou des individus (Bourdon, 2001, p. 6).
Le tableau suivant montre, pour chaque nœud ou catégorie, le nombre de documents ainsi que
le nombre de passages codés. Comment interpréter l’information contenue dans chaque ligne du
tableau? Par exemple :
CAS 1
Entretien 1. Classification des données brutes
1. XX
2. YY
3. ZZ
1. Type de production
2. Main-d’oeuvre
3. Approvi- sionnement
Catégorisation
Données brutes (verbatims), documents de l’entreprise, notes personnelles, autres
163
(1 5 1) : Valorisation résiduelle/Implications managériales/Rimer l’écologie et l’économie. Documents 20. Passages codés 44.
1 renvoie au nœud parent portant sur la valorisation résiduelle. C’est dans ce sens que le chiffre 1
apparaît devant chaque ligne. Ensuite, 5 représente la catégorie sur les implications managériales.
Enfin, 2 indique la sous-catégorie « Rimer l’écologie et l’économie ». Ce qui illustre bien l’analyse et
l’interprétation des données brutes par le processus de classification et de catégorisation ascendante.
Pour cette catégorie, 44 passages ont été codés à partir de 20 documents différents.
Tableau 10. Catégories et passages codés
Catégories Documents
Passages codés
1. Valorisation résiduelle
1. Orientation de
l’entreprise
7. Facteurs de
succès (1 1 7 1)Structurer les opérations 12 21 (1 1 7 2) Développer et gérer les compétences- 28 82 (1 1 7 3) Rationaliser les méthodes 12 22 (1 1 7 4) Mobiliser les ressources 35 74 (1 1 7 5) Appui des gouvernements 11 18 2.
Transformation résiduelle
(1 2 1) Conception de la valorisation 53 64 (1 2 2) Motivations 51 103 (1 2 3) Facteurs déterminants 56 106 4. Design des
procédés (1 2 4 1) Provenance des intrants 19 21 (1 2 4 2) Spécificité des procédés 45 109 (3) Indice de valorisation 21 32 5. Performance
de la valorisation (1 2 5 1) Économique 50 55 (1 2 5 2) Environnementale 53 105 6. Modèle
conceptuel (1 2 6) Modèle conceptuel 7 7 8. Structures et
fonctionnement (1 2 6 1) Échelles de valorisation 13 21 (1 2 6 2) Modes de valorisation 12 27 (1 2 6 3) Orientation de la valorisation 13 15 (1 2 6 4) Dialectique valorisation et SGE 37 114 (1 2 6 5) Typologie de la valorisation 4 7 3. Problèmes de
valorisation
164
1. Introduction/ Administration
(1 3 1 1) Bureaucratie 5 5 (1 3 1 3) Réceptivité sociale 30 51 (1 3 1 4) Transport 2 2 (1 3 1 8) /Manque de main-d’œuvre 30 38 (1 3 1 9) Insouciance des employés 21 29 2. /Introduction/
Gestion des opérations
(1 3 2 1) Stockage des matières résiduelles 10 13 (1 3 2 2) Optimisation des ressources 21 28 (1 3 2 3) Approvisionnement en matières premières 22 49 (1 3 2 5) Dépendance de l’industrie primaire 15 16 (1 3 2 6) Adaptation aux exigences environnementales 7 8 3. /Introduction/
Environnement (1 3 3 1) Inflexibilité des règlements 13 22 (1 3 3 3) Lourdeur du système 22 44 (1 3 3 4) Hyper-flexibilité 13 17 4.
Transformation/Opérations
(1 3 4 2) Standardisation des équipements 14 17 5.
Transformation/Opérations
(1 3 5 3) /Effet d'apprentissage 19 22 (1 3 5 5) Manutention des équipements 11 11 (1 3 5 6) Coûts d'opération 7 8 6.
Développement des marchés
(1 3 6 1) Développement des marchés 20 31 4. Remises en
question
(1 4 1) Comptabilité environnementale 20 20 (1 4 2) Transport des matières 16 16 (1 4 3) Valorisation sans écologie industrie 24 82 (1 4 4) Systèmes industriels de gaspillage 10 13 (1 4 5) Analyse de Cycle de Vie des produits 16 16 5. Implications
managériales
(1 5 1) Rimer l'écologie et l'économie 20 44 (1 5 2) Innovation 22 41 (1 5 3) Compétitivité 25 53 (1 5 4) Risque 14 21 (1 5 5) Culture 18 27 (1 5 6) Gestion Savoirs 4 4 (1 5 7) Réseaux d’échange 27 62
165
5.4.4. L’analyse de chaque cas étudié
Chaque verbatim a fait l’objet d’un rapport individuel qui, à son tour, a été intégré au rapport
général des entretiens réalisés au sein d’une même entreprise. Cette analyse des résultats de chaque
entreprise étudiée a porté sur la situation globale en rapport aux questions posées. Celles-ci portent en
particulier sur des informations générales liées à l’entreprise : le genre de production et son importance,
le moment où les pratiques de valorisation ont été initiées, les niveaux d’intégration, les types de
synergie industrielle, les motivations vis-à-vis la valorisation, les procédés utilisés, les équipements,
l’indice de valorisation, les performances commerciales et environnementales ainsi que les difficultés
rencontrées.
Cette analyse a ainsi reposé sur la contextualisation générale des résultats d’un cas, la
construction des catégories, le croisement et la comparaison des différents thèmes et l’interprétation
des concepts émergents de chaque thème, c’est-à-dire la mise en question des hypothèses construites
au fur et à mesure que la recherche progresse. Trois techniques en particulier ont été privilégiées :
l’examen approfondi de chaque verbatim en portant une attention particulière à chacune des questions,
réponses, échelle d’attitude, affirmations et explications proposées par les répondants; le regroupement
ou la catégorisation des thèmes; et enfin, la comparaison de plusieurs sources d’information,
notamment les transcriptions d’entretiens (verbatims), les documents d’entreprise (portant sur les types
de production, les procédés utilisés, le système de gestion environnementale, les données relatives à la
performance environnementale, etc.), les notes prises lors des entretiens et les visites d’usine.
5.4.5. L’interprétation globale des résultats
L’interprétation globale des résultats a reposé, à l’instar de l’analyse individuelle de chaque cas,
sur l’analyse et la comparaison des résultats globaux de chacun des cas étudiés. Cette démarche a ainsi
abouti à des propositions qui sont tenues pour vraies dans le cadre précis du phénomène étudié. En
outre, cette démarche a permis de lier les faits observés aux concepts d’écologie industrielle et de
management. En suivant le schéma (figure 5) présenté pour la recherche, l’interprétation globale des
résultats a conduit à la compréhension des pratiques de valorisation par une approche managériale.
Chaque mot, phrase ou groupe de phrases faisant partie des propos tenus par les répondants lors des
entretiens (source principale de collecte des données) a été interprété en ayant à l’esprit sa place dans
166
l’approche managériale et la contribution de cette dernière au développement de la théorie enracinée
(Glaser et Strauss, 1967; Strauss et Corbin, 1990).
Enfin, cette démarche a permis de mieux comprendre le phénomène étudié et donc d’atteindre,
de façon générale, les objectifs de la recherche. Atteindre ces objectifs a supposé d’abord et avant tout
la construction de la validité interne de l’étude. Il apparaît pertinent d’aborder cette question étant
donné qu’elle est intrinsèquement liée aux objectifs poursuivis par l’étude, aux stratégies utilisées
(échantillonnage, collecte des données, analyse et interprétation des résultats), aux questions de
recherche et au contexte conceptuel (Maxwell, 1999).
La validité est plus un but qu’un produit ; elle ne peut jamais être prouvée ou prise pour acquis. Elle est également relative : elle doit plus être évaluée en relation aux buts et aux circonstances de la recherche qu’être considérée comme une propriété des méthodes ou des conclusions indépendantes du contexte. Elle désigne l’exactitude ou la crédibilité d’une description, d’une conclusion, d’une explication, d’une interprétation ou de tout autre sorte d’analyse (Maxwell, 1999, p. 158-159)
Étant donné que la réalisation de cette recherche a eu recours à des descriptions d’activités de
valorisation résiduelle et à des interprétations des perceptions des dirigeants de ces mêmes activités, ces
descriptions et interprétations représentent deux types de validité de compréhension de la recherche
qualitative selon Maxwell (1999), à côté d’un troisième, la théorie. À chacun de ces types de validité
correspondent des menaces différentes d’invalidité. Voici, par exemple, ce que dit Maxwell (1999) à
propos de la description et de l’interprétation :
La menace principale d’une description, au sens de décrire ce que vous avez vu et avez entendu, réside dans l’inexactitude ou l’imperfection des données. L’enregistrement audio ou vidéo des observations et des enregistrements et la transcription in extenso de ces enregistrements résolvent en grande partie ce problème; si vous n’y recourez pas, il existe une menace potentiellement sérieuse d’invalidité de votre étude.
La menace principale d’invalidation pour l’interprétation est d’imposer son propre cadre ou sa propre signification plutôt que de chercher à comprendre la perspective des personnes étudiées et les significations qu’ils attachent à leurs dires et actions. Le contrôle le plus important sur de telles menaces d’invalidation est de sérieusement et systématiquement chercher à apprendre comment les participations à votre étude produisent du sens sur ce qui se passe plutôt que de mettre une étiquette sur leurs dires et leurs actions à partir de votre propre cadre. La stratégie connue sous le nom de
167
contrôle par les membres (rétroaction de la part de la population étudiée) est une des manières principales d’éviter cette menace (Maxwell, 1999, p. 162-163).
En effet, les stratégies choisies ont permis non seulement de mener à terme cette recherche, mais
aussi de conjurer les menaces d’invalidation. La retranscription des verbatims, l’entretien semi-directif
(avec les dirigeants des entreprises étudiées, des responsables du ministère de l’Environnement et des
responsables des entreprises de pré-conditionnement des résidus), la comparaison des différents cas, le
contrôle par les membres, etc. ont permis de recueillir des données « riches », c’est-à-dire
« suffisamment détaillées et complètes pour fournir une image d’ensemble révélatrice de ce qui se
passe » (Maxwell, 1999, p. 171-172). L’intention était d’arriver à cette intégrité et de la traduire dans un
discours « scientifique ».
Ayant défini la méthodologie et les techniques utilisées pour bien réaliser cette étude, il ne reste
qu’à présenter l’analyse et l’interprétation proprement dites des données empiriques collectées. C’est ce
que tente de faire la partie suivante. Par ce processus analytique, l’intention est de regarder en
profondeur les expériences de valorisation résiduelle afin de leur donner d’autres niveaux de
signification tout en préservant le caractère unique et spécifique de chaque entretien réalisé.
168
TROISIÈME PARTIE
LES RÉSULTATS DE L’ÉTUDE
169
Cette partie qui porte sur les résultats de l’étude se compose de six chapitres. Elle commence
avec le chapitre sixième de la thèse. Ce dernier est consacré à la valorisation résiduelle telle que perçue
par les gestionnaires rencontrés. Le septième chapitre propose un modèle conceptuel de la valorisation
résiduelle. Selon ce modèle, la valorisation résiduelle se comprend en termes d’introduction, de
transformation, d’échange et de marché (ITEM). Le huitième chapitre s’articule autour des structures
et du fonctionnement des différents types de valorisation résiduelle identifiés. Le neuvième chapitre
analyse la gestion environnementale des pratiques de valorisation résiduelle. Ce chapitre propose
également un modèle du processus d’harmonisation entre l’écologie et l’économie de l’entreprise. Le
dixième chapitre présente les facteurs de réussite des pratiques d’écologie industrielle à l’échelle de
l’entreprise. Le onzième chapitre présente et analyse les difficultés auxquelles les gestionnaires engagés
dans la valorisation résiduelle font face. Enfin, la conclusion générale présente la discussion des
résultats et montre les contributions de la recherche en indiquant les limites de celle-ci.
La structure de chaque chapitre portant sur les résultats repose sur trois éléments essentiels.
D’abord, la présentation générale des résultats de l’étude groupés par thèmes ou catégories. Ensuite,
l’interprétation globale des résultats par l’analyse et la comparaison des résultats globaux de chacun des
cas étudiés. Enfin, le regard sur les concepts construits et les théories développées en écologie
industrielle en particulier la valorisation résiduelle. Les chapitres de présentation des résultats ont été
ordonnés dans une logique d’exposé séquentiel. La présente partie suit à quelques exceptions près
l’ordre des questions de la présente recherche, à savoir la nature des pratiques de valorisation
résiduelle, les structures et le fonctionnement, la gestion environnementale de la valorisation, les
difficultés ainsi que les implications organisationnelles de ces dernières. Dans l’interprétation des
résultats, le lecteur se rendra compte que plusieurs citations ont été insérées. Celles-ci visent à illustrer
les tendances générales de l’analyse des données à partir de passages représentatifs du discours des
répondants. Pour protéger l’anonymat des répondants, les citations insérées dans le présent texte
spécifient simplement la fonction de chacun d’entre eux.
170
CHAPITRE 6
LA VALORISATION RÉSIDUELLE EN PRATIQUE
Ce chapitre introductif aux résultats de l’étude tente de préciser les caractéristiques de la
valorisation des sous-produits industriels selon les réponses des participants à l’étude. Connaître ce
qu’est la valorisation résiduelle en pratique permettra ainsi d’en proposer une définition fonctionnelle,
non à partir des données théoriques mais plutôt à partir des données empiriques. Dans un premier
temps, le chapitre présentera et analysera des éléments pratiques sur lesquels repose la notion de
valorisation résiduelle selon les perceptions des gestionnaires rencontrés. Dans un deuxième temps, il
s’attachera à analyser les motivations qui poussent les dirigeants à opter pour la valorisation comme
stratégie d’entreprise.
6.1. Des perceptions contrastées de la valorisation résiduelle
La valorisation résiduelle n’est pas définie de façon uniforme par les responsables rencontrés.
Leurs définitions s’articulent autour d’un certain nombre de thématiques qui représentent une réalité
particulière au sein de l’industrie selon le point de vue particulier de chaque répondant. Ces termes
sont : récupération, réutilisation des matières résiduelles, seconde vie à un produit rebuté, création de
nouveaux produits, transformation des résidus en produits à valeur commerciale, diminution des rejets
environnementaux, élimination de l’enfouissement, introduction des produits rejetés par d’autres
entreprises, redéfinition des fonctions dans les procédés et le recyclage.
Si ces différents termes renvoient à une même réalité, ils peuvent être cependant classés en
quatre grandes catégories pour en faciliter la compréhension (figure 7) : la description de la façon
d’avoir accès aux matières premières; le cycle de traitement ou l’élaboration des produits; la valeur
commerciale et le marché; et les bénéfices environnementaux. Dans les sous-sections suivantes, ces
quatre grandes catégories sont présentées et analysées.
171
Figure 7. Définitions de la valorisation résiduelle
6.1.1. L’accès aux matières premières
La première manière de définir la valorisation résiduelle s’articule autour de l’accès aux matières
premières. Les concepts de récupération, de réutilisation, de seconde vie et d’introduction des produits
rejetés par d’autres renvoient à la façon qu’ont les entreprises d’avoir accès à ces matières premières.
Je pense que la valorisation résiduelle est une nécessité de prendre et d’utiliser les matières qui se trouveraient dans des sites d’enfouissement et leur donner une valeur commerciale (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
C’est prendre une matière qui n’est plus d’intérêt pour la société (résidentielle, industrielle et commerciale) et on l’utilise dans un procédé industriel et donc on lui donne une seconde vie… (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 8).
C’est une réutilisation d’un produit. C’est du développement durable. C’est un cycle de produit complet. Dans la façon dont on l’utilise, qu’on le régénère et qu’on le reproduise, on lui donne une nouvelle vie qui peut être très longue (…) Les ressources vierges ou nobles coûtent cher. En reprenant des agrégats qui viennent du béton, lesquels ont été détruits et re-broyés, on les utilise dans la matrice pour la fabrication
Avoir accès aux matières premières
• Récupération • Réutilisation • Introduction des
produits rejetés
Cycle de traitement des matières premières
• Transformation • Redéfinition des
procédés • Recyclage
Valeur commerciale
• Création de valeur
• Seconde vie aux matières résiduelles
Bénéfices pour l’environnement
• Diminution des rejets
• Élimination de l’enfouissement
VALORISATION RÉSIDUELLE
172
d’un nouveau ciment à un coût relativement faible (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Bien que simplifiées en ce qui touche les modalités selon lesquelles les responsables des
entreprises visitées rentrent en possession de nouvelles matières premières (en opposition aux matières
premières conventionnelles, vierges ou encore nobles), ces propos induisent plusieurs concepts utilisés
en écologie industrielle, en particulier les faibles coûts des sous-produits, le développement des filières
fonctionnelles de récupération, les échanges entre les entreprises ainsi que le savoir-faire nécessaire
pour utiliser ces matières dans les procédés. Ce qui rejoint l’idée à la base de l’écologie industrielle telle
que définie par Frosch et Gallopoulos (1989). Par exemple, lorsque les gestionnaires s’expriment en
termes de « … matières que d’autres entreprises rejettent… », il est indiscutable qu’ils se réfèrent aux
réseaux d’échange des sous-produits.
Comme la présente thèse va le montrer en analysant d’autres composantes de la conception de
la valorisation résiduelle selon les dirigeants rencontrés, le concept de modalités d’échange ne semble
pas s’imposer dans le discours de ces derniers. En outre, « …analyser les résidus et leur donner une
forme pour qu’ils soient utilisés dans l’usine… », tel qu’évoqué par les gestionnaires, renvoie à
plusieurs dimensions liées à l’investissement, à la rentabilité ou à la relation coût-bénéfice de
l’utilisation des sous-produits, ou encore au temps nécessaire pour développer et acquérir le savoir-
faire. Ces différentes dimensions permettront ainsi d’explorer et d’approfondir l’analyse de la
valorisation résiduelle selon l’approche managériale adoptée dans cette thèse.
6.1.2. Le cycle de traitement
La deuxième façon de concevoir la valorisation résiduelle renvoie au concept de cycle de
traitement des matières. La valorisation résiduelle est définie en termes de transformation, de création
de nouveaux produits, de recyclage et de définition de nouvelles fonctions dans les procédés, le cycle
de traitement et l’élaboration des produits à partir des sous-produits industriels. Cette élaboration
suppose la mise en forme de procédés afin que les dirigeants d’entreprises soient capables de recevoir
et de traiter les différents sous-produits. Elle suppose également le développement des compétences
nécessaires pour bien réaliser le cycle de traitement. Ces efforts sont dirigés vers la réalisation de plus
173
de profit pour l’entreprise (reconnaissance de l’opportunité), même si certains dirigeants évoquent
également des bénéfices pour la société de façon générale
La valorisation résiduelle, c’est du recyclage. C’est trouver une deuxième vie à ce qu’une usine industrielle produit. Notre entreprise produit des lingots de magnésium pour la fabrication des pièces automobiles. Celles-ci peuvent être retournées dans le processus pour avoir une deuxième ou une troisième vie (un directeur de l’entretien et de l’ingénierie, cas 6).
La valorisation peut être définie en termes de déconstruction et de reconstruction d’un résidu pour en faire un produit que l’on remet sur le marché. C’est aussi le fait de s’assurer que tout cela fonctionne bien. Dans notre cas, ce sont de vieux pneus (un directeur administratif, cas 2).
Pour les dirigeants rencontrés, la transformation ou encore la déconstruction et la
reconstruction des divers sous-produits dans les procédés ne semble pas reposer sur la conception
écologique des produits, appelée aussi « design for environment ». Elle est plutôt centrée sur la
fonctionnalité de ceux-ci pour les marchés auxquels ils sont destinés. C’est ce qui est appelé, dans le
cadre de cette thèse, la conception pragmatique des produits élaborés à partir des résidus. En effet, la
conception écologique, l’un des concepts de base en écologie industrielle, se traduit par l’intégration
systématique des considérations environnementales dans la conception des produits et des procédés
(Graedel et Allenby, 1995; Allenby, 1999a) ou, en d’autres termes, la combinaison des différentes
techniques et méthodes d’évaluation depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la
consommation des biens finis et jusqu’à leur récupération ou réutilisation, en passant par leur
transformation au moyen de procédés modifiés « écologiquement ».
La logique de la conception pragmatique diffère de la conception écologique en ce sens qu’elle
ne considère que quelques paramètres d’ordre environnemental. Les entretiens réalisés révèlent qu’il
existe un écart entre les deux logiques. Cet écart varie cependant selon la nature des produits élaborés,
les types d’activités ou encore les secteurs industriels. Par exemple, selon le directeur d’une usine de
valorisation des pneus hors d’usage, le produit que son entreprise élabore est d’entrée « écologique »
dans la mesure où il ne pollue pas; de plus, ce même produit va perdurer avant de retourner dans
l’environnement.
174
Le produit que nous fabriquons ne contamine pas. On essaye de faire un produit fini qui va être durable, et qui pourrait rester plus longtemps avant de retourner dans l’environnement. Notre produit dure environ dix ans avant de devenir, disons, des déchets. Ce qui est énorme, quand on compare aux pneus, qui ont une valeur de vie de deux ou trois ans (un directeur d’usine, cas 1).
Cette entreprise élabore ainsi des produits « écologiques » en les concevant de façon
pragmatique. Un autre exemple d’écart entre « conception écologique » et « conception pragmatique »,
c’est l’entreprise de recyclage des produits plombifères visitée. Comme le témoigne son vice-président
et chargé des opérations, les produits élaborés par cette entreprise sont devenus « écologiques » avec le
temps.
Nous avons donc acheté l’entreprise des mains des Allemands qui nous ont donné certaines facilités pour le faire. On a investi beaucoup à travers les années et on a ajouté beaucoup à la technologie, de sorte que cela est devenu un plant écologique (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Si cet exemple montre que la conception pragmatique des produits pourrait devenir écologique
dans le temps, il n’est cependant pas facile, même pour les entreprises chevronnées, d’intégrer les
considérations environnementales dans la conception des produits. À l’exception de cette usine de
recyclage des matières plombifères et des deux cimenteries étudiées, les dirigeants des entreprises
étudiées ne se montrent pas très intéressés par le développement des outils raffinés d’évaluation des
implications environnementales des produits fabriqués. Ce qui, dans ces entreprises, pourrait
s’expliquer par deux choses : une absence d’impacts majeurs de leurs activités sur l’environnement (la
fabrication de tapis industriels, l’introduction des pneus hors d’usage dans les fours de cimenteries, la
fabrication du biodiesel à partir d’huiles recyclées, la valorisation des stériles miniers, etc.); ou la
sélection limitée des matières premières (à l’exception des cimenteries qui peuvent introduire plusieurs
types de matières résiduelles comme combustibles, la valorisation résiduelle repose généralement sur la
récupération d’un type de sous-produits et de sa transformation en produits destinés à la
consommation).
175
6.1.3. La valeur commerciale
La troisième façon de définir la valorisation résiduelle repose sur la création de valeur
commerciale et le développement des marchés pour les produits élaborés à partir des matières rebutées
se trouvant au centre de la valorisation résiduelle. Pour la plupart des dirigeants rencontrés, c’est bien
là l’objectif premier de la valorisation.
Nous faisons deux choses : nous valorisons un certain déchet auquel nous attribuons une valeur. C’est sûr que notre mission première n’est pas de nettoyer l’environnement (un directeur général, cas 1).
C’est la mise en valeur d’un résidu, qui pouvait se retrouver dans les sites d’enfouissement et que l’on récupère pour en faire un produit à valeur ajoutée et commerciale (Chef du service à l’environnement, cas 6).
Pour nous, c’est prendre un produit qui se retrouverait dans l’environnement, un produit qui dégraderait l’environnement et lui donner une valeur ajoutée, de façon à ce que ce produit-là soit utile pour quelqu’un d’autre. Ce n’est pas plus compliqué que ça. C’est tout simplement prendre un produit qui se trouverait dans les sites d’enfouissement et les incinérateurs et trouver un débouché pour ce produit-là qui va être utile pour quelqu’un d’autre (un directeur général, cas 4).
C’est l’utilisation des matières qui autrefois étaient rejetées et auxquelles on trouve une nouvelle valeur. Pour moi, c’est ça. Ce sont les matières qui peuvent servir comme combustibles, je pense, dans le cas de notre usine (un chef des ressources humaines, cas 7).
Les propos des dirigeants sur la création de la valeur dans les cas 1, 4 et 6 diffèrent des propos
du dirigeant dans le cas 7. Il est intéressant de noter que dans les premiers cas, il s’agit de l’attribution
de la valeur de façon directe. La création de la valeur directe se traduit ainsi par l’élaboration des
produits directement à partir des matières résiduelles. La fabrication des tapis industriels à partir des
pneus hors d’usage, la récupération du magnésium à partir de la serpentine ou encore la fabrication des
alliages de plomb à partir des batteries au plomb-acide constituent des exemples de création de la
valeur directe. Dans le cas 7, il s’agit plutôt de la création de valeur de façon indirecte, c’est-à-dire que
certains sous-produits industriels sont introduits dans les procédés et participent ainsi à l’élaboration
des produits à valeur commerciale de manière détournée. L’introduction des pneus hors d’usage
comme source énergétique dans la fabrication de la poudre de ciment ou encore l’utilisation des huiles
usées dans les procédés de pyro-métallurgie en sont des exemples.
176
C’est prendre une matière qui aurait coûté cher à l’environnement pour s’en débarrasser, et lui donner une valeur marchande et commerciale. Et cela devient un produit qui se commercialise suite à un processus de transformation et qui est utile dans une chaîne de valeur (un chef des services comptables, cas 2).
Que ce soit dans le cas de la création directe ou indirecte de la valeur à partir des matières
résiduelles, les responsables des entreprises visitées y voient un moyen de développer des marchés. Ce
qui pourrait être vu dans trois directions différentes. D’abord, les déchets industriels ont donné aux
responsables des entreprises industrielles déjà opérationnelles l’opportunité de développer de
nouveaux produits ou de modifier ceux déjà existants et, par voie de conséquence, d’améliorer leur
rentabilité. C’est le cas des cimenteries visitées. Ces mêmes déchets ont pu, dans un second temps,
constituer un point de départ, une occasion de mettre sur pied de nouvelles entreprises dont la
vocation principale est la transformation des sous-produits en produits finis ou semi-finis destinés à
des marchés ciblés. C’est le cas de la plupart des entreprises visitées. Enfin, les pratiques de
récupération et de valorisation des matières résiduelles et industrielles ont permis aux gouvernements
d’instaurer des programmes qui visent à diminuer les quantités de déchets existants, à les réduire à la
source et à mettre sur pied des programmes d’aide aux entreprises qui œuvrent dans ce domaine. C’est
le cas de l’organisme Recyc-Québec.
6.1.4. Les bénéfices pour l’environnement
La quatrième façon de définir la valorisation résiduelle s’articule autour des bénéfices
environnementaux. La réduction des rejets dans le but de rendre efficients les procédés mis en place
ou encore l’élimination progressive de l’enfouissement ont été soulignés par les dirigeants rencontrés
comme éléments essentiels de la valorisation résiduelle.
Le but premier de la valorisation, c’est de diminuer les rejets environnementaux. Nous avons construit l’usine de gypse à cause de cela parce qu’il y avait des rejets d’acide usé dilué dans le fleuve. C’est pourquoi nous avons fait des recherches pour trouver les moyens de ne pas continuer avec ces rejets. C’est comme ça qu’on a pu maîtriser l’acide. C’est donc là le but premier. Et comme un but secondaire, parfois il y a une économie. Nous avons des dépoussiéreurs qui récupèrent les poussières des pigments qui, au lieu d’aller dans l’atmosphère, sont remis dans le procédé (un ingénieur de procédé, cas 12).
177
Pour nous, c’est éliminer des produits qui sont considérés comme des déchets qui contaminent l’environnement. Dans notre cas, ce sont des pneus rebutés. Valoriser revient donc à se servir de ces produits-là pour faire des matières premières. C’est en même temps une plus-value parce qu’on enlève des produits qui sont dans l’environnement et on réussit à faire un produit qui est rentable pour l’industrie (un directeur de production, cas 2).
La valorisation signifie beaucoup pour nous ici à l’usine. Nous valorisons à peu près 96 % de nos rejets. C’est quelque chose d’intéressant pour notre environnement parce qu’aller dans les sites d’enfouissement, ce n’est pas de la valorisation. La valorisation constitue une utilisation intelligente des déchets tandis que l’enfouissement, c’est un gaspillage (un directeur des pâtes et services, cas 11).
Il apparaît intéressant de voir que dans la vision de certains dirigeants, la valorisation résiduelle
renvoie premièrement aux bénéfices pour l’environnement alors que pour d’autres, ces bénéfices ne
constituent pas le but recherché. Cette vision antagonique ne semble pas reposer sur la fonction du
répondant au sein de l’entreprise, sur le volume des matières transformées ou encore sur le secteur
d’activité de l’usine étudiée. Elle apparaît plutôt refléter les valeurs et les convictions personnelles de
chacun des gestionnaires participant à l’étude face à l’environnement. Cependant, pour la plupart des
dirigeants des entreprises à vocation résiduelle, c’est-à-dire dont la raison d’être s’articule autour de la
récupération et de la transformation des sous-produits en produits finis ou semi-finis destinés à des
marchés ciblés, la valorisation résiduelle n’est qu’un moyen pour arriver à un but précis : la création de
la valeur commerciale et non le nettoyage de l’environnement.
L’objectif premier de l’entreprise n’était pas de voir la serpentine en termes de valorisation, mais plutôt comme une source quelconque de matières premières pour produire du magnésium (un directeur de l’entretien et de l’ingénierie, cas 6).
Les différentes façons de concevoir la valorisation résiduelle selon les dirigeants rencontrés en
termes de mode d’entrée, d’élaboration de produits, de création de valeur commerciale et de bénéfice
pour l’environnement ne semblent pas être exclusives. Cette même diversité ne semble pas non plus
tenir compte des secteurs d’activités industrielles. Par exemple, la modalité d’entrée (récupération,
réutilisation des matières rebutées) n’exclut pas la création de valeur commerciale. L’élaboration de
nouveaux produits à partir de matières résiduelles n’exclut pas les bénéfices environnementaux. Par
contre, il est intéressant de voir que l’élément « échange des sous-produits » n’est pas beaucoup évoqué
dans la définition de la valorisation résiduelle. Très peu de dirigeants rencontrés se sont référés aux
178
réseaux d’échange avec d’autres entreprises. Implicitement, ils parlent plutôt de « …matières rejetées
par d’autres entreprises; produits qui ne sont plus utiles pour l’industrie et que l’on récupère… ».
Il apparaît ainsi que, pour les dirigeants rencontrés, la valorisation résiduelle est d’abord et avant
tout une stratégie d’affaires tournée vers l’interne. C’est-à-dire que la valorisation a pour point de
départ la réception des matières résiduelles dans les installations de l’usine, indépendamment de
l’origine de ces dernières. Ce constat soutient ainsi l’hypothèse selon laquelle l’écologie industrielle à
l’échelle de l’entreprise et donc la valorisation résiduelle commence par l’unité d’action de chaque
entreprise individuelle. Ce qui ne veut nullement dire que l’aspect « réseau » ne soit pas important dans
la valorisation résiduelle. Pour les dirigeants rencontrés, les réseaux d’échange des sous-produits
semblent constituer un facteur de l’entourage immédiat des activités industrielles qui peut représenter à
la fois des opportunités (disponibilité des matières premières de remplacement, faibles coûts,
fabrication des produits écologiques, etc.) et des menaces (manque d’information sur les propriétés
physiques et chimiques de ces matières, manque d’information sur leurs disponibilités selon les
régions, difficultés de les utiliser selon les réglementations environnementales en vigueur, etc.).
Les résultats de l’étude en ce qui a trait à la conception de la valorisation résiduelle comme
forme particulière d’écologie industrielle montrent qu’on est loin d’une application « pure et parfaite »
des concepts théoriques de l’écologie industrielle et de « l’étude du flux des ressources et de l’énergie
dans les systèmes de production industrielle et de consommation; de l’effet de ces flux sur
l’environnement; des facteurs économiques, politiques, légaux, et sociaux sur le flux; de l’usage et de la
transformation des ressources et de l’énergie », définition du domaine proposée par White (1994).
Si, dans la conception des dirigeants rencontrés, la valorisation résiduelle ne traduit pas
suffisamment d’intégration dans la dialectique entre l’économie et l’écologie, ce que la thèse a tenté de
montrer par l’écart entre la conception pragmatique et la conception écologique des produits élaborés
à partir des sous-produits ou matières résiduelles, cet antagonisme semble s’accentuer avec la question
des motivations des entreprises pour les pratiques de récupération et de transformation des matières
résiduelles.
179
6.2. Les motivations pour la valorisation résiduelle
Les résultats de l’étude montrent que les expériences de valorisation résiduelle répondent à des
motivations variées. Celles-ci se justifient en particulier par la poursuite de bénéfices économiques, de
création de la valeur du produit fini et de résolution d’un problème spécifique. Cette section introduit
ainsi le concept d’orientation économique des activités de valorisation résiduelle. Il s’agit là de
l’extension de la motivation économique des activités de valorisation résiduelle. En outre, les politiques
gouvernementales, les lois et les règlements, ainsi que l’image écologique de l’entreprise sont également
à la base des initiatives de valorisation résiduelle.
6.2.1. Le profit économique et le leadership du marché
Les dirigeants rencontrés reconnaissent que les motivations qui ont poussé leurs entreprises à
adopter les stratégies de valorisation résiduelle sont d’abord et avant tout d’ordre économique. Qu’il
s’agisse de la création de nouvelles entreprises à vocation résiduelle comme dans les cas 1, 2, 4, 5, 6, 9
et 10 ou encore des activités annexes incorporées pleinement dans la production régulière comme les
cas 3, 7, 8, 11 et 12, la motivation économique a une pondération majeure. Les dirigeants sont
intéressés par les bénéfices à réaliser en utilisant des matières résiduelles - dont les coûts d’achat sont
nettement inférieurs à ceux des matières premières conventionnelles - et par les opportunités d’affaires
que cela apporte, notamment le fait de devenir leader dans le secteur industriel d’activités, ainsi que par
la fabrication et l’introduction des produits innovateurs qui représentent certainement une valeur
écologique pour les consommateurs.
Bien qu’assez distribués selon les types de secteurs d’activités, les fonctions exercées par les
répondants ou encore l’utilisation faite des résidus récupérés, les propos sur la recherche du profit et le
leadership du marché montrent tout de même deux grandes tendances de la valorisation en ce qui a
trait aux motivations économiques : l’orientation économique forte et l’orientation économique faible.
Valorisation résiduelle primaire ou orientation économique « forte »
La valorisation résiduelle primaire (VRP) représente les activités des entreprises dont la vocation
principale s’inscrit dans la récupération et la transformation des sous-produits industriels. Les
dirigeants de ces entreprises tendent à afficher une grande et claire motivation économique. Celle-ci
180
représente pour ces entreprises une valeur terminale, c’est-à-dire la recherche et l’obtention des
résultats financiers immédiats durant toute l’existence de l’entreprise par la conversion des diverses
matières résiduelles en produits destinés à des marchés ciblés. Pour ces mêmes entreprises, « la
fonction écologique est avant tout économique ».
La motivation première a été le produit fini. Les premiers actionnaires ont découvert un produit qui pouvait servir aux animaux. Pour faire ce produit, ils ont découvert qu’il fallait déchiqueter les pneus usés et à partir de là, élaborer un produit fini. Cela a vraiment commencé par le produit fini pour remonter aux déchets industriels. C’est donc une motivation économique (un directeur général, cas 1).
Les études ont démontré qu’il s’agit d’une localisation stratégique pour la proximité des gisements, la proximité des lignes électriques. Donc, il y a derrière ça une forte motivation économique : on va produire du magnésium sous forme d’alliages, ce qui se vend encore plus cher sur les marchés mondiaux (un chef de l’environnement, cas 6).
La motivation est avant tout et uniquement économique. Nous le faisons pour l’argent parce que cela représente pour nous une opportunité d’affaires (un vice-président chargé des affaires économiques, cas 9).
Il est intéressant de noter l’importance que les gestionnaires ou les créateurs d’entreprises visitées
ont accordée aux produits à élaborer au moment de la reconnaissance des opportunités d’affaires. Ces
produits leur ont permis de faire des liens directs avec le profit à réaliser. Dans le cas 1, par exemple,
les créateurs de cette entreprise ont « découvert un produit qui pouvait servir aux animaux ». Dans le
cas 9, les gestionnaires « regardent les matières résiduelles » et cherchent celles qui sont susceptibles de
rapporter le plus de profit possible. Les entretiens réalisés montrent ainsi que l’orientation économique
des entreprises à vocation résiduelle primaire tend à être forte.
Valorisation résiduelle secondaire ou orientation économique « faible »
La valorisation résiduelle secondaire (VRS) représente les activités des entreprises dont la
valorisation fait partie des activités associées. Les entretiens réalisés montrent que les entreprises à
vocation résiduelle secondaire affichent une orientation économique faible. Celle-ci ne représente pas
une valeur terminale, mais plutôt instrumentale, c’est-à-dire un choix et un mode particulier de
production en considérant les possibilités de maximiser l’usage des résidus ou encore de réduire les
coûts liés à l’enfouissement de ceux-ci.
181
C’est sûr que l’aspect économique est très important. C’est clair que si les dirigeants du Groupe Holcim Ltd. en Suisse ont insisté pour que toutes les usines puissent intégrer des pratiques de valorisation, c’est d’abord pour des raisons économiques (un directeur du recyclage énergétique, cas 8).
Dans la gamme des produits que l’on reçoit, je dirais qu’il y a effectivement une économie qui se fait pour certains et non pour les autres. Dans la moyenne, je dirais qu’il y a une économie. Sur le budget global de l’usine, cette économie représente peut-être 1 % ou même 2 %, en parlant des matières. C’est au niveau des combustibles que cela a le plus d’importance. Parce que nécessairement, 50 % du budget de l’usine, c’est l’énergie. Donc, le rapport n’est pas le même pour toutes les matières résiduelles qui rentrent ici, à l’usine (un coordinateur à l’environnement, cas 7)
Ces propos montrent que la valorisation, dans le cas des entreprises à vocation résiduelle
secondaire, n’apporte que très peu ou presque pas de bénéfice financier. L’analyse des données portant
sur la taille de ces entreprises et sur les concepts de création de valeur directe ou indirecte et
d’orientation économique de la valorisation montre une corrélation intéressante. D’une part, les
entreprises filiales de grandes multinationales utilisent les matières résiduelles par la création de la
valeur indirecte. D’autre part, elles affichent une orientation économique secondaire. De la même
manière, les petites et moyennes entreprises tendent à valoriser les sous-produits industriels par la
création de valeur directe et en plus, elles affichent une orientation économique forte. De façon
simplifiée, la création de la valeur directe renvoie à la récupération et à la conversion des résidus en
produits finis tandis que la création de valeur indirecte, quant à elle, touche l’amélioration de
l’efficience des procédés et de la productivité. Si la pondération des motivations économiques varie
beaucoup selon le fait que l’entreprise est VRP ou VRS, les résultats montrent que les motivations non
directement économiques ne semblent pas modifier cette tendance. Celles-ci s’articulent autour de la
résolution d’un problème précis, les pressions de la haute direction et l’image écologique de
l’entreprise.
6.2.2. La solution à un problème précis
À côté de la poursuite des bénéfices économiques comme motivation pour la valorisation
résiduelle, les résultats montrent que la solution à un problème précis constitue également une
motivation dans certains cas analysés. La surproduction des déchets est perçue comme la motivation
principale des initiatives de valorisation résiduelle, en particulier dans les cas 11 et 12. Il est intéressant
182
de noter ici que ces entreprises sont des VRS. De façon unanime, les dirigeants de ces entreprises
affirment que la valorisation des déchets représente la meilleure alternative à l’enfouissement et au rejet
des résidus générés par leurs procédés de fabrication de la pâte à papier (le cas 11) ou du bioxyde de
titane (le cas 12). Dans les deux cas, des investissements très coûteux se sont avérés nécessaires pour
connaître les possibilités de valorisation et pour construire des installations permettant de le faire en
toute sécurité. En somme, donner une deuxième vie aux boues de désencrage ou encore fabriquer du
gypse avec du surplus d’acide sulfurique se traduit par la réduction des coûts à long terme.
La motivation première était de résoudre un problème : celui de savoir quoi faire avec la quantité de résidus qu’on génère chaque jour et qui représente 470 tonnes. Étant donné que les recherches ont prouvé que l’on pouvait utiliser ces résidus comme matières premières dans le compostage, on a donc établit un programme de partenariat avec Les Composts du Québec. Par-là, on résout un problème environnemental : au lieu d’enfouir les résidus, on les réutilise. En bout de ligne, cela représente une opportunité en matière de coûts parce qu’enfouir nous coûtait de plus en plus cher (un coordinateur à l’environnement, cas 11).
Je pense que c’est d’abord le besoin de trouver des solutions à la grande quantité de déchets, de boues désencrées que les nouveaux procédés mis en place généraient dans les années 1990. On a donc voulu faire quelque chose avec pour que la société puisse en bénéficier. Et il y a derrière ça aussi une motivation de pouvoir réduire nos coûts d’opération parce qu’avec toute cette quantité, des solutions telles qu’enfouir n’étaient plus viables. Pour moi, c’est ça (un ingénieur au service technique, cas 12).
La valorisation résiduelle comme solution viable à des problèmes opérationnels de
surproduction de déchets (disequilibrium résiduel) ne semble pas reposer sur des initiatives volontaires et
fortuites de la part des dirigeants. Elle apparaît plutôt comme la recherche forcée des solutions -
souvent dictée par la haute direction de l’entreprise, dans le cas d’une corporation multinationale - ou
encore comme solution imposée par des instances gouvernementales. Les dirigeants sont donc obligés
de prendre la voie de la valorisation et par là même de faire des bénéfices en termes de coûts
d’enfouissement et d’incinération.
6.2.3. Les politiques gouvernementales, les lois et les règlements
Pour certains dirigeants, les politiques gouvernementales, les lois et les règlements en matière
d’environnement ne semblent pas constituer seulement des contraintes, mais également des
183
motivations qui encouragent les initiatives et des actions proactives de valorisation des résidus. Cette
perception rejoint celle de la valorisation résiduelle comme moyen de résoudre un problème quand la
recherche des voies viables pour le faire se cache derrière des pressions corporatives et
gouvernementales.
Il y a d’abord les lois et les règlements. Je pense que c’est un aspect important. En deuxième lieu, il y a les principes de gestion responsable de l’Association des fabricants des produits chimiques du Canada (AFPC). Ce sont là les deux aspects les plus importants (un ingénieur de procédé, cas 12).
On a développé la gamme de bitume en 1990. Dans ce temps-là, un projet de loi américain imposait l’utilisation de bitume en caoutchouc dans une proportion de 5, 10, 15 et 20 % de façon progressive. C’est alors que nous avons sorti en ce temps-là le bitume caoutchouc, qui répond très bien aux attentes du marché nord-américain. Quand on parle de 5 ou 10 %, on fait allusion à 95 ou 90 % de bitume et le reste en caoutchouc provenant des pneus hors d’usage (un vice-président chargé des opérations, cas 3).
Les propos tenus par ces dirigeants révèlent en effet que loin de constituer des contraintes, les
lois et les règlements environnementaux incitent les gestionnaires à concevoir des stratégies de
valorisation. Étant donné que les initiatives de valorisation sont volontaires, il apparaît justifiable que
les lois et politiques gouvernementales représentent des motivations pour la valorisation résiduelle.
Paradoxalement, les mêmes attitudes des gouvernements peuvent produire des résultats
contraires. Le cas 3 en particulier a vu dans le projet de loi américain une opportunité de développer
un produit écologique innovateur au début des années 1990. Au moment où les responsables de cette
entreprise ont été rencontrés pour les entretiens, la valorisation venait d’être abandonnée malgré les
brevets obtenus pour les procédés inédits de fabrication écologique. Cet exemple d’échec des pratiques
d’écologie industrielle est attribué au manque de soutien gouvernemental et au refus, de la part des
fonctionnaires, d’accorder des subventions qui favorisent la valorisation au sein de l’industrie.
Avec le temps, il y a eu un lobbying et le projet de loi qui encourageait l’utilisation des résidus n’a pas passé. Le marché n’était pas prêt à accepter ce produit-là et les promoteurs de cette loi l’ont abandonnée. Nous avons eu toute la volonté de promouvoir ce produit de 1992 jusqu’à 2000. On n’a pas réussi à faire accepter que le gouvernement nous donne un peu plus de subventions pour combler le vide que laissaient les coûts d’opération en utilisant le caoutchouc recyclé. On a abandonné la valorisation résiduelle parce qu’il n’y a plus de loi aux États-Unis qui impose
184
l’utilisation du caoutchouc recyclé. Étant donné que le marché nord-américain est l’un des plus importants pour nous, il n’y a plus de motivations pour continuer à le faire et pour favoriser le développement des produits environnementaux. Au Québec, par exemple, il n’y en a pas, à part les pneus hors d’usage (un vice-président chargé des opérations, cas 3).
Selon ce dirigeant interrogé dans le cas 3, la démotivation pour la valorisation résiduelle a pour
source principale le refus des fonctionnaires d’accorder des subventions pour compenser les coûts
d’opération après le rétrécissement du marché américain. Ce qui semble à l’opposé de la vision des
dirigeants d’autres cas (en particulier celui du cas 9), qui se prononcent contre les subventions
gouvernementales et se réjouissent de ne pas en bénéficier. En effet, selon ces dirigeants, ces
programmes augmentent les pressions sur les entreprises et ne leur laissent pas assez de marge pour
planifier pleinement les activités de production de façon indépendante.
