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© DR / MdM LA ZONE FRONTIÈRE AFGHANISTAN - PAKISTAN : COMMENT AIDER LES CIVILS DANS LA GUERRE ? SYNTHÈSE FORUM [FORUM DU 27 MAI 2010]

La zone frontière afghanistan - Pakistan : Comment aider les civils dans la guerre ?

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En introduction, Pierre Salignon (Directeur général à l’action humanitaire de Médecins du Monde) soulève trois séries de questions qui se posent aux organisations humanitaires. Les unes portent sur les populations civiles dans la guerre, les autres tentent de comprendre à quel prix l’aide humanitaire est menée et les dernières concernent les relations qu’entretiennent les acteurs humanitaires avec les acteurs armés et les confusions meurtrières qui peuvent en découler sur le terrain.

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Dans la gueRRe ?

synthèse forum[forum du 27 mAI 2010]

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Lieutenant-colonel BARNABA, Chef du bureau des opérations et instructions au groupement interarmées d’action civilomilitaire (Lyon)

George LEFEUVRE, Anthropologue et diplomate

Marc TYRANT, Responsable de la mission d’urgence menée par MdM au Pakistan

Christopher STOKES, Directeur général de MSF-Belgique

Pierre LAFRANCE, Président de l’association MADERA

grands témoins :Guy CAUSSé,Responsable de mission Afghanistan à MdM

Alain BOINET, Fondateur et directeur de Solidarités International

Le débat est modéré par Pierre SALIGNON, Directeur général à l’action humanitaire de MdM

intervenants

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En introduction, Pierre Salignon soulève trois séries de questions qui se posent notamment aux organisations humanitaires. Les unes portent sur les populations civiles dans la guerre, les autres tentent de comprendre à quel prix l’aide humani-taire est menée et les dernières concernent sur les relations qu’entretiennent les acteurs humanitaires avec les acteurs armés et les confusions meurtriè-res qui peuvent en découler sur le terrain.

Les enjeux hIstorIques de LA zone frontIère AfghAnIstAn – PAkIstAnAfin de parvenir à gérer la zone frontière, George Lefeu-vre estime nécessaire de distinguer la question pachtoune, le talibanisme et un troisième élément exogène, Al-Qaïda.

Dans le but de créer une base de reconquête d’un Islam purifié de toutes « déviances » dans un Grand Khalifat, Al-Qaïda utilise les causes nationalistes, notamment pachtoune, pour fragiliser les Etats-nations hérités de l’Occident, en l’occurrence le Pakistan et l’Afghanistan. Si l’accès des talibans au pouvoir en 1994 en Afghanis-tan n’est pas gêné par les Etats-Unis essentiellement soucieux à l’époque de faire passer le gazoduc du Turkménistan par l’Afghanistan, il est même vu d’un bon œil par l’Arabie Saoudite et le Pakistan qui s’arran-gent de voir l’Iran chiite contenu. Si, au lieu d’amalga-mer les pachtounes aux talibans, des liens avaient été tissés avec la société civile de l’époque, le mouvement taliban aura pu être dissous. Au contraire, il est devenu le bras armé d’une reconquête de l’irrédentisme iden-titaire pachtoune grâce auquel le talibanisme reprend des forces et sur lequel Al-Qaïda se greffe.

Le mode oPérAtoIre de médecIns du monde Au PAkIstAnLa mission d’urgence de Médecins du Monde au Pakistan codirigée par Marc Tyrant décline des acti-vités de soins de santé primaire, de santé maternelle et infantile et de nutrition selon trois axes, à savoir la mobilité, la réactivité et la performance. Le succès de cette mission repose sur l’expertise technique et la connaissance du terrain par son staff, notamment local. La situation au Pakistan a confirmé pour Méde-cins du Monde la légitimité de l’espace humanitaire quand la diplomatie n’a plus sa place. Par ailleurs, la définition de l’action d’urgence doit inclure un début

de réponse à des problèmes structurels afin d’anti-ciper de nouvelles crises et de protéger les popula-tions hôtes. Enfin, il est nécessaire aux organisations humanitaires de se créer une identité pakistanaise permettant d’asseoir leur légitimité.

LA reLAtIon entre Les Acteurs humAnItAIres et Les mILItAIres sur Le terrAInLe Lieutenant-colonel Barnaba explique que le grou-pement interarmées d’action civilomilitaire joue un rôle d’interface entre le monde militaire français et le monde civil en Afghanistan. Il conclut des partenariats avec les autorités locales et avec les ONG volontaires tout en prenant systématiquement en compte les impératifs de ses partenaires, en l’occurrence le besoin d’un espace humanitaire pour les ONG. Ce groupement ne vise pas à se substituer aux organisations humanitaires mais à participer à la stabilisation du pays en restaurant l’autorité de l’Etat, en sécurisant la zone et en veillant ensuite à ce que les acteurs humanitaires et les auto-rités locales puissent reprendre la main.

