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Droits d'auteur © Bob W. White et Danielle Gratton, 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 26 mai 2020 00:09 Alterstice Revue internationale de la recherche interculturelle International Journal of Intercultural Research Revista International de la Investigacion Intercultural L’atelier de situations interculturelles : une méthodologie pour comprendre l’acte à poser en contexte pluriethnique Bob W. White et Danielle Gratton L’interculturel dans la Cité : actes à poser en contexte pluriethnique Volume 7, numéro 1, 2017 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1040612ar DOI : https://doi.org/10.7202/1040612ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Alterstice ISSN 1923-919X (numérique) Découvrir la revue Citer cet article White, B. W. & Gratton, D. (2017). L’atelier de situations interculturelles : une méthodologie pour comprendre l’acte à poser en contexte pluriethnique. Alterstice, 7 (1), 63–76. https://doi.org/10.7202/1040612ar Résumé de l'article Depuis une dizaine d’années, une série d’évènements donnent l’impression que le Québec cherche à mieux définir son modèle d’intégration basé sur la notion d’interculturalisme. Mais comment définir l’approche interculturelle et comment savoir si elle favorise véritablement l’inclusion des nouveaux arrivants ? Dans le cadre du partenariat de recherche « Vers une ville interculturelle » nous avons organisé une série d’ateliers pratiques afin de faciliter la mise en commun de ce que les différents acteurs du milieu urbain voient comme situations interculturelles problématiques. Les « ateliers de situations interculturelles » ont donné des réponses préliminaires aux trois questions suivantes : 1) Quelles situations problématiques voyons-nous sur le terrain ? 2) Quels outils sont à notre portée pour répondre à ces situations ? 3) Sur quels cadres d’analyse nous appuyons-nous pour orienter nos actions ? Pendant cet atelier, qui a été organisé dans différents milieux professionnels et institutionnels, les participants ont travaillé en équipe afin d’identifier et d’analyser un nombre limité de situations qui proviennent de leurs milieux d’intervention respectifs. Les résultats préliminaires des ateliers démontrent la difficulté de distinguer entre les situations interculturelles et les préoccupations par rapport aux situations, mais aussi la difficulté de la centration sur les normes et les valeurs de la société d’accueil. L’analyse de plusieurs contextes d’intervention fait ressortir les différences individuelles et organisationnelles et démontre, entre autres, que les intervenants sont souvent pris entre les exigences contradictoires du multiculturalisme et de l’interculturalisme.

L’atelier de situations interculturelles : une ... · Bob W. White 1 et Danielle Gratton 1,2 Résumé Depuis une dizaine d’années, une série d’évènements donnent l’impression

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Droits d'auteur © Bob W. White et Danielle Gratton, 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 26 mai 2020 00:09

AltersticeRevue internationale de la recherche interculturelleInternational Journal of Intercultural ResearchRevista International de la Investigacion Intercultural

L’atelier de situations interculturelles : une méthodologie pourcomprendre l’acte à poser en contexte pluriethniqueBob W. White et Danielle Gratton

L’interculturel dans la Cité : actes à poser en contexte pluriethniqueVolume 7, numéro 1, 2017

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1040612arDOI : https://doi.org/10.7202/1040612ar

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Éditeur(s)Alterstice

ISSN1923-919X (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleWhite, B. W. & Gratton, D. (2017). L’atelier de situations interculturelles : uneméthodologie pour comprendre l’acte à poser en contexte pluriethnique. Alterstice, 7 (1), 63–76. https://doi.org/10.7202/1040612ar

Résumé de l'articleDepuis une dizaine d’années, une série d’évènements donnent l’impressionque le Québec cherche à mieux définir son modèle d’intégration basé sur lanotion d’interculturalisme. Mais comment définir l’approche interculturelle etcomment savoir si elle favorise véritablement l’inclusion des nouveauxarrivants ? Dans le cadre du partenariat de recherche « Vers une villeinterculturelle » nous avons organisé une série d’ateliers pratiques afin defaciliter la mise en commun de ce que les différents acteurs du milieu urbainvoient comme situations interculturelles problématiques. Les « ateliers desituations interculturelles » ont donné des réponses préliminaires aux troisquestions suivantes : 1) Quelles situations problématiques voyons-nous sur leterrain ? 2) Quels outils sont à notre portée pour répondre à ces situations ? 3)Sur quels cadres d’analyse nous appuyons-nous pour orienter nos actions ?Pendant cet atelier, qui a été organisé dans différents milieux professionnels etinstitutionnels, les participants ont travaillé en équipe afin d’identifier etd’analyser un nombre limité de situations qui proviennent de leurs milieuxd’intervention respectifs. Les résultats préliminaires des ateliers démontrent ladifficulté de distinguer entre les situations interculturelles et lespréoccupations par rapport aux situations, mais aussi la difficulté de lacentration sur les normes et les valeurs de la société d’accueil. L’analyse deplusieurs contextes d’intervention fait ressortir les différences individuelles etorganisationnelles et démontre, entre autres, que les intervenants sont souventpris entre les exigences contradictoires du multiculturalisme et del’interculturalisme.

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ARTICLETHÉMATIQUE

L’atelierdesituationsinterculturelles:uneméthodologiepourcomprendrel’acteàposerencontextepluriethniqueBobW.White1etDanielleGratton1,2

Résumé

Depuisunedizained’années,uneséried’évènementsdonnentl’impressionqueleQuébecchercheàmieuxdéfinirsonmodèled’intégrationbasésurlanotiond’interculturalisme.Maiscommentdéfinirl’approcheinterculturelleetcommentsavoirsiellefavorisevéritablementl’inclusiondesnouveauxarrivants ?Danslecadredupartenariatderecherche « Vers une ville interculturelle » nous avons organisé une série d’ateliers pratiques afin de faciliter lamise en commun de ce que les différents acteurs du milieu urbain voient comme situations interculturellesproblématiques. Les « ateliers de situations interculturelles » ont donné des réponses préliminaires aux troisquestionssuivantes:1)Quellessituationsproblématiquesvoyons-noussurleterrain ?2)Quelsoutilssontànotreportée pour répondre à ces situations ? 3) Sur quels cadres d’analyse nous appuyons-nous pour orienter nosactions ? Pendant cet atelier, qui a été organisé dans différents milieux professionnels et institutionnels, lesparticipantsonttravailléenéquipeafind’identifieretd’analyserunnombrelimitédesituationsquiproviennentdeleursmilieuxd’interventionrespectifs.Lesrésultatspréliminairesdesateliersdémontrentladifficultédedistinguerentre les situations interculturelleset lespréoccupationspar rapportaux situations,maisaussi ladifficultéde lacentrationsurlesnormesetlesvaleursdelasociétéd’accueil.L’analysedeplusieurscontextesd’interventionfaitressortir les différences individuelles et organisationnelles et démontre, entre autres, que les intervenants sontsouventprisentrelesexigencescontradictoiresdumulticulturalismeetdel’interculturalisme.

Rattachementdesauteurs1UniversitédeMontréal,Montréal,Canada;2CentreintégrédesantéetdeservicessociauxdeLaval(CISSS-Laval),Montréal,Canada

[email protected]

Motsclés

situations interculturelles; acte à poser; compétences interculturelles; cohésion sociale; cadres de référence;interculturalisme;pluralisme

Pourcitercetarticle

White, B.W. et Gratton, D. (2017). L’atelier de situations interculturelles: uneméthodologie pour comprendrel’acteàposerencontextepluriethnique.Alterstice,7(1),63-76.