Pour nous, l’aspect économique et écologique est extrêmement important et c’est ce qui constitue le « market driver ». Pour être rentable, on veut extrêmement faire un très bon travail environnemental, toujours en l’absence de contraintes gouvernementales et en l’absence, aussi, de subventions gouvernementales. Quand tu es subventionné, tu appartiens en partie à quelqu’un, et ce quelqu’un, lorsqu’il définit tes objectifs, ce n’est jamais des objectifs qui sont rentables : c’est toujours des objectifs environnementaux et tu n’as pas assez d’argent à faire comme entreprise (un directeur de la recherche et du développement, cas 9).
6.2.4. L’image corporative
L’image comme motivation de la valorisation résiduelle n’est pas soulignée avec insistance par
les dirigeants rencontrés. Par contre, la plupart des documents rendus public par les entreprises visitées
insistent sur le caractère écologique de leurs activités de valorisation, sur leur engagement aux efforts
de développement durable et sur leurs stratégies en faveur de la protection de l’environnement. Il est
donc indiscutable que la plupart des entreprises visitées s’appuient sur leurs activités de valorisation
résiduelle pour projeter leur image de « bon citoyen » auprès du public en général.
Je pense qu’il y a deux motivations principales. D’abord, il y a l’économie que l’entreprise fait en utilisant les matières résiduelles. La deuxième raison, c’est l’image que l’entreprise se donne parce que cette utilisation touche en grande partie les questions environnementales. Il y a certainement une bonne volonté là-dedans aussi de la part des dirigeants (un chef des ressources humaines, cas 7).
185
Les différentes motivations pour la valorisation résiduelle dans la vision des dirigeants interrogés
(économiques, résolution d’un problème précis, lois et politiques gouvernementales, bénéfices pour
l’environnement et image de l’entreprise) semblent reposer sur la combinaison de deux facteurs
moteurs : la vision de l’entreprise et le dynamisme des secteurs industriels. La vision de l’entreprise
semble être centrée sur la mise en marche des actions proactives dans le domaine de l’environnement
(les cas 7, 8, 11 et 12), sur une position dominante dans la conversion des résidus en produits de
consommation (les cas 1, 2, 3, 4, 5, 6, 9 et 10) ou encore sur le développement de nouveaux débouchés
(le cas 9). Le dynamisme et les changements contextuels dans le monde des affaires reposent sur
l’existence d’une grande variété de matières résiduelles (indice de valorisation), sur leur accessibilité,
leur volume suffisant, l’existence des mesures incitatives et la flexibilité des lois pour utiliser ces mêmes
matières.
Ce chapitre a permis de saisir l’essentiel de la conception de la valorisation selon les dirigeants
rencontrés et les motivations qui poussent à privilégier l’utilisation des matières rebutées dans les
procédés de fabrication industrielle. La valorisation résiduelle est conçue par les dirigeants rencontrés
en termes d’accès aux matières premières, de création de la valeur commerciale, de cycle de traitement
des matières résiduelles et de bénéfices pour l’environnement. Cette conceptualisation de la
valorisation résiduelle repose sur la capitalisation du disequilibrium résiduel. Il est intéressant de noter
que ces termes renvoient plus aux dimensions productivité et profit économique qu’aux dimensions
éco-efficience et bénéfice économique. Ce qui justifie l’écart entre la conception pragmatique et la
conception écologique dans l’élaboration des produits issus de la valorisation. Est-ce que cet écart
signifie que la valorisation résiduelle ne signifie pas toujours une pratique d’écologie industrielle? Il est
peut être encore tôt pour arriver à une telle conclusion. Par contre, l’exemple du cas 9 du recyclage des
matières plombifères montre qu’avec le temps, la conception pragmatique devient de plus en plus
écologique.
186
CHAPITRE 7
LE MODÈLE CONCEPTUEL DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE
À partir des résultats portant sur les définitions de la valorisation ainsi que les motivations pour
mettre de l’avant des initiatives d’écologie industrielle, le présent chapitre propose un modèle
conceptuel de la valorisation résiduelle. En effet, les résultats de l’étude montrent que la valorisation
des sous-produits industriels repose essentiellement sur les concepts d’introduction, de transformation
des résidus en produits à valeur commerciale, de réseau d’échange des sous-produits et de
développement des marchés pour les produits élaborés à partir des résidus industriels (ITEM). Cette
conceptualisation tient compte de deux facteurs majeurs déjà évoqués. D’abord, la quantité de sous-
produits récupérés et valorisés, ou l’axe « matériel ». Ensuite, la mobilisation ou réorganisation des
ressources organisationnelles (humaines, techniques, financières, connaissances, etc.) pour atteindre les
objectifs de la valorisation des sous-produits industriels, ou l’axe « formel ». Ces quatre concepts précis
deviennent des éléments de redéfinition de la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie
industrielle (figure 8). Après avoir présenté ces éléments, la redéfinition de la valorisation résiduelle
sera proposée et discutée.
Figure 8. Éléments de la valorisation résiduelle
Indi
ce d
e va
lori
sati
on (
iV)
Axe
mat
érie
l
INTRODUCTION
• Réception • Introduction
régulière
TRANSFORMATION
• Produits résiduels
• Innovation • Savoirs
ÉCHANGES
• Interactivité • Collaboration
MARCHÉ
• Qualité • Compétitivité• Valeur
commerciale
Mobilisation des ressources organisationnelles Axe formel
187
7.1. Les éléments de la valorisation résiduelle
7.1.1. L’introduction des sous-produits
Le premier élément de la valorisation des sous-produits industriels est l’introduction des sous-
produits et des matières résiduelles dans les procédés de production. Les opérations de valorisation
résiduelle repose sur la réception et l’introduction d’une quantité considérable de matières sur une base
régulière. Il s’agit en effet d’une récupération et d’une introduction « industrielles ». Le volume
représente ainsi un facteur particulièrement important. Dans le cas des sous-produits générés, leur
grande quantité offre la chance aux responsables d’entreprises qui les utilisent de faire une meilleure
planification.
Il faut dire une chose : il faut que la quantité soit là. On utilise quand même des quantités industrielles et il faut que les ressources soient en abondance (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 8).
Nous recevons 2 000 pneus par jour. Ce qui fait un total de 2 000 X 49 kilos = 980 tonnes par jour. Le caoutchouc est récupéré à 75 % (un directeur général, cas 1).
L’entreprise a deux schémas particuliers de la valorisation : en premier lieu, la valorisation à 100 % des scories d’acier inoxydable de types 300 et 40035. Ce qui constitue l’une des principales activités de l’entreprise. On est la seule entreprise en Amérique qui fait de la revalorisation des scories d’acier inoxydable. Dans un deuxième plan, on fait de la valorisation de stérile de minerai de fer. On parle des produits majeurs : c’est 60 000 tonnes de scories d’acier inoxydable qui sont traitées et environ 400 000 tonnes de stériles miniers qui sont traitées. À cela s’ajoutent annuellement 15 000 tonnes de scories de titane, environ 10 000 tonnes d’éclaboussures de machine d’usure, qui est de la pompe, environ 100 000 tonnes de briques qui sont issues de la récupération des autres produits. On produit environ 100 000 tonnes de produits récupérés par année (un directeur général, cas 5).
Bien que le volume de matières récupérées et traitées varie selon les secteurs industriels et les
types d’activités, les dirigeants rencontrés soulignent bien que la quantité « industrielle » des résidus
constitue le premier critère d’évaluation des possibilités d’utilisation des matières, tant pour les
entreprises de valorisation résiduelle primaire que pour les entreprises de valorisation résiduelle
secondaire. Non seulement ce volume sous-entend la régularité des approvisionnements, mais il
35 Classification de l’acier inoxydable selon sa structure métallurgique. Cette nomenclature a été définie par le
AISI (American Iron and Steel Institute).
188
constitue la base sur laquelle repose l’indice de valorisation. L’indice de valorisation résiduelle a été
défini comme étant le rapport entre la quantité de matières résiduelles ou sous-produits reçue ou
introduite et la quantité de produits élaborés à partir de ces mêmes matières résiduelles ou sous-
produits dans les procédés de production.
Dans le but de mieux analyser l’indice de valorisation, la valeur maximale constante « 1 » est
donnée à cet indice. Dans la majorité des cas analysés, l’indice de valorisation affiche une valeur égale
ou supérieure à 0,15. Ce qui amène à supposer que pour la valorisation résiduelle, le iV de l’entreprise
devrait être supérieur ou égal à 0,1. Les tableaux 11 et 12 suivants présentent le iV dans quelques cas
analysés.
Tableau 11. Indice de valorisation (iV) dans quelques cas analysés
Cas Quantité introduite Quantité valorisée IV
1 98 tonnes/jour 75 % 0,75
2 490 tonnes/jour 80 % 0,8
4 30 tonnes/jour 60 % 0,6
5 585 tonnes/année 100 tonnes 0,17
6 4,5 tonnes pour produire 1 tonne
21 % 0,22
9 150 000 tonnes/année 60 000 tonnes 0,4
11 470 tonnes/jour 90 % 0,9
Tableau 12. Indice de valorisation (iV) dans les cimenteries analysées
Cas Quantité totale d’énergie utilisée
Quantité d’énergie de remplacement par
valorisation
iV
7 100 % 15 % 0,15
8 100 % 38 % 0,38
189
Ces deux tableaux indiquent que dans la majorité des entreprises visitées, le iV a une variation
de 0,15 à 0,9 selon les types d’activités et les secteurs industriels. En se basant sur ces faits, il ne serait
pas exagéré de dire que dans le cadre de la valorisation résiduelle, le iV doit être supérieur ou égal à 0,1.
Ce critère permet justement de catégoriser de façon rigoureuse les pratiques de valorisation résiduelle.
La moyenne de l’indice de valorisation résiduelle dans la majorité des entreprises analysées se situe à
0,3. Il est toutefois intéressant de noter qu’il existe de grandes différences à ce niveau selon les
entreprises. Ces différences s’expliquent par la variété de secteurs industriels étudiés, les types de
matières utilisées et transformées, ou encore la capacité opérationnelle et l’efficacité des procédés
développés par l’entreprise.
La moyenne de l’indice de valorisation pour le secteur des pneus hors d’usage est de 0,7.
Cependant, l’indice de valorisation du cas 4 se situe en dessous de cette moyenne, soit 0,6. Ce qui
porte à penser que, selon les conditions actuelles de valorisation résiduelle, la capacité opérationnelle
dans ce cas particulier est inférieure à la moyenne du secteur. Ce qui n’est pas surprenant à entendre
dire ce dirigeant :
J’ai pris la direction de cette entreprise et mon objectif est de justement aider à repenser la méthode de production. Donc, là, ce qui existe présentement est presque venu de soi par le contact entre les anciens dirigeants et les fabricants des machineries, essentiellement. Aujourd’hui, je réalise que c’est insuffisant. Je réalise que, pour certaines parties de la machinerie, le fabricant était peut être orienté vers le recyclage d’autres produits comme des cannettes ou des choses en plastiques. Je pense qu’il va falloir adapter la machinerie ou encore acheter d’autres machineries pour permettre qu’on soit beaucoup plus en synergie avec le produit qu’on recycle et qu’il y ait moins d’inconvénients à utiliser la machinerie qu’on utilise présentement (un directeur général, cas 4).
Ces propos montrent que les dirigeants sont conscients du problème de la faible capacité
opérationnelle et que la restructuration des modes d’utilisation et de transformation des 30 tonnes de
pneus par jour s’impose. Dans les cas 1 et 2 du traitement des pneus hors d’usage, l’indice de
valorisation est supérieur à la moyenne de ce secteur de valorisation résiduelle. Toutefois, les dirigeants
reconnaissent que les procédés utilisés actuellement ne permettent pas encore de récupérer environ 20
% d’acier contenus dans les pneus traités. L’indice de valorisation dans ces deux cas pourrait être
190
supérieur à sa valeur actuelle avec le développement de nouveaux procédés permettant de récupérer
cette quantité d’acier.
Dans les cas 7 et 8 des cimenteries, la différence de l’indice de valorisation tient à la diversité des
matières valorisées, principalement comme source alternative d’énergie. Si dans le cas 7 la quantité
d’énergie de remplacement par valorisation représente 15 %, ce pourcentage est proche de 38 % dans
le cas 8. Là encore, cette différence pourrait s’expliquer par les choix faits par les dirigeants en ce qui
concerne la gestion des matières résiduelles à valoriser. Avec la création du poste de directeur
énergétique par exemple, le cas 8 tente de multiplier des contacts avec des entreprises qui offrent des
possibilités d’utiliser une variété de résidus, d’une part, et d’autre part, de développer des attentes
commerciales avec d’autres entreprises capables de « pré-conditionner » les matières résiduelles. Les
entreprises de pré-conditionnement se positionnent à l’interface entre les entreprises génératrices et les
utilisatrices des sous-produits ou matières résiduelles. Ce qui montre une fois de plus la pertinence de
l’indice de valorisation pour la compréhension des différentes dimensions de la valorisation résiduelle.
7.1.2. La transformation des sous-produits ou matières résiduelles
Le deuxième élément de la valorisation résiduelle est la conversion ou la transformation des
résidus en produits à valeur commerciale. Dans les cas 1, 2 et 4, les pneus hors d’usage sont
transformés en divers produits à partir du caoutchouc recyclé : sous-tapis industriels pour les stalles
des chevaux et les vaches, garde-boue pour les camions, planchers commerciaux et industriels, couvre-
planchers d’insonorisation ou encore pneus pour les bacs de récupération. Dans le cas 5, l’agrégat du
stérile minier valorisé est utilisé dans les travaux de construction comme matériau de couverture des
sites d’enfouissement, en technique routière et même comme fertilisant et agent de correction des sols.
On prend des pneus rebutés qui viennent normalement des sites où on a accumulé des pneus depuis des années, ici, au Québec. On procède par le déchiquetage des pneus en morceaux de 6 par 6; ils sont granulés dans un granulateur, ils sont emmagasinés; et enfin, ils sont transformés en tapis industriels. Nous produisons 250 000 tapis ou 45 000 tonnes de produits par année (un directeur général, cas 1).
Les intrants principaux sont des scories d’acier inoxydable qui viennent des mines d’acier inoxydable et des micro-fonderies. Premièrement, nous procédons par la séparation des intrants. Deuxièmement, nous réduisons à un maximum de poids pouce ce qui n’est pas métallique. Après ça, on les sépare et une fois la séparation faite, c’est la disposition. On récupère à 97 % le métal contenu dans les scories traitées : acier
191
inoxydable et fer. Ce sont donc des concentrés métalliques et des stériles miniers ainsi qu’une gamme de produits agrégats obtenus en fin de procédé (un directeur général, cas 5).
Cette transformation des résidus prend également la forme de résidus utilisés en remplacement
des matières premières conventionnelles. Dans le cas 3, l’entreprise a mis au point un procédé
innovateur de fabrication de bitume qui remplace progressivement le polymère par le caoutchouc
provenant des pneus hors d’usage dans une proportion de 5, 10, 15 et 20 %.
Dans le cas de bitume à partir de caoutchouc recyclé, il s’agit principalement des granules provenant des pneus hors d’usage. « Ces granules proviennent des entreprises qui recyclent ces pneus ici, au Québec. Notre procédé consiste en une dissolution complète du caoutchouc, ce qui permet donc de briser les liaisons de soufre, entraînant ainsi la dissolution du caoutchouc dans le bitume. Et l’utilisateur peut l’utiliser comme s’il s’agissait de bitume conventionnel ou de bitume primaire. Nous produisons les bitumes pour les toitures et les routes, pour les produits asphaltés et le revêtement des routes (un vice-président chargé des opérations, cas 3).
Dans les cas 7 et 8, dans un premier temps, les huiles usées et diverses matières résiduelles sont
utilisées en remplacement des combustibles conventionnels. Dans un deuxième temps, des poussières
provenant des usines de traitement des eaux usées sont utilisées en remplacement des principales
composantes dans la fabrication de la poudre de ciment : le calcaire, le fer, l’alumine et la silice.
Nous introduisons principalement des matières combustibles : les pneus, les huiles usées, les combustibles de synthèse et probablement les farines des graisses animales; ensuite, les matières alternatives qui remplacent certaines matières premières (nous en avons 13 différentes) et les matières « cimentibles » que l’on ajoute pour renforcer les propriétés du béton (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
On parle principalement des combustibles que l’on utilise comme résidus de valorisation : les huiles usées, les pneus hors d’usage, le bois traité comme celui des chemins de fer et les poteaux de téléphone. Le prochain type de résidus pour lesquels on va demander un certificat d’utilisation, c’est tout ce qui est à base de plastique. Que cela vienne des entreprises de recyclage, les retailles de tapis, les petits morceaux de plastique, etc. : tout ce qui peut brûler dans nos fours. On est rendu à environ 30 % de matières remplacées dans nos procédés. Pour ce qui est des matières premières (le calcaire, la silice, l’alumine et le fer), disons qu’on est rendu environ à 3 % de remplacement de ces matières premières par des résidus (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 8).
192
Dans le cas 9 du recyclage de plomb, le plomb pur et les alliages de ce métal sont obtenus par
un procédé de recyclage des batteries au plomb-acide et de diverses matières plombifères. Également,
les brasques provenant des alumineries sont valorisées pour fabriquer une fritte de verre dont les
propriétés améliorent la qualité du béton.
Notre entreprise est spécialisée dans le recyclage des produits plombifères (selon 40 codes différents ou d’alliages de plomb au cadmium, à l’argent, à l’aluminium). Normalement, ce sont des déchets, des batteries automobiles, des camions, des locomotives, n’importe quelle batterie au plomb-acide. On prend les déchets d’usines, des sacs de filtration, les rejets des filtres, etc. Nous recyclons aussi le polypropylène de haute densité. Tous nos produits sont vendus sur le marché aux ré-utilisateurs, ceux qui fabriquent des caisses de batteries ou ceux qui font des pièces automobiles non esthétiques, des pièces noires, des couvre-moteurs, etc. (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Les responsables rencontrés soulignent particulièrement la transformation des matières
résiduelles dans la mesure où elle sous-entend le développement de savoirs nécessaires pour maîtriser
et traiter les déchets reçus. Cette même transformation rappelle les deux dimensions interdépendantes
« industrielle et écologique » de l’écologie industrielle (Lifset et Allenby, 2002). En transformant les
matières résiduelles dans les procédés, les entreprises de valorisation résiduelle montrent qu’elles
disposent des moyens technologiques nécessaires pour réduire les quantités des déchets générés par les
secteurs industriels et les populations de façon générale. Réduire les quantités des déchets générés,
c’est-à-dire améliorer l’indice de valorisation, représente donc pour les dirigeants des opportunités
d’affaires. Les entreprises de valorisation résiduelle participent, dans une certaine mesure, peut-on dire,
aux transformations globales des modes de production des biens et des services proposés par les
principes d’écologie industrielle (Socolow et al., 1994).
7.1.3. L’échange des sous-produits
Le troisième élément de la valorisation résiduelle est l'échange des résidus entre entreprises. Le
concept de réseau d’échange interentreprises renvoie aux concepts de collaboration, de coopération ou
encore d’alliances entre les entreprises. Les boues de désencrage générées dans le cas 11 sont utilisées
comme intrants principaux pour la fabrication des fertilisants par Les Composts du Québec; la granule
193
produite dans le cas 4 est utilisée par diverses entreprises fabricant des sous-tapis industriels; le cas 5
s’alimente en résidus miniers provenant des mines d’acier inoxydable et des micro-fonderies.
Nous traitons avec deux partenaires principaux qui achètent chacun nos produits de revalorisation (un ingénieur de procédé, cas 12). Nous essayons de maintenir de bonnes relations avec les entreprises qui achètent nos produits et qui nous fournissent des matières premières. On ne cherche pas à former des regroupements de valorisateurs et récupérateurs (un directeur général, cas 5).
Les entretiens réalisés montrent que la coopération entre entreprises de valorisation semble se
limiter aux simples relations entre générateurs et utilisateurs des matières résiduelles ou pré-
conditionneurs. Les échanges des sous-produits industriels apparaissent comme des transactions
commerciales ou des ententes moyennant rétribution entre les entreprises génératrices et utilisatrices
des matières résiduelles. La notion des coûts que représentent ces matières reste au centre de ces
ententes. Tant pour les générateurs que pour les utilisateurs, l’accent est mis sur les avantages
économiques de transférer, vendre ou récupérer les matières résiduelles. Ces avantages économiques
supposent également la prise en compte des dispositions réglementaires en matière de transpport,
entreposage, élimination, valorisation, gestion, traitement et récupération des divers sous-produits ou
matières résiduelles (Loi sur le transport des marchandises dangereuses; Loi sur la qualité de l’environnement;
Règlement sur les matières dangereuses; Règlement sur le transport des matières dangereuses; Règlement sur les déchets
solides).
Les utilisatrices reçoivent les sous-produits et les revalorisent sous diverses formes dans leurs
procédés de production. Les utilisatrices les introduisent soit comme matières premières (les boues
pour la fabrication du compost, les rejets thermiques), soit comme intrants de substitution (les
copeaux de bois pour le chauffage ou les huiles usées en remplacement d’une quantité considérable de
gaz naturel ou d’électricité). En tenant compte des considérations portant sur la nature de la
collaboration, la proximité géographique et la taille des entreprises, les échanges entre entreprises dans
les cas analysés se traduisent par des réseaux interactifs flexibles. Un réseau intéractif fléxible s’entend
par un ensemble d’acteurs identifiés qui interagissent dans l’élaboration d’outils et de structures
d’échange et d’utilisation de matières résiduelles. Il s’agit de réseaux dans le sens où non seulement ils
se réfèrent à un ensemble d’entreprises industrielles et de services ainsi que d’instances
194
gouvernementales, mais ils constituent également un ensemble de structures mises en place (même
informelles ou passives) sans lesquelles ces réseaux ne sauraient fonctionner.
Je suis directeur du service de recyclage énergétique. Je m’occupe du développement commercial, de faire des contacts avec des entreprises pour voir la possibilité qu’il y a avec les différents résidus, voir si ces derniers peuvent être valorisés dans nos procédés et faire des ententes commerciales avec ces entreprises. L’autre volet consiste à trouver des entreprises qui peuvent préparer les résidus et leur donner une forme pouvant être utilisée directement dans nos procédés (un directeur du recyclage énergétique, cas 8).
Les considérations de ce dirigeant montrent la dimension stratégique de la valorisation
résiduelle. Comme il a été évoqué dans l’introduction, l’utilisation des sous-produits industriels dans les
procédés productifs ouvre des voies vers des stratégies organisationnelles dans le sens de Steiner
(1979), c’est-à-dire, l’ensemble de ce que les gestionnaires font pour contrer les actions actuelles ou
futures des concurrents sur les marchés. La récupération et la transformation mènent les dirigeants
d’entreprises à faire des choix et à se démarquer des autres, à « être différente ». Ce qui rentre dans le
cadre de stratégies compétitives de l’adoption des pratiques d’écologie industrielle évoquées par Esty et
Porter (1998). En effet, ces deux auteurs soutiennent que la mise en œuvre des pratiques d’écologie
industrielle pourrait améliorer le positionement concurrentiel de l’entreprise sur trois échelles de
valeur : intra-entreprise, chaîne d’approvisionnement (générateurs et pré-conditionneurs des sous-
produits) ou interentreprises dans le cas d’une symbiose industrielle. Le flux d’informations sur les
matières résiduelles à récupérer représente ainsi l’un des éléments que les dirigeants privilégient.
7.1.4. Le développement des marchés
Le quatrième élément de la valorisation résiduelle se réfère au développement de marchés pour
la commercialisation des produits élaborés directement ou indirectement à partir des résidus
industriels. Le marché s’entend dans le sens commun, c’est-à-dire qu’il est défini comme un espace
public, un débouché économique ou un ensemble de clients qui achètent ou peuvent acheter un
produit ou un service. La notion de marché repose en effet sur celle de création de valeur du bien
vendu. La récupération et la transformation des sous-produits industriels ne font pas exception à cette
règle. Sans entrer dans le débat millénaire sur la nature, l’origine et la notion de création de valeur, il
195
convient de souligner cependant que l’une des particularités de la valorisation résiduelle est la création
de la valeur écologique et commerciale pour les nouveaux produits.
Le développement des marchés pour vendre les produits élaborés à partir des résidus industriels
est une conséquence directe de la transformation des matières dans les procédés. Les entretiens réalisés
montrent que les entreprises transforment les résidus pour créer de la valeur commerciale. Cette
téléologie résiduelle rejoint le concept de synergie entrepreneuriale et environnementale dans la vision
de Finster, Eagan et Hussey (2001). La dimension environnementale de cette téléologie signifie ici que
les dirigeants visent la valorisation des quantités des matières qui se retrouveraient enfouies et donc qui
causeraient des dommages sur l’environnement. La valeur commerciale renvoie à l’état du produit issu
des résidus lorsque celui-ci peut être vendu à des prix compétitifs dans différents marchés où il est
introduit. Les garde-boue fabriqués à partir des pneus hors d’usage se vendent à côté de ceux produits
à partir du caoutchouc vierge ou synthétique.
La qualité s’associe à la valeur commerciale du produit. La valeur écologique renvoie au statut
du produit quant à la démarche de sa production : élaboré à partir de matières rebutées et générant des
bénéfices environnementaux. La combinaison des valeurs commerciale et écologique permet aux
entreprises de mettre de l’avant ces caractéristiques comme outils de pénétration des nouveaux
marchés. La poudre de ciment obtenue au moyen d’un procédé qui utilise les catalyseurs usés des
raffineries de pétrole en remplacement de l’alumine, ou encore qui introduit les huiles usées, les
copeaux de bois et les pneus hors d’usage pour brûler et sécher le clinker, a sans doute plus de valeur
écologique que le ciment fabriqué à partir d’un procédé conventionnel. Les responsables rencontrés
ont particulièrement souligné l’importance de la valeur écologique à côté de la valeur commerciale.
Il y a une grosse différence entre le caoutchouc vierge et le caoutchouc recyclé dans les coûts. Le recyclé est généralement moins cher que le caoutchouc vierge. Au niveau de la durabilité, il n’y a pas de problèmes. Quant à l’acceptation de ce produit par les clients, le fait que depuis environ cinq ans, il y a plus de publicité sur le recyclage et ses produits, la prise de conscience pour l’environnement, il y a des gens qui vont préférer la qualité verte. De ce côté-là, cette conscientisation nous aide un peu à écouler nos produits sur les marchés. Mais ce n’est pas à 100 %, parce qu’il y a la qualité et le prix. Le facteur environnemental agit un tout petit peu en bas. C’est ce qui fait la différence entre le caoutchouc vierge et le caoutchouc recyclé (un directeur général, cas 1).
Le fait que notre produit soit issu des pneus hors d’usage, cela nous favorise un peu parce qu’il y a une certaine conscientisation de la population envers les produits recyclés (un directeur général, cas 2).
196
Cette conceptualisation de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise ou encore de la
valorisation résiduelle en termes de récupération et introduction, de transformation, d’échange et de
marché conduit à la définition de la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle dans
le cadre de la présente thèse.
7.2. La valorisation résiduelle revisitée
En tenant compte des quatre éléments ci-dessus décrits (introduction des matériaux,
transformation, échange et marché), il paraît essentiel de « revisiter » la notion de valorisation
résiduelle. La définition suivante de la valorisation résiduelle est proposée :
Un corpus de décisions et d’actions stratégiques basées sur l’utilisation des ressources alternatives (matière et énergie) comme intrants principaux dans divers niveaux de procédés de production industrielle; la transformation propre et sécuritaire de ces dernières en produits à valeur commerciale destinés à des marchés ciblés; et des formes diverses de collaborations et d’échanges de ces mêmes matières.
Cette définition repose sur les caractéristiques essentielles de la valorisation résiduelle. Les
initiatives de récupération et d’utilisation des sous-produits industriels représentent des enjeux
stratégiques pour les gestionnaires. Elles se traduisent donc par des opportunités d’affaires identifiées
par les gestionnaires. Les actions à entreprendre dans la réalisation ou l’élaboration de ces opportunités
se présentent comme un flux continu d’activités planifiées par les gestionnaires. Ces activités
s’orientent vers la production des biens à partir des matières résiduelles et ces mêmes activités se
présentent comme une façon particulière d’améliorer la productivité et la compétitivité sur les
marchés. Cette définition tente de rendre intelligible la valorisation résiduelle selon les perceptions des
gestionnaires rencontrés. Elle énonce les caractéristiques essentielles de la valorisation résiduelle. En
effet, ces caractéristiques essentielles sont dérivées de la conceptualisation de la valorisation résiduelle
selon les perceptions des gestionnaires.
197
CHAPITRE 8
LES STRUCTURES ET LE FONCTIONNEMENT DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE
La conceptualisation de la valorisation résiduelle proposée dans le chapitre précédent offre ainsi
un outil de base pour la compréhension de l’utilisation et la transformation des sous-produits et des
matières résiduelles dans les cas étudiés. Le présent chapitre se penche sur les structures et sur le
fonctionnement des pratiques de valorisation dans les entreprises étudiées. Il tente d’analyser la façon
dont ces entreprises incorporent les différentes matières résiduelles dans l’ensemble de leurs procédés.
Dans un premier temps, le chapitre tentera de définir les différentes échelles ou les différents créneaux
de valorisation tels qu’identifiés dans les entreprises étudiées. Dans un deuxième temps, il s’attachera à
définir les métabolismes résiduels ou les modes de valorisation de ces activités. Enfin, à partir de ces
typologies portant sur les créneaux et les modes, ce chapitre tentera de les ordonner en définissant
différents types de valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle à l’échelle de
l’entreprise.
8.1. Les échelles de valorisation résiduelle
Les résultats de l’étude montrent que les matières rebutées introduites dans les procédés de
fabrication ne sont pas utilisées à un seul endroit ou à une échelle unique le long des processus de
valorisation résiduelle. L’utilisation se fait plutôt à des échelles diverses ou créneaux. Selon les activités
et les secteurs industriels, les matières résiduelles et les sous-produits industriels sont alloués à trois
créneaux différents : l’entrée, la transformation et la sortie du processus de fabrication (figure 9).
8.1.1. La valorisation à l’entrée
La valorisation résiduelle à l’entrée constitue le premier créneau. L’utilisation à l’entrée prend la
forme d’introduction des résidus comme matières premières en début de processus de fabrication
industrielle. Ces matières proviennent directement des générateurs ou des entreprises de pré-
conditionnement.
198
Figure 9. Échelles d’utilisation des matières résiduelles
Comme le montre la figure 9, dans la majorité des cas étudiés, à l’exception du cas 11 (pâtes et
papiers) qui est générateur de résidus, les différentes matières sont utilisées principalement à l’entrée :
les pneus hors d’usage dans les cas 1, 2, 3 et 4; les scories des résidus miniers dans le cas 5; les résidus
de la serpentine dans le cas 6 (production de magnésium); les poussières et autres agrégats dans les cas
7 et 8 (cimenteries); les matières plombifères dans le cas 9; les résidus animaliers dans le cas 10 et
l’acide sulfurique dans le cas 12 (production chimique).
8.1.2. La valorisation pendant le processus de transformation
L’utilisation pendant le processus de transformation prend essentiellement la forme de source
d’énergie pour la combustion. Les cas 7, 8 et 9 utilisent les résidus non seulement à l’entrée, mais aussi
pendant le processus de transformation comme source alternative d’énergie. Ces matières sont
constituées de combustibles - principalement des filtres et des huiles usés, du bois, des pneus; bref,
toutes les matières dont les propriétés physiques permettent de produire l’énergie nécessaire pouvant
ENTRÉE
PROCESSUS DE TRANSFORMATION
SORTIE
Les cas 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et
12
Les cas7, 8 et 9
Utilisation Utilisation Génération
Le cas 11
Utilisation
Les cas 7 et 8
GÉNÉRATEURS PRÉ-CONDITIONNEMENT
DES DÉCHETS
PRODUITS VERS LES
MARCHÉS CIBLÉS
199
être utilisée dans les fours à haute tension. Les cas 7 et 8 sont les seuls qui utilisent les résidus à la
sortie. Le cas 11 non seulement génère des boues de désencrage, mais aussi produit de la vapeur pour
des besoins internes.
8.1.3. La valorisation à la sortie
Enfin, l’utilisation à la sortie se traduit par l’ajout de résidus aux produits finis ou semi-finis dans
le but de renforcer les propriétés de ces derniers pour répondre aux besoins spécifiques des
consommateurs. Il est en effet intéressant de voir que les cimenteries représentent les seuls cas où les
ressources sont allouées à l’entrée, pendant la transformation, et à la sortie.
On fait de la valorisation à tous les niveaux. On a, au niveau des intrants, des matières qui sont nécessaires au niveau de l’utilisation pour le ciment et on a aussi, au niveau de l’énergie, des combustibles qu’on utilise pour l’usine. On ajoute également des matières « cimentibles » à la poudre de ciment (…) Donc, la valorisation se fait à trois endroits : au niveau des intrants, au niveau des extrants et à l’intérieur du processus comme tel, au niveau des combustibles (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Ici, nous faisons beaucoup de valorisation à trois niveaux : à l’entrée des matières premières de remplacement, au niveau de la transformation, notamment la combustion en utilisant des combustibles qui viennent des biomasses, et à la sortie de notre produit fini, en y ajoutant des cendres volantes pour renforcer la qualité du béton (un directeur du recyclage énergétique, cas 8).
Cette utilisation des matières résiduelles à l’entrée, pendant et à la sortie fait de l’industrie du
ciment l’un des bénéficiaires majeurs d’écologie industrielle en particulier la valorisation résiduelle. En
effet, l’utilisation des matières alternatives permet aux cimenteries non seulement de réduire les coûts
d’opération, mais surtout de réduire considérablement les émissions de CO2 par l’introduction de
combustibles non fossiles. Les bénéfices environnementaux de la valorisation résiduelle dans les
cimenteries sont particulièrement soulignés par les dirigeants de ces entreprises.
Il y a donc deux dimensions importantes avec l’utilisation des matières résiduelles. La première est qu’elle soit viable du point de vue économique et environnemental. La viabilité environnementale est comprise dans le sens de faire une autre utilisation avec les résidus que le simple fait de les enfouir; et sur le plan de l’usine, faire en sorte que ces matières qui seront utilisées n’apportent pas d’effets non désirés dans nos procédés et dans nos cheminées. La deuxième dimension touche à l’image de l’industrie du ciment. Celle-ci a toujours été considérée comme l’une des plus polluantes de toutes. Il
200
y a évidemment le fait que les cimenteries soient des générateurs de gaz à effet de serre. Dans le procédé de fabrication du ciment, on chauffe du calcaire à de très hautes températures. De ce fait, le calcaire se sépare pour se transformer en chaux. Il y a déjà le CO2 qui est généré par le procédé de décarbonisation du calcaire. Et il y a évidemment du CO2 qui est généré par les combustibles utilisés. Dans bien des cas - c’est le cas d’ailleurs du Groupe Holcim Ltd. -, les dirigeants sont sensibles à cette question du CO2 qui est généré par le procédé lui-même. De cette façon, les solutions que nous adoptons visent à réduire l’impact de nos activités en termes de dégagement du CO2 en utilisant certains types de résidus à base de biomasse : le bois, les boues de station d’épuration des eaux. Ces matières-là étant générées de la biomasse, lorsqu’on les utilise comme combustibles, elles ne rajoutent pas au bilan de CO2 parce qu’elles rentrent dans la boucle de CO2 absorbé par l’arbre qui devient carbone et l’arbre régénère le CO2. Comparativement à utiliser du charbon, combustible fossile. Et tout ce qui est fossile, en ce moment, rajoute au bilan de CO2 (un directeur du recyclage énergétique, cas 8).
Cette description révèle que les responsables du cas 8 (cimenterie) maîtrisent et appliquent non
seulement l’analyse quantitative du flux des matières (pneus usés, bois, matières plastiques, poussières,
etc.), mais également l’analyse chimique du flux des substances dans le processus de fabrication du
ciment telle que définie par Bringezu et Moriguchi (2002). Dans le deuxième type d’analyse, l’approche
utilisée repose principalement sur la détoxication ou la réduction des émissions de CO2 produites tout
le long de ce processus. La pertinence des propos tenus par le directeur du recyclage et de l’énergie
dans le cas 8 amène à faire deux constats.
D’abord, la motivation pour acquérir la technologie afin de réaliser ce type d’analyse. En effet, le
recours à l’analyse des flux de substances exige des connaissances raffinées d’ingénierie et des
investissements lourds. Cela suppose dès le départ que l’entreprise est confrontée à d’importants
impacts de ses activités sur l’environnement, notamment, dans le cas des cimenteries, la génération
d’une grande quantité de GES (CO2). L’hypothèse faite ici est que l’image négative de l’ensemble de
l’industrie du ciment comme l’une des plus polluantes justifie cette démarche.
Ensuite, l’approche utilisée s’apparente à la stratégie de conception écologique des produits et
de procédés telle qu’elle est évoquée par Graedel et Allenby (1995) ainsi que par Allenby (1999a). Cette
conception écologique repose en effet sur l’intégration « systématique » des considérations
environnementales dans la conception de ces produits et procédés en combinant différentes
201
techniques et méthodes d’évaluation. Cette intégration suppose donc le développement de nouvelles
technologies.
La complexité de ces types d’analyse, de la conception écologique des produits et des procédés
ainsi que les exigences de la mobilisation des ressources dans les pratiques de valorisation, en
particulier dans le cas 8 analysé (cimenterie), semblent donc supposer que cette démarche repose sur
l’engagement environnemental total de la haute direction du Groupe Holcim Ltd. En effet, cette
grande multinationale opère, depuis quelques décennies, plusieurs cimenteries à travers le monde. Ses
différentes cimenteries forment ainsi un réseau d’échange d’information et d’expérience qui les aide à
promouvoir les pratiques d’écologie industrielle au sein du groupe. Ce contexte précis rend
opérationnel la vision de l’écologie industrielle selon White (1994). Cette vision conçoit essentiellement
l’écologie industrielle comme l’analyse des flux des ressources et de l’énergie dans les systèmes de
production industrielle et de consommation; l’analyse de l’effet de ces flux sur l’environnement;
l’analyse des facteurs économiques, politiques, légaux et sociaux sur le flux; et l’analyse de l’usage et de
la transformation des ressources et de l’énergie (White, 1994, p. v).
Ces deux constats justifient l’hypothèse selon laquelle les approches technoscientifiques de
l’écologie industrielle telles que l’analyse des flux des matière et de l’énergie, l’analyse du cycle de vie
des produits, la dématérialisation ou encore la décarbonisation font partie des pratiques de l’écologie
industrielle à l’échelle des grandes entreprises, à l’échelle régionale et à l’échelle des secteurs industriels.
À quelques exceptions près, le cas 7 s’apparente au cas 8 (les deux sont des cimenteries): il s’agit en
effet d’une cimenterie filiale d’une grande multinationale. Le coordinateur à l’environnement souligne à
cet effet que ces cimenteries sont munies d’un réseau d’échange d’information et d’expériences.
Dans ces combustibles, il y a un amalgame de composés tels que des solvants, des vernis, des peintures, etc. pour arriver à composer un produit de recyclage solide via les filiales de recyclage. Ça, c’était au niveau des combustibles. Il y a dans l’air plusieurs autres projets qui vont nécessairement finir par aboutir. C’est le cas des farines animales, les graisses. Il y a énormément, en France, de cimenteries qui font partie de notre groupe qui utilisent des graisses animales et des farines. Subséquemment à cela, depuis la découverte de la problématique de la vache folle en Alberta, on s’est fait approcher et les fournisseurs nous demandent si nous sommes capables de faire ça. On a dit « oui » parce que les cimenteries en France le font déjà (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
202
Ainsi, les différentes échelles de valorisation montrent que les ressources utilisées sont allouées à
l’entrée, pendant la transformation et à la sortie. Les cimenteries ont développé des structures qui leur
permettent d’utiliser les matières résiduelles aux trois échelles différentes. Il est intéressant de noter
que ces entreprises sont des filiales de grandes multinationales. En plus, elles constituent des
entreprises à vocation résiduelle secondaire.
Les réponses des gestionnaires à la question portant sur le type d’information dont ils ont
besoin pour planifier leurs activités de production et d’allocation des ressources révèlent des tendances
intéressantes. Contrairement aux théories largement acceptées en écologie industrielle, l’information
sur les flux de matière et d’énergie dans les systèmes de production industrielle et de consommation en
rapport avec l’environnement ne semble pas être un facteur important. La majorité des responsables
semblent être moins intéressés par le métabolisme industriel des matières, c’est-à-dire les
transformations subies par ces matières depuis l’extraction jusqu’au tombeau.
Cela fait partie de notre analyse marketing mais pas pour des fins de l’environnement. Nous nous rendons compte que les batteries se sont beaucoup améliorées et que la durée de vie s’est prolongée (un vice-président, chargé de la recherche et du développement, cas 9).
On ne le fait pas au niveau de l’usine, sinon au niveau de Lafarge comme entreprise (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Ces propos montrent que c’est plutôt les seuls aspects de la comptabilité physique des matières,
c’est-à-dire leur quantité et leur disponibilité, ainsi que les possibilités de les transformer en d’autres
produits fabriqués qui les intéressent le plus. Ce qui montre une fois de plus l’importance de la
conception pragmatique de la valorisation résiduelle. L’écart entre la conception écologique et la
conception pragmatique s’affirme. La transformation des sous-produits dans les procédés repose sur la
fonctionnalité de ceux-ci pour les marchés auxquels ils sont destinés. Cependant, les cas des
entreprises filiales de grandes multinationales ou à image environnementale négative semblent montrer
le contraire. Dans ces cas précis (les deux cimenteries), des efforts constants sont fournis pour intégrer
les considérations environnementales dans l’utilisation des matières résiduelles dans les procédés
industriels. La conception écologique se rapproche donc de la conception pragmatique pour les raisons
ci-dessus mentionnées.
203
8.2. Les modes de valorisation résiduelle
Les modes de valorisation résiduelle constituent la deuxième étape de compréhension du
phénomène dans les entreprises analysées. Les résultats de l’étude montrent que les différents créneaux
d’utilisation des résidus dans les procédés industriels (entrée-transformation-sortie) définissent quatre
modes de valorisation résiduelle. Selon ces modes et indépendamment des secteurs d’activités, les
matières sont utilisées pour élaborer des produits finis ou semi-finis à valeur commerciale; pour
substituer des matières premières conventionnelles dans une certaine proportion; comme source
alternative d’énergie ou encore pour renforcer la qualité des produits existants. Le tableau 13 présente
les modes de valorisation résiduelle dans les cas étudiés.
Tableau 13. Modes de valorisation selon les cas étudiés
Élaboration des
produits finis
Substitution des matières
conventionnelles
Source alternative d’énergie
Renforcement de la qualité des produits finis
Pneus hors d’usage
1, 2, 4 3
Résidus miniers 5 et 6
Cimenteries 7 et 8 7 et 8 7 et 8
Recyclage des batteries au plomb-acide
9 9
Sous-produits animaliers
10 10
Pâtes et papiers 11 11
Produits chimiques
12
204
8.2.1. L’élaboration des produits finis
L’élaboration des produits finis constitue le premier mode de valorisation résiduelle. Le tableau
10 montre que l’élaboration des produits finis ou semi-finis à partir des résidus industriels constitue la
forme la plus utilisée dans les entreprises étudiées. En effet, les pneus hors d’usage sont traités et
transformés en divers produits à base de caoutchouc recyclé tels que : tapis industriels pour les stalles
des chevaux et des vaches (le cas 1); garde-boue pour les camions, planchers commerciaux et
industriels, couvre-planchers d’insonorisation, pneus pour les bacs de récupération (le cas 2); granules
de différentes grosseurs (le cas 4). Des résidus miniers, on obtient de l’acier inoxydable, des agrégats
pour la construction, des fertilisants et agents de correction des sols (le cas 5), ainsi que du magnésium
et des alliages de ce métal (le cas 6). Le plomb pur et ses alliages sont obtenus à partir des matières
plombifères; le polypropylène est obtenu à partir de carcasses de batteries; quant aux scories provenant
des alumineries, elles servent à fabriquer un matériau qui est utilisé dans la construction (le cas 9 du
recyclage des batteries au plomb-acide). Des rebuts d’abattoirs, on obtient des farines protéiniques et
des graisses animales; de ces graisses animales et des huiles de friture, on obtient du carburant biodiesel
(le cas 10 du recyclage des produits animaliers). Les boues de désencrage générées par le procédé de
fabrication de la pâte à papier sont traitées pour être utilisées comme matières premières dans la
production du compost (le cas 11 de la production des pâtes et papiers). L’acide sulfurique extrait en
fin de procédé de fabrication du TiO2 est utilisé pour produire le gypse; de plus, le CO2 qui se dégage
de ce même procédé est récupéré et vendu sous forme liquide (le cas 12 de la production chimique).
Dans neuf cas sur les douze étudiés, la valorisation prend la forme d’une transformation des résidus
industriels en produits ou sous-produits vendus à des marchés ciblés.
8.2.2. La substitution des matières conventionnelles
La substitution des matières conventionnelles constitue le deuxième mode de valorisation
résiduelle. La substitution se présente dans les cas 3 (fabrication de bitume), 7 et 8 (cimenteries). En
effet, la granule obtenue à partir des pneus hors d’usage était utilisée dans une proportion de 5, 10,
voire 15 % dans la composition totale des matières premières pour la fabrication de bitume (le cas 3).
