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7/23/2019 Lacasse - Intermdiaire, Deixis Et Politique
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rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec
Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.rudit offre des services d'dition numrique de documents
scientifiques depuis 1998.
Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]
Article
Germain LacasseCinmas : revue d'tudes cinmatographiques / Cinmas: Journal of Film Studies, vol. 10, n 2-3, 2000, p. 85-
104.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/024817ar
DOI: 10.7202/024817ar
Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.
Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique
d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html
Document tlcharg le 24 January 2015 08:07
Intermdialit, deixiset politique
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In te rmdia i re ,
deixis
et po lit iqu e
Germain Laasse
R S U M
La sphre intermdiatique est un espace symbolique au
sein duquel on peut s'approprier les rcits par transfert
mdiat ique. Leur
deixis
transforme, ces rcits se voient
reterri to rialiss. Ce ph n om n e fut m arq ua nt au Q u be c
au dbut du XX
e
s ic le , a lo rs qu 'o n ada pta p ou r l e
vaudeville, le thtre ou la radio locale nombre de rcits
du cinma amricain.
A B S T R A C T
The intermedial sphere is a symbolic space in which
narratives are open to appropriation through a media
t ransfer which resul ts in the t ransformat ion of their
deixis,
as well as their reterri torialization. This was a
s i g n i f i c a n t p h e n o m e n o n i n Q u e b e c w h e r e s e v e r a l
forms of ada p ta t ion of Am er ican c inem a narra t ives
appeared in vaudeville, theater and local radio in the
beginning of the twentieth century.
A l a i n B e r r e n d o n n e r , d a n s
ses Elments de pragmatique
linguistique,appelle
fantme de la vrit
l 'instance universelle
de validation des noncs, qu'il dfinit aussi comme un dic-
tique de l 'ordre des choses (p. 59-60). Le spectre qu'il traque
serait prsent dans toutes les communications
;
celles-ci, plutt
que d 'tre dialogiques, con sti tueraien t un jeu trois terme s :
Le plus rem arqu able me p ara t tre ici que l 'univers, c 'est-
-dire le " contex te" de tous les schmas de la communication,
conu comme entit rfrentielle globale, doive tre considr
comme un part ic ipant actif 'de l 'vnement d ' interlocution, et
non seulement comme une ci rconstance iner te (p . 61) . Ces
observat ions paraissent d 'une grande jus tesse parce qu 'el les
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concordent avec plusieurs exemples de capture et de transfor
mation du fantme, dont la place et la forme changent avec les
vrits dont il serait l 'invisible cho. Il se manifeste tout autant
dans la sphre intermdiatique, o les nonciateurs essaient de le
faire changer de position afin de valider leur propre vrit. Nous
nous proposons donc ici de faire un peu de
ghostbusting:
traquer
le spectre intermdiatique dans l'histoire et l 'exorciser dans le
prsent. Nous commencerons cependant par proposer et analy
ser quelques dfinitions de cet univers spectral.
On pourrait appeler sphre intermdiatique
1
l'espace la
fois rel et symbolique constitu par les mdias et leur rapport
avec les communauts . Empruntant part ie l lement la termino
logie de Deleuze et Guattari dans
Mille Plateaux,
on pourrait
aussi nommer reterritorialisation virtuelle le phnomne que
consti tue la reconfiguration du social dans l ' intermdiatique.
Deleuze et Guattari, fortement inspirs des crits de Nietzsche
sur les forces actives et sur les formes comme devenir
2
, dcrivent
d ' ab ord l 'ex i s t ence de s t r a t e s , qu i son t de s ph n om ne s
d'paississement sur le Corps de la terre, la fois molculaires et
molaires
:
accumulations, coagulations, sdimentations, plisse
ments. [...] Chaque strate, ou articulation, consiste en milieux
cods, substances formes (1980, p. 627). Dans les strates et
entre elles apparaissent les agen cem ents , qui sont d 'abo rd
territoriaux, et ces territoires sont faits de [...] fragments dco
ds de toutes sortes, emprunts aux milieux, mais qui acquirent
alors une valeur de
"
proprits "
(p. 62 9).
La terr i toria l isa t ion comporte contenu e t expression, sys
t me smio t ique e t sys t me p ragma t ique , ma i s au n iveau
suprieur, l 'agencement dont elle fait partie comporte lui aussi
des [. .. ] l ignes de d ter ri to ria l isa tio n qu i le trav ersen t et
l 'emportent (p. 630). La sphre intermdiatique serait donc
un agencement o se succdent la territorialisation sociale
et la dterritorialisation symbolique. Le rapport de l ' individu
avec l 'espace-temps rel y deviendrait un rapport entre le sujet
et un espace-temps reconfigur symboliquement. On pourrait
c i ter comme exemples la Bible , rc i t de re terr i toria l isa t ion
symbolique de la communaut juive dans l 'Antiquit, ou le ci
nma qubco i s con tempora in , a f f i rma t ion dans l e champ
O O CiNeM AS, vol. 10, n
os
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cul turel d 'une communaut longtemps br ime dans l 'espace
social.
Chacun de ces agencements suppose une deixis particulire,
une configuration abstraite des rapports l 'espace, au temps et
au social, puisque la deixis dfinit l 'orientation du sujet dans
l 'espace et le temps. Les dict iques sont couramment dfinis
comme les termes servant dsigner. Wlad Godzich et Jeff
Ki t t ay , dveloppant l es thses de Benvenis te e t Jakobson ,
dmontrent que la
deixis
dsigne galement la contextualisation
de renonciation, l ' inscription du locuteur dans un espace-temps
qui actualise et valide son discours (p. 18-23). L'apparition et
l 'volution des mdias supposent une volution de cette struc
ture abstraite. Les mdias pourraient tre considrs, ainsi que le
proposait McLuhan, comme des prolongements des sens, mais
chaque stade de leur volution impliquerait une nouvelle sym-
bolisation abstraite du rapport au monde qu'ils tablissent et
maintiennent. Cette symbolisat ion n 'est videmment plus struc
ture par des dictiques explicites, mais par cette deixis abstraite
que Berrendonner appelle fantme de la vrit et qu'Oswald
Ducrot appelle la prsupposition: [.. .] acte par lequel le locu
teur impose un destinataire un certain univers de discours
(1972, p. 97). Cet acte se manifeste de diffrentes faons, mais
n'affiche pas de marques aisment localisables. Pour les reprer
dans l 'univers mdiatique, il faut d'abord comprendre la nature
des mdias et leur impact sur la deixis.