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Introduction

AuQuébeccommeailleurs,leschangementsdémographiquesrécentsliésàl’immigrationmènentàdessituationsdemixitéinédites,créantautantdepossibilitésquedepeurs(Nail,2015).S’ilestvraiqu’ilyaune« diversificationde la diversité » dans lesmétropoles et espaces urbains des pays industrialisés, il est aussi vrai que nous avonsbesoind’outilsetdeconceptsplusrobustespourfairel’analysedesinteractionsencontextepluriethnique(Amin,2012;Vertovec,2007).Lesdynamiquesdites« interculturelles »sontvécuesàplusieurséchelles:à l’intérieurdenosfoyers,danslesdifférentsmilieuxdevieetcontextesdetravail,àtraversnosinteractionsdansl’espacepublicetdanslesinstitutionsquisontcenséesêtregarantesd’égalitéentrecitoyensdetoutesorigines.Unregardcritiqueetuncadred’analysesystémiquenouspermettentdevoirque les interactionsencontexte interculturel,parfoisloindel’idéaldel’harmonieetlacompréhensionmutuelle,peuventêtreaussiunesourcedetensionssocialesetde discrimination à l’égard des minorités ethniques et visibles. Certains types d’interactions contribuentpositivementausentimentd’appartenancedesnouveauxarrivantsetà lacohésionsociale.D’autres interactionsrenforcent des perceptions négatives et créent de nouvelles formes de discrimination et d’exclusion. Quellessituations ont le plus d’impact sur la cohésion sociale dans l’espace urbain ? Comment identifier et analyser lessituationsrécurrentesquicomposentcettecomplexitéàl’échelled’unterritoiredonné ?

Pour répondre à ces questions, nous avons développé une méthodologie qui permet de saisir relativementrapidementlesproblématiquesrencontréesdansdifférentsmilieuxdepratiquedansl’espaceurbain:unatelierderecherche-actionsurlessituationsinterculturelles.Aprèsquelquesconsidérationssurlesnotionsclésdecetarticle(notamment« situations »et« interculturel »),nousallonsexpliquerl’émergenceetl’organisationdesateliersquenousavonsdéveloppés.Ensuite,nousallonsprésenterlapremièreversiond’unegrillepourl’analysedessituationsinterculturellesetproposerquelquespistesderéflexionàpartirdesconstatspréliminairesdelapremièrephasedecetterecherche.Enconclusion,nousallonsexaminerlapossibilitéd’analysercetatelierau-delàdesacontributionméthodologiqueoudesacapacitéàgénérerdesdonnées,enconsidérantqueletravailduchercheurconstitue,luiaussi, un acte à poser. De ce point de vue, les éléments présentés ici visent à la fois l’explicitation de notredémarcheméthodologiqueetuneréflexioncritiquesursonimpactencontexted’intervention.

L’étudedes« situationsinterculturelles »

Danslaconjoncturehistoriqueactuelle–intensificationdelamobilitédespopulations,écartgrandissantdanslesinégalités entre riches et pauvres, nouvelles formes de violence radicale – les dynamiques interculturelles encontexteurbainconstituentunesourced’inquiétude.Cesfacteursdechangementnousobligentàdévelopperdesnouvellescompétencessocialesetorganisationnellesquivontau-delàd’unraisonnementpurementéconomique(White, Gratton et et Rocher, 2015), autant pour les citoyens d’ici et d’ailleurs que pour les professionnels quiinterviennent auprès des clientèles issues de l’immigration. Sans cadre d’analyse commun, chacun analyse lessituationsselonsonidéologiepersonnelle,disciplinaireoupolitique,etselondesimpressionsoudesinformationspartielles,cequimetdel’huilesurlefeudel’inquiétude(Ahmed,2012;Maalouf,1998).Laméthodologiequenousproposons mobilise un certain nombre de principes interculturels afin de prendre connaissance des situationsauxquellesdoiventfairefacelesintervenantsquitravaillentencontextepluriethnique.Cetteméthodologiquenouspermetensuitedefaireuneanalysedel’acteàposerencontexteinterculturel,toutenpermettantuneréflexioncritiquesur lescompétencesinterculturellesrequises,autantpour les intervenantsquepour lesgestionnaires,etce,dansdifférentsmilieuxdepratique1.

Commençonsparquelquesmisesengardeterminologiques.Premièrement, lemot« interculturel »est lui-mêmesource de malaises (Rocher et White, 2014; White, 2014). Mal compris et rarement défini, l’interculturel estsouvent associé à plusieurs formes de culturalisme, nationalisme et angélisme. Les critiques à l’égard de

1 Par «acte à poser» nous voulons faire référence à chaque action faite par des acteurs et en rapport avec des mandatsprofessionnels, organisationnels ou institutionnels et qui, d’un point de vue systémique, pourrait avoir un impact sur lafaisabilitéet l’efficacitédans lescontextespluriethniques.SelonBakhtin (1993), l’actereflète laconsciencede l’individumaisrelèvedel’actionmoralequilielesoiàl’Autre.Danslecasprésent,celienestenrapportaveclesobligationsetlesmandatsinstitutionnels(Gratton,2013)ouencoreaveclesrèglesduvivre-ensembledansunmilieudonné(White,2016).

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l’interculturel expriment aussi des préoccupations tout à fait valables, par exemple s’assurer que le modèled’analysesoitapteàprendreenconsidérationlesdifférentesformesdediversitéquicoexistent(sansselimiteràl’identité culturelle) et qui s'entrecroisent dans les espaces urbains (Martiniello, 2011;Vertovec 2007). Plusieursobservateursontremarquéquecertainsmodèlesinterculturelsignorentladiscriminationquiproduitdenouvellesformes d’exclusion et d’inégalité (Cantle, 2012; Labelle, 2010).Malheureusement, la plupart de ces critiques netiennent pas compte de la diversité des approches à l’intérieur du courant interculturel et elles ne font pas dedistinction entre le champ de recherche interculturel et l’utilisation de ce dernier dans différents milieux depratiqueprofessionnelle(EmongoetWhite,2014).Ensebasantsurdesinformationspartielles,ellesvéhiculentdesperceptionsnégatives à l’égardd’un champoù, il faut le reconnaître, ilmanquedenormesprofessionnelles, defoyerdisciplinaireetdeprogrammesdeformationaccrédités.

Deplus,uneconfusionpersisteentredeuxutilisationsduterme,lapremièrefaisantréférenceàuneréalitésocialedemixitéentrepersonnesdediversesoriginesethnoculturelles–l’interculturalité–etlaseconderelevantplutôtdu domaine normatif, correspondant à un ensemble de principes et constats qui composerait unmodèle de lagestionde ladiversitéspécifiqueauQuébec–danscesens,etparoppositionaumulticulturalismecanadien,onparled’interculturalisme.Contrairementàcequecertainsproposent(Bouchard,2012),cetteorientationpolitiquenefaitpasl’objetd’unconsensusauQuébec,etjusqu’àmaintenantellen’apasfaitl’objetd’unepolitiqueoud’uneloi officielle (Rocher et White, 2014). Outre la réalité sociale (l’interculturalité) et l’orientation politique(l’interculturalisme), il existe un troisième registre du terme, c’est à dire un courant de pensée et d’action quipermetuneréflexionapprofondiesurlesconditionsdelarencontreencontextepluriethnique.Nousinsistonssurcesdistinctions,car les fondementsépistémologiquesderrière lesdifférentsregistresdutermepeuventavoirunimpactsurlafaçondeconcevoirl’acteàposerdansdessituationsinterculturellesquisont,selonnosrecherches,deplusenpluscomplexes.

