6
06.10.17 10:25 La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps Page 1 sur 7 https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire Une modèle de voiture autonome par la marque de voiture Smart. © Smart vision EQ fortwo 8 minutes de lecture Automobile Technologies Luc Debraine Publié mercredi 4 octobre 2017 à 12:57. ! ! La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire L’arrivée de la voiture autonome suscite son lot d’espoirs, mais aussi de craintes. Les sondages montrent que les automobilistes, aujourd’hui, rechignent à l’idée de déléguer leur contrôle, leurs décisions et leur plaisir à une machine. A tort ou raison? «J’ai l’honneur de vous avertir qu’à partir d’aujourd’hui je me promène avec un revolver dans ma poche et que je tirerai sur le premier de ces chiens enragés qui, monté sur une automobile ou un tricycle à pétrole, s’enfuira après avoir risqué d’écraser moi ou les miens», écrit le journaliste Hugues Le Roux au préfet de police de Paris au mois de mai 1898. Il vient d’être surpris, rue de Courcelles, par un «écraseur» lancé à pleine vitesse, c’est-à-dire environ 20 km/h selon les performances des premières voitures motorisées à l’époque. Bruyante, fumante, l’automobile marquait alors son apparition dans les grandes villes, succédant aux véhicules hippomobiles. La nouveauté générait fascination, mais aussi trouille bleue chez les plus impressionnables. Machine pour machine, celle à fantasme embrayait sec. L’invention était soupçonnée de gercer les lèvres des conductrices et passagères, rendant les baisers impossibles. Elle était même accusée d’être antichrétienne: doubler les piétons avec une telle facilité manquait par trop d’humilité. SOCIÉTÉ

La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

06.10.17 10:25La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps

Page 1 sur 7https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire

Une modèle de voiture autonome par la marque de voiture Smart. © Smart vision EQ fortwo

8 minutes de lecture

Automobile

Technologies

Luc Debraine

Publié mercredi 4 octobre

2017 à 12:57.

! ! La voiture autonome débarque, pour lemeilleur et pour le pire

L’arrivée de la voiture autonome suscite son lot d’espoirs,mais aussi de craintes. Les sondages montrent que lesautomobilistes, aujourd’hui, rechignent à l’idée de déléguerleur contrôle, leurs décisions et leur plaisir à une machine. Atort ou raison?

«J’ai l’honneur de vous avertir qu’à partir d’aujourd’hui je me

promène avec un revolver dans ma poche et que je tirerai sur

le premier de ces chiens enragés qui, monté sur une

automobile ou un tricycle à pétrole, s’enfuira après avoir risqué

d’écraser moi ou les miens», écrit le journaliste Hugues Le

Roux au préfet de police de Paris au mois de mai 1898. Il vient

d’être surpris, rue de Courcelles, par un «écraseur» lancé à

pleine vitesse, c’est-à-dire environ 20 km/h selon les

performances des premières voitures motorisées à l’époque.

Bruyante, fumante, l’automobile marquait alors son apparition

dans les grandes villes, succédant aux véhicules hippomobiles.

La nouveauté générait fascination, mais aussi trouille bleue

chez les plus impressionnables. Machine pour machine, celle à

fantasme embrayait sec. L’invention était soupçonnée de gercer

les lèvres des conductrices et passagères, rendant les baisers

impossibles. Elle était même accusée d’être antichrétienne:

doubler les piétons avec une telle facilité manquait par trop

d’humilité.

SOCIÉTÉ

Page 2: La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

06.10.17 10:25La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps

Page 2 sur 7https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire

«C’est toujours la même histoire: depuis l’invention de la

machine à vapeur, il se trouve des gens pour craindre les

progrès technologiques. Sans se rendre compte qu’avec l’arrivée

de nouveaux risques, c’est aussi de nouvelles chances qui

apparaissent», soupire Michaël-Andreas Esfeld, professeur à

l’Université de Lausanne, auteur d’une introduction à la

philosophie des sciences parue chez PPUR.

Lire: La voiture autonome a!ire des milliards de dollars

Bêtes imprévisibles

«Les passagers des premiers trains à vapeur avaient peur de

mourir d’une crise cardiaque sous l’e"et de la vitesse, poursuit

Guillaume Drevon, chercheur au Laboratoire de sociologie

urbaine à l’EPFL. Presque deux siècles plus tard, on voyage en

avion à 800 km/h sans même y penser. Cela dit, nous sommes

passés rapidement de la voiture à cheval à celle à moteur

thermique. Bientôt, nous aurons un nouveau bond d’usage,

avec des modalités techniques, sociales, urbaines ou

industrielles inédites.»

Ce!e rupture d’usage est bien sûr l’automobile autonome. En

elle-même, l’expression est un pléonasme: l’«auto-mobile» est

une machine qui se déplace par elle-même, donc autonome.

