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LA COMPÉTENCE RÉCEPTIVE: UNE SOLUTION ÉVENTUELLE? par M. DEGRÈVE* Est bi- ou plurilingue l'individu qui est à même: IOde se faire compren- dre ET 2 0 de comprendre ce que les autres disent, dans deux ou plusieurs lan- gues. Il m'apparaît toutefois que certains termes de cet axiome, c'est-à-dire de cette hypothèse de travail, devraient être davantage commentés et explici- tés, ce qui permettrait de mieux cerner la problématique du «plurilinguisme». Il s'agit principalement du verbe «comprendre», qui apparaît à deux reprises dans la définition. On peut, en effet, concevoir un type de communication verbale fondée sur la seule «compétence réceptive», chez deux locuteurs, de la langue, dans chaque cas réciproquement «étrangère», pratiquée par chacun d'eux. Cette conception, envisagée par Louis Armand, et reprise par Paul Cornil sous la dénomination de «bilinguisme passif», est loin d'être purement théorique ni une simple vue de l'esprit: il s'agit d'un type de communication souvent uti- lisé, exclusivement ou simultanément avec une autre formule, au cours de réunions internationales. C'est aussi le type de communication que mon col- lègue Frans Van Passel et moi-même avons pu introduire dans certains milieux de l'Armée belge. Selon la définition, toujours citée, de William Bright, la sociolinguis- tique aurait pour but de «mettre en évidence le caractère systématique de * Université d'État à Gand et Université libre de Bruxelles (V.U.B). 59

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Page 1: LACOMPÉTENCE RÉCEPTIVE: UNESOLUTION ÉVENTUELLE?

LA COMPÉTENCE RÉCEPTIVE: UNE SOLUTION ÉVENTUELLE?

par

M. DEGRÈVE*

Est bi- ou plurilingue l'individu qui est à même: IOde se faire compren-dre ET 20 de comprendre ce que les autres disent, dans deux ou plusieurs lan-gues. Il m'apparaît toutefois que certains termes de cet axiome, c'est-à-direde cette hypothèse de travail, devraient être davantage commentés et explici-tés, ce qui permettrait de mieux cerner la problématique du «plurilinguisme».Il s'agit principalement du verbe «comprendre», qui apparaît à deux reprisesdans la définition.

On peut, en effet, concevoir un type de communication verbale fondéesur la seule «compétence réceptive», chez deux locuteurs, de la langue, danschaque cas réciproquement «étrangère», pratiquée par chacun d'eux. Cetteconception, envisagée par Louis Armand, et reprise par Paul Cornil sous ladénomination de «bilinguisme passif», est loin d'être purement théorique niune simple vue de l'esprit: il s'agit d'un type de communication souvent uti-lisé, exclusivement ou simultanément avec une autre formule, au cours deréunions internationales. C'est aussi le type de communication que mon col-lègue Frans Van Passel et moi-même avons pu introduire dans certainsmilieux de l'Armée belge.

Selon la définition, toujours citée, de William Bright, la sociolinguis-tique aurait pour but de «mettre en évidence le caractère systématique de

* Université d'État à Gand et Université libre de Bruxelles (V.U.B).

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la co-variance des structures linguistiques et sociales, et, éventuellement,d'établir une relation de cause à effetv'. Il s'ensuit que le bi - ou plurilin-guis me qui retient l'attention du sociolinguiste est moins celui des locu-teurs que celui de la situation dans laquelle se trouvent les locuteurs.

Les linguistes, au contraire, en présence du même phénomène debilinguisme ou de plurilinguisme ne considèrent en général la pratiquelangagière qu'au niveau du locuteur. Aussi bien, bon nombre de défini-tions «linguistiques» se rapportant à ce phénomène l'envisagent-ellesdans sa réalisation extrême, disons «parfaite». Pour Andréas von Weiss,par exemple, il s'agit de l'«unmittelbare aktive und passive Gebrauchzweier Sprachen durch einen Sprachtrâgerxê; pour Leonard Bloomfield,le bilinguisme est «the native-like control of two languagesxê, définitionque rejoint André Martinet pour qui, «dans l'usage ordinaire, est bilinguecelui qui est censé manier avec une égale aisance deux languesnationales»" tout comme le font O.S. Akhmanova, pour qui le bilin-guisme consiste en l'égale pratique de deux langues", R. Simeon qui consi-dère que le bilingue pratique deux langues avec une égale aisance', et L.Lâszlô pour qui l'individu bilingue ou plurilingue utilise indifféremmentdeux ou plusieurs langues".