Ilestdifficiled’éviter l’utilisationdusubstantif (Emongo,2014)pourdéfinir l’interculturel,dumoinsauQuébec:l’interculturel,c’estlarelationentrepersonnesvenantd’horizonsculturelsdifférents,maisc’estaussiuneméthoded’analyseouunefaçondefaire.Cettedéfinitionn’esttantexhaustivequ'heuristique,puisqu’ellenouspermetdefaire la distinction entre les dynamiques sociales en contexte interculturel (interculturalité) et les approchesinterculturelles qui formeraient unparadigmede rechercheoud’intervention.Nous savons, par exemple, qu’onpeut travailler dans un contexte interculturel sans avoir un modèle interculturel et que l’utilisation du terme« interculturel » ne garantit en rien l’utilisation d’un modèle ou d’une approche interculturelle. Nous savonségalementqu’ilyaplusieursfaçonsde« fairedel’interculturel »etqu’ilexistetrèspeud’espacesinstitutionnelsouofficielspourréfléchiràladiversitédesapprochesdanscedomainerelativementrécent2.Alors,commentdéfinirlescontoursd’uneapprocheinterculturelle ?Danslecadredenosrecherchessur lesdynamiquesinterculturellesdansl’espaceurbain,nousavonsidentifiéuncertainnombredefilsconducteursoutraitscommunsquitraversentdifférentes écoles de pensée sur l’interculturel: 1) une posture d’humilité et de curiosité face aux différentesformesdesavoirsvenusd’ailleurs,2)uneéthiquerelationnellequimetl’accentsurl’aspectcoproduitdusavoir,3)uncadred’analyseinteractionnisteetsystémiquequitientcomptedesituationsetdecontextesréelsd’interaction,4)unmodèled’analysedelacommunicationentroisparties(prisedeconsciencedeladifférence,regardmutuelsurl’identitédesoietdel’autre,recherchedesignificationscommunes)etenfin5)unaccentmissurlesbarrièresdans la communication et l’utilisation d’outils qui permettent de réduire ou compenser les écarts decompréhension.

En utilisant l’expression « situations interculturelles »3, nous voulons faire référence à un nombre infinid’interactionsquotidiennesencontextepluriethniqueoùlespréjugésetdesbarrièresobjectivespeuventdevenir

2L’interculturelcommedomainederechercheexistedepuisaumoinsundemisiècle.Ilaétédéveloppédansplusieurschampsdisciplinaires (notamment en éducation, psychologie, travail social, gestion et communications) et dans plusieurs contextesrégionauxetnationaux.Pourunhistoriquedel’interculturelauQuébec,voirEmongoetWhite(2014).3Danslemilieudel’intervention,lanotiondesituationrenvoieàuneunitédescriptivesurlaquelleaumomentdel’analyseonpeutappliquerdifférentsmodèlesdisciplinaires.OnretrouvecetermecourantnotammentdansleprogrammedeformationenrelationsinterculturellesduministèredelaSantéetdesservicessociauxduQuébec(pourensavoirplus,voirProulx,1998,etGratton,2009).

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desobstaclesàlacommunication,àl’efficacitédesactesàposerdansl’applicationdesmandats,etsetransformerainsien facteursd’exclusion.Cettedéfinitionmet l’accent sur lesobstaclesdans la communication,mêmesi lesinteractionsencontextepluriethniquenesontpastoujoursnégatives(Amin,2012).L’analysedesituationssert,aubesoin, àmettreenévidencedesproblématiques interculturelles récurrentesdont les composantesne tiennentpasseulementcomptedelabonneoudelamauvaisevolontédechacun,maisaussidesfacteursquiconditionnentl’efficacité des actes à poser4. Déjà en 1992, Legault et Lafrenière utilisaient l’expression « situationsd’incompréhension interculturelle » pour décrire les différentes situations de communication problématiquesrencontrées par les intervenants travaillant en contexte pluriethnique àMontréal (Legault et Lafrenière, 1992).Dans le modèle de Cohen-Émérique (1993), dont les écrits sur l’intervention en contexte interculturel ont eubeaucoup d’impact auQuébec, la notion d’« incident critique » désigne une situation communicationnelle entrepersonnesd’originesdiversesquifaitressortirdes« chocsculturels ».Cohen-Émérique(2011,p.439)indiquequelaméthodedes chocs culturelspeutaussi êtrenommée« laméthodedes incidents critiques » :pourelle, cetteméthodepermetauxparticipantsàsesformationsdenarrer« uneinteractionlimitéequisedérouledansuntempsetun lieudonnés ».Danscecadred’analyse, l’interprétationresteauniveau individueletnes’intéressepasauxbarrières systémiques qui peuvent avoir un impact sur l’efficacité des actes à poser et qui renvoient à descompétences interculturelles organisationnelles nécessaires pour fournir les nouvelles conditions exigées parl’interventionencontextepluriethnique.

L’approche de Cohen-Émérique consiste à identifier un certain nombre de situations utilisées pour des besoinsd’apprentissage,uneapprochequiaétérepriseparplusieurschercheursetexpertsinterculturelsdansledomainedel’interventionauQuébec5.SelonRoy(1992),lesincidentscritiquessontaussidessituationsquisereproduisentde façon récurrente et dont la résolution nécessite une expertise interculturelle. Roy reprend ainsi la notiond’incidentcritiquedeCohen-Émérique,maiselleenproposeuneautreutilisation: l’incidentcritiquedevientunerécurrence indiquant une difficulté contextuelle interculturelle qui demande une attention particulière pour sarésolution.Onlevoit,commesouventeninterculturel,lanotiond’incidentcritiqueasapropregénéalogie,unsujetquimériteuneanalyseensoi6.

Dans le cadre de nos ateliers nous avons constaté que cette utilisation des incidents critiques représente deslimitesdansl’analyseetdanslarecherchedesolutions,nonseulementparceque(commenousallonsvoirenbas)la capacité d’identifier et de décrire les situations interculturelles fait partie des compétences à développer encontexte d’intervention, ce que Cohen-Émérique (2011) constate aussi. Le fait de travailler avec des situationsétablies à l’avancemet les participants dans un rôle passif d’apprentissage. De plus cette approche peut avoirl’effetderéduirelagrandediversitéd’actesàposerquipréoccupentlesparticipantsàl’atelier,cequin’aidepasàbiencernerlesproblèmescontextuelsimportantsd’unmilieuàl’autre7.