Les quatre composantes classiques (calcaire, silice, fer et alumine) qui rentrent dans la fabrication de la
poudre de ciment sont remplacées, selon le coordinateur à l’environnement du cas 7, dans une
proportion de 10 %. Selon ce responsable, l’industrie du ciment semble se trouver dans une situation
205
privilégiée dans la mesure où ces matières premières conventionnelles peuvent se retrouver sous
plusieurs formes dans plusieurs types de résidus. Ceci pourrait expliquer pourquoi cette industrie
valorise les résidus sur presque toute la chaîne du processus de production.
Si on va aux matières, c’est à peu près de toutes les sortes. Nécessairement, au niveau de notre complexe ici, on a besoin de quatre éléments majeurs : la silice, le fer, la chaux et l’alumine. Ce sont les éléments essentiels qui sont parmi les plus répandus sur la planète. Dans tout produit, on peut rencontrer ces éléments-là. Que ce soit dans des produits fins ou en produits de recyclage. Cela provient souvent des industries métallurgiques et des industries connexes telles que les centrales de charbon, les incinérateurs, les brûleurs industriels; il y a des cendres qui sont produites et qui sont composées de silice et d’alumine. On peut parler aussi des boues d’épuration des eaux domestiques. Donc, ce sont là des choses qui finissent par aboutir comme source de matières alternatives. Il y a aussi des catalyseurs usés qui sont utilisés dans les industries pétrolières que nous utilisons beaucoup ici, environ une dizaine de sortes. Ce sont toutes là des matières alternatives que nous utilisons parce qu’elles sont toutes composées de silice, d’alumine, de fer ou de calcium (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Le remplacement de certaines matières premières dans une certaine proportion est également
souligné, dans le cas 8 (cimenterie), par le directeur de l’environnement et de l’énergie. Si, dans le cas
précédent, ce remplacement touche une gamme de produits et sous-produits usés, le cas 8 se limite à
un type identifié de résidus qui remplace principalement l’alumine.
On a aussi un produit que l’on utilise comme remplacement des matières premières. Parce que pour faire du ciment, ça prend du calcium, de la silice, de l’alumine et du fer. Ce sont les quatre minéraux essentiels. Si on n’a pas ça, on ne fait pas de clinker, on ne fait pas de ciment et de béton. Et maintenant, on remplace l’alumine par des catalyseurs usés de raffineries de pétrole (un directeur de l’environnement et de l’énergie, cas 8).
Ce caractère spécifique et privilégié de l’industrie du ciment a déjà été évoqué par Van Oss et
Pandovani (2002, 2003) lorsqu’ils analysent les défis et les opportunités de l’écologie industrielle, en
particulier dans la fabrication du ciment Portland en ce qui a trait aux économies en termes de gaz à
effet de serre (GES) obtenues par la valorisation résiduelle.
206
8.2.3. La source alternative d’énergie
L’utilisation des matières résiduelles comme source alternative d’énergie constitue le troisième
mode de valorisation résiduelle. La valorisation résiduelle pour des fins énergétiques s’observe dans les
cimenteries (les cas 7 et 8), dans le cas du recyclage des batteries au plomb-acide (le cas 9) et dans le cas
10 de la production des pâtes et papiers. Différents types de résidus sont utilisés pour produire de
l’énergie en remplacement des combustibles fossiles. Dans le cas 10, par exemple, 15 tonnes de résidus
de bois sont brûlées par jour pour obtenir de la vapeur. Dans d’autres cas, les huiles usées (le cas 9), les
pneus, le bois traité comme celui des chemins de fer et des poteaux de téléphone, ainsi que des résidus
à base de plastique sont utilisés dans de grands foyers pour faire sécher les matières poudreuses au
broyage et pour brûler le clinker (les cas 7 et 8). Bien que cette valorisation énergétique représente des
bénéfices économiques substantiels pour ces entreprises et pour l’environnement, elle ne pourrait
cependant pas remplacer les combustibles conventionnels à 100 % à cause de certaines contraintes
thermodynamiques, comme le souligne le coordinateur à l’environnement du cas 7.
Quand on fait les démarrages des fours, on doit commencer avec le gaz, nécessairement, parce que c’est l’élément le plus propre et le plus facile à utiliser lors d’un démarrage de four. Parce que pour monter en température dans le four, on doit commencer avec celui qui le précède, donc le gaz et, subséquemment, on transfère l’huile usée et après ça, on s’en va à nos combustibles standards. Et tout cela est une question de coût. Le gaz coûte très cher, l’huile est moins cher et après ça, c’est le coke et ainsi de suite. Il y a des caractérisations au niveau des combustibles. Au démarrage, on ne peut pas commencer avec des combustibles solides qui sont très difficiles à chauffer, étant donné qu’on doit monter en température (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Il apparaît intéressant de voir que cette analyse sommaire faite par le coordinateur à
l’environnement du cas 7 (cimenterie) s’inscrit dans le cadre du modèle conceptuel d’analyse des
possibilités viables des pratiques d’écologie industrielle à différentes échelles (unité de production,
usine, division industrielle, entreprise, région, secteur, nation et global) proposé par Diwekar et Small
(2002). Selon ce modèle, les critères d’évaluation au niveau de l’entreprise incluent l’efficience de
l’utilisation de l’énergie, la production et la transformation des matières premières, la rentabilité
économique, la réduction de matière et d’énergie, les impacts environnementaux et l’éco-efficience.
Les cas 7 et 8 (cimenteries) étant identifiés comme des entreprises à vocation résiduelle secondaires, la
207
pondération des critères d’évaluation ne semble pas obéir à une logique de rentabilité économique,
mais plutôt à celle de l’efficience calorifique.
Un autre exemple d’analyse sommaire du modèle de Diwekar et Small (2002) est fourni par le
cas 9 du recyclage des batteries au plomb-acide. Dans cette entreprise, qui est à vocation résiduelle
primaire, les critères d’analyse des possibilités d’écologie industrielle reposent principalement sur la
rentabilité économique.
On est donc habileté à transformer, à recycler et à récupérer, ici, toutes sortes de matières plombifères. À part les batteries, il y a essentiellement des déchets d’usines qui produisent du plomb, de la peinture, du plomb chrome, etc. Par exemple, nous avons vidé des lagunes chez Dupont aux États-Unis. Dans ces lagunes étaient stockées des milliers de tonnes de boues qui contenaient du tétra-éthyle. Nous avons traité, recyclé et récupéré du plomb organique qui provenait du tétra-éthyle. On a ramassé ces boues et on les a converties en plomb. On pourrait prendre ici des cirages qui contiennent du chlorure de plomb (PbCl2), mais on ne les prend pas parce que ce n’est pas payant, ce n’est pas économique, donc on ne prend pas ça (un directeur de l’exploitation, cas 9).
8.2.4. Le renforcement de la qualité des produits finis
Le dernier mode de valorisation concerne l’ajout de certaines matières résiduelles au produit fini
pour renforcer les propriétés de ce dernier. L’ajout de certaines matières résiduelles au produit fini est
observé particulièrement dans les cimenteries (les cas 7 et 8). Ce qui renforce l’idée selon laquelle il
existe une diversité de formes de valorisation pour l’industrie du ciment.
Parmi les matières « cimentibles » qu’on ajoute à la poudre de ciment, il y a, par exemple, les fly ashes, les slugs des laitiers. Ces produits-là, dans des dosages spécifiques additionnés au ciment, permettent de produire des types de ciment à très haute résistance, spécifique, dépendamment du mélange. Il n’y en a pas encore beaucoup, mais il y a quand même une bonne gamme que l’on peut utiliser dans des dosages plus spécifiques qui nous permettent de produire un ciment de très haute qualité (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Le ciment n’est pas un produit fini, en ce sens que la poudre de ciment doit être mélangée avec d’autres agrégats, notamment du sable et de l’eau pour faire du béton, avec lequel on fait les fondations et la construction des routes, etc. Le béton est le produit vraiment fini. On peut faire du béton en utilisant 100 % de poudre de ciment ou on peut faire du béton en prenant les agrégats, pierre, sable et eau, et en utilisant 85 % de poudre de ciment - dans certains cas, 75 % de poudre de ciment - et utiliser des matières qu’on appelle « povolaniques », que ce soit des cendres volantes des
208
centrales thermiques, que ce soit des laitiers de hauts fourneaux, des laitiers des sidérurgies, des fumées de silice (un directeur du recyclage énergétique, cas 8).
L’ajout de certaines matières résiduelles démontre une fois de plus la particularité de l’industrie
du ciment. Cette particularité repose en effet sur le fait que les cimenteries ne sont pas, en principe, des
génératrices de déchets, mais plutôt des utilisatrices de toutes sortes de résidus dans les différents
mélanges. Les bénéfices de l’ajout des poussières de sources diverses à la poudre de ciment ne
semblent pas se limiter à la haute qualité de béton obtenue comme produit fini utilisé directement dans
la construction. Cet ajout apporte des bénéfices considérables sur l’environnement en termes de
réduction des émissions de CO2. Les responsables ont souligné de façon particulière cet aspect.
C’est une autre manière de réduire la question de génération de CO2. Parce qu’avec un béton amélioré qui contient seulement 75 % de ciment, cela veut dire qu’il y a eu moins de CO2 généré en tenant compte du fait que pour chaque tonne de ciment fabriqué, c’est environ 800 kg de CO2 qui est généré. La moitié du CO2 vient de la décarbonisation du calcaire et l’autre moitié vient des combustibles. En termes de nos préoccupations pour réduire la quantité de CO2, nous travaillons au niveau du procédé et au niveau du produit fabriqué lui-même (un coordinateur à l’environnement, cas 7).
Les différents modes de valorisation résiduelle observés reposent sur l’idée centrale
d’optimisation de l’usage des ressources disponibles, d’utilisation des matières rebutées et de création
de valeur commerciale à partir des déchets. Ils traduisent également l’ingéniosité des dirigeants qui
conçoivent, mettent en œuvre et gèrent ces pratiques. Ce dernier aspect semble particulièrement
important pour deux raisons majeures. La première touche au caractère atypique des pratiques de
valorisation résiduelle. D’abord, ces pratiques reposent sur l’utilisation des matières rebutées et des
sous-produits sans ou avec peu de valeur. Ce qui suppose la rupture d’un certain nombre de barrières
techniques, humaines et cognitives liées à cette utilisation. Ensuite, la valorisation suppose qu’il faille
passer de la moins-value à la plus-value des résidus et des produits élaborés à partir de ces derniers.
La deuxième raison concerne le double caractère agressif des marchés dans lesquels les
entreprises sont appelées à commercialiser leurs produits. Non seulement les entreprises doivent créer
de la valeur positive à partir des intrants sans ou avec peu de valeur, mais elles doivent également faire
face à la concurrence accrue avec les produits fabriqués à partir des matières premières
209
conventionnelles. Ce double atypisme fait d’elles des entreprises particulières en comparaison de celles
dont les activités reposent sur les matières premières conventionnelles. Ces différentes considérations
sur les conditions dans lesquelles les dirigeants sont appelés à gérer les matières résiduelles révèlent le
long chemin qui reste à parcourir dans le cadre des changements à introduire dans les modes de
production et de consommation. Ces mêmes considérations remettent en cause les propos de Lifset et
Graedel (2002), lorsque ces deux auteurs abordent la question du rôle des entreprises dans le
développement de l’écologie industrielle :
Business plays a special role in industrial ecology in two respects. Because of the potential of environmental improvement that is seen to lie largely with technological innovation, business as a locus of technological expertise is an important agent for accomplishing environmental goals (...) A heightened role for business is an active topic of investigation in industrial ecology and a necessary component of a shift to a less antagonistic, more cooperative and, what is hoped, a more effective approach to environmental policy (Lifset et Graedel, 2002, p. 8),
En effet, ces auteurs ne semblent pas suffisamment tenir compte des difficultés qu’implique, sur
le plan opérationnel, l’application des principes d’écologie industrielle. Or le potentiel d’optimisation
des ressources et les compétences à développer par les entreprises dans la définition des différents
modes de valorisation résiduelle sont inséparables. En ce sens, dans le cadre de l’approche managériale
adoptée dans cette thèse, l’étude de la valorisation des sous-produits industriels ne devrait pas reposer
seulement sur l’analyse de l’utilisation pratique des résidus dans les procédés industriels, ce qui est
défini comme étant l’axe matériel. La présente étude devrait transcender et comprendre comment cette
utilisation prend corps dans l’entreprise par le développement des savoirs nécessaires qui en feront une
utilisation effective et efficiente.
Les modes de valorisation résiduelle observés dans les cas étudiés constituent une fois de plus
un concept qui émerge et qui a évolué à partir des quatre synergies industrielles identifiées par Boiral et
Croteau (2001b) en termes de transformation des produits finis ou semi-finis en matières premières, de
transformation des résidus industriels en matières premières, d’utilisation des déchets industriels dans
l’un ou l’autre procédé et de valorisation énergétique. Si ces symbioses industrielles reposent sur l’idée
de complémentarité des entreprises, les modes de valorisation résiduelle reposent plutôt sur la manière
dont l’entreprise comme unité de production crée de la valeur dans sa chaîne de production à partir
des matières rebutées.
210
La démarche suivie jusqu’à présent a permis de définir et de présenter une série de concepts liés
au phénomène de valorisation des sous-produits industriels à partir des expériences des entreprises
étudiées. Ces différents concepts mettent en évidence le fait que la valorisation résiduelle, telle qu’elle
apparaît au cours des entretiens réalisés, recouvre en fait des réalités, des logiques différentes utilisées
par les responsables - au moment de la conception et tout au long de la gestion de la valorisation -
comme étant une stratégie d’entreprise. Dans cette même vision, un regroupement de ces réalités et
logiques, et une présentation des différents types de valorisation résiduelle dans les entreprises étudiées
seront proposés.
8.3. Les types identifiés de valorisation résiduelle
Avant de présenter les types de valorisation résiduelle tels qu’identifiés dans les cas analysés, il
convient de rappeler ici quelques concepts clés. La valorisation des sous-produits industriels est un
processus de décisions ou d’actions stratégiques qui vise l’optimisation de l’usage des ressources dans
les procédés de fabrication. Comme pratique d’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise, la
valorisation résiduelle répond aux critères d’introduction, de transformation des matières, de
participation aux réseaux d’échange et de développement des marchés. Pour la majorité des entreprises
analysées, la valorisation résiduelle représente la totalité de leurs activités industrielles (VRP : vocation
résiduelle primaire) tandis que pour d’autres, elle ne représente qu’une partie de celles-ci (VRS :
vocation résiduelle secondaire).
Le but poursuivi ici est de présenter une typologie de valorisation résiduelle pertinente avec le
fonctionnement de cette démarche comme un processus d’actions stratégiques de l’entreprise. En ce
sens, l’axe matériel, l’axe formel, l’indice de valorisation (iV), l’orientation économique de l’entreprise -
des concepts déjà développés et soutenus dans les chapitres précédents - constituent les éléments de
base du modèle proposé. En intégrant ces différents concepts, quatre types de valorisation résiduelle se
dégagent des cas analysés. Ceux-ci se définissent comme valorisation résiduelle de types primaire
optimal, primaire maximal, secondaire optimal et secondaire maximal. La figure 10 résume l’essentiel
de ces types de valorisation résiduelle à l’échelle intra-entreprise.
211
Figure 10. Types de valorisation résiduelle
8.3.1. La valorisation primaire optimale
La première valorisation industrielle possible serait de type primaire optimal. Dans cette
valorisation, l’orientation économique des activités résiduelles au sein de l’entreprise est forte et l’indice
de valorisation des matières se présente comme faible. L’exploitation optimale signifie ici que l’indice
de valorisation (iV) affiche une valeur inférieure à la moyenne du secteur ou inférieure à la moyenne
des cas étudiés. Il convient de rappeler ici que pour la valorisation résiduelle, le iV de l’entreprise
devrait être supérieur ou égal à 0,1. La valeur de l’indice de valorisation est optimale parce qu’elle
représente un état, un dégré d’utilisation et de transformation des sous-produits ou matières résiduelles
considéré acceptable par les dirigeants compte tenu des procédés mis en place et des contextes dans
lesquels se réalise la valorisation.
Bien que l’orientation économique d’une entreprise ne puisse être quantifiée comme dans le cas
de son indice de valorisation comme il a été défini, il convient de tenir pour vrai que cette orientation
est reflétée par les motivations économiques primaires de l’entreprise en optant pour la valorisation
Indi
ce d
e va
lori
sati
on (
iV)
Axe
mat
érie
l
Secondaire optimal
Fai
ble
F
orte
Orientation économique Axe formel
Faible Forte
Secondaire maximal
Primaire optimal
Primaire maximal
212
comme stratégie d’entreprise. Dans les cas étudiés, les entretiens réalisés ont permis de situer
l’entreprise par rapport à son orientation économique.
Quatre cas étudiés illustrent ce type de valorisation : 3 de fabrication de bitume, 4 de traitement
des pneus hors d’usage, 5 de valorisation des scories d’acier inoxydable et 6 de récupération de
magnésium à partir des résidus de la serpentine. On pourrait faire ici l’hypothèse que les entreprises à
vocation résiduelle primaire (VRP) commencent par la valorisation de type primaire optimal avant de
pouvoir se déplacer vers d’autres formes de valorisation. L’entreprise a avantage à augmenter la
quantité des matières transformées pour réaliser des économies d’échelle et, si l’entreprise n’est pas en
mesure d’augmenter la quantité de matières résiduelles à transformer à cause des contraintes
physiques, thermodynamiques, légales, environnementales, opérationnelles ou encore techniques, elle
sera dans l’impossibilité de réaliser des économies d’échelle. Dans le cas 3 (fabrication de bitume), la
granule obtenue par le traitement des pneus hors d’usage est utilisée graduellement dans une
proportion de 5, 10 et 15 % comme matière première, à côté des matières conventionnelles, dans le
procédé de fabrication de bitume. Cette entreprise n’a pas pu se déplacer vers d’autres formes de
valorisation à cause des contraintes environnementales et légales. Devant ces circonstances, elle a
abandonné momentanément les pratiques de valorisation résiduelle.
On était confronté à plusieurs types de problèmes. Ce qui nous a le plus frappé, c’est l’abandon du projet de loi aux États-Unis qui voulait imposer l’utilisation du caoutchouc recyclé. Au Québec, le ministère des Transports nous a imposé des normes assez difficiles à respecter. Malgré notre volonté à utiliser la granule, ces problèmes devenaient presque politiques. À un moment donné, nous avons perdu toute motivation (un directeur d’usine, cas 3).
Comme déjà évoqué plus haut, l’indice de valorisation est inférieur à la moyenne du secteur des
pneus hors d’usage dans le cas 4. C’est ce qui explique le type de valorisation primaire optimal. Les cas
5 et 6 du secteur des résidus affichent un indice de valorisation inférieur à la moyenne des cas étudiés,
soit 0,17 et 0,22 respectivement. Ces valeurs indiquent que, dans les circonstances actuelles de la
valorisation, les procédés mis en place permettent de valoriser 100 tonnes d’acier inoxydable sur 585
tonnes introduites dans le cas 5 et de récupérer du magnésium à 21 % dans le cas 6.
213
8.3.2. La valorisation primaire maximale
La deuxième valorisation est de type primaire maximal. Tant l’orientation économique des
activités industrielles au sein de l’entreprise que l’indice de valorisation des matières se présentent
comme fortes. Cette valorisation est maximale parce que l’entreprise affiche un indice de valorisation
plus grand que la moyenne du secteur ou de l’ensemble des cas étudiés. L’entreprise cherche à
maximiser sa croissance dans les deux sens des axes matériel et formel. D’abord, par l’augmentation de
l’indice de valorisation et, ensuite, par l’amélioration des performances économiques et en particulier
du chiffre d’affaires.
Les cas 1, 2, 9 et 10 illustrent la valorisation primaire maximale. L’analyse des activités de ces cas
indique que, dans des conditions idéales, la croissance soutenue de ces activités amène, d’une part,
l’entreprise à maîtriser les processus de transformation des matières résiduelles existantes et, d’autre
part, à considérer les possibilités de transformation d’autres types de résidus et de sous-produits
industriels, ou encore à diversifier ses activités d’écologie industrielle. Les entretiens réalisés montrent
que, dans la plupart des cas étudiés, cette croissance soutenue s’observe à des degrés différents et selon
les genres d’activités mis en œuvre. Par exemple, le cas 9 du recyclage des batteries au plomb-acide est
aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands recycleurs des divers types de matières plombifères
en Amérique du Nord. En plus, une fois que cette entreprise a maîtrisé le recyclage de plomb, les
dirigeants se sont tournés vers la valorisation des brasques d’alumineries. Les résultats des recherches
ont démontré la possibilité de fabriquer, à partir de ces brasques, une fritte de verre qui améliore la
qualité du béton.
Nous avons mis au point un procédé jusque-là unique au monde. Nous en avons déjà produit 5 000 tonnes. Nous utilisons un produit toxique pour fabriquer deux produits ayant une valeur commerciale. À partir des brasques usées en provenance des alumineries, on fait une fritte de verre et on fait moudre la fritte de verre pour obtenir une poudre. Quand on y ajoute 25 % de ciment, cela augmente les propriétés du béton. Il y a, bien sûr, le besoin de développer de nouveaux débouchés puisque le plomb qui était notre activité primaire est un marché qui se rétrécit tout le temps à cause du déplacement des fabricants de batteries vers le sud. On a donc une capacité à utiliser et à transformer d’autres matières résiduelles en quantité industrielle, environ 100 000 tonnes par année (un directeur de l’exploitation, cas 9).
214
Ces propos montrent que cette entreprise a développé une vision proactive. Elle continue à être
leader dans le recyclage des matières plombifères tout en investissant dans la valorisation d’autres
matières. Ce ne sont pas les compétences qui font défaut ici, mais plutôt les matières à valoriser. Selon
les informations fournies par les responsables de cette entreprise, des ententes commerciales viennent
d’être signées avec l’une des usines d’un des grands producteurs d’aluminium en Amérique du Nord.
Ces ententes permettent au cas 9 de prendre et de traiter les brasques générées par cette usine. Avant
ces ententes, cette usine de production d’aluminium acheminait ces résidus aux États-Unis où ils
étaient enfouis dans un complexe appartenant à la multinationale.
D’autres exemples dans les cas étudiés illustrent la croissance soutenue. Le cas 10 du recyclage
des sous-produits animaliers s’est lancé dans la production industrielle du carburant biodiesel à base
d’huiles usées et de graisses animales. Le cas 2, l’un des leaders dans le recyclage du caoutchouc à partir
de pneus hors d’usage, se prépare au transfert de sa technologie dans d’autres usines.
Nous sommes les seuls à avoir développé une technologie pour récupérer et transformer toutes sortes de pneus, y compris ceux des voitures. Les autres récupèrent essentiellement les pneus des camions. Nous sommes en train d’inventer une nouvelle industrie. On nous demande beaucoup de transfert de technologie, surtout en Europe (un directeur général, cas 2).
8.3.3. La valorisation secondaire optimale
Le troisième type de valorisation en est un de secondaire optimal. Dans cette valorisation, tant
l’orientation économique des activités résiduelles au sein de l’entreprise que l’indice de valorisation des
matières se présentent comme faibles. Les cas 8 et 12 étudiés illustrent ce type de valorisation. L’indice
de valorisation du cas 8 est inférieur à la moyenne des deux cimenteries étudiées. Cet indice représente
une valeur de o,15. Dans le cas 12 de la production chimique, environ 8,000 tonnes de gaz carbonique
liquide est récupéré chaque année. En plus, 65,000 tonnes de gypse sont fabriquées à partir des résidus
de bioxyde de titane (TiO2). Bien que l’indice de valorisation soit faible dans les cas 8 et 12, cela ne
signifie pas, cependant, que la valorisation secondaire optimale ne représente pas une initiative viable.
Ce qui pourrait aussi indiquer que les entreprises à vocation résiduelle secondaire (VRS) commencent
par la valorisation de type optimal avant de pouvoir se déplacer vers d’autres formes de valorisation.
Même optimal, ce type de valorisation répond aux quatre critères définis plus haut. Étant donné que
l’indice de valorisation (iV) est le seul facteur différentiel dans la valorisation optimale, plusieurs
215
facteurs pourraient justifier ce déplacement vers d’autres formes, en particulier le temps nécessaire
pour augmenter la quantité de matières à valoriser, pour développer les compétences ou encore pour
créer des alliances interentreprises. Ces propos d’un coordinateur à l’environnement illustrent bien le
type de valorisation secondaire optimale et le déplacement vers d’autres formes de valorisation :
« Les pratiques de valorisation ont commencé beaucoup plus tard, dans les années 1998-1999, avec les premiers balbutiements. On a commencé avec un seul produit en essai, on y allait avec des essais pour voir si ça pouvait être utilisable, etc. Je dirais que les activités économiques essentielles ont commencé en 1999. Et ensuite, cela a donné lieu à une utilisation plus spécifique de ces matières-là. En 1999, on a commencé avec deux ou trois produits et maintenant, je ne peux pas les compter du bout de mes doigts. Nous avons aujourd’hui une trentaine de produits, en y incluant les combustibles et les matières résiduelles » (un coordinateur à l’environnement, cas 7)
8.3.4. La valorisation secondaire maximale
Enfin, le quatrième type de valorisation en est un de secondaire maximal. L’orientation
économique est relativement faible et l’entreprise récupère, introduit et transforme une quantité
« industrielle » de matières résiduelles. Le volume lui permet de réaliser des économies d’échelle
importantes en substituant les matières premières conventionnelles par des résidus, ce qui permet de
réduire certains coûts d’opération. C’est ce qui explique son caractère de valorisation maximale. Ce
type de valorisation est observé dans les cas 7 et 11. Comme il a été montré plus haut, les cimenteries
(le cas 7) utilisent de plus en plus d’intrants alternatifs aux niveaux des trois créneaux. Dans le cas 11, la
valorisation repose sur la résolution d’un problème précis de génération de boues de désencrage en fin
de procédé. Dans les deux cas, l’indice de valorisation est supérieur à la moyenne de l’ensemble des cas
étudiés.
Ce chapitre a tenté de présenter les structures et les formes de valorisation des sous-produits
industriels présentes dans les cas étudiés. Les modèles proposés quant aux segments, aux modes et aux
types de valorisation résiduelle aident à enrichir la connaissance de l’objet analysé. Ces mêmes modèles
aident également à donner une consistance opérationnelle aux concepts construits et défendus jusqu’à
présent dans l’étude. Cependant, il faut reconnaître que l’analyse des pratiques de valorisation
résiduelle s’est plus penchée sur ce qui a été défini comme l’axe matériel, c’est-à-dire l’analyse des
structures et des formes de récupération et de transformation des matières résiduelles. Pour rester
fidèle à l’approche adoptée dans cette thèse, c’est-à-dire l’approche managériale, et pour que notre
216
étude soit complète, il nous faut présenter les éléments qui facilitent la compréhension de l’axe formel
entendu comme étant l’intelligibilité managériale de la transformation des matières résiduelles
récupérées. C’est ce que tentent de faire les prochains chapitres.
217
CHAPITRE 9
LA GESTION ENVIRONNEMENTALE DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE
La gestion environnementale rigoureuse des activités de récupération et de transformation des
sous-produits industriels constitue l’un des objectifs principaux de l’écologie industrielle (Wernick et
Ausubel, 1997). Lifset et Graedel (2002) soutiennent que l’objectif majeur de l’écologie industrielle est
de maintenir une qualité acceptable de l’environnement. Pour sa part, Andersen (2003), prenant appui
sur Gladwin (1993) et Paton (1994), identifie les systèmes de management environnemental comme un
type d’écologie industrielle dans la msure où ils se caractérisent principalement par l’adoption et la mise
en œuvre d’outils de gestion environnementale tels que la norme ISO 14001 ou le système européen
EMAS. On attend des entreprises de valorisation résiduelle des évidences de gestion environnementale
dans l’utilisation et la transformation des sous-produits dans les procédés. Ce qui permettrait de
justifier, sur les plans théorique et opérationnel, la valorisation résiduelle comme étant une pratique
d’écologie industrielle. Le présent chapitre ne cherche pas à évaluer de façon systématique et statistique
les performances environnementales des activités de valorisation résiduelle mises en marche dans les
cas étudiés. Il tente plutôt de montrer, au regard des entretiens réalisés, la complexité de la gestion
environnementale de la valorisation résiduelle ou la relation « environnement-productivité » dans le
phénomène de valorisation résiduelle. Selon les créneaux, les modes, les types ou encore les situations
spécifiques d’utilisation des matières résiduelles dans les cas étudiés, cette relation prend des formes de
rapprochement, d’éloignement, de négation et d’acceptation mutuelle.
Dans un premier temps, le chapitre présentera les considérations portant sur les pratiques de la
gestion environnementale de la valorisation résiduelle. Un accent particulier sera mis sur la définition
d’une politique environnementale et sur le développement des indicateurs de mesure des performances
environnementales. À partir des considérations portant sur la gestion environnementale de la
valorisation résiduelle dans les cas étudiés, le paradoxe de la relation « environnement-productivité »
dans la valorisation résiduelle sera montré. La valorisation résiduelle ne se traduit pas toujours par des
pratiques d’écologie industrielle. Dans un deuxième temps, le chapitre proposera un modèle
d’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise.
218
9.1. Les pratiques de gestion environnementale de la valorisation résiduelle
Les informations recueillies sur la gestion environnementale de chaque cas analysé permet non
seulement de l’approfondir, mais aussi de l’examiner à la lumière des pratiques de gestion
environnementale (Smart, 1992; Schmidheiny, 1992; Shrivastava, 1996). Ces informations portent en
particulier sur : les politiques environnementales et ses objectifs ; le département de l’environnement et
le nombre de personnes qui s’y rattachent ; les certifications internationales de type ISO ou d’autres ;
les indicateurs de performance environnementale (indicateurs d’intensité énergétique, d’intensité des
déchets et d’intensité de l’eau, en particulier) ; le laboratoire de simulation selon les cas ; l’analyse des
impacts des activités sur l’environnement ; et la rencontre des normes environnementales. Ces
différentes données, en majorité qualitatives, constituent en elles-mêmes des indicateurs de la gestion
environnementale de la valorisation des sous-produits industriels dans les cas étudiés.
Le tableau 14 à la page suivante résume l’essentiel de l’information sur la gestion
environnementale des pratiques de valorisation dans les cas étudiés. Dans le but de classer les cas
étudiés selon l’efficacité de leur gestion environnementale, chaque type d’information recueillie
(politique environnementale, indicateurs et certificats internationaux) est représenté par une valeur
numérique sur une échelle de –1 à 1.
9.1.1. La politique environnementale
Le premier type d’information sur les pratiques de gestion environnementale porte sur la
politique environnementale. Bon nombre des cas analysés ne possède pas de politique
environnementale qui définit les grandes orientations de l’entreprise quant à sa gestion de
l’environnement. Les réponses des dirigeants sur l’existence de cette politique et le nombre de
personnes qui travaillent à la fonction environnementale varient selon les secteurs industriels et les
types de valorisation résiduelle. Trois tendances peuvent être observées.
La première tendance montre l’absence totale de politique environnementale clairement définie.
Les cas 1, 2, 3 et 4 illustrent cette tendance.
Nous n’avons pas de politique environnementale comme telle. L’entreprise n’a pas une personne spécifique, mais nous avons un ingénieur qui s’occupe, entre autres, du
219
dossier « environnement ». Il fait le travail d’environnement à temps partiel (un vice-président à la recherche et au développement, cas 3).
Pas vraiment. On se doit d’obtenir un certificat d’opération parce qu’on opère dans un milieu industriel qui le requiert bien, pour la protection de l’environnement (un directeur général, cas 2).
Tableau 14. Gestion environnementale de la valorisation résiduelle
Secteur industriel
Cas analysés
Nombre
d’employésDébut VSPI
Politique environnementale
Certificats internationaux
Indicateurs de
performance
Total des points
1 40 1983 Non=0 Non=0 Non=0 0
2 117 1983 Non=0 Non=0 Non=0 0
3 115 1991 Non=0 Non=0 Non=0 0
Pneus hors d’usage
4 25 1996 Non=0 Non=0 Non=0 0
5 30 1985 Protocole avec le Ministère=1 Non=0 Oui,
interne=1
2 Scories des
aciéries et résidus miniers
6 360 2000 Oui=1 ISO 9001=1 Oui, interne*=0
2
7 380 1998 Oui=1 ISO 9001 ISO 14001=1
Oui, interne=1
3
Cimenteries
8 200
1991 Oui=1 ISO 9001=1 Oui, interne=1
3
Batteries au plomb-acide 9 140 1984 Oui=1 ISO 14001=1 Oui,
interne=1
3
Sous-produits animaliers 10 60 1966 Oui=1 Non=0 Oui,
interne=1
2
Pâtes et papiers 11 1000 1990 Oui=1
ISO 9001 SGE
Interne=1
Oui, interne=1
3
Produits chimiques 12 388 1994 Oui=1 ISO 9002=1 Oui,
interne=1
3
(*) Le cas 6 est confronté aux problèmes de la génération des produits organiques persistants (POP).
220
La deuxième tendance montre l’existence des règles opératoires de déroulement des activités de
valorisation résiduelle. Ces règles font partie des ententes avec les instances gouvernementales. Le cas
5 de la valorisation des scories d’acier inoxydable illustre bien cette tendance.
Non, nous n’avons pas de politique environnementale comme telle, mais nous avons signé avec le ministère de l’Environnement un protocole innovateur à l’égard de la valorisation des scories et des stériles miniers. Aujourd’hui, ce protocole sert de base aux ententes de valorisation qui sont négociées dans ce milieu (un directeur général, cas 5).
La troisième tendance, enfin, montre l’existence d’une politique environnementale qui oriente
les actions productives en ce qui touche la gestion environnementale de ces dernières. Les cas 6, 7, 8,
9, 10, 11, et 12 illustrent cette tendance.
Oui, nous en avons une. Nous sommes membre de l’Association des fabricants des produits chimiques du Canada (AFPCC) qui se définit par un mode de gestion responsable. Il existe toute une gamme de politiques et d’exigences à respecter pour être accrédité comme membre. Oui. Il y a quelqu’un qui s’occupe de l’environnement à temps plein. Il peut se servir de deux personnes du département technique quand il se sent un peu débordé. C’est dans ce sens-là que je travaille à 3 % à l’environnement. Mais j’appartiens au département technique (un ingénieur de procédé, cas 12).
Nous avons plusieurs politiques, dépendamment des catégories. La première politique environnementale que l’on a, c’est une politique ISO qualité, définie dans le cadre de notre certification ISO 9000 version 2000. La politique qualité a été établie à l’usine depuis sept ans environ. On a ajouté à cela une politique environnementale qui découlait d’une charte qui porte le nom de notre entreprise parce qu’elle a établi une charte environnementale il y a environ sept ou huit ans. On a puisé de cette charte pour adapter notre politique environnementale au niveau de l’usine en 1999. On a aussi une politique santé et sécurité corporative qui est appliquée à l’ensemble de toutes les usines du groupe. Ce sont là les trois politiques que nous avons. Je dois dire qu’elles sont très enracinées au niveau de notre usine, très bien suivies, etc. Quant aux personnes qui travaillent à la fonction « environnement », oui, il y a, à part moi, une personne supplémentaire qui travaille comme coordinatrice en environnement. Elle s’occupe de l’intégration de ISO 14001 dans l’usine : la formation, les procédures, la documentation, etc. Elle s’occupe aussi de gérer le système complet ISO dans l’usine (un directeur de l’environnement, cas 8).
Ces propos montrent que la politique environnementale est comprise et appliquée de façon
variée, selon les cas. Le cas 8 (cimenterie), par exemple, affiche une bonne intégration des politiques
221
environnementale et de qualité. Ce qui découle d’une définition claire de sa politique
environnementale. Le cas 12 (production chimique), membre d’une association industrielle de
fabricants de produits chimiques, oriente également sa politique en tirant profit des discussions et des
échanges au sein de cette même association. Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces
observations concernant les propos des dirigeants sur le développement de la politique
environnementale dans le cadre de la valorisation résiduelle. D’abord, les entreprises à valorisation
résiduelle secondaire (VRS) tendent à développer une politique environnementale qui définit les
grandes orientations de l’entreprise quant à sa gestion de l’environnement. Ensuite, ces mêmes
entreprises sont des filiales de grandes multinationales. Enfin, les motivations de la valorisation de ces
entreprises se traduisent par la recherche des solutions à un problème précis ou encore la substitution
des matières conventionnelles par des résidus industriels.
9.1.2. Les indicateurs de performance environnementale
À l’instar de la politique environnementale, les différents propos des dirigeants rencontrés
indiquent trois grandes tendances quant à la mise en application des indicateurs de performance
environnementale.
La première tendance indique la non-existence des indicateurs ou carrément l’ignorance de ce
concept par les dirigeants rencontrés. Dans certains cas étudiés (les cas 1, 2, 3 et 4 du recyclage des
pneus hors d’usage), la non-existence d’indicateurs de performance environnementale pourrait se
justifier, en ce sens que leurs activités ne polluent pas l’environnement. Ce constat « simpliste » montre
que pour ces dirigeants, l’efficience de la gestion environnementale renvoie en premier lieu à la
question de la pollution. Or, cette efficience est d’abord et avant tout une question d’optimisation de
l’usage des ressources qui se trouve au cœur de l’approche de l’écologie industrielle.
Je ne sais pas ce que ça veut dire, les indicateurs de performance environnementale. Nous sommes obligés de mesurer certaines choses pour obtenir des certifications. On ne le fait pas sur une base régulière, mais on le fait quand même. Ce n’est pas une industrie polluante du tout (un directeur général, cas 2).
Avec ce procédé, il n’y a pas de déchets solides. Il y a un déchet gazeux dont le pourcentage par rapport aux déchets solides est faible. J’ai parlé du soufre tout à l’heure. On cherche à se défaire de ce soufre, on l’amène à de hautes températures. Le soufre a des composés de H2S, HSO3. Ce sont des acides qui s’en vont vers l’atmosphère. C’est le seul inconvénient que l’on a dans le procédé, mais comme je
222
vous le répète, le pourcentage est très faible. On était dans les limites permises par la réglementation (un vice-président à la recherche et au développement, cas 3).
La deuxième tendance indique l’existence d’un minimum d’indicateurs de performance
environnementale. Dans les cas où les indicateurs sont utilisés, ceux-ci servent principalement à
montrer que l’entreprise fournit des efforts pour respecter et même dépasser les normes (les cas 5, 6,
10 et 12).
Le pH de l’eau qui sort de l’usine est mesuré. On a construit un bassin d’égalisation de pH pour éviter de petits problèmes de variation de pH. Pour ce qui est de la quantité de boues qu’on rejette, tout cela est comptabilisé. Il y a des composés mensuels et annuels qui sont prélevés et envoyés à un laboratoire indépendant pour les analyser. Et ils nous font le rapport des substances contenues dans ces rejets afin que nous puissions faire le rapport à l’Inventaire national d’analyse de polluants. On peut alors dire qu’on a rejeté tant de tonnes de manganèse, de nickel ou d’autres choses. Pour ce qui est des cheminées, de temps à autre, on fait des échantillonnages de cheminées avec une firme indépendante. Ils nous donnent un rapport et nous avons une idée de ce qu’on rejette dans nos cheminées, en particulier le CO2 (un ingénieur de procédé, cas 12).
La troisième tendance indique l’existence et l’utilisation systématique des indicateurs de
performance environnementale. Ces indicateurs sont le reflet d’une gestion environnementale
considérée « responsable » des pratiques de valorisation mises en place dans l’entreprise (les cas 7, 8, 9
et 11). Il est intéressant de voir que dans le dernier cas, l’entreprise possède une politique
environnementale clairement définie et une certification internationale de type ISO 9001 ou ISO
14001. Les pratiques de valorisation résiduelle, dans ces cas, semblent être plus intégrées. Ce qui veut
dire que l’optimisation de l’usage des ressources qui prend la forme d’utilisation et de transformation
des sous-produits industriels dans les procédés à l’échelle de l’entreprise semble être sécuritaire et
responsable.
Nous utilisons des indicateurs de performance environnementale développés à l’interne. Ils sont les mêmes dans toutes les usines de la compagnie à travers le monde. Ce sont principalement les indicateurs de consommation thermique (en termes de mégajoules par tonne de production de ciment), de consommation d’électricité, d’émissions de CO2, d’émissions de NOx, d’émissions de SO2 (un directeur de l’environnement et de l’énergie, cas 7).
223
Ça dépend de quel côté on le regarde. C’est sûr que le fait de brûler les déchets, il y a des conséquences sur l’environnement. Cela augmente le risque d’avoir des émissions plus que prévues ou de voir la création des particules non voulues dans les émissions, etc. Il y a donc un risque imminent qui est très présent. C’est un défi. Il faut faire attention et c’est là qu’on voit l’importance d’un système de gestion pour contrôler les activités qui se font dans ce sens et être sûr que chaque utilisation sera faite dans le respect de la qualité de l’environnement (un coordinateur à l’environnement, cas 8).
Nous utilisons plusieurs indicateurs et le plus important, c’est le test que nous avons fait pour calculer le taux de destruction tel que l’utilisent les incinérateurs. Nos équipes ont une capacité de destruction de 99,9999 % (bichlorobenzène). Nous faisons des tests réguliers pour calculer l’intensité des substances que nous rejetons et toute l’eau est traitée ici, sur place. Nous essayons d’avoir une boucle fermée, ce que nous appelons zero discharge (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Ces efforts sont fournis pour réaliser progressivement le « bouclage de la boucle » à travers de
multiples actions. Dans les cas 7 et 8 (cimenteries) par exemple, toutes les poussières sont ramassées et
ré-introduites dans le système productif. Dans le cas 9 du recyclage des batteries au plomb-acide, des
installations ont été aménagées pour recycler et ré-utiliser l’eau dans l’usine. Toutes ces actions
s’inscrivent dans le cadre des initiatives proactives que les dirigeants mettent en place pour assurer la
sécurité des opérations dans l’usine.
Nous réduisons aussi le rejet du soufre dans l’eau parce qu’avant, on faisait la localisation des acides des batteries avec du carbonate de sodium, qui laisse un sulfate de sodium soluble qui, à son tour, va dans l’eau. On a ajouté un procédé qui transforme ça en gypse, qui est insoluble et donc, on peut éviter qu’il s’en aille dans l’eau. Tout cela dans le but de garder notre image sur le plan environnemental, ce qui nous permet d’avoir un bon consensus avec les autorités et avec les voisins. Ce qui nous permet également d’opérer sans problèmes. On pourrait choisir de dire : « Les normes ne m’obligent pas à le faire et c’est tout. » On préfère mettre cet argent-là dans l’amélioration des équipements pour améliorer les conditions d’opération et de rejets d’émissions et d’effluents liquides (un directeur de l’exploitation, cas 9).
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces observations concernant les propos des
dirigeants sur l’utilisation des indicateurs de mesure des performances environnementales dans le cadre
de la valorisation résiduelle. D’abord, les indicateurs sont utilisés tant dans les entreprises à valorisation
résiduelle secondaire (VRS) que dans les entreprises à vocation résiduelle primaire (VRP). Ensuite, les
dirigeants des entreprises à valorisation résiduelle primaire qui utilisent les indicateurs de mesure des
224
performances environnementales ont la perception que les matières résiduelles introduites dans leurs
procédés sont toxiques ou encore dangereuses. Ces considérations conduisent à soutenir que les
indicateurs des performances environnementales tendent à être utilisés dans les entreprises à vocation
résiduelle primaire ou secondaire dont les matières résiduelles introduites dans les procédés de
fabrication industrielle sont perçues comme étant toxiques, dangereuses ou susceptibles de produire
des émissions toxiques. La Loi sur la qualité de l’environnement du Québec considère comme dangereuses
les matières corrosives, explosives, gazeuses, inflammables, comburantes, lixiviables, radioactives et
toxiques. C’est les cas de la récupération du magnésium par le procédés de l’électrolyse, l’utilisation des
résidus combustibes pour brûler le clinker, le recyclage des matières plombifères et des filtres à huiles
usagés ou encore la récupération de l’acide sulfurique et du CO2 liquide.
Le bilan de la gestion environnementale des pratiques de valorisation résiduelle dans les cas
analysés montre des résultats mitigés quant aux attentes de l’application du fonctionnement des
écosystèmes naturels aux systèmes industriels telle qu’évoquée par Frosch et Gallopoulos (1989). D’où
le paradoxe de la valorisation résiduelle.
9.1.3. Le paradoxe de la valorisation résiduelle
Les considérations portant sur le développement de la politique environnementale et sur
l’utilisation des indicateurs de performances environnementales montrent que la valorisation résiduelle
s’inscrit peu dans une démarche qui privilégie l’optimisation de l’usage des ressources (Frosch et
Gallopoulos, 1989; Allenby et Cooper, 1994; Wernick et Ausubel, 1997) ou la gestion
environnementale rigoureuse (Jackon, 2002). La valorisation résiduelle ne se traduit pas toujours par
l’optimisation de l’usage des matières premières ou la réduction de la pollution. C’est bien là le
paradoxe de la valorisation résiduelle. Ce qui permet d’apporter une réponse à la question soulevée un
peu plus haut portant sur l’écart entre la conception pragmatique et la conception écologique des
pratiques de valorisation résiduelle. La situation paradoxale s’explique par trois approches de gestion
environnementale de la valorisation résiduelle. La somme totale des points obtenus du tableau 14
permet d’illustrer ces trois approches et de les qualifier de « conformité simple », préventive ou éco-
efficiente.