Christopher Stokes estime que la confusion entre humanitaires et militaires sur le terrain est extrême-ment dangereuse. Si les militaires dont la mission poli-tique consiste à assurer un travail d’assistance et de reconstruction en sont majoritairement responsables, les acteurs humanitaires assument également une part de responsabilité en voulant participer aux actions d’assistance conduites par les forces armées.

L’enjeu et LA PLAce des PoPuLAtIons AfghAnesPierre Lafrance explique que, d’après les témoigna-ges recueillis sur le terrain, les populations afghanes

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aspirent à l’Etat de droit et aux évolutions sociales et culturelles qui en sont le préalable. MADERA essaie de les aider dans leur développement, ce qui l’amène à accompagner un processus de transformation sociale. Dans ce cadre, il est absolument nécessaire de se garder de tout engagement politique osten-sible. En particulier, il faut distinguer l’action huma-nitaire neutre de toutes les actions perçues comme militaires ou militantes aux yeux de la population.

Christopher Stokes estime au contraire dangereux pour un acteur humanitaire d’afficher une quelconque volonté de transformer la société car les populations risquent alors de le considérer comme un envahisseur plutôt que comme un hôte.

témoIgnAgesAlain Boinet estime que si Al-Qaïda est responsable de la situation actuelle en Afghanistan, les soviétiques et les occidentaux portent également une grande part de responsabilité, les uns en ayant importé la guerre, les autres en ayant abandonné les Afghans après la victoire sur les troupes soviétiques.

Selon Guy Caussé, seule une citoyenneté humanitaire partagée permettra aux acteurs soucieux du bien-être des populations de progresser ensemble.

Pierre SALIGNONIl ne se passe pas une semaine sans que nos médias fassent référence à cette zone frontière entre l’Afgha-nistan et le Pakistan, au travers de la mort d’un soldat des forces de l’OTAN au cours de combats avec les forces insurgées, au travers de l’attaque d’un drone contre un bastion radical taliban au Pakistan avec son cortège de blessés civils, ou plus récemment au travers de la tentative d’un attentat à New York sup-posé avoir été planifié par les Taliban pakistanais.

Dans ce contexte armé, de nombreuses questions se posent, particulièrement pour les organisations humanitaires. Les premières questions portent sur les populations civiles dans la guerre : comment survivent les populations civiles et comment s’organisent-elles, comment perçoivent-elles les ONG, notamment étrangère ? L’assistance internationale a-t-elle changé leurs conditions de vie précaires ?

Le deuxième axe de questions porte sur le prix auquel l’aide humanitaire est conduite : comment agissent les organisations humanitaires ? Comment font-elles

pour accéder aux populations civiles dans les zones exposées ou à proximité des combats alors que les forces qui luttent dans cette guerre contre la terreur semblent marquer le pas et que les insurgés les har-cèlent ? Comment les organisations humanitaires peuvent-elles préserver un espace d’action indépen-dant ? Quelles sont leurs perspectives ?

Enfin, le troisième type de questions concerne les relations qu’entretiennent les organisations humani-taires avec les différents acteurs armés : comment les organisations de secours peuvent-elles afficher leur neutralité pour poursuivre des opérations d’as-sistance alors même que les militaires agitent le label humanitaire, souvent pour justifier leurs actions et faire oublier certains dérapages ? Les humanitaires n’ont-ils pas eux-mêmes entretenus des confusions meurtrières faute de se démarquer clairement des logiques politiques et militaires ?

George LEFEUVREWinston Churchill, qui se trouvait dans les zones tribales en 1897 en tant que membre de la cavalerie britannique, estimait qu’il existait trois options pour se comporter et travailler avec l’Afghanistan, soit impo-ser sa loi au canon, se retirer et laisser les zones triba-les à leur âge de pierre un peu sanglant, ou travailler par et avec le système tribal. Vous répondrez qu’il est impossible de travailler avec la société tribale pach-toune car les talibans en ont pris le contrôle avec l’aide du djihad global que nous estimerons génériquement porté par Al-Qaïda. Or je ne pense pas que la société tribale pachtoune soit définitivement morte. Nous n’avons pas suffisamment insisté sur le malentendu fondamental de l’approche occidentale vis-à-vis de l’Afghanistan. Si la distinction est faite entre les trois couches d’une même pâte feuilletée, soit la question

nous n’avons pas suffisamment insisté sur le malentendu fondamental de l’approche occidentale vis-à-vis de l’Afghanistan ».

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pachtoune, le talibanisme et la troisième couche exogène Al-Qaïda, la difficulté d’aujourd’hui dans les zones tribales pakistanaise résulte du concubinage entre le talibanisme « ordinaire » et le terrorisme inter-national. Différencier ces deux « couches » représente un enjeu pour la sécurité de l’action menée dans cette zone mais également pour l’équilibre régional. Cette situation est survenue en partie parce que nous n’avons pas pris en compte des éléments qui étaient connus depuis longtemps.