Laméthodologie que nous avons développée dans nos ateliers de situations s’inspire de plusieurs sources, nonseulementdeRoyetCohen-Émérique,maisaussideDas(1993).Cesauteursonteuuneinfluenceimportantedanslestravauxfaitsdanslecadred’unprojetderecherche-actionmenéparl’Agencedelasantéetdesservicessociaux

4En1951l’anthropologueGregoryBatesonaécritquel’analysedelacommunicationcommenceparune«situationsociale».IlfautnoterqueBatesonaaussi travaillé avecdes intervenants (BatesonetReusch,1951). Sonparcours intellectuel, qui aeubeaucoup d’impact sur les approches systémiques dans les sciences humaines, met en évidence comment deux modèlesdisciplinairespeuvents’appliqueràl’analysed’unemêmesituation.5DanielleGratton,communicationpersonnelle.6Selonplusieurssources, lasourcedel’expressionserait l’anthropologiephysiquedelafindu19esiècle.Letermeserareprisdans les années 1950 par des chercheurs en psychologie sociale (notamment Flanagan) avant d’être récupéré par lesspécialistes de la communication interculturelle dans lesmilieux professionnels de la santé, de la gestion, et de l’éducationinternationale(BathurstetLaBrack,2012).7Dans lecadredenosateliersderecherche-action, les intervenantset lesgestionnairesnousrappellent,avecraison,quelesrelationsinterculturellesnesontpastoujourssourcesdetensionoudeconflitetquelaterminologiequenousutilisonsdoitêtreen mesure de capter le plus grand nombre possible de situations. Ainsi, pour certains participants, l’expression «incidentcritique»semblaittropnégatif.

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de Montréal-Centre dans les années 20008. Ces travaux, réalisés avec une méthodologie rigoureuse et uneévaluation systématique sur plusieurs années, ont permis aux chercheurs et intervenants impliqués dans larecherche de faire plusieurs constats.9 Premièrement, ils ont démontré que, même lors de formations, il estavantageuxd’utiliserunmodèlerecherche-actiondanslequellesparticipantssontconsidéréscommedesexpertsde leurmilieu,car ilsconnaissent lesdynamiques interculturellesdans lesquelles ils sont impliqués,etparfois ilsont développé des expertises spécifiques au milieu d’intervention. Leur participation dans l’identification desituations concrètespermetdevalider lapertinencedu contenu interculturelprésentéet renforceégalement lacompréhension par les organisateurs de la formation de leurs réalités pluriethniques. Deuxièmement, ils ontconstatéquel’utilisationd’uncadred’analysesystémiquepermetd’avoirunemeilleurecompréhensiondel’acteàposerencontexteinterculturel,enpartieparcequecetteapprochepermetd’expliquerlesliensentrelesmandatsinstitutionnels, les codes communicationnels et les dynamiques d’inclusion (White, Gratton et Rocher, 2015)10.Troisièmement, ces travaux ont permis de dégager l’importance d’appliquer non seulement une expertiseinterculturelle individuelle,maisaussiuneexpertise interculturelleorganisationnelledans l’identificationetdansl’analysedessituationspluriethniques(Gratton,2013).

Contexteetorganisationdel’Atelierdesituationsinterculturelles

Laméthodologiequenousavonsdéveloppéesurlessituationsinterculturellesdépenddesliensdeproximitéentreles chercheurs et les différents acteurs et organismes qui travaillent directement auprès des clientèlesimmigrantes11. La collecte de données se fait en concertation avec les organismesmembres du partenariat derecherche que nous avons créé et un certain nombre de « tables de concertation » spécialisées en relationsinterculturelles. Les tables de concertation (organisées par territoire ou par secteur dans le cadre des ententesministériellesauQuébecdepuislesannées1990,voirFourot,2013)regroupentdesintervenantsetdesorganismesissus de milieux divers comme l’éducation, la santé, les services sociaux et l’emploi. La collecte de donnéess’effectueprincipalementàpartird’uneséried’ateliersderecherche-action12.Cesatelierspermettentunrepéragede données plus ciblées que ce que permet le travail de terrain traditionnel, en grande partie parce que lesparticipants possédant une connaissance approfondie des dynamiques interculturelles dans leurs secteurs etterritoires respectifs, ils jouent le rôle d’ « informateur-clés » dans le modèle de la recherche ethnographique.L’atelierpermetdeposerunregardcommunsur lessituationsetd’identifierunnombre importantdesituationsvécuespartous,puisderéfléchirensemblesurlecadrepartagéquidevraitguiderl’intervention.

8Gratton(2013)expliquelaprésenced’aumoinsdeuxcourantsinterculturelsauQuébec(dontunseraitinspirédestravauxdeDaset l’autredeCohen-Émérique).Malgré les similitudesentre lesdeux approches, desdifférences importantesdemeurententreelles,notammentencequiconcernel’utilisationdestermes«centration»et«décentration».SelonGratton,l’utilisationdecesdeuxtermesreflètedeuxtraditionsdepenséeinterculturelleetdeuxidéologiesdistinctesparrapportàl’acteàposer.Dasfaitsauterladivisionentresociologiepourlessociétésoccidentalesetanthropologiepourlesautressociétés,appliquantlesprincipes de l’anthropologie aux sociétés occidentales. La centration devient alors un moyen pour prendre conscience del’enracinement culturel des institutions occidentales et des pratiques et, tout en ayant ses limites, elle offre de nouveauxmoyensàadapterencontextepluriethnique.9CetteévaluationaserviàadapterlecontenuduprogrammecadredeformationinterculturelleduministèredelaSantéetdesServicessociauxduQuébec.LelecteurpeuttrouverlecontenudéveloppépartirdecetteévaluationdansGratton(2009)ainsiquequelquesquestionsutiliséespourcetteévaluation(voirp.236).10Ilexisteplusieursécolesdepenséesurlesapprochessystémiques.Étantdonnél’accentqu’ilamissurlacommunicationetsurlecontexte,nousnousinspironsdel’approchel’écoledePaloAlto(voirGratton,2013,etWhite,2017b).11AveclesoutienduConseilderechercheenscienceshumaines,leprojetderecherche«Versunevilleinterculturelle»aétéfinancé pour élaborer un programme de recherche partenarial sur les dynamiques interculturelles dans l’espace urbain. Lepartenariatestcomposéd’unedouzainedepartenairesvenantdetroissecteursd’activité :acteurscommunautaires,acteursmunicipaux et acteurs universitaires. Cette organisation nous permet de concentrer nos efforts sur lesméthodologies et lesproblématiquesinterculturellesàl’échellemunicipale,sanssubirlescontraintesquiproviennentd’uneapprochesectorielle(parexemple le secteur de l’éducation, de la santé, de l’économie, etc.). Pour plus d’information au sujet de partenariat, voirwww.villeinterculturelle.net12 Tous les participants ont signédes formulaires de consentement conformément aux indicationsdu certificat d’éthiquederechercheCERFAS-2012-13-047-Ddélivréparl’UniversitédeMontréal.

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Cetteméthodologieaétévalidéeauprèsd’environ200intervenantstravaillantdansdescontextespluriethniquesdanslagranderégionmétropolitainedeMontréal.Ilnousparaîtimportantdesoulignercefait,afindereconnaîtrela contribution des différents individus et organismes qui ont participé à la validation de cette approche. Nosateliersregroupentgénéralemententre15et25personnesquitravaillentdanslemêmecontexteorganisationneloudansdesorganismesdifférentsmaisavecunmandatsimilaireauprèsdesclientèlesimmigrantessurunmêmeterritoire.Onrecueillelessituationsdécritesafindes’assurerdelapertinencedesoutilsinterculturelsdisponiblespourlesintervenantsetlapopulationdesservieparlesintervenants(voirlasection« Pistesd’avenir »).

