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La vie quotidienne à Liège pendant la Première Guerre mondiale Francois Debart Florent Deblecker Sarah Delvin 109 Ce Liège de l’autre guerre, je le revois avec ses tableaux lamentables et cocasses. Voici l’ère de la « torréaline », du malt, de la saccharine, du « gritz » et de la « céréaline ». L’ère de la pièce en zinc, du mark et du franc belge en papier, du « bon de chômage », de l’heure allemande, de l’heure d’été. L’ère des ramasseurs de mégots, du tabac infumable, composé de feuilles de tilleul et de feuilles de chou. L’ère des camelots qui présentaient sur nos marchés d’ahurissants succédanés lesquels donnent la migraine, la colique et la démangeaison. L’ère du cacao additionné de brique pilée dans la proportion du célèbre pâté d’alouettes (un cheval, une alouette). L’ère du pain de Hollande collant et bizarre, du lard d’Amérique, de la Commission « For Relief in Belgium ». L’ère de la livre de beurre truquée, au milieu de laquelle on trouve une betteraveRem Georges (pseudonyme de Georges Remy), Le roman de ma maison 1 Dès l’annonce de l’ultimatum au mois d’août 1914, le peuple belge est précipité dans une situation économique très complexe. En quelques jours, la confusion s’installe et la vie publique est totalement bouleversée. Le quotidien de la population est rapidement réglementé par une multitude d’affiches allemandes placardées sur les murs des villes et des villages. Les passants peuvent soit y lire le récit des triomphes de l’armée allemande, soit prendre connaissance des ordonnances allemandes, véritable imbroglio de règles modifiant radicalement la vie des Belges 2 . À la confusion de l’invasion succède donc une forme d’ordre, nécessaire pour la mise en place d’une cohabitation forcée et d’une coopération limitée entre population locale et occupant 3 . Le chaos administratif et économique sera progressivement remplacé par une organisation faite, selon les termes de l’historien belge Michel Dumoulin, « de contrainte, de bureaucratie et de morgue » 4 . L’occupation va connaître deux périodes. Jusqu’en 1916, les Allemands imposeront un régime certes rude et autoritaire, mais relativement retenu. À partir d’octobre de la même année, l’occupation se durcit avec les déportations d’ouvriers et de paysans. S’ensuit le terrible hiver de 1916-1917, qui voit l’intensification du pillage du pays. À partir de novembre 1914 et la stabilisation des opérations militaires, le territoire belge est divisé en trois zones. La première est celle des combats (Operationsgebiet), soumise à un régime de guerre. La seconde est la zone des étapes (Etappengebiet), proche des champs de bataille et qui recouvre la Flandre occidentale, la majeure partie de la Flandre orientale, le Hainaut occidental et l’extrême sud du Luxembourg. Elle est contrôlée directement par les militaires. Enfin, le gouvernement général occupe le reste de la Belgique (Okkupationsgebiet), dont la Province de Liège, où une administration militaire, doublée d’une administration civile, gère le quotidien. À la tête de cette zone d’occupation, on retrouve le général allemand Moritz von Bissing, qui dispose d’un pouvoir pratiquement illimité jusqu’à sa mort en avril 1917, époque à laquelle il est remplacé par le général Ludwig Von Falkenhausen. Chaque province dépend d’un gouverneur militaire (à Liège, quatre gouverneurs se succèdent), épaulé par une administration civile provinciale. L’administration belge reste en place, mais l’occupant tente de l’exploiter. Par exemple, les communes et les provinces sont toujours présentes, bien qu’elles soient soumises aux autorités allemandes. La magistrature belge est également maintenue. La police communale est placée sous l’autorité militaire. Le roi, le gouvernement et le Parlement n’ont plus aucune autorité en Belgique. L’armée allemande est très présente tout au long du conflit, la Belgique étant pour elle une zone de transit. De nombreux soldats cantonnent dans les villes et villages belges et liégeois. Commence donc à la fin de l’été 1914 un régime d’occupation rude, qui entend progressivement utiliser les ressources économiques du territoire au profit de l’Allemagne. Peu à peu, la vie quotidienne reprend ses droits, mais les conditions de vie de nombreux Liégeois vont rapidement se détériorer. Un problème, qui sera lancinant pendant toute la durée de la guerre, va rapidement se poser dès le lendemain de l’invasion : celui de la pénurie alimentaire. 1 Rem Georges, Le roman de ma maison, Ans, Editions Printex, 1975, p. 155. 2 De Schaepdrijver Sophie, La Belgique et la Première Guerre mondiale, Bruxelles, 2004, p. 103, 116 ; Bourlet Michaël, La Belgique et la Grande Guerre, Paris, Soteca, 2012, p. 85. 3 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p. 106. 4 Dumoulin Michel, Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918. L’entrée dans le XX e siècle, nouvelle édition augmentée, Bruxelles, Le Cri Édition, 2010, p. 113. Les Allemands place Saint-Lambert, 7 août 1915 Les gouverneurs généraux allemands en Belgique. A droite, Moritz von Bissing ; à gauche, Ludwig Von Falkenhausen

La vie quotidienne à Liège pendant la Première Guerre ... - Dossier... · des combats (Operationsgebiet), soumise à un régime de guerre. La seconde est la zone des ... 1 Rem

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  • La vie quotidienne Lige pendant la Premire Guerre mondiale Francois Debart Florent Deblecker Sarah Delvin

    109

    Ce Lige de lautre guerre, je le revois avec ses tableaux lamentables et cocasses. Voici lre de la torraline , du malt, de la saccharine, du gritz et de la craline . Lre de la pice en zinc, du mark et du franc belge en papier, du bon de chmage , de lheure allemande, de lheure dt. Lre des ramasseurs de mgots, du tabac infumable, compos de feuilles de tilleul et de feuilles de chou. Lre des camelots qui prsentaient sur nos marchs dahurissants succdans lesquels donnent la migraine, la colique et la dmangeaison. Lre du cacao additionn de brique pile dans la proportion du clbre pt dalouettes (un cheval, une alouette). Lre du pain de Hollande collant et bizarre, du lard dAmrique, de la Commission For Relief in Belgium . Lre de la livre de beurre truque, au milieu de laquelle on trouve une betterave.

    Rem Georges (pseudonyme de Georges Remy), Le roman de ma maison1

    Ds lannonce de lultimatum au mois daot 1914, le peuple belge est prcipit dans une situation conomique trs complexe. En quelques jours, la confusion sinstalle et la vie publique est totalement bouleverse. Le quotidien de la population est rapidement rglement par une multitude daffiches allemandes placardes sur les murs des villes et des villages. Les passants peuvent soit y lire le rcit des triomphes de larme allemande, soit prendre connaissance des ordonnances allemandes, vritable imbroglio de rgles modifiant radicalement la vie des Belges2.

    la confusion de linvasion succde donc une forme dordre, ncessaire pour la mise en place dune cohabitation force et dune coopration limite entre population locale et occupant3. Le chaos administratif et conomique sera progressivement remplac par une organisation faite, selon les termes de lhistorien belge Michel Dumoulin, de contrainte, de bureaucratie et de morgue4.Loccupation va connatre deux priodes. Jusquen 1916, les Allemands imposeront un rgime certes rude et autoritaire, mais relativement retenu. partir doctobre de la mme anne, loccupation se durcit avec les dportations douvriers et de paysans. Sensuit le terrible hiver de 1916-1917, qui voit lintensification du pillage du pays.

    partir de novembre 1914 et la stabilisation des oprations militaires, le territoire belge est divis en trois zones. La premire est celle des combats (Operationsgebiet), soumise un rgime de guerre. La seconde est la zone des tapes (Etappengebiet), proche des champs de bataille et qui recouvre la Flandre occidentale, la majeure partie de la Flandre orientale, le Hainaut occidental et lextrme sud du Luxembourg. Elle est contrle directement par les militaires. Enfin, le gouvernement gnral occupe le reste de la Belgique (Okkupationsgebiet), dont la Province de Lige, o une administration militaire, double dune administration civile, gre le quotidien. la tte de cette zone doccupation, on retrouve le gnral allemand Moritz von Bissing, qui dispose dun pouvoir pratiquement illimit jusqu sa mort en avril 1917, poque laquelle il est remplac par le gnral Ludwig Von Falkenhausen.

    Chaque province dpend dun gouverneur militaire ( Lige, quatre gouverneurs se succdent), paul par une administration civile provinciale. Ladministration belge reste en place, mais loccupant tente de lexploiter. Par exemple, les communes et les provinces sont toujours prsentes, bien quelles soient soumises aux autorits allemandes. La magistrature belge est galement maintenue. La police communale est place sous lautorit militaire. Le roi, le gouvernement et le Parlement nont plus aucune autorit en Belgique.

    Larme allemande est trs prsente tout au long du conflit, la Belgique tant pour elle une zone de transit. De nombreux soldats cantonnent dans les villes et villages belges et ligeois.

    Commence donc la fin de lt 1914 un rgime doccupation rude, qui entend progressivement utiliser les ressources conomiques du territoire au profit de lAllemagne.

    Peu peu, la vie quotidienne reprend ses droits, mais les conditions de vie de nombreux Ligeois vont rapidement se dtriorer. Un problme, qui sera lancinant pendant toute la dure de la guerre, va rapidement se poserds le lendemain de linvasion: celui de la pnurie alimentaire.

    1 Rem Georges, Le roman de ma maison, Ans, Editions Printex, 1975, p.155.2 De Schaepdrijver Sophie, La Belgique et la Premire Guerre mondiale, Bruxelles, 2004, p.103, 116; Bourlet Michal, La Belgique et la Grande Guerre, Paris, Soteca, 2012, p.85.3 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.106.4 Dumoulin Michel, Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918. Lentre dans le XXe sicle, nouvelle dition augmente, Bruxelles, Le Cri dition, 2010, p.113.

    Les Allemands place Saint-Lambert, 7 aot 1915

    Les gouverneurs gnraux allemands en Belgique. A droite, Moritz von Bissing ; gauche, Ludwig Von Falkenhausen

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    Les privations et lorganisation du ravitaillement

    Petite histoire du CNSA et du CRB: la premire aide humanitaire internationale denvergure

    Avant mme loccupation, la question de la disette alimentaire se posait. Dans la crainte que la guerre clate, des manifestations houleuses avaient ainsi eu lieu Lige peu de temps avant linvasion pour dnoncer lattitude prsume de certains commerants qui stockaient des denres, faisant ainsi augmenter leurs prix5.

    Rien en effet na t prvu sur le plan conomique en cas de conflit. Depuis longtemps tributaire des importations (par exemple, elle importe 80% de son bl), la Belgique prouve dimportantes difficults de ravitaillement,dautant plus que les exigences allemandes relatives aux troupes viennent sajouter la demande intrieure.6 Avec loccupation, il nest plus question dimportations suite la mise en place par le Royaume-Uni dun blocus conomique qui frappe non seulement lAllemagne, mais aussi la Belgique, avec pour principales consquences linterruption des relations commerciales davant-guerre et laggravation des pnuries7.