Dans les années 1980, Abdallah Youssef Azzam habi-tait au Pakistan avec Ben Laden qui s’en inspirait. Abdallah Youssef Azzam était un disciple d’Ibn Tamiyya qui avait théorisé le « djihad global » dès le XIVè siè-cle en portant notamment à l’extrême l’idée que la nation n’a rien à voir avec les questions de territoire, de langue ou de culture mais correspond à l’Oumma, soit la communauté des croyants. Quand en 1986, Ben Laden s’installe près de Khost à la frontière, il est clair entre lui et Abdallah Youssef Azzam qu’il s’agit de créer une base de reconquête d’un Islam purifié de toutes « déviances » au sein d’un Grand Khalifat. Or pour édifier ce nouveau Khalifat, il faut d’abord briser les Etats-nations hérités de l’Occident. Ainsi, Al-Qaïda soutient et utilise les causes nationalistes pour fragi-liser voire casser les Etats-nations. Le nationalisme pachtoune qui se réveille représente pour Al-Qaïda une opportunité rêvée pour fragiliser les Etats pakis-tanais et Afghan. Nous avons trop ignoré la question pachtoune dans l’approche politique de l’Afghanistan d’après 2001. Al-Qaïda s’engouffre dans l’opportunité donnée par la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan en 1994.

A l’époque, les Etats-Unis soucieux de faire passer le gazoduc depuis le Turkménistan à travers l’Afghanis-tan choisissent de négocier avec les talibans. L’Arabie Saoudite ainsi que le Pakistan s’arrangent de voir les talibans « contenir » l’Iran chiite. Surtout, la question de la profondeur stratégique pakistanaise joue un rôle majeur dans l’installation des talibans en Afghanistan. Depuis sa création, le Pakistan se sent menacé et encerclé. L’idée de la profondeur stratégique consis-terait à installer à Kaboul un régime « bon musulman » pachtoune dont la pérennité serait assurée par Islama-bad de manière à ce que ce régime ne remette pas en cause, comme ce fut fait dans le passé, le statut de frontière internationale de la ligne Durand. Il fallait être réellement naïf pour croire qu’en misant uniquement sur l’Alliance du Nord, nous pourrions réussir la récon-ciliation en Afghanistan après 2001. Si, au lieu d’amal-gamer les pachtounes aux talibans, nous avions pu

tisser des liens avec la société civile de l’époque, il existait quelques chances pour que le mouvement taliban puisse se dissoudre. Au contraire, il est devenu le bras armé d’une reconquête de l’irrédentisme iden-titaire pachtoune grâce auquel le talibanisme reprend des forces. Al-Qaïda, qui mène un « djihad global », en profite pour se greffer sur cet enjeu national. Afin de parvenir à gérer la zone frontière, il faut dissocier l’ir-rédentisme identitaire pachtoune de la mouvance ter-roriste Al-Qaïda. Avant de négocier avec les talibans, il faut reprendre le problème en amont et négocier avec la société tribale.

Marc TYRANTLa mission de Médecins du Monde au Pakistan a répondu à une crise dont les origines remontent au début des années 2000 par des activités militantes dans les agences tribales de la province frontière du Nord-Ouest et de la vallée de Swat. La stratégie gou-vernementale de réponse à ces activités s’est résume par : tergiversations et ambiguïté. En avril 2009, le gouvernement, notamment sous pression internatio-nale, a demandé à l’armée d’intervenir massivement dans la vallée de Swat. En conséquence, entre 2 et 3 millions d’IDPs (internally displaced persons) ont afflué dans la plaine, soit le plus grand déplacement de population dans l’histoire du Pakistan depuis son indépendance. N’étant pas préparé à faire face à cet « effet collatéral », le gouvernement a dû improviser des camps dans lesquels seuls 10 % des déplacés se sont installés. 90 % des déplacés ont été accueillis par les communautés hôtes qui n’étaient pas plus préparées que les structures locales. Pour faire face à cette crise humanitaire, le gouvernement a fait appel à l’armée et à l’aide internationale.

Nos activités se déclinent selon trois axes, à savoir la mobilité, la réactivité et la performance ».

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L’administration constitue un partenaire essentiel, tout aussi tentaculaire, incontournable et manipulatrice qu’elle soit. Les insurgés qui sont insaisissables, pro-téiformes et omniprésents.

La communauté internationale constitue un autre acteur. La confusion qui existe entre, d’une part, les organisations internationales et onusiennes, et d’autre part les Etats occidentaux, et notamment les Etats-Unis, a des conséquences en termes de sécurité et de crédibilité. En outre, les organisations internationales font parfois pression sur les acteurs locaux en matière de financement. Enfin, les organisations islamiques d’aide se trouvent en situation de concurrence avec les organisations occidentales. Le principal défi pour une organisation humanitaire consiste à être perçue comme une organisation réellement « non gouverne-mentale », laïque et au service de la population dans un pays où tout est confessionnel.