La description «véhicule autonome» était utilisée telle quelle, à

la #n du XIXe siècle, notamment dans la description des

premiers accidents de la circulation, de manière à souligner

qu’on avait a"aire à une nouvelle bête aux réactions

imprévisibles.

Lire aussi: Tesla lance une course aux ba!eries géantes

C’est bien ce!e part d’inconnu qui fragilise aujourd’hui l’idée

de la voiture robotisée, au cerveau informatique, capable de se

déplacer sans intervention humaine. L’automobile

contemporaine, surtout haut de gamme, est certes déjà en voie

d’automatisation. Outre ses assistances électroniques à la

conduite, elle est capable d’e"ectuer un freinage d’urgence, de

réguler sa vitesse dans le tra#c, d’avancer par elle-même dans

un bouchon, de tenir sa trajectoire entre des lignes, d’anticiper

une di$culté routière grâce à la lecture prédictive de son GPS.

L’échelle de la voiture autonome varie entre 1 et 5. Nous en

sommes aujourd’hui, en gros, entre les niveaux 2 et 3.

Ci-dessous, les modèles de la marque haut de gamme Tesla:

Page 3: La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

06.10.17 10:25La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps

Page 3 sur 7https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire

Nouveaux acteurs

Mais nous parlons ici du niveau 5, l’autonomie totale, encore

une musique algorithmique d’avenir. Les prédictions divergent

sur le calendrier. Certains pensent que ce sera l’a"aire d’une

décade, tant les progrès des caméras, capteurs, radars, lidars

(télédétection par laser) ou cartes routières numériques sont

rapides. D’autres estiment qu’il faudra plusieurs décennies

pour que la technologie, très complexe, dépendante d’un cadre

législatif encore inconnu, arrive à maturation.

Lire notre édito à ce sujet: Voitures autonomes: du fantasme à

la réalité

Reste que la voiture à délégation de conduite excite la curiosité.

Celle-ci est alimentée par les constructeurs automobiles qui

ont trouvé dans l’auto-robot un nouvel argument de

marketing, surtout un dérivatif face à leur baisse de crédibilité

après le cataclysme du Dieselgate. Les marques sont d’autant

plus enclines à promouvoir ce futur autonomisé, mais aussi

connecté, électri#é et partagé, qu’elles sont en lu!e frontale

avec les géants de la Silicon Valley, Google en tête.

Le faux dilemme

L’automobile autonome intéresse également les médias et le

grand public, la paire imaginant le pire comme le meilleur.

Beaucoup est dit sur l’enjeu éthique que représenterait une

telle technologie, avec un processus de contrôle, de décision et

donc de responsabilité qui est reporté sur la machine plutôt

que sur l’être humain au volant. Le fameux dilemme,

anxiogène, de la collision inévitable n’est pas pertinent.

L’histoire va ainsi: dans ce!e rue, sous la pluie, la voiture

intelligente choisira-t-elle de percuter des passants pour

préserver ses occupants ou les évitera-t-elle au risque de

blesser ses mêmes passagers?

S, 3, X on a bridge06:58 - 29 juil. 2017

824 12 486 35 674

Tesla @Tesla

Suivre

Page 4: La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

06.10.17 10:25La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps

Page 4 sur 7https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire

Discutez avec un ingénieur chargé du développement de tels

logiciels, sa réponse sera invariable: jamais la machine ne sera

amenée à e"ectuer de tels choix vitaux. Elle sera programmée

pour anticiper, éviter ou a!énuer les conséquences d’un

accident, au mieux, dans toutes les situations, point #nal. Ce

point est aussi de suspension. L’éthique est après tout un gros

enjeu de l’intelligence arti#cielle. Rien ne dit qu’elle ne sera

jamais incluse dans les ordinateurs de bord. «Actuellement, ce

sont surtout les problèmes qui sont vendus au public, note

Guillaume Drevon à l’EPFL. Les médias cultivent aujourd’hui

une image de la voiture autonome qui ne sera pas celle de

2035. C’est une représentation encore abstraite, en somme un

phénomène psychosocial, qui est clairement appelée à

évoluer.»

Technophiles confiants

En a!endant, la con#ance ne règne pas. Humant l’air ambiant,

les instituts de sondage et cabinets de conseil ont multiplié ces

derniers mois les enquêtes sur la voiture autonome. Les

résultats donnent peu ou prou les mêmes résultats par pays.

Environ 60% des Français n’utiliseraient pas un véhicule

capable de se déplacer tout seul, alors que la proportion monte

à 70% en Allemagne et à 75% aux Etats-Unis. Raisons: manque

de con#ance en la capacité du véhicule à prendre une bonne

décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire

ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e aversion pour la

mobilité intelligente se retrouve aussi dans les sondages sur les

futurs avions de ligne sans pilotes (prévus dès 2025), avec en

gros les mêmes proportions de «Ce sera sans moi!»