Aprs avoir approfondi la dfinition de deixis, il faut donc en
faire autant pour
mdia.
Parmi les mots apparents
mdia,
on
trouve mdian (lat. maedius, qui est au milieu) qui se trouve au
milieu {Dictionnaire encyclopdiqueLarousse,1994, p . 643) . O n
trouve aussi mdiat: qui a rapport, qui ne touche une chose
que par une autre; qui est intermdiaire (p. 643). Ce dernier
te rme nous condui t mdiatrice: d ro i te perpendicu la i re au
segment en son mil ieu (p. 643). Quand nous parlons d ' interm-
dialit, nous renvoyons donc une notion qui fait apparatre un
nud de l ignes dont chacune ne touche une chose que par un
point, mais o toutes les lignes se touchent. C'est forc puis
qu 'e l l e peu t t re df in ie comme une mul t ip l i c i t de l ignes
mdianes . On peu t auss i penser une f igure gomt r ique
In termdia l i t ,
deixis
et poli t iqu e O /
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complexe plusieurs dimensions, puisque plusieurs mdiatrices
s'y superposent et se croisent pour sparer et opposer diffrentes
surfaces.
Il est facile de s'y perdre, et la seule faon de s'y retrouver est
peut-tre celle que suggrait Deleuze dans
Dialogues:
[...] faire
la ligne, et pas le point (Deleuze et Parnet, p. 34). Car faire le
point est devenu impossible. Nous allons donc essayer de tracer
la ligne de l 'intermdialit, de la dfinir de faon diachronique,
car nous croyons que la croissance fulgurante qu'elle a connue
au cours des dernires dcennies tend faire oublier ses antc
dents .
Nous parlerons ici de prhistoire de l ' intermdialit et
d'intermdialit dans la prhistoire, cette hypothse tant pose
com m e m ode d ' ana ly se pa ra log ique d ' un phnom ne don t
l 'acclrat ion semble actuellement effarante. Nous parlerons
aussi encore de deixis, puisque la mdialit renvoie un sujet
percevant et sa position dans un monde, et nous proposerons
d'envisager diffrentes configurations dictiques correspondant
aux tapes historiques de l 'intermdialit et concidant souvent
avec l 'histoire politique.
La
eixis
pluritopique
La perception sensorielle et sa mmorisation sont peut-tre
les premires oprations mdiatiques; McLuhan disait que les
mdias sont les prolongements des sens (1972). Effectuons le
parcours rebours et voyons comment les sens correspondaient
aux mdias avant que ceux-ci n'apparaissent. La perception dans
l'espace et le temps dpendait des organes sensitifs; l 'informa
t ion, dont on sai t aujourd'hui qu'el le circule mme entre les
cellules, tait galement change au moyen des organes
:
voix et
oue, membres et vision, etc. Cette mmoire pourrait tre consi
d re com m e une op ra t i on i n t e rm d ia t i que cons i s t an t en
l 'encryptage biologique de la perception spatio-temporelle. La
position du sujet dans l 'espace reposait en quelque sorte sur une
deixissensorielle p lut t que discursive.
C e t t e
deixis
est bouleverse plutt radicalement mesure
qu'voluent le langage gestuel et le langage verbal. Leur capacit
de transmission distance et de conservation est indissociable-
ment l i e l ' expans ion t e r r i to r ia le . Cel le -c i p rovoque de
88 CiNeM AS vol. 10 n
os
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nouveaux rcits de mmorisation o le sujet est mis en relation
avec des espaces distants, familiers ou trangers, supposant une
deixis
maintenant mani fes te dans le l angage , e t que nous
qualifions de
pluritopique
puisqu'elle repose sur la relation d'un
sujet avec plusieurs territoires. Faire la ligne devient dj plus
pertinent que de faire le point: quels sont les liens associant le
sujet avec cet environnement tendu mais discontinu et frag
men t?Ces l iens abstraits corr espo nde nt h isto riqu em en t aux
premiers arts intermdiatiques, les peintures des grottes pari
tales dont l 'anthropologue Leroi-Gourhan a soulign le [. . .]
contexte oral avec lequel l 'assemblage symbolique tait coor
donn et dont il reproduit spatialement les valeurs
(p. 27 3).
L'occupat ion de ces terr i toi res pluri topiques suppose non
seulement une symbolisation diffrente et un niveau suprieur
d'abstraction, mais aussi des moyens de communication dis
tance entre les membres de la communaut. D'o l 'mergence
de nouvelles pratiques signifiantes, mergence dont l 'histoire
fournit beaucoup d'exemples de l 'mergence nouvelle. Godzich
et Kittay ont montr de faon fort pertinente que la disparition
de la posie orale, ou du moins sa marginalisation, est lie
l ' imposit ion et la gnralisation de la prose cri te par les
groupes qui ont tir profit de l'mergence de l'Etat vers la fin du
Moyen ge (p. 200). La gnralisation de la prose crite a im
pos une nouvelle
deixis,
dont le degr d'abstraction
s est
encore
intensifi au moment de l'expansion territoriale, et aussi lorsque
la hirarchie
s est
complexifie : l 'espace pluritopique correspond
aussi une centralisation de l'autorit, et cette centralisation ne
semble jamais devoir s'arrter. Lorsqu'elle est dtruite, on la voit
rapidement rapparatre sous une autre forme, s 'efforant de
correspondre au fantme de la vritpo ur mieux convaincre
ses interlocuteurs.