    La population belge sent rapidement que la guerre va crer un climat de misre et causer la rarfaction progressive des denres8. Le 26 octobre 1914, les dputs provinciaux de Lige craignent une meute due la famine9.

    Ltat belge dsormais impuissant et loccupant ne faisant pas du ravitaillement de la Belgique une priorit, la situation alimentaire continue de se dgrader. et l naissent des groupements destins soulager les plus dmunis, mais ces initiatives individuelles sont trop disperses et manquent cruellement dorganisation. Ds lors, plusieurs personnalits vont tenter de limiter les effets de la pnurie et de linflation. Linitiative dun ravitaillement revient au bourgmestre de Bruxelles, Adolphe Max. Sa priorit est de subvenir aux besoins lmentaires des plus ncessiteux par une distribution quotidienne de soupe au sein des cantines scolaires10. Pareille pratique se propage rapidement dans bon nombre dautres communes belges. En Province de Lige, en vue dassurer lapprovisionnement en denres alimentaires et de premire ncessit de la banlieue industrielle ligeoise (hors de la ville de Lige, qui organise son propre ravitaillement), un industriel, Paul van Hoegarden, et plusieurs hommes politiques, dont le bourgmestre de Lige Gustave Kleyer, mettent sur pied un Comit dAlimentation et dHygine en septembre 1914.

    5 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, Sur les traces de 14-18 en Wallonie. La mmoire du Patrimoine, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2013, p.211-212.6 Dumoulin Michel, Grard Emmanuel, Van Den Wijngaert Mark, Dujardin Vincent, op. cit., p.101 ; De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.107.7 Dumoulin Michel, op. cit., p.101 ; Delhalle Sophie, Le CNSA, uvre purement humanitaire? Les comits locaux de Secours et dAlimentationpendant la Grande Guerre, in Institut dHis-toire Ouvrire, Economique et Sociale, n107 (26 dcembre 2012), p.1. ; Bourlet Michal, op. cit., p.106.8 Rency Georges (Albert Stassart), La Belgique et la Guerre, t.1, La vie matrielle de la Belgique durant la Guerre mondiale, Bruxelles, Henri Bertels, 1920, p.118-119.9 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.107.10 Rency Georges (Albert Stassart), op. cit., p.122 ; De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.107.

    Personnel du Comit de Secours de la Ville de Lige

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    Malgr cet lan de gnrosit, les moyens financiers font souvent dfaut et la faim continue de tirailler lestomac du peuple belge. Arrivent alors sur le devant de la scne des industriels et des hommes daffaires comme Ernest Solvay11 et mile Francqui12.

    En septembre 1914, ils fondent, avec le bourgmestre de Bruxelles, le Comit National de Secours et dAlimentation, communment appel le CNSA13, auquel saffilient les Ligeois: le Comit de Secours et dAlimentation de la Province de Lige est n. Il chapeaute quatre comits darrondissement (Lige, Verviers, Huy et Waremme) et 343 comits locaux (correspondant aux communes). Le secours sorganise en faveur des familles de soldats partis la guerre, mais aussi pour tous ceux atteints par larrt du travail, consquence directe des combats.

    Au sein de chaque commune, on retrouve un comit dalimentation (charg de la gestion du magasin communal de ravitaillement qui vend des denres), un comit de secours (charg de la distribution des secours) et un comit de chmage (charg de la distribution de secours aux chmeurs)14. Le CNSA pratique une politique paternaliste issue du XIXe sicle: menant la fois une uvre philanthropique et morale, laide nest accorde quaprs une enqute pralable non seulement sur la situation financire, mais aussi sur le degr

    de moralit et de patriotisme des secourus. Certaines professions, comme les cabaretiers, en sont exclues15. Conscients de ne pouvoir subvenir seuls aux besoins de lensemble de la population, les membres du CNSA tentent dobtenir un soutien international. La principale difficult est dobtenir un accord des Britanniques permettant lassouplissement du blocus continental16. Autrement dit, le CNSA doit pouvoir compter sur une protection que seules les puissances neutres de lpoque lEspagne et les tats-Unis (puis les Pays-Bas) peuvent lui garantir17. Ainsi, les ambassadeurs respectifs de ces tats, le marquis de Villalobar et Brand Whitlock, en acceptent le patronage. Ds le 15 octobre 1914, ils se mettent en rapport avec le gouverneur gnral qui leur donne lassurance officielle que toutes les marchandises importes sous leur garantie seront exemptes de rquisitions de la part des autorits militaires et resteront la disposition exclusive du Comit.

    11 Ernest Solvay (1838-1922): industriel, sociologue, snateur libral de Bruxelles jusquen 1900, ministre dtat (1918); il patronne la cration du CNSA quil a financ en partie.12 mile Francqui (1863-1935): officier, explorateur, diplomate et homme dtat. Aprs plusieurs expditions en Afrique et des missions diplomatiques en Chine, il se convertit en homme daffaires et devient le prsident du CNSA. Il devient ministre dtat en 1934.13 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.215.14 Delhalle Sophie, Le CNSA, uvre purement humanitaire? Les comits locaux de Secours et dAlimentationpendant la Grande Guerre, in op. cit. , p. 2.15 Idem, p.4.16 Dumoulin Michel, op. cit., p.102 ; Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.215.17 Ibidem; Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.215.

    mile Francqui

    Le comit de ravitaillement de la Province de Lige

    File devant un magasin de ravitaillement, rue de la Station Verviers

    Ougre. Bureau de bienfaisance, 1914-1915

    Ernest Solvay

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    Install en Belgique, le CNSA nest pas en mesure de grer les achats et dacheminer ceux-ci depuis ltranger. Ds lors, mile Francqui contacte un ingnieur des mines amricain, Herbert Hoover18, dans lespoir de faciliter les achats et les transports de marchandises en faveur de la Poor Little Belgium . Le CNSA va ds lors jouir dune mobilisation internationale et dun soutien logistique grce la Commission for Relief in Belgium (CRB Commission pour le secours en Belgique), cre en octobre 1914 et prside par Herbert Hoover19.

    Grce ses quatre bureaux installs New York, Londres, Rotterdam et Bruxelles, la CRB va assurer la rcolte de fonds, lachat de vivres et le ravitaillement, par bateau, de la Belgique et du nord de la France (galement occup). La CRB dispose dun budget si important quil permet lacheminement de laide alimentaire (riz, mas, haricots, bl, viande...) et dautres produits de premire ncessit (vtements, chaussures...) depuis les quatre coins du monde. Une fois rceptionnes par le CNSA, les denres importes sont ensuite rparties entre les diffrentes provinces et distribues aux magasins communaux de ravitaillement20.

    Ds novembre 1914, les premires cargaisons de vivres arrivent en Belgique. Quelque 2 500 tonnes de sacs de nourriture (farine, conserves de lgumes, riz) et dautres marchandises (laine, jouets, chaussures) sont ainsi apports par des navires21.

    18 Herbert Hoover deviendra le 31e Prsident des tats-Unis, de 1929 1933.19 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.108.20 Rency Georges (Albert Stassart), op. cit., p.164.21 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.109-110 ; Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.215.

    Le marquis de Villalobar

    Herbert Hoover

    Sacs de farine dans un entrept Btiment central de lapprovisionnement en vtements Bruxelles

    Affiche amricaine En Belgique. laide

    Bateau transportant laide alimentaire du CRB

    Brand Whitlock Lithographie rendant hommage Brand Whitlock et Woodrow Wilson, Prsident des tats-Unis, 1915

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    Au fur et mesure de lavance du conflit, loccupant allemand tente plusieurs reprises de dtourner laide. Cependant, cette entreprise a si bien fonctionn pendant les quatre annes de guerre que le niveau de lapprovisionnement durant la premire moiti du conflit est relativement convenable22.Lorsque les tats-Unis entrent en guerre en avril 1917, la CRB et le CNSA cdent la place un Comit Hispano-Hollandais. Brand Whitlock, ambassadeur des tats-Unis en Belgique, est remplac par le ministre hollandais van Vollenhoven aux cts du marquis espagnol de Villalobar. Ces dirigeants tmoignent normment dintrt ce comit et croient en son action. Ils bnficient ainsi dune aide relativement large, se voyant par exemple octroyer la gratuit de certains transports en Amrique et en Europe pour le ravitaillement.

    Entre janvier 1915 et dcembre 1918, la Commission for Relief in Belgium a fourni environ 3,2 millions de tonnes de vivres et de vtements. Pour mener bien ses actions, le CNSA a pu compter sur les services de 4 000 comits provinciaux et locaux et sur 125000 collaborateurs. Le CNSA et la CRB constituent les premires formes daide humanitaire denvergure internationale.

    La reconnaissance des Ligeois

    Afin de remercier les Amricains pour leur aide, les Ligeois exposent des sacs amricains destins tre renvoys aux tats-Unis. Ces sacs sont orns de peintures, dessins ou broderies raliss par des Ligeois. Le jour de la fte nationale amricaine, de nombreuses cocardes aux couleurs amricaines sont mises en vente dans la Cit ardente. Toutefois, les Allemands napprcient gure cette manifestation de reconnaissance en 1915, comme le rappelle Dieudonn Boverie.

    La vente des cocardes toiles avait un double but : rendre hommage aux Amricains et, grce au produit de la vente, alimenter la caisse du Comit de secours aux indigents. Mais des patrouilles allemandes circulrent en ville, conduites par des officiers, arrachrent toutes les cocardes que portaient les passants. Ils allrent jusqu faire retirer les drapeaux arbors au Consulat des tats-Unis. Cependant, le lendemain, sur ordre venu sans doute de Berlin, il fut permis de porter la cocarde [].23

    22 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.115; Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.215.23 BOVERIE Dieudonn, Lige dans la Guerre et dans la paix. Autobiographie. Lige vivant, de 1905 1918, Lige, Vaillant-Carmanne, 1978, p. 118.

    Fte de reconnaissance pour le ravitaillement amricain, dans une classe dcole. Groupe des lves entourant les dlgus du ravitaillement, Lige

    Affiche pour lexposition-vente de sacs amricains au profit de luvre du Secours Discret, Lige, 1915

    Affiche pour lexposition-vente de sacs amricains au profit de luvre des prisonniers de guerre, Herstal, 1916

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    Affiche pour une exposition duvres artistiques au profit du Secours Discret, Lige, 1915

    Affiche pour une runion dathltisme au profit dun comit sportif, Lige, 1918

    Paralllement ces organisations, des initiatives locales et prives sont prises. Un grand nombre dadministrations communales, soit seules, soit groupes avec dautres, fondent des socits coopratives pour acheter directement aux producteurs et ainsi supprimer la spculation des intermdiaires24. Elles rpartissent les denres recueillies aux uvres dalimentation.