Le moins qu'on puisse dire à propos de ces conceptions, c'est qu'ellesne trouvent que «peu d'applications pratiques» et qu'elles ne peuventconcerner qu'un «nombre extrêmement restreint d'individus»'.

La raison principale de l'extrême limitation du domaine d'applica-tion de toutes ces définitions réside dans le fait qu'elles ne retiennent quel'aspect linguistique du phénomène et qu'elles en négligent l'aspect social.Or, il est clair qu'on ne parviendra jamais à cerner la notion même de«bilinguisme» ou de «plurilinguisme» si l'on se limite à une appréhension

1 Sociolinguistics Papers of the VCLA, Conférence on Sociolinguistics, La Haye,Mouton, 1966. Citation selon la trad. fr. de J .-B. MARCELLESI, ds Langue française, n09(1971).

2 Hauptprobleme der Zweisprachigkeit, Eine Untersuchung auf Grund Deutsch-Estnischen Materials, Heidelberg, Carl Winter, 1959, p.20.

3 Language, Londres, Allen & Unwin, 1965, p.46.• Éléments de linguistique générale, 7<édit., Paris, Armand Colin, 1966, p. 147. Il est à

noter que Martinet ne précise pas ce qu'il entend par «langue nationale».5 «Slovar linguistisêeski terminov», Moscou, Sovietskaia Encyclopedia, 1966, p.152.6 Enciklopedijkski rjeënik linvistiêkin naziva, I, 2, Zagreb, Matica Hrvatska, 1969.7 «Ket-vagy tëblnyelvüség», ds E. FÜLEI-SzANT6, Modern nyelvoktatàs (Budapest,

TIT, 1965), 1.3, pp. 141-149.• Aspects sociolinguistiques du bilinguisme canadien, Québec, CIRB, 1976, publica-

tion B-59, p.l.

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exclusivement linguistique et si l'on persiste à ignorer que toute communi-cation se pratique dans un contexte donné, dans une «situation». Pour-tant, Georges Mounin avait bien insisté sur le fait que «la communemesure de toute langue en toute langue, et la seule certaine - le seul inva-riant - c'est la situations".

Pour la suite de mon propos, il ne semble pas essentiel d'analyser enprofondeur cette notion passablement complexe de «situation», termeauquel les linguistes préfèrent souvent celui de «contexte», lequel englobealors le contexte explicite ou linguistique, encore appelé «co-texte», et lecontexte implicite ou référent situationnel'", Ce qui, en revanche, estessentiel, c'est que la communication bilingue ou plurilingue se pratiquedans un contexte tout à fait particulier, dans une situation qui lui est pro-pre.

On sait assez qu'il n'y a pas de communication sans intention decommuniquer, c'est-à-dire d'entrer en relation. La «situations présup-pose donc la présence d'au moins deux individus qui désirent communi-quer. Or, le «contexte plurilingue» a ceci de particulier qu'il désigne lasituation d'individus qui, tout en n'ayant pas la même langue d'origine,peuvent quand même communiquer entre eux. Il s'ensuit qu'une nationou un pays où se parle plus d'une langue ne présente un «contexte pluri-lingue» que dans la mesure où il y a une réelle communication entre lesmembres des différentes communautés linguistiques. Si, toutefois, lacommunication bilingue s'établit dans un pays de ce genre, on ne parvien-dra jamais à une analyse pertinente du comportement langagier des indi-vidus sans que ce comportement soit directement rattaché aux situationssociales ou socio-culturelles où fonctionne la praxis bilingue ou plurilin-gue. Au demeurant, cette analyse sera facilitée par le fait que la pragmati-