Le cinma oral
Le cinma oral est l 'une de ces pratiques intermdiatiques qui
rsultent de l 'apparit ion d'un nouveau mdia, de son insti tu
tionnalisation et des rsistances qu'il suscite.
se s
dbuts, le
c inma tenai t plus de l 'a t t rac t ion fora ine que du mdia ; sa
capacit discursive tait faible et il devait compter avec l'aide
Intermdialit,deixiset politique O J
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d'un explicateur verbal, ce dernier assurant la comprhension
des lments narratifs
3
. Le nouveau mdia devait faire appel
une ancienne pratique, et ce n'est qu'au bout d'un long travail
de lgitimation et de hirarchisation qu'il est arriv s'en dga
ger. Lec inma mu et est devenu la pratique signifiante domi
nante dans les pays produisant des films, tandis que dans les
communauts marginales et les colonies, le cinma oral a eu
cours trs longtemps, dans certains cas jusqu'au milieu du sicle.
La Premire Gu erre mo ndiale semble marquer le triomp he du
langage cinmatographique insti tutionnalis. Le fi lm que l 'on
c o n s i d r e c o m m e s o n m o d l e a c h e v ,
Birth of a Na tion
(Griffith), est sorti en 1916. Cette concidence n'est pas compl
tement fortuite; le processus de normalisation de la pratique
tait dj enclench, mais la guerre a pouss les Etats accrotre
de faon tota l i ta i re le contrle des communicat ions e t des
discours . Les bonimenteurs de f i lms, dont le nombre avai t
diminu mesure que le cinma acqurait une capacit narra
tive,
ont t rappels en masse en 1914 pour commenter des
films de guerre qui risquaient d'effrayer les civils, et pour attiser
l 'ardeur patriotique. Le gouvernement du Canada, qui ne s'tait
jamais proccup de cinma, mit sur pied un service de propa
gande cinmatographique dont la direction fut confie l 'un de
ses
plus riches et puissants citoyens. Pourtant, c 'est au mme
moment que semble
s tre
consolide au Qubec la pratique du
cinma oral, puisqu'il y est apparu alors ce qu'on appelle le bur
lesque q ubcois:un spectacle compos de danse, de thtre po
pulaire comique et de vues animes bonimentes. On voit donc
merger presque s imul tanment deux pra t iques in te rmdia
tiques dont les discours divergent: celle d'un Etat propageant le
cinma oral comme moyen de soutenir son intervention arme,
et celle d 'une communaut consolidant le cinma oral comme
moyen de rsistance.
La mmoire tant inscrite dans l 'espace autant que dans le
temps, les images animes constituent un outil providentiel pour
un Etat en mergence qui veut suggrer ses sujets une nouvelle
reprsentation et une nouvelle assimilation de l'espace politique
et de la temporalit historique. C'est donc du point de vue de
leur
deixis
qu'il faut tenter de lire ces images pour comprendre
J U CiNeMA S, vol. 10, n
os
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comment l'tat voulait s'y inscrire et sy perptuer. C'est par une
deixisde l'absence qu 'il le fait, p ar l'instau ration d'u n systme d e
signes renvoyant une autorit invisible et bureaucratique qui se
manifeste en montrant qu'elle efface ses traces, en montrant
qu'elle retient ses mots et peut-tre son souffle... Les films de
guerre nous permettent donc de lire comme par transparence les
traces de la prsence de l'tat canadien: il n'est pas visible sur
l 'cran, mais trs apparent derrire; transparent, i l pouse la
forme diffuse et mouvante dufantm e de la vrit .
Le rsu l ta t de ce t te longue campagne de p ropagande es t
l 'mergence d'une deixiscinmatographique endogne qui sup
plante la configuration exogne prcdente. Le sujet canadien,
auparavant spectateur accessoire de films trangers, est devenu le
partenaire des acteurs de l 'intervention militaire. Pour maintenir
ce nouveau point de vue, l 'tat canadien a d 'ail leurs mis sur
pied la f in de la guerre le Canadian Government Motion
Picture Bureau en lui confiant un mandat clair: offrir une image
canadienne du Canada, aux Canadiens et aux trangers; offrir
aux citoyens un cadre montrant les fragments de l 'espace pluri-
topique dsormais occup, un cadre permettant aussi d'exporter
au loin les portions de l 'espace canadien. Comme l'a soulign
D e l e u z e , l ' e s p a c e c i n m a t o g r a p h i q u e e s t v e n u s u p p l a n t e r
l 'espace naturel et provoquer la dislocation des liens sensori-
moteurs
4
. L'tat en mergence trouvait ainsi moyen d'apparatre
dans la nouvelle sphre et d'tre inscrit dans l 'univers qu'elle
dsignait. Il capturait le fantme de la vrit et tentait de le
garder captif derrire la trame de l'cran. L'coute actuelle de ces
films d'poque constitue d'ailleurs une exprience extrmement
trange o la vrit est pour le moins spectrale. Voici le propos
authentique d'un confrencier militaire prsentant des films
un auditoire montralais en 1916 :
Toujours au grand air, la vie d 'un soldat est saine et
rconfortante. Le confrencier a rencontr d 'anciens
employs de bureaux qu i t ra na ien t jad is une san t
chancelante et sont aujourd'hui plus forts et plus virils
qu'ils ne l'ont jamais t aprs un an ou six mois de vie
dans les tranches. La nourriture est bonne et saine et
on a le grand air continuellement. Rien de meil leur
pour rendre un homme la vitalit teinte et perdue
5
.