    Une srie duvres philanthropiques voient le jour pour venir en aide aux plus dmunis, au niveau alimentaire, vestimentaire ou de la protection de lenfance. Certaines entendent galement venir en aide aux soldats et civils emprisonns en Allemagne, aux familles des soldats belges prsents sur lYser, aux orphelins, aux artistes En Province de Lige, on retrouve une srie dassociations dentraide aux noms vocateurs: lAide et Protection aux familles dofficiers et de sous-officiers, le Comit provincial de secours aux prisonniers, Djeuner aux enfants pauvres, Habillement des orphelins de soldats et enfants de mutils, Petit Paradis de la chaussure, Prisonniers soldats dOutre-Meuse

    Quelques-unes de ces associations mettent sur pied des manifestations culturelles, sportives pour collecter des dons. cette occasion, de nombreux artistes ligeois, tel Armand Rassenfosse, mettent leur talent disposition de ces socits de bienfaisance en crant des affiches pour promouvoir leurs activits. Certaines associations refusent les secours qui proviennent de spectacles ou de ftes, estimant que la situation ne sy prte pas.

    24 Henry Albert, Le Ravitaillement de la Belgique, Paris, Presses Universitaires de France, 1924, p. 156 (Collection: Histoire conomique et sociale de la guerre mondiale: srie belge).

    Affiche dArmand Rassenfosse pour une exposition horticole au profit de diverses uvres caritatives, Lige, 1915

    Affiche pour un rcital au profit de luvre des Soupers aux Ncessiteux, Lige, 1918

    Affiche pour une exposition et vente de Lgumes au profit du Sou du Passe-Temps, Lige, 1918

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    Vivre au quotidien les pnuries et les rquisitions

    Lalimentation

    Le problme du ravitaillement et de lalimentation sera un souci constant et quotidien pendant quatre ans, malgr laide apporte par le CNSA et la CRB. En effet, daprs les recherches du professeur Peter Scholliers, le CNSA estime devoir apporter un ravitaillement quotidien de 1 220kcal par personne et par jour, quelle espre distribuer comme complment alimentaire25. Or, lapprovisionnement ne permet datteindre que 64-65 % environ de ce chiffre en 1915 et 1918, 54% en 1917.

    Les conditions de vie se dgradent, en particulier pour les ouvriers, qui mangent aussi mal quun demi-sicle auparavant, surtout partir de lhiver 1916-191726. La situation alimentaire est aggrave par les conditions conomiques : bon nombre dusines sont condamnes fermer leurs portes, faute de matires premires ou par refus de collaborer avec les Allemands. Le chmage fragilise donc normment la population, qui connat de facto une baisse de son pouvoir dachat, accentue par une inflation galopante des prix, la rglementation des dplacements et du transport des aliments. En effet, le commerce intrieur est paralys en raison de linterdiction de transporter des denres alimentaires au-del des frontires communales. Un seul sujet hante les conversations, le ravitaillement ! Les enfants dprissent par manque de nourriture, certaines personnes svanouissent en pleine rue et des personnes ges devenues trop faibles succombent27. La faim taraude de nombreux esprits, comme sen souvient Dieudonn Boverie, alors jeune garon: Je rvais souvent de repas copieux. Je songeais ces fricasses au lard et la saucisse de Chvremont et la tarte de riz qui suivait. Je songeais aux boulets [] que mon pre et ma mre russissaient si bien et que jaimais beaucoup, accompagns de frites de chez FraipontJe songeais la crme glace de chez Tho, ct de chez Luscat, de cette crme onctueuse que ma mre nous envoyait chercher dans des verres ou que lon mangeait dans dpaisses galettes.

    La hausse des prix entre juillet 1914 et janvier 191828

    Denres (pour un 1kg) Juillet 1914 Dcembre 1915 Dcembre 1916 Juillet 1917 Janvier 1918

    Buf 3 francs 5 francs 9 francs 14 francs 16 francs

    Lard 2 francs 4,80 francs 16 francs 25 francs 30 francs

    Pommes de terre 0,10 franc 0,30 franc 0,85 franc 2,25 francs 2,50 francs

    Riz 1 franc 2 francs 4 francs 15 francs 16 francs

    Caf 2,40 francs 3,20 francs 16 francs 36 francs 40 francs

    Chicore 0,25 franc 0,60 franc 3 francs 10 francs 10 francs

    Beurre 3 francs 5,50 francs 8,50 francs 18 francs 30 francs

    Lait (litre) 0,20 franc 0,30 franc 0,40 franc 0,70 franc 1,5 franc

    Laine 9 francs 21 francs 60 francs 90 francs 160 francs

    Souliers (paire) 20 francs 30 francs 60 francs 100 francs 200 francs

    25 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.216.26 Scholliers Peter, Daelemans Frank, Standards of living and standards of health in wartime Belgium, in RICHARD wall, WINTER Jay (dir.), The upheaval of war: family, work and welfare in Europe, 1914-1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 139-158.27 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.218-219.28 Pirotte Toussaint, La Guerre14-18 dans nos villages... et ailleurs, Hermalle-sous-Argenteau, 1994, p.77, cit par Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.211-212

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    Les rquisitions senchanent et de plus en plus de personnes doivent avoir recours la charit publique et prive. Elles sont issues de milieux divers et varis: ouvriers, chmeurs, malades, personnes ges, bientt rejointes par les travailleurs salaris et la petite bourgeoisie.

    Dans les magasins du CNSA, appels parfois magasins amricains, la population peut acheter diverses fournitures importes. Ces dons consistent en farines spciales, conserves (de viandes, de poissons, de lgumes), ptes alimentaires, lait en poudre (exclusivement rserv aux uvres de lenfance) Certains produits sont des nouveauts exotiques: le riz, le sugar corn (sirop de mas), le pork and beans (mlange en conserve de haricots et de porc sal ou de graisse de porc fondue), le grits (prparation culinaire dorigine amrindienne base de mas moulu) La pnurie de vivres indignes familiarise progressivement le consommateur belge aux vivres imports par la CRB.

    Chaque mnage ligeois reoit galement une carte de ravitaillement cre dans le but de contrler et de limiter la distribution des produits des magasins du CNSA.

    tiquette du sugar corn

    Brochure, Quelques modes de prparation du Sugar Corn ou Jets de Mas

    Carnet de mnage de Jules Dufour, Lige, 1915

    Carnet de mnage de Jules Dufour, Lige, 1915

    Carte de fruits et de lgumes, ravitaillement communal de la Ville de Lige

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    De plus, pour viter un mauvais usage de laide, le CNSA privilgie la distribution de bons valables dans les magasins communaux (donnant droit de la nourriture, mais aussi des vtements et du charbon) ou valables la soupe populaire29. Les quantits reues sont toutefois insuffisantes pour tre distribues toute la population.Les plus dmunis reoivent des colis de vivres gratuitement grce au dpartement secours du CNSA.

    De nombreux Belges, issus de divers milieux, se rendent galement la soupe ou la cantine populaire, o lon sert du pain et de la soupe au djeuner (qui doit apporter une valeur nutritive de minimum 300 kilocalories par ration30), puis au souper de la viande et des lgumes. Au cours du temps cependant, le niveau des importations de produits alimentaires est devenu insuffisant et seule la distribution de la soupe subsiste31. La participation aux soupes populaires est en gnral gratuite ou bas prix.Plus de la moiti de la population de la Province de Lige bnficiera de la soupe populaire durant la Grande Guerre32.

    De telles distributions, au vu et au su de tous, sont souvent difficiles, voire mme impensables pour les personnes issues de la petite bourgeoisie, qui les vivent comme une humiliation. En rponse ces ractions, sont mises en place des actions de bienfaisance, telles lAssistance Discrte ou luvre du Secours Discret Lige. Des jeunes filles de bonne famille ont pour mission dapporter des colis aux mnages dans le besoin. Grce aux dons de certains nantis sont crs de vritables cantines bourgeoises et des restaurants conomiques o, derrire des tentures lgantes, des repas prix modestes sont quotidiennement servis.33

    Un rgime spcial est tabli au profit des enfants, particulirement fragiliss par loccupation. Le Comit National cre une srie duvres de protection matrielle de lenfance, qui comprend des uvres dalimentation de la premire enfance (consultations pour nourrissons, crches), les cantines maternelles (o les futures mres reoivent un repas quotidien), les cantines denfants, les repas scolaires34 La mortalit enfantine diminue. Ces uvres dboucheront sur la cration, en 1919, de luvre nationale de lEnfance (ONE), devenue aujourdhui lOffice de la Naissance et de lEnfance.

    29 Delhalle Sophie, Le CNSA, uvre purement, p.4.30 Henry Albert, op. cit., p. 124.31 Ibidem.32 Henry Albert, op. cit., p. 124-125. 33 Idem, p.115.34 Idem, p. 127.

    Ville de Huy. Bon pour lachat de vivres valables dans les magasins de ravitaillement de la ville

    Distribution de la soupe aux familles ncessiteuses de la paroisse Saint-Pholien, Lige

    Affiche pour une tombola de bienfaisance organise au profit notamment du Sou Discret, Lige, 1915

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    La qualit de la nourriture se dtriore et les produits alimentaires de base font de plus en plus dfaut.

    Le bl se rarfie. Pour la fabrication du pain, on voit ainsi apparatre des mlanges parfois trs particuliers : une partie de la farine est remplace par de la farine de pomme de terre, dpeautre voire mme de la sciure ou du fourrage pour le btail. Il nest pas rare que le pain pourrisse, en raison de sa mauvaise qualit35, pouvant entraner des problmes de digestion. La pomme de terre est de plus en plus usite comme lment principal des repas, mais elle est soumise, partir de 1916, un rationnement de 300g puis, en 1917, de 190g par personne36.

    Il nest pas rare que le lait et le beurre soient dilus avec de leau. La viande est insuffisante, maigre et souvent remplace par du lard, rserv traditionnellement avant-guerre aux plus dmunis. Entre 1913 et 1919, la consommation de viande diminue presque de moiti37, tandis que le prix au kilo du pain double entre 1915 et 191938.

    De nouvelles habitudes alimentaires voient le jour. Des aliments comme le rutabaga et le mas39, habituellement rservs aux animaux, sont dsormais utiliss dans lalimentation humaine, parfois au grand dam des Ligeois : On nous recommanda les rutabagas, sorte de choux-raves dont nagure les bestiaux se contentaient peine et qui navaient aucune valeur nutritive. Nanmoins, on les vit apparatre sur bien des tables et les prix de ces mauvais navets haussrent40.

    La dbrouillardise est galement de mise. Des succdans(ou Ersatz en allemand) font leur apparition: pour remplacer le caf, on torrfie des crales41 (graines de seigle ou de froment, avec ventuellement de la chicore), crant un mlange appel torraline, mais aussi du riz ou des betteraves. Le miel artificiel et la saccharine, dulcorant artificiel, se substituent progressivement au sucre42. Le beurre est parfois remplac par de la margarine.

    35 SCHOLLIERS Peter, DAELEMANS Frank, Standards of living , p.1 49. 36 Henry Albert, op. cit., p. 147.37 Scholliers Peter, Daelemans Frank, Standards of living, p. 149.38 Henry Albert, op. cit., p. 80.39 Idem, p. 105.40 DE THIER Jules, GILBART Albert, Lige pendant la Grande Guerre, tome III, Lige indompte. Loccupation allemande. Septembre 1914 novembre 1918, Lige, Imprimerie Bnard, 1919, p. 203. 41 Henry Albert, op. cit., p. 111.42 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.212.