Enfin, la population représente un acteur majeur. Il faut apprendre le contexte socioculturel au quotidien dans sa profondeur historique et anthropologique. Outre les règles de vie sociale à intégrer, il faut également reconnaître la légitimité des pouvoirs traditionnels comme garantie de l’accès au plus grand nombre. Pour répondre à ce défi, il faut se reposer sur un staff local, pluraliste et fidèle. Ensuite, nous nous enga-geons à apporter des services non conditionnels afin de toucher également les exclus ainsi que les femmes, les enfants et les familles monoparentales. Nous devons toujours nous positionner en hôte, condition d’acceptabilité et de protection. Faire de la population le centre de nos préoccupations équivaut à en faire notre interlocuteur privilégié et à l’encourager à se prendre en main.

A travers notre mission au Pakistan, nous avons tout d’abord constaté la légitimité de l’espace humanitaire quand la diplomatie n’a plus sa place. Ensuite, la définition de l’action d’urgence doit inclure un début de réponse à des problèmes structurels afin de se préparer à une nouvelle crise. Troisièmement, il est nécessaire aux organisations humanitaires de se créer une identité pakistanaise permettant d’asseoir leur légitimité. Dernièrement, afin de protéger les person-nes qui nous accueillent, il faut répondre aux besoins réels de la population par rapport à ses frustrations. Pour protéger notre staff, nous pouvons nous reposer sur un personnel responsable, confiant en notre action et se sentant partie prenante de notre ONG.

Un an après, Médecins du Monde dispose de cinq cliniques mobiles dans trois districts du Pakistan et une équipe de cent personnes, en grande majorité des Pakistanais. Nous menons des activités de soins de santé primaire, de santé maternelle et infantile et de nutrition. Nos activités se déclinent selon trois axes, à savoir la mobilité, la réactivité et la performance. Il s’agit en premier lieu d’atteindre les personnes à l’endroit où elles se trouvent. Ensuite, la réactivité cor-respond à notre potentiel d’évaluation et de réponse rapide pour faire face à de nouvelles crises. Enfin, nous devons réaliser ce que nous promettons. La mission de Médecins du Monde a été rendue possible par notre expertise technique, par la connaissance du terrain accumulé grâce à nos volontaires, mais éga-lement par un staff local qui, suite à l’intervention de 2005 pour le tremblement de terre, a voulu à nouveau rejoindre Médecins du Monde.

Cette crise nous a amenés à nous poser des ques-tions sur notre légitimité et sur les conditions de notre efficacité. La stratégie de Médecins du Monde s’est développée pour maintenir les victimes au centre de ses préoccupations. Ce conflit est nié par les auto-rités pakistanaises qui n’y voient qu’une opération de police interne, excluant de fait toute approche diplomatique. Pourtant, des pressions internationales politiques et stratégiques complexifient ce conflit.

Parmi les acteurs figurent les militaires qui constituent le corps le plus organisé et efficace du Pakistan. L’armée a toutefois hérité de l’image négative laissée par l’ère Musharraf. Elle revendique le contrôle des opérations d’aide dans le cadre d’une stratégie visant à gagner les cœurs. Enfin, le système pakistanais souffre d’une obsession du complot et de la sécurité nationale. Les ONG extérieures doivent se rappeler qu’elles peuvent être considérées comme des fac-teurs de danger.

La stratégie de Médecins du Monde s’est développée pour maintenir les victimes au centre de ses préoccupations ».

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Alain BOINETLe phénomène taliban n’est pas lié à Al-Qaïda mais à la guerre civile afghane et l’anarchie qui en résulte. Or l’Afghanistan est en guerre depuis l’invasion soviéti-que de 1979. La radicalisation des Afghans résulte de cette guerre qui leur a été imposée bien plus que d’Al-Qaïda. Les Afghans n’avaient pas besoin des combat-tants arabes soutenus par les puissances étrangères dont les Etats-Unis pour remporter la guerre contre les soviétiques. Après la guerre, les Etats-Unis se sont totalement désengagés car le pays n’était plus straté-gique à leurs yeux. Les Afghans abandonnés, la guerre civile a continué. L’Afghanistan est uniquement rede-venu un enjeu stratégique pour les Etats-Unis après les attentats du World Trade Center. Si Al-Qaïda est responsable de la situation actuelle en Afghanistan, les occidentaux et les soviétiques en ont également responsables.

Lieutenant-colonel BARNABALe groupement interarmées d’action civilomilitaire était déployé dans la province de Kapisa et dans un district de la province de Kaboul. J’occupais le poste de chef du détachement de coopération civilomili-taire au sein de l’Etat-major de la Brigade française. Nous jouons le rôle d’une interface entre le monde militaire français et le monde civil du pays dans lequel nous réalisons notre mission. Notre mode d’action consiste essentiellement en liaison et en médiation dans le but d’anticiper ou de diminuer les tensions. Nous représentons également l’un des contacts des populations et des autorités. En cas de doléance, la coopération civilomilitaire de l’armée française traite avec les différents partenaires et acteurs civils de sa zone afin de déterminer lequel peut prendre en

compte le besoin exprimé. Nous concluons avec les autorités locales et les ONG des partenariats actifs ou simplement en termes d’échange d’information, ainsi que des partenariats avec les concessions diplomatiques pour obtenir des financements. Nous prenons systématiquement en compte les contrain-tes ou les impératifs de nos partenaires, en l’occur-rence le besoin d’espace humanitaire des organisa-tions humanitaires ou leur volonté d’apparaître en public à nos côtés ou à l’écart.