9 Les problèmes théoriques de la traduction, 7< édit., Paris, Armand Colin, 1963,p.263.

10 À ce sujet, voy. e.a. Tatiana SLAMA-CAZACU, Langage et contexte, La Haye,Mouton, 1961;W.V. QUINE, «The Problem of Meaning in Linguistics», ds J.A. FODORet J.J. KATZ (éd.), The Structure of Language, New Jersey, Prentice Hall, 1964, pp. 21-22;Charles BALLY, Linguistique générale et linguistique française, Berne, Francke, 1965; Léo-nard BLOOMFIELD, Language (ouv. cité); J.R. FIRTH, «On Sociological Linguistics»,ds. D. Hymes (éd.), Language in Culture and Society, New York, Harper & Row, 1966, pp.66-70; Émile BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, 1, Paris, Gallimard, 1966;J.R. FIRTH, Selected Papers, p.p, F.R. PALMER, Londres, Longman, 1968; J. LYONS,Introduction to Theoretical Linguistics, Cambridge, University Press, 1969; R. KATICIC,Jezikoslovni egledi, Zagreb, Skolska Kniga, 1971; J. LYONS, Structural Semantics,Oxford, Blackwell, 1972; Bernard POTTIER (éd.), Le langage, Paris, Denoël, 1973, pp.486-487.

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que de la communication et la pragmatique linguistique ont, en privilé-giant l'étude de la «parole», favorisé la reprise du «principe situationnel»et mis en évidence le contexte de situation comme signe d'authenticité dela communication.

En m'opposant aux conceptions qui ne prétendent prendre en consi-dération que ce qu'on pourrait appeler le «bilinguisme parfait», j'ai, il y aplus de dix ans déjà, posé comme principe - ou, si l'on veut, commeaxiome, c'est-à-dire comme hypothèse de départ - qu'un individu estbilingue ou plurilingue dès qu'il est à même: 10 de se faire comprendreE'I"! 20 de comprendre ce que les autres disent, dans deux ou plusieurslanguesv, Si l'on s'en réfère à de récentes études dans le domaine de la lin-guistique appliquée", il semble bien que cette «définition» soit toujoursopérationnelle dans une stratégie d'éducation ou de formation.

Il m'apparaît toutefois, aujourd'hui, que certains termes de cetaxiome appellent, quelques commentaires, Et il n'est pas exclu que cesquelques commentaires permettraient de mieux cerner le problème du«plurilinguisme» .

Le verbe «comprendre», par exemple, est pour le moins ambigu. Si,dans le deuxième énoncé, «comprendre ce que les autres disent», le verbeimplique forcément une connaissance réceptive de la langue (étrangère)utilisée par l'interlocuteur, il n'en va pas nécessairement de même pou,r lesyntagme «se faire comprendre» du premier énoncé. Dans ce dernier cas,on peut envisager que le locuteur parle, lui aussi, sa propre langue qui est«comprise», comme langue étrangère, par l'interlocuteur. Autrement dit,on peut concevoir un type de communication verbale fondée sur la seulecompétence réceptive d'une langue étrangère donnée chez un individu xface aux compétences réceptive et active d'un individu y. On peut mêmealler plus loin et concevoir un type de communication verbale fondée surla seule compétence réceptive, chez deux locuteurs, de la langue, danschaque cas réciproquement «étrangère», pratiquée par chacun d'eux.

Si l'on représente schématiquement une conversation dite «bilingue»

11 Conjonction logique (p I\q) qui implique, - faut-il le rappeler? - que la proposition(complexe) est uniquement vraie si les deux énoncés (propositions simples) qui l'a compo-sent sont vrais l'un et l'autre.

12 Marcel DE GRÈVE et Frans VAN PASSEL, Linguistique et enseignement des lan-gues étrangères, 2" édit., Paris, Nathan et Bruxelles, Labor, 1973, p.121.

13 P.ex. Charles P. BOUTON, L'acquisition d'une langue étrangère: problèmes etméthodes, Paris, Klincksieck, 1974; Francisco GOMES DE MATOS, Lingüistica aplicadaao ensino de inglês, Sao Paulo, McGraw-HiII do Brasil, 1976; Eddy ROSSEEL, Réflexionssur le bilinguisme des enfants migrants en Europe, Gand, Faculteit Letteren en Wijsbe-geerte, 1979.