Intermdialit,deixiset politique J 1
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La perptuation du cinma oral comme pratique de rsistance
permettait par contre aux communauts rsistantes de produire
sur place leur discours d'appropriation et donc d'imposer leur
tour une au t re deixis endogne. Le discours de l 'Etat sur la
guerre tait attnu ou critiqu par les interventions des boni-
menteurs, monologuistes, chanteurs et comdiens des commu
nauts opposes la guerre, dont les propos antibellicistes sont
devenus l 'une des hantises du fantme de la vrit pay par
l'Etat, le chef-censeur Ernest J. Chambers. Il n'est pas tabli que
le bonimenteur populaire se livrait un commentaire critique
des films de propagande, mais l'examen des traces sonores des
salles o il exerait montre un contexte fortement rsistant et
laisse penser qu'il a pu participer une lecture rsistante des
films de guerre. Comme le confrencier militaire, le bonimen
teur populaire semble avoir connu un regain de popularit pen
dant la guerre, dans une forme de spectacle qui s est dvelopp
durant cette priode au Qubec. Variante du vaudeville amri
cain , le bur lesque qubcois tai t const i tu de numros de
danse, de sketches, de monologues comiques et de vues animes
bonimentes (Hbert, 1981). L'opposition des Canadiens fran
ais la guerre a stimul le sentiment nationaliste, et les histo
riens du burlesque soulignent la volont des artistes d'accentuer
l 'usage du f ranais dans les spectacles. Plusieurs des boni-
menteurs franais qui pratiquaient leur mtier sur les scnes du
Qubec sont repartis en France pour s 'enrler et ont cd la
place des collgues qubcois. Les chos des spectacles de
l'poque sont devenus bien diffrents de ceux des soires ani
mes par un confrencier militaire.
La pice de rsistance cet gard est certainement le mono
logue crit en 1917 par Armand Leclaire, qui s'intitule simple
ment Le conscrit Baptiste. Il raconte les bvues commises par
un campagnard qubcois incapable d'excuter les exercices que
lui commandent les officiers recruteurs; habile aux travaux des
champs, il n'entend rien aux manuvres militaires et finit par
dcourager les recruteurs :
Ba pti ste , qu e m'dit l 'z 'off icier , t 'es m ieu x d 'al le r
t rava i l le r dans tes champs. T 'es dcharg , tu fe ras
jamais un soldat . . .
Ben,
j'vas
dire l, to que j'y
) L CiNeMA S, vol. 10, n
os
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r p e r c u t e , j ' a i m e m i e u x r e s t e r h a b i t a n t q u e d ' t r e
soldat pis faire des singeries avec des fusils qui sont tant
s e u r e m e n t p a s c a p a b l e s d e q u e r u n e m o u c h e
Pis
r 'viens pas me badrer cheu nous, to, parce que j 'en ai
un fusil moi itou, pis j ' t 'avartis qu'y est charg c'lui-l
L-dessus, j 'ai pris le bord. Quand les criatures m'ont
vu arriver, vous parlez qu 'y m 'on t fait une fte Fau t
vous dire qu'y avait pus rien que mo pis mossieu le
cur dans la paroisse en fait d 'hommes, les autres ont
t conscript ionns ou ben y sont morts
6
.
Le monologue ironise adroitement sur l 'habilet du paysan
qubcois pour les travaux agricoles et sur son indiffrence aux
manuvres militaires
;
il valorise les travaux civils au dtriment
de l'esprit guerrier, qu'il ridiculise. Son auteur, Armand Leclaire,
tait comdien et dramaturge. Il travaillait dans les scopes
avec les bonimenteurs Alex Silvio, Hector Pellerin et autres. Son
texte a t rcit dans les thtres, et a galement t publi dans
Le
Passe-temps,
magazine populaire de chanson et de musique
largement rpandu. La lecture que fait Leclaire de la conscrip
tion et du travail des recruteurs tait certainement partage par
une grande par t ie de l ' audi to i re f rancophone de Mont ra l ,
lequel devait trouver assez ridicules les trs nombreux fi lms
montrant les soldats l 'entranement. Le public avait volu un
peu comme Leclaire, qui avait aussi crit quelques annes plus
tt une pice protestant contre la suppression du franais dans
les coles de l'Ontario.
Ces monologues et ces chansons, prsents dans les salles
mmes o taient projets les films officiels, constituaient peut-
tre le seul commentaire raliste de la guerre. Lus et entendus
dans les scopes ou ailleurs, dits et chants avant ou aprs les
films,
i l s ne pouva ient manquer de cons t i tue r un cont ras te
frappant. Le censeur canadien, Ernest J. Chambers, a d'ailleurs
trouv assez tt raison de s 'en plaindre. Son rapport insiste
particulirement sur lesnumroset les pices de thtre :
[...] des hom me s ha ut placs et de jug em en t [...] on t
fait remarquer que les chansons de certains vaudevilles
exprimaient une envie pathtique de la paix tout prix
et visaient de toute vidence provoquer un sentiment
de lassitude l 'gard de la guerre (p. 276).
Intermdialit,
deixis
et politique
J J
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La rpression de ces textes rsistants fut faite par l'entremise
des cr i t iques dramat iques des journaux, auxquels le censeur
demanda de dcourager l a p rsen ta t ion de t e l s spec tac les .
Lorsque les reprsentations suspectes se poursuivaient, les ren
seignements fournis par les journaux taient transmis la police
qui intervenait, mais une partie des textes rfractaires chappait
probablement au censeur, parce que le public de gens haut
placs et de jugement ne frquentait pas beaucoup les salles de
vaudeville, et les critiques dramatiques des journaux en parlaient
assez rarement. Il est donc permis de penser que la rsistance la
propagande pouvait se manifester dans le spectacle populaire;
el le tai t probablement al lusive plutt qu'explici te, mais el le
tait lisible pour qui avait appris cette sorte de lecture.