Animé par deux présentateurs, l'un qui se centre sur le contenu théorique et l’autre qui présente les aspectspratiques, l’atelier vise à identifier et décrire des situations interculturelles afin demieux comprendre les liensentre les dynamiques interculturelles et la cohésion sociale dans l’espace urbain à Montréal. Cette réflexioncommence par trois questions: 1) Est-ce que nous voyons lesmêmes situations ? 2) Est-ce que nous avons lesmêmesfaçonsderépondreàcessituations ?3)Est-cequenousnousappuyonssuruncadred’analysecommun ?

Pendantledéroulementdesateliers,troisobjectifsspécifiquessontvisés:

• Sedonnerunedéfinitionopérationnelledel’approcheinterculturelle

• Distinguerentreune« situationinterculturelle »etune« préoccupationinterculturelle »

• Identifieruncertainnombredesituationsinterculturellesconcrètes

Pourrépondreaupremierobjectif,nousprésentonsuncontenupermettantauxparticipantsd’avoirunvocabulairecommun sur les différentes formes de diversité et sur les dynamiques de communication en contextepluriethnique.À cette fin, nous faisonsun retour sur les similitudeset lesdifférencesentre lemulticulturalismecanadien et l’interculturalismequébécois, deuxpostures pluralistes qui coexistent auQuébec, et ce,malgrédesdifférences philosophiques et politiques entre ces deux modèles (Rocher et White, 2014). Cela permet auxparticipantsdecomprendre,commenousl’avonsvuaudébutdecetarticle,qu’ilyanonseulementuneconfusionentredesphénomènessociaux(multiculturalité,interculturalité)etdesidéologiespolitiques(multiculturalismeetinterculturalisme),maisaussiquelaperceptiondesdifférencesentrecesdeuxmodèlescorrespondsouventàunclivageidéologiqueentredesorientationsfédéralistesetsouverainistes.

Cetteétapeaideàcomprendrequelesmodèlesmulticulturalisteetinterculturalistepartagentunevisionpluralisteet qu’au Québec, il y a au moins trois grands courants de pensée pluraliste qui orientent les actions et lespolitiques:lareconnaissancedeladiversité,laluttecontreladiscriminationetlarecherchedurapprochementparledialogue13.Cettecompréhensionaidelesparticipantsàvisualiserlapertinencedechacundecescourants,touten appréciant leurs apports et leurs limites. Finalement, nous présentons plusieurs concepts qui permettent demieuxcomprendrelaspécificitédesphénomènesinterculturels: lesparcoursdemigration, lesdifférentsniveauxdel’identité(individuelle,groupale,humaine)etlesmécanismesd’exclusion(stéréotypes,discrimination,racisme,etc.). Une attention particulière est accordée au fonctionnement des préjugés, à partir d’un point de vueherméneutique(White,2017a)mettantl’accentsurdestechniquesd’explicitationquipermettentdemobiliserlespréjugésdanslaluttecontreladiscrimination.

Lesateliersdurententretroisetquatreheures,maissouvent lesparticipantsestimentque lesateliersdevraientdurerpluslongtemps.Cecis’expliqueenpartieparlefaitquel’analysedessituationsinterculturellesfaitressortirlesdifférentespositionsidéologiquesautourdel’acteàposeretquelarecherched’unlangagepartagéexigeplusdetemps (White,2017a).L’utilisationd’uncadrecommunpermetdemieux focaliser l’attentiondesparticipantssurnotredeuxièmeobjectif,quiestd’identifieretdedécriredessituationsinterculturellesdontcertainespeuventêtre problématiques et récurrentes. Le fait de réfléchir ensemble sur ces différentes postures épistémologiquespermetauxparticipantsdes’approprierunlangagecommunfonctionnelafindefaciliterlacommunication.

13Pouruneexplicationplusdétailléedecemodèle,voirWhite(2017b).

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Dans le cadre des ateliers, nous utilisons deux outils pour nous aider dans la description des situationsinterculturellesapportéespar lesparticipants. Lepremierestunoutil de centration (inspiréeparDas,1993)quipermetauxparticipantsderéaliseruneprisedeconsciencesur l’influencede leurspropresappartenancesetdeleurspréjugéspossiblesémergeantenmilieupluriethnique.Ledeuxièmeoutilestunefiche(inspiréedeGratton,2009)servantàdécriredelafaçonlaplusneutrepossibleunesituationinterculturellerécurrente.Ils’agitpourlapersonnede raconterdes situations réelles àpartirde sespropresexpériences commeprofessionnel, ensembleavecdespairsoudescollègues,toutendécrivantl’acteàposerencontexted’interaction.Ils'agitensuitedefaireladistinctionentrelasituationdécriteetlespréoccupationsengendréesparcettesituation,uneétapeimportantepourpermettreuneréflexionsurlaprésenceounondepréjugésdansladescription.

Aprèsquelquesexplicationssurl’utilisationdelafichededescription,lesparticipantstravaillentenpetitsgroupesde 3 à 5personnes. Les animateurs de l’atelier circulent pour offrir de l’aide aux participants qui auraient de ladifficulté à comprendre les termes ou le fonctionnement de l’exercice. Certains participants fournissent desexemplesde« situations »quidécriventdes conditionsdevie sans faire référenceàdes contextesd’interaction(parexemplelesconditionsd’insalubritédansleslogementsàhautedensitéd’immigrants,oudestauxdechômageélevéspour les femmesde certaines communautésd’immigration).Dans les casoù les situationsprésentéesnecorrespondentpasauxcritèresspécifiésdanslecadredel’atelier14,lesanimateursdemandentauxparticipantsdepréciseroudereformulerleurdescription.Enfin,chaquegroupedetravailchoisitl’exemplequiseraanalysélorsdelarecherchedesolutionsquiseferaenplénière.Outrecetexemplechoisiparchaquegroupe,chaqueparticipantremplituneficheindividuelleavecunexempledesituationetdesinformationsrelativesàcettesituation.Lesfichesdesituationssontanonymesetlesparticipantssontinvités,s’ilsleveulent,àlesremettreauxanimateursàlafindel’atelier.Ilssontinformésqueleurficheferaalorspartied’unecollectededonnéesgénéralesurlessituationsinterculturellesretrouvéesdansdifférentsmilieuxdepratiquedanslagranderégiondeMontréal15.

Ladémarchequenousproposonsdanslecadredel’atelierdessituationspermetdegénérerunnombreimportantdedonnéesdeterraindansunediversitédecontextesd’intervention.Lessituationsrecueilliesvarientenfonctiondumilieuprofessionnel,dumilieudevie,duterritoire,delapériode,dumomentdel’annéeetd’autresfacteursquiontétéidentifiéscommeindicateursdansl’analysedessituations16.Laméthodologiedéveloppéedanslecadrede cet atelier constitue à la fois un outil pour générer des données et l’esquisse d’un modèle d’analyse pouridentifierdespistesdesolutions.Unaperçudumodèled’analyseinterculturelquenousutilisonsdanslecadredesateliersdesituationsinterculturellesestprésentédansl'encadrédelapagesuivante.