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normale, en désignant le sujet parlant, par S, l'émission par E, la récep-tion R, la langue en général par L, les deux langues particulières par a etb, on obtient:

(1) Sx (a) < E (La) -R(La) > Sy (b)Sy (b) < E (La) -R(La) > Sx (a)Sx (a) < E (La) -R(La) > Sy (b)Sy (b) < E (La) -R(La) > Sx (a)

On le voit: la langue maternelle d'un des deux interlocuteurs, soit x(a),sert de véhicule unique à la communication. Ce qui signifie que seul y pra-tique le bilinguisme. Ce qui signifie surtout que parler dans ce cas de«bilinguisme des individus» est passablement fallacieux. Or, faut-il direque c'est exactement ce type de communication qui est en général prati-qué dans un prétendu «contexte plurilingue»? ..

On peut évidemment envisager théoriquement le schéma suivant:

(II) Sx (a) < E (Lb) -R(Lb) > Sy (h)Sy (b) < E (La) -R(La) > Sx (a)Sx (a) < E (Lb) -R(Lb) > Sy (b)Sy (b) < E (La) -R(La) > Sx (a)

Dans ce cas, chacun des interlocuteurs parlerait donc la langue de l'autre,de sorte que l'on aurait affaire à un véritable bilinguisme bi-univoque.Mais il est clair que pareille «pratique bilingue» ne serait qu'un jeu.

En revanche, le schéma suivant est souvent pratiqué:

(III) Sx (a) < E (Lc) -R (Lc) > Sy (b)Sy (b) < E (Lc) _R (Lc) > Sx (a)Sx (a) < E (Lc) -R (Lc) > Sy (b)

Ici, une langue étrangère aux deux interlocuteurs sert de véhicule de lacommunication. Mais est-ce vraiment ce que l'on envisage lorsqu'onparle de «bilinguisme» ou de «contexte plurilingue»?

On peut toutefois combiner le type de conversation 1 au type II. Onobtient alors:

(IV) Sx (a) < E (La) _R (La) > Sy (b)Sy (b) < E (Lb)--R (Lb) > Sx (a)Sx (a) < E (La) --R (La) > Sy (b)Sy (b) < E (Lb)--R (Lb) > Sx (a)

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Dans ce cas - et uniquement dans ce cas, d'ailleurs - chacun des interlocu-teurs pratique effectivement le bilinguisme, fût-ce seulement en «compre-nant» l'autre, c'est-à-dire de façon réceptive.

Or, il ne s'agit pas ici d'une conception purement théorique, ni d'unesimple vue de l'esprit. Dans le journal Le Monde des 16 et 30 septembre1966, l'ingénieur français Louis Armand, qui fut pendant un an présidentde l'Euratom à Bruxelles, évoquaë la pratique de ce qu'il appela le «bilin-guisme passif» dans divers milieux et suggéra ce type de communicationafin d'atténuer les oppositions linguistiques en Belgique. Marcel Homès,alors recteur de l'Université libre de Bruxelles, reprit l'idée sur-le-champet préconisa, à la séance de rentrée, le recours à ce moyen de communica-tion pour assurer, sur une base considérée comme solide, la coexistencedes langues au sein d'une université devenue bilingue. L'appel du recteurHomès fut entendu. Dès avril 1967, un groupe de concertation formé dedix anciens étudiants de la Faculté de droit et animé par Paul Cornil, pro-fesseur à cette Faculté, publia un plaidoyer (bilingue: français-néerlandais) en faveur du bilinguisme passif dans le Bulletin de l' «Asso-ciation des anciens étudiants de la Faculté de droit de l'Université libre deBruxelless ". On y lit la définition suivante: «Le bilinguisme passifimpli-que la compréhension de la seconde langue, parlée ou écrite. Celui quipossède cette connaissance lit couramment un texte et comprend sans dif-ficulté un exposé fait dans la seconde langue. Il s'exprime cependant danssa langue usuelle qui est supposée connue de ses auditeurse é. Reprenantl'image utilisée par Louis Armand, selon qui ce moyen de communication«crée un climat de réciprocité un peu dans l'esprit que symbolise la poi-gnée de mains», les auteurs du manifeste mirent en évidence les bénéficesqu'ils accordèrent à ce système, considérant plus particulièrement qu'«ilprocure aux interlocuteurs non seulement un avantage intellectuel, puis-que chacun peut s'exprimer dans la langue qu'il maîtrise le mieux, maisaussi un avantage sentimental, puisqu'il n'oblige pas (... ) à faire abandonde sa personnalité linguistique»!'. En résumé: l'objectif consiste à obtenirque chacun puisse s'exprimer dans sa langue et que les interlocuteurssoient à même de comprendre.