    Distribution des miches et de la soupe scolaire aux enfants de lcole de Fize-Fontaine. Photographie du groupe des coliers avec les instituteurs et les prposes aux distributions, 1917

    Avis allemand fixant le prix de diverses denres alimentaires, 14 septembre 1918

    Arrt concernant la restriction de la consommation de la viande et de la graisse, 1916

    Carte postale provenant du Moustique illustr

    Sac de torraline du Comit de Secours et dAlimentation de la Province de Lige

    Sac de racahout (mlange pour bouillie)

  • De nombreuses initiatives sont prises pour vulgariser lusage conomique des aliments imports et la prparation des produits disponibles ou dersatz. De nombreux ouvrages de cuisine conomique voient le jour : on y prsente la confection des mets bon march, le calcul de leur prix de revient ou encore leur valeur nutritionnelle.

    Les recettes de guerreLintitul des recettes cres pendant loccupation reflte bien la ralit quotidienne des Ligeois. On retrouve ainsi des recettes de gaufres, de pains dpices et de gteaux dits de guerre, de fricadelles sans viande, de salade de rutabagas En voici un exemple:

    Les gaufres de guerre: Faire des tartines de saindoux; saupoudrer de sucre ou de cassonade et cannelle moulue. Fermer les tartines et les mettre dans le fer gaufres en pressant fortement. Laisser rtir des deux cts. Inutile de graisser le fer43 .

    Pour faire face aux demandes de plus en plus nombreuses, le Comit National, les organismes de bienfaisance et les coopratives communales sefforcent galement de produire eux-mmes les vivres ncessaires. Ils se lancent dans la culture de pommes de terre et de lgumes, ouvrent des laiteries, lvent des porcs. Ainsi, Lige, ladministration communale fait planter en 1916 des pommes de terre dans les parcs publics de Cointe et du quartier des Vennes44. Le CNSA encourage la production marachre chez les particuliers pour lutter contre la faim, mais aussi contre le vol.

    Une conomie parallle se dveloppe : celle du march noir, o les produits sont vendus des prix exorbitants. Les personnes qui profitent des malheurs

    de la guerre, les accapareurs , sont surnommes en Province de Lige les Rutabagas ou encore les Graindor ou Grains dor (en raison du prix auxquels ils vendent le froment en fraude). Il ntait pas rare que les Graindor trompent les clients sur la marchandise, comme cette livre de beurre truque au milieu de laquelle on trouve une betterave, ainsi que sen rappelle Georges Remy45. Progressivement, un foss se creuse aussi entre la campagne et la ville, les citadins estimant que les fermiers profitent de la situation pour senrichir.

    Des transports clandestins de denres alimentaires sont mis sur pied, provoquant parfois des situations cocasses : La faim fait sortir le loup du bois et le citadin, de la ville. [] Il allait droit la porte des fermes; par contre, les difficults du retour taient plus grandes, lAllemand exerant un contrle dautant plus svre que les moyens de communication taient moins nombreux qu prsent et les autorisations de voyage, trs limites. [] Mais la fraude est ternelle et sans cesse ingnieuse. [] Tel le coup du corbillard suivi dune foule de fraudeurs, accabls par un chagrin mouvant. Cest ainsi que des sacs de pommes de terre pntraient dans la ville sous couvert de

    funrailles46. Certains Ligeois recourent des systmes ingnieux, comme des ceintures qui dissimulent des marchandises transportes47. Parfois, on assiste des scnes rocambolesques, mais aussi navrantes: On fraudait le beurre dans des poches spciales o il fondait rapidement. On glissait du bl ou de la farine dans des doublures qui confraient aux fraudeurs des aspects rembourrs.48

    43 Abb Berger, Lalimentation en temps de disette, en temps de guerre, Enghien, Imp. E. Delwarde, 1915, p. 46.44 De Thier Jules, Gilbart Albert, op. cit., p.168.45 Rem Georges, op. cit., p.155.46 Idem, p. 156.47 Boverie Dieudonn, op. cit., p.129.48 REMY Georges, Ici Wallonie. Juillet 1917 , in La Wallonie.

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    Livre, Aux mnagres ! Prparations des rutabagas et du riz, Lige

    Affichette intitule Il y a du beurre . Publicit pour la pice Les novs Ritches , reprsentation au Trocadro au profit dartistes ncessiteux, Lige

    Carte postale satirique provenant du Moustique illustr

    Chmeurs occups, dans une cour dcole, retirer des pommes de terre dun silo, Lige, vers 1917

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    Pousss par la faim, certains citoyens de la Cit ardente sen vont dans les campagnes ramasser les dernires pommes de terre qui navaient pas t emportes par les fermiers : On vit de nombreux Ligeois, munis doutils htroclites, sen aller en tramways vicinaux vers le Limbourg pour aller ramhner cest--dire glaner, grappiller sur les champs de pommes de terre, aprs la rcolte effectue par les fermiers. 49

    Certaines bandes commettent galement des vols, comme sen souvient le Ligeois Dieudonn Boverie: Mme les gosses se livrent la rapine. Ils se glissent auprs des camions qui amnent les sacs de pommes de terre au dpt de ravitaillement de la rue de la Libert. Quand le camionneur est en train de porter un sac lintrieur du dpt, dun coup de canif; ils ventrent lun des sacs empils sur le camion; les pommes de terre sen chappent; ils les fourrent dans une taie et senfuient prestement.50

    La multiplication des saisies et des dcrets allemands va entraner la fermeture de nombreuses fritures ligeoises. En fvrier 1916, un dcret interdit aux restaurants de servir des pommes de terre peles, ce qui a fait dire aux chroniqueurs de lpoque Jules de Thier et Olympe de Gilbart: Les frites taient condamnes! 51.

    Un sentiment de rvolte clate parfois au sein de la population, en raison de ces rquisitions et de la hausse des prix. La situation peut parfois prendre de lampleur lors dmeutes au cours desquelles les protestataires exigent des commerants un retour des prix raisonnables. Ceux qui refusent sexposent au saccage de leurs installations, comme au cours de lt1916 Verviers, Herve, Dison ou encore sur le march de la Batte Lige: lgumes, pains, ufs, poules sont jets dans la Meuse par des manifestants en colre52. En fvrier 1917, ce sont les ouvriers de plusieurs charbonnages ligeois qui se mettent en grve en raison de la rduction de la ration de pain.Ces nombreuses privations entranent des pidmies de diphtrie et de tuberculose, en particulier partir de 1916 avec laccentuation du rgime doccupation.Mais les pnuries et les rquisitions touchent dautres domaines de la vie quotidienne.

    49 Boverie Dieudonn, op. cit., p.158.50 Idem, p. 145 51 De Thier Jules, Gilbart Albert, op. cit., p.161.52 De Thier Jules, Gilbart Albert, op. cit., p.177-179.

    meutes place Saint-Remacle Verviers en 1916

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    Limpact des rquisitions et les pnuries

    Les confiscations senchanent un rythme effrn, faisant ainsi disparatre du paysagecaoutchouc, cuir, tain, mais aussi casseroles, poignes de porte, chandeliers en cuivre, lustres, robinets qui, aprs un rapide tri sur les places, sont envoys dans les dpts de larme allemande. Les biens publics, linstar des cuves des brasseries, des instruments de musique en cuivre et des cloches des glises, sont galement saisis et fondus53. Pour y chapper, certains nhsitent pas cacher lobjet des convoitises: La rquisition des objets en cuivre se poursuivait sans trve. Mais les Ligeois enterraient ou muraient les bouilloires, chandeliers, crucifix, marmites pour ne pas les livrer54.

    Certaines de ces rquisitions provoquent des situations cocasses. Ainsi, le caoutchouc des pneus de bicyclette est rquisitionn. Dans certains cas, ils sont remplacs par des cercles de fer plat sappuyant sur une jante avec des ressorts et provoquant un bruit assourdissant, comme lvoque Georges Remy: La circulation bicyclette avait cess en 1916, loccupant faisant la chasse aux pneumatiques, remplacs [] par des cercles ressorts. Jentends encore linfernal potin de ces roues sur le pav. 55

    Les rquisitions de mtaux non-ferreux provoquent une pnurie dargent liquide. Progressivement, de la monnaie locale est cre: des communes, des entreprises et des comits de secours mettent des monnaies de ncessit, sous la forme de billets le plus souvent, mais aussi de pices en zinc ou en carton56. Par exemple, en Province de Lige, le Grand Bazar de la place Saint-Lambert et la Fabrique nationale darmes Herstal mettent des billets.

    Les matelas et les coussins contenant de la laine sont galement emports par loccupant, contraignant les Ligeois rembourrer leurs matelas de paille, de foin ou de vieux papiers.

    Les problmes dapprovisionnement en matires premires et les rquisitions, en particulier de cuir, de tissu et de laine, ont un impact sur la mode et le secteur de lhabillement. Suite aux nombreuses restrictions, plus personne ne porte de vtements neufs. Des subterfuges sont trouvs pour se vtir et se chausser bon prix: on confectionne des pantoufles avec de vieux tapis, les nappes servent de drap et de langes Les jupes se raccourcissent, les pardessus sont coups dans les couvertures.

    53 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.214-215; Bourlet Michal, op. cit., p.99-100.54 REMY Georges, Ici Wallonie. Juillet 1917 , MVW. 55 Rem Georges, Le roman de ma maison, p.153.56 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.216.

    Invitation livrer les cuivres de mnage, Verviers, 23 aot 1917

    Bon de caisse. Ville de Waremme

    Monnaie de ncessit Conseil communal de Flmalle-Grande

    Bon de caisse du Grand Bazar de la place Saint-Lambert

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    On retourne les manteaux lims. Les habits sont parfois taills dans les tentures57. Les chaussures semelles de bois se multiplient. Et qui ne se rappelle le claquement des semelles de bois de nos concitoyens et concitoyennes ? 58, se remmore ainsi le Ligeois Georges Remy.

    Les combustibles (gaz et charbon) viennent manquer59, obligeant les Ligeois ne chauffer quune seule pice.

    Laspect des communes change radicalement en raison de labattage des arbres le long des avenues et dans les parcs communaux. Le bois est utilis pour tayer les tranches ou fabriquer des crosses de fusil. Les patrouilles allemandes obtiennent mme lautorisation douvrir le feu si un civil vient ramasser lun ou lautre fagot.

    Certaines fournitures, peu ou pas importes, ont un impact sur la sant publique. Cest le cas du savon: les Allis refusent jusquen 1918 son importation, estimant que sa fabrication nest pas altre par les conditions doccupation, alors que son prix, comme celui de beaucoup de produits, connat une inflation importante. Sa pnurie entrane des pidmies de gale.

    Mme le meilleur ami de lhomme est victime de rquisitions: en 1917, tous les chiens ayant plus de 40 centimtres au garrot sont confisqus pour servir dans larme allemande60.

    57 Rem Georges, Le roman de ma maison, p.153.58 Ibidem.59 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.213.60 MUSEE ROYAL DE LARMEE ET DHISTOIRE MILITAIRE, Chienne de guerre! Les animaux de la Grande Guerre1914-1918, Dossier de lexposition, p.23 (http://www.klm-mra.be/cdgho/fr/pdf/dossierfr.pdf )(page consulte le 25 fvrier 2014).