La première approche est celle de la valorisation résiduelle dans l’absence d’indicateurs de
performance environnementale, de certifications internationales et de politique définie en matière de
225
gestion environnementale. Les cas 1, 2, 3 et 4 étudiés illustrent cette approche de valorisation
résiduelle. Le tableau 14 indique que la somme totale des points obtenus dans chaque cas est de 0. Les
gestionnaires de ces entreprises semblent répondre aux exigences environnementales de façon statique.
Peu d’efforts semblent être fournis pour développer, au-delà du minimum requis, des pratiques de
gestion environnementale telles qu’exigent les pratiques d’écologie industrielle (Wernick et Ausubel,
1997). En plus, pour la majorité des dirigeants rencontrés, leurs activités ne représentent pas de danger
et ne polluent pas l’environnement. Comme conséquence, les entreprises n'investissent pas
suffisamment dans l'amélioration des performances environnementales de leurs pratiques de
valorisation. Ce qui montre que la valorisation résiduelle telle que pratiquée dans les cas 1, 2, 3 et 4 ne
semble pas s’aligner sur les principes d’écologie industrielle comme une nouvelle approche intégrante
et intégrée du management environnemental (Erkman, 1998; Boiral et Croteau, 2001b).
Cette approche qui se traduit par une logique de « conformité simple » de la valorisation
résiduelle, en s’inspirant des travaux portant sur l’incorporation des considérations environnementales
dans les stratégies d’entreprises (Gottieb, 1995; Porter et Van der Linde, 1995; Robbins, 2001), illustre
donc l’attitude du tiers des cas étudiés face aux questions environnementales. La valorisation résiduelle
est de type « conformité simple » parce que les cas étudiés 1, 2, 3, et 4 tentent de respecter les normes,
mais les responsables ne trouvent pas de lien avec l’amélioration des performances industrielles sur le
plan environnemental comme le semble soutenir ce dirigeant rencontré :
Nous rencontrons les normes et cela nous permet de travailler comme nous le faisons (Un directeur de la production, cas 2).
La deuxième approche de la gestion environnementale de la valorisation est celle du
développement des politiques environnementales et des indicateurs internes de mesure de
performance environnementale des activités de valorisation résiduelle, ainsi que la mise en application
de ces mêmes indicateurs de performance. Ce qui s’apparente à l’approche préventive de la gestion
environnementale des activités industrielles. Les cas 5, 6 et 10 étudiés illustrent ce type de gestion
environnementale de la valorisation. Le tableau 14 indique que la somme totale des points obtenus
dans chaque cas est de 2. L’approche préventive est centrée sur les changements dans les méthodes de
gestion et dans les procédés, sur la réduction des polluants à la source et sur la réduction des déchets
(Boiral, 1998, p. 29). Les efforts des dirigeants dans les cas 5, 6 et 10 semblent être centrés sur ces
actions. Pour ces entreprises, la prévention de la pollution et des risques écologiques représente
226
l’essentiel de leur gestion environnementale. Des effluents jetés dans les cours d’eau avoisinants
semblent être bien maîtrisés dans le cas 11 ; l’air utilisé après divers traitements est bien traité et
contrôlé dans le cas 10 ; les déchets générés après le processus de valorisation sont traités dans le cas 5.
Le cas 6 a mobilisé toutes ses forces pour trouver des solutions et réduire de façon significative le
problème des produits organiques persistants (POPs), comme l’explique ce dirigeant :
Du côté environnemental, la mise en place du projet a amené son lot de gens qui étaient contre l’installation de l’usine ici. C’est associé à une problématique spécifique de la génération accidentelle des organochlorés par le processus d’électrolyse. Le fait qu’on génère du chlore gazeux dans la cellule d’électrolyse. C’est ce qu’on appelle les POPs (produits organiques persistants) dans lesquels on a le chlorobenzène (BPC). Il existe une entente internationale sur les POPs. On se retrouve avec ces trois composés dans l’usine qui ont été aussi identifiés lors des études d’impacts. Nous avons mis en place des processus pour les contrôler au niveau où l’on pensait les retrouver (un chef de l’environnement, cas 6).
Si les engagements pour prévenir et réduire les risques des activités de valorisation résiduelle
sont louables, ils présentent cependant une limite majeure. Celle-ci est d’ordre méthodologique. En
effet, la valorisation résiduelle comme forme de l’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise semble
être partielle en ce sens que la gestion environnementale de ces mêmes activités repose essentiellement
sur la réduction des risques et non davantage sur la réalisation d’économies de matière et d’énergie. Ce
qui différencie cette approche dite « préventive » de la troisième approche de gestion
environnementale de la valorisation résiduelle.
La troisième approche de gestion environnementale de la valorisation est celle des activités de
récupération et de transformation des sous-produits industriels qui présentent des caractéristiques de la
gestion éco-efficiente telle que déjà définie. L’analyse des activités des cas 7, 8, 9, 11 et 12 montre que
la relation « environnement-productivité » semble trouver ou retrouver un certain point d’équilibre
dans ces cas. La somme totale des points obtenus selon le tableau 14 est de 3. Ces entreprises
semblent, dans l’ensemble, très en avance sur le plan du contrôle des émissions, indépendamment de
leurs activités relatives à la valorisation résiduelle. Elles respectent la réglementation et sont fières de
leurs performances à ce niveau. Des investissements assez importants ont été nécessaires pour arriver
à une certaine maîtrise des problèmes liés à l’environnement : se munir d’installations permettant de
récupérer et de transformer de façon propre et sécuritaire les sous-produits industriels; optimiser
227
l’usage des ressources en initiant des actions proactives de traitement secondaire des résidus; et la
mutation vers la valorisation d’autres matières résiduelles.
En plus, cette gestion environnementale des activités de valorisation résiduelle repose sur des
outils de management environnemental tels que les certifications internationales de type ISO 9000 et
ISO 14000, ou encore sur des indicateurs de performance environnementale clairement développés et
utilisés (Smart, 1992; Shrivastava, 1996) comme le montrent les propos de ces dirigeants rencontrés :
Oui, effectivement, nous avons développé des indicateurs de performance environnementale. Dans nos rapports annuels, vous pouvez voir que nous tenons à cœur la question de performance environnementale et surtout celle de l’utilisation de l’énergie, de l’eau et des déchets générés par le procédé. Le bilan environnemental fait état de la quantité de matières produites par année, la consommation calorifique totale, la consommation électrique, la quantité d’émissions de CO2, de NOx, de SOx, etc. Et nous pouvons voir que d’année en année, notre performance s’améliore. Par exemple, à l’usine de Joliette, en 2002, on a remplacé de 38 % le taux de combustibles alternatifs : les pneus, le bois, etc. Avant d’utiliser un résidu, on en fait faire systématiquement des analyses dans un laboratoire pour connaître la teneur des métaux contenus dans ce résidu. Et à partir de ces valeurs, on a développé à Joliette un logiciel dans lequel, à partir de bilan de masse qu’on a fait dans notre procédé, on établit quels étaient les facteurs de séquestration des différents métaux dans le clinker. Et dans ce logiciel-là, on introduit ces différents facteurs de séquestration et à partir de ça, le logiciel nous dit quelle quantité de matières résiduelles doivent rentrer dans la composition des différents composants, en tenant compte de leur teneur en métaux et dans la combinaison avec les matières premières traditionnelles (un directeur du recyclage énergétique, cas 7).
Nous préférons être pro-actif et il y a une plus-value en étant pro-actif. Cela nous permet d’être plus à l’aise pour travailler et quand on rencontre les gens du ministère de l’Environnement, on n’est pas gêné de leur dire ce qu’on fait, pourquoi on le fait et comment on le fait (un directeur de l’exploitation, cas 9).
Les différences approches ci-dessus présentées de la gestion environnementale des pratiques de
récupération et de transformation des sous-produits industriels soulèvent des questions pertinentes sur
l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise. Comme forme d’écologie industrielle à
l’échelle de l’entreprise, la valorisation résiduelle devrait être à la fois « écologique » et « industrielle »
dans le sens premier de ces concepts tels que présentés et discutés plus haut (Lifset et Graedel, 2002).
En plus, elle devrait déboucher sur une approche intégrante et intégrée de la gestion environnementale
de la récupération et la transformation des sous-produits industriels (Boiral et Croteau, 2001b). En
228
tenant compte de ces considérations, il n’est pas exagéré de dire que l’approche de la valorisation
résiduelle adoptée par les cas 7, 8, 9, 11 et 12, appellée ici « éco-efficiente », tente d’intégrer les outils de
gestion environnementale c’est-à-dire, la politique environnementale, les indicateurs de performance et
la certification ISO 14001. Cette forme de valorisation s’apparente au niveau proactif tel qu’identifié
par Hunter et Auster (1990) dans leur enquête portant sur les programmes d’actions
environnementales adoptées par les entreprises de façon large. En d’autres termes, les entretiens
réalisés montrent que les pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels
ne peuvent être écologiques sans l’intégration d’une saine gestion de l’environnement dans les activités
résiduelles. Ce qui montre que la valorisation résiduelle peut ou ne pas représenter une pratique
d’écologie industrielle.
Si les pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels mises en
œuvre par les cas 7, 8, 9, 11 et 12 représentent la valorisation résiduelle identifiée comme éco-
efficiente, cela suppose qu’atteindre ce niveau est l’aboutissement d’un processus d’intégration de
l’écologie et de l’économie de l’entreprise. Il convient alors de s’interroger sur la nature de ce processus
et d’en identifier les étapes.
9.2. Le processus d’intégration de l’écologie et de l’économie de
l’entreprise
Le processus d’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise proposé dans la
présente thèse tente de décrire, à partir de données empiriques, le cheminement parcouru par les
entreprises industrielles de valorisation résiduelle dans ce processus d’intégration. Les exemples
observés montrent que deux facteurs jouent un rôle déterminant dans l’intégration de l’écologie et de
l’économie dans l’entreprise.
D’une part, il y a la recherche de la rentabilité économique. En effet, pour les gestionnaires
rencontrés, les différentes mesures prises par les entreprises, en particulier la nouvelle conception de la
philosophie de gestion, les investissements continuels, l’achat et l’amélioration des équipements,
l’introduction de nouvelles technologies, la rencontre des normes environnementales, la recherche des
matières résiduelles à revaloriser, la formation du personnel, l’élaboration des produits à partir des
déchets, ou encore la bonne lecture des marchés, sont toutes des mesures qui sont motivées par la
rentabilité économique, indépendamment de la teneur écologique de ces actions.
229
D’autre part, il y a le temps nécessaire pour introduire les pratiques écologiques, lequel repose
essentiellement sur le développement des compétences en matière de procédés et d’innovations
technologiques, de contrôle des flux de matière, de formation du personnel, d’enjeux
environnementaux ou encore d’aspects stratégiques et commerciaux.
Les efforts des entreprises pour intégrer l’écologie et l’économie évoluent dans le temps et
peuvent être représentés par un modèle qui comprend quatre phases principales36 (voir figure 11) : la
conscientisation, la structuration, l’affirmation et la consolidation de l’intégration. Deux axes
principaux déterminent cette intégration : la rentabilité de l’entreprise et l’introduction des initiatives
écologiques dans le temps. Comme les résultats de l’étude le montrent, le modèle proposé pourrait être
appliqué à plusieurs secteurs industriels.
Figure 11 : Modèle intégrateur de l’écologie et de l’économie de l’entreprise
36 Le modèle intégrateur de l’écologie et de l’économie de l’entreprise a fait l’objet d’un article publié dans les
actes de la Conférence internationale de l’Association internationale du management stratégique (AIMS), édition 2005.
Init
iati
ves
écol
ogiq
ues
dans
le te
mps
Rentabilité économique
Conscientisation
Structuration
Affirmation
Consolidation
230
9.2.1. La conscientisation ou la connaissance du métier
La conscientisation constitue la première phase de l’intégration de l’écologie et de l’économie de
l’entreprise. Tant dans les entreprises dont la valorisation constitue le métier principal que dans celles
dont les pratiques écologiques sont des opérations en marge des activités de base, les dirigeants
prennent conscience de la réalité entourant l’intégration de l’écologie dans l’économie et des
principaux enjeux de cette intégration. L’assurance de la rentabilité économique constitue la base sur
laquelle reposent les initiatives écologiques. Pour assurer cette rentabilité, les entreprises doivent
relever des défis qui touchent tous les domaines des activités opérationnelles.
Sur le plan technologique, cette étape correspond à celle de la connaissance du métier de la
valorisation résiduelle. Les dirigeants prennent conscience de la nécessité d’incorporer les
considérations environnementales dans leurs stratégies de gestion. Les entretiens réalisés montrent que
dans la majorité des cas, cette étape représente le début des pratiques de valorisation résiduelle et que
les entreprises ont déjà franchi cette étape caractérisée par le tâtonnement et la recherche d’identité
résiduelle. Les propos de ce dirigeant illustrent bien les caractéristiques de l’étape de la
conscientisation que l’entreprise a déjà franchie:
Nous avons procédé par de l’entrepreneuriat à sa plus belle expression, par essai-erreurs, comme les « patenteux » de la Beauce. Ce sont des gens qui prennent les équipements et qui les mettent ensemble. Ils n’ont aucune idée des réactions chimiques qui peuvent en résulter. Ce sont des gens qui essaient des choses, ce sont de véritables inventeurs. C’est comme ça que l’entreprise ici a commencé, en essayant des choses (un directeur des opérations, cas 2).
Les résultats de l’étude montrent que, dans les cas analysés, les dirigeants prennent conscience
de la réalité qui les entoure. D’abord, les dirigeants savent bien que les activités de leurs entreprises
respectives s’inscrivent dans le cadre opérationnel qui exige la prise en compte des enjeux
environnementaux. Dans la conception de leurs activités, les dirigeants n’ont cessé d’insister sur le fait
qu’ils récupèrent et transforment les matières résiduelles et que travailler avec les rebuts faisait partie de
leur labeur quotidien. La connaissance du métier de « valorisateur » est déjà une prise de conscience de
sa réalité.
231
9.2.2. La structuration des activités de valorisation
La seconde phase de l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise est la
structuration. En effet, une fois que les dirigeants sont plus au moins assurés de la rentabilité des
activités de l’entreprise, ils visent le respect de l’environnement. Ce respect est susceptible d’apporter
des avantages économiques supplémentaires. La structuration de tous les processus d’affaires porte
également sur les technologies, les opérations, les ressources humaines, les enjeux environnementaux
et la lecture stratégique des marchés. Cette organisation de l’entreprise vise à lui donner une cohérence.
Les entretiens réalisés montrent que les entreprises développent non pas des savoirs liés à l’expertise
d’une fonction spécialisée, mais plutôt des compétences liées à plusieurs fonctions ou activités. Dans le
cas d’une des entreprises visitées, par exemple, la structuration a conduit au passage d’équipements de
type artisanal à d’autres beaucoup plus professionnels :
Quand nous avons commencé, notre équipement était fait de machines que nous avions achetées des autres industries, en particulier minières, forestières et de recyclage. Donc, nous n’avions pas de référence. Après ça, nous avons dû réorganiser toutes nos opérations en faisant la commande des équipements mieux adaptés à nos procédés. Ce fut une époque de réinvention totale de nos façons de faire (un directeur administratif, cas 2).
L’organisation des processus d’affaires entourant les pratiques de récupération et de
transformation des matières résiduelles des cas analysés montre des différences quant à la structuration
écologique de ces mêmes activités. D’une part, le respect de l’environnement débouche sur la simple
observance des normes (les cas 1, 2, 3, et 4), ce qui s’apparente à l’approche conformiste. D’autre part,
ce même respect est perçu comme une opportunité de faire plus sur le plan environnemental que la
simple observance des normes (les cas 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12). Faisant un parallélisme avec la gestion
environnementale des pratiques de valorisation résiduelle, il appert que l’étape de la structuration
correspond à l’approche conformiste, comme il a déjà été évoqué.
9.2.3. L’affirmation de la fonctionnalité des procédés
L’affirmation de la fonctionnalité des procédés, tant sur le plan du contrôle des émissions que
sur celui des performances commerciales, constitue la troisième phase de l’intégration de l’écologie et
de l’économie de l’entreprise. D’une part, les progrès réalisés quant à l’utilisation des matériaux divers
232
entrant dans les procédés ainsi que l’obtention de bons résultats sur le plan environnemental
renforcent la recherche des opportunités d’affaires avec l’utilisation des matières résiduelles. Cette
« réussite » sur le plan environnemental et économique est présentée par la plupart des répondants
comme une motivation importante pour poursuivre l’intégration de l’écologie et de l’économie.
D’autre part, la spécificité des procédés et des pratiques mises en œuvre permet aux entreprises de
dépasser et de devancer les normes environnementales en vigueur. Ces résultats relèvent d’un long
processus d’expérimentation dont plusieurs répondants ont souligné l’enjeu :
Ce sont les années d’expérience qui ont fait qu’on a déterminé et trouvé le type d’équipement que l’on utilise pour le moment. Il faut être conscient que la façon dont les granules de caoutchouc sont obtenues implique qu’il y ait une certaine forme géométrique. Si on n’a pas la géométrie nécessaire, on n’aura pas le produit tel qu’on l’espère. Il y a bien sûr beaucoup de choses qui sont faites en même temps : des essais, des adaptations multiples d’équipements, des abandons, des reprises, des remplacements de pièces et de machines, etc. (un directeur général, cas 4).
L’affirmation de la fonctionnalité des procédés sur le plan du contrôle des émissions prend la
forme de réduction du risque associée aux activités de récupération et de transformation des matières
résiduelles dans les cas 5, 6, 10 et 12. Ce qui correspond à l’approche de la gestion environnementale
préventive.
9.2.4. La consolidation vers l’éco-efficience
La consolidation des activités clairement engagées de revalorisation constitue la quatrième phase
de l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise. Cette étape se caractérise par le
renforcement de l’engagement environnemental de l’entreprise, de ses performances dans ce domaine
et de son caractère avant-gardiste. Les performances financières et commerciales accumulées dans le
temps permettent aux dirigeants non seulement de continuer à investir pour l’environnement, ce qui
s’est avéré bénéfique pour la pérennité de l’entreprise, mais également à investir dans des projets de
recherche et de développement qui visent à revaloriser plus de matières résiduelles, à renforcer les
filières de récupération, de valorisation et de commercialisation des nouveaux produits « écologiques ».
Pour la plupart des dirigeants rencontrés, les lourds investissements qu’impliquent ces différentes
initiatives à cette étape témoignent de la réussite de l’intégration de l’écologie dans l’économie de
l’entreprise. Ces mêmes initiatives illustrent, selon leur perception, les concepts comme le
233
développement durable, l’éco-efficience ou encore l’entreprise citoyenne, et donc une consistance
opérationnelle de l’intégration de l’écologie et de l’économie :
Nous sommes en train de développer un nouveau produit de recyclage élaboré à partir des brasques d’alumineries. Nous venons de créer une nouvelle filiale spécialisée dans la commercialisation de ce produit. L’entreprise a toujours été rentable avec le recyclage des matières plombifères depuis près de 20 ans que nous existons. Il faut dire qu’il y a des sous à faire avec le recyclage. C’est ce qui nous a permis d’investir plus de 12 millions de dollars dans la recherche et le développement, en collaboration avec l’université de la région. Nous payons deux essais de maîtrise et une recherche doctorale pour la mise au point du nouveau produit de valorisation, unique jusque là au monde. Cela prouve que nous avons à cœur le développement durable (un directeur de l’exploitation, cas 9).
Au cours des années, l’entreprise a démontré qu’elle était capable de performer sur le plan environnemental. Depuis septembre 2000, elle est certifiée ISO 14001 et nous avons développé un programme d’amélioration systématique à l’intérieur. L’année passée, nous avons investi près de quatre millions de dollars uniquement pour améliorer notre performance environnementale, avec peu de retombées économiques comme telles (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Pour réduire nos émissions en sulfate aqueux, nous avons installé un système, ici, de fabrication du gypse artificiel. Avec ce système, les sulfates sont captés par du calcium sous forme de sulfate de calcium, mais soluble. On est donc capable de le filtrer pour récupérer le sulfate de calcium qu’on peut revendre sur le marché extérieur. Alors, on économise sur le carbonate de sodium utilisé pour capter le soufre dans le traitement de la calcite et on fait un produit qui va avoir une certaine valeur commerciale. Ça, c’est de la récupération et tout le système ici a été fait en fonction de cela (un directeur de l’exploitation, cas 9).
Le rapport annuel 2002 intitulé L’innovation mène loin, et publié par le cas 7, montre également,
chiffres à l’appui, le niveau de consolidation des pratiques de récupération et de transformation des
matières résiduelles.
Nous avons consacré beaucoup de ressources à la rationalisation de nos processus d’affaires. Grâce à cette initiative, nous diminuons nos frais d’exploitation et renforçons notre position concurrentielle.
Gains d’efficacité. En normalisant et en simplifiant nos processus au moyen d’un nouveau modèle SAP ainsi qu’en mettant en commun nos ressources en technologie de l’information avec celles de Holcim (US), nous fonctionnons avec une plus grande efficacité globale.
234
Augmentation des économies d’énergie. Notre cimenterie de A [le cas étudié] a mis en œuvre un système innovateur d’alimentation de combustibles alternatifs granulaires qui permettra d’économiser environ deux millions de dollars par année sur nos coûts d’énergie.
Réduction de la production de poussière de four. De nombreuses modifications apportées aux procédés nous ont permis de réduire encore davantage le volume de poussière de four généré, tout en augmentant la commercialisation de ce produit comme stabilisateur de sol. En 2002, le recyclage et la vente de poussières de four ont de nouveau dépassé le volume généré (Rapport annuel 2002, cas 7 de la fabrication de la poudre de ciment).
Ces propos montrent qu’effectivement, deux facteurs intrinsèquement liés semblent jouer un
rôle déterminant dans l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise. D’une part, la
rentabilité économique et financière de l’entreprise, et d’autre part, le développement, dans le temps,
des compétences dans les domaines des ressources humaines, de la gestion des opérations, du
partenariat commercial et de la maîtrise des questions environnementales. Ainsi, selon la perception
des dirigeants rencontrés, en particulier les cas 7, 8, 9 et 11, plus l’entreprise est rentable, plus elle est
disposée à investir dans les initiatives écologiques de valorisation résiduelle et d’amélioration des
performances environnementales. L’intégration de l’écologie et de l’économie se traduit par un
processus graduel, sous-jacent aux résultats économiques favorables de l’entreprise.
Si les exemples observés permettent d’illustrer assez aisément la capitalisation du contexte
environnemental dans la définition des stratégies d’affaires, et donc de donner une consistance
opérationnelle à la logique « gagnant-gagnant » (Porter et de van der Linde, 1995; Rugman et Verbeke,
1998), les entretiens réalisés montrent que l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise
relève d’une évolution diachronique. Cette évolution ne semble donc pas relever des simples réponses
des entreprises aux lois et règlements en vigueur, ou à des contraintes gouvernementales et sociétales :
elle évolue plutôt à partir des performances économiques qui constituent la base sur laquelle repose les
actions écologiques. Cette même évolution comprend les phases de conscientisation, de structuration,
d’affirmation et de consolidation. Comme l’ont souligné les dirigeants interrogés, et comme l’illustrent
les pratiques analysées, la fonction écologique est avant tout économique.
En raison du caractère imprévisible de la rentabilité de l’entreprise et des contextes dans lesquels
la valorisation résiduelle se réalise, ce modèle mérite d’être relativisé. Les différentes phases identifiées
235
peuvent ou ne pas se succéder dans l’ordre chronologique présenté. Selon les circonstances,
l’entreprise pourrait passer de la conscientisation à l’affirmation ou la consolidation. Toutefois,
l’intégration de l’écologie et de l’économie de l’entreprise à travers le processus de conscientisation, de
structuration, d’affirmation et de consolidation n’est possible que si les dirigeants d’entreprise
identifient des facteurs de réussite sur lesquels reposeront leurs actions futures de valorisation
résiduelle.
236
CHAPITRE 10
LES FACTEURS DE SUCCÈS DE LA VALORISATION RÉSIDUELLE
Le succès des pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels est
crucial pour la pérennité de l’entreprise, tant pour les entreprises à vocation résiduelle primaire que
pour les entreprises à vocation résiduelle secondaire. Dès lors, identifier les facteurs de succès des
pratiques de valorisation résiduelle devient un des points centraux du management des entreprises
engagées dans cette démarche. C’est ce que tente de faire le présent chapitre. Les résultats de l’étude
montrent que ces facteurs de succès s’ordonnent sur quatre axes majeurs : la mobilisation des
ressources, les structures de valorisation résiduelle mises en place, le développement et la gestion de
nouvelles compétences, et les méthodes d’analyse des contextes entourant ces mêmes pratiques.
10.1. Mobiliser les ressources
La mobilisation des ressources constitue le premier axe des facteurs de succès de la valorisation
résiduelle. Comme dans le cas de toute action stratégique, la récupération et la transformation des
sous-produits industriels exigent non seulement la mise en jeu de toutes les ressources dont dispose
l’entreprise, mais également la création d’autres ressources nécessaires à la bonne marche de ces
actions. Dans les cas étudiés, les matières résiduelles disponibles, les moyens financiers et économiques
suffisants, les technologies appropriées et un personnel motivé apparaissent comme des ressources
susceptibles de déboucher sur la réussite des initiatives résiduelles.
10.1.1. La disponibilité des matières résiduelles à valoriser
La disponibilité des matières résiduelles constitue un élément majeur qui oriente les actions et
les initiatives de valorisation. Cette disponibilité signifie non seulement que les matières sont générées,
mais également qu’elles peuvent être introduites dans les procédés compte tenu des lois en vigueur et
qu’elles représentent des opportunités pour les dirigeants des entreprises. En plus, l’abondance de ces
matières assure les dirigeants de la pérennité des activités de valorisation résiduelle, ce qui permet une
237
meilleure planification, structuration et conduite, ainsi qu’un meilleur développement des actions
entourant la valorisation résiduelle, tant pour les entreprises à vocation résiduelle primaire que pour les
entreprises à vocation résiduelle secondaire.
La section que nous avons achetée représente donc 200 à 300 ans de réserve. Et si cela fonctionnait bien, on prévoyait ouvrir une usine similaire dans le coin de Thetford Mines. Tant que la minière était en opération, elle produisait plus de résidus miniers que ce dont on avait besoin par année. Maintenant, la mine a cessé ses opérations (la mine Jeffrey, JM Asbestos). Tout ça pour dire que la matière première est en abondance ici (un coordinateur à l’environnement, cas 6).
Les batteries viennent sous deux formes. Il y a des batteries automobiles, environ une tonne sur chaque palette. Ensuite, les méga-batteries des gros camions ou encore des batteries des systèmes de communication. Nous faisons donc la récupération du plomb et du plastique contenu dans certaines boîtes de ces batteries. Tant que les batteries seront utilisées dans la vie quotidienne et ensuite mises au rebut, nous aurons du travail (un directeur d’usine, cas 9).
Si cette abondance de matières résiduelles à valoriser ne semble pas soulever d’inquiétudes de la
part des dirigeants à court terme, les prévisions montrent cependant que dans certains secteurs, en
particulier ceux des pneus hors d’usage et des batteries au plomb-acide, la situation pourrait changer
d’ici quelques années. En effet, selon les dirigeants rencontrés, la réserve des pneus hors d’usage au
Québec, par exemple, commence à s’épuiser. En plus, la disponibilité des batteries au plomb-acide
pour les recycleurs canadiens présente des signes précurseurs de récession.
Dans le domaine de l’approvisionnement en matières premières, nous aurons probablement des problèmes d’ici cinq ans quand les sites du Québec seront vidés. Il nous faudra trouver d’autres sources d’approvisionnement ailleurs. Le nombre et la quantité des pneus existent. Il s’agit de s’organiser autrement pour couvrir ce besoin important pour la pérennité de notre usine (un directeur général, cas 1)
Je pense qu’à partir du moment où il ne restera pas beaucoup de pneus dans les sites d’entreposage au Québec, nous serons dans l’obligation d’aller chercher de la matière première ailleurs, aux États Unis par exemple. Il y aura les pneus du flux courant, mais il faudra ajouter à cela d’autres sources. Évidemment, la compétition va devenir un peu plus serrée pour les pneus courants. Cela va exiger que l’on étende notre territoire de récupération au-delà des limites du Québec, de l’Ontario, de New York et du Vermont. Et je suis certain que le coût de la matière première devra augmenter dès que les sources des sites d’entreposage vont disparaître au Québec (un directeur général, cas 4).
238
10.1.2. Les moyens financiers et économiques
Les résultats de l’étude montrent que dans la majorité des cas, il existe une relation croissante
entre le niveau des investissements de l’entreprise et ses performances commerciales et financières
dans le temps. Le cas 9, par exemple, a investi un total de 40 millions dans les équipements et de 12
millions dans le développement et la création de nouvelles entreprises de valorisation résiduelle. Ces
investissements représentent donc des coûts pour l’entreprise. Dans le cas des entreprises visitées, des
investissements lourds se sont avérés nécessaires pour permettre, d’une part, une bonne récupération
et transformation des résidus industriels, en particulier pour l’achat d’équipements pour la pesée,
l’analyse, la caractérisation, le déchiquetage, la granulation, le concassage des matières introduites ou
encore pour l’automatisation des activités pour l’ensemble de l’usine et, d’autre part, pour permettre
d’améliorer les performances environnementales des activités de valorisation résiduelle.
Des ressources financières permettent également aux entreprises de construire de nouvelles
installations pour récupérer et transformer les résidus de façon sécuritaire; de créer des postes de
direction en recyclage énergétique, en environnement ou encore en entretien des équipements; et
d’engager du personnel selon les besoins pour stocker, trier ou encore analyser les matières résiduelles.
L’acquisition des technologies appropriées justifie en grande partie ces investissements.
Oui, les équipements sont coûteux. Chaque fois qu’il faut utiliser un nouveau produit comme matière résiduelle, il faut aménager les équipements afin qu’ils soient capables de le faire, et aussi, il faut que son utilisation (le nouveau produit) soit conforme à la réglementation environnementale (un directeur de l’environnement, cas 7).
La valorisation apporte des coûts supplémentaires. Dans le cas de notre usine, l’installation a coûté 6,5 millions de dollars. Cela nous permet de recevoir des matières déjà granulées et prêtes à être utilisées dans les fours. L’installation a une capacité de 45 000 tonnes pour alimenter deux des quatre fours. C’est un taux d’alimentation de trois tonnes à l’heure par four. Lorsqu’on rentre du matériel, tel que le bois à 18 GJ la tonne, cela représente 40 % de nos besoins d’énergie dans le four lorsqu’on alimente trois tonnes à l’heure (un directeur du recyclage énergétique, cas 7).
Les coûts des équipements pour la valorisation des déchets sont très élevés. Quand on s’engage dans cette voie, il faut s’attendre à injecter beaucoup d’argent dans les équipements. Il faut les adapter pour qu’ils soient capables de recevoir certaines matières, il faut faire des constructions supplémentaires, et parfois même prévoir le recrutement du personnel supplémentaire. Et donc, tout cela occasionne des coûts qui sont parfois très élevés (un directeur de l’environnement, cas 8).
239
Oui, les coûts sont élevés. Pour améliorer les performances en utilisant les nouvelles matières, il faut apporter des changements au niveau des cheminées, des équipements, faire des aménagements, des constructions supplémentaires, des endroits pour entreposage des matières, etc. Cela implique non seulement des investissements en équipements mais aussi en personnel. C’est le cas de la création de mon poste (un coordinateur à l’environnement, cas 8).
La valorisation résiduelle suppose des investissements importants et l’entreprise qui s’engage
dans cette démarche devrait être préparée pour le faire. Il est intéressant de voir que dans certains
secteurs, en particulier celui des batteries au plomb-acide (le cas 9), le fait de travailler avec des
matériaux dangereux apporte comme conséquence le remplacement et la réparation fréquente
d’équipements, plus souvent que dans les secteurs industriels conventionnels. Il en va de même pour le
secteur des pneus hors d’usage avec l’introduction des pièces de qualité différentes dans les procédés.
Cet aspect a été particulièrement souligné par les dirigeants concernés :
Quand on travaille avec les matériaux dangereux comme le cadmium, le plomb, etc., c’est évident que tous les équipements doivent être changés régulièrement ou encore réparés régulièrement parce qu’il y a beaucoup d’usure, la corrosion, etc. C’est important que les équipements soient très performants (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
C’est sûr que pour être capable d’atteindre nos objectifs, disons que si on veut s’en tenir aux problèmes d’odeur, de poussière et de bruit, il va y avoir une première phase d’investissements associés aux besoins externes, c’est-à-dire des besoins de pressions externes. Et par la suite, une deuxième phase d’investissements importants à faire pour satisfaire les besoins internes (un directeur général, cas 4).
Oui, c’est sûr que faire de la valorisation implique des coûts supplémentaires pour les équipements. C’est sûr. Les équipements doivent être modifiés, réadaptés, il faut parfois acheter de nouveaux équipements en tenant compte de nouveaux besoins, etc. Donc, oui, la valorisation implique des coûts et ça, l’entreprise en est bien consciente (un coordinateur à l’environnement, cas 11).
Au coût élevé de maintien des équipements s’ajoute la question de l’adaptation de ces mêmes
équipements aux exigences écologiques. L’utilisation ou l’introduction d’un nouveau type de matières
résiduelles suppose l’adaptation des équipements aux conditions physiques et chimiques de nouvelles
matières, des études d’impacts environnementaux exigées par les instances gouvernementales et donc
une augmentation des coûts. Le succès de la majorité des cas observés met en évidence l’importance
240
d’avoir des ressources financières suffisantes pour, d’une part, assurer la pérennité des pratiques et leur
amélioration et, d’autre part, intégrer progressivement l’écologie et l’économie de l’entreprise. Si avoir
des ressources économiques suffisantes semble indispensable pour toute entreprise de façon générale,
il apparaît cependant que le caractère spécifique et innovateur des activités de valorisation résiduelle
rend cette relation particulière. Cette particularité tient au caractère inédit et innovateur des projets
d’écologie industrielle.
Ce caractère inédit et innovateur traduit ce qui apparaît être la dualité des pratiques de
récupération et de transformation des sous-produits industriels. En effet, dans la plupart des cas, les
entreprises engagées dans la valorisation sont appelées à investir dans des projets inédits avec tous les
risques que cela apporte.
10.1.3. Le personnel motivé et engagé
La réussite des activités de valorisation résiduelle passe par le travail élaboré et exécuté par un
personnel motivé et conscientisé aux nouveaux enjeux stratégiques que représente la valorisation
résiduelle. Les dirigeants rencontrés responsables de la formulation des stratégies visant le
développement de ces pratiques ont ainsi souligné que la formation des nouvelles générations
d’employés et leur conscientisation aux réalités écologiques et économiques de l’entreprise constitue
une priorité pour le succès de la valorisation résiduelle. Les gestionnaires se doivent de faire preuve de
plus de flexibilité, d’adopter des politiques internes pour motiver le personnel en vue d’encourager les
changements d’habitude, de favoriser les changements organisationnels dans le temps et de les adapter
aux objectifs à long terme.
Et aussi le domaine de l’utilisation des ressources humaines de façon écologique. Dans ce sens-là, nous sommes une entreprise qui est extrêmement dynamique : nous avons beaucoup de facilité à recruter notre personnel, un personnel qui se développe très bien, un personnel qui est utilisé dans toutes ses forces. C’est la troisième dimension qui fait que notre entreprise est meilleure que les autres (un directeur du personnel, cas 9).
On peut dire que notre entreprise depuis les années 1990, on a changé beaucoup de mentalité. Tous les travailleurs et les gens qui travaillent avec nous voient dans la mission de convertir et de valoriser les matières résiduelles quelque chose qui est noble, qui mérite d’être bien fait, qui mérite d’être fait de façon purement économique aussi, ce qui veut dire qu’il faut être efficace, que ce soit aussi écologique dans le sens que tu ne dois pas polluer davantage avec ces matières-là, mais plutôt être du côté de
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ceux qui ont des solutions aux problèmes de pollution. Dans ce sens-là, la réorganisation du travail était très importante. Mais depuis ce temps-là, depuis qu’on a vraiment transmis cette philosophie, cette approche-là au travail, intégrer chacun aux nouvelles matières que l’entreprise analyse ne pose normalement pas de problème très important parce que c’est devenu un modus operandi, de sorte qu’on intègre. Il y a toujours une certaine difficulté, mais cela fait partie de notre nature (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Comme dans toutes les entreprises, il y a du travail à faire pour que les employés soient réellement impliqués dans le développement des comportements en matière de qualité, d’environnement et de santé et sécurité au travail. Je dirais que c’est un aspect sur lequel nous travaillons et il ne représente pas une difficulté majeure (un coordinateur à l’environnement, cas 11).
Nous avons donc ciblé, ensemble avec le département des ressources humaines, les valeurs pour l’ensemble de l’entreprise et surtout pour les employés : responsabilité, autonomie, travail d’équipe, santé-sécurité, l’environnement et la qualité. Au cours de la première année, les trois départements, à savoir la qualité, la santé et sécurité au travail (SST) et l’environnement, ont travaillé pour concevoir une approche unitaire de gestion et c’est ainsi que nous avons développé ce que nous avons nommé le QUESST (qualité, environnement et santé-sécurité au travail). L’approche de base était donc basée sur ISO 9001 : 2000 de la qualité, qui définit l’approche envers les ressources humaines, la formation. Même l’environnement pouvait facilement s’intégrer et SST aussi (un coordinateur à l’environnement, cas 6).
La crédibilité placée dans les employés est donc perçue par les dirigeants comme le premier
facteur interne de réussite des pratiques de valorisation. Bien que dans l’ensemble des cas étudiés,
trouver la main-d’œuvre qualifiée pour les activités spécifiques de l’entreprise ne soit pas toujours
garanti, les responsables privilégient la formation, à l’interne, de celle-ci. Ils sont conscients que
l’implication du personnel dans le développement des comportements en matière de qualité,
d’environnement et de santé et sécurité au travail pourrait avoir des conséquences positives sur les
performances économiques et environnementales de l’entreprise. La sensibilisation des employés aux
changements de mentalité, d’habitudes de travail et de consommation - changements nécessaires à
l’implantation des pratiques d’écologie industrielle - favorise la double transformation de la notion de
déchet à laquelle participent les entreprises engagées dans cette démarche.
242
10.2. Structurer les opérations résiduelles
Les structures de valorisation résiduelle mises sur pied constituent un autre facteur de succès des
pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels. Ces structures
témoignent de la cohérence et du dynamisme de l’ensemble des activités liées à l’introduction, à la
conversion, à l’échange et au développement des marchés qui constituent le cœur de ces pratiques à
l’échelle de l’entreprise. Dans les cas étudiés, les structures de base portent essentiellement sur les
filières de récupération des matières résiduelles, de commercialisation des produits élaborés à partir des
résidus industriels, de pré-conditionnement et d’analyse des matières, ainsi que de transfert des
technologies.
10.2.1. Les structures en amont et en aval
L’organisation des activités de récupération (en amont), de transformation et de distribution (en
aval) des produits commerciaux repose sur des connexions et des relations que l’entreprise entretient
avec les autres entreprises ou organisations extérieures. Les structures en amont et en aval mises en
place dans les cas étudiés dépendent, d’une part, des secteurs industriels d’où elles proviennent et,
d’autre part, des activités pour lesquelles elles sont utilisées. Dans les cas 11 et 12 qui génèrent eux-
mêmes les matières valorisées, le développement des filières de récupération ne semble pas poser de
problèmes majeurs dans la mesure où les résidus générés sont traités in situ. Il en est de même pour le
cas 6 qui a construit son usine à côté de la source principale d’approvisionnement en matières
premières, les résidus de serpentine. Ce qui constitue surtout un facteur stratégique quant à la
localisation du centre des activités de valorisation.
Pourquoi ici à Asbestos? Les études ont démontré qu’il s’agit d’une localisation stratégique pour la proximité des gisements, la proximité des lignes électriques (un directeur de l’entretien et de l’ingénierie, cas 6).
L’organisation des opérations autour de la récupération, le transport et le traitement des
matières résiduelles avant leur introduction dans les procédés constituent les structures en amont.
L’efficacité de ces structures constitue ainsi un facteur stratégique de succès de la valorisation. Dans la
plupart des cas étudiés, les entreprises reçoivent les matières provenant d’autres secteurs d’activités.
Les cas 7 et 8 reçoivent des combustibles alternatifs provenant des secteurs diversifiés tels que ceux de
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l’industrie pétrolière, des télécommunications, de l’industrie du plastique ou du traitement des eaux
usées. La récupération efficace dans ces cas repose sur des ententes et des structures mises sur place en
collaboration avec les entreprises génératrices des matières résiduelles. La récupération et la réception
des pneus hors d’usage bénéficient d’une structure solide assurée par le ministère de l’Environnement
à travers l’organisme Recyc-Québec. Sans entrer dans les aspects politiques de cet organisme, il
convient de reconnaître que le dynamisme et le fonctionnement de Recyc-Québec quant à la
récupération et au transport des pneus vers les usines où ils seront introduits dans les procédés de
fabrication constituent une grande motivation pour les dirigeants engagés dans ce secteur. Les
gestionnaires rencontrés ont particulièrement souligné l’efficacité et l’excellent travail réalisé par cet
organisme quant aux aspects de répartition et de transport de ces types de résidus.
C’est vraiment un coup d’éclat du gouvernement. En ayant organisé le transport des matières vers nos usines, ils ont simplifié énormément tout l’établissement de cette industrie-là au Québec. Parce que là, ça a vraiment discipliné le tout et cela a aussi permis aux gens de se concentrer sur la vraie chose qui est la transformation de ces matières en divers produits. Donc, du point de vue de l’entrée des pneus, il n’y a vraiment pas de problème. C’est même facilité au point où les pneus sont amenés ici triés et ceux que nous ne prenons pas sont retournés vers des recycleurs secondaires (un directeur général, cas 4).
En fait, on est très bien supporté par le gouvernement québécois de deux façons. D’abord, parce que le gouvernement québécois a organisé ce groupe qui s’appelle Recyc-Québec qui, finalement, a organisé la gestion de la récupération des pneus au Québec. Donc, cela simplifie énormément la tâche de l’industrie (...) Le deuxième volet du gouvernement québécois : il a formé un groupe qui s’appelle Investissement Québec qui fournit des fonds aux entreprises et à la coopérative (un responsable de la comptabilité, cas 4).
Étant donné que nous sommes l’un des grands utilisateurs de matières résiduelles, ce sont des ententes avec des entreprises qui génèrent ces matières qui assurent l’alimentation. Au niveau des pneus, c’est réglé avec Recyc-Québec. Donc, cet aspect nous touche moins (un directeur de l’environnement, cas 8).
Si la récupération fonctionne apparemment bien dans le cas des pneus hors d’usage avec la
création de Recyc-Québec, dans d’autres secteurs, cependant, les dirigeants doivent se battre seuls
pour mettre sur pied des structures propres de récupération en coordination avec les générateurs et les
transporteurs des matières résiduelles. Par exemple, dans le cas 10 du recyclage des résidus animaliers,
il a fallu mettre sur pied un réseau interne composé de camions équipés du matériel nécessaire pour
244
récupérer des animaux morts ainsi que les restes des boucheries, des restaurants, des supermarchés,
des fermes, des abattoirs et des poulaillers « à l’état frais ». Comme le souligne ce dirigeant, le facteur
« temps » que l’entreprise ne maîtrise pas constitue un élément particulièrement important de réussite
d’une bonne récupération des matières.
C’est nous qui organisons la collecte des matières résiduelles. Le problème majeur, c’est de récupérer la matière première en bon état. Donc, la récupérer à tous les jours, la récupérer dans un état frais. On n’a pas de problèmes du tout au niveau des boucheries parce qu’elles ont des réfrigérateurs pour garder la matière. Les abattoirs ne sont pas un problème. Le problème réside au niveau de la ferme (un directeur général, cas 10).
À l’instar des structures en amont, les opérations autour de la distribution des produits élaborés
à partir des matières rebutées constituent les structures en aval de la valorisation résiduelle. Celles-ci
assurent la bonne commercialisation de ces produits dans différents marchés. Dans la majorité des cas
étudiés, ces structures reposent en effet sur l’efficacité du travail des équipes commerciales de chaque
entreprise. Les entretiens montrent que de façon générale, les dirigeants s’en sortent bien en l’absence
de structures institutionnelles gérées par des instances gouvernementales ou des secteurs industriels.
Cela n’est pas surprenant dans la mesure où les produits élaborés sont diversifiés et chaque entreprise
adopte une stratégie appropriée compte tenu des spécificités de ses marchés. Dans le but d’assurer la
bonne commercialisation de tous les produits élaborés à partir des matières plombifères valorisées, le
cas 9 a créé une entreprise chargée de cette mission. Cette structure montre le niveau d’unité et de
cohésion de l’ensemble des pratiques de valorisation résiduelle de cette entreprise. Elle confirme
également l’idée selon laquelle la structuration de la valorisation résiduelle dépend du niveau des
performances économiques réalisées par l’entreprise dans le temps.