Àuneplusgrandeéchelle,cettetechniquederecueildedonnéespermetdevoirsicertainessituationsoucertainstypes de situations traversent des territoires ou des secteurs d’activité. AInsi, des données sur les situationsinterculturelles pourraient être utilisées pour connaître les difficultés relatives à certains actes posés dansdifférents contextes professionnels et dans différents milieux d’intervention. Malgré le fait que la collecte dedonnées ne soit pas encore terminée, nous avons déjà pu faire quelques constats. Premièrement, beaucoupdesituations rapportées relèvent des dynamiques d’interaction dans les services communautaires ou publics17.Deuxièmement, il y a une prépondérance de situations liées aux questions de langue (surtout à propos del’utilisationdufrançaisoudesaméconnaissance,cequientraînedesproblèmesdecompréhension),auxrapports

14 Pour faciliter le travail dans les ateliers nous avons identifié trois critères pour le choix de situations interculturelles : 1)interactionsentrepersonnesd’originesdifférentes,2)communicationautourdelacohabitationencontextepluriethniqueet3)enjeuxquipeuventavoirunimpactsurlacohésionsociale.15Cettecollectededonnéesvacontribueraudéveloppementd’uneplateformenumériquepourl’étudeetlarecherchesurlessituationsencontexteinterculturel.16 Dans la première phase des travaux, nous avons identifié une dizaine de dimensions d’analyse (par exemple typed’interaction,contextedel’interaction,structuresdansl’interaction,barrièresàlacommunication,etc.)avecdesindicateursquisontspécifiquesàchaquedimension.Cettelisted’indicateursseraréviséedansladeuxièmephasederecherche.17Cecipourraitêtreexpliquéparlefaitquelaplupartdenosateliersjusqu’àmaintenantontétéorganisésaveclaparticipationde professionnels venant des milieux communautaires et institutionnels qui travaillent dans le soutien et l’intégration despopulationsimmigrantes.Dansladeuxièmephasedelarecherche,nousavonsprévucetatelierdansunplusgrandnombredecontextesetmilieuxdepratique.

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hommes-femmes et aux pratiques religieuses, trois sujets qui reviennent souvent dans la recherche sur lesdynamiquesinterculturelles.Troisièmement,nousavonsconstatéquecertainescatégoriesdesituationssontplusdifficilesàdécrireetsurtoutàanalyser.Parexemple,plusieursparticipantsontrecensédessituationsindiquantunmanquedeparticipationouuneabsencedelapartdecertainescommunautésimmigrantes,alorsquelesservicesproposésseveulentaccessiblesàtous.

Modèled'analyseinterculturelÉtape1–Descriptiondelasituation

Dans des termes le plus neutres possible, on décrit une situation préoccupante. Cette description doitfournirdesélémentsaptesàdonneruneimageclairedecettesituationàquelqu’unquin’estpasfamilierducontexte:Quoi ?Qui ?Quand ?Comment ?

Étape2–Descriptiondelapréoccupation

Pour analyser la situation choisie, il est important de distinguer entre la situation elle-même et lapréoccupationqu’ellesoulève.Ainsi,suiteàl’analyse,onpourradéterminersilapréoccupationestfondéeounon.

Étape3–Exercicedecentration

Plusieurs facteurs peuvent avoir un impact sur l’analyse des situations interculturelles. Ces facteursrenvoient,enpremier lieu,auxcaractéristiquessocioculturellesdeceluioudecellequidoitagirsurunesituation(parexemple,lemandatdelapersonnequidécritlasituation,l’arrondissementouleserviceoùelletravaille,saformation,sonpaysd’origine,etc.).Lesindividustoutcommelesorganisationsdoiventsecentrer sur les perceptions qui sont liés à leur groupe et leurs propres façons de fonctionner afin defaciliterlacomparaisonaveclesfaçonsdefonctionnerquiviennentd’ailleurs.

Étape4–Identificationdesinvariants

Un invariant est un phénomène qui existe dans toutes les sociétés,mais dont l’expression varie d’unesociétéà l'autre.Parexemple, toutes lessociétéshumainessedemandentcequiadvientaprès lamort,maislaréponseàcettequestionvarieselonchaquegroupehumainainsique,danscertainscas,selonlesindividus à l’intérieur du groupe. L’identification d’un invariant permet de reconnaître notre humanitécommune,pourpasserensuiteauniveaudesdifférencesgroupales,cequipermetuneexplicitationdessimilitudesetdesdifférencesentregroupeshumains.

Étape5–Recherchedesolutions

Lessolutionsproposéesparlesanimateursdoiventtoujourss’appuyersurlefonctionnement,lesrôlesetlesmandatsorganisationnels.Clarifiercesquestionsorganisationnellespermetdéjàdesavoirsurquoisefondelaprisededécisionauseind’unorganismeetdel’expliquerauxpersonnesconcernées.D’unpointdevueinterculturel,quandunesolutionaététrouvée,ilestimportantdeladocumenterenexpliquantlesraisonsdecechoix(mandats,règlesetrèglements,ressourcesexistantes,etc.).Ilestégalementimportantdedocumenter cette information carun cumulde situations similairespourrait amener l’organisationàrevoirultérieurementsesorientationsetàtransférercesnouvellesconnaissancesdansd’autrescontextes.

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Dans le cadrede cet article, nousnepouvonspasdonnerbeaucoupdedétails sur les situations interculturellesrecensées,sujetquenousallonstraiterdansd'autrespublications.Cependant,voiciquelquesexemplesgénérauxdesituationsquiontétéidentifiéesetanalyséesdanslecadredenosateliers:

• utilisationdesespacescommunspourdesactivitésreligieusescommelaprière,

• malaisesdepersonnes(d’icioud’ailleurs)quireçoiventdesservicespardespersonnesd’uneautreorigine,

• communicationdansunelangueautrequelefrançaisdanslesservicespublics,

• soutienfinancierousymboliquedesactivitésdesassociationsculturellesmonoethniques,

• codesvestimentairesdanslesservicespublicsoudanslesservicesdeloisirs.

L’objectifdecetarticleestdavantagederéfléchirsurundispositifméthodologiquequipermetdemieuxcernerlesnouvelles situations interculturelles auxquelles tout un chacun est confronté en contexte pluriethnique. Nouspensons qu’il sera plus facile d’atteindre ces objectifs en se centrant sur les actes à poser en contexted’intervention. Nous avons maintenant quelques idées sur les types de situations et les préoccupations decertaines catégories d’acteurs, mais nous ne sommes qu'au début de notre processus de recherche en ce quiconcerne l’analyse des situations interculturelles. Ces résultats préliminaires nous servent pour l’instant commeélémentsdevalidationpar rapport à lapertinencedesateliers, à leur fonctionnementet leurorganisation.Uneanalyse préliminaire des données nous permet de penser que cetteméthodologie offre un potentiel importantpour fournir des réponses fiables et crédibles au sujet des interactions qui sont sources de tension ou depréoccupationàl’échellemunicipale.Deplus,lesparticipantsnousindiquentquecemodederecueildedonnéesleur est utile car cela leur permet de développer un regard commun et leur offre un modèle efficace pourcomprendre,dumoinsenpartie,lesphénomènesinterculturelsqu’ilsobserventdanslecontextedeleurtravail.Cedispositifderechercheestenévolution,commetoutoutilquiviseàrépondreauxbesoinsdesacteursduterrain.Ceci dit, nous en savons déjà assez pour pouvoir faire quelques constats généraux sur le fonctionnement desateliersetsurl’utilisationdesdonnéesgénérées.