    Rappel concernant la dclaration des matelas et des coussins des habitants de Theux, Theux, 15 septembre 1917

    Commune de Theux. Demande de dclaration de chien, 28 octobre 1917

    Prospectus pour des semelles en bois pour chaussures Caricature inspire par lusage des semelles en bois pendant la guerre, 1917

    Carte de vtements du Comit national de Secours et dAlimentation

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    Cette rapide pnurie de matriel et de matires premires a des effets dsastreux sur lconomie belge. Le chmage saccentue et, pour parer linactivit des travailleurs, plusieurs communes organisent des cours du soir denseignement professionnel et leur procurent du travail, les occupant des amnagements de voiries par exemple61.

    Lindustrie sous loccupation: les entreprises ligeoises face loccupantArnaud Pters

    Aprs linvasion daot 1914, pendant quon se bat sur le front de lYser, les entreprises ligeoises, situes en zone occupe, sont confrontes un dilemme: faut-il maintenir lactivit, avec comme risque de le faire au profit de loccupant? Ou faut-il, au contraire, arrter la productionet perdre ainsi la matrise de loutil, mais aussi condamner les travailleurs au chmage?

    Le directeur de la socit Cockerill, Adolphe Greiner, privilgie cette seconde voie en refusant de travailler pour lennemi. Arrt en compagnie de plusieurs ingnieurs, il meurt en dtention en novembre 1915. la Vieille-Montagne, on fait le choix de dtruire Valentin-Cocq (Grce-Hollogne) les ateliers de fabrication du zinc extrapur, produit pouvant tre employ pour la fabrication de ttes dobus. Mais les stocks envoys dans lurgence en France sont intercepts par loccupant. La section belge de la multinationale est rapidement flanque dun commissaire spcial allemand. Dautres entreprises choisissent de collaborer avec loccupant, selon la thorie du moindre mal ou par adhsion pour lAllemagne victorieuse. Environ 1 800 entreprises belges seront ainsi autorises fonctionner.

    Certaines entreprises nont pas lopportunit de choisir et loccupant en prend le contrle intgral. En octobre 1914, le conseil dadministration de la Fabrique nationale darmes de guerre, pourtant majorit allemande, dcide de fermer lusine. Des rquisitions darmes et de machines sensuivent. Press par lautorit occupante de dvelopper les fabrications militaires, le directeur Andr Andri sy refuse et est dport en Allemagne en mai 1915. Ayant perdu lespoir dune collaboration, loccupant place, en 1917, la F.N. sous squestre. Autrement dit, il en prend compltement le contrle. Notons que la Socit de Saint-Lonard ou les Ateliers de construction de la Meuse subissent le mme sort en 1916. Plus de 200 entreprises belges seront concernes par cette mesure radicale.

    La politique allemande doccupation repose sur lexploitation systmatique des ressources du pays. Deux phases distinctes marquent ce processus. Durant une premire priode, jusquen 1916, loccupant, tout en se livrant de massives rquisitions, veille toutefois maintenir une production industrielle destine lui bnficier. Les premiers enlvements de machines-outils et produits industriels finis ou semi-finis sont oprs ds lautomne1914. Les matires premires, et en particulier les mtaux non-ferreux cuivre et nickel surtout sont massivement achemins vers lAllemagne. Par exemple, en 1916, la Vieille-Montagne est contrainte dabandonner lensemble de ses stocks (zinc, plomb, argent, acide sulfurique). Prive dune bonne part de ses matires premires et devant faire face aux consquences du blocus des pays allis, lindustrie belge tourne au ralenti.

    Considrablement ralentie, lactivit industrielle se poursuit temps partiel. Lextraction houillre, bien que la plupart des charbonnages ligeois soient demeurs en fonctionnement, ne fournit que la moiti de la production attendue. Vers la fin de lanne 1915, de nombreuses entreprises mtallurgiques ou chimiques cessent de produire, faute de matires premires traiter.

    Les consquences conomiques de ces arrts sont lourdes. Dune part, les risques de rquisitions de loutillage augmentent. En outre, ils gnrent un important chmage ouvrier qui fait planer la menace de dportations vers lAllemagne. Ainsi, un plan datant doctobre 1916 prvoit la dportation de 400 000 ouvriers. 120 000 seront officiellement dports jusquen 1917.

    Pour enrayer le ralentissement de lactivit conomique, une Socit cooprative dapprovisionnement industriel est mise en place tandis que la Socit Gnrale, par lintermdiaire de son gouverneur Jean Jadot, ngocie auprs des belligrants lautorisation pour la Belgique de rapprovisionner ses entreprises.

    En ce qui concerne la politique doccupation, une seconde phase, qui va provoquer la ruine des entreprises belges, souvre au dbut de lanne 1917. La logique dsormais privilgie par loccupant consiste handicaper, au moment o lissue de la guerre lui parat douteuse, le concurrent industriel reprsent par la Belgique. Les grands tablissements sidrurgiques ligeois, dont

    61 De Thier Jules, Gilbart Albert, op. cit., p.120-121.

    Les bureaux de la Vieille-Montagne, saccags par les troupes allemandes en octobre 1914

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    plusieurs usines seront dmanteles, paient le plus lourd tribut. Symboles de la puissance industrielle du bassin ligeois, la plupart des hauts-fourneaux sont viss. Ougre, quatre dentre eux sur huit sont compltement dtruits. Chez Cockerill, sur les sept appareils, deux sont rass et trois en grande partie dmolis. Seul un des onze laminoirs reste fonctionnel.

    Entre 1913 et 1918, la production totale des aciries belges est passe de 1,4 million 2 380 tonnes. Quant aux fonderies de zinc, elles sont, lexception de celle de Trooz, davantage pargnes. Le bilan conomique de la guerre nen est pas moins dsastreux : la production est passe de prs de 205000 tonnes de zinc mtallique avant la guerre 9 245 la fin de loccupation. Avec la fin du conflit se dessinera un dfi majeur : celui de la reconstruction de lappareil industriel.

    Perte des liberts

    Ds les premiers jours de loccupation, les ordonnances allemandes pleuvent. Lhistorien Jacques Wynants en dnombre prs de 846 rien que pour le village de Lambermont62. Les interdictions sont nombreuses et entravent la libre circulation des personnes.

    Les Ligeois lheure allemande

    Les ordonnances allemandes en viennent rgler lorganisation quotidienne des Ligeois. En novembre 1914, loccupant impose lheure allemande, en avance de 60 minutes sur celle de Greenwich, sur laquelle salignait alors la Belgique. Toutefois, beaucoup refusent obstinment que lennemi rgente leur organisation quotidienne.

    Puis, en 1916, les Allemands imposent lheure dt, afin dconomiser lnergie, mesure qui sera adopte galement par les Allis.

    Trs vite, la libert de mouvement devient un privilge rserv loccupant. Celui-ci nhsite dailleurs pas dmanteler le rseau des chemins de fer et saisir les automobiles, les charrettes, les calches, ainsi que les chevaux, les bufs63 pour rpondre leur demande. De plus, le prix des transports en commun augmente de manire significative. Selon Sophie de Schaepdrijver, pour un billet aller et retour Bruxelles-Lige, qui cotait sept francs avant la guerre, il faut dbourser prs de vingt francs. Les wagons sont presque tous rservs par larme allemande64.

    Voyager devient compliqu : des permis sont ncessaires pour circuler vlo, moto et en voiture. La dtention de pigeons voyageurs est interdite pendant un temps, les Allemands craignant que ceux-ci soient utiliss pour lespionnage. En novembre 1914, loccupant impose la carte didentit obligatoire avec photo et informations sur le porteur, pour toute personne de plus de 15 ans. Elle est ncessaire pour voyager en dehors de sa commune. Les contrles saccentuent et les liberts individuelles sont de plus en plus brides

    62 Wynants Jacques, Un jour, un sicle. Deux occupations, deux librations. La mmoire de Verviers au quotidien, Verviers, 1994, cit par Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.217.63 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.118.64 Idem, p.116.

    Ougre-Marihaye. Arrire du laminoir aprs dmontage

    Certificat didentit de Donat Wagner, Lige 1915

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    Bientt, la vie des citoyens ligeois se limite aux frontires communales. Les communes deviennent dailleurs, selon les termes de Sophie de Schaepdrijver, les dfenseurs naturels de leurs habitants contre les Allemands, contre qui elles se heurtent rgulirement65. Il faut dire quen plus doccuper les chmeurs et dmettre parfois leur propre monnaie, les communes versent des salaires, des allocations et des pensions aux plus dmunis.

    Le Kaiser Spa66

    partir de 1918, lEmpereur allemand Guillaume II rside Spa, ville galement occupe par le Grand Quartier-gnral imprial. Dimportantes mesures de scurit sont prises: une division administrative regroupant la cit thermale, Sart, La Reid et une partie de Theux est cre et coupe des localits avoisinantes. Les Spadois ne peuvent en sortir, les Vervitois ne peuvent y entrer. Spa devient, jusquen novembre 1918, le centre du pouvoir du IIe Reich.

    La police militaire est omniprsente. la crainte des troupes pied sajoute la peur des bolides allemands. Au sein des grandes villes, loccupant emprunte les avenues trs vive allure, semant la peur, voire la mort. Il nest pas rare dobserver des officiers lancer leur cheval au galop sur les trottoirs, obligeant les pitons fuir au milieu du trafic. Par endroits, les civils sont mme contraints de changer de trottoir lapproche dofficiers et de les saluer, au risque dtre svrement violents67.

    La perturbation des services postaux porte galement atteinte au moral des Belges. Ds les premires semaines de loccupation, les lettres doivent imprativement tre pourvues de timbres allemands et envoyes ouvertes pour tre soumises la censure. Ces contrles ralentissent videmment les correspondances des soldats avec leur famille. Ce nest quaprs de longs mois dattente et grce au concours de la Croix-Rouge que certaines familles reoivent enfin quelques nouvelles succinctes68.

    partir de 1915, une organisation clandestine, Le Mot du Soldat, transmet galement des messages jusquau front de lYser.

    Les lieux de divertissement sont contrls par loccupant : les heures douverture sont rglementes, ainsi que les programmations. Les Allemands rquisitionnent galement une srie de salles de spectacle pour y organiser des reprsentations destination des troupes: le Thtre royal de Lige, aprs avoir t mis dans un tat pitoyable en raison de sa transformation en curies, sert ainsi dopra aux troupes allemandes de passage69. partir de 1916, les dportations douvriers commencent.

    Les dports et exils ligeois Le symbole de lAtlas V

    De nombreux Belges supportent mal leurs conditions de vie et les consquences de loccupation allemande. Le travail manque: le chmage et la misre minent littralement le moral de la population. Beaucoup de Belges, se sentant inutiles et ne voulant pas travailler en Allemagne dans les usines darmement, entendent contribuer la lutte contre lennemi, aux cts des soldats belges de lYser. Ils tentent de rallier les Pays-Bas, rests neutres durant le conflit, afin de rejoindre ensuite le front.