Au Qubec , l e c inma ora l es t demeur une pra t ique en
vogue jusqu' l 'arrive du cinma parlant , mais par la suite,
d'autres pratiques rsistantes sont apparues, venant contrer ou
at tnuer les prat iques hgmoniques . Aussi btardes que le
cinma oral, ces pratiques sont le thtre cinmatographique, la
radio visuelle et le cinma radiophonique, qui sont trois formes
d'appropriation locale du cinma tranger, trois formes de do
mesticat ion du fantme de la vrit par des strates diffrentes
de la couche dominante.
Le thtre cinmatographique
Le thtre cinmatographique consiste dans l 'adaptat ion au
th t r e de su j e t s popu l a i r e s au c inm a . Au Qubec , ce t t e
pratique est apparue vers 1920; assez marginale, elle a quand
mme produi t un bon nombre de t ex tes dont cer ta ins on t
connu un trs grand succs sur scne. La premire de ces pices
est probablement la revue Alio Chat-Plin. Prsente en dcembre
1915,
cette comdie en trois actes qui tenait autant de la pice
que de la revue portait sur l 'actualit locale. Chariot en tait le
personnage principal ; c 'est lui qui assurai t le l ien entre les
tableaux
7
. C'est dire qu'au centre de la narration, on trouve un
personnage de cinma. L'adaptation suivante semble avoir t
Les Dops,m on te en 1918 par Paul Gury, un Breton vivant au
Qubec, qui a cri t de nombreux mlodrames thtraux entre
1930 et 1950 et qui a dirig deux films qubcois des annes
J4 CiNeM AS, vol. 10, n
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c i n q u a n t e
8
. Cet te pice avai t probablement t adapte des
nombreux films sur le sujet produits aprs la guerre
9
. Gury a
aussi crit
Les
Esclaves blanches,peut-tre ad apte d u popu laire
fi lm danois ral is par Alfred Lind en 1911,
La Traite des
Blanches (Den Hvide Slavind),
ou du moins inspir des mmes
rcits et des mmes thmes: enlvements de femmes, prostitu
tion, criminalit et exploitation. Le film danois avait eu tant de
succs aux Etats-Unis qu'une adaptation en a t faite en 1913
par George Loane Tucker pour Universa l :
Traffic in Souls
(Sadoul, p. 350).
L'exemple le mieux connu, et qui a at t ir le public et la
critique plus que tout autre, est
Le Cheik
ou
Entre deux civi
lisations, crit en 1923 par Armand Leclaire. La pice reposait de
toute vidence sur les lments qui avaient fait le succs du film
The Sheik
(Georges Melford, 1921) avec Rudolf Valentino, mais
aussi sur l ' immense popularit dont l 'acteur jouissait alors. La
pice raconte les aventures d 'un groupe de Qubcois qui
rencontrent des Arabes dans le dsert nord-africain, o le fils
d 'un che ik ten te de sdui re la f i l l e d 'un gologue qu ' i l a
rencontre auparavant Montral. La pice est assez semblable
au film, histoire raciste d'une jeune Anglaise tombe amoureuse
du cheik Ahmed, ensuite enleve par un bandit, plus tard sauve
par le cheik qui rvle alors son origine blanche et peut pouser
l 'hrone. L'histoire d'amour est centrale dans la pice comme
dans le fi lm, et el le suscite une intrigue dynamique o les
pripties se succdent un rythme enlevant. Selon l 'historien
Alonzo Leblanc, cette pice a de toute vidence t cre pour
exploiter le succs du film de Valentino
;
et sa forme mlodra
matique la destinait certainement au public populaire des cin
mas.
La pice a t prsente au thtre Chanteclerc Montral
(p .
441-442). Elle a obtenu un succs considrable et a t joue
maintes reprises au cours des annes suivantes.
Les mmes films mettant en vedette Valentino ont inspir un
autre auteur, dont ces adaptations seront la spcialit. Pendant
une carrire de deux dcennies, il a crit plusieurs pices explici
tement adaptes de f i lms amricains . Son nom ta i t Ernest
Guimond, mais i l crivait aussi sous le pseudonyme de Jean
Bart, ce qui n'tait certainement pas fortuit, Jean Bart tant un
Intermdialit,
deixis
et politique
J J
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13/21
pirate franais. En 1927, Guimond a profit, lui aussi, de la
grande popularit des histoires arabes pour crire une pice sur
le sujet. Probablement assez proche de la pice de Leclaire, la
sienne s'intitulait
Le Fils du cheik
et racontait le conflit entre un
cheik et son fils au sujet de l'amoureuse blanche de ce dernier
(Rinfret, p. 147). La pice semble aussi avoir t une adaptation
assez f idle du dernier f i lm de Valent ino
Son of the Sheik
(George Fitzmaurice, 1926).
Guimond voula i t videmment profi ter de la populari t de
Valentino et des autres pices inspires par ces films. Or, il avait
dj crit des textes semblables, le premier encore inspir d'un
autre film de Georges Fitzmaurice, qui avait ralis
Son of the
Sheik.
N en France, Fitzmaurice avait aussi t directeur de
thtre
;
ses films taient peut-tre d'une facture plus thtrale et
plus facile adapter pour la scne. Sous la plume de Guimond,
son film
The Cheat
(1923) est devenu une pice intitule
La
Marque d infamie,
crite en 1924 et clairement inspire du film,
de l 'aveu mme de Guimond (Rinfret, p. 152). La pice a t
monte la mme anne. Le texte original a t perdu et les
descriptions en sont vagues, mais le film lui-mme avait eu une
histoire rptitive. Un premier film avait t fait en 1915 par
Cecil B. de Mille, et une autre version avait t ralise en 1923
par Fitzmaurice, avec PoIa Negri (Sadoul, p. 163).