Nous travaillons actuellement avec quatre organisa-tions humanitaires selon une méthode satisfaisante qui permet de répondre aux besoins des populations. Notre objectif ne consiste pas à se substituer aux acteurs humanitaires mais à passer le plus vite pos-sible le relai aux organisations humanitaires et aux autorités locales.

Dans la province de Kapisa avec les financements de la commission européenne, nous avons construit des postes et des commissariats de police et nous avons formé des agents de police afghans, en réponse à des demandes locales et en veillant à transmettre la responsabilité de ces postes aux autorités locales. Nous avons également conduit des projets de soutien à des actions de développement essentiellement axés sur l’eau. Enfin, nous avons soutenu la construction de deux écoles et de deux cliniques parce qu’aucune organisations humanitaires n’était disponible. En ter-mes de financements, nous disposons d’un budget de 600 000 euros du Ministère de la Défense (contre 400 000 euros en 2009), d’un budget de la commis-

Le phénomène taliban n’est pas lié à Al-Qaïda mais à la guerre civile afghane et l’anarchie qui en résulte ».

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Notre objectif ne consiste pas à se substituer aux acteurs humanitaires mais à passer le plus vite possible le relai aux organisations humanitaires et aux autorités locales ».

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les armées et la démocratisation du régime afghan. La confusion qui règne à l’OTAN provient en premier lieu des humanitaires eux-mêmes.

A notre retour, nous avons été saisi de constater que l’aide humanitaire se déployait de manière relative-ment sélectives pour des raisons de sécurité et de priorités de bailleurs. Très peu d’assistance huma-nitaire est fournie à Kaboul ou dans ses bidonvilles. Seuls deux hôpitaux généraux fonctionnent, l’un soutenu par le CICR et l’autre par MSF. Nous avons également constaté que si 56 cliniques avaient théo-riquement été reconstruites par les armées étrangè-res, en réalité seules 16 fonctionnaient en 2009 et probablement moins actuellement. La manière dont l’assistance est déployée dans les provinces qui se déstabilisent a réduit l’accès aux soins par rapport aux années 1990 lors de la guerre civile. L’action des troupes étrangères de l’ISAF en termes de soutien à des constructions de cliniques font des provinces concernées un terrain de bataille.

Récemment, la para-organisation ACBAR (Agency Coordinating Body for Afghan Relief) réclamait davantage de financements en arguant que l’ac-tion humanitaire était complémentaire à l’action militaire. En 2003, AKBAR demandait l’augmenta-tion du déploiement des troupes et la formation de gendarmes afghans pour assurer la sécurité de ses membres. Cette ambiguïté est prégnante dans la per-ception des groupes afghans d’opposition armée.

sion de l’AFPAK de 2 millions d’euros pour 2009-2010 qui a été reconduit pour le cycle 2010-2011 et qui est principalement axé sur des projets de développement agricole, de quelques dons et enfin de financements de la Commission européenne qui se sont élevés à 1,4 million depuis 2008.

En conclusion, quand nous travaillons avec les ONG, nous sommes attentifs à leurs impératifs. Les orga-nisations humanitaires jouent le rôle d’opérateur du projet tandis que l’armée française apporte les finan-cements et assure un suivi en partenariat avec l’ONG ou en décalage. Les entreprises et travailleurs locaux sont systématiquement engagés pour travailler sur les projets.

Christopher STOKESLa confusion entre humanitaires et militaires est extrê-mement problématique. Si l’espace humanitaire est légitime et reconnu au Pakistan, en revanche il néces-site encore d’être construit en Afghanistan. La confu-sion sur le terrain provient probablement des militaires et des politiques qui envoient les militaires réaliser un travail d’assistance et de reconstruction sur le terrain, mais également des humanitaires. Récemment, le Directeur de l’OTAN Rasmussen déclarait que les ONG représentaient le soft power complémentaire au hard power militaire. Il s’agit du pilier central de toute la stratégie américaine en Afghanistan consistant à marier l’action militaire à l’action d’assistance sur le terrain. Le problème qui se pose en Afghanistan découle de la volonté des organisations humanitaires de participer à ces actions d’assistance conduites par l’armée.

MSF s’est retiré en 2004 suite à l’assassinat de cinq de ses intervenants. Avant de revenir en 2008, nous avons négocié avec toutes les parties prenantes du conflit, soit l’armée américaine, l’armée britannique et les communautés pachtounes et les talibans. Les acteurs afghans nous ont demandé si nous étions réellement neutres et indépendant et d’où venaient nos financements. Nous avons également posé nos conditions, parmi lesquelles la démilitarisation des hôpitaux dans lesquels nous allions travailler et l’in-terdiction de conduire des arrestations ou des inter-rogatoires dans ces hôpitaux, à la fois de la part des forces étrangères et de celle des forces afghanes. Alors que nous avons pour unique objectif l’assistance médicale, l’OTAN nous a informés être en contact avec d’autres organisations humanitaires plus ambi-gües qui soutiennent également le partenariat avec

Aujourd’hui, les Afghans en ont assez de cette fatalité qui les pousse à se battre les uns contre les autres ».