    Ces dparts volontaires sacclrent partir de 1916: lAllemagne manque de plus en plus de main-duvre. La politique de recrutement sur base volontaire, mise en place dans les grandes villes belges, ne suffit plus combler ce manque. Ds lors, les autorits allemandes dcident, en septembre 1916, de mettre en place le travail obligatoire et rquisitionnent les chmeurs. Ceux qui refusent sont arrts et emprisonns. Des rafles sont organises: les hommes sont chargs dans des trains et transports de force en Allemagne, en France occupe ou au Luxembourg. Dans ces camps de travail, les conditions de vie sont trs difficiles. 120000 Belges sont dports, dont plus de 2 600 meurent suite cette politique de travail obligatoire70. Ces dportations suscitent de nombreuses protestations, tant au niveau national quinternational.

    65 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.118.66 Conraads Daniel, Renette Erci, pisodes ligeois de la guerre 14-18, in Le Soir, 5 aot 2004, [en ligne], http://archives.lesoir.be/histoire-episodes-liegeois-de-la-guerre-14-18-quand-spa_t-20040805-Z0PMD0.html (Page consulte le 24 fvrier 2014).67 Ibidem, p.120; Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.213; De Thier Jules, Gilbart Albert, op. cit., p.12-13.68 De Schaepdrijver Sophie, op. cit., p.116, 121; Bourlet Michal, op. cit., p.109-112.69 Rem Georges, op. cit., p.152.70 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.213.

    QG de ltat-major allemand Spa ( partir de 1918)

    Troupes doccupation Vis, 25 novembre 1914

    Fte allemande dans la cour du palais des Princes-vques de Lige a loccasion de linauguration du monument von Emmich, 1916-17

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    De nombreuses organisations de rsistance font transiter des Ligeois vers les Pays-Bas et la ville frontalire de Maastricht. Une astuce qui fonctionne au dbut de la guerre: les hommes se cachent dans les cales ou les cargaisons des pniches naviguant sur la Meuse vers la Hollande. Ces expditions ne sont gure aises, car les Allemands, mfiants, surveillent les bateaux depuis les berges, et un systme de dfense et de surveillance y est install. Peu russissent passer la frontire ; beaucoup sont repris et faits prisonniers. Au fil du temps et face aux checs rptition de ces expditions, des hommes imaginent pouvoir forcer le passage des protections allemandes laide de remorqueurs.

    Deux expditions hroques marquent ainsi lesprit des Ligeois. Celle de lAtlas Ven janvier 1917 est la plus connue. On connat moins celle du remorqueur Annaen dcembre 1916. Cette dernire,

    couronne de succs, encourage les rsistants ligeois poursuivre dans cette nouvelle stratgie. Quelques semaines plus tard, un second remorqueur du nom dAtlas V entreprend la descente du fleuve en direction de la Hollande. Nanmoins, les Allemands ont, entre-temps, renforc leur systme de dfense sur la Meuse en direction de Maastricht. Lexpdition sannonce bien plus prilleuse Elle le sera. Dans la nuit du 3 au 4 janvier 1917, le capitaine Jules Hentjes embarque bord du remorqueur Atlas avec une centaine dhommes aux abords de Coronmeuse. Tel un blier, le remorqueur a pour mission de briser le systme dfensif allemand plac au travers du fleuve. Lexpdition russit malgr le feu nourri des mitrailleuses places le long du fleuve, aprs avoir dfonc le pont de chemin de fer de Vis.

    La lgende veut que les passagers du remorqueur aient arbor le drapeau belge et chant la Brabanonne en franchissant la frontire belgo-hollandaise. Aprs son arrive Maastricht, la quasi-totalit de lquipage rejoint le front pour combattre les Allemands aux cts de larme belge.

    Le pont Atlas Lige rappelle ce haut fait hroque de la Grande Guerre. Une plaque commmorative y est dailleurs place. Quant la cloche du remorqueur, elle est toujours conserve aujourdhui dans le sanctuaire de Banneux.

    Prisonniers civils de Vis en Allemagne, 1915

    LAtlas V

    Plaque commmorative sur le pont Atlas, Lige

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    Engagements patriotiques

    De tels changements dans le quotidien ont videmment un impact important sur le moral de la population belge, dautant que la censure allemande fait son uvre: bon nombre de journaux, dont La Meuse Lige, refusent de sy soumettre. Des journalistes brisent leur plume et beaucoup de titres disparaissent. Seuls les journaux censurs sont autoriss et deviennent ainsi, avec les affiches allemandes, les principaux canaux dinformation de la population. Leur contenu est toutefois filtr, les Allemands nannonant que leurs victoires. La libert de la presse est ainsi bafoue et les Belges se trouvent isols du reste du monde en raison du rgime doccupation. Lige, un des plus clbres journaux sous contrle allemand est le Tlgraphe: Tlgraphe, fais gaffe tait une expression rcurrente chez les Ligeois71.

    Avides dinformations fiables, les Ligeois nhsitent pas acheter prix dor, voire louer, de vieux exemplaires de journaux des pays allis circulant sous le manteau. Ces journaux constituent galement une source importante pour la presse clandestine belge, qui les reproduit ou recoupe ces informations avec celles recueillies sur le terrain par des rseaux de rsistance. Ces feuilles prnent rgulirement le refus de lautorit allemande au travers de textes satiriques et de caricatures antiallemandes, tentant dorienter lopinion des Ligeois occups et dmoraliss. Cest le cas de la trs populaire Libre Belgique, fonde en 1915, qui nhsite pas indiquer comme adresse postale Kommandantur-Bruxelles. En Province de Lige, on peut citer Le Belge de Verviers qui ndite quun seul numro en octobre 1918. Cette presse joue un rle important dans le soutien du moral des Ligeois, bien que de nombreux journaux connaissent une dure de vie limite, ce qui ne sera pas le cas de La Libre Belgique, qui sera diffuse dans tout le pays et est encore dite de nos jours.

    La question de lattitude adopter vis--vis de loccupant se pose avec acuit ds le dbut de la guerre : faut-il adopter une attitude de distance patriotique ou tenter de trouver un modus vivendi acceptable?

    Lengagement patriotique individuel constitue aussi une composante de la rsistance morale de la Premire Guerre mondiale. Les pastorales du cardinal Mercier, en particulier Patriotisme et Endurance de Nol 1914, refltent bien cet tat desprit : Ce pouvoir nest pas une autorit lgitime. Et, ds lors, dans lintime de votre me, vous ne lui devez ni estime, ni attachement, ni obissance 72. Lue partout dans les glises (un des rares lieux non contrls par loccupant73), relaye sous le manteau dans de nombreuses ditions clandestines, elle fait grande impression.

    La rsistance se manifeste aussi par des actes plus anodins, visant notamment entretenir un certain culte patriotique : vente et diffusion dobjets leffigie de figures patriotiques (images des souverains, des Allis, du gnral Leman) comme des boutonnires ou des fanions tricolores, distribution sous le manteau de caricatures, de billets appelant rsister loccupant

    71 Boverie Dieudonn, op. cit., p.122.72 Cardinal MERCIER, Voix dans la Guerre, Lige, 1937, p. 56. 73 De Schaepdrijver Sophie, Deux patries. La Belgique entre exaltation et rejet, 1914-1918, in Cahiers dHistoire du Temps prsent, n7 (2000), p.23.

    Les principaux journaux clandestins

    La Libre Belgique, novembre 1915

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    La fte nationale est, selon les termes de Sophie de Schaepdrijver, loccasion de nier la lgitimit de loccupation et de manifester son adhsion la cause nationale74. Le 21 juillet 1915, bien que tout signe de dmonstration soit interdit par loccupant, la ville de Lige prend le deuil, les magasins ferment, les maisons baissent leurs volets. Le monument Rogier est couvert de fleurs et de bouquets75. Certaines boutiques garnissent leur devanture de crpe noire ou des couleurs nationales.

    74 Ibidem.75 De Thier Jules, Gilbart Albert, op. cit., p.125.

    Lettre Pastorale Patriotisme et endurance

    Boutonnires patriotiques

    Calendrier clandestin pour lanne 1919

    Billet rpandu clandestinement Lige en juillet 1916

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    Le jour anniversaire du Roi Albert, des commerants de Lige exposent la photo du souverain entoure de rubans tricolores. Les rpercussions ne se font pas attendre : ils doivent fermer pendant quinze jours sur ordre de lautorit allemande76.Indirectement, les multiples activits des uvres charitables entretiennent aussi une certaine culture patriotique o les thmes de lencouragement, de lentraide et de lendurance sont bel et bien prsents77.

    Des citoyens, hommes et femmes, ne se rsignent donc pas loccupation.

    De la militance sociale laction patriotiqueGenevive Xhayet

    La guerre de 1914 met en veilleuse les revendications ouvrires. La ferveur militante se roriente vers le patriotisme. Dlaissant les idaux pacifistes et internationalistes de la IIe Internationale, en aot 1914, le Parti Ouvrier Belge (P.O.B.) sinscrit sans rserve dans la rsistance loffensive allemande. Ses dputs votent les crdits militaires et se rangent aux cts du roi Albert Ier, tel mile Vandervelde, nomm Ministre dtat. Ils participent aussi laction du Comit national de Secours et dAlimentation, auprs des industriels Ernest Solvay et mile Francqui. dautres chelons du parti, lattitude est la mme. En tmoignent les parcours des Ligeois Julien Lahaut (1884-1950) et Lucie Dejardin (1875-1945).

    Fils dun mtallurgiste dj engag dans le combat social, Julien Lahaut travaille Cockerill, ensuite au Val Saint-Lambert. Militant du P.O.B., il perd ces emplois lors de grves. Il va mme en prison. Quand la guerre clate, il devient volontaire dans larme, vers dans le corps des autocanons mitrailleuses78. De 1915 1917, son bataillon est en Russie, la rescousse des armes tsaristes. Cest sur place quil vit la Rvolution dOctobre. La paix de

    Brest-Litovsk (1918) ramne Lahaut au foyer: un priple rocambolesque, de Moscou Paris, par Vladivostok, San Francisco, New York et lAtlantique. Lahaut est dcor. Aprs la guerre, il reprend ses activits au syndicat comme au parti. Son viction de ces instances pour radicalisme, conjugue son exprience russe, le conduisent vers le communisme.

    Fille de mineurs, employe comme hiercheuse ds lenfance, Lucie Dejardin fonde en 1910 la premire Ligue des femmes socialistes de Lige. En 1912, elle rejoint le P.O.B. La guerre et la proximit de la frontire hollandaise font delle un agent de renseignement. En juillet 1915, elle est arrte par les Allemands, incarcre Tongres, puis Aix-la-Chapelle, enfin transfre dans un camp en Basse-Saxe. Libre la fin 1917, elle se rend en France, comme monitrice dune colonie denfants belges rfugis. Devenue aprs la guerre inspectrice du travail, elle reprend son action militante. Conseillre communale de Lige ds 1919, elle est en 1929 la premire femme dput, lue directe au Parlement.

    ct de la presse clandestine et des engagements individuels, des rseaux de rsistance voient le jour. Contrairement la Seconde Guerre mondiale, il sagit de rseaux non arms: ce sont des rseaux illgaux de renseignements au service des Allis, des units de sabotage et des filires dvasion, ncessitant une organisation prcise, avec des cellules et des chanes de commandement. Dune 76 Boverie Dieudonn, op. cit., p.118.77 De Schaepdrijver Sophie, Deux patries, p.27.78 Voir le chapitre Les sportifs ligeois dans la guerre

    Photographie clandestine du monument Rogier, Lige, le 21 juillet 1915. Orn de fleurs pendant la nuit prcdente, le monument reste dans cet tat durant toute la journe. Les Allemands enlveront les fleurs la nuit suivante

    Caricature de Lucie Dejardin dans sa prison

    Julien Lahaut en Russie

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    certaine manire, ils prfigurent la rsistance du second conflitmondial: plusieurs rsistants se rengageront dailleurs en 40-45, linstar de Walthre Dew, ractivant son rseau La Dame Blanche en 1940.