The Cheat
raconte une autre histoire raciste, celle d'une riche
famille amricaine menace par la prsence d'un voisin asiatique
qui convoite la femme du hros. Lorsque celle-ci est ruine par
un mauvais placement, l 'Asiatique propose de lui donner de
l 'argent si elle accepte de faire l 'amour avec lui. Comme elle
refuse, il la marque avec un fer brlant. Le mari est tran en
cour aprs avoir tu le tratre, mais il est disculp lorsque sa
femme montre la marque. Ce film eut un succs retentissant en
France grce son style soign et inventif (utilisant beaucoup le
gros p lan e t dosant habi lement la lumire e t l 'ombre) . Au
Qubec, c 'es t probablement son inspira t ion mlodramatique
qui lui valut un grand succs.
En 1928 , Gu imond a c r i t
Le Sinistre Fantme
(Rinfret ,
p. 159), imitant le clbre
Phantom of the Opera
(Rupert Julian,
1925).
La pice a t prsente en 1928 au Chanteclerc, thtre
)U
CiNeM AS, vol. 10, n
os
2-3
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alors dirig par Alex Silvio, surnomm Montral le roi des
confrenciers, mais qui semble aussi avoir t le roi des produc
teurs de pices adaptes de films. L'histoire est aujourd'hui bien
connue, mais il importe d'en rappeler l ' intrigue parce que c'est
probablement sa teneur mlodramatique qui donne la raison de
son adaptation au Qubec. Un homme dfigur vit secrtement
dans les sous-sols de l 'Opra de Paris, o il tombe amoureux
d'une jeune tudiante en musique. Il essaie de la garder prison
nire de son souterrain et de se faire aimer d'elle, mais il est tu
par les gens venus la recherche de la jeune fille. De toute vi
dence, les Qubcois aimaient aussi les histoires d'enlvement.
Cela
a-t-il
un rapport avec la captivit nationale
?
La m taphore
est facile, mais on constate qu'elle revient dans plusieurs de ces
mlodrames adapts; elle pourrait aussi dsigner la rigoureuse
morale impose alors par un clerg puissant et puritain. De
nombreux Qubco i s , hommes ou femmes , pouva ien t a lo r s
rver d'tre enlevs par un personnage mystrieux, ou d'enlever
un amant ou une amante malgr une possible fin tragique.. . Le
fantme de l 'opra est donc devenu celui de la vrit en propo
sant l 'imaginaire local un rcit tranger qui transgressait une
situation politique et une morale contraignantes.
Ce t te adapta t ion ident i ta i re par t ransfe r t in te rmdia t ique
s e m b l e a v o i r t u n e t a c t i q u e f o r t p o p u l a i r e . E n 1 9 2 6 ,
Guimond a cri t La Vierge blanche, inspire de toute vidence
du film White Sister(H enr y K ing, 1923) tou rn en Italie avec
Lillian Gish et Ronald Colman. Ce film racontait l 'amour du
d'un officier italien pour une jeune couventine. L'officier est
dclar mort par la sur jalouse de la couventine, qui entre alors
chez les surs blanches. Part i puis revenu, l 'officier dsire
obtenir du pape la dispense qui lui permet t ra i t d 'pouser la
religieuse. Mais le Vsuve fait alors ruption et l'officier est tu
en portant secours aux victimes; la religieuse retourne alors au
service de Dieu (Connelly, p. 306). Notons que le film White
Sister est lui-m m e adapt d 'un e n ouvelle crite en 1909 par
E Marion Crawford; l 'auteur a aussi cri t une pice, et une
premire version du film avait t faite en 1915 par Fred Wright
pour Essanay (King Hanson, p . 1028) . Dans ce t te vers ion ,
l'officier tait enlev par dessauvagesplu tt que dclar m or t
Intermdialit eixiset politiqu e 97
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par la sur jalouse. La pice de Guimond, qui a t prsente au
Chanteclerc et au thtre Saint-Denis, semble avoir t assez
semblable au film. Mais le plus tonnant, c'est que deux autres
adaptations du mme fi lm virent le jour au Qubec. L'auteur
dramatique Marc Forrez a crit un mlodrame en quatre parties
sous le titre Vengeance
d amo ur ou Sur blanche,
dont la source
tait explicite (Rinfret, p. 44). Une autre pice portant le mme
titre a aussi t crite par un auteur nomm Charles E. Harpe,
probablement un pseudonyme de Maurice Beaupr , ac teur e t
dramaturge occasionnel (p. 191)
1 0
. Le texte en a t conserv et
ressemble beaucoup l 'histoire du film : une sur jalouse com
plote pour loigner l 'amant qui est ensuite suppos mort . La
s ur p lore dc ide de dev eni r re l ig ieuse ; son am ou reu x
s'enrle dans l'aviation, mais bless mort, meurt dans ses bras.
Ce rcit fut aussi populaire que celui du
Cheik,
probablement
parce qu'il permettait d'exprimenter sur le plan symbolique des
affects interdits par une socit trs police. Ce transfert inter
mdiatique permettait d'ailleurs la diffusion de ces rcits venus
du cinma sans subir les foudres d'un clerg qui avait fait du
film son pire ennemi.
La radio visuelle
La radio visuelle est une autre pratique intermdiatique qui
consiste en l 'adaptation radiophonique d'uvres cinmatogra
phiques. Elle a t pratique de faon systmatique et explicite
pendant plusieurs annes, principalement par l 'entremise d'une
mission appele
Radio-Thtre Lux
Franais,
qu i semb le avoir
imi t l a fo rmule amr i ca ine du
Lux Radio Theater,
lequel
prsentait la radio des Etats-Unis des versions adaptes des films
les plus populaires (Thomas, 1991)
n
. L'mission qubcoise a t
prsente entre 1942 et 1945 CKAC et CHRC, et reposait sur
des pices adaptes du cinma ou du thtre (Page, 1975, p. 662).