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Pierre LAFRANCEL’Afghanistan est à mes yeux un pays d’un haut intérêt stratégique en ce qu’il représente un nœud de voies de communication reliant entre elles de grandes aires de civilisation. L’intercommunication entre ses espa-ces naturels constitue sa raison d’être, d’où l’impor-tance vitale de ses cols.

Or le pays est structuré des montagnes-refuge dont les habitants ont souvent tendance à s’opposer, par souci d’indépendance, aux groupes dominants comme aux pouvoirs centraux. L’Afghanistan qui fut impérial par quatre fois dans l’histoire a toujours englobé, dans ces périodes d’expansion, ce qui constitue actuellement le Pakistan comme il a su contrôler ses propres cols. Par ailleurs, ce pays pau-vre a été contraint d’adopter une culture de prédation et de clanisme conquérant Aujourd’hui, les Afghans en ont assez de cette fatalité qui les pousse à se battre les uns contre les autres. Ils veulent donc ren-forcer les traditions de concorde et de délibération qui existent aussi dans leur société.. La population qui, quant à elle, aspire à l’Etat de droit, a été attirée par les Taliban qui proposaient un Etat de droit éga-litaire et religieux.

Il y a là un problème proprement afghan à distinguer de la confrontation internationale qui exploite ce problème pour faire du pays un champ de bataille privilégié.

Si la situation est relativement simple du moment que les ONG proposent des services et des soins aux populations, elle se complique quand des acteurs humanitaires comme MADERA tentent de les aider dans leur développement, ce qui implique, qu’on le veuille ou non, d’entrer dans une logique de transfor-mation sociale, celle, de la péremption du clanisme guerrier. En voulant soutenir les populations dans leur désir de mieux vivre sans être en situation de rivalité permanente, nous sommes amenés à essayer d’atténuer les tensions entre les communautés et entre chefs.

Dans ce cadre, il est absolument nécessaire de distinguer l’action humanitaire neutre de toutes les actions militaires et militantes. Comme notre action ne se propose pas d’objectif de succès à échéance rapide et s’inscrit donc dans une logique civile et non militaire, les populations reconnaissent notre neutralité et nous acceptent. En outre, les partisans de la guerre à outrance nous laissent travailler car la population estime que nous lui offrons un espoir à

long terme et répugne à rentrer dans une logique de combat indéfini. Il demeure que le fait de travailler à la paix, ne fusse que par l’aide économique, n’est pas toujours perçu comme neutre.

Enfin, MADERA ne possède pas l’indépendance financière de MSF et dépend de bailleurs de fonds internationaux. Il faut l’expliquer aux populations et surtout pas le leur cacher : nos financements sont neutres quand leur origine l’est elle-même et surtout quand ils sont diversifiés.

Les antipathies que peuvent susciter les actions d’aspiration pacifiste de Madera doivent donc inciter cette ONG à affirmer très énergiquement sa neutralité idéologique, religieuse et politique.

Guy CAUSSéLes Afghans présentent un seuil de tolérance à l’étran-ger qui dans l’histoire n’a jamais dépassé quinze ans. Le fait que les humanitaires travaillent en Afghanistan depuis trente ans signifie sans doute qu’ils répondent à une réalité humaine. Ensuite, malgré toutes les bonnes volontés, la population est fragilisée dans toutes les zones dans lesquelles les militaires sont présents. Troisièmement, il est vrai que l’Afghanistan présente de grands déserts humanitaires. Seule une citoyenneté humanitaire partagée nous permettra de progresser ensemble.

Pierre SALIGNONSi la situation des populations a évolué, les rapports de force actuels risquent de conduire à des dégra-dations. Pour y faire face, Christopher Stokes a sou-ligné la nécessité de travailler avec tous les acteurs, y compris avec les talibans. D’autres interrogations portent sur les actions humanitaires menées. Enfin, il est nécessaire de se poser la question des confusions meurtrières auxquelles les acteurs humanitaires ont contribué sur le terrain.

FORUMLa zone frontière Afghanistan - Pakistan : Comment aider les civils dans la guerre ?

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Olivier CORDEAU (MdM Afghanistan)Les Occidentaux ne réalisent pas que les Afghans ont accumulé trente ans d’expérience de présence d’étrangers dont les motivations réelles ne corres-pondent pas toujours à celles qui sont annoncées. Cette expérience les rend habiles à reconnaître la propagande. Les organisations humanitaires com-mencent à se questionner car une majorité d’entre elles ont bénéficié de l’élan post-2001. Aujourd’hui, de nombreuses ONG se repositionnent. Toutefois, l’op-position afghane possède des sources d’information efficaces qui lui permettent de parfaitement connaître ses interlocuteurs.