    Walthre Dew: un rsistant ligeois loppression allemande durant les deux guerresBndicte Franck

    Walthre Dew nat Lige au lieu-dit Les Tawes, le 16 juillet 1880. Fils unique de parents profondment chrtiens, il devient ingnieur civil des mines en 1904 puis ingnieur lectricien en 1905. Il entre ensuite la Rgie des Tlphones et Tlgraphes o il effectuera le reste de sa carrire professionnelle.

    Dieudonn Lambrecht, le cousin de Walthre Dew, renseigne les allis ds dcembre 1914. Il les informe notamment des dplacements en train des troupes allemandes travers la Belgique. Lambrecht est trahi par lun de ses passeurs de documents et est fusill au fort de la Chartreuse en avril 1916. Ce qui semble tre la fin de laventure nest en fait que son commencement

    En effet, Walthre Dew reprend lactivit de Lambrecht et, avec laide de son ami Herman Chauvin et de quelques patriotes, fonde le rseau de renseignement La Dame Blanche qui fonctionnera jusqu la fin de la Premire Guerre mondiale.

    Ce rseau est organis selon un modle militaire rigoureux et cloisonn: chacun de ses membres nest en contact quavec le minimum indispensable de ses compagnons darmes. De plus, les membres de La Dame Blanche doivent se limiter aux tches raliser au sein de ce mouvement.

    La Dame Blanche, spectre annonciateur de la mort imminente ou protectrice dun peuple opprim?

    Le nom donn au rseau cr par Dew fait rfrence au mythe de la Dame Blanche et plus particulirement celui attach la famille des Hohenzollern: on raconte que lorsquun spectre lallure dune femme, tout de blanc vtue, erre mlancoliquement la nuit dans les couloirs du chteau de Postdam, quelque temps aprs, meurt un membre de la dynastie.

    En Belgique occupe, cette Dame Blanche symbolise plutt le rconfort vis--vis du peuple opprim et la confiance en un avenir meilleur.

    Nous pouvons dailleurs encore admirer, actuellement, la statue cette femme rassurante rige rue Coupe, Lige ct du tombeau de Walthre Dew.

    Lorganisation de La Dame Blanche

    Lun des premiers soucis des membres de la Dame Blanche rside en linstauration dune liaison avec Londres. Ceci sera fait avec la section du Secret Intelligence Service (les services secrets britanniques) oprant aux Pays-Bas. Lorganisation du rseau remarquablement hirarchis et structur recouvre, petit petit, tout le pays et compte 1 084 agents rigoureusement slectionns, dont 30% de femmes.

    En 1917, lorsque les chefs de La Dame Blanche tablissent des postes dobservation prs du front Trves-Charleville-Hirson-Valenciennes, 75% des renseignements permettant aux Allis dtablir lordre de bataille allemand proviennent de ce rseau. Rgulirement, les documents arrivent aux Pays-Bas, grce des courriers tris sur le volet et sept passages tablis en dpit de la triple haie mtallique que les Allemands ont difie tout le long de la frontire nerlandaise.

    lautomne1918, Dew et Chauvin sont les premiers hommes implanter un rseau complet de surveillance des voies ferres en pays occup par lennemi.

    Le 31 mars 1919, en son quartier gnral dHam-sur-Heure, le Marchal Douglas Haig demande tre prsent aux principaux chefs de La Dame Blanche Il dclare alors: Javais tous les matins devant les yeux, le rsum des donnes dobservation du Corps.

    Walthre Dew

    Chapelle Mmorial Walthre Dew au Thier--Lige

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    Avant mme douvrir mon courrier, je parcourais les 150 pages des trois rapports hebdomadaires de La Dame Blanche et je me servais constamment des renseignements quils contenaient pour la conduite des oprations militaires. Nos soldats sont des hros, mais, parmi eux, vous occupez la premire place, car vous vous tes exposs volontairement au danger de mort, alors que vous auriez pu, comme tant dautres, vivre en paix. vous tous, honneur et merci.

    Laventure continue

    Ds septembre 1939, Dew reprend ses activits patriotiques et cre ensuite le rseau de renseignements Clarence qui perptue luvre de La Dame Blanche.

    La fin dun gant

    Le 14 janvier 1944, alors quil se rend chez une de ses compagnes de lutte, la Geheime Feldpolizei surgit et larrte. Il parvient schapper, mais est finalement abattu par un officier allemand.La Rsistance perd alors un de ses plus grands chefs. Ixelles, rue de la Brasserie n2, une plaque commmorative est appose sur la faade de la maison au pied de laquelle Dew fut abattu.

    Les risques sont importants: sils sont pris, ces rsistants sexposent des peines demprisonnement en Allemagne, voire la mort. En Province de Lige, le site de lancien fort de la Chartreuse devient un lieu de mort: 48 personnes y seront fusilles.

    Plusieurs membres du rseau de La Dame Blanche, lun des plus importants du pays, proviennent de la Province de Lige, tels les Grandprez, famille dindustriels de Stavelot, qui espionnent les mouvements des troupes allemandes vers Verdun et organisent des filires de passage et dvasion aux Pays-Bas. Ils connatront un destin tragique puisque Lambrecht et deux membres de la famille Grandprez (Constant et lise) seront arrts sur dnonciation dun agent allemand infiltr dans leur organisation. Franois et Marie Grandprez seront quant eux condamns quinze ans de travaux forcs.

    Sur la place Saint-Barthelemy Lige et sur le site du bastion de la Chartreuse, deux monuments rendent hommage aux Grandprez et Dieudonn Lambrecht, ainsi qu plusieurs autres rsistants de la Grande Guerre.

    Monument ddi aux fusills de la Chartreuse

    Monument Dieudonn Lambrecht et 55 autres fusills de 1914-1918, place Saint-Barthelemy Lige

    Constant et lise Grandprez

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    Les adieux dun condamn

    Les historiens Emmanuel Debruyne et Laurence Van Ypersele se sont penchs sur les dernires lettres de citoyens belges et franais fusills par les Allemands au cours du premier conflit mondial.

    Parmi ceux-ci, de nombreux crits mouvants dhommes et de femmes faisant leurs adieux et, notamment, ceux de Dieudonn Lambrecht dont nous vous livrons ici un extrait79:

    Le 17 avril 1916 de la Citadelle de la Chartreuse.

    Ma Jeanne Bien-Aime, Je viens dtre transfr de St-Lonard, ici et comment je lai pressenti, cest pour y apprendre la nouvelle fatale. Il vient de mtre confirm que le jugement [] me condamnait la peine de mort et que les recours en grce ont t rejets. [] Oh! Ma bien-aime, quelle douleur atroce pour vous qui espriez tant. Pauvre femme, pauvres parents! Mon me est remplie dune tristesse immense en pensant vous. Celui qui disparat est vite quitte de ses souffrances. [] Mais vous autres, que de douleurs ! [] Que Dieu vous donne tous le courage quil na cess de maccorder et que vos peines vous soient moins cruelles. [] Demain 18 avril, je serai excut. Quelle concidence, ce sera justement le dernier jour de notre dixime anne de mariage. Dix ans de bonheur passs prs de toi!! [] Rfugie-toi dans la prire, oh! Mon aime et sois vaillante. Pense notre fille, qui tu te dois toute et qui sera ta consolation. Console mes pauvres parents, pour lesquels ce coup va tre terrible. Puise dans ton amour pour moi, les forces ncessaires pour leur donner lexemple du courage.

    [] Je te laisserai la croix que tu mavais fait parvenir, pour quelle te soit mon dernier souvenir. Jy dposerai mes derniers baisers pour toi, Riette et mes parents. Jy joindrai mon anneau.[] Jeanne, Dieu, et reois sur cette lettre pour notre fille chrie, pour mes parents et pour toi, les plus affectueux baisers de celui qui fut votre Donn

    Des trangers sengagent galement au sein de la rsistance, linstar ddith Cavell80.On peut toutefois observer qu partir de 1916, le prolongement de la guerre affaiblit le patriotisme clandestin. Le besoin de se dtendre et de svader de cette atmosphre lourde damertume et de dsillusions se fait sentir et de nombreux thtres et cafs font le plein de public, au grand dam des ultra-patriotes.

    Le sentiment dun Ligeois en 191781

    Quant nous, je me demande si nous pensons encore On a si souvent t ballotts de lespoir au dsespoir quon est comme insensibiliss, comme des ilotes qui marchent comme des automates, sont rappels la ralit par quelque fait brutal et puis se replongent dans le train-train. Peut-tre ce tableau est-il quelque peu exagr, mais comment expliquer que lon puisse vivre quatre ans dans un monde de fou, sans devenir fou soi-mme?

    Certaines personnes choisissent nanmoins la voie de la collaboration.

    Flamentpolitik et division administrative

    Ladministration allemande comprend trs vite quelle peut tirer profit des problmes linguistiques existant dj entre la partie flamande et la partie francophone de la population, certains Flamands supportant de moins en moins la suprmatie wallonne dans la direction de ltat belge davant-guerre82.

    Les Allemands ont comme but de dmanteler la Belgique la fin de la guerre afin dincorporer plus facilement le territoire belge au Reich allemand. Ils imaginent quintgrer llment germanique flamand sera plus ais que llment francophone wallon. Le pouvoir allemand tente, dans un premier temps, de mettre en place une politique proflamande et de sduire ainsi le nord du pays, afin de faire passer lide dans lopinion flamande que lAllemagne vient en aide une Flandre opprime depuis plusieurs dcennies par la

    79 Lettre du 17 avril 1916. Dieudonn Lambrecht sa femme. Archives gnrales du Royaume, Bruxelles, Archives des Services patriotiques, n248, cit par Debruyne Emmanuel, Van Ypersele Laurence, Je serai fusill demain. Les dernires lettres des patriotes belges et franais fusills par lOccupant. 1914-1918, Bruxelles, Editions Racine, 2011, p.195.80 Voir le chapitre Edith Cavell et Gottfried Benn sous le regard de Pierre Mertens . 81 Boverie Dieudonn, op. cit., p.180.82 BOURLET Michal, op. cit., p.101.

    Dieudonn Lambrecht

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    minorit francophone83. Un autre objectif est de dcrdibiliser la politique extrieure belge et prouver la dangerosit de lalliance historique avec la France depuis 183084.