10.2.2. Les structures de pré-conditionnement et de transfert des
technologies
Dans la majorité des usines visitées, les résidus industriels générés ne rentrent pas directement
dans le processus de transformation pour des raisons techniques et opérationnelles. La diversité de
formes, de nature ou encore de qualité des matières récupérées exige que celles-ci passent par une
étape de pré-conditionnement ou de pré-traitement. Les entreprises engagées dans la valorisation
comptent sur des entreprises qui ont développé des compétences pour rendre utilisables les différentes
245
matières résiduelles sans aucune forme de traitement et selon les besoins spécifiques des entreprises
résiduelles. D’une part, cela leur permet de se centrer sur leur vocation d’utiliser et de transformer les
résidus industriels et, d’autre part, cela permet de simplifier le processus de fabrication une fois que les
matières résiduelles mises en forme rentrent dans l’usine. Le pré-conditionnement porte ainsi sur le
déchiquetage, le traitement, le nettoyage ou encore la granulométrie des différentes matières selon leur
origine ou l’utilisation qu’on en fait.
Les entreprises qui disposent des matières résiduelles nous appellent pour nous les offrir. La difficulté ne réside pas au niveau de l’obtention de ces matières, mais bien plus au niveau du pré-conditionnement. Dans la plupart des cas, ces matières n’ont pas la forme requise pour être utilisées directement dans nos fours. Il faut donc leur donner une forme adaptée à nos machines (un directeur du recyclage énergétique, cas 7)
Nous étions catégorisés comme une entreprise de transformation secondaire du caoutchouc recyclé. Nous recevions le granule de la part des entreprises qui recyclent les pneus hors d’usage ici, au Québec, sans problèmes. Il ne s’agissait pas de pneus hors d’usage comme tels (un directeur des opérations et de la technologie, cas 3).
Les structures de support des pratiques de valorisation se traduisent également par des
laboratoires d’analyse des matières résiduelles. Cette analyse permet de connaître, sur une base
régulière, la composition de ces matières étant donné que cette composition change constamment
compte tenu de la diversité des résidus reçus et introduits dans les procédés. Cette information permet,
d’une part, de prévenir des dommages causés sur les équipements et, d’autre part, d’ajuster les recettes
utilisées dans les procédés pour ne pas augmenter le niveau de contamination.
Il y a aussi des laboratoires accrédités en chimie qui peuvent faire des analyses très poussées dans des paramètres spécifiques dans lesquels on n’a pas d’expertise ici. Nous avons notre propre laboratoire d’analyse ici, mais on n’analyse que des éléments dont on a besoin pour la production (un directeur de l’environnement, cas 8).
Sur une base mensuelle, on va prendre des échantillons de ces boues pour en faire des composés, c’est-à-dire des composés sur une semaine ou sur cinq jours, pour les envoyer dans les laboratoires extérieurs. Et là, ils vont faire des analyses un peu poussées (un ingénieur au service technique, cas 11).
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À côté des structures de support en matière de pré-conditionnement et de pré-traitement, il y a
également des structures de transfert des technologies. Leur rôle s’inscrit essentiellement dans la
recherche appliquée et le développement, l’aide technique et l’information aux entreprises engagées
dans la valorisation résiduelle, l’implantation de nouvelles technologies et la mise sur pied de projets
innovateurs. Bien qu’il existe un nombre croissant de centres de transfert de technologie au Canada,
dont une trentaine au Québec, les résultats de l’étude montrent que peu d’entreprises s’approchent de
ces centres pour signer des accords de coopération en matière de développement des technologies,
pour améliorer l’utilisation et la transformation des résidus industriels du moment ou pour étudier les
possibilités de valorisation de biens d’autres matières. Deux exemples de capitalisation du potentiel des
structures de recherche et de développement méritent d’être mentionnés. En collaboration avec le
centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI) de Sorel-Tracy, le cas 5 de
valorisation des scories d’acier inoxydable et des stériles de minerai de fer a mis sur pied un
programme de recherche dont la première phase représentait une enveloppe budgétaire d’environ
100,000 dollars (documents de l’entreprise). Le cas 9 constitue également un exemple de capitalisation
du potentiel des transferts des technologies. La mise sur pied d’un produit innovateur élaboré à partir
des brasques d’alumineries en constitue le résultat. Cette entreprise continue à investir dans la
recherche et le développement en collaboration avec des centres universitaires de la région où se
situent ses usines.
Ici, je peux dire que notre entreprise est prospère. On est tourné vers l’avenir parce qu’on est continuellement à la recherche de nouvelles matières, de nouveaux matériaux à transformer. On cherche celui qui nous rapporte le plus d’argent possible. Et pour cela, on finance deux maîtrises et un doctorat à l’Université de Sherbrooke. Avec les résultats de ces recherches, on espère trouver de nouveaux débouchés (un directeur de l’exploitation, cas 9).
Dans la majorité des cas étudiés, le facteur « perte de matière » ou encore la génération de
résidus après le processus de valorisation représente environ 25 % dans le cas des pneus hors d’usage.
Selon les informations recueillies, ce pourcentage, composé essentiellement d’acier, était encore envoyé
à l’enfouissement par manque de procédé industriel pour le récupérer et le rendre utilisable par
d’autres secteurs d’activités, en particulier les alumineries de la région. La collaboration avec les centres
de transfert des technologies pourrait ainsi permettre de valoriser plus de matière et de trouver des
utilisations à des résidus générés in situ dans la majorité des cas.
247
Les déchets que l’on rejette contiennent de l’acier et nous sommes sur le point de mettre sur pied un procédé pour l’extraire et le récupérer en vue de le vendre, au lieu de l’envoyer dans un site d’enfouissement. Nous parlons d’une dizaine de tonnes par année avec une concentration d’environ 20 % d’acier. Mais cela dépendra aussi de la demande de l’acier sur les marchés parce que cet acier doit être nettoyé pour éviter qu’il puisse contaminer l’environnement (un directeur général, cas 1).
Le fait qu’il y a encore une bonne partie des résidus qui sont générés et que nous avons commencé à nettoyer avant de les envoyer vers les recycleurs d’acier, je pourrais dire que oui, nous avons un facteur de perte de matière assez important (un directeur général, cas 4).
Nous n’avons pas beaucoup de déchets à valoriser. Ce que nous générons, c’est les fibres d’acier qui se trouvent dans la ceinture du pneu. On procède à l’enfouissement parce que l’acier qui résulte comme résidu contient beaucoup de caoutchouc et pour le vendre aux fonderies, il faudrait d’abord le débarrasser du caoutchouc, chose qui n’est pas encore faite. Nous avons réussi à réduire la teneur en soufre et il y a une partie que l’on vend à des fonderies. Nous générons environ 300 tonnes d’acier par mois (un chef du service comptable, cas 2).
Ces informations montrent que chaque année, des centaines de tonnes d’acier ne sont pas
utilisées de façon appropriée par manque de procédés permettant de le faire. Des programmes de
recherche et de développement pourraient apporter des solutions à ce problème et à bien d’autres dans
d’autres industries de valorisation. Cet aspect rentre dans le cadre des limites technologiques des
pratiques d’écologie industrielle évoquées par Allen (2002). La mise sur pied de « centres
technologiques de résidus industriels », comme on les appelle, pourrait résoudre en partie cette limite
et éviter ainsi le gaspillage des ressources.
La création d’une banque de données sur les matières résiduelles susceptibles d’être utilisées dans
les procédés industriels aux échelles régionale, provinciale et fédérale pourrait également apporter des
solutions aux problèmes ci-dessus mentionnés. Ce type d’initiative a déjà été tenté dans le passé, mais il
n’a pas été couronné de succès. La Bourse des résidus industriels du Québec (BRIQ) vient tout juste
d’être relancée par le centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI) de Sorel-
Tracy. Cette banque de données permettra de diffuser sur une base régulière de l’information portant
sur les diverses matières disponibles et d’aider les gestionnaires dans la planification de leurs activités.
La cohérence, l’harmonisation et le dynamisme des structures mises en place pour récupérer les
résidus, les transformer et distribuer les divers produits élaborés semblent constituer un facteur de
248
réussite dans les cas étudiés. La figure 12 résume l’essentiel de la mise en place de ces structures. Au
niveau de l’entrée, deux types de structures s’avèrent nécessaires. D’abord, les structures de
récupération, de transport et de répartition des différentes matières résiduelles. Dans le secteur de la
valorisation des pneus hors d’usage, ces structures sont assurées en grande partie par l’organisme
Recyc-Québec. Ensuite, les structures de pré-conditionnement ou de pré-traitement des matières. Au
niveau de la transformation des résidus, il s’agit des structures de transfert des technologies et de
recherche et développement. Et, au niveau de la sortie, les structures de commercialisation des
produits élaborés à partir des résidus industriels.
Figure 12. Structures de valorisation résiduelle
10.3. Développer et gérer les compétences clés
Le développement et la gestion des compétences clés constituent le troisième axe des facteurs
de réussite de la valorisation résiduelle. Cette question du développement des compétences dans la
réussite des projets d’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise a été analysée dans Boiral et
Kabongo (2004). Les conclusions de cette étude empirique qui avait reposé sur des entretiens
préliminaires auprès d’une trentaine de gestionnaires restent les mêmes pour l’ensemble des entretiens
réalisés dans le cadre de l’étude complète. La réussite des projets de valorisation résiduelle relève, dans
une large mesure, de la mobilisation des connaissances et du savoir-faire qui touchent les aspects de la
Entrée Transformation Sortie
Pré-conditionnement Pré-traitement
Transfert des technologies Recherche et
développement
Récupération Transport Répartition
RECYC-QUÉBEC
Commercialisation des produits résiduels
249
technologie, de la gestion des ressources humaines, du marketing, etc. Dans la majorité des cas étudiés,
les résultats globaux obtenus ont été satisfaisants et les entreprises en sont fières. Ces résultats tiennent
compte des performances économiques et commerciales ainsi que des performances
environnementales. Le succès de la valorisation résiduelle dans les cas étudiés dépend, en grande
partie, du développement des compétences clés au sens entendu par Prahalad et Hamel (1990). Ces
compétences s’accroissent par un processus d’apprentissage collectif des pratiques qui permettent à
l’entreprise d’être compétitive sur les marchés. La maîtrise des connaissances et du savoir-faire en
matière de valorisation résiduelle transcende les seuls aspects technologiques pour embrasser toutes les
fonctions et les activités de l’entreprise.
Ces compétences semblent liées aux différents critères de valorisation résiduelle, c’est-à-dire
l’introduction, la transformation, l’échange et le développement des marchés. Concrètement, ces
compétences sont les suivantes : la maîtrise de la variabilité des flux des matières résiduelles à valoriser
(introduction); la maîtrise des procédés et de l’innovation technologique (transformation); la maîtrise
des activités de formation et le développement de savoir-faire opérationnels (création de valeur); et la
maîtrise des aspects commerciaux (développement des marchés) (figure 13).
Figure 13. Compétences clés de la valorisation résiduelle
Compétences clés
Variabilité des flux de matière
Procédés et innovations
technologiques
Formation et développement de savoir-
faire professionnels
Aspects commerciaux
250
10.3.1. La maîtrise de la variabilité des flux des matières L’introduction des matières résiduelles dans les procédés de production exige la maîtrise de la
variabilité du flux des matières résiduelles à valoriser. Cette variabilité des matières résiduelles constitue
en effet la particularité de l’industrie résiduelle. Matières rebutées avec peu de valeur ou sans valeur
pour les générateurs, elles sont donc rarement standardisées, tant au niveau de leur composition que de
leur dimension et de la régularité des approvisionnements. Dans le secteur des pneus hors d’usage (les
cas 1, 2 et 4), la majorité de ces entreprises reçoivent des pneus de camions d’environ 48 kilogrammes
chacun. Ces pneus arrivent à l’usine avec des caractéristiques variées quant à leur état d’usure, aux
modifications subies à cause des intempéries et des conditions d’entreposage. Il en est de même pour
le secteur des batteries au plomb-acide, les déchets animaliers ou encore les résidus miniers. Ces
irrégularités exigent des adaptations continuelles pour tenter de standardiser ces matières à l’entrée des
procédés. Ce qui suppose un apprentissage de pratiques « sur mesure ».
La maîtrise de la variabilité du flux des matières répond à des niveaux différents selon les
entreprises et les secteurs industriels, et elle pourrait constituer une source d’avantages concurrentiels.
Dans le secteur des pneus hors d’usage par exemple, plus l’entreprise peut recevoir et traiter divers
types de pneus, plus elle est perçue comme offrant un avantage concurrentiel par rapport aux autres.
C’est l’exemple du cas 2 qui a développé des compétences qui lui permettent de traiter tant les pneus
des camions que ceux des voitures.
Oui, la valorisation résiduelle constitue une stratégie d’affaires qui nous démarque des autres parce que nous sommes les seuls qui avons développé une technologie pour récupérer et transformer toutes sortes de pneus, y compris ceux des voitures. Les autres récupèrent essentiellement les pneus des camions (un directeur général, cas 2).
Cette plus grande maîtrise et cette plus grande adaptabilité au flux des matières n’ont pas été
observées dans les cas 1 et 4, lesquels se centrent uniquement sur le traitement des pneus de camions.
Même en ce qui a trait aux pneus de camions, ce ne sont pas tous les types qui sont valorisés. Il appert
que le choix dans les matières premières disponibles est fonction du niveau d’habileté pour les traiter.
Nous utilisons seulement les pneus des camions. Ceux des voitures sont beaucoup plus difficiles à manipuler parce qu’ils contiennent beaucoup de fibres. Ensuite, les pneus d’autos sont beaucoup plus usés que les pneus de camions. Et donc, la quantité de caoutchouc que l’on peut récupérer pour faire le travail est moins élevée. C’est sûr
251
qu’on peut toujours s’adapter aux pneus d’autos mais par choix, nous avons préféré ceux des camions (un directeur général, cas 1).
Principalement, on prend des pneus de camions d’une certaine nature. Il y a des pneus de camions qu’on ne recycle pas et qu’on envoie à des recycleurs secondaires. Ces pneus-là sont, de façon générale, des pneus de camions en nylon ou des pneus de camions qui contiennent du « cavelard » (ce qui remplace l’acier dans la carcasse du pneu). Dans les pneus qu’on recycle, on prend le pneu rond, on le coupe, on le déchiquette et finalement, on fait de la granule de différentes grosseurs (un directeur général, cas 4).
L’avantage concurrentiel de la maîtrise de la variabilité du flux des matières s’observe également
dans les cimenteries visitées. Plus l’usine introduit une diversité de matières comme combustibles
alternatifs, plus elle a l’avantage de réduire ses coûts en termes d’énergie et plus elle détient un certain
pouvoir de négociation avec les différents générateurs de résidus pour prendre ces matières dans des
conditions favorables. Il n’est pas surprenant que le cas 7 ait installé des équipements de granulométrie
dans son usine de fabrication de ciment, ce qui lui donne l’avantage de recevoir et de traiter plus de 80
types différents de matières. Cela explique également la création du poste de directeur du recyclage
énergétique dans le cas 7 chargé d’évaluer les possibilités et de signer des ententes avec les entreprises
génératrices des matières résiduelles. Le cas 8, par contre, introduit une trentaine de matières dans ses
fours. La différence entre l’utilisation de 80 types de matières résiduelles contre, par exemple, 30 types
de matières résiduelles comme combustibles alternatifs se reflète dans les coûts d’énergie et, par
conséquent, dans les états financiers.
Dans la plupart des cas, ces matières n’ont pas la forme requise pour être utilisées directement dans nos fours. Il faut donc leur donner une forme adaptée à nos machines. Nous prenons actuellement près de 85 matières résiduelles différentes, surtout pour la combustion dans nos fours (un directeur du recyclage énergétique, cas 7).
Les résidus introduits dans les fours des cimenteries viennent de secteurs variés et se composent
de matières aussi diverses que des huiles usées, des pneus hors d’usage, du bois traité provenant de
chemins de fers ou de poteaux de téléphone, etc. Ces résidus ne sont pas interchangeables et leur
valorisation exige la prise en compte de nombreux paramètres comme la valeur calorifique des
matériaux récupérés, leur entreposage, leur humidité, leur dimension ou encore leur toxicité.
252
10.3.2. La maîtrise des procédés et innovation technologique
Les pratiques de valorisation résiduelle reposent en grande partie sur l’expérimentation et la
mise sur pied de procédés technologiques innovateurs. Cet aspect est souligné par bon nombre de
spécialistes de l’écologie industrielle, en particulier Ausubel et Langford (1997), Grübler (1998),
Norberg-Bohn (2000) et Chertow (2001). En effet, la mise en place d’un procédé de pyro-métallurgie
pour traiter les batteries au plomb-acide, de l’électrolyse de la serpentine, de l’introduction de granules
dans la fabrication du bitume, de la récupération de l’acier des résidus miniers, de la production de
biodiesel à partir de graisses animales, toutes ces pratiques d’écologie industrielle appellent
l’expérimentation de nouveaux procédés en tenant compte des exigences des marchés. Le caractère
unique de ces procédés justifie le fait que l’écologie industrielle soit une approche innovatrice pour
trouver des solutions à des problèmes écologiques et environnementaux globaux.
Nous avons développé un procédé innovateur qui s’inscrit dans le cadre des exigences environnementales. Il faut dire que pour nous, nous regardons surtout l’aspect technique, la matière qui rentre dans nos procédés. Que cette matière nous permette de fabriquer un produit de qualité, en tenant compte des exigences des marchés, c’est l’aspect le plus important pour nous (un directeur d’usine, cas 3).
Nous avons mis au point un procédé jusque là unique au monde, et nous avons déjà produit 5 000 tonnes. Nous utilisons un produit toxique pour fabriquer deux produits ayant une valeur commerciale. À partir des brasques usées en provenance des alumineries, on en fait une fritte de verre et on fait moudre la fritte de verre pour obtenir une poudre qui, quand on y ajoute 25 % de ciment, cela augmente les propriétés du béton. Cela diminue la perméabilité du béton aux ions du chlore, aux sels et on obtient des bétons à 65 MPa. Le béton que vous achetez est à 30 MPa. Le béton à 65 MPa chauffe moins (un directeur de l’exploitation, cas 9).
On a beaucoup investi dans le procédé pour extraire le magnésium du résidu minier de la serpentine. On a monté une usine pilote dans les années 1996-1997 à Valleyfield. Et les résultats ont démontré qu’il était possible de lixivier la serpentine à l’aide de l’acide chlorhydrique (HCl) pour sortir le magnésium de la pierre. Et le magnésium en solution était par la suite séché pour l’avoir sous forme de sel. Et à partir de ce sel, on procédait par l’électrolyse pour avoir finalement le magnésium (dissociation des ions chimiques des substances en solution ou en fusion) (un coordinateur à l’environnement, cas 6).
Ces exemples montrent que le développement des procédés de valorisation résiduelle se fait
progressivement et repose généralement sur un processus « d’essais-erreurs » dont le résultat est
253
rarement prévisible. Une fois ces technologies en place, la maîtrise de leur utilisation et des coûts qui
leur sont associés exige du temps. Bien que la « courbe d’apprentissage » semble très variable d’un cas à
l’autre, il est clair que cette dernière joue un rôle de premier plan dans la rentabilisation des procédés
mis en œuvre. En fait, une des principales sources de coûts associés à ces procédés ne semble pas être
les intrants en soi, mais plutôt la façon de les utiliser, de les transformer; bref, le savoir-faire et la
technologie investis dans cette démarche. Ce défi est évidemment particulièrement important dans une
situation de démarrage d’usine, situation par laquelle sont passées la majorité des entreprises visitées.
Ce sont les années d’expérience qui ont fait qu’on a déterminé et trouvé le type d’équipement que l’on utilise pour le moment. Il faut être conscient que la façon dont les granules sont granulées, il faut qu’il y ait une certaine forme géométrique. Si on n’a pas la géométrie nécessaire, on n’aura pas le produit tel qu’on l’espère. Suite à des années d’expérience, on a fini par choisir et découvrir le procédé qui convient. Il y a, bien sûr, beaucoup de choses qui sont faites en même temps, des essais, des adaptations multiples d’équipements, des abandons, des reprises, des remplacements de pièces et de machines, etc. en continue (un directeur général, cas 1).
Le procédé que nous utilisons est le résultat de plusieurs années d’expérience avec les machines qui ont été adaptées ici, à l’intérieur de l’usine. Nous le gardons parce que les résultats obtenus sont satisfaisants (un directeur de la production, cas 2).
La problématique était au niveau purement technologique, celui des équipements et des matériaux. C’était d’opérer l’usine sur une base continue en trouvant des solutions à tous les problèmes technologiques et d’équipements à travers le temps. C’est en fait une problématique de démarrage d’usine (un directeur de l’entretien et de l’ingénierie, cas 6).
10.3.3. La maîtrise de savoir-faire professionnels
Le troisième aspect du développement des compétences de valorisation résiduelle concerne la
formation du personnel et le savoir-faire professionnel qu’impliquent les pratiques d’écologie
industrielle. D’une part, la diversité des matériaux utilisés et, dans certains cas, leur toxicité exigent des
efforts constants pour former les opérateurs, lesquels sont appelés à manipuler des produits
potentiellement dangereux. Cette formation est d’autant plus nécessaire que ce sont souvent les résidus
les plus dangereux qui sont les plus « rentables » de valoriser. C’est le cas, par exemple, de certains
matériaux inflammables utilisés dans les fours des cimenteries. Outre la transformation de ces
matériaux, leur transport et leur stockage exigent des précautions particulières. D’autre part, la
spécificité des procédés et des pratiques mises en œuvre implique des programmes de formation « sur
254
mesure ». Ces programmes sont généralement plus longs et plus difficiles à développer puisqu’ils
concernent des connaissances peu standardisées.
C’est par ces différents programmes que les entreprises engagées dans la valorisation forment le
personnel à la création de valeur commerciale et écologique des produits élaborés à partir de résidus.
Cette création de valeur suppose la responsabilisation des employés de tous les niveaux, sur laquelle
repose la compétence professionnelle. La compétence professionnelle en matière de valorisation ne
concerne pas seulement les départements chargés de recevoir les matières et de les traiter, mais bien
tous les niveaux de l’entreprise. C’est donc un apprentissage collectif comme l’ont souligné la majorité
des dirigeants rencontrés :
Il y a un grand travail à faire pour éduquer les employés quand on parle des produits alternatifs. Il s’agit d’une autre façon de faire, une autre technologie, différente de celle que l’on utilise quand il s’agit de produits conventionnels (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 7).
Le personnel est impliqué, mais il faut continuer à le former pour qu’il soit plus conscient que dans l’usine, nous avons pris l’orientation d’utiliser des matières résiduelles et que cela implique le développement des comportements au niveau des employés. Ceci pour que l’entreprise, à travers ses employés, prêche par de bons exemples, dans le milieu de travail qui doit être sécuritaire (un directeur de l’environnement, cas 8).
C’est un aspect primordial. C’est une préoccupation très importante et quotidienne. Nous faisons énormément d’efforts de ce côté-là parce que nous avons vu, par expérience, que quand ce côté est bien maîtrisé, nous avons des employés motivés, très sensibilisés aux exigences du travail. Notre niveau d’absentéisme est très bas, le roulement du personnel est très bas. Et cela assure qu’il y a des employés compétents qui sont là pour faire le travail. Alors, ça c’est une des dimensions les plus importantes de notre entreprise : la formation à la compétence professionnelle (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Les dirigeants rencontrés ont particulièrement souligné que la formation à la compétence
professionnelle commence par la sensibilisation et l’implication au développement des comportements
en matière de qualité, de santé et sécurité au travail. Dans la majorité des cas étudiés, les dirigeants
semblent être satisfaits des résultats obtenus par les efforts de formation du personnel en cette matière.
La rétention du personnel, et donc la conservation des savoir-faire acquis par la pratique, constitue un
aspect essentiel de l’apprentissage organisationnel. S’il n’est pas facile de recruter des employés formés
255
à des pratiques spécifiques de valorisation résiduelle, le départ de ces derniers vers d’autres industries
après avoir été formés dans l’esprit et la philosophie de l’entreprise constitue une perte importante du
capital intellectuel.
La gestion des questions environnementales s’inscrit également dans le cadre de la maîtrise de
savoir-faire professionnel lié à la création de valeur commerciale et écologique. Cette maîtrise touche la
gestion des problèmes administratifs, techniques et sociétaux associés au management
environnemental. Au niveau administratif, le transport, l’entreposage et l’utilisation des matières
résiduelles nécessitent des autorisations et des procédures spéciales à suivre. Au niveau technique, la
transformation des matières résiduelles implique des impacts environnementaux qui doivent être
mesurés et contrôlés. Enfin, au niveau sociétal, les activités d’écologie industrielle suscitent souvent des
réactions négatives, voire hostiles de la part des citoyens. Vu de plus près, les pratiques de valorisation
résiduelle exigent la maîtrise des compétences, non seulement techniques et managériales mais aussi
juridiques, relationnelles et institutionnelles. Dans l’ensemble, les dirigeants rencontrés semblent bien
maîtriser ces aspects dans la mesure où ceux-ci font partie de leur pain quotidien et du succès des
pratiques de valorisation.
Parlant des compétences relationnelles et institutionnelles, il convient de mentionner ici
l’expérience vécue par le cas 6 avec la constitution d’un groupe d’opposition aux activités de
valorisation de la serpentine et de l’installation de l’usine dans la région. Bien que cette situation
conflictuelle ait été très médiatisée par des groupes écologistes, les dirigeants ont su la maîtriser en
établissant un pont transparent entre l’usine et la communauté locale.
Du côté environnemental, la mise en place du projet a amené son lot de gens qui étaient contre l’installation de l’usine, ici. C’est associé à une problématique spécifique de la génération accidentelle des organochlorés par le processus d’électrolyse. Le fait qu’on génère du chlore gazeux dans la cellule d’électrolyse. C’est ce qu’on appelle les POPs (Produits Organiques Persistants) dans lesquels on a le chlorobenzène, BPC. Il existe une entente internationale sur les POPs. On se retrouve avec ces trois composés dans l’usine qui ont été aussi identifiés lors des études d’impacts. Nous avons mis en place des processus pour les contrôler au niveau où l’on pensait les retrouver. Malgré cela, pour des gens autour ici, « une molécule de plus, c’était une molécule de trop (un chef de l’environnement, cas 6).
256
10.3.4. La maîtrise des aspects commerciaux
Le dernier aspect concerne les compétences stratégiques et commerciales nécessaires au
développement des marchés pour la commercialisation de produits élaborés à partir de matières
résiduelles. Ces compétences stratégiques se traduisent en effet par le marketing écologique, le
commerce de nouvelles valeurs et la qualité des produits écologiques. Dans la majorité des cas étudiés,
cela suppose la mise sur pied de véritables équipes commerciales chargées d’évaluer les différents
marchés et d’établir des ententes commerciales. Le marketing écologique est crucial pour la pérennité
des pratiques d’écologie industrielle. Bien que dans la majorité des cas étudiés, la commercialisation des
produits ne semble pas poser problème, les dirigeants ont reconnu tout de même que la concurrence
avec les produits élaborés à partir des matières vierges est féroce. Ce qui n’est pas étonnant dans la
mesure où les clients ne regardent pas d’abord le caractère écologique des produits, mais plutôt leur
utilité par rapport aux prix auxquels ils sont offerts. Dans une société où l’environnement est devenu
l’une des premières préoccupations, le caractère écologique des produits élaborés à partir de résidus
rebutés semble aider les entreprises à se positionner sur les marchés.
Il y a une grosse différence entre le caoutchouc vierge et le caoutchouc recyclé, dans les coûts. Le recyclé est généralement moins cher que le caoutchouc vierge. Au niveau de la durabilité, il n’y a pas de problèmes. Quant à l’acceptation de ce produit par les clients, le fait que depuis environ cinq ans, il y a plus de publicité sur le recyclage et ses produits, la prise de conscience pour l’environnement, il y a des gens qui vont préférer la qualité verte. De ce côté-là, cette conscientisation nous aide un peu à écouler nos produits sur les marchés. Mais ce n’est pas à 100 % parce qu’il y a la qualité et le prix. Le facteur environnemental agit un tout petit peu en bas. C’est ce qui fait la différence entre le caoutchouc vierge et le caoutchouc recyclé (un directeur général, cas 1)
Le fait que notre produit soit issu de la valorisation, cela nous favorise un peu parce qu’il y a une certaine conscientisation de la population envers les produits recyclés (un directeur général, cas 2).
La qualité de nos produits est bonne. Pour le moment, l’entreprise est reconnue pour la qualité de son produit à cause de la difficulté associée à la fabrication de ce produit-là. C’est du recyclage de pneus usés. Il s’agit d’obtenir des granules d’une certaine grosseur et s’assurer qu’à l’intérieur de celles-ci, il n’y a pas de contamination. Pour le moment, nous sommes assez bien adaptés avec notre marché (un directeur général, cas 4).
Lorsqu’on parle de la concurrence, on parle de farines protéiniques d’origine végétale. Au niveau des prix, on est plus bas (un directeur général, cas 10).
257
L’utilisation des résidus comme intrants s’inscrit dans le cadre du « renouveau » que recherchent
les entreprises devant les pressions économiques, politiques et sociales ainsi que les pressions de la
dynamique des marchés. Ce « renouveau » ne pourra être réalisé sans des remises en question des
façons de faire de l’entreprise, processus qui aboutit souvent par l’introduction de nouvelles pratiques.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent la revalorisation et la transformation des matières résiduelles.
Comme le soutient Hurst (1995), le désir du renouvellement harmonise la continuité et le changement
au sein de l’entreprise. Ces propos rejoignent ceux de Crossan et al. (1999), qui conçoit l’apprentissage
organisationnel comme un des moyens qui permettent à l’entreprise de réaliser le « renouveau ».
Comme dans tout changement au sein de l’entreprise, l’apprentissage ne peut être acquis que par une
approche multidisciplinaire, c’est-à-dire la mobilisation de tout le savoir de l’entreprise : connaissances
techniques, connaissances organisationnelles et marketing. Dans la mise en œuvre des pratiques
d’écologie industrielle à travers le processus d’apprentissage organisationnel, les entreprises, en
s’adaptant à leur environnement interne et externe propre, utilisent des styles d’apprentissage variés en
vue de développer des compétences conformes à ce qu’elles sont (DiBella, Nevis et Gould, 1996), leur
raison d’être. C’est donc sur le développement de ce caractère spécifique, intangible, diffus et
difficilement imitable de leurs connaissances qu’elles fondent les bases de leur différenciation
compétitive.
Les entreprises visitées présentent des mécanismes d’apprentissage de Pedler, Burgoyne et
Boydell (1991). Selon ces auteurs, les aspects suivants caractérisent une entreprise apprenante :
l’existence de stratégies d’apprentissage, des politiques participatives de prise de décision, des
politiques de diffusion de l’information, des politiques d’échange de l’information, des politiques de
développement du personnel, des structures flexibles, des chercheurs d’opportunités dans le milieu,
des échanges d’expérience et d’apprentissage avec d’autres entreprises et une ambiance favorisant
l’apprentissage. Ce qui s’apparente à l’acquisition validée des connaissances selon le modèle
d’apprentissage proposé par Lapré, Mukherjee et Van Wassenhove (2000). Étant donné que, dans la
plupart des cas, les pratiques de valorisation sont introduites comme faisant partie d’une réorientation
de l’entreprise, les dirigeants rencontrés comptent avant tout sur l’expérience et l’engagement de leurs
employés comme un actif incontestable, un « driver interne » (van Berkel, Willems et Lafleur, 1997),
un capital intellectuel initial (Kaplan et Norton, 1996 ; Stewart, 1997 ; Edvinson et Malone, 1997). Les
échanges d’expérience et d’apprentissage avec d’autres entreprises se font souvent entre usines
appartenant à un même groupe. C’est le cas, notamment, des cimenteries canadiennes, filiales de
258
grandes compagnies européennes. Au niveau régional, cet échange se fait souvent par le biais du
développement d’un partenariat avec des firmes de consultants. Ces firmes apportent leur expertise
dans le pré-conditionnement des matières résiduelles et les entreprises bénéficient directement et
indirectement de leurs expériences de travail avec d’autres dans le même secteur d’activité industrielle.
10.4. Rationaliser les méthodes
Le dernier facteur de réussite des pratiques de valorisation résiduelle se traduit par la
rationalisation des méthodes utilisées pour optimiser l’usage des ressources disponibles. Comme dans
le cas de toute action stratégique formulée dans un contexte compétitif, la réussite des pratiques de
production industrielle dépend, en partie, de facteurs que l’entreprise ne maîtrise pas. D’une part, ces
facteurs reposent en particulier sur les prix de vente des produits, la disponibilité, le prix des matières
récupérées et la concurrence avec les matières vierges ou encore avec les industries qui désireraient les
utiliser. D’autre part, ces facteurs reposent sur le développement des compétences liées à la gestion
efficace des activités et des projets adoptés. En ce sens, les méthodes utilisées en valorisation résiduelle
pour introduire, transformer, créer de la valeur et commercialiser les produits constituent des facteurs
de réussite de ces pratiques. Les perceptions des dirigeants rencontrés en matière de motivation pour
la valorisation résiduelle, de choix de procédé, de construction de l’avantage concurrentielle, de
positionnement sur les marchés ou encore d’adaptation des procédés aux exigences environnementales
s’inscrivent dans le cadre du modèle classique de l’analyse des facteurs entourant les aspects politiques
et légaux, économiques, sociaux et technologiques (l’analyse PEST).
Les grands axes de ces méthodes s’orientent vers divers types d’analyse du contextuel, du
potentiel ou encore de la cohérence de l’ensemble du corpus des stratégies visant la productivité de la
récupération et la transformation des sous-produits industriels. La combinaison de ces types d’analyse
et l’adaptation aux changements continuels ont débouché sur la création d’entreprises à vocation
résiduelle et aux multiples initiatives en écologie industrielle. Les résultats montrent que, dans
l’ensemble, les dirigeants des entreprises visitées ont développé des mécanismes qui leur permettent de
mieux s’adapter aux circonstances externes et internes. Cette adaptation s’inscrit également dans le
cadre de l’apprentissage organisationnel.
Les premiers actionnaires ont découvert un produit qui pouvait servir aux animaux et pour faire ce produit, ils ont découvert qu’il fallait déchiqueter les pneus et en faire un
259
produit fini. Cela a vraiment commencé par le produit fini pour remonter aux déchets industriels (un directeur général, cas 1)
Pour chaque utilisation des produits qu’on fait, on a une économie. Pour exploiter la carrière et avoir la silice, cela nous coûte environ 10 $ à 15 $ la tonne. Récupérer un produit de silice qui vient des fonderies ou de n’importe quoi, on peut l’avoir à 0 $ la tonne ici. Donc, on fait une économie de 10 $ au moins. Ça, c’est pour un produit. On peut aller jusqu’à 25 $US la tonne d’économies que l’on fait pour les produits solides. Au niveau des combustibles, on peut aller entre payer et recevoir de l’argent (un directeur de l’environnement, cas 7)
Il est évident que l’abondance des résidus industriels et ménagers dans la plupart des pays
industrialisés constitue un élément majeur du contexte, comme le soulignent bon nombre de
chercheurs, en particulier De Silguy (1996), Boiral et Croteau (2001b) et Allen (2002). Cependant,
l’introduction, la transformation, la création de valeur et le développement des marchés appellent à la
démarche rigoureuse pour faire de ces pratiques un succès et assurer la pérennité des activités.
L’absence de rigueur dans les analyses contextuelles, de potentiel des matières résiduelles trouvées ou
encore de cohérence entre l’utilisation, la transformation, la création de la valeur et la
commercialisation des produits dans les marchés concurrentiels pourrait avoir des conséquences
inattendues pour l’ensemble de la valorisation résiduelle comme vision d’entreprise. Le cas 6
représente un exemple de la façon dont la faillite dans l’analyse contextuelle peut déboucher sur l’échec
total ou partiel des pratiques de valorisation. Deux ans après le début des activités d’un méga projet qui
aurait coûté 1,2 milliards de dollars, les dirigeants du cas 6 se trouvaient dans l’obligation de fermer
techniquement l’usine.
Là où on a failli, sans doute, c’est dans l’analyse et l’étude de la faisabilité. On a sous-estimé le temps requis pour faire la montée en production et on a surestimé le prix du marché. Ces deux éléments-là ont été démesurés. Ceux qui ont fait l’analyse ont tenu compte de la montée en production en 18 mois et de la vente des produits générés durant le démarrage et en réalisant un bénéfice. C’était idéalement difficile parce que Magnola était obligé, dès le départ, de produire avec une qualité exceptionnelle et de vendre tous ses produits sur le marché, sans tenir compte des fluctuations de celui-ci (un directeur de la qualité et des produits finis, cas 6).
Selon la perception des dirigeants rencontrés dans le cas 6, les conditions internes n’ont pas suffi
pour faire de la valorisation de la serpentine un succès comme l’avait planifié la haute direction de
260
l’entreprise multinationale. Deux facteurs majeurs semblent avoir joué un rôle déterminant dans
l’échec de l’écologie industrielle du cas 6 analysé. D’abord, l’augmentation du coût total du projet de
valorisation des résidus de serpentine. Ensuite, une mauvaise lecture des opportunités et des menaces
de l’industrie de magnésium à l’échelle mondiale, en particulier les considérations liées au pouvoir de
certains concurrents et aux barrières d’entrée dans l’industrie.
L’exemple du cas 6 de la production du magnésium à partir des résidus de la serpentine est sans
doute l’un des plus frappants à cause des impacts sur l’économie du pays et sur l’ensemble des
opérateurs économiques engagés dans le projet d’écologie industrielle mis de l’avant. Beaucoup
d’autres exemples moins spectaculaires montrent que la prise en compte des facteurs de succès a
conduit les dirigeants à ne pas considérer certaines initiatives d’écologie industrielle. Par exemple, le cas
9 du recyclage des batteries au plomb-acide a opté pour ne pas valoriser les cirages qui contiennent du
chlorure de plomb parce que ce n’est pas économique. Le problème ne se situe pas au niveau des
ressources parce que les cirages contenant du chlorure de plomb sont abondants; l’entreprise possède
assez de ressources financières et est prospère en ce domaine; le personnel est habileté étant donné
que valoriser les matières plombifères est sa vocation primaire; les procédés de pyro-métallurgie utilisés
sont parmi les plus modernes; et les structures de récupération et de pré-conditionnement
fonctionnent de façon excellente.
On pourrait prendre ici des cirages qui contiennent du chlorure de plomb, mais on ne les prend pas parce que ce n’est pas payant, ce n’est pas économique. Donc on ne prend pas ça (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Ainsi, par « succès de la valorisation résiduelle à l’échelle de l’entreprise », il convient d’entendre :
succès économique des pratiques de récupération et de transformation des sous-produits industriels.
Ce succès repose sur la mobilisation des ressources, la structuration des opérations, le développement
et la gestion des compétences organisationnelles et la rationalisation des méthodes de valorisation
résiduelle. Ce qui s’apparente au modèle proposé par Johansson (2002) portant sur les facteurs succès
de l’incorporation des considérations écologiques dans le développement des produits. Ce modèle
repose sur six dimensions critiques : la nature de la gestion mise en place, les relations avec les clients,
les relations avec les fournisseurs, le processus de développement des produits mis en place, le
développement des compétences organisationnelles et les facteurs motivationnels.
261
CHAPITRE 11
LES PROBLÈMES DE VALORISATION RÉSIDUELLE
Le présent chapitre présente et analyse les problèmes concrets que posent les pratiques de
valorisation résiduelle dans les cas étudiés. Ce qui répond à l’un des objectifs de la présente recherche,
celui de comprendre à partir de la perspective empirique et managériale les défis organisationnels et les
difficultés auxquelles les responsables font face dans la gestion quotidienne des pratiques de
valorisation résiduelle. Dans un premier temps, le chapitre tentera de montrer que l’un des problèmes
majeurs de la valorisation résiduelle se traduit par l’hyper-flexibilité fonctionnelle. Dans un deuxième
temps, à partir des liens établis tout au long de cette thèse entre les pratiques d’écologie industrielle à
l’échelle de l’entreprise et la recherche de l’opportunité, il proposera l’inventaire type des problèmes
particuliers à ces pratiques. Ce modèle s’appuie sur l’idée selon laquelle la nature de la récupération et
de la transformation des sous-produits industriels de la valorisation résiduelle constitue une industrie
singulière.
11.1. L’hyper-flexibilité fonctionnelle
La notion d’hyper-flexibilité fonctionnelle constitue un concept forgé à partir des entretiens
réalisés. Elle désigne toute situation qui se présente dans le processus d’utilisation des résidus comme
intrants principaux et qui exige des efforts soutenus d’adaptation de la part des dirigeants qui doivent
composer avec ce type de situation au niveau des différentes fonctions de l’entreprise. L’hyper-
flexibilité se présente comme étant l’un des problèmes majeurs de la valorisation résiduelle. Deux
points essentiels conduisent à cette conclusion. D’abord, la valorisation résiduelle constitue un type
particulier d’activités industrielles. Ensuite, à l’instar des pratiques de « reverse logistics », la valorisation
résiduelle prend la forme d’une activité stochastique (Guide, 2000).
262
11.1.1. La valorisation résiduelle comme type particulier d’activités industrielles
La valorisation résiduelle constitue un type particulier d’activités industrielles. Cette particularité
repose sur le fait d’utiliser et de transformer les sous-produits industriels et d’incorporer les
considérations environnementales dans les activités de production. Les résultats de l’étude montrent
que les pratiques actuelles de valorisation résiduelle reposent sur la restructuration continuelle des
opérations et des fonctions au sein des entreprises visitées. Ce qui se traduit par un processus long et
laborieux d’apprentissage organisationnel. Comme il a été mentionné plus haut, la majorité des
gestionnaires rencontrés tentent d’orienter leurs actions vers la productivité maximale par
l’expérimentation des procédés ou des diverses matières premières à introduire. Cette expérimentation
a guidé les dirigeants à choisir le type de procédé qu’ils utilisent actuellement.
Jusqu'à maintenant, les producteurs de magnésium ont utilisé plusieurs types de matière première pour produire du magnésium : l'eau de mer, les saumures, la carnallite, la dolomite et la magnésite. Notre usine est la première au monde à utiliser des résidus miniers comme matière première. Le choix de la technologie est donc dicté par cette particularité (un ingénieur des projets, cas 6)
Pourquoi est-ce que nous utilisons ce procédé ? C’est à cause des résultats que nous avons obtenus tout au long de notre expérience. C’est un procédé qui fait le travail voulu de façon excellente (un vice-président chargé des affaires commerciales, cas 9).
Nous utilisons le procédé premièrement en raison de la performance parce que c’est nous qui l’avons développé et qui l’avons amélioré. C’est une question de performance (un directeur général, cas 5).
Ces propos montrent que dans la plupart des cas, les initiatives de valorisation résiduelle ne
reposent pas sur des actions imprévues ou informelles visant à trouver des réponses à des situations
données. Elles constituent plutôt des efforts planifiés et mis en œuvre qui répondent aux critères de la
vocation résiduelle acceptés. C’est cet aspect de la vocation résiduelle qui justifie la valorisation
résiduelle en tant que corpus de stratégies, comme le propose la présente thèse. L’analyse des pratiques
de valorisation dans les cas étudiés montre que celles-ci représentent des exemples d’initiative
écologique. Trois considérations propres aux pratiques de valorisation résiduelle méritent d’être
rappelées ici. D’abord, les initiatives d’écologie industrielle font appel à des investissements lourds
pour permettre aux dirigeants de récupérer, de transformer, de créer de la valeur et de commercialiser
263
divers types de produits élaborés à partir de résidus. Ensuite, la récupération et la transformation
impliquent parfois des risques pour les gestionnaires. Ces risques sont souvent de nature humaine,
environnementale ou encore financière. Enfin, dans la majorité des cas étudiés, les initiatives éco-
industrielles ont pris naissance sous forme d’opportunités à saisir, d’innovation et de nouveaux
engagements dans la conduite des affaires ou encore d’actions volontaires entreprises en l’absence de
pressions réglementaires et sociales. En effet, la réglementation environnementale est perçue comme
une motivation se trouvant à la base des initiatives d’écologie industrielle.
11.1.2. La valorisation résiduelle comme une activité stochastique
La valorisation résiduelle repose, convient-il de le rappeler, sur la récupération et la
transformation sécuritaire des sous-produits et des matières résiduelles dans les procédés industriels.
En ce sens et comme il a déjà été spécifié ci-dessus, elle s’apparente en partie aux activités industrielles
et opérationnelles dans le domaine de la récupération des produits en fin de cycle de vie tels que les
ordinateurs, les imprimantes, les équipements médicaux ou encore les moteurs d’automobiles (Linton
et al., 2002; Rogers et Tibben-Lembke, 2001; Guide, 2000). Il est donc intéressant de noter que les
problèmes de « reverse logistics » s’apparentent à ceux de la valorisation résiduelle dans sa dimension
portant sur la récupération des sous-produits et des matières résiduelles.
Les conclusions des études portant sur les problèmes de « reverse logistics » (Guide, 2000;
Linton et al., 2002) indiquent que l’incertitude entourant le retour et la récupération des produits
rebutés constitue l’une des difficultés majeures de ces pratiques. Cette incertitude, connue sous le
concept de « stochastique37 » porte entre autre sur les dimensions de qualité et de quantité des matières
reçues, de temps nécessaire pour recevoir les produits rebutés et de variété de ces matières (Inderfurth,
2005). L’incertitude constitue la caractéristique générale de la gestion des sous-produits et des matières
résiduelles à introduire dans les procédés. À l’instar de la « reverse logistics », l’incertitude dans le
domaine de la valorisation résiduelle tient aussi à la qualité, à la quantité et aux conditions optimales de
réussite des opérations dans les procédés mis en place. Ce qui constitue une forme particulière
d’activité stochastique comme le souligne bien ce dirigeant.