Raphaël Bonnaud (MdM Pakistan)Le problème des organisations « ombrelles » se pose également au Pakistan. Le Pakistan Humanitarian Forum intervient avec les Nations Unies en matière de coopération civilomilitaire, et travaille sur des pro-blématiques de coopération ou de cohabitation avec l’armée pakistanaise. Il est très difficile de faire com-prendre aux populations que Médecins du Monde ne travaille pas avec l’armée car elles nous assimilent à tous les autres acteurs humanitaires qui le font.

Alors que de nombreux sondages affirment que les populations ne soutiennent plus les talibans, il faut rappeler que la population soutenait au départ les tali-bans non par pour ce qu’ils représentaient mais pour ce que n’était pas l’Etat, à savoir la justice et la bonne gouvernance. Gagner les cœurs des populations relève également du rôle du gouvernement qui ne doit pas négliger les populations marginalisées au risque de voir les talibans prendre racine en leur sein.

Il est important de ne pas confondre les groupes militants transfrontaliers et Al-Qaïda avec qui ils n’ont pas forcément de pensée commune. Adresser les groupes tribaux requiert notamment de savoir leur parler. S’il est relativement facile de transmettre des messages aux groupes que nous connaissons, en revanche, certains microgroupes criminels s’avèrent plus difficiles à adresser.

Jérôme LARCHé (MdM)L’Occident porte une part de responsabilité réelle face à la complexité de la situation actuelle, notamment dans le discours qu’illustre la déclaration de la « paix démocratique » et qui amène les ONG à se demander si elles interviennent pour promouvoir la démocratie ou pour mener une action humanitaire. L’action mili-

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taro-civile reste un moyen de soutien à la force dans un but politique recherché. La stratégie contre-insur-rectionnelle est primordiale à l’OTAN et au sein de l’armée américaine, ce qui focalise l’attention sur les populations. Quand les armées combat les insurgés, elles visent en effet à contrôler la population. Cette logique peut entraîner des conflits d’intérêt avec les acteurs humanitaires. Il est d’autant plus nécessaires pour les acteurs humanitaires de se démarquer des forces militaires.

Lieutenant-colonel Barnaba, que pensez-vous de la privatisation de la sécurité en Afghanistan ?

Un intervenant (MdM)Premièrement, il est normal que la cohabitation entre des ONG islamiques et des ONG étrangères créée des tensions au Pakistan. Deuxièmement, à quoi corres-pond un espace humanitaire ? Troisièmement, quels sont les résultats réels en termes de transformation pour les populations de trente années d’investisse-ment en Afghanistan ?

Olivier MAGUET (MdM)La question de la drogue doit nous conduire à chan-ger d’angle de lecture géopolitique et stratégique sur l’Afghanistan. Il faudrait prendre en compte cette question pour repenser notre investissement huma-nitaire dans un espace extrêmement compliqué. La guerre provoquée par les soviétiques en 1979 a introduit une nouvelle dimension qui a profondément changé les modes de lecture et déstabilisé la struc-turation sociale et traditionnelle des sociétés pach-tounes. Il faut élargir la vision au-delà des catégories conceptuelles habituelles.

Un intervenantLa situation au Pakistan change progressivement et les populations commencent à comprendre que soutenir les talibans ne constitue pas forcément la meilleure option pour elles-mêmes. Comment imagi-nez-vous l’Afghanistan et le Pakistan dans les dix à quinze ans à venir ?

Olivier MAGUET (MdM)Premièrement, il est important de rappeler la néces-sité d’une intervention au Pakistan au vu des besoins humanitaires du pays. Deuxièmement, il est absolu-ment nécessaire de distinguer la place des acteurs

humanitaires tant en termes de perception qu’en ter-mes de liberté opérationnelle. A cet égard, il faut que les acteurs humanitaires assurent leur indépendance financière. Il ne faut pas oublier que les populations ont une mémoire. Il faut donc se méfier d’une confu-sion des genres qui nous porterait tort. Troisièmement, Olivier Maguet XE «Olivier Maguet» nous invite à revisiter la mythologie humanitaire en Afghanistan en travers une approche populationnelle différente.

Kanechka SORKHABI (IFRAN ASIA)Si la question pachtoune suscite des débats, l’humain doit rester au cœur de l’analyse que nous portons sur cette région du monde. Or l’humain correspond à des millions d’Afghans qui vivent parfaitement ensemble sans distinction ethnique. L’intégration des pachtou-nes au gouvernement comme solution à la rébellion des talibans reflète un faux problème car les pachtou-nes ne sont pas tous des talibans. En revanche, il est difficile de trouver un consensus inter-pachtoune.

L’éthique de l’humanitaire pose un réel problème en Afghanistan où de nombreuses ONG s’avèrent en réalité corrompues.

Alain BOINETL’espace humanitaire en Afghanistan correspond au territoire de la guerre. Toutefois, la situation des zones transfrontalières est considérablement moins grave que celle de Kaboul.