Ce rejet est culturel. Les Européens et Américains reje!ent

majoritairement la nouvelle technologie. Les Indiens, Coréens

ou Chinois, plus technophiles ou venus plus récemment à

l’automobile, se montrent davantage ouverts à l’expérience. La

crainte est aussi générationnelle, les jeunes se montrant un

rien plus audacieux que les anciens, sans qu’une di"érence

notable puisse être notée. «Le marqueur, ici, est surtout

l’aisance face aux nouvelles technologies, argumente

Guillaume Drevon. C’est une question individuelle. L’adoption

de la voiture autonome ne se jouera pas sur le fait d’être jeune

ou vieux, cultivé ou non cultivé, mais sur une dynamique plus

large, sur un vrai fait de société. Comme celui qui a abouti au

succès des smartphones après le lancement de l’iPhone, il y a

dix ans. Pour ceux qui ne seront toujours pas accoutumés à ces

technologies, une formation complémentaire devra sans doute

leur être donnée.»

Lire également: Qui les voitures autonomes devront-elles tuer

et protéger?

Page 5: La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

06.10.17 10:25La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps

Page 5 sur 7https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire

Cadre légal

Allons faire un tour sur le stand Mercedes-Benz au salon

automobile de Francfort, qui a ba!u son plein au mois de

septembre dernier. Michael Hafner, responsable du

programme autonome chez Daimler, le groupe qui chapeaute

Mercedes, con#rme ce!e nécessité d’apprentissage: «La crainte

d’une telle innovation est légitime. Les personnes dont le

niveau de con#ance est le plus bas seront d’abord encouragées

à tester ces véhicules. Et à comprendre comment ils

fonctionnent. Notre expérience montre qu’après ces deux

étapes préalables, la con#ance augmente. Certes pas d’un coup,

mais progressivement.»

Renata Jungo Brüngger, qui est Fribourgeoise, dirige les a"aires

légales chez Daimler: «L’enjeu de la con#ance est capital. La

voiture autonome, c’est d’abord un empirisme, une possible

acceptation fondée sur l’expérience. La crainte est aussi d’ordre

légal. Comment seront déterminées les responsabilités en cas

de problème? Comment les données enregistrées seront-elles

gérées, avec quelle protection pour les utilisateurs, quelle

transparence? S’il y a des progrès, ils se font actuellement en

ordre dispersé. La France ou la Suisse n’autorisent pas à un

conducteur de lâcher son volant. Aux Etats-Unis, c’est un

patchwork de réglementations. En Chine, la situation n’est pas

claire. L’Allemagne est plus ouverte. Le Ministère des

transports a créé un comité d’éthique qui ré%échit à ces

questions. Le cadre légal qui se met en place est une bonne

base pour le développement de la voiture autonome. Mais les

réglementations devront s’adapter à ce!e évolution.»

Un modèle de voiture autonome du

groupe Smart Smart vision EQ fortwo

Page 6: La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le ... · décision, la crainte de l’accident, la perte du plaisir de conduire ou la peur que la voiture soit piratée. Ce!e

06.10.17 10:25La voiture autonome débarque, pour le meilleur et pour le pire - Le Temps

Page 6 sur 7https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/10/04/voiture-autonome-debarque-meilleur-pire

Plongée à l'intérieur de l'usine Daimler:

Gagner la confiance

Michael Hafner enchaîne: «Ce n’est pas seulement l’automobile

et la loi qui devront changer, mais aussi les infrastructures

routières. Celles-ci devront tenir compte des systèmes de

sécurité complexes à bord des véhicules, en particulier lorsque

les conditions atmosphériques sont mauvaises. Dès lors, qui

investira dans ces infrastructures? Qui gérera les

communications de véhicule à véhicule? Le but est tout de

même de proposer des conditions de sécurité bien plus élevéesque si des humains étaient au volant. Un système autonome

n’est jamais ivre, jamais fatigué, jamais distrait.»

Lire aussi: Voitures autonomes: Intel accélère la cadence

Jürgen Schenk, responsable du développement des voitures

électriques chez Daimler, conclut: «En réalité, une bonne part

des conducteurs tirent déjà parti au quotidien de dispositifs de

conduite autonome. Comme le contrôle de la trajectoire entre

des lignes blanches. Nous en aurons de plus en plus.

L’important est que lorsqu’un automobiliste a l’expérience d’un

certain état de la technologie, il est mieux préparé à passer au

suivant. En toute lucidité. Il ne s’agit pas d’un saut quantitatif

et qualitatif, mais d’un processus graduel. Dès lors, pas

d’inquiétude, l’évidence est là, bien humaine: les utilisateurs ne

s’empareront de ces systèmes que s’ils leur font con#ance.»

Corporate )lm Daimler (2015)

FACEBOOK TWITTER YOUTUBE INSTAGRAM

Suivez toute l'actualité du Temps sur les réseaux sociaux