37 Le Petit Larousse illustré définit le concept de stochastique en termes de phénomènes ou processus qui relèvent partiellement du hasard et qui font l’objet d’une analyse statistique.
264
En travaillant avec les matières résiduelles dangereuses, on n’achète pas une matière première qui rencontre une feuille de spécification, un standard. On reçoit des matières rebutées, disparates. Ça paraît simple, mais il faut trouver des manières de s’adapter constamment par rapport à ce que l’on reçoit. C’est différent de n’importe quelle industrie manufacturière. Ce qui demande une certaine variation au niveau de la manutention, une certaine flexibilité, même au niveau des recettes dans le four. Nous sommes obligés de faire de légers changements d’une recette à l’autre, ce qui demande une certaine flexibilité. Ce qui est différent, par exemple, dans le cadre du recyclage du plastique (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Les propos de ce dirigeant montrent la particularité des activités de valorisation résiduelle en
soulignant l’incertitude comme l’un des facteurs importants avec lequel les gestionnaires doivent
composer. Les résultats de l’étude montrent que dans l’ensemble, les dirigeants engagés dans la
valorisation résiduelle font face à des problèmes multiples qui varient selon les secteurs d’activité, les
matières résiduelles utilisées ou encore la localisation des entreprises. Ce qui se traduit par l’hyper-
flexibilité dans la gestion des processus d’affaires. En d’autres termes, l’efficacité de la valorisation
résiduelle repose sur la manière de s’adapter aux multiples circonstances atypiques qui caractérisent les
activités de récupération et de transformation des résidus industriels.
Les actions innovatrices dans la démarche de la valorisation résiduelle reposent sur
l’introduction de changements dans l’adoption d’un procédé ou dans l’introduction d’un nouveau type
de résidu dans le processus de fabrication industrielle. Ces changements embrassent l’ensemble de
l’entreprise comme un seul corpus. Quelle est alors la dynamique entourant la récupération et la
transformation des sous-produits industriels dans les cas étudiés? En d’autres termes, quelles sont les
difficultés auxquelles les dirigeants font face et comment tentent-ils d’y répondre? La section suivante
apporte des réponses à ces questions précises.
11.2. La dynamique de la valorisation résiduelle : difficultés
générales
Quelle est la dynamique de la valorisation résiduelle, c’est à dire les difficultés générales
auxquelles les gestionnaires font face? Dans l’optique d’identifier et de comprendre la nature de ces
problèmes, un effort a été fourni pour ne considérer que ceux qui touchent particulièrement la
valorisation résiduelle. Deux raisons principales justifient cette approche. D’abord, la présente étude
265
porte essentiellement sur la valorisation résiduelle et non sur l’ensemble de la production industrielle.
Ensuite, la présente thèse soutient que la valorisation résiduelle constitue une activité singulière en
comparaison avec les autres secteurs de l’activité industrielle. C’est ce qui est désigné par la double
transformation de la notion de déchet en suivant Eder (1996) qui, lui, conçoit la modernisation de
l’écologie par les actions introduites par les entreprises.
Étant donné la multiplicité de ces problèmes dans les cas analysés, un effort a été fourni pour les
regrouper sans pour autant minimiser ceux qui ne semblent pas être récurrents. Pour mieux
comprendre les difficultés de la valorisation résiduelle dans les cas étudiés, une classification sur deux
échelles est proposée. D’abord, l’échelle de l’ensemble de la gestion des processus en ce qui a trait aux
fonctions d’administration générale de l’entreprise, de gestion des opérations, de ventes et
d’environnement. Ensuite, l’échelle des éléments constitutifs de la valorisation résiduelle identifiés
comme introduction des matériaux, transformation, échange et développement des marchés.
La figure 14, à la page suivante, présente la matrice générale des difficultés de la valorisation
selon les perceptions des dirigeants. Les zones gris foncé représentent les difficultés majeures; la zone
gris clair représente les difficultés mineures et les zones représentées par les diagonales vers le bas
(blanc/noir) indiquent qu’aucun problème n’a été signalé par les gestionnaires. Au total, six zones de
problèmes ont été identifiées : administration générale des intrants; gestion opérationnelle des intrants;
gestion des aspects réglementaires; administration générale du processus de transformation; opérations
des opérations de transformation; et développement des marché et des ventes. L’analyse de chaque
zone de problèmes se centre sur deux facteurs : l’extension du problème identifié sur l’ensemble des
secteurs et des cas analysés (micro et macro) et l’intensité ou le niveau de force du même problème tel
que perçu par les gestionnaires interrogés (faible et forte).
266
Figure 14. Matrice des problèmes de la valorisation résiduelle
Cette perspective d’analyse permettra de préciser dans quelles mesures les différents obstacles
constituent des entraves au développement de l’avantage concurrentiel évoqué par Esty et Porter
(1998) dans la mise sur pied des initiatives de valorisation résiduelle. Cet avantage concurrentiel se
comprend à partir des deux dimensions de la valorisation résiduelle qui ont été déjà définies : l’axe
matériel et l’axe formel. Par exemple, une situation perçue comme de forte intensité à l’échelle intra-
entreprise est susceptible d’empêcher l’amélioration de l’indice de valorisation, l’intégration de
l’écologie et de l’économie de l’entreprise, le développement des compétences clés ou encore la mise
sur pied es structures des opérations résiduelles.
INT
RO
DU
CT
ION
T
RA
NSF
OR
MA
TIO
N
ÉC
HA
NG
E
MA
RC
HÉ
ADMINISTRATION GÉNÉRALE
OPÉRATIONS VENTES ENVIRONNEMENT
Bureaucratie Réceptivité sociale Transport frontalier
Formation des employés Recrutement de main-d’œuvre qualifiée Synergie entre les départements
Disparité des matières Variabilité des matières Manutention Irrégularité de l’approvisionnement Stockage des matières Humidité des matières
Arrêts-départs des équipements Équipement sur mesure Production non-standardiséeStandardisation des équipements Résidus non-valorisables
Concurrence avec les matières vierges Acceptation des produits écologiques Contrôle dans la commercialisation
Réglementation limitative Obtention de permis Interprétation des conventions Différences de normes Manque de définitions claires
GESTION DES PROCESSUS
267
11.2.1. Administration générale des intrants
Dans les cas étudiés, l’introduction des matières résiduelles comme intrants principaux dans les
procédés de production occasionne des problèmes au niveau de l’administration générale de
l’entreprise. Ces problèmes s’articulent autour de la réceptivité sociale et du transport frontalier. La
figure 15 montre que les problèmes liés au transport frontalier se traduisent par une faible intensité et
se situent à l’échelle « micro ». Par contre, ceux liés à la réceptivité sociale et à la bureaucratie sont
perçus avec une forte intensité et se situent à l’échelle « macro ».
Figure 15. Problèmes d’administration générale des intrants
Transport des matières résiduelles
L’introduction des matières résiduelles comme intrants principaux soulève souvent des
difficultés au niveau de la récupération des résidus qui proviennent de l’étranger, en particulier des
États-Unis. Ce problème est perçu comme étant de faible intensité et il se situe à l’échelle « micro »
dans la mesure où il a été soulevé seulement dans le cas 9 du recyclage des batteries au plomb-acide.
Ainsi, dans le cas 9, la difficulté réside dans le fait que certaines matières plombifères traversent la
frontière pour rentrer au Canada. Ces matières proviennent principalement des États-Unis.
INT
EN
SIT
É
EXTENSIONMicro Macro
Fai
ble
F
orte
Réceptivité sociale
Transport frontalier
268
On vit avec la réalité. Le transport se complique un peu quand on traverse la frontière. Quatre-vingt pour cent de nos activités se font avec les États-Unis. On a un service supplémentaire pour contrecarrer le problème qui se présente à nous en traversant la frontière avec les matières plombifères (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Selon les normes canadiennes en matière d’environnement, la gestion des matières résiduelles
relève principalement des autorités provinciales et territoriales (Environnement Canada). Les autorités
fédérales contrôlent cependant tout ce qui vient de l’extérieur et ont le droit d’interdire l’importation
des substances jugées dangereuses pour la santé et la sécurité de la population. La Loi sur la qualité de
l’environnement du Québec considère comme dangereuses les matières corrosives, explosives, gazeuses,
inflammables, comburantes, lixiviables, radioactives et toxiques. Les matières plombifères valorisées
par le cas 9 étudié rentrent donc dans cette catégorie. En effet, comme il est bien connu, les principaux
sels solubles du plomb, en particulier les nitrates et les acetates sont très toxiques. Le problème de
transport des matières plombifères auquel fait face le cas 9, bien que de faible intensité, touche
particulièrement la mise en application de la Loi fédérale sur le transport des marchandises dangereuses; le
Règlement provincial sur le transport des matières dangereuses; et, le Règlement provincial sur les matières dangereuses.
Ce dernier règlement, par exemple, oblige de confier les matières dangereuses à un transporteur
détenteur d’un permis. Ce qui pourrait expliquer le fait que le problème de transport des matières
plombifères dans le cas 9 est perçu comme étant de faible intensité.
Sur le plan stratégique, le problème de transport des matières résiduelles ne semble pas
compromettre le développement de l’avantage concurrentiel dans les activités résiduelles du cas 9. Le
fait de confier le transport de ces matières à un détenteur d’un permis selon les normes de la Loi fédérale
ci-dessus mentionnée permet à cette entreprise de mieux exploiter les liens avec ses partenaires. Ce qui
entre dans le cadre de renforcement des ententes commerciales basées sur la confiance mutuelle, le
partage des risques et compétence de chacun des partenaires. Ces aspects sont considérés comme étant
des caractéristiques principales de l’organisation en réseau selon Poulin, Montreuil et D’Amours
(2000).
269
Réceptivité sociale et incompréhension
L’un des problèmes majeurs au niveau de l’introduction des sous-produits industriels dans les
procédés est la réceptivité sociale. La réceptivité sociale apparaît comme un problème d’une forte
intensité à l’échelle « macro ». Dans la plupart des cas, la perception des pratiques de valorisation
résiduelle par la population en général est très négative. « Valorisation résiduelle » est souvent
synonyme d’odeur et de pollution de l’air, de l’eau et des sols. Dans certains cas, les citoyens se sont
opposés farouchement à des projets de valorisation jugés intéressants par les gestionnaires. Selon
plusieurs dirigeants, cette attitude montre que la population regarde la matière à utiliser en soi et
n’envisage pas les bénéfices de cette utilisation sur les plans écologiques et économiques de façon
générale. Ainsi, sur le plan stratégique, la réceptivité sociale freine le développement de l’avantage
concurrentiel (amélioration de l’indice de valorisation, développement de nouveaux procédés ou
encore de nouvelles compétences organisationnelles) des entreprises engagées dans la valorisation
résiduelle comme le montre ces dirigeants :
Dans l’état actuel des choses, les relations avec les citoyens sont bonnes et nous n’avons pas de difficultés. Il y a eu une époque où nous avons eu des difficultés : dans les années 1992, quand les cimenteries voulaient brûler les produits à valeur énergétique comme les pneus, les huiles usées, des BPC, des solvants, etc., il y a eu des problématiques environnementales subséquentes à cela. C’était à l’époque où la société n’était pas encore prête à reconnaître le bien-fondé de l’utilisation de certaines matières dans les industries comme les cimenteries. Beaucoup de matières à cette époque étaient considérées comme dangereuses. Les gens étaient réticents. À l’époque, il faut dire qu’on se préoccupait plus de la matière que de l’environnement comme tel. Aujourd’hui, le contexte est un peu différent. Il y a la préoccupation des gaz à effet de serre, du développement durable, des 3RVE, etc. Les gens sont prêts à accepter des compromis sous certaines conditions. Au niveau de l’industrie, nous sommes prêts aussi à accepter ces conditions-là, tant que les aspects économiques ne sont pas affectés (un directeur de l’environnement, cas 8).
Le problème le plus important est la perception sociale. La population qui vit autour de notre usine a entendu dire qu’on veut utiliser les matières résiduelles. Dans les années 1989-1999, on a tenté d’expliquer aux gens pourquoi on voulait essayer d’utiliser quatre familles de déchets : les huiles usées, les solvants chlorés, les BPC38et les déchets domestiques. Pendant près d’un an, la population s’y est opposée. Le projet consistait à brûler ces matières pendant une semaine afin de voir les résultats dans le cadre d’une étude d’impacts qu’on devrait présenter au ministère de l’Environnement. Ce qui est curieux dans cette affaire, c’est le fait que ce soit un groupe écologique qui
38 Biphényles polychlorés.
270
soit venu nous le proposer, parce qu’ils avaient entendu dire que cela pouvait se faire dans une entreprise comme la nôtre (un directeur du recyclage énergétique, cas 7).
La réceptivité sociale prend la forme d’une incompréhension, de la part de la population, des
pratiques de valorisation résiduelle. Ce problème est lié à celui de l’alarmisme de la part des groupes de
pression. Ceux-ci sont composés, en général, d’intellectuels provenant des sciences de la nature et de
l’environnement, en particulier des biologistes, des chimistes, des écologistes ou encore des géologues.
Ces groupes tentent souvent de remettre en cause les initiatives résiduelles en rendant public des
rapports scientifiques alarmants qui semblent contredire les données et les efforts des dirigeants
orientés vers la récupération et la transformation sécuritaire des divers sous-produits industriels.
Les relations avec les groupes environnementalistes sont restées très tendues. Pour eux, nous sommes une usine qui n’aurait pas dû être autorisée à opérer. Toujours avec la mentalité : « une molécule de plus est une molécule de trop ». Et une usine qui produit, même de façon accidentelle, des POPs ne devrait pas être autorisée à fonctionner (un coordinateur des relations avec les citoyens, cas 6)
Il y a 10 ans, c’était beaucoup plus difficile. Mais avec les progrès réalisés dans l’industrie des pâtes et papiers sur le plan environnemental, les relations avec les groupes de pression se sont beaucoup améliorées (un coordinateur à l’environnement, cas 11).
Ces propos montrent que, de façon générale, les relations entre les dirigeants et les groupes de
pression sont tendues. Cette tension prouve une fois de plus la singularité de la valorisation résiduelle.
Les entretiens montrent également que la réceptivité sociale évolue avec le temps. Le début des
activités de valorisation résiduelle occasionne souvent des difficultés avec la population et les groupes
écologistes. Avec le temps, les dirigeants sont appelés à convaincre la population pour que leurs
activités reçoivent son aval, et donc la légitimité sociale. L’une des façons de le faire est de continuer à
investir dans la « purification » des équipements en améliorant les systèmes de production et de rejets à
tous les niveaux. Ce qui apporte des coûts supplémentaires pour la planification des activités de
valorisation résiduelle. Ainsi, la réceptivité des pratiques d’écologie industrielle repose sur un contrat
social entre les entreprises engagées dans la valorisation et la société. À la base de ce contrat social se
trouve l’engagement des dirigeants à rendre « propres » leurs installations productives.
271
11.2.2. La gestion opérationnelle des intrants
L’introduction des matières résiduelles dans les procédés de fabrication apporte des difficultés au
niveau de la gestion des opérations. Ces difficultés apparaissent comme très intenses et se situent à
l’échelle « macro », comme le montre la figure 16. Elles s’inscrivent particulièrement : dans l’irrégularité
des approvisionnements, le stockage, l’humidité, la variabilité, la qualité ou encore la disparité; dans la
performance de certains secteurs industriels; dans le remplacement de certaines matières; et dans la
dépendance de l’industrie primaire. Si certaines de ces difficultés sont liées à la problématique de
développement des compétences de l’entreprise, elles sont présentées ici dans la perspective de
questions qui exigent des efforts particuliers de solutions, tout en sachant que dans la plupart des cas
étudiés, cette solution repose sur l’apprentissage collectif. Ces différentes difficultés constituent ainsi
des entraves au développement de l’avantage concurrentiel et gênent les entreprises engagées dans la
valorisation résiduelle.
Figure 16. Problèmes de gestion opérationnelle des intrants
INT
EN
SIT
É
EXTENSIONMicro Macro
Fai
ble
F
orte
Irrégularité des approvisionnements Stockage Humidité Disparité-Variabilité-
Qualité
Performancedes batteries
Délocalisation
Remplacement de certaines matières :
alumine
Dépendance de l’industrie primaire
272
Performance de certains secteurs et délocalisation
Le cycle de vie des batteries au plomb-acide a augmenté de quelques années. Cette performance
de l’industrie de fabrication des batteries est perçue comme une difficulté dans le cas 9 (recyclage des
batteries au plomb-acide) qui est confronté au problème de réduction des approvisionnements de ses
matières premières. Ce problème soulève des questions de haute performance des secteurs sur lesquels
dépend la valorisation résiduelle. En d’autres termes, la haute performance des secteurs primaires en
laissant très peu de déchets affecte les secteurs de valorisation résiduelle dans une certaine mesure. Le
cas 9 a résolu le problème en trouvant d’autres matières résiduelles à valoriser. À cela s’ajoute le
problème de délocalisation de l’industrie de fabrication primaire des batteries. Les grands producteurs
migrent vers le sud à la recherche des conditions favorables de fabrication, en particulier le coût de la
main-d’œuvre. Ces deux problèmes apportent des changements dans la disposition des matières
plombifères à valoriser. Ce qui montre que certaines activités de valorisation résiduelle peuvent
prendre des formes cycliques.
Qu’est ce qui nous limite dans l’achat des batteries actuellement? D’abord, il y a une certaine rareté sur le marché parce que le cycle de vie d’une batterie est passé de 3-4 ans à 6 ans. Ce qui fait qu’il y a moins de batteries à remplacer parce que celles qui sont dans les autos neuves sont plus durables. En plus, il y a une concurrence effrénée. Pour être capable, comme les grands producteurs américains, de baisser les coûts unitaires, il faudra être capable de travailler toujours « à la planche ». Donc ils achètent les batteries très cher; ils perdent plus d’argent. Nous le faisons de façon écologique. On ne fait pas de recyclage quand il n’y a pas d’argent à faire. C’est ça, notre principe, quitte à être obligé de diminuer nos dépenses (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Dépendance de l’industrie primaire
Si les problèmes de performance des batteries au plomb-acide et de délocalisation expérimentés
dans le cas 9 semblent être à l’échelle « micro », la dépendance des activités de valorisation résiduelle de
l’industrie primaire de fabrication se présente comme une difficulté à l’échelle « macro ». La raison
d’être de l’industrie de valorisation résiduelle est de récupérer et de transformer ce que les autres
rebutent. Cependant, cette même raison d’être semble représenter une problématique majeure : la
dépendance de l’industrie primaire de fabrication. Le recyclage des batteries au plomb-acide est
subordonné à la production et à l’usage primaire de ces mêmes batteries; la fabrication des divers
produits à partir du caoutchouc recyclé n’est possible qu’après la production et l’utilisation des pneus
273
par les automobilistes; les cimenteries remplacent l’alumine par des catalyseurs usés de raffinerie de
pétrole; etc. La dépendance inquiète les responsables, pour qui l’accumulation des déchets ou résidus
industriels tend à la baisse :
Vous soulignez un bon point. Nous dépendons de la production des batteries. Les batteries, il y en a de moins en moins produites au Canada, elles sont toutes produites aux États-Unis. Même dans le « open Northeast » aux États-Unis, ils ont tendance à migrer vers le sud-ouest, dans les États comme l’Alabama, le Texas, le Nouveau-Mexique, la Californie et dans le nord du Mexique où il se produit beaucoup de batteries. Cela nous a causé des problèmes, c’est évident (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
C’est vrai que les résidus viennent des entreprises qui en disposent. Cette dépendance sera toujours là et nous en sommes bien conscients (un directeur du recyclage énergétique, cas 7).
L’approvisionnement dépend en grande partie des entreprises qui génèrent des déchets industriels et donc des scories. Si elles ne réussissent pas, moi, je ferme. Comme pour le moment, notre principal fournisseur est sous la loi de la protection de la faillite (un directeur général, cas 5).
La relation irréversible de dépendance entre l’industrie de transformation primaire et la
valorisation résiduelle constitue l’essence même des pratiques de récupération et de transformation des
sous-produits industriels. Cette relation représente la rationalisation de l’ensemble des secteurs
industriels en ce qui touche la génération des déchets. D’une part, la récupération et la transformation
des sous-produits rallongent les activités industrielles. D’autre part, ce rallongement des activités
industrielles constitue un moyen de rompre le déséquilibre résiduel créé par la grande accumulation
des déchets industriels.
Remplacement de certains résidus
Le fait que les cimenteries jouissent d’un privilège d’utilisation d’une gamme de matières
résiduelles diversifiées a déjà été évoqué. Malgré cet avantage sur d’autres secteurs industriels étudiés,
les responsables éprouvent cependant des difficultés pour remplacer certaines matières
conventionnelles, en particulier l’alumine.
274
C’est sûr qu’il y a des difficultés pour trouver certaines matières qu’on aimerait bien. C’est dans le cas, entre autres, du remplacement de l’alumine. Il est très difficile de trouver des matières résiduelles qui contiennent de l’alumine. Il faut continuer à chercher (un directeur de l’environnement, cas 8)
Par exemple, la matière la plus chère que nous devons obtenir, ici, c’est l’alumine. Nous avons le calcaire, ici, à partir de la carrière. Le fer et la silice sont des produits que l’on trouve énormément dans beaucoup de produits. Dans le cas de l’alumine, c’est plus complexe et c’est difficile à obtenir. L’alumine se trouve dans des produits spécifiques et, en ce moment, il faut acheter des produits à valeur noble qui coûtent cher, environ 100 $ la tonne. Le prix est très élevé en comparaison de 20 $ la tonne d’un produit qui contiendrait du fer ou de la silice (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 7).
Ce problème semble lié à celui de la dépendance de l’industrie primaire. Dans ce cas, les
cimenteries comptent sur ce que les entreprises génératrices leur proposent comme résidus. Les
dirigeants n’ont pas de flexibilité en termes de choix de certaines matières conventionnelles qu’ils
aimeraient remplacer. La récupération et la transformation des résidus industriels sont limitatives en ce
sens. Si cet aspect traduit l’irréversibilité de la valorisation résiduelle, elle justifie également le manque
d’information sur la composition chimique des divers résidus, tel que soutenu par Allen (2002).
Comme bien des chercheurs l’ont montré, cette information est nécessaire pour connaître les
caractéristiques des résidus et elle pourrait conduire à identifier les potentiels d’utilisation dans d’autres
secteurs.
Approvisionnement saisonnier, stockage et humidité
L’irrégularité des approvisionnements dans le temps et dans le volume se présente comme l’un
des problèmes intenses vécus à l’échelle « macro » dans la valorisation des résidus industriels. Ce
problème constitue en même temps l’une des caractéristiques principales de cette industrie. Il est
particulièrement lié à la dépendance de l’industrie primaire. Les gestionnaires éprouvent donc de
sérieuses difficultés à planifier la production et ils doivent s’adapter de façon continuelle.
L’approvisionnement dans la valorisation résiduelle est saisonnier. Comme le soutient un dirigeant
interrogé, elle s’apparente à l’industrie des fraises.
Dans un temps très restreint, nous avons une réception très importante de pneus. Ce qui occasionne pour nous des problèmes d’entreposage des pneus, étant donné la
275
capacité d’accueil que nous avons ici. Il y a des normes selon lesquelles on ne peut pas dépasser tant de pneus, ici, dans la cour. Nous sommes contraints, dans ce cas, d’aller les entreposer ailleurs qu’ici. C’est un approvisionnement saisonnier, comme dans l’industrie des fraises (un directeur administratif, cas 2).
Il y a la difficulté d’avoir un approvisionnement stable, continu, d’une qualité exceptionnelle, d’uniformité. Donc, on parle de disponibilité du produit en grande quantité. On peut appeler cela la régularité de l’approvisionnement (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 7).
On n’est pas dans un domaine où l’approvisionnement est prévisible dans le temps. Nous sommes toujours appelés à nous ajuster au niveau des opérations, de l’approvisionnement et des recettes. Et cela demande beaucoup d’énergie pour toujours s’ajuster. Le niveau d’adaptation constant est le plus difficile dans notre secteur. Parce que ça devient difficile à prévoir (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Jusqu’à présent, il n’y a pas de problèmes. Nous bénéficions du programme de Recyc-Québec et on est subventionné par le gouvernement. Il est vrai que nous recevons des pneus de façon irrégulière par année, c’est-à-dire qu’il y a des périodes où le nombre de pneus qui rentrent est très supérieur à notre capacité d’entreposage, mais à part cela, il n’y a pas de problèmes (un directeur de la production, cas 2).
L’approvisionnement cyclique apporte comme conséquence des problèmes au niveau du
stockage et de l’humidité des matières résiduelles. Ces problèmes sont également perçus comme
intenses à l’échelle « macro ». L’approvisionnement ne tient pas souvent compte des structures
d’accueil des entreprises et les périodes massives d’approvisionnement ne sont pas non plus
prévisibles. Leur entreposage répond à certains critères des ministères de l’Environnement auxquels les
entreprises doivent répondre, de façon précise l’article 70.9 de la Loi sur la qualité de l’environnement et le
chapitre IV du Règlement sur les matières dangereuses. Dans la majorité des cas, les entreprises sont
contraintes de sous-traiter le stockage des matières supplémentaires ou encore d’embaucher du
personnel occasionnel pour accélérer leur traitement. Ce qui est source d’autres difficultés au niveau de
la planification des opérations et de la production. L’humidité des matières résiduelles reçues constitue
une autre conséquence de l’approvisionnement saisonnier. Dans la plupart des cas, recevoir des résidus
pendant le temps d’hiver est source de plusieurs difficultés dans la mesure où l’humidité est l’ennemi
numéro un de la plupart des équipements industriels. Ce qui non seulement prolonge le procédé dans
la mesure où les résidus doivent être séchés et nettoyés, mais également ce qui augmente le risque
d’endommager les équipements et de ne pas obtenir la qualité de produit voulue.
276
Je dirais qu’il y a deux difficultés majeures : l’espace que ça prend pour accumuler une certaine quantité de matière et faire les mélanges; l’autre difficulté, c’est la question des saisons. Dans le premier cas, lorsqu’on reçoit les matières, ça prend nécessairement de l’espace disponible pour les stocker, les emmagasiner (parfois jusqu’à cinq produits différents que l’on mélange, que l’on traite, que l’on nettoie, dont on enlève les saletés, les métaux), chercher à connaître la composition chimique et physique de chacune d’elles, les ramener à une composition chimique acceptable et le moins variable possible, les nettoyer, éliminer les métaux contenus dans ces matières, faire de l’homologation pour les rendre à un certain degré de qualité avant d’être utilisées comme produits alternatifs. Dans le deuxième cas, la difficulté réside dans le fait qu’il y a l’hiver avec le froid excessif, l’été avec la chaleur, le printemps et l’automne avec les pluies. Composer avec ces quatre saisons, c’est l’enfer et cela dépend aussi de la nature des matières que l’on doit traiter (un technicien de l’approvisionnement, cas 8).
Il y a cependant des difficultés liées au facteur « saison » : quand c’est l’hiver, il y a des problèmes parce que la plupart des matières arrivent ici humides, etc., et donc, il y a des difficultés au niveau de la manipulation. Il y a, au niveau des opérations et de l’approvisionnement, l’humidité des matières. La présence de l’eau dans les matières. Plus l’humidité est grande, plus nos problématiques sont énormes. Nous amenons des tolérances maximums qui sont parfois critiques et qui peuvent nous occasionner des problèmes énormes. Nous finissons par trouver des solutions, mais cela nous donne beaucoup de difficultés et il faut faire de la gymnastique opérationnelle chaque fois qu’un problème se présente (…) Cela fait qu’un produit est à la limite de devenir économique (un directeur de l’environnement, cas 8).
Du point de vue de la production, nous rencontrons beaucoup de problèmes au niveau de l’entreposage de nos matières premières. Par exemple, s’il y a beaucoup d’humidité, cela affecte beaucoup la qualité de nos produits finis (un directeur de la production, cas 2).
Les problèmes d’approvisionnement saisonnier, de stockage et d’humidité se présentent comme
des défis majeurs pour les gestionnaires engagés dans la valorisation résiduelle. Ce qui montre une fois
de plus la singularité de la valorisation résiduelle en comparaison avec les autres secteurs de production
industrielle. Dans la production industrielle standardisée, les matières premières introduites sont moins
susceptibles d’endommager les équipements. En plus, la qualité de ces matières est plus au moins
connue à l’avance. Ce qui permet de connaître également à l’avance, à quelques degrés près, la qualité
des produits élaborés. Ce qui n’est pas le cas dans la valorisation résiduelle.
« Cela dépend de la nature des matières que l’on doit traiter (…) plus l’humidité est grande, plus
nos problèmes sont énormes (…) Par exemple, s’il y a beaucoup d’humidité, cela affecte beaucoup la
qualité de nos produits finis… ». Ces propos montrent que la valorisation résiduelle implique un autre
277
type de risque : le risque résiduel intrinsèque. C’est bien là le risque associé à la qualité des produits
élaborés à partir des matières résiduelles en tenant compte des difficultés de manutention de ces
matières.
Bon nombre de travaux sur l’écologie industrielle, en particulier ceux de Kleindorfer (2002),
insistent sur le risque lié à la santé, à la sécurité et à l’environnement (Safety, Health, and
Environment). Par exemple, les concepts d’analyse du cycle de vie des produits, de nouvelle
conception des produits et des procédés, de prévention de la pollution, etc. rendent intelligible le
risque santé-sécurité-environnement. Le risque résiduel intrinsèque n’est pas encore évoqué dans ces
travaux. En effet, les concepts d’approvisionnement saisonnier, d’humidité et de disparité des matières
permettent de mieux comprendre la portée du risque résiduel intrinsèque.
Disparité des matières résiduelles
La gymnastique professionnelle de la valorisation résiduelle est également intense et elle se fait au
niveau « macro » en ce qui a trait à la disparité des matières résiduelles récupérées. En d’autres termes,
les résidus qui rentrent pour être traités présentent des caractéristiques très variées quant à leurs formes
et à leur qualité. La disparité des matières est synonyme de variabilité. Cet aspect semble être l’une des
caractéristiques principales de l’industrie de la valorisation résiduelle. Elle est source de plusieurs
difficultés liées (et donc de frein du développement de l’avantage concurrentiel), particulièrement, à
l’obtention des résultats escomptés, au contrôle de la qualité des matières qui rentrent dans les
procédés et au risque d’augmentation des niveaux de pollution.
D’abord, assurer le contrôle de ce qu’on reçoit. Quand on utilise les matières nobles, la qualité est standard en terme général. Si tu vas dans une mine et que tu achètes un type de calcaire ou de gypse, tu es au moins sûr de la qualité. Mais en matière de produits alternatifs, c’est très variable. Le grand défi, c’est le contrôle de la qualité de ce que l’on reçoit. Parce que cela peut avoir des impacts sur la qualité du produit. C’est sûr que ces matières sont très intéressantes sur le plan financier, mais on augmente le risque au niveau de la qualité du produit, on augmente le risque au niveau de l’environnement, on augmente le risque au niveau de la santé-sécurité. Ce qui implique la mise sur pied d’une mécanique pour s’assurer réellement de ce qu’on reçoit et de ce qu’on peut faire avec. Il ne faut pas attendre que ça soit rendu dans le four pour se rendre compte qu’on n’aurait pas dû l’utiliser (un coordinateur à l’environnement, cas 8).
278
La variabilité des matières résiduelles augmente le risque résiduel intrinsèque. Le développement
des compétences pour gérer la variabilité des matières et contrôler la qualité des intrants constitue l’une
des formes de composition avec cette difficulté. Ce qui justifie l’hyper-flexibilité évoquée un peu plus
haut. Les pratiques des cas 7, 8, 9 et 11 montrent que l’adoption des normes de type ISO 9001 ou ISO
14001 semble permettre aux entreprises engagées dans la valorisation résiduelle de mieux documenter
leurs procédures et d’améliorer la performance de celles-ci en termes de gestion de la variabilité ou de
la disparité des matières.
11.2.3. La gestion des aspects réglementaires
L’introduction des sous-produits dans les procédés apporte des difficultés au niveau de la gestion
des aspects réglementaires de l’entreprise. Ces difficultés sont perçues comme intenses et elles
touchent la majorité des cas étudiés. Étant perçues comme intenses, elles constituent des freins au
développement de l’avantage concurrentiel. Elles sont définies par les responsables interrogés en
termes de réglementation limitative, de difficultés pour obtenir des permis pour opérer ou pour utiliser
des matières, de différences de réglementation selon les secteurs industriels et les provinces, et de
manque de définitions claires des concepts utilisés dans les réglementations (figure 17).
Figure 17. Problèmes de gestion des aspects réglementaires
Réglementation limitativeManque de définitions claires
Obtention de permis Différences de réglementation
INT
EN
SIT
É
EXTENSIONMicro Macro
Fai
ble
F
orte
Réglementation limitative Manque de définitions claires
Obtention de permis Différence de réglementation
279
Réglementation limitative, rigidité et définition confuse des concepts
La majorité des dirigeants rencontrés soutiennent que, dans l’ensemble, les lois, réglements et
guides gouvernementaux (provincial et fédéral) qui traitent de la gestion des matières résiduelles sont
limitatifs. Ils manquent de flexibilité. C’est le plus grand problème souligné par la majorité des
dirigeants. Les autres problèmes cités dans cette catégorie se présentent comme des conséquences
logiques du caractère limitatif des réglementations environnementales. Les responsables rencontrés ont
en effet évoqué plusieurs réglementations qui traitent des questions environnementales. Au niveau
fédéral, en particulier, la Loi fédérale sur le transport des marchandises dangereuses. Au niveau provincial, la Loi
sur la qualité de l’environnement, le Règlement sur les matières dangereuses, le Règlement sur le transport des matières
dangereuses et le Règlement sur les déchets solides, entres autres. Ces Lois et Règlements visent en particulier les
activités de transport, entreposage, élimination, valorisation, gestion, traitement et récupération des
matières résiduelles.
La dimension la plus difficile aujourd’hui, c’est faire affaires avec le ministère de l’Environnement. Je pense que la réglementation environnementale est très limitative (un directeur du recyclage énergétique, cas 7).
Ce que je vous dis, c’est que la réglementation a été construite en fonction de modes de gestion que l’on avait il y a 15 ans. Lorsqu’on veut essayer d’améliorer le sort des déchets, on est pris avec ces mêmes réglementations qui deviennent des entraves à faire des choses beaucoup plus intelligentes avec les déchets (un directeur de l’environnement, cas 8).
La limitation imposée par ces différents Règlements et Lois prend également la forme d’une
frontière qui sépare deux mondes qui se réclament de l’écologie industrielle. D’une part, les
fonctionnaires des différents ministères touchés par la mise en œuvre des pratiques d’écologie
industrielle, en particulier les ministères de l’Environnement, de l’Agriculture, de l’Industrie et des
Transports. D’autre part, les dirigeants et les gestionnaires des entreprises engagées dans la valorisation
résiduelle.
Nous avons investi plusieurs milliers de dollars dans des projets de recherche et développement dans le but de se battre contre les fonctionnaires du ministère de l’Environnement qui ne bougeaient pas. Ils prêchent les 3RV, mais ils ne les mettent pas en pratique. Nous sommes arrivés plusieurs fois avec des projets concrets, mais on a été freiné. On nous impose des conditions difficiles qui n’ont parfois rien à voir avec
280
ce que nous faisons. C’est ça, notre principale problématique (un directeur général, cas 5).
Ce caractère limitatif de la réglementation environnementale ne semble pas entrer en conflit avec
la rigueur avec laquelle les lois doivent être appliquées. Les dirigeants interrogés reconnaissent la
pertinence de la rigueur des normes environnementales. Le problème se situe plutôt au niveau de la
définition des concepts utilisés dans la réglementation et de l’interprétation de ceux-ci. La majorité des
gestionnaires soutiennent que cela devient inquiétant, voire alarmant, lorsque les fonctionnaires des
ministères eux-mêmes ne semblent pas être en mesure d’expliquer, en termes techniques clairs, la
raison de telle ou telle norme. À titre d’illustration, selon les responsables du cas 5 rencontrés, les
stériles miniers traités et valorisés peuvent être faibles en apport de lixiviation comme le sont les
stériles des carrières et sablières. Seulement parce qu’ils sont classés « résidus miniers », ils sont sujet à
un contrôle plus sévère que le sont les carrières et sablières. Ce qui montrerait, selon plusieurs
répondants, une certaine « incompétence technique » dans la compréhension et l’interprétation des
différentes normes. Cela marque également la frontière qui semble séparer les deux mondes : celui des
fonctionnaires et celui des dirigeants engagés dans la valorisation résiduelle. Dans la plupart des cas, les
dirigeants ont tenté de démontrer, par des exemples concrets, ce manque de clarification des termes.
Le problème n’est pas au niveau de la réglementation, mais au niveau du fonctionnaire qui l’interprète à sa façon. Ce sont des gens très fermés. Si tu leur demandes sur quoi est basée la norme, ils ne savent pas. Ils ne savent pas d’où viennent les normes, le pourquoi c’est 100 et non pas 150 ppm; ils vont dire que c’est parce qu’ailleurs, ils ont trouvé ça comme ça, et ils pensaient que c’était bon pour l’environnement (un directeur général, cas 5).
Le gros de mon problème se situe donc au niveau de la réglementation et de son interprétation des fonctionnaires de l’Environnement. J’ai des produits là et je ne peux pas les mettre sur le marché parce qu’il manque une autorisation, ou une clause n’a pas été bien spécifiée. Un même produit est défini de façon différente selon les contextes, même s’il contient les mêmes spécificités. C’est le double train qu’apportent certains fonctionnaires du ministère de l’Environnement. Ça prend des études pour démontrer que tel produit, utilisé dans tel secteur, peut être aussi utilisé dans d’autres, même si la réponse est claire (un directeur général, cas 5).
281
Obtention des certificats d’autorisation
Selon les responsables rencontrés, la longue période d’attente reliée à l’obtention des certificats
d’autorisation, pour utiliser certaines matières ou encore pour mettre sur le marché les produits
élaborés à partir de ces matières résulte des problèmes entourant la gestion des aspects
environnementaux évoqués ci-dessus. En termes clairs, il n’est pas facile de traiter avec les
responsables des différents ministères sur des questions techniques touchant l’environnement et les
normes. Ce problème est perçu comme intense et se situe au niveau « macro ». Ce qui est paradoxal,
c’est le fait que le gouvernement, aux échelles provinciale et fédérale, tente de promouvoir les pratiques
de l’écologie industrielle. Cependant, l’attitude de ce même gouvernement, à travers ses fonctionnaires,
semble se contredire en freinant des initiatives jugées bénéfiques et justifiables sur les plans
environnemental et économique. La plupart des dirigeants attribuent cette question à un manque
d’engagement à la fois économique et environnemental de la part des gouvernements. Les questions
environnementales semblent donc créer des conflits entre la volonté politique et économique. C’est en
tout cas la perception des dirigeants rencontrés :
À mon avis, le problème est politique. Le gouvernement encourage certaines idées sous la pression des citoyens, mais il n’arrive plus à les concrétiser au moment de la vérité. Il y a là un manque de volonté économique. Je dirais qu’il y a des écarts entre la volonté politique et la volonté économique (un vice-président chargé des opérations, cas 3).
Un autre problème, c’est la mise en marché des produits. Quand nous avons développé un nouveau produit, il est difficile de le mettre sur le marché parce que le ministère de l’Environnement n’a pas encore émis le certificat d’autorisation qui était supposé être déjà là. Et comme il s’agit d’un sable de filtration pour les piscines, la période où les gens achètent ce produit est passée. Il faudra donc attendre l’année prochaine, ce qui implique des coûts supplémentaires pour le stockage de tout ce qui était déjà produit (un directeur général, cas 5).
La longue période d’attente reliée à l’obtention des permis est également perçue comme une
conséquence de la bureaucratie et de la « paperasse » au niveau des différentes instances
gouvernementales, en particulier les ministères de l’Environnement, de l’Agriculture, du Commerce, de
l’Industrie ou du Transport aux échelles locale et nationale. La majorité des dirigeants attribuent cette
attitude de l’appareil public au seul fait qu’il s’agit d’activités de valorisation résiduelle. En d’autres
termes, valoriser ou utiliser des déchets génère de nombreux documents à fournir, des étapes à
282
franchir ou encore des preuves à montrer. Le problème majeur semble se situer au niveau de la lenteur
et de la lourdeur de l’administration publique.
Nous sommes parfois frustrés par les problèmes de bureaucratie. C’est parfois très long pour franchir toutes les étapes exigées pour commencer à utiliser telle ou telle matière dans nos procédés. Et quand le gouvernement exige, dans certains cas, des études d’impacts, cela prend encore beaucoup plus de temps. Mais on sait vivre avec (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 7).
Le caractère bureaucratique des relations entre les entreprises de valorisation résiduelle et les
instances gouvernementales semble s’opposer aux caractéristiques de l’environnement dans lequel
évoluent les entreprises d’aujourd’hui. Cet environnement se caractérise en particulier par la rapidité
dans la prise des décisions stratégiques et par l’ajustement aux différents contextes en vue d’être plus
compétitif. La lourdeur de l’appareil de l’État en ce qui touche les différents ministères ne facilite pas,
pour les dirigeants engagés dans la valorisation résiduelle, la tâche de répondre aux exigences de
compétitivité. La bureaucratie constitue en ce sens un frein au développement économique des
régions.
Vers des réglementations environnementales adaptées à la valorisation résiduelle?
La problématique des réglementations environnementales face aux initiatives de valorisation
résiduelle constitue un aspect important du développement de l’écologie industrielle (Graedel et
Allenby, 1995; Frosch, 1997; Allenby, 1999a; Allen, 2002). L’objectif principal de cette section est
double : d’une part, analyser, à partir d’une perspective concrète et empirique, le caractère limitatif de
l’ensemble des Lois et Réglementations en vigueur et, d’autre part, montrer les conditions nécessaires de
l’aggiornamento39 de l’ensemble des lois en vigueur (tableau 15 : adaptation d’une fiche technique du
Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel-Tracy, au Québec) pour la
promotion des pratiques de valorisation résiduelle dans les entreprises. Dans un premier temps, les
types de réglementations environnementales seront proposés. Dans un deuxième temps, des
propositions pour l’adaptation des normes environnementales aux pratiques de valorisation résiduelle
seront faites.
39 Pris dans le sens de « mise à jour ».
283
Tableau 15. Lois, règlements et guides gouvernementaux qui traitent de la gestion des matières résiduelles inorganiques (adaptation du Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel-Tracy)
Activités visées Lois, règlements et guides Commentaires généraux
TRANSPORT
Loi sur le transport des marchandises dangereuses (fédérale, 1992) Règlement sur les matières dangereuses (provincial) Règlement sur le transport des matières dangereuses (provincial)
Traite de la signalisation, des règles de sécurité, des contenants et du plan d’intervention d’urgence. Obligation de confier ses matières dangereuses à un transporteur titulaire d’un permis. Couvre la plupart des aspects relatifs au transport.
ENTREPOSAGE
Loi sur la qualité de l’environnement (article 70.9) (provinciale) Règlement sur les matières dangereuses (chapitre IV) (provincial)
Obligation d’obtenir un permis pour l’entreposage de matières dangereuses reçues d’un tiers. Traite spécifiquement de l’entreposage de matières dangereuses résiduelles.
ÉLIMINATION
Loi sur la qualité de l’environnement (provinciale) Règlement sur les déchets solides (provincial)
La section VII traite des aspects relatifs à l’élimination des matières résiduelles (plan de gestion, normes d’exploration d’un site). Vise particulièrement la gestion et l’opération des sites d’élimination (définitions, récupération, compostage, certificat d’autorisation, garanties financières).
VALORISATION
Loi sur la qualité de l’environnement (provinciale) Règlement sur les matières dangereuses (provincial) Guide de valorisation des matières résiduelles inorganiques non dangereuses de source industrielle comme matériau de construction (provincial) Guide sur la valorisation des matières résiduelles fertilisantes (MRF) (provincial)
L’article 53.1 définit le terme « valorisation ». La section VII met l’accent sur la valorisation des matières résiduelles. Le chapitre 3 donne des dispositions relatives à l’utilisation de matières dangereuses comme source d’énergie. Basé sur une caractérisation exhaustive des matières résiduelles, le guide vise à favoriser et à faciliter la valorisation des matières résiduelles. Sert à déterminer si une activité de valorisation de MRF est assujettie à une demande de certificat d’autorisation et à préciser les normes et les critères applicables.
GESTION DES MATIÈRES
Loi sur la qualité de l’environnement (provincial) Règlement sur les matières dangereuses (provincial) Politique québécoise de gestion des matières résiduelles
Obligation de tenir un registre des matières dangereuses. Obligation de préparer un bilan annuel de gestion pour les matières résiduelles. Définit le contenu du bilan annuel. Introduction de la politique québécoise de gestion des matières résiduelles. Ce guide a pour objectif de favoriser la gestion adéquate de ces matériaux de façon à limiter les impacts sur l’environnement.
TRAITEMENT
La gestion des matériaux de démantèlement : guide de bonnes politiques (provincial) Guide de gestion des matières résiduelles à l’intention des dirigeants de PME (fédéral et provincial)
Conçu afin de permettre aux gestionnaires de PME de développer et d’implanter un programme de gestion des matières résiduelles sur mesure. Obligation d’obtenir un permis ou un certificat d’autorisation pour traiter des matières dangereuses selon l’article 70.9, 2e alinéa.