Henry Deyglun, qui a beaucoup crit pour la scne, a galement
adapt plusieurs rcits pour le
Thtre Lux
(Legris, p. 89). Paul
L'Anglais, le producteur de cette mission (p. 57), avait aupa
ravant t chanteur la radio (Proulx, p. 34) et avait crit pour la
radio les feuilletons
Jeanne et Arthur
et
Ceux quon aime,
traduits
de radio-romans amricains (Page, 1975, p. 353). Une mission
) 0 CiNeM AS, vol. 10, n
os
2-3
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semblable a t diffuse par CBF en 1942 et 1943, intitule Silver
Theater ou Thtre d Hollywood (p. 662). D'autres missions se
sont inspires de cette veine bien que de faon moins explicite. La
radio f t rapidement appel un grand nombre d 'auteurs, qui
devaient beaucoup produire pour suffire la demande. Ernest
Guimond, qui avait crit des pices de thtre adaptes de films
amricains, a galement crit plusieurs pices radiop hon iques sous
le mm e pseu dony me de Jean B art (Legris, p. 89 ).
Le plus digne reprsentant de cette radio visuelle est peut-tre
Henri Letondal .
Scripteur
de rad io des plus p rolifiques, il
avait d'abord t chroniqueur de cinma et de thtre pour le
j o u r n a l
La Patrie
(de 1921 1925) ainsi que comdien et
chanteur la station CKAC. Pendant les annes trente il a t
l 'animateur du cabaret Le M atou bott, o il montait des revues
et interprtait ses propres chansons, et a crit pour la radio des
dizaines de pices dont certaines, comme Meurtre au studio ou
La Photo rvlatrice, semblent exploiter les mmes thmes que le
c inma popula i re : Le Supplice indien, La Mystrieuse Dam e
blonde, Le Plerin de Bnars, etc. Il a ensuite pass de nom
breuses annes (de 1939 1955) Hollywood o il a jou dans
une t ren ta ine de f i lms e t a ra l i s pour CKAC l 'miss ion
Hollywood vousparle (Page, 1978, p. 13-14 et 43). Cette mis
sion n'tait pas la seule qui tait consacre au cinma puisque
CKAC prsentait aussi, trois fois par semaine, entre 1938 et
1942,
Radio-Cinma Revue crite par Jeanne Frey (Page, 1975,
p. 293) Les autres stations produisaient probablement des mis
sions semblables, et le journal populaire
Radiomonde
vantait les
vedettes du cinma autant que les missions de radio qui les fai
saient connatre. L'coute des enregistrements conservs permet
trait sans doute de reconnatre la musique des films mentionns
dans les missions, mais la production locale instaurait une ins
tance d'nonciation fondant une subjectivit hybride plutt que
fonde uniquement sur le rapport l 'extrieur.
Le cinma radiophonique
L'tape ultime de ce processus a t ce qu'on pourrait appeler
le c inma rad iophonique : l 'adaptat ion cinm atogra phiqu e
des uvres de fiction les plus populaires de la radio. Aprs la
In te rmdia l i t ,
deixis
e t poli t ique
J J
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p r o d u c t i o n d u Pre Chopin (1944), scnaris par l 'auteur de
radio Jean Desprez, le financier Ren Germain a vite compris
com bien les u vres rad ioph on iqu es pou vaient tre rentables ;
aussi a-t-il requis les services du producteur de radio Paul
L'Anglais (Bonneville, p. 5). Trois des cinq films
Un homme et
sonpch (1949), Le Cur de village (1949), Sraphin (1950) ,
que ce dernier a dirigs t i tre de producteur de cinma, ont
donc t tirs du rpertoire radiophonique et ont t raliss par
ce vieux routier de la radio qu'tait Paul Gury. En outre, les trois
films ont t jous en grande partie par les comdiens qui avaient
popularis les personnages la radio: Hector Charland, Ovila
Lgar, Nicole Germain, etc. (Lever, p. 101), les voix de ces
comdiens ne pouvant manquer de rappeler aux specta teurs
qubcois les missions de radio o i ls les avaient d 'abord
entendues. Paul L'Anglais s est d'ailleurs plaint de cette distribu
t ion t ro p rad iop ho niq ue , le s com dien s ignora nt le j eu du
cinma (Bonnevil le , p. 9). L'Anglais a nanmoins produit en
1952 le Tit-Coq de Gratien Glinas, auteur qui avait acquis sa
renomme la radio grce son clbre personnage Fridolin
(Page, 1976, p. 81). Le cinma national contribuait ainsi singu
lariser et consolider par emprunt intermdiatique une culture
hybride largement fonde sur l 'adapta t ion, donc aussi sur le
dplacement de l'instance de validation des discours.
Mdias et territoires
Rappelant les hypothses de Derrida sur une graphie prc
dant toute oralit, Deleuze et Guattari supposent galement que
l a r e p r s e n t a t i o n t e r r i t o r i a l e e s t f a i t e d e d e u x l m e n t s
htrognes: voix et graphisme. L'apparit ion et l 'volution du
socius
pro vo qu ent [ . . . ] la grande tche du re foulement
germinal intense. Ce qui est refoul, en effet, c'est le corps plein
comme fond de la terre intense, qui doit faire place au socius en
extension dans lequel passent ou ne passent pas les intensits en
cause (1974, p. 241). Selon eux, l 'extension du social cre un
rgime de connotation o la chose elle-mme devient signe,
cause d'un graphisme connot la voix. Le dsquil ibre des
deux lments est rattrap par l 'il qui voit le mot [...] pour
autant qu'il value la douleur du graphisme (p. 241).
100 CiN eM AS vol. 10 n
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Ce traumatisme li au dveloppement de la graphie serait
aussi le corollaire de l'apparition et du dveloppement des Etats.