La question de l’ambiguïté des acteurs humanitaire se pose à toutes les ONG. Solidarités International appartient à l’organisation « ombrelle » ACBAR. La coordination est très compliquée. Si la plupart des ONG historiques se sont correctement positionnées par rapport aux PRTs (prevention and reconstruction teams), il existe un manque de conscience humani-taire politique parmi les acteurs humanitaires. L’exper-tise de la réponse aux besoins est nécessaire mais elle ne suffit pas. ACBAR a clairement déclaré que l’aide humanitaire n’était pas une arme de guerre. Alors que l’insurrection progresse et que la situation politique se complique, l’avenir de l’humanitaire est mis en question en Afghanistan. L’ambiguïté entre les acteurs sur le terrain résulte probablement de la multiplication d’ONG qui n’ont pas forcément les mêmes idées. Au Pakistan, MSF se présente justement comme un acteur international privé médical et ne collabore pas avec les autres ONG dans une volonté délibérée de se démarquer d’elles.

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A l’avenir, outre la dégradation militaire et politique de la situation, les besoins des populations existent toujours tandis que la croissance démographique et l’urbanisation progressent rapidement.

Pour conclure, il faut tout d’abord suivre très attenti-vement le nouveau concept stratégique de l’OTAN qui souhaite intégrer l’humanitaire. Ensuite, la réponse à la question de l’humanitaire fait appel à notre vision du monde et à notre respect des cultures, des religions et des manières de vivre différentes des nôtres. Enfin, les populations afghanes savent distinguer les ONG neu-tres de celles qui coopèrent avec le gouvernement.

Christopher STOKESIl semble que le champ et les besoins humanitaires s’agrandissent en Afghanistan tandis que le champ d’action du développement se rétrécit à cause de l’extension du conflit. Cette situation pose la question du multi-mandat des ONG qui constitue un concept extrêmement dangereux. Le risque de fragmentation des ONG peut être moins négativement considéré comme la nécessité d’affirmer des distinctions plus claires entre les ONG dont les vocations sont parfois très différentes. Plus la logique de conflit se développe, moins les ONG parviennent à se déployer dans les régions insurgées. Si l’opposition afghane comprend la neutralité et les objectifs de grandes ONG comme MSF, le CICR ou MdM, la situation opérationnelle sur le terrain est autrement plus difficile.

S’agissant du Khalifat global ou de l’unité de l’humain, il faut savoir que les talibans se présentent comme les émirats islamiques de l’Afghanistan uniquement. Ils ont un projet strictement national.

La privatisation de la sécurité en Afghanistan résulte de l’importation du modèle iraquien.

Enfin, il est dangereux pour un acteur humanitaire d’afficher sa volonté de transformer la société car les populations risquent alors de le considérer comme un envahisseur plutôt que comme un hôte.

Pierre SALINGERLe Kosovo a constitué une période clé en matière de perception des interventions étrangères dans les pays en conflits. Ceux qui croyaient encore à l’indé-pendance des organisations humanitaires ont en effet été désillusionnés à cette époque. Il faut revenir aux fondamentaux.

Lieutenant-colonel BARNABAS’agissant du risque d’amalgame entre les huma-nitaires et les militaires, les ONG avec lesquelles nous coopérons conservent leur indépendance. Elles sont libres d’accepter ou de refuser les interventions communes que nous leur proposons. Certes, l’armée intervient dans un but politique et il est dangereux pour les ONG d’y être amalgamés. Nous intervenons pour participer à la stabilisation du pays en restaurant l’autorité de l’Etat, en sécurisant la zone et en veillant ensuite à ce que les acteurs humanitaires puissent reprendre la main.

L’idée des milices privées est américaine. La pression que le général français a subie de la part du comman-dement américain pour utiliser le budget dédié à la création d’équipes de maintenance de la route a été telle que la France a dû céder. Néanmoins, le général français est parvenu à intégrer dans le contrat une clause prévoyant que les personnels afghans des équipes de maintenance de la route soient engagés dans la police afghane quand ces équipes ne seraient plus utiles.

George LEFEUVREL’enjeu aujourd’hui ne concerne pas tant l’avenir de l’humanitaire en Afghanistan et au Pakistan mais la réconciliation nationale en Afghanistan et la paix et la sécurité régionales, autant de buts auxquels les humanitaires travaillent.

Si l’armée a un rôle à jouer, les humanitaires jouent également un rôle extrêmement important à condition d’être indépendants vis-à-vis des bailleurs de fonds et des militaires. Il manque toutefois une vraie dimension de diplomatie de la « tasse de thé » qui requiert de prendre le temps de discuter avec les populations afin de leur redonner le respect qu’elles méritent. Entre le Pakistan et l’Afghanistan subsistent de très nombreux non-dits bien que chaque pays sache ce que pense l’autre. Les vrais problèmes ne sont pas abordés, parmi lesquels le contrôle par le Pakistan de sa fron-tière à l’Ouest. Les puissances occidentales peuvent aider les deux capitales à faire le pas l’une vers l’autre pour aborder les non-dits, à condition que la société pachtoune soit associée à ces discussions.

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