RÉCUPÉRATION
Règlement sur les déchets solides (provincial)
Encadre la plupart des aspects relatifs à la récupération des déchets mélangés.
284
Dans le but de mieux comprendre la problématique des réglementations environnementales
face aux initiatives d’écologie industrielle dans les cas étudiés, il convient de jeter un regard sur
l’ensemble des outils de gestion de l’environnement développés et mis en œuvre par les instances
gouvernementales. L’analyse de l’application des réglementations actuelles à la lumière des exemples
fournis par les gestionnaires rencontrés mène à deux constats.
D’une part, il y a le dynamisme des lois et réglementations environnementales. En effet, depuis
les années 1970, les préoccupations mondiales au sujet de la gestion, du traitement, de la réduction et
de l’élimination des déchets, surtout des déchets dangereux, ont accéléré, dans la plupart des pays
industrialisés, la mise sur pied des règlements et des politiques de contrôle de ces derniers dans le but
de mieux protéger la santé des hommes et de mieux préserver l’environnement. Ces différents
mécanismes de contrôle sont marqués par des changements et des ajustements au fil du temps. Ces
ajustements reposent pour l’essentiel sur des mesures correctives compte tenu des objectifs à atteindre
en rapport avec l’application des réglementations environnementales. À titre d’exemple, la Convention de
Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers et l’élimination des déchets dangereux, signée en
mars 1989, a subi des modifications portant sur les listes des matières considérées comme dangereuses.
Il en va de même pour la Loi canadienne sur la protection de l’environnement promulguée en 1998 et pour la
Loi provinciale sur la qualité de l’environnement en vigueur depuis 1972 (Ressources naturelles Canada).
D’autre part, la relation souvent antagonique entre les décideurs et les dirigeants d’entreprises
industrielles dont les opérations principales sont touchées par la mise en application des politiques de
contrôle et de prévention de la pollution aux niveaux des compétences municipales, provinciales ou
fédérales. Comme le montrent les entretiens réalisés, et indépendamment des secteurs d’activités, cette
relation adverse indique tout simplement que, dans l’ensemble, les différentes politiques en matière
d’environnement ne rejoignent pas encore les activités d’écologie industrielle. Ce qui appuie les
constats selon lesquels l’adoption de nouvelles réglementations environnementales est souvent source
de conflits entre les décideurs et les dirigeants industriels (Kinsman, 2000; Masera, 2000; Sankovski,
2000). Pourquoi les différentes politiques environnementales ne s’adaptent-elles pas aux pratiques de
valorisation résiduelle? Pour tenter de répondre à cette question, il convient de jeter d’abord un regard
sur les types de réglementations environnementales en vigueur. Pour ce faire, une analyse des variables
ou facteurs typiques des réglementations environnementales s’impose. Cette analyse permettra
d’identifier des facteurs décisifs dans l’évolution ou l’adoption de l’ensemble des politiques
réglementaires en matière de gestion de l’environnement.
285
Les types de réglementations environnementales
L’exploration de l’application des réglementations actuelles à la lumière des exemples fournis
par les gestionnaires rencontrés montre que deux facteurs jouent un rôle déterminant dans le
développement ou la formulation de ces réglementations. D’une part, les contextes dans lesquels ces
réglementations sont développées. D’autre part, les modalités d’application des outils de gestion de
l’environnement aux niveaux municipal, provincial ou encore fédéral. C’est autour de ces deux axes
que s’articule la compréhension de la problématique des réglementations environnementales face aux
initiatives d’écologie industrielle dans les cas étudiés.
En premier lieu, il y a les contextes (historique, politique, socioculturel, économique,
environnemental, technique ou scientifique) dans lesquels les différentes réglementations
environnementales sont développées. Ces contextes reposent sur les perceptions évolutives et les
connaissances précises en matière d’environnement qu’ont les différents acteurs responsables de la
conception des réglementations. Josephson (1993) a identifié les liens qui existent entre la formulation
des réglementations environnementales, les pressions du public de façon générale et les connaissances
scientifiques dans les cas des législations portant sur le smog et sur l’eau potable dans l’État du
Wisconsin aux États-Unis. Pour leur part, Thomassin et Cloutier (2004) ont évoqué les mêmes liens
dans l’évolution des réglementations environnementales dans le cas des activités de production de porc
au Québec.
Lorsque les outils d’analyse et de planification qui aident les gouvernements à prendre des
décisions reposent sur des approches idéologiques, politiques ou écologiques, il y a une juxtaposition
de logiques parallèles. Cette première situation se caractérise par une vision multidimensionnelle de la
problématique environnementale reposant sur le concept de développement durable, de multiplicité
des intérêts des différents acteurs ou de volonté politique de légiférer en matière de protection des
écosystèmes naturels. Cependant, lorsque les outils d’analyse et de planification qui aident les
gouvernements à prendre des décisions reposent sur la mise en commun des connaissances acquises et
des approches environnementales, économiques, juridiques ou scientifiques, il y a une intégration de
logiques. Cette situation se caractérise par la recherche de l’amélioration de l’efficience de la gestion
des déchets et par le contrôle des activités de transport, l’entreposage, le traitement, la valorisation ou
l’élimination des matières résiduelles. Ici, la volonté politique est remplacée par l’engagement à la fois
politique et économique.
286
En deuxième lieu, il y a les modalités d’application des outils de gestion de l’environnement. Ces
modalités peuvent reposer sur des procédures qui s’imposent sur l’ensemble des secteurs d’activités
industrielles ou sur des secteurs agencés d’activités industrielles (Frosch, 1997). Les efforts des
gouvernements pour se doter d’outils de protection de l’environnement et de promotion des pratiques
de valorisation résiduelle évoluent dans le temps et peuvent être représentés par un modèle qui
comprend trois types de réglementations (figure 18) : écolo-politique, techno-écologique et éco-
industriel ou rationnel. L’aggiornamento se traduit par la formulation des réglementations éco-
industrielles ou rationnelles. La rationalité s’entend ici par l’adaptabilité de ces réglementations aux
réalités des pratiques de valorisation résiduelle des secteurs industriels concernés.
Figure 18. Types de réglementations environnementales
Le premier type de réglementations environnementales est écolo-politique. De façon générale,
les réglementations sont formulées dans les contextes de juxtaposition de logiques parallèles et de
recherche d’outils de protection de l’environnement dont les modalités s’imposent à l’ensemble des
CO
NT
EX
TE
S
Juxt
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giqu
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aral
lèle
s
MODALITÉS D’APPLICATION
Ensemble des secteurs industriels
Secteurs industriels agencés
Éco-industrielles ou rationnelles
Loi sur le développement durable (en vigueur depuis le 13 avril 2006)
Inté
grat
ion
de lo
giqu
es
Écolo-politiques
Loi sur la qualité de l’environnement (1972) Règlement sur la qualité de l’atmosphère (1981) Règlement sur les usines de béton bitumineux (1981) Règlement sur les fabriques de pâtes et papiers (1992)
Techno-écologiques
Loi sur la qualité de l’environnement (modifications Section VII, articles 53.3, 2° et 53.3, 4°) Politique québécoise de gestion des matières résiduelles (1998-2008) Règlement sur les matières dangereuses Règlement sur le transport des matières dangereuses
287
secteurs d’activités industrielles, tel que celui des pâtes et papiers. Ce qui conduit aux réglementations
de type écologique. En ce qui concerne les activités de valorisation résiduelle, ces réglementations
environnementales visent d’abord et avant tout le « nettoyage » de l’environnement et l’élimination de
la pollution. La plupart des outils normatifs conçus dans les années 1980 rentrent dans cette catégorie :
Règlement sur la qualité de l’atmosphère, 1981; Règlement sur les usines de béton bitumineux, 1981; Règlement sur les
fabriques de pâtes et papiers, 1992 (Environnement Canada). Avec le temps et les progrès technologiques
et scientifiques, ces réglementations se sont avérées très limitées et inadaptées aux situations concrètes
des entreprises industrielles de valorisation résiduelle. Cette situation a abouti, après la consultation
publique de 1987 au Québec, à l’adoption en 1989 de la Politique de gestion intégrée des déchets solides. Cette
politique prévoyait, comme l’explique Colonna (2005), la mise en œuvre d’un ensemble de mesures et
de programmes gouvernementaux, en particulier la révision du cadre réglementaire, dans le but
d’adapter ces programmes aux objectifs de gestion des déchets fixés par le gouvernement québécois.
Cette révision était indispensable compte tenu de l’évolution des pratiques de valorisation résiduelle au
Québec. Il convient de rappeler ici que la plupart des cas de valorisation des matières résiduelles
analysés étaient en opération depuis le début des années 1980. Or, comme le soutient Frosch (1997), la
valorisation résiduelle et le recyclage sont encore victimes des réglementations conçues pour
l’élimination des déchets, ce qui pose souvent le problème d’incohérence et d’inadaptation de ces
mêmes réglementations.
À titre d’exemple, le rapport de la Commission sur la gestion des matières résiduelles au Québec (1997)
montrait les insuffisances de l’approche de gestion des matières centrée sur l’élimination et
l’enfouissement en proposant une autre approche de gestion des matières résiduelles centrée plutôt sur
la valorisation :
La présence de matières résiduelles et la façon dont on en dispose créent des problèmes à divers égards. L’élimination des résidus par enfouissement et par incinération entraîne des formes de pollution et le gaspillage des ressources. La gestion des résidus donne lieu à des conflits entre les différents acteurs concernés (Rapport du BAPE, 1997, p. 3).
La nécessité de développer des outils adaptés aux réalités environnementales et industrielles a
conduit à l’élaboration de réglementations environnementales du deuxième type : techno-écologique.
Des experts des différentes disciplines liées à l’environnement (environnementalistes, économistes,
scientifiques ou juristes) travaillent de concert et tentent d’apporter des contributions actualisées
288
pouvant aider à corriger les insuffisances et inadaptations des réglementations de type écologique. Les
différentes modifications apportées aux réglementations et lois dans les années 1990 en constituent des
exemples. La Loi sur la qualité de l’environnement de 1972, par exemple, qui porte sur l’identification, le
contrôle et la prévention de la pollution, a apporté des modifications importantes en matière de
gestion de l’environnement. Quatre points principaux méritent d’être soulignés en suivant Colonna
(2005).
D’abord, le remplacement du terme « déchets » par celui de « matières résiduelles » (chapitre I,
section I) reflète un changement de vision dans la gestion des déchets générés. Cette vision considère
désormais les déchets comme des ressources (Hawken, 1993). Ensuite, la section VII de la Loi sur la
qualité de l’environnement qui porte sur « la gestion des matières résiduelles » définit et fait une nette
distinction entre la valorisation et l’élimination de ces matières résiduelles. Tandis que la valorisation
vise le réemploi, le recyclage, le compostage ou encore la régénération, c’est-à-dire l’obtention de
produits utiles ou d’énergie à partir des matières résiduelles, l’élimination, elle, porte sur le rejet
définitif de ces matières dans l’environnement. Puis, la même section VII détermine l’engagement du
gouvernement dans la promotion des initiatives de récupération et de valorisation des matières
résiduelles (article 53.3 alinéa 2). Enfin, l’article 53.3. alinéa 4, de la même section VII oblige les
fabricants et les importateurs de produits à prendre en compte les effets de ces produits sur
l’environnement et des coûts rattachés aux pratiques de récupération, de valorisation et d’élimination
des matières résiduelles.
Ces considérations montrent que les réglementations techno-écologiques tentent de se situer sur
la même longueur d’ondes avec les entreprises industrielles engagées dans la valorisation résiduelle. En
effet, pour ces entreprises, les déchets sont de nouvelles matières premières ou des ressources à
introduire dans les procédés de production. La Loi sur la qualité de l’environnement a également apporté
une modification à la définition de l’expression « matières résiduelles dangereuses ». Tout ce travail de
modification et de restructuration des différentes réglementations et lois est, de façon générale, le fruit
d’une approche centrée sur l’intégration de logiques. La plupart des lois et règlements en vigueur
(tableau 12) qui visent l’amélioration de l’efficience de la gestion des déchets et le contrôle des activités
de transport, l’entreposage, le traitement, la valorisation ou l’élimination des matières résiduelles
rentrent dans la catégorie des réglementations techno-écologiques.
289
Cependant, le fait que ces différentes lois et réglementations (Loi fédérale sur le transport des
marchandises dangereuses, Loi sur la qualité de l’environnement, Règlement sur les matières dangereuses, Règlement sur le
transport des matières dangereuses, Règlement sur les déchets solides) restent encore centrées sur les modalités
d’application qui s’imposent à l’ensemble des secteurs d’activités industrielles constitue l’une des
difficultés majeures en ce qui touche de façon précise la valorisation résiduelle. Les entretiens réalisés
montrent que, dans l’ensemble, ces Lois et Réglementations ne sont pas adaptées aux situations réelles des
différentes entreprises. Elles sont donc limitatives.
La réglementation est un obstacle assez important, c’est-à-dire la façon dont elle est faite. Elle est très limitative et empêche parfois le développement des produits fort intéressants sur le plan environnemental (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 7).
Ce qui se passe, c’est qu’ailleurs, les critères varient et changent, mais ici, on reste avec les mêmes critères parce qu’ils veulent que l’on soit une société verte (un directeur général, cas 5).
Ces considérations montrent que l’évolution de la conjoncture des pratiques de valorisation
résiduelle n’est pas favorable à une application globale et monolithique de ces mêmes Lois et
Réglementations. Cette situation crée des écarts dans la mise en application des réglementations.
L’exemple déjà évoqué des stériles miniers valorisés dans l’industrie de « valorisation » vers les stérils
miniers traités dans les carrières et sablières en constitue une illustration. Dans ce dernier cas, selon
l’industrie qui les traite, les stériles miniers font l’objet de réglementations différentes. Pourtant, sur le
plan technique, ils présentent exactement les mêmes caractéristiques physiques et chimiques que les
stériles miniers valorisés dans l’industrie de « valorisation ». Il y a là un problème d’agencement des
secteurs d’activités concernés par la récupération et la valorisation des stériles miniers.
Cela montre la nécessité d’évoluer vers des réglementations et lois du troisième type : éco-
industriel ou encore rationnel. Il s’agit de réglementations et lois dont les modalités d’application ne
s’imposent pas à l’ensemble des secteurs industriels de façon monolithique, mais qui visent plutôt une
application efficace et coordonnée des secteurs industriels concernés par les activités précises de
valorisation résiduelle. Elles sont éco-industrielles parce qu’elles cherchent un équilibre entre la
protection de l’environnement et la promotion des projets de valorisation résiduelle. La rationalité tient
donc à l’efficacité, à la consistance, à la flexibilité, à l’adaptabilité et à la promotion des activités dans le
290
sens large du terme. C’est ce que Schmidheiny (1992) désigne par « approche effective des politiques
réglementaires ». L’accent n’est pas mis sur les matières résiduelles valorisées telles que les pneus hors
d’usage, les batteries au plomb-acide ou encore les boues de désencrage, mais plutôt sur les réalités
internes de chaque secteur de valorisation.
La Loi sur le développement durable, adoptée par le gouvernement québécois le 13 avril 2006, ouvre
les voies à l’adoption des réglementations environnementales éco-industrielles ou rationnelles. Cette
Loi modifie de façon précise la Loi sur la qualité de l’environnement (L.R.Q., chapitre Q-2). Ce qui justifie,
comme il a déjà été mentionné, le caractère évolutif et dynamique des lois et réglementations
environnementales. La nouvelle Loi s’inscrit dans le cadre des lois et réglementations éco-industrielles
pour deux raisons majeures.
En premier lieu, la nouvelle Loi porte essentiellement sur le développement durable. La
définition de trois des principes directeurs portent sur la dimension économique du développement
durable et devront être pris en compte dans l’action administrative (article 6)-« production et
consommation responsables », « pollueur payeur » et « internationalisation des coûts ». Comme il a été
mentionné dans cette thèse, les spécialistes de l’écologie industrielle entendent apporter des
changements profonds dans les systèmes actuels de production et de consommation dans le but de
mettre en œuvre les principes du développement durable (DeSimone et Popoff, 1997). La valorisation
résiduelle constitue une manière de mettre en application le développement durable dans les
entreprises industrielles (Tibbs, 1993; van Barkel et Lafleur, 1997; Laville, 2002).
La présente Loi a pour objet d’instaurer un nouveau cadre de gestion au sein de l’Administration afin que l’exercice de ses pouvoirs et de ses responsabilités s’inscrive dans la recherche d’un développement durable.
Les mesures prévues par la présente Loi concourent plus particulièrement à réaliser le virage nécessaire au sein de la société face aux modes de développement non viable, en intégrant davantage la recherche d’un développement durable, à tous les niveaux et à toutes les sphères d’intervention, dans les politiques, les programmes et les actions de l’Administration. Elle vise à assurer la cohérence des actions gouvernementales en matière de développement durable, ainsi qu’à favoriser l’imputabilité de l’Administration en la matière, notamment par le biais des contrôles exercés par le commissaire au développement durable en vertu de la Loi sur le vérificateur général (L.R.Q., chapitre V-article 5.01) (Loi sur le développement durable, Notes explicatives).
291
En deuxième lieu, la Loi sur le développement durable vise à renforcer et à instaurer une nouvelle
philosophie de gestion de l’environnement et de promotion des stratégies du développement durable
centrée sur l’intégration et l’harmonisation des actions entre les différentes instances gouvernementales
et les ministères. Ce qui rentre dans le cadre de l’intégration des logiques, tel qu’il a été mentionné.
Cette intégration des logiques constitue l’une des caractéristiques principales des réglementations éco-
industrielles ou rationelles.
Conditions nécessaires de l’aggiornamento
Comme il a été indiqué, les changements profonds dans les systèmes de production proposés
par les spécialistes de l’écologie industrielle ne peuvent avoir lieu sans la flexibilité des mécanismes
sociétaux sur lesquels se fondent les systèmes économiques actuels. C’est donc dans une démarche
d’intégration des logiques et des modalités d’application des outils de promotion des pratiques
d’écologie industrielle – outils qui tiennent compte des réalités internes de chaque secteur de
valorisation – que devraient s’inscrire les nouvelles approches réglementaires et juridiques
(contractuelles, informationnelles, participatives et mesures incitatives) qui cherchent à légiférer en
matière de gestion efficace et de protection de l’environnement. Comme le montrent les entretiens
réalisés et les exemples ci-dessus mentionnés, la rationalité de ces réglementations ou l’aggiornamento ne
serait rendu possible que par la mise en application de deux stratégies de façon précise : la
collaboration interministérielle et interindustries, et la mise en application d’une approche multicritères
de l’adoption des normes environnementales.
La première stratégie repose sur la collaboration entre les différents ministères touchés par la
mise en œuvre des pratiques d’écologie industrielle, en particulier les ministères de l’Environnement,
de l’Agriculture, de l’Industrie et des Transports, les représentants des secteurs industriels engagés dans
les pratiques de valorisation résiduelle et le public. C’est ce que la nouvelle Loi sur le développement durable
désigne par la cohérence des actions environnementales en matière de développement durable. Cette
même Loi préconise également le développement du partenariat et la coopération
intergouvernementale comme l’une de ses actions stratégiques. Cependant, dans le cadre de
l’intégration des logiques tel qu’il a été évoqué ci-dessus, et pour une plus grande cohérence des actions
stratégiques, le fait d’inclure les représentants des secteurs industriels de valorisation résiduelle devrait
être perçu comme une pratique de développement durable. À titre d’exemple, la conférence
internationale sur l’écologie industrielle qu’organisent le Centre de recherche en environnement
292
UQÀM/Sorel-Tracy et le Centre de transfert technologique en écologie industrielle pourrait offrir un
espace d’échanges et de réflexions dans le cadre de cette collaboration. Ainsi, cette rencontre
internationale pourrait inclure également dans son programme non seulement des présentations
portant sur les expériences de succès des pratiques d’écologie industrielle, mais aussi un bloc de
conférences portant sur les difficultés spécifiques de valorisation résiduelle dans la mise en application
des réglementations environnementales.
La deuxième stratégie s’appuie sur l’adoption des réglementations environnementales reposant
sur une approche sectorielle et multicritères d’analyse intégrée des politiques liées à la valorisation
résiduelle. À l’exemple de l’outil d’évaluation de la prise de décision « Multi-Criteria Integrated
Resource Assessment » proposé par Stahl, Cimorelli et Chow (2002), cette approche s’attache à
faciliter le processus de prise de décisions et d’adoption des réglementations environnementales par
une meilleure compréhension et une mise en commun des données scientifiques (toxicologiques,
statistiques, géostatistiques), des actions entrepreneuriales (l’efficience de l’utilisation de l’énergie, la
production et la transformation des matières résiduelles, la rentabilité économique, la réduction de
matière et d’énergie, les impacts environnementaux et l’éco-efficience), des applications industrielles
(technologies disponibles pour la valorisation éco-efficience) et des valeurs sociétales (la protection de
l’environnement et la performance économique des régions). Cette analyse intégrée des politiques liées
à la valorisation résiduelle s’appuie sur quatre éléments fondamentaux : l’apprentissage de nouvelles
connaissances scientifiques et du domaine de l’entreprise, l’innovation technologique, la collaboration
entre les différents acteurs concernés et l’intégration des logiques, tel qu’il a été évoqué ci-dessus.
Les deux stratégies qui définissent les conditions de l’aggiornamento des réglementations
environnementales induisent deux conséquences importantes pour la promotion des pratiques de
valorisation résiduelle et la protection de l’environnement selon les principes du développement
durable. D’abord, la formation de spécialistes en écologie industrielle, en particulier la valorisation
résiduelle. Ce qui appuie l’idée d’introduire des programmes d’enseignement de l’écologie industrielle
dans des écoles de gestion. Ensuite, l’adoption de normes environnementales sur mesure selon les
applications et les spécificités des secteurs d’activités concertés. Ainsi, les activités industrielles des
secteurs de valorisation résiduelle et des sablières qui récupèrent et transforment les stériles miniers
seront sujet au même type de contrôle dans le cadre des réglementations environnementales. N’est-ce
pas là la rationalité ou l’adaptation des réglementations environnementales aux pratiques de
valorisation résiduelle dont il est question dans la problématique environnementale?
293
11.2.4. L’administration générale du processus de transformation
Le processus de transformation des résidus dans les procédés industriels occasionne des
problèmes au niveau de l’administration générale. Ils s’articulent particulièrement autour de la
formation des employés, du recrutement de la main-d’œuvre qualifiée et de la synergie entre les
différents départements d’une même entreprise. Dans la plupart des cas, ces difficultés sont perçues
comme étant d’intensité moyenne et elles se situent au niveau « macro » (figure 19).
Figure 19. Problèmes d’administration générale du processus de transformation
Recrutement de main-d’œuvre qualifiée
La majorité des dirigeants éprouvent des difficultés à recruter une main-d’œuvre qualifiée,
motivée et qui possède les compétences requises pour travailler dans le domaine de la valorisation
résiduelle. Ce problème est lié au caractère spécifique des pratiques d’écologie industrielle. La
planification stratégique des ressources humaines souffre ainsi d’un sérieux handicap.
C’est de la main-d’œuvre non-qualifiée que l’on recrute et que l’on va former à l’opération. C’est parce qu’on ne peut pas trouver de la main-d’œuvre qualifiée pour faire exactement le genre de travail dont nous avons besoin au niveau de l’usine (un directeur général, cas 1).
INT
EN
SIT
É
EXTENSIONMicro Macro
Fai
ble
F
orte
Recrutement de main-d’œuvre qualifiée
Formation des
Synergie départementale
294
Il y a une difficulté étant donné que dans notre industrie, le travail à faire est très particulier et les gens que l’on engage ne sont pas formés pour cela. Ensuite, en tenant compte des particularités de la région, il y a un taux de roulement très élevé. La région est réputée comme créatrice d’emplois et donc, la plupart des ouvriers à la base sont souvent attirés par de nouvelles offres d’emploi (un directeur de la production, cas 2).
Formation des employés
La formation des employés constitue un autre problème au niveau de la transformation des
sous-produits industriels dans les procédés. Cette formation repose surtout sur l’acquisition et
l’amélioration des connaissances ayant trait aux valeurs environnementales ainsi qu’aux valeurs de
santé et de sécurité au travail dans le but de bien exécuter les tâches. Ces valeurs sont indispensables
lorsque la valorisation résiduelle exige la manutention et la manipulation de résidus potentiellement
dangereux. Selon les dirigeants, l’acquisition de ces nouvelles valeurs constitue un processus long et
difficile, non seulement pour les travailleurs de la base, mais également pour les niveaux supérieurs de
la gestion des opérations.
L’autre problème, c’est tout ce qui concerne l’éducation de nos employés. Il faut éduquer les employés à bien gérer l’environnement. Comme vous le savez, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut amener nos employés à penser « sécurité » en termes de matières résiduelles. Nous sommes habitués à utiliser beaucoup de produits, il y a beaucoup de poudres, de poussières. Mais quand on arrive dans les produits de remplacement, c’est une autre technologie, c’est une autre façon de penser, une autre façon d’agir. Et pour ça, il faut éduquer nos gens à tous les niveaux, même à mon niveau, même au niveau des superviseurs et au niveau des employés (un directeur de l’énergie et de l’environnement, cas 7).
Et enfin, il y a bien sûr la problématique de la formation des employés pour développer en eux des comportements en matière d’environnement, de santé et sécurité au travail. Parce que l’utilisation des matières alternatives augmente les risques au sein de l’entreprise. Et donc, au niveau des ressources humaines, il faut développer des stratégies de gestion centrée sur la formation à tous les niveaux et ça, ce n’est pas facile pour les gestionnaires (un coordinateur à l’environnement, cas 8).
Étant donné que le travail se fait dans des conditions relativement difficiles, les employés ne sont pas portés à développer des comportements en matière d’environnement, de santé et sécurité au travail. Quand on engage le personnel, il n’y a pas de travail de sélection qui se fait à la base (un directeur d’usine, cas 9).
295
Il est donc difficile de faire comprendre aux employés pourquoi leurs entreprises utilisent des
matières résiduelles pour maximiser l’usage des ressources. Cela semble déranger, surtout lorsque les
petites routines qu’ils avaient commencent à changer. Comme il a été déjà évoqué, le développement
des compétences et des savoir-faire professionnels constitue une façon de résoudre ce problème. C’est
vraiment le problème de casser les routines des employés. Quand la valorisation résiduelle se fait au
moyen d’une ou de deux matières, cela semble marcher. Mais lorsque l’entreprise commence à recevoir
plusieurs matières, les employés trouvent que c’est trop et ne veulent pas beaucoup collaborer. Cette
attitude est visible à travers la démotivation qu’ont les employés à exécuter certaines tâches et à
travailler avec, par exemple des boues d’épuration, des eaux granulées et séchées ou encore des
matières qui dégagent encore un peu d’odeur. Selon les dirigeants, lorsqu’un accident, même minime,
arrive, cela peut justifier le blocage total au niveau du développement des activités entourant
l’utilisation d’un résidu en particulier. C’est la raison pour laquelle les dirigeants prennent soin de bien
gérer la formation des employés qui travaillent avec des matières dangereuses.
Les résultats de l’étude montrent que l’implantation des programmes de gestion responsable et
participative facilite l’adhésion des employés et le développement des comportements sécuritaires à
l’interne. La plupart de ces programmes font partie des normes de type ISO 9001 ou 14001, et ils
visent la prévention et la réduction de tout accident dans le milieu de travail. Ce qui justifie les liens
établis entre la valorisation résiduelle et les systèmes de gestion environnementale en ce qui a trait à
l’adoption des normes internationales de gestion.
Synergie départementale
La synergie entre les différents départements ou fonctions dans les entreprises engagées dans la
valorisation résiduelle représente une difficulté soulignée par les dirigeants. Ce problème est cependant
expérimenté dans les cas de valorisation résiduelle secondaire. C’est justement le caractère secondaire
de la valorisation résiduelle qui justifie ce problème : les autres fonctions montrent peu d’intérêt pour
ce qui semble être les activités principales des fonctions « technique » et « environnement ». La
coordination entre les différentes fonctions est pourtant nécessaire pour s’assurer que tous les
systèmes mis en place pour la réduction et la récupération des déchets fonctionnent à un niveau
optimal.
296
C’est donc une difficulté dans la coordination de toutes les activités de l’usine. La gestion de toute la ligne de production devient complexe, la dynamique des différentes équipes qui interviennent, etc. (un directeur de l’environnement, cas 8).
Il y a aussi des problèmes au niveau de la synergie entre les différents départements impliqués dans le processus de valorisation : environnement et énergie, production, opérations, etc., surtout lorsque ces départements fusionnent ou sont divisés en entités autonomes (un surintendant de la centrale thermique et des services à la cour, cas 11).
Le problème de manque de coordination s’explique dans les VRS parce que, dans la plupart des
cas, la valorisation résiduelle constitue un changement majeur au niveau de la rationalisation de la
production. Cette rationalisation commence par la résolution d’un problème précis, comme dans le cas
de la surproduction des boues de désencrage du cas 11. Ce qui conduit souvent à la création de
nouvelles entités ou à la fusion des départements existants, en particulier ceux de l’environnement, de
l’énergie ou encore du recyclage. L’intégration de ces nouvelles entités et la coordination des activités
prennent du temps.
11.2.5. La gestion des opérations de transformation
La transformation des résidus industriels est source de problèmes au niveau de la gestion des
opérations. Ces problèmes s’articulent autour de la standardisation et de la systématisation des
équipements ainsi que des procédés d’arrêt et de départ des équipements (figure 20).
Arrêts et départs des équipements
Les arrêts et les départs d’équipements constituent un problème auquel les dirigeants font face
dans l’étape de la mise sur pied d’un nouveau procédé ou encore du démarrage d’une nouvelle usine.
Ce problème est perçu comme intense et il touche la majorité des cas analysés. Dans la plupart des cas,
les résultats au niveau du plan pilote ont démontré la faisabilité du procédé. Ce qui est d’ailleurs le but
poursuivi par l’équipe qui monte le projet pilote. Mais ce dernier ou les essais effectués en dehors du
cadre industriel n’arrivent pas toujours à démontrer l’efficacité du procédé ou à trouver les conditions
d’opération optimum du procédé. L’étape de production industrielle continue apporte souvent des
mauvaises surprises qui, dans la plupart des cas, contredisent les résultats obtenus lors des essais isolés.
297
Figure 20. Problèmes de gestion des opérations de transformation
Cette situation occasionne souvent des investissements supplémentaires, des remplacements de
pièces, des réparations d’équipement et des innovations technologiques à faire. Ce problème se traduit
par la performance technique et environnementale des procédés et des équipements. La difficulté
réside au niveau du maintien des niveaux de performance environnementale. Les responsables du cas 6
se sont rendus compte, par exemple, que le procédé de lixiviation de la serpentine pour produire du
magnésium générait des niveaux d’émission beaucoup plus élevés que ceux qui étaient prévus, ou
encore que le niveau de consommation d’eau augmentait.
La problématique était au niveau purement technologique, les équipements et les matériaux. C’était d’opérer l’usine sur une base continue en trouvant des solutions à tous les problèmes technologiques et d’équipements à travers le temps. Parmi ces problèmes, il y a notamment des problèmes technologiques : trouver des procédés, de bonnes fenêtres d’opération, de bonnes pressions, de bonnes températures, de bons débits de liquides, de bonnes concentrations de fluides, trouver les bons matériaux qui résistent à la corrosion, le bon équipement pour effectuer le travail (un directeur de l’entretien et de l’ingénierie, cas 6).
Ces propos justifient deux idées largement acceptées en écologie industrielle. D’une part, le
caractère holistique de la mise en œuvre de ces pratiques. Mettre en œuvre l’écologie industrielle
INT
EN
SIT
É
Fai
ble
F
orte
Standardisation des
équipements Systématisation
Arrêts et départs des équipements
EXTENSIONMicro Macro
298
signifie « expérimenter de nouveaux procédés », et cette expérimentation se fait par essais-erreurs. Et
d’autre part, la quantité de problèmes que l’on rencontre dans une entreprise de valorisation résiduelle,
qui est de loin supérieure à ceux d’une usine à opération normale. La majorité des dirigeants rencontrés
ont évoqué la question de la complexité des opérations, ce qui est nommé « l’hyper-flexibilité de la
valorisation résiduelle ». Il fallait trouver des solutions à des problèmes technologiques qui apparaissent
de jour en jour et qui se complexifient, et pour lesquels les gestionnaires n’ont pas trouvé de solutions
standardisées. Cela cause beaucoup de retard et de perte de production.
Standardisation et systématisation des procédés
La standardisation des procédés développés à l’interne est un autre problème majeur auquel les
dirigeants font face dans l’étape de la transformation des résidus industriels. Ce problème est perçu
comme intense et il se présente au niveau de la majorité des cas étudiés. D’abord, la plupart des
équipements et des procédés utilisés pour la valorisation résiduelle dans les cas analysés ont été
développés à l’interne.
Nos procédés ont été tous développés à l’interne. C’est l’entrepreneuriat à sa plus belle expression. Nos équipements ont été montés à partir d’autres qui provenaient d’autres industries et que nous avons adaptés ici (un directeur général, cas 2).
Ensuite, le fait que la plupart de ces équipements viennent d’autres industries et qu’ils ont été
adaptés signifie qu’ils ne sont pas standardisés. La non-standardisation de la valorisation industrielle
constitue l’une des caractéristiques principales identifiées. La non-standardisation tient également à
l’utilisation de matières hors du commun et elle exige la mise sur pied de procédés inédits et, donc, non
standardisés. Enfin, la recherche de la standardisation et le besoin de systématisation des procédés se
traduit par la légitimation des procédés de valorisation résiduelle à l’échelle de la production industrielle
de façon générale. Comme le soutient un dirigeant interrogé, cette systématisation pourrait permettre
d’emprunter ces procédés et de faciliter ainsi le processus de transfert des technologies à d’autres
entreprises.
Étant donné que tous nos équipements ont été montés à partir d’autres industries et que l’on a procédé par essai et erreur, il y a des difficultés pour la mise au point, la systématisation, la standardisation des équipements et des méthodes opérationnelles,
299
de sorte qu’on puisse vraiment cloner et répliquer ces opérations (un directeur général, cas 2).
Il y a beaucoup de personnes qui vont faire la même chose, mais de façon différente. Ce qui fait que la non-standardisation des approches va avoir une tendance à créer une certaine confusion dans l’entreprise. Et cela rend l’entreprise beaucoup plus difficile à gérer (un directeur général, cas 4).
Ces propos montrent de façon assez convaincante que la non-standardisation des procédés et
des équipements provoque des difficultés au niveau des mécanismes de contrôle des processus mis en
place. La standardisation et la formalisation constituent, comme nous le savons, quelques-unes des
méthodes principales de contrôle des processus utilisées dans l’industrie. En l’absence de ces
mécanismes de contrôle, les activités de production créent une situation d’entreprise non dirigée dans
la mesure où chaque travailleur voit les choses à sa manière. La majorité des gestionnaires interrogés
estiment qu’il est plus facile de gérer un système défectueux mais standard qu’un système non
formalisé du tout. Ce manque de formalisation et de standardisation serait également la source de
problèmes de non-performance des équipements dans la majorité des cas étudiés.
Je dirais que c’est la performance des équipements qui représente pour nous un gros problème. Le déchiquetage des pneus demande des équipements qui doivent être performants à 100 %. C’est vraiment le fonctionnement et la performance des équipements pour ce genre de produits (un directeur général, cas 1).
Il est intéressant de voir que le problème de non-standardisation et de non-systématisation des
procédés touche les cas de valorisation résiduelle primaire, en particulier ceux qui ont commencé les
activités sur une base purement artisanale il y a une vingtaine d’années. Ce qui prouve que les procédés
mis en place doivent être restructurés pour (re)donner à ces entreprises une image plus moderne. Les
procédés actuels sont à la base d’un système mécanique qui ne semble pas être adapté pour le genre de
travail accompli dans les entreprises visitées. Ce qui est tout à fait différent dans le cas 6, par exemple,
dont le procédé de lixiviation de la serpentine a été adapté à partir de celui utilisé par Alcan. Dans ce
cas précis, le coût total de l’investissement s’est élevé à plusieurs centaines de millions de dollars. C’est
bien là la différence.
300
Nous avons choisi la technologie d’Alcan parce que c’est elle qui permettait de produire en économisant l’énergie (par kilowatt d’électricité). Elle était la plus efficace du côté de nos objectifs. Elle est aussi plus sensible aux toxines que d’autres technologies du point de vue environnemental. On parlait d’un projet de 727 millions de dollars au début. Avec les modifications qu’on a eu à faire pour arriver à des procédés qu’on a aujourd’hui, c’est devenu un projet de l’ordre de 1,2 milliards de dollars (un coordinateur à l’environnement, cas 6).
La conception des procédés et des produits constitue l’un des points essentiels des pratiques
d’écologie industrielle. Le problème de non-standardisation et de non-systématisation des procédés
n’apparaît pas encore comme thème central dans la formulation du changement technologique dans le
cadre des pratiques de l’écologie industrielle. La formulation actuelle du changement technologique
pose un double problème. Elle repose essentiellement sur la conception des procédés et des produits
qui laissent peu ou presque pas d’impacts environnementaux (Ausubel et Langford, 1997; Grübler,
1998; Norberg-Bohn, 2000). Les interprétations de cette formulation relèvent d’un modèle de
connaissances naïves des problèmes d’écologie industrielle, lesquelles connaissances articulent des
savoirs assez éloignés de la réalité vécue par les dirigeants engagés dans les pratiques d’écologie
industrielle. La non-standardisation et la non-systématisation des procédés constituent des concepts
qui devraient figurer dans la formulation du changement technologique. Ce changement technologique
est considéré comme l’un des éléments essentiels de l’écologie industrielle.
11.2.6. Le développement des marchés et des ventes
Le développement des marchés des produits élaborés à partir de résidus industriels occasionne
des problèmes au niveau de la fonction « ventes et marketing ». Ces problèmes s’articulent autour de la
concurrence avec les matières vierges et autour de la perception des produits écologiques par les
consommateurs ou utilisateurs (figure 21).
301
Figure 21. Problèmes de développement des marchés et des ventes
Concurrence avec les matières nobles
La concurrence avec les matières nobles est perçue comme un problème de faible intensité et
elle touche la majorité des cas étudiés. Les résidus industriels et les sous-produits constituent des
matières premières de substitution. De nombreuses entreprises continuent à fabriquer des produits à
partir des matières vierges, standardisées. Bien que les résidus jouissent d’un léger avantage sur les
matières premières nobles en termes de prix, les dirigeants ont la perception qu’il y a bien des
différences au niveau de la durabilité de ces matières.
Le caoutchouc recyclé est généralement moins cher que le caoutchouc vierge. Mais au niveau de la durabilité, il n’y a pas de problèmes (un directeur d’usine, cas 1).
Je pense que notre client qui achète le gypse fabriqué ici à partir de nos résidus se procure aussi du gypse naturel. Nous sommes concurrentiels parce que nous le vendons à des prix bas (un ingénieur de procédé, cas 12).
Les matières vierges coûtent moins cher que les résidus industriels. Ce qui a fait que nous avons abandonné le procédé pour le moment (un directeur d’usine, cas 3).
INT
EN
SIT
É
EXTENSIONMicro Macro
Fai
ble
F
orte
Perception des produits
Concurrence avec les matières nobles
302
Cet avantage concurrentiel des matières résiduelles n’est pas perçu de la même manière dans
d’autres secteurs, en particulier dans les secteurs de la fabrication du bitume, du recyclage des batteries
au plomb-acide ou encore des cimenteries. Dans le premier cas, les coûts d’opération de la fabrication
du bitume en utilisant un pourcentage de caoutchouc recyclé provenant des pneus hors d’usage se sont
avérés plus élevés que prévu. Le procédé a été abandonné. Dans le deuxième cas, les grands
producteurs de métaux tels le zinc et le cuivre génèrent le plomb comme sous-produit. Ils le vendent
alors sur les marchés à des prix très concurrentiels par rapport aux recycleurs qui le récupèrent par des
procédés industriels qui exigent une fine technologie. Dans le troisième cas, enfin, les incinérateurs
font de la concurrence aux cimenteries qui tentent d’utiliser une gamme variée de déchets comme
intrants principaux, en particulier pour brûler le clinker.
Il y a deux sources d’approvisionnement : les compagnies qui fabriquent les batteries et le recyclage. Il est toujours un peu difficile pour nous, comme PME, de nous mesurer à de grandes compagnies qui sont les fournisseurs de plomb ici, au Canada. Parce que pour eux, le plomb est un sous-produit de zinc, de cuivre et d’argent. Donc ils peuvent vendre du plomb à n’importe quel prix. Notre stratégie est donc de nous retirer de ces marchés et de développer d’autres marchés plus rentables et moins compétitionnés (un vice-président chargé des opérations, cas 9).
Ici, il y a une concurrence entre les cimenteries et les incinérateurs. Les incinérateurs cherchent à avoir la plupart des matières pour les brûler et ils sont payés pour ça. Tandis que nous, comme cimenterie, nous acceptons ces matières pour être utilisées dans le processus de fabrication du ciment. Les incinérateurs nous font de la concurrence (un directeur de l’environnement, cas 8).
Perception des produits écologiques
La concurrence entre les résidus et les matières premières vierges se situe au niveau de
l’acquisition des intrants et des coûts opérationnels de ces derniers. La perception des produits
écologiques par les consommateurs ou utilisateurs constitue cependant un problème de
commercialisation de ces produits dans les mêmes marchés que les produits conventionnels fabriqués.
Les entretiens réalisés montrent que la plupart des dirigeants estiment qu’il est parfois difficile de faire
changer la perception des consommateurs en introduisant des produits innovateurs élaborés à partir
des déchets industriels même si, dans certains cas, le caractère environnemental joue un peu en faveur
des produits écologiques.
303
Quant à l’acceptation de ce produit par les clients, le fait que depuis environ cinq ans, il y a plus de publicité sur le recyclage et ses produits, la prise de conscience pour l’environnement, il y a des gens qui vont préférer la qualité verte. De ce côté-là, cette conscientisation nous aide un peu à écouler nos produits sur les marchés. Mais ce n’est pas à 100 % parce qu’il y a la qualité et le prix. Le facteur environnemental agit un tout petit peu en bas. C’est ce qui fait la différence entre le caoutchouc vierge et le caoutchouc recyclé (un directeur général, cas 1).
Les gens ne sont pas encore préparés pour utiliser un nouveau produit, même si celui-ci est approuvé par le ministère des Transports. Les gens hésitent énormément à prendre un nouveau produit sur le marché. Changer cette perception-là constitue une réelle difficulté. C’est sûr que concevoir un produit innovateur à base de matières résiduelles est déjà compliqué. Vendre ce produit est encore plus compliqué. Convaincre le client qu’il s’agit d’un bon produit est un travail difficile qui demande la définition d’une stratégie bien élaborée (un vice-président chargé des opérations, cas 3).
Sans entrer dans les détails des considérations touchant le comportement du consommateur, l’on
peut dire que l’introduction d’un nouveau produit cause toujours des problèmes. Il nous semble que
ces problèmes deviennent beaucoup plus compliqués quand il s’agit de produits élaborés à partir de
déchets. Un moyen pour sortir de ces difficultés consiste à mettre sur pied des équipes solides de
commercialisation. Ce qui rentre dans le cadre de ce qui a été défini comme des structures de
commercialisation en aval de la chaîne de production.
Ce chapitre a tenté de présenter et d’analyser les différents problèmes de valorisation résiduelle
auxquels les gestionnaires rencontrés font face. Dans un premier temps, le chapitre a montré que l’un
des problèmes majeurs de la valorisation résiduelle est l’hyper-flexibilité fonctionnelle. Dans un
deuxième temps, fidèle au modèle conceptuel de la valorisation résiduelle proposée, le chapitre a
présenté des problèmes concrets aux intersections de l’introduction des matériaux et de leurs
transformation, de l’échange et du développement des marchés (ITEM) et des fonctions de
l’administration générale, de la gestion des opérations, des ventes et de la gestion des aspects
environnementaux.
Dans le but de mieux comprendre ces problèmes, un classement sur deux lignes est proposé :
l’intensité qui représente la force avec laquelle la difficulté est perçue par les gestionnaires et l’extension
qui désigne l’étendue du problème sur l’ensemble des secteurs industriels étudiés. Bien que cette
classification présente certaines limites, elle aide cependant à progresser dans la compréhension des
304
divers problèmes selon les perceptions des dirigeants rencontrés. La figure 22 récapitule l’ensemble des
problèmes de la valorisation résiduelle dans les cas étudiés.