La pseu do-territorialit est le pro du it d'u ne effective dte rri-
torialisation qui substitue des signes abstraits aux signes de la
terre, et qui fait de la terre elle-mme une proprit d'Etat, ou
de sts plus r iches serviteurs et fonctionnaires (p. 232). La
machine despotique d 'Etat surcode les f lux terri toriaux, mais
ceux-c i chappent , re f luen t , se dcodent e t dborden t sur
d'autres territoires et dans d'autres canaux. Cette description de
la naissance du rapport entre le signe et l'Etat semble radicale,
mais elle est pourtant assez semblable celle des rapports entre
de nouveaux mdias. D'abord espaces vides o s'engouffrent les
flux dcods, ils sont rapidement encercls et quadrills par la
machine bureaucratique qui y impose le surcodage, mais ils ont
tout de mme constitu des territoires sauvages, des espaces
lisses affirment Deleuze et Guattari (1980), c 'est--dire des
lieux d'expression non encore soumis l'institution, lieux o se
sont prcipits les flux dcods avant que la machine despotique
n'en contrle toutes les entres.
L'observation permet galement de constater que la sphre
intermdiatique suscite la constitution de terri toires symboli
ques qui compensent la rduction de l 'espace social et politique.
La sphre intermdiatique pourrait donc tre envisage comme
un espace temporairement nomade o l 'apparit ion de nouveaux
mdias non encore arraisonns permettrait certaines commu
nauts d 'occuper un terrain symbolique leur chappant dans
l'espace go-politique. Le fantme de la vrit, loin d'tre un
spectre , serai t l ' instance indispensable suppose par Berren-
donner, et correspondrait aussi ce que Ducrot appelle poly
phonie: un point de vue qui parat s'imposer un certain ni
veau d 'analyse (1980, p . 38-42) . Au Qubec la communaut
francophone suscita ainsi un contexte de validation de son affir
mation culturelle en adaptant de nouveaux mdias non encore
institutionnaliss les rcits hgmoniques produits l'tranger.
L'intermdialit est certainement un phnomne contempo
rain, du moins sur son versant technologique, o les prolonge
ments matriels des sens provoquent une prolifration exponen
t ie l le e t une vir tual isat ion des espaces plur i topiques et des
Intermdialit
eixis
et politiq ue 101
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19/21
configurations dictiques. Cette prolifration peut fournir le
modle permettant d'explorer rebours les configurations ant
rieures, et ensuite par anticipation, celles qu'on peut projeter en
examinant la gnalogie ainsi retrace. Il en ressort que se dve
loppent concurremment deux sor tes de conf igurat ions dic
t iques : une st rate p lus englob ante do nt dpe nd la s t ruc ture
dominante des socits, et des strates infrieures qui ne s'y ratta
chent qu'pisodiquement, qui peuvent mme s'en dtacher ou y
rsister dans les cas o les intrts deviennent trop antagoniques.
Analyse selon ce modle, la nouvelle sphre intermdiatique
offre cer ta inement un terrain pour le dveloppement d 'une
oligarchie mondiale aux tentacules effrayantes. Elle laisse aussi
supposer l 'apparit ion d 'autres forces, d 'autres rseaux, et la
comprhension des rapports de forces dans ces rseaux ne peut
probablement plus tre appele faire la ligne, pas plus que faire
le point, et peut-tre ces expressions n'ont-elle jamais t appro
pries. Dj dans la prhistoire, quand les nomades ont com
menc occuper des territoires distants en effectuant des migra
tions saisonnires, il fallait peut-tre trouver une expression plus
adquate que faire la ligne, car il ne
s agit
plus seulement de la
mdiane entre deux plans, mais de plusieurs lignes reliant des
surfaces distantes. Peut-tre fallait-il dj parler de faire la trame,
ou mme de faire le net?
Universit Laval
N O T E S
1 C e t t e e x p re ss io n es t e m p r u n t e a u t i t r e d u p re m ie r c o l lo q u e d u C R I : La
nouvellesphre intermdiatique.
2 Voir ce sujet le livre de Gilles Deleuz e,
Nietzsche etlaphilosophie
(Paris: RU.R,
1983 , p . 44-82) .
3 Voir ce sujet not re thse de doc tora t, Le Bonimenteur et le cinma oral. Les vues
animes entre tradition et modernit (Montra l : Universi t de Montral , 1996).
4 Voir Gilles De leuze ,
Limage-temps
(Paris: Minuit , 1985, p . 203-245). Voir aussi
B r u n o A lc a la , P h i lo so p h e r a v ec le c in m a
:
Gi l le s D e leu ze , tem ps e t pense
(CinmAction, n 47 , 19 88, p . 79 84).
5 A n o n y m e , Une jo l ie so i re au Monument ,
La Presse,
8 octobre 1915, p . 2 .
6 A rm an d Lecla ire , Le conscrit Baptiste,Le P asse-temps, 8 septembre 1917.
7 A n o n y m e , Dans nos thtres. Alio Chat-Plin ,La Presse, 18 dcembre 1915.
102 CiN eM AS vol. 10 n
os
2-3
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20/21
8 Son vrai no m tait Loic Le Gu riade c. Il dirigea Un homm e et son pch en 1949
et
Sraphin
e n 1 9 5 0 , d e u x a d a p t a t i o n s d ' u n r o m a n s u cc s d e C l a u d e - H e n r i
Grignon. Il ralisa aussi en 1949 Le Cur de village.Voir ce sujet Pierre V ro nn ea u,
Cinma de l poque
duplessiste
(Montra l:Cin ma thque qubcoise , 1979) .
9 Au Qubec , ce tte phobie mena mme la produ ct ion d 'un f ilm, probab lemen t
inspi r par Hol lywood,
La D rogue fatale
( J . A. Ho m ier , 192 4) , pro du i t aprs la
prsentat ion Montral d 'un f i lm amricain int i tul La Pire Menace.
10 Le ma nusc r i t , conserv par la Bib l io thqu e na t io nale du Qu be c , po r te les
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