Considérant, lui aussi, que la question peut être débattue de savoir si

14 Dans un interview accordée à Babette Rolin.15 N°340: Le bilinguisme passif et son utilisation en Belgique. Passieve tweetaligheid en

toepassing daarvan in België, Tiré-à-part, Bruxelles, A.D. Br., 1967.16 P.5.17 Ibid. Voy. aussi Paul CORNIL, «Bilinguisme passif», ds Le Soir, 28 décembre 1979,

pp. 1 et 6.

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la maîtrise de la langue étrangère ou seconde devrait «concerner aussibien la phase réceptive que productive ou la phase réceptive seulement»,Renzo Titone précise immédiatement que ce qu'il appelle «le savoir reçu»d'une seconde langue lui paraît «suffisant, bien qu'étape limitée et provi-soire, pour un entendement memationab-".

Il est à remarquer, ou à rappeler, que ce type de communication ver-bale se pratique communément et spontanément à un niveau interdialec-tal, là où les dialectes sont encore vivaces - c'est-à-dire dans presque tousles pays, excepté en France. En Flandre, par exemple, un Gantois et unAnversois, lorsqu'ils ne font pas appel à la langue de civilisation généralequ'est le néerlandais, communiquent parfaitement entre eux en utilisantchacun son propre dialecte, l'un et l'autre étant incapables de parler lalangue" de l'interlocuteur. Il en est de même en Italie, en Suisse - surtoutdans le domaine des parlers alémaniques" - en Allemagne, etc ... Ce modede communication se pratique d'ailleurs également entre locuteurs scandi-naves: on sait assez que Norvégiens, Danois et Suédois conversent volon-tiers ensemble en parlant chacun sa propre langue (type IV). Bienentendu, il s'agit ici chaque fois de langues ou, si l'on veut, de parlersappartenant à la même famille linguistique, c'est-à-dire ayant un tronccommun, ce qui réduit très sensiblement les difficultés de compréhension.Il n'en demeure pas moins que la pratique usuelle de la compétence récep-tive au niveau dialectal montre que les objections psychologiques oupsycholinguistiques éventuelles à ce type de communication se révèlentbien moins déterminantes et absolues qu'on pourrait le croire.

Mais faut-il vraiment insister sur le fait que le type de communica-tion verbale fondée sur la seule compétence réceptive est souvent utilisé,exclusivement ou simultanément avec une autre formule", au cours deréunions internationales? Quiconque a participé à des réunions de travailà l'O.N.U., à l'Unesco, au Conseil de l'Europe, à la Commission desCommunauté européennes ou à l'AIMA V ne sait que trop bien que bonnombre de dialogues entre experts se déroulent de cette façon". D'autre

a L'enseignement d'une seconde langue en milieu plurilingue/multiculturel, Publica-tion à distribution limitée de l'Unesco (ED-77/CONF. 613/6, août 1977), p.35.

19 Comme j'emploie ici le terme de «langue» dans le sens de système de signes propre àune communauté humaine donnée; il est clair qu'à la suite d'André Martinet (Éléments delinguistique générale, Paris, Colin, 1960) je distingue dialecte et patois.

20 Il y en a une douzaine.21 P. ex. le type Ill, ci-dessus.22 Il va sans dire que la traduction (interprétation), simultanée ou consécutive, ne s'ins-

crit pas dans ce schéma.

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part, qui de nous n'a pas pratiqué ce type de communication dans un dia-logue avec un collègue étranger, principalement lorsqu'il s'agissait dedébattre de problèmes scientifiquesêê?