Pistesd’analysepourl’avenir

Même si l’objectif principal des ateliers de situations interculturelles est de générer des données sur lesdynamiquesinterculturellesdanslecontexteurbaindeMontréal,lamiseencommundusavoirsurl’acteàposerpermetauxparticipantsd’avoirunemeilleurecompréhensiondesdynamiquesinterculturellesdefaçonpluslarge.Lesateliersrépondentauxbesoinsdecertainsacteursquisontàlarecherchedenouveauxoutilspourintervenirdefaçon plus efficace en contexte interculturel. Nous avons souvent observé que les ateliers créent un effet desoulagementpar rapport à la lourdeurde certainesproblématiques interculturelles.Dans certains contextes, lesatelierspeuventavoirunimpactderapprochemententredifférentsacteursdeterrain,cequiinclutlesdynamiquesentre ou avec les chercheurs (White, 2017b). Nous n’avons pas fait l’évaluation systématique des facteursorganisationnelsousubjectifsencause,maislesévaluationsréaliséesàlafindechaqueatelierindiquentquecetteactivité a un impact positif sur la collaboration entre les participants et sur la perception de leurs capacités àintervenirencontextepluriethnique.Cecidit,mêmesilesparticipantsnousdisentquelesatelierspermettentuncertain apprentissage (concepts, terminologies, utilisation d’outils d’analyse), nous insistons sur le fait que lesateliers de situations interculturelles ne doivent pas être confondus avec des formations sur les compétencesinterculturelles,quiexigentdesconditionsparticulièrespourêtreefficacesauniveauorganisationnel18.

Les participants donnent leur consentement à participer aux ateliers de façon anonyme et cette participationpermetlacollectededonnéesinéditesquireflètentlaréalitédesdifférentsacteurssurleterrain.Enéchange,lesparticipants ont la possibilité d’approfondir leur compréhension des dynamiques interculturelles et de trouverquelquespistesdesolutionspourdesproblèmesrécurrentsliésàl’acteàposerdansleursmilieuxrespectifs.Ilestimportant d’insister sur le fait qu’il n’y a pas de solutionsmiracles ou « recettes » dans l’analyse des situationsinterculturelles.Ilya,parcontre,desprincipesetdesoutilsinterculturelsquipermettentdefairedesanalysesdes

18Iln’estpastoujoursfacilededistinguerentrelarechercheetlaformationinterculturelle,pourtantdeuxdomainesquisontmarquéespardesfortesdifférenceshistoriques,conceptuellesetépistémologiques(Bathurst,2015).

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dynamiques interculturelles sans tomber dans le culturalisme ou dans l’inaction de réflexion théorique. Il estimportantdesoulignerquelacollectededonnéessurlessituationsinterculturelles,travailquisefaitsurleterrainet qui nécessite la participation de plusieurs catégories de professionnels, va à l’encontre d’une tendanceéconomiste qui cherche à expliquer les problèmes de l’intégration par l’utilisation de données statistiques et àpartird’uncertainnombred’indicateursenrapportàlaparticipationsurlemarchéd’emploi(FrozzinietGratton,2015) ou à l’accès aux services publics (Côté, Frozzini et Gratton, 2013). L'une des prémisses de ce projet derechercheesteffectivementqu’il nousmanquedesdonnées systématiques fiables (qualitativesetquantitatives)sur les interactionsentre lesdifférentsgroupeshumainsquipartagentunmêmeterritoiremunicipal.C’estencesensquel’idéedes« situationsinterculturelles »prendtoutesonimportance.

Sicetterecherche-actionrépondauxbesoinsdesintervenantsetdesgestionnairesquidoiventcomposeravecunemultituded’actesàposerdansuncontextesocioéconomiquedeplusenplusdiversifié,ilpourraitégalementavoirun impact (direct ou indirect) sur les programmes et les politiquesmobilisés au nom de la cohésion sociale encontexte de migration. La participation aux ateliers permet aux acteurs de différents milieux de prendre de ladistance face à chaque acte à poser en contexte pluriethnique, pour en faire un objet de réflexion critique. Lamajoritédesparticipantsauxateliersontfaitdescommentairespositifsparrapportàcetaspectdel’atelier.Encesens, l’atelier de situations interculturelles constitue en lui-mêmeun acte à poser, puisqu’il est de l’ordre de larecherche-action qui doit s’assurer d’avoir les conditions pour générer des données significatives, ce qui estsouvent undéfi en contexte pluriethnique. En considérant laméthodologie de l’atelier commeun acte à poser,nouspouvonsvoirlaporositédesfrontièresentrelarechercheetl’actionainsiquelespontsentrelesdifférentesformesdesavoir(universitaire,communautaire,municipale,etc.)quiconstituentlechampenexpansiondel’actioninterculturelle.

Outrecesretombéesgénérales,nousavonsaussipufaireuncertainnombredeconstatspréliminairesquantauxrésultatsderecherchegénérésdanslecadredecesateliers.Cesconstatsrelevantd’observationsinformellesmaisrécurrenteslorsdesateliers, ilestutiled’enreprendreuncertainnombre(sansordreprécis)commehypothèsesdetravailetd’analysesàapprofondirdanslesrecherchesfutures:

1. La discussion sur les situations, surtout celles qui sont sources de malaises ou de tensions, fontressortir les différentes idéologies personnelles, professionnelles et institutionnelles qui entourentl’acte à poser. Pour prendre un exemple, nous avons pu observer combien sont forts les tabousentourant l’idée de nommer les différences entre le groupe majoritaire et les différents groupesminoritaires.Étantdonné lanaturedélicatedecertainessituations, ilest importantdeveillersur lacomposition des groupes qui participent à l’atelier et de trouver un cadre commun (mêmetemporaire) pour permettre des échanges de fond sur les situations et les pistes de solutionsproposées. Dans certains contextes, des dynamiques de pouvoir organisationnels internes peuventparalyserlefonctionnementdel’atelier.

2. Certaines situations moins fréquentes, comme des peurs entourant des situations hypothétiques,peuventavoirautantd’impactsurlacohésionsocialequedessituationsrécurrentes.Larecherchesurles situations interculturelles devrait être capable d’expliquer pourquoi certaines catégories desituations sont plus anxiogènes que d’autres et comment concrètement la médiatisation de cessituationsestsusceptibled'avoirunimpactsurlacohésionsociale.

3. Nous avons souvent entendu la question suivante: « Jusqu’où devrait-on adapter nos services ?».Malgré la ressemblance apparente entre cette préoccupation et celle liée à la notiond’accommodements raisonnables, nous avons relevé moins d’intérêt pour les accommodementsqu’onauraitpu lepenseraudébutde la recherche.Deplus,nous savonsqu’il s’agitd’undispositifjuridique pour régler les situations de conflit et non pas d'un modèle général pour l’analyse desdynamiques en contexte interculturel. Certains participants ont exprimé des réticences envers lanotiond’accommodementsraisonnables,quisemblemettretropl’accentsurlescadresderéférenceet les normes du groupemajoritaire, surtout dans le contexte des relations entre le Canada et leQuébec(RocheretWhite,2014).