    Le frontisme dans larme belge

    Larme belge est, comme le souligne lhistorien Michel Dumoulin, une arme de dialectes - flamands, mais aussi wallons - alors que la langue des officiers est le franais, dont la connaissance est ncessaire pour bnficier dune promotion.

    Or, les Flamands composent prs de 65 % des effectifs de larme belge, la plupart verss dans linfanterie, cest--dire la composante la plus expose au feu ennemi. De plus, le faible niveau de scolarisation de nombreux soldats du nord du pays les empche denvisager une quelconque promotion qui pourrait les loigner des premires lignes.Le nombre de morts est donc plus lev chez les Flamands, dautant quils constituent alors 55 % de la population belge, ce qui explique leur proportion plus importante dans larme.

    Ds 1916, certains Flamands remettent en cause lunilinguisme dans larme. Vient rapidement sy greffer le dsir de reconnaissance de leur langue et de leur culture (avec la flamandisation de lUniversit de Gand, par exemple), laquelle aspirent des Flamands plus instruits (en particulier les intellectuels catholiques). Le mouvement frontiste, le Frontbeweging, est n.

    Toutefois, il na pas le retentissement escompt (seuls 5 000 hommes en font partie). En effet, la lutte au quotidien pour la survie reste la priorit des soldats. En 1917, le mouvement est interdit et doit oprer dans la clandestinit, entranant sa radicalisation ainsi que la naissance, puis la persistance, de deux mythes: dune part, celui du soldat flamand ne comprenant pas lordre qui lui est donn en franais (alors quil nexiste pas de tmoignages ce propos) et, dautre part, celui des 80 % de Flamands prsents sur le front.

    LAllemagne entend donc mettre mal lunit belge en laffaiblissant et en revtant le costume de protectrice de la Flandre85. Elle peut compter sur laide, au nord du pays, de quelques activistes prts profiter de la guerre pour faire avancer les nombreuses et anciennes revendications du mouvement flamand. Cette collaboration engage marque la naissance de lactivisme flamand.

    Deux mesures symbolisent cette Flamenpolitik : la flamandisation de lUniversit de Gand en 1916, vieille revendication du mouvement flamand. En effet, jusqualors, les cours y taient exclusivement dispenss en franais. Les autorits allemandes dcident aussi la division administrative du pays en 1917 avec fixation dune premire frontire linguistique. On assiste mme la mise en place dun Conseil de Flandre (Raad van Vlaanderen), qui milite pour une plus grande autonomie flamande. Bruxelles devient alors capitale de la Flandre et le franais est interdit dans les actes officiels de la capitale86. Malgr tout, la Flamenpolitik est un chec pour lAllemagne: peu de Flamands sy rallient et une grande partie de lopinion flamande nentend pas collaborer. Au sein du mouvement flamand, la tendance majoritaire souhaite plus dautonomie dans un cadre fdral belge87. Malgr tout, cette politique laissera des traces aprs la Grande Guerre et limage du Flamand collaborateur et germanophile perdurera et sera renforce davantage encore aprs la Deuxime Guerre mondiale.

    Plus rcemment, des recherches historiques ont mis en vidence quune Wallenpolitik a aussi t dveloppe par lAllemagne partir de 191788. Les autorits allemandes, suite la sparation administrative du pays et la division des ministres en deux ailes linguistiques, dcident dinstaller les ministres wallons Namur. Ceux-ci nont jamais fonctionn, car les fonctionnaires wallons dmissionnent en nombre pour sy opposer. Les milieux lis au mouvement wallon refusent donc de collaborer la politique de loccupant. Au lendemain de la guerre, le leader du mouvement wallon, Jules Destre, dclare mme quil ny a jamais eu dactivistes wallons. Malgr tout, le mouvement wallon ne dlaisse pas son rve dun fdralisme en Belgique, mais jamais aux dpens de la survie du pays. Le projet fdraliste wallon continuera ensuite mrir durant lentre-deux-guerres.

    83 De Schaepdrijver Sophie, Deux patries, p. 35.84 BOURLET Michal, op. cit., p.102.85 DELFORGE Paul, La politique allemande lgard de la Belgique (1914-1918), p. 7, in INSTITUT DESTREE, Site de lInstitut Destre, [en ligne], http://www.institut-destree.eu/Documents/Chantiers/ID-EP-2009/EP04_Paul-Delforge_La_Politique_allemande_a_l-egard_de_la_Belgique_2009-04-25.pdf (Page consulte le 17/06/2014).86 Conraads Daniel, Nahoe Dominique, op. cit., p.223.87 MABILLE Xavier, Histoire politique de la Belgique Facteurs et acteurs de changements, Bruxelles, ditions du CRISP, 1997, p.217. 88 DELFORGE Paul, La Wallonie et la Premire Guerre mondiale, Namur, ditions de lInstitut Destre, 2009.

  • La vie quotidienne Lige pendant la Premire Guerre mondiale

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    Iconographie

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  • ravitaillement, rue de la Station Verviers, photographie, s.d. (Bedeur Michel, Verviers 1914-1918. Des hommes, des soldats, des blesss et des morts, Andrimont, ditions Vieux Temps, 2013, p.68) / Le marquis de Villalobar, photographie, Gallica, 1900 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8433341s/f30.item) / Brand Whitlock, photographie, The Independant, 02/11/1914 (http://archive.org/stream/independen79v80newy#page/150/mode/2up) / Hommage nos frres des tats-Unis dAmrique. La Belgique reconnaissante, lithographie, Muse de la Vie Wallonne, 1915 / Herbert Hoover, photographie, Library of Congress, 1910-1920 (http://www.loc.gov/pictures/item/npc2008011203/) / Raemaekers Louis, In Belgium. Help, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1915 / Bateau transportant laide alimentaire du CRB , photographie, The Herbet Hoover Presidential Library and Museum, s.d. (http://www.hoover.archives.gov/exhibits/collections/flour%20sacks/index.html) / Sacs de farine dans un entrept, photographie, The Herbet Hoover Presidential Library and Museum, s.d. (http://www.hoover.archives.gov/exhibits/collections/flour%20sacks/index.html) / Btiment central de lapprovisionnement en vtements Bruxelles, photographie, Herbet Hoover and the Commission for Relief in Belgium, s.d. (http://www.hooverlegacy.be/Belgian_Relief.htm) / Fte de reconnaissance pour le ravitaillement amricain, dans une classe dcole frobel Lige. Groupe des lves entourant les dlgus du ravitaillement, photographie, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Exposition-vente de sacs amricains au profit de luvre du Secours Discret, Lige, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1915 / Exposition-vente de sacs amricains au profit de luvre des prisonniers de guerre, Herstal, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1916 / Rassenfosse Armand, Exposition horticole au profit de diverses uvres caritatives, Lige, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1915 / Runion dathltisme au profit dun comit sportif, Lige, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1918 / Rcital au profit de luvre des Soupers aux Ncessiteux, Lige , affiche, Muse de la Vie wallonne, 1918 / Exposition et vente de lgumes au profit du Sou du Passe-Temps, Lige, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1918 / Exposition duvres artistiques au profit du Secours Discret, Lige, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1915 / Sugar corn, tiquette, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Quelques modes de Prparation du Sugar Corn ou Jets de Mas, brochure, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Carte de fruits et de lgumes de la ville de Lige, carte de ravitaillement Muse de la Vie wallonne, s.d. / Carnet de mnage de Jules Dufour, carnet, Muse de la Vie wallonne, 1915 / Ville de Huy. Bon pour lachat de vivres valables dans les magasins de ravitaillement de la ville, bon, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Distribution de la soupe aux familles ncessiteuses de la paroisse Saint-Pholien, Lige, photographie, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Tombola de bienfaisance organise au profit notamment du Sou Discret, Lige, affiche, Muse de la Vie wallonne, 1915 / Distribution des miches et de la soupe scolaire aux enfants de lcole de Fize-Fontaine. Photographie du groupe des coliers avec les instituteurs et les prposes aux distributions, photographie, Muse de la Vie wallonne, 1917 / Avis. Fixation du prix des crales, Bruxelles, affiche, Muse de la Vie wallonne, 14/09/1918 / Cest la dernire, regardez mais ny touchez pas!, carte postale, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Arrt concernant la restriction de la consommation de la viande et de la graisse, Muse de la Vie wallonne, 14/10/1916 / Sac de torraline du Comit de Secours et dAlimentation de la Province de Lige, sac, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Sac de racahout (mlange pour bouillie), Muse de la Vie wallonne, s.d. / Aux mnagres! Prparations des rutabagas et du riz, dit par lAgronome, Lige, s.d., Muse de la Vie wallonne / Chmeurs occups, dans une cour dcole, retirer des pommes de terre dun silo, Lige, photographie, Muse de la Vie wallonne, vers 1917 / Il y a du beurre. Publicit pour la pice Les novs Ritches, reprsentation au Trocadro au profit dartistes ncessiteux, Lige, affichette, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Avant? Pendant? Aprs!, carte postale, Muse de la Vie wallonne, s.d. / meutes place Saint-Remacle Verviers en 1916, photographie, 1916 (Bedeur Michel, Verviers 1914-1918. Des hommes, des soldats, des blesss et des morts, Andrimont, ditions Vieux Temps, 2013, p.77) / Invitation livrer les cuivres de mnage, lettre, Muse de la Vie wallonne, 1917 / Monnaie de ncessit en fer. Conseil communal de Flmalle-Grande, monnaie, Muse de la Banque nationale de Belgique, 1915 (http://www.nbbmuseum.be/catalogs/necessity/bond_fr.htm?id=N08706&c=Fl%C3%A9malle&fn=flemalle&e=Fl%C3%A9malle-Grande) / Bon de caisse. Ville de Waremme, monnaie papier, Muse de la Banque nationale de Belgique, 1915 (http://www.nbbmuseum.be/catalogs/necessity/bond_fr.htm?id=B08887&c=Waremme&fn=waremme&e=Waremme) / Bon de caisse. Grand Bazar de la Place Saint-Lambert, monnaie papier, Muse de la Banque nationale de Belgique, 1915 (http://www.nbbmuseum.be/catalogs/necessity/bond_fr.htm?id=B01221&c=Li%C3%A8ge&fn=liege&e=Li%C3%A8ge) / Rappel concernant la dclaration des matelas et des coussins des habitants de Theux, affichette, Muse de la Vie wallonne, 15/09/1917 / Prospectus pour des semelles en bois pour chaussures, affichette, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Caricature inspire par lusage des semelles en bois pour chaussures pendant la guerre , carte, Muse de la Vie wallonne, 1917 / Carte de vtements du Comit national de Secours et dAlimentation, Muse de la Vie wallonne, s.d. / Commune de Theux. Demande de dclaration de chien, lettre, Muse de la Vie wallonne, 28/10/1917 / Les bureaux de la Vieille-Montagne, saccags par les troupes allemandes en octobre 1914, Angleur, photographie, Centre dhistoire des sciences et des techniques, 1914 / Ougre-Marihaye. Arrire du laminoir aprs dmontage, photographie, Centre dhistoire des sciences et techniques, s.d. / Certificat didentit de Donat Wagner, Lige, carte didentit