Ce que l'on sait moins, ou ce dont on se rend moins bien compte,c'est que ce type de communication est tout aussi souvent utilisé à l'inté-rieur même de nations plurilingues. L'exemple de la Suisse peut de nou-veau être retenu, dans la mesure où, dans les commissions mixtes officiel-les, chacun s'exprime dans sa langue et est assuré d'être compris; il en vade même dans les assemblées parlementaires fédérales ou cantonales bilin-gues ou trilingues", Et ce n'est pas ici, à Bruxelles, que je devrai insistersur le fait que la même chose se produit au Parlement belge...

Qu'on me permette de rappeler encore, à cet égard, que c'est ce typede communication que mon collègue Frans Van Passel et moi-mêmeavons pu introduire dans certains milieux de l'Armée belge, plus particu-lièrement dans les mess d'officiers.

Tous ces exemples montrent, me semble-t-il, à suffisance que le typede communication verbale fondée sur la compétence réceptive de chaqueinterlocuteur (type IV) correspond, dans bien des cas, à un authentiquebesoin. Au point que l'on peut se demander si, de ce point de vue égale-ment, il n'est pas grand temps de revoir et de rectifier sensiblement lafameuse notion de «besoins langagiers» à laquelle, ces derniers temps, onse réfère si volontiers lorsqu'il s'agit d'enseignement de langues". Dans latentative de spécifier les besoins langagiers des individus et d'en établirune typologie, l'attention a été principalement, sinon exclusivement, rete-nue par les «unités» de communication, de sorte que c'est le «contenu»linguistique - chaque fois, il est vrai, dans une situation donnée - qui aconstitué l'objet unique de la recherche. Or, après ce qui précède, il nesera certainement pas exagéré de dire que, parmi les «besoins langagiers»,il convient d'envisager également le «mode» ou le type de communica-tion. Certes, le caractère fondamental du modèle proposé par l'équipe qui

23 J'ai personnellement, pendant deux jours, pratiqué ce type de communication aucours d'une réunion de travail avec un collègue du Goethe Institut à Munich.

24 Ce qui n'empêche évidemment pas que parfois une séance ait lieu tout entière en uneseule langue. Voy. à ce sujet Jean-Bernard LANG, Problèmes posés en Suisse par l'ensei-gnement des langues.

25 Voy. à ce sujet René RICHTERICH, Définition des besoins langagiers et types adul-tes, Strasbourg, Conseil de l'Europe, 1973 et «L'identification des besoins et la définitiondes objectifs» ds Jean-Pierre VAN DETH et Jean PUYO (éd.), Langues et coopérationeuropéenne, Paris, CIREEL, 1980, pp. 133-136.

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a élaboré le Niveau-Seuiï"; et qui tente à spécifier l'aptitude à la langueétrangère comme une compétence plutôt que comme une connaissance,garde ici toute son importance. Mais de ne considérer que la «compétencecommunicative» réduit fâcheusement le caractère opérationnel dumodèle. Bien entendu, ce n'est pas ici même qu'il y a lieu d'entamer uneanalyse critique approfondie du Niveau-Seuii",

Reprenons donc l'analyse de la «compétence réceptive», et voyonsquelles peuvent en être les fonctions dans la pratique langagière.

On pourrait considérer comme compétence réceptive la «connais-sance» que l'on a en Europe du latin et/ou du grec classique, du sanskriten Inde. Toutefois, cette connaissance considérée comme suffisante a,depuis longtemps, cessé d'être un moyen de communication: sa fonctionest simplement «auxiliaire», de sorte qu'elle sort du problème envisagé.D'ailleurs, même à l'époque où le sanskrit ou le latin pouvaient servir demoyen de communication, il s'agissait d'un type correspondant à monschéma III auquel la notion de bilinguisme n'est pas applicable.

La fonction authentiquement bilingue ou plurilingue de la compé-tence réceptive peut être considérée comme une fonction «supplémen-taire» à la pratique considérée comme normale d'une langue étrangère,c'est-à-dire à la pratique «activea".