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4. Nous avons noté beaucoup de confusion entre les approches multiculturelles et les approchesinterculturelles. Les différents acteurs du terrain se trouvent souvent coincés entre les impératifscontradictoiresdecesapproches,quid’unpointdevuesystémiquerelèventd'échellesetdeniveauxlogiques différents: la reconnaissance dans le modèle multiculturel et le rapprochement ou lapromotion des interactions dans le modèle interculturel. D'après nos observations, les milieuxfrancophones à Montréal ressentent beaucoup de malaises face à l’idée du multiculturalisme. Cemalaise (voire préjugé ?) s’exprime autour d’une série de craintes face au communautarisme ou la« ghettoïsation » des communautés linguistiques et culturelles et la création de « vies parallèles »(Cantle,2012).

5. Nous avons relevé une difficulté généralisée à distinguer entre les situations interculturelles et lespréoccupationsenrapportaveccessituations,surtoutpourceuxquin’interviennentpasdirectementsur le terrain (un phénomène discuté par Gratton, 2013). Cette observation pourrait expliquer lafrustration des intervenants, pour qui plusieurs programmes ne correspondent pas aux réalités deterrain.

6. Unecertaineconfusiondemeureentrel’utilisationdestermes« centration »et« décentration »,deuxtermessouventassociésauxtechniquesdedéveloppementdecompétencesinterculturelles,surtoutdans les milieux francophones. Ces deux utilisations, presqu’opposés sur le plan sémantique (serapprocher ou s’éloigner des traditions dont nous sommes porteurs), visent la même finalité —l’explicitationdescadresderéférencedusoiafinderéduirel’impactdespréjugés—maisseréfèrentàdeuxdémarchesanalytiquesetàdesidéologiesdistinctes.

7. Il existe une forte tendance à mettre l’accent sur les compétences individuelles, ce qui laisse lesindividus et les employés livrés à eux-mêmes au lieu que soient exigés des ajustements dans lefonctionnement des institutions ou des organismes. Selon nos analyses, cette tendance résulte deplusieurs décennies de campagnes de sensibilisation et de formations sur la diversité qui mettentl’accent sur lesattitudesetperceptions individuellesen laissantde côté les conditions fournies (ounon) par les organisations et les institutions pour faciliter les interactions et l’efficacité des actes àposer(White,GrattonetRocher,2015).

8. Les ateliers ont confirmé certaines de nos hypothèses quant à la proximité entre les approchescitoyennesetlesapprochesinterculturelles.Lesapprochesinterculturellesmettentbeaucoupl’accentsurlarecherched’identitéspartagéesendehorsdesidentitésculturellessanspourautantgommerlesdifférencesaunomd’uneappartenancecitoyenne(White,2016).Effectivement,nosdiscussionssurlaparticipation ont mis en évidence les potentialités de la citoyenneté à l’échelle urbaine pour ledépassement des identités nationales, qui sont, elles, davantage contraintes par les catégoriesraciales, religieusesetethniques.Cecidit, il faudradans l’avenirs’intéresserausavoirquerecouvrenotremodelocaldeparticipationcitoyenne,etmieuxcomprendrecommentcettefaçondefairepeutêtreperçueouacquiseàlasuitedel’immigration.

Conclusion

Laméthodologie décrite dans ce texte,même si elle n’a pas été validée à grande échelle, offre des possibilitésintéressantes pour générer des données empiriques sur l’acte à poser en contexte interculturel. Nous avons vuégalementquelesateliersdesituationsinterculturellespeuventavoirunimpactsurlacompréhensiondesenjeuxsoulevés, notamment par le développement de nouvelles compétences (comme la capacité à distinguer unesituationetunepréoccupation,ou lacapacitéàfaireunecentration).Uneffet inattendudesateliers–maistrèsheureuxétantdonné lesobjectifsde larecherche–est lerapprochemententredifférentsacteursetorganismesconcernésparlesdynamiquesinterculturellesdansl’espaceurbain.Cetteactivitépermeteneffetauxacteurssurle terrain de voir la diversité d’approches et les angles d’analyse possibles au sein de différents milieux depratiques,pour travaillerdansune logiquecomplémentaireapteàvaloriserdifférentes formesd’expertiseetdesavoir.

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Lelangagecommundéveloppédanslecadredel’atelierfaitdavantageressortirlesobjectifspartagésainsiquelanécessitéd’uneapprochecomplémentaristepouratteindrecesobjectifs(Devereux,1980).Unechoseestcertaine:l’acteàposerencontexteinterculturelexigedenouvellesconditionsetdenouvellescompétences(Gratton,2009;White, Gratton et Rocher, 2015). Ceci demande non seulement un travail sur un vocabulaire et un cadre deréférenceminimalementpartagés,maisaussilacréationdenouveauxoutilsaptesàdécriredessituationsennousassurantquenousvoyonstousplusoumoinslamêmechose(cequeGadamerappellelesubjectum,voirGadamer,1996) avantdeprendreunedécision sur l’acte àposer.Des conditionsparticulières sont égalementnécessairespours’assurerqu’unacteposéparunprofessionnel(intervenant,gestionnaire,décideur,chercheur,etc.)reçoitlesoutiendel’organisationetd’uneinstitutionquiseditvouloircombattrel’exclusiondespersonnesetdesgroupesissusdel’immigration.

Unacteàposer,quecesoitunactedeprofessionnelouunactecitoyen,n’estjamaisuneactionindividuelleisolée.Il relève aussi des configurations organisationnelles et institutionnelles, elles-mêmes porteuses de traditions. Ils’inscritdansdesmandatsetdesrôles,desprivilègesetdesresponsabilités.Ils’adresseàunpublicparticulieravecdes attentes particulières et il exprime le besoin et la capacité d’interpeler l’Autre (ce que Bakhtin appellel’addressivité). Ce qui nous a surpris dans le cadre du travail sur les ateliers de situations interculturelles, c’estqu’unteldispositifméthodologiquepuisseconstituerensoiunacteàposer,carilaunimpactsurlaperceptiondesparticipantsmaisaussisurlaqualitédesdonnéesrecueillies.Malgrétoutcequelescritiquesconstructivistesnousontapprissurlepositionnementdenosrôlesdechercheurdanslaproductiondusavoir,danslecadredesateliersdesituationsinterculturelles,nousnoussommesretrouvésfaceànotre« façond’intervenir »surunsystèmequisemobiliseaunomdel’inclusiondespopulationsvulnérablesetmarginalisées,constatantquelesintervenantssontleplussouventlaisséssansressourcesetamenésàremettreenquestionlapertinencedeleurexpertisehabituelle.Sinousavonsétécapablesd’abordercesujet(l’acteàposerduchercheur)aveclesparticipantsdanslesateliers,c’estenpartieparcequelesobjectifsetlesoutilsdel’atelierontémergédanslecadred’unprojetderecherche-action.Lesateliersdesituationsinterculturellesnousoffrent lapossibilitédeprendreconnaissanced’unegrandevariétéd’actionsetdesituationsinterculturelles,maislaméthodologienousaaussiobligésàgarderunecertainehumilitéparrapportànotrecapacitédefaireuneanalysesystématiquedesactescomplexesàposerencontexteinterculturel.

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BobW.WhiteetDanielleGratton

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