Figure 22. Problèmes de valorisation résiduelle
Cette figure montre que les problèmes majeurs de la valorisation résiduelle, ceux qui sont perçus
comme de forte intensité, c’est-à-dire entraves au développement de l’avantage concurrentiel, et qui
touchent la majorité des cas étudiés, sont principalement de trois ordres : institutionnel, socio-culturel
et managérial. Le caractère limitatif de la plupart des réglementations et lois en vigueur constitue le
problème majeur d’ordre institutionnel. Le développement de l’avantage concurrentiel des entreprises
est menacé. Bien que perçus comme étant de forte intensité par les dirigeants rencontrés, les
problèmes d’ordre administratif ou bureaucratique ne semblent pas bloquer de façon significative les
projets de valorisation résiduelle. Il en est de même pour les problèmes d’ordre socioculturel
INT
EN
SIT
É
EXTENSIONMicro Macro
Fai
ble
F
orte
Transport frontalier Perception des produits écologiques Performance des batteries Délocalisation
Réceptivité sociale Réglementation limitative Incompréhension Manque de définitions claires Alarmisme Obtention des permis Bureaucratie et « paperasse » Irrégularité des approvisionnements Stockage Humidité Disparité des matières Standardisation Systématisation
Synergie départementale
Remplacement de certaines matières : alumine
Concurrence avec les matières nobles Recrutement de main-d’œuvre qualifiée Formation des employés Dépendance industrie primaire
305
(réceptivité sociale, incompréhension et alarmisme). Ce qui ne veut pas nier la pertinence de la
collaboration basée sur la transparence et l’échange d’information entre l’entreprise engagée dans la
valorisation et la communauté ni l’urgence de continuer à mettre sur pied des programmes de
formation de la population de façon générale aux enjeux et bénéfices de la valorisation des matières
résiduelles.
À côté des problèmes d’ordre institutionnel et socioculturel, il y a également et surtout des
problèmes d’ordre managérial, caractérisés par l’hyper-flexibilité organisationnelle, qui mettent en péril
les initiatives ou les activités de valorisation résiduelle déjà initiées par les gestionnaires. L’irrégularité
des approvisionnements, le stockage, l’humidité et le contrôle de la disparité des matières, ou encore le
manque de systématisation des équipements utilisés apportent des coûts opératifs supplémentaires. Ce
qui pourrait, à la longue, porter un coup dur aux bénéfices économiques des activités de valorisation
résiduelle. Ces difficultés managériales constituent donc des risques associés à la pérennité des
pratiques de valorisation.
306
CONCLUSION GÉNÉRALE
La présente thèse a analysé la valorisation des sous-produits industriels comme une forme
particulière d’écologie industrielle à l’échelle de l’entreprise. En partant des propos des répondants
portant sur la définition des pratiques d’écologie industrielle, sur les motivations qui les ont amenés à
adopter ces pratiques ainsi que sur les facteurs internes et externes qui ont influencé ces motivations, la
thèse propose une conceptualisation de la valorisation résiduelle qui repose sur deux facteurs
déterminants : l’orientation économique des activités de valorisation résiduelle et l’indice de
valorisation. Ces deux notions constituent les dimensions interdépendantes à partir desquelles les
mécanismes et fonctionnement de la valorisation résiduelle sont analysés, c’est-à-dire la réalisation des
boucles des systèmes productifs (Frosch et Gallopoulos, 1989; Frosch, 1992; Greadel et Allenby,
1995). À partir d’une perspective empirique, la valorisation résiduelle est redéfinie comme étant un
corpus de décisions et d’actions stratégiques basées sur l’utilisation des ressources alternatives (matière
et énergie) comme intrants principaux dans divers niveaux de procédés de production industrielle; la
transformation propre et sécuritaire de ces dernières en produits à valeur commerciale destinés à des
marchés ciblés; et des formes diverses de collaborations et d’échanges de ces mêmes matières. Cette
définition rappelle ainsi les principes fondamentaux de l’écologie industrielle : les acteurs industriels
actuels devraient tenir compte des impacts environnementaux de leurs activités; ils devraient aussi
améliorer tant la conception que la fabrication des produits tout en ayant comme objectif primordial la
réduction de la consommation des ressources (matière et énergie) et l’utilisation de plus en plus
possible des déchets résultants du processus de production industrielle (Frosch et Gallopoulos, 1989;
Allenby et Cooper, 1994; Wernick et Ausubel, 1997).
Les résultats de l’étude montrent que la valorisation résiduelle porte plus sur le caractère
industriel que sur son caractère écologique. En d’autres termes, les dimensions industrie, productivité,
matière, profit économique dominent sur les dimensions écologie, éco-efficience, analyse et bénéfice
environnemental. Bien que les entreprises pratiquent et intègrent, à des degrés divers, les concepts de
conception écologique de produits, de prévention de la pollution, d’éco-efficience et de comptabilité
verte, les entretiens réalisés montrent que la fonction écologique de la valorisation résiduelle est
d’abord et avant tout économique. Les motivations des dirigeants pour la valorisation résiduelle, qui
ne représentent que des formes que prend la capitalisation du disequilibrium résiduel, sont d’abord
économiques. Les aspects environnementaux viennent éventuellement ensuite. Ces résultats montrent
307
les écarts de conceptions entre la valorisation résiduelle telle qu’elle est pratiquée au sein des différents
secteurs industriels et les théories développées et généralement acceptées en écologie industrielle. La
recherche de la rentabilité économique des pratiques de la valorisation résiduelle comme motivation
primordiale appuie les résultats des études portant sur les motivations pour incorporer les
considérations environnementales dans les stratégies des entreprises industrielles. Ces études ont révélé
que les considérations économiques ou souci de compétitivité, la légitimation des pratiques ou image
de l’entreprise et la responsabilité écologique et éthique sont parmi les motivations dominantes (Bansal
et Roth, 2000; King et Lenox, 2001 ; Tzschentke, Kirk et Lynch, 2004). L’étude de Ayres, Ferrer et
Leynseele (1997) sur les facteurs déterminants dans la mise sur pied des pratiques de récupération des
produits en fin de cycle de vie dans les entreprises manufacturières a montré que pour ces entreprises,
les motivations premières reposaient sur des bénéfices en termes de coûts à économiser par
l’entreprise tels que la réduction des coûts d’opérations et d’enfouissement, la valeur à récupérer qui
reste encore dans les produits rebutés, l’existence des structures de récupération fonctionnelles, le coût
de la main-d’œuvre, entre autres. Les entretiens réalisés montrent cependant une motivation
particulière aux entreprises de valorisation résiduelle à vocation secondaire : la solution à un problème
précis de surproduction de sous-produits. Ainsi, à côté de la poursuite des bénéfices économiques
comme motivation pour la valorisation résiduelle, la présente étude indique que la solution à un
problème précis constitue également une motivation dans certains cas analysés.
Les résultats de l’étude montrent qu’à quelques exceptions près, les initiatives de valorisation
résiduelle s’avèrent rentables tant sur le plan économique qu’environnemental dans une large mesure.
Sur le plan économique, la mobilisation des ressources (les matières résiduelles disponibles, les moyens
financiers et économiques suffisants, les technologies appropriées et un personnel motivé), les
structures de valorisation résiduelle mises en place, le développement et la gestion de nouvelles
compétences, et les méthodes d’analyse des contextes des marchés entourant ces mêmes pratiques
semblent assurer, pour l’instant, le succès de la valorisation résiduelle dans les entreprises étudiées. Ces
différentes pratiques contribuent au développement des entreprises engagées sous divers aspects -
notamment l’amélioration de l’indice de valorisation, la diversification des sous-produits ou matières
résiduelles valorisées, l’augmentation du chiffre d’affaires, le développement de nouveaux produits
élaborés à partir des matières résiduelles, ou encore le positionnement sur les marchés concurrentiels.
Esty et Porter (1998) soutiennent que l’adoption des pratiques de l’écologie industrielle dans les
entreprises industrielles pourrait aider au développement de l’avantage concurrentiel. Les résultats de
308
l’étude semblent appuyer la vision de ces deux auteurs. Certaines études ont tenté de montrer que les
pratiques d’écologie industrielle peuvent être affectées par les prix ou coûts des transactions des
matières résiduelles. Selon Kneese (1998), le problème réside dans la restructuration des mécanismes
de fixation des prix. Ceux-ci devraient refléter la totalité des coûts sociaux de production dans le cadre
des activités de recyclage des matières résiduelles. Pour sa part, Den Hond (2000) soutient que les prix
affectent en partie la mise en œuvre des projets de l’écologie industrielle. Les résultats de l’étude
montrent cependant que, dans les conditions actuelles entourant les pratiques de valorisation résiduelle
dans les cas analysés, les mécanismes du marché (coûts des transactions des matières résiduelles,
transport, divers coûts opérationnels) ne semblent pas constituer une menace au développement des
entreprises engagées dans cette démarche.
Les échanges de valorisation résiduelle s’inscrivent plus au moins dans les alliances
interentreprises ou les collaborations interorganisationelles telles qu’elles ont été évoquées par Boiral et
Jolly (1997). En ce qui concerne les alliances interentreprises, les cas étudiés présentent assez peu de
pertinence à la réalisation en commun d’activités de valorisation résiduelle. D’abord, la gestion
commune de pollution ne semble pas représenter une préoccupation majeure à laquelle seraient
confrontées les entreprises étudiées de valorisation résiduelle. Aux yeux de la majorité des dirigeants
rencontrés, les activités de valorisation résiduelle ne polluent pas l’environnement. Ensuite, les
échanges des sous-produits industriels apparaissent comme des transactions commerciales ou des
ententes moyennant rétribution entre les entreprises génératrices et utilisatrices des matières
résiduelles. Elles ressemblent donc peu à des filières de récupération conjointement organisées. En
plus, la valorisation résiduelle obéit peu à la logique d’alliance visant à valoriser les matières pour
lesquelles les entreprises génératrices ne possèdent pas assez de compétences. Ici encore, c’est la
logique de transaction commerciale qui semble être favorisée plutôt que l’alliance interentreprises.
Enfin, dans la majorité des cas, l’élaboration des produits à partir des diverses matières résiduelles
obéit plus à une logique de développement intra-entreprise de technologies d’optimisation. En ce qui
concerne la collaboration interorganisationnelle, celle-ci semble être limitée dans les rapports que les
entreprises de valorisation de pneus hors d’usage entretiennent avec le gouvernement, en particulier à
travers l’organisme Recyc-Québec. Schwarz et Steininger (1997) soutiennent que les ententes de
partenariat de longue durée basées sur les bénéfices mutuels et sur les calculs « coûts-bénéfices » sont
parmi les motivations qui poussent les entreprises à participer à un réseau d’échanges de sous-produits.
Les entretiens réalisés montrent que les réseaux d’échanges dans le cadre de la valorisation résiduelle se
309
traduisent principalement par des transactions commerciales ou des ententes moyennant rétribution
entre les entreprises génératrices et utilisatrices des matières résiduelles ou de préconditionnement de
ces mêmes matières. Cependant, ces réseaux sont flexibles, c’est-à-dire qu’ils s’adaptent aux
circonstances du moment. Ainsi, les échanges (ressources, informations, renseignements) peuvent être
formels, informels ou occasionnels.
L’analyse de la relation « environnement-productivité » fait ressortir le paradoxe de la
valorisation résiduelle. La valorisation résiduelle telle qu’elle a été pratiquée dans les cas étudiés ne
signifie pas toujours la définition d’une politique environnementale qui oriente les activités de
valorisation. En d’autres termes, la valorisation résiduelle ne renvoie pas nécessairement à la
diminution de la consommation des ressources et des émissions toxiques, dimensions qui s’inscrivent
dans les objectifs principaux de l’écologie industrielle (Wernick et Ausubel, 1997; Erkman, 1998). La
définition de l’écologie industrielle mériterait donc d’être élargie. Tous les cas analysés utilisent et
transforment à des degrés divers les matières premières et les sous-produits industriels. Les résultats de
l’étude réalisée indiquent ainsi que seule la valorisation résiduelle à gestion environnementale éco-
efficiente constitue une pratique d’écologie industrielle à l’échelle intra-entreprise. Il est évident que la
valorisation résiduelle, sans gestion environnementale rigoureuse, demeure sur le plan de l’utilisation
des déchets dans les procédés, mais ne constitue pas pour autant une forme d’écologie industrielle. La
valorisation résiduelle ne signifie pas toujours « écologie industrielle ». Dans le même ordre d’idées, les
résultats de l’étude montrent que l’écart entre les deux conceptions « environnement et productivité »
est susceptible de se réduire avec le temps. L’intégration des actions écologiques dans les stratégies des
entreprises engagées dans la valorisation résiduelle repose sur deux facteurs déterminants : la rentabilité
économique et financière de l’entreprise et le développement, dans le temps, des compétences
organisationnelles de l’entreprise.
La présente thèse contribue au développement de l’écologie industrielle comme domaine
d’étude et de recherche de trois manières principales.
D’abord, en partant de la conceptualisation de la valorisation résiduelle en termes d’introduction,
de transformation, d’échange et de marché, la thèse propose une typologie des pratiques de
valorisation résiduelle. Les pratiques d’écologie industrielle, caractérisées par l’indice de valorisation
(iV) et par l’orientation économique des activités de valorisation, deux éléments qui rendent
intelligible l’opportunité découverte, prennent les formes de primaire optimale, primaire maximale,
310
secondaire optimale ou secondaire maximale. Cette typologie contribue à mieux comprendre la
valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle à partir d’une perspective de gestion. La
typologie proposée par la présente recherche comble le vide laissé par celle de Boons et Baas (1997)
basée essentiellement sur la coordination des activités des entreprises engagées dans une démarche
d’échange des sous-produits ou des matières résiduelles. La même conceptualisation en termes
d’introduction, de transformation, d’échange et de marché permet de mieux comprendre, clarifier et
délimiter les frontières de la valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle. Plusieurs
études ont souligné le manque de consolidation, de définitions claires de la plupart des termes et
concepts utilisés en écologie industrielle (O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996; Den Hond, 2000;
Lifset et Graedel, 2002). Ces auteurs soutiennent que le manque de clarification et de délimitation des
frontières de l’écologie industrielle constitue un obstacle à son développement comme domaine
d’étude et de recherche. La conceptualisation de la valorisation résiduelle de la présente thèse
contribue à préciser, à partir des observations des liens entre l’industrie et l’écologie, le sens donné aux
activités de récupération et de transformation totale des sous-produits et des matières résiduelles en
identifiant les éléments spécifiques sur lesquels repose cette forme singulière de mise en œuvre des
principes de l’écologie industrielle.
Ensuite, à partir des types de valorisation résiduelle, des modes et des structures de son
fonctionnement, la thèse montre que les difficultés de mise en œuvre des pratiques d’écologie
industrielle se traduisent par une hyper-flexibilité dans l’introduction, la transformation, l’échange et le
développement des marchés, la non-standardisation des procédés industriels, le bas niveau
d’optimisation de l’usage de matière et d’énergie et l’inflexibilité des règlements environnementaux.
Des études théoriques portant sur les obstacles à l’écologie industrielle ont identifié surtout des
difficultés d’ordres structurel, institutionnel, technique et socioculturel (Lifset, 1993; Chertow et Esty,
1997; Wernick et Ausubel, 1997; Allen, 2002). Les résultats de la présente étude indiquent cependant
que les difficultés de la valorisation résiduelle dans les cas étudiés sont plus d’ordre managérial
qu’institutionel, structurel, technique ou socioculturel. Ces difficultés touchent d’abord et avant tout les
diverses fonctions internes (administration, gestion des opérations, ventes et environnement, entres
autres) des entreprises engagées dans la valorisation résiduelle. Si les résultats de l’étude montrent que
l’utilisation et la transformation des matières résiduelles ou des sous-produits industriels sont des
actions stratégiques choisies par les responsables des entreprises (Tibbs, 1993; Esty et Porter, 1998), les
politiques de l’introduction des changements dans les systèmes productifs actuels en vue d’atteindre les
311
objectifs du développement durable (Frosch et Gallopoulos, 1989; Graedel et Allenby, 1995;
DeSimone et Popoff, 1997; Erkman, 1998; Lifset et Graedel, 2002) se traduisent cependant par
l’approche pragmatique de l’écologie industrielle selon Opoku (2004).
Enfin, l’intensité des obstacles managériaux de la valorisation résiduelle montre la pertinence de
l’apprentissage collectif et du développement des compétences organisationnelles pour continuer à
utiliser et à transformer les matières résiduelles dans des contextes concurrentiels. Ces obstacles
touchent de façon précise les différentes dimensions organisationnelles identifiées : reconnaissance de
l’opportunité et prise de décisions stratégiques, développement des compétences collectives et
organisationnelles et formation des employés, construction de l’avantage concurrentiel et
développement des procédés, amélioration de l’indice de valorisation et gestion efficiente de
l’environnement, entre autres. Ce qui remet en cause deux choses : les approches physico-chimiques
sont les seules qui offrent un cadre de référence, et les bases sur lesquelles devrait reposer l’écologie
industrielle sont un moyen de mettre en œuvre les principes du développement durable. Plusieurs
études théoriques ont tenté de soutenir cette tendance dans le développement actuel de l’écologie
industrielle comme domaine d’étude et de recherche (Allenby, 1999a; 1999b). L’analyse des
mécanismes et du fonctionnement de la valorisation résiduelle à partir d’une perspective empirique
contribue non seulement à valider les différents concepts construits dans la présente recherche, mais
aussi et surtout à montrer que la prise en compte de la dimension managériale ou les expériences de
valorisation des sous-produits industriels dans les entreprises, selon la vision de Boons et Roome
(2001) et de Cohen-Rosenthal (2000), font partie intégrante des thèmes de l’écologie industrielle au
même titre que les modélisations et les analyses physico-chimiques. Ce qui apporte une réponse au
débat actuel portant sur le statut « positif » ou « normatif » de l’écologie industrielle (Lifset et Graedel,
2002). D’où la nécessité d’incorporer l’approche managériale dans le développement de l’écologie
industrielle comme domaine d’étude et de recherche.
Implications de l’étude pour les entreprises
Les résultats de la présente étude ont des implications pertinentes pour les responsables des
entreprises de valorisation résiduelle. Ces implications touchent en particulier trois domaines de
compétence de la gestion des activités d’écologie industrielle à l’échelle intra-entreprise : l’intégration
de nouvelles valeurs écologiques dans la culture de l’entreprise, la validation des savoirs liés à la
312
valorisation résiduelle et à la préservation de l’avantage concurrentiel, et le choix d’une structure
organisationnelle qui facilite l’innovation des pratiques de valorisation résiduelle.
Les résultats de la recherche suggèrent qu’indépendamment des secteurs d’activités et des sous-
produits introduits dans les procédés productifs, la conscientisation des employés aux réalités de la
récupération et de la transformation des matières résiduelles constitue une priorité pour le succès des
pratiques d’écologie industrielle. Cette conscientisation repose d’abord et avant tout sur la promotion
de nouvelles valeurs écologiques et sur l’exemple d’un comportement « pro environnemental » de la
part des gestionnaires eux-mêmes. Ces résultats sont consistants avec les postulats selon lesquels
l’implantation des pratiques d’écologie industrielle, en particulier la valorisation résiduelle, repose sur la
sensibilisation des employés aux changements de mentalités, de comportements et d’habitudes de
travail (Hawken, 1993; Cohen-Rosenthal, 2000; Filho, 2002). Comme le montrent les résultats de
l’étude, dans la gestion des projets d’écologie industrielle, les dimensions « industrie », « productivité »,
« matière » et « profit économique » l’emportent sur les dimensions « écologie », « éco-efficience »,
« analyse » et « bénéfice environnemental ». En d’autres termes, dans la culture de l’entreprise, il existe
un écart entre les conceptions pragmatiques et les conceptions écologiques de la valorisation. Les
dirigeants des entreprises de valorisation résiduelle devraient donc porter une attention particulière à la
formation et à l’engagement des gestionnaires dans la promotion des valeurs écologiques au sein de ces
mêmes entreprises. Les gestionnaires se doivent de faire preuve de plus de flexibilité et d’adopter des
politiques internes qui visent à intégrer les valeurs écologiques et à établir l’équilibre – dans la culture et
le comportement quotidien des activités de valorisation résiduelle – entre l’écologie et l’économie de
l’entreprise ou encore l’utilisation des matières résiduelles et la recherche du bénéfice économique. Le
cadre de travail portant sur la valorisation résiduelle devrait refléter les croyances et les normes de
protection de l’environnement et de réalisation du bénéfice à partir des matières résiduelles. L’absence
de plans d’action visant le développement d’une culture écologique au sein des entreprises de
valorisation résiduelle pourrait avoir comme conséquence le manque de motivation et d’engagement
de la part des employés hautement qualifiés et sensibles aux valeurs de la protection de
l’environnement. Ce qui pourrait mener à la perte de l’avantage concurrentiel de l’entreprise
nonobstant les idées innovatrices de valorisation résiduelle conçues et mises en œuvre par les
gestionnaires.
La réussite des initiatives de valorisation résiduelle repose, en grande partie, sur l’apprentissage
collectif et sur la maîtrise et l’intégration des diverses compétences liées à plusieurs activités de
313
l’entreprise (Boiral et Kabongo, 2004). Cet apprentissage collectif des savoirs professionnels
permettrait de maintenir l’avantage concurrentiel des pratiques d’écologie industrielle et, de façon
précise, la valorisation résiduelle telle que l’ont proposé Esty et Porter (1998). Les résultats de la
présente étude suggèrent que la validation des acquis de l’expérience dans le domaine de la valorisation
résiduelle, en particulier la variabilité du flux de matière et les procédés et innovations technologiques,
est susceptible de cristalliser l’acceptation des produits élaborés à partir des matières résiduelles, non
seulement sur les marchés locaux mais aussi et surtout sur les marchés internationaux. Les
gestionnaires des entreprises de valorisation résiduelle devraient faire des choix stratégiques qui visent
la standardisation et la formalisation des procédés et des techniques développés à l’interne. Cette
standardisation permettrait non seulement d’augmenter la performance des équipements mais aussi de
restructurer, dans la majorité des cas, les pratiques de valorisation résiduelle et de conférer une image
moderne aux entreprises de valorisation.
Comme dans toute activité productive et commerciale, la cohérence et le dynamisme de
l’ensemble des pratiques liées à l’introduction, à la conversion, à l’échange et au développement des
marchés assurent la réussite des initiatives de valorisation résiduelle à l’échelle intra-entreprise. Les
exemples étudiés montrent la pertinence d’une bonne planification dans le choix du matériau à
valoriser, les initiatives de récupération et l’innovation technologique. Comme l’ont soutenu Graedel et
Allenby (1995, p. 183-189), les dirigeants des entreprises engagées dans les pratiques d’écologie
industrielle sont appelés à prendre des décisions stratégiques portant sur la technologie, les
équipements, la gestion de matière ou encore le mode de fonctionnement du procédé. Les résultats de
l’étude montrent ainsi que les pratiques de valorisation résiduelle exigent l’équilibre entre les
conceptions pragmatiques et écologiques des produits élaborés à partir des résidus industriels, le
développement de la capacité de l’entreprise à gérer les processus d’affaires et à augmenter son indice
de valorisation, la recherche des réponses rapides aux changements relevant de l’introduction de
nouvelles matières à valoriser, des procédés développés et expérimentés, des besoins spécifiques des
différents marchés et des normes environnementales en vigueur. En d’autres termes, les pratiques de
valorisation résiduelle se déroulent dans des contextes de turbulences et de perpétuels changements.
Ces contextes rentrent dans le cadre de la turbulence telle que conçue par Cameron, Kim et Whetten
(1987) et Ansoff et MacDonell (1990). La turbulence entraîne des modifications, dans l’environnement
de l’entreprise, qui auront un impact sur la structure organisationnelle (Gueguen, 1999). La majorité
des cas analysés présentent cependant des structures organisationnelles propres aux contextes
314
paisibles. Ces structures sont centrées sur le regroupement par fonction, en particulier les ressources
humaines, les ventes, les opérations et l’environnement, ou encore sur le regroupement par processus.
La particularité des activités industrielles de valorisation résiduelle et la recherche de l’efficacité de la
prise de décisions stratégiques face aux enjeux économiques, politiques, légaux et socioculturels
entourant les pratiques de valorisation résiduelle exigent que les gestionnaires explorent d’autres types
de structures organisationnelles beaucoup plus flexibles. Cette restructuration organisationnelle de
l’ensemble des activités de valorisation résiduelle permettrait une accélération du processus
d’apprentissage collectif et du développement des compétences liées à plusieurs projets d’écologie
industrielle.
Limites de l’étude et avenues de recherche
Comme toute recherche, la présente étude sur les mécanismes de la valorisation résiduelle
comporte des limites qu’il convient de souligner. Cette étude, qui porte sur un domaine de recherche
encore peu exploré, a démontré que les expériences de valorisation résiduelle à l’échelle intra-
entreprise font partie des thèmes de l’écologie industrielle. Les limites de la présente étude ouvrent des
voies à d’autres avenues de recherche. Des études ultérieures pourraient permettre d’approfondir les
aspects déjà explorés et de s’orienter vers des études de cas qualitatives, quantitatives ou encore mixtes,
plus étoffées. D’abord, la recherche a reposé sur une approche qualitative, empirique et inductive
prenant la forme d’une étude de cas qui emprunte des éléments de la grounded theory. Ce qui a permis
d’explorer les réalités entourant les pratiques de valorisation résiduelle telles que vues par les
participants et aussi de construire des concepts à partir des informations recueillies (Silverman, 1993)
plutôt que de vérifier la portée des idées généralement acceptées en écologie industrielle. Ensuite, la
nature même de l’objet d’étude et la complexité des questions portant sur l’écologie industrielle, en
particulier la valorisation résiduelle, confèrent une limite à la généralisation des résultats de la présente
étude (Eisenhardt, 1989; Maxwell, 1999).
La compréhension des pratiques de valorisation résiduelle s’est faite en grande partie à partir des
expériences d’un groupe particulier de personnes rencontrées : les gestionnaires de haut niveau
(ressources humaines, finances, ventes, gestion des opérations et environnement) des entreprises
étudiées. En effet, seuls les entretiens auprès de ces responsables ont été pris en compte. Or, la plupart
de ces gestionnaires occupent des postes de directeur général ou de vice-président. Ce qui induit deux
limites portant sur les erreurs les plus répandues de la perception d’un phénomène (Schermerhorn,
315
Hunt et Osborn, 2002; Robbins, 1996). En premier lieu, les dimensions associées à la mise en œuvre
de la valorisation résiduelle peuvent avoir été perçues à partir d’une perspective monolithique reposant
sur l’une ou l’autre des caractéristiques de chaque dimension. Ces dimensions portent en particulier sur
les activités de chaque entreprise, le contexte opératoire, les motivations et les niveaux d’intégration
des pratiques de valorisation des matières résiduelles, les types de synergie industrielle, les
performances commerciales et environnementales, les difficultés rencontrées dans la gestion
quotidienne des ressources humaines, la gestion des opérations, les ventes et l’environnement. Ce qui
pourrait se traduire par un effet de halo. En deuxième lieu, étant donné que les différentes dimensions
analysées portent, de façon générale, sur l’efficacité ou non des pratiques de la valorisation résiduelle
adoptées par les gestionnaires, ceux-ci ont tendance à être sensibles aux questions relevant des activités
qu’ils ont planifiées et dont ils ont la charge. Cette sensibilité peut avoir marqué les réponses favorables
ou critiques, selon les circonstances, aux multiples questions portant sur les mécanismes, le
fonctionnement et les problèmes précis de la valorisation résiduelle dans le cadre de l’étude. Ce qui
montre l’inclination des gestionnaires à définir et à percevoir l’efficacité organisationnelle à la lumière
de leurs propres valeurs, attentes ou encore programmes d’actions (Quinn et Rohrbaugh, 1983; Weick
et Daft, 1983; Zammuto, 1984). Les caractéristiques particulières des personnes rencontrées lors des
entretiens constituent ainsi une des limites de l’étude. Celle-ci n’a pas pu compter sur les expériences
de valorisation résiduelle des opérateurs ou des employés de la base. Ces expériences auraient sans
doute apporté une vision mitigée de l’ensemble du phénomène étudié. Les études ultérieures
pourraient prendre en compte un échantillon plus élargi. Cet échantillon pourrait inclure, par exemple,
des niveaux de gestion plus diversifiés, avec entretiens auprès d’opérateurs et d’employés de la base. La
préoccupation de l’étude justifie cependant le choix des entretiens auprès des gestionnaires de haut
niveau : la connaissance à fond du dossier « écologie industrielle » de la part des responsables qui ont,
pour la plupart, participé à la planification du projet de départ et qui s’occupent de sa gestion
quotidienne. Ainsi, en raison du caractère exploratoire des entretiens réalisés et qui portaient sur la
mise en œuvre des pratiques d’écologie industrielle, en particulier la valorisation résiduelle, en raison
aussi de l’échantillonnage réduit, la validité externe de la présente étude est limitée. Les conclusions de
l’étude demeurent donc préliminaires. Par contre, la méthodologie utilisée permet une bonne validité
interne (Yin, 1989).
Comme il a déjà été mentionné, la collecte de données a reposé, en grande partie, sur des
entretiens individuels avec des responsables des entreprises étudiées. Ce qui a permis de recueillir
316
beaucoup d’informations sur des aspects divers sur lesquels reposent les activités de valorisation
résiduelle. Au total, soixante entretiens (d’une durée d’environ une heure et demie) ont été réalisés
auprès de gestionnaires, de fonctionnaires du ministère de l’Environnement du Québec et
d’entreprises du conditionnement des sous-produits. Les entretiens enregistrés ont été ensuite écoutés
et retranscrits dans leur intégralité (verbatims) sur traitement de texte. La grande quantité d’informations
recueillies lors des entretiens constitue également une limite. En effet, l’analyse d’une telle quantité de
données qualitatives s’avère difficile et présente beaucoup de défis (Colley et Diment, 2001).
D’une part, l’interprétation de ces données collectées, bien que reposant sur la comparaison des
résultats globaux de chacun des cas étudiés, constitue une simplification significative des expériences
de la valorisation résiduelle telles qu’elles ont été racontées par les gestionnaires rencontrés. Les
différents modèles proposés dans la présente étude portant sur la définition et les éléments de la
valorisation résiduelle, la typologie de la valorisation, l’intégration de l’écologie et de l’économie de
l’entreprise, la matrice des problèmes de valorisation résiduelle ainsi que les types de réglementation
environnementale ont été construits à partir de cette simplification. Ces modèles présentent donc des
limites. Le calcul de l’indice de valorisation, par exemple, qui permet de mesurer l’efficience de la
transformation des sous-produits et des matières résiduelles introduits et transformés dans les
procédés industriels ne constitue qu’une façon approximative et simplifiée de comprendre l’axe
matériel de la valorisation résiduelle. Il était cependant indispensable d’incorporer cette dimension
numérique dans l’analyse des pratiques de valorisation résiduelle. En effet, les études portant sur la
récupération des produits rebutés à haute valeur ajoutée (Guide et Van Wassenhove, 2001; Guide,
Teunter et Van Wassenhove, 2003; Inderfurth, 2005) ont montré la pertinence de l’analyse numérique
des produits récupérés. C’est sur cette analyse que reposent les différentes stratégies d’optimisation de
la récupération adoptées par les dirigeants des entreprises. Il aurait été intéressant d’approfondir la
manière d’obtenir les deux composantes de la formule de l’indice de valorisation : la quantité valorisée
et la quantité introduite des matières résiduelles. Ce qui aurait permis d’obtenir des données précises et
concises et, ainsi, d’explorer d’autres paramètres du modèle des types de valorisation résiduelle
proposé dans la présente recherche. Des études plus poussées s’imposent concernant la prise en
compte de certaines données statistiques d’analyse des pratiques de valorisation résiduelle, en
considérant les différentes fonctions de l’entreprise - ressources humaines, finances, marketing, gestion
des opérations ou gestion de l’environnement. L’idéal serait de mettre au point une formule visant à
317
calculer l’indice de valorisation à partir de certaines données quantitatives précises de l’entreprise. Les
entretiens réalisés n’ont pas permis d’accomplir cette tâche.
D’autre part, en raison de leur caractère trop technique, certaines données collectées, en
particulier des descriptions portant sur les procédés mis en place ou encore des compositions physico-
chimiques de matières résiduelles, n’ont pu être exploitées en profondeur dans l’analyse et
l’interprétation des résultats.
Les données recueillies sur la gestion environnementale de la valorisation résiduelle n’ont pas
permis d’approfondir la dimension de la gestion durable des matières et des ressources dans les
procédés de production. D’une part, l’analyse des pratiques de la gestion environnementale a reposé
essentiellement sur l’information relative à la définition d’une politique environnementale et sur le
développement des indicateurs de mesure des performances environnementales. De nombreuses
études portant sur l’optimisation de l’usage des matières et de l’énergie ont montré non seulement la
complexité de ces mesures, mais aussi et surtout la nécessité de prendre en compte plusieurs
paramètres (Wernick et Ausubel, 1997; Theyel, 2000; Bringezu et Moriguchi, 2002; Rogis et Matos,
2002). La plupart des entreprises visitées ne mesurent pas encore l’impact de la réduction de l’intensité
énergétique, la réduction de la dispersion des substances toxiques, l’augmentation de la capacité de
recyclage des matières, la maximisation de l’utilisation durable des ressources renouvelables,
l’augmentation de la durabilité des biens et services, tous des éléments clés de l’éco-efficience selon le
WBCSD (2000). De même, l’intégration des réalités économiques et écologiques dans les indicateurs
de performance pour l’ensemble des activités de l’entreprise rend complexe le calcul des différents
indicateurs d’éco-efficience (Helminen, 2000; Farber, Constanza et Wilson, 2002).
D’autre part, si les participants à l’étude ont fourni beaucoup d’informations sur les aspects
techniques de leurs pratiques de valorisation résiduelle, la plupart d’entre eux n’ont pas répondu de
façon spécifique à des questions portant sur la gestion environnementale de ces mêmes pratiques.
Leurs réponses se limitaient souvent à montrer, par quelques exemples, le niveau très avancé atteint
par leurs entreprises respectives sur le plan du contrôle des émissions, et cela, indépendamment de
leurs activités relatives à l’écologie industrielle, au respect de la réglementation de façon générale et aux
investissements assez importants réalisés pour arriver à une certaine maîtrise des problèmes liés à
l’environnement. Ce qui montre la complexité des questions portant sur la gestion environnementale
des activités de valorisation résiduelle. Chaque dimension portant sur ces questions semble avoir été
318
perçue de façon différente selon les répondants. En effet, comme l’ont montré certaines études, la
notion d’efficacité ou de performance - ici, environnementale - tend à prendre des significations
différentes selon les contextes précis des entreprises (Pennings, 1975; Burrell et Morgan, 1979; Gold,
1998). Des recherches futures sont nécessaires afin d’évaluer les pratiques de valorisation résiduelle
adoptées par les dirigeants d’entreprises pour montrer les liens entre ces pratiques et l’efficience de
l’usage des ressources disponibles.
La perspective de recherche adoptée dans cette thèse privilégie l’analyse critique et systématique
des actions, des décisions et des stratégies des entreprises dans la valorisation des sous-produits
industriels, et de leurs implications dans la gestion de celles-ci. Les résultats de cette analyse critique
offrent des outils pour la compréhension, l’enseignement et la promotion de l’écologie industrielle, de
même qu’une orientation en matière de politiques liées à la réglementation environnementale.
Cependant, cette même perspective limite l’analyse des facteurs économiques, politiques, légaux et
sociaux qui influencent la récupération et la transformation des sous-produits et des matières
résiduelles dans les procédés de production. Dans le même ordre d’idées, l’étude n’a pas pu montrer,
par exemple, les liens qui existent entre les pratiques de valorisation résiduelle dans les entreprises
analysées et le développement économique des régions respectives ou encore la réduction des gaz à
effet de serre dans la perspective du Protocole de Kyoto.
En raison de la diversité des secteurs industriels analysés et en raison, aussi, de la variété des
mesures de valorisation résiduelle mises en application dans les cas étudiés, les problèmes identifiés
diffèrent significativement d’une industrie à l’autre. La matrice générale des difficultés de valorisation
selon les perceptions des dirigeants proposée dans la présente étude constitue une façon simplifiée de
présenter ces mêmes difficultés. Bien qu’un effort ait été fourni pour regrouper les problèmes
rencontrés sans pour autant minimiser ceux qui ne semblent pas être récurrents, force est de
reconnaître que chaque secteur industriel présente des difficultés propres.
Il serait certainement intéressant d’analyser les problèmes de la valorisation résiduelle par
secteurs industriels. Les analyses sectorielles de la valorisation résiduelle reposeraient sur les pratiques
de récupération et de transformation des types spécifiques de matières résiduelles ou sous-produits
industriels : pneus hors d’usage, batteries au plomb-acide ou encore scories d’acier inoxydable. En
plus, ces études pourraient prendre en compte un échantillon plus élargi. Cet échantillon pourrait
inclure, par exemple, outre les entreprises oeuvrant dans un même secteur industriel, avec entretiens
319
auprès de gestionnaires et d’employés, d’autres acteurs principaux autour desquels gravitent les
pratiques d’écologie industrielle dans ce secteur spécifique, à savoir les entreprises de
préconditionnement des matières, les fournisseurs de diverses matières résiduelles, les entreprises
réceptrices de résidus, mais aussi les organismes de subventions, les fonctionnaires des ministères
concernés, comme ceux de l’Environnement, des Transports, de l’Agriculture et bien d’autres. Comme
l’ont suggéré quelques auteurs (Sagar et Frosch, 1997; Wells et Seitz, 2005), l’analyse sectorielle des
symbioses industrielles permet de mieux comprendre les enjeux de la fermeture des boucles
productives. Les résultats de ces études autoriseraient l’approfondissement des problèmes spécifiques
de valorisation résiduelle explorés dans la présente étude.
Étant donné le dynamisme de l’ensemble des activités liées à l’introduction, à la conversion, à
l’échange et au développement des marchés, activités qui constituent le cœur des pratiques de
valorisation résiduelle à l’échelle de l’entreprise - comme les résultats de la recherche ont tenté de le
démontrer -, une piste de recherche supplémentaire est, bien sûr, l’analyse comparative de ces activités
dans le temps.
L’étude réalisée constitue une exploration des mécanismes et du fonctionnement de la mise en
œuvre des initiatives de valorisation résiduelle comme pratique d’écologie industrielle. La
compréhension des enjeux de ces initiatives pour la gestion des entreprises engagées dans cette
démarche ainsi que les difficultés auxquelles les gestionnaires de ces mêmes entreprises font face
suppose qu’il faille croiser de multiples dimensions liées à l’environnement, à l’économie et à la société.
La présente recherche tâche de porter à la connaissance des chercheurs, des décideurs et des praticiens
des pistes par lesquelles la compréhension des processus d’utilisation et de transformation des matières
résiduelles ou des sous-produits devrait être focalisée, et ce, en rapport avec la promotion des
initiatives d’écologie industrielle dans les entreprises. N’est-ce pas là, pour reprendre Van Doren
(2002), une façon élégante de faire évoluer l’ensemble des systèmes industriels actuels vers un mode
de fonctionnement viable, à l’image de la biosphère actuelle et en harmonie avec elle?
320
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345
ANNEXES
346
LE QUESTIONNAIRE DE RECHERCHE
QUESTIONNAIRE SUR LA VALORISATION DES SOUS-PRODUITS INDUSTRIELS (QVSPI)
AU RESPONSABLE DES OPÉRATIONS OU DE L’ENVIRONNEMENT
ENQUÊTEUR : JEAN KABONGO D. DATE :
1. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR L’ENTREPRISE
• Nom de l’entreprise : • Activités de l’entreprise : • Secteur d’activités : • Début des activités de l’entreprise : • Début des pratiques de valorisation des sous-produits industriels (VSPI) : • Nombre total d’employés : • Structure organisationnelle : • Les grandes fonctions de la structure organisationnelle : • Mission de l’entreprise : • Avez-vous une politique environnementale? Quels en sont les principaux objectifs? • Y a-t-il des personnes qui travaillent à temps plein à la fonction « environnement »?
Combien?
1.1. Production
1.1.1. Types de production : 1.1.2. Importance de la production (tonnes par jour ou par an) : 1.1.3. Niveau d’intégration des pratiques d’écologie industrielle
• Type 1 : • Type 2 : • Type 3 : • Type 4 :
1.1.4. Types de synergie industrielle :
• Transformation des produits finis ou semi-finis en matières premières (SI 1) : • Transformation des résidus industriels en matières premières (SI 2 ) : • Utilisation des déchets industriels dans l’un ou l’autre procédé (SI 3) : • Valorisation énergétique (SI 4) :
347
• Substitution de certaines matières premières de base (SI 5) :
1.2. Certifications internationales
1.2.1. Série ISO 9000 (année de l’obtention) :
1.2.2. Série ISO 14001 (année de l’obtention) :
2. LA VALORISATION DES SOUS-PRODUITS INDUSTRIELS (VSPI)
2.1. Qu’est-ce que, selon vous, la VSPI? Que faites-vous dans ce domaine? 2.2. Quelles sont, selon vous, les motivations qui ont poussé l’entreprise à investir dans les
stratégies de VSPI? 2.3. Quels sont les facteurs internes et externes qui ont le plus favorisé cette option? 2.4. La VSPI constitue-t-elle une stratégie d’affaires qui vous démarque des autres entreprises?
Pourquoi? 3. LES PROCÉDÉS UTILISÉS DANS LA VSPI
3.1. Procédé(s) de base
3.1.1. Quels sont les intrants principaux ou matières premières qui tiennent lieu de VSPI? D’où viennent-ils?
3.1.2. Pourriez-vous décrire les étapes principales (si possible, un schéma)? Par exemple : l’entreposage des matières premières, la préparation du résidu, l’électrolyse, le séchage, le transport, etc.
3.1.3. À combien évaluez-vous la production totale de matières valorisées par rapport à la matière totale introduite dans les différents procédés (indice de valorisation des matières résiduelles)?
3.2. Le choix du procédé
3.2.1. Quelles sont les raisons qui ont poussé l’entreprise à choisir ce procédé? 3.2.2. Avez-vous procédé par un projet pilote? Si oui, quels ont été les résultats obtenus?
3.3. L’équipement nécessaire
3.3.1. Quel est le coût total de l’équipement utilisé? 3.3.2. Avez-vous eu recours à une main-d’œuvre spécialisée et technique pour son
utilisation?
348
4. PERFORMANCES DE L’ENTREPRISE
4.1. Performances financières et économiques 4.1.1. Est-ce que les stratégies de VSPI mises en œuvre permettent à l’entreprise d’être
performante sur le plan financier?
• Augmentation des parts de marché : • Croissance des exportations : • Amélioration de la rentabilité :
4.2. Performances environnementales
4.2.1. Quels sont les indicateurs de performance environnementale utilisés par votre
entreprise (l’éco-efficience)?
• Indicateur d’intensité énergétique : • Indicateur d’intensité des déchets : • Indicateur d’intensité de l’eau :
4.2.2. Dans la définition des stratégies de VSPI, comptez-vous sur l’information en termes
de flux de matière et d’énergie dans les systèmes de production en rapport avec l’environnement?
5. LES PROBLÈMES RENCONTRÉS DANS LA MISE EN ŒUVRE DES STRATÉGIES DE VSPI
• Quels sont, de façon générale, les problèmes rencontrés dans la mise en œuvre des pratiques de
VSPI? • Quels sont les problèmes rencontrés dans les domaines précis suivants?
5.1. RESSOURCES HUMAINES
5.1.1. Recrutement de la main-d’œuvre qualifiée. 5.1.2. Implication du personnel dans le développement des comportements en matière de
qualité, d’environnement et de santé-sécurité au travail. 5.1.3. Taux de rotation du personnel. 5.1.4. Relations avec les groupes écologistes. 5.1.5. Relations avec les gouvernements (niveaux provincial et régional).
5.2. FINANCES
5.2.1. La comptabilité des activités environnementales. 5.2.2. L’adaptation de la fonction économique à la fonction écologique. 5.2.3. Les coûts des équipements pour la VSPI.
349
5.2.4. La pérennité des pratiques de VSPI dans le secteur d’activités (rentabilité, opportunité unique d’affaires).
5.2.5. L’obtention des résultats à court terme.
5.3. GESTION DES OPÉRATIONS
5.3.1. L’approvisionnement en matières premières. 5.3.2. Le transport des matières résiduelles (dangereuses). 5.3.3. La localisation de l’entreprise. 5.3.4. L’adaptation de la technologie aux exigences environnementales. 5.3.5. L’effet de l’apprentissage (arrêts-départs des équipements). 5.3.6. L’obtention des permis pour opérer et travailler avec les matières dangereuses
(ministères, etc.). 5.3.7. La valorisation de tous les déchets générés par les procédés de l’usine. 5.3.8. Les réseaux de récupération des matières résiduelles (fournisseurs). 5.3.9. La substitution des matières pour optimiser les ressources. 5.3.10. La dépendance des systèmes de production et de consommation pour avoir accès aux résidus. 5.3.11. Les procédés de VSPI mis en place. 5.3.12. La qualité du produit issu de la VSPI. 5.3.13. Les coûts d’opération par tonne de matière valorisée. 5.3.14. Le facteur « perte de matière ». 5.3.15. La génération des déchets non-valorisables. 5.3.16. L’optimisation de l’usage de matière et d’énergie par procédé
(productivité). 5.3.17. L’analyse du cycle de vie des produits et des procédés. 5.3.18. Les indicateurs de performance énergétique. 5.3.19. L’adaptation aux nombreuses demandes des clients (les divers
codes de fabrication selon les clients).
5.4. VENTES
5.4.1. La recherche des partenaires commerciaux et le positionnement des produits (sous-produits de la VSPI).
5.4.2. La qualité des produits par rapport aux exigences des clients. 5.4.3. La concurrence avec les produits issus de la première valorisation (première fonderie,
etc.).
5.5. ENVIRONNEMENT
5.5.1. Les exigences environnementales (rencontrer et dépasser les normes, attitude proactive, etc.).
5.5.2. Les niveaux de pollution de l’air, de l’eau et des sols. 5.5.3. Les indicateurs de performance environnementale (intensité des déchets, de l’eau et
de l’énergie).