La compétence réceptive apparaît toutefois comme pouvant avoirune fonction «complémentaire», dans la mesure où elle peut également,et dans le même temps, être utilisée comme un stade menant à la compé-tence communicative, comme intervenant pour une large part dansl'acquisition de la performance dans l'acte de parole en langue étrangère.Déjà les auteurs du Bilinguisme passif ne manquaient pas de signaler que«l'acquisition d'un bilinguisme passif peut constituer, pour ceux qui ledésirent, une étape en vue de l'acquisition d'un bilinguisme actif»29. Lesexpériences audiométriques ont, d'autre part, montré à quel point la pho-nation dépend (objectivement) de l'audition, et que la compétence récep-tive mène, avec plus de facilité, à la «compétence perceptive». On ne sait

26 Daniel COSTE, e.a., Systèmes d'apprentissage des langues vivantes par les adultes.Un niveau-seuil, Strasbourg, Conseil de l'Europe, 1976. Voy. aussi J.A. VAN EK, TheThreshold Level for Modern Language Learning in Schools, Strasbourg, Conseil del'Europe, 1976.

27 Voy. à ce sujet Marcel DE GRÈVE, «Perspectives d'avenir en linguistiqueappliquée», ds Bulletin de /'ACLA, 1979, pp. 143-161.

28 De ce point de vue, mais de ce point de vue seulement, la dénomination «bilinguismepassif» est justifiée.

29 Voir supra note 5.67

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que trop bien, en effet - mais peut-être ne s'en souvient-on pas suffisam-ment - que dans le processus de l'apprentissage d'une langue, la connais-sance passive précède toujours la connaissance active. C'est ainsi, parexemple, qu'un phonème ou un groupe phonémique ne peut être«émis» correctement sans avoir été préalablement «reçu» correctement.Même le principe sacro-saint - mais pas nécessairement convaincant danstous les cas - de la «priorité de l'oral» n'y échappe pas: l'écoute précèdenécessairement l'oral.

À cet égard, il est à remarquer que, tout à fait indépendamment desquelques timides recherches que j'aie pu faire personnellement, d'autreslinguistes «appliqués», américains surtout, sont arrivés aux mêmes con-clusions en faveur de ce qu'ils appellent la «comprehension-orientedforeign language instructionaê'', En Grande-Bretagne, H.K. Lewenhakpoursuit, au sein de la «Response Language Learning Foundation» del'Université de Birgrningharn, des recherches dans la même direction, enenvisageant principalement l'utilisation de la télévision à circuit fermé etde la vidéo. Enfin, de expériences sont actuellement en cours à l'Institutde langues Yâzigi, de Sâo Paulo, en collaboration avec l'Université Cor-

30 Voy. p.ex. E. LENNEBERG, Understanding Language Without Ability to Speak: ACase Report, ds Journal of Abnormal and Social Psychology, n065 (1962), pp. 419-425; R.GAUTHIER, Tan-Gau, A Natural Method for Leaning a Second Language, ds Education,t.4 (1963), n05, pp. 33-36; James ASHER, The Total Physical Response Approach toSecond Language Learning, ds The Modern Language Journal, n° 53 (1969), pp. 3-17; H.WINITZ et J. REEDS, Rapid Acquisition of a Foreign Language (German) by the Avoi-dance of Speaking, ds International Review of Applied Linguistics, t.11 (1973), n04, pp.295-317; Valerian POSTOVSKY, On Paradoxes in Foreign Language Teaching, ds TheModern Language Journal, n059 (1975), pp. 18-21; J. REEDS, H. WINITZet P. GARCIA,A Test of Reading Following Comprehension Training, ds International Review of AppliedLinguistics, t.15 (1977), n04, pp. 307-319; J. SWAFFER et M. WOODRUFF, Language forComprehension: Focus on Reading. A Report on the University of Texas German Program,ds The Modern Language Journal, n062 (1978), pp. 27-32; Judith O. GARY, Why Speak ifyou Don't Need to? The Case for a Listening Approach to Beginning Foreign LanguageLearning, ds W. RITCHIE (éd.), Second Language Acquisition Research: Issues and Impli-cations (New York, Academie Press, 1978); James ASHER, Learning Another LanguageThrough Actions. The Complete Teacher's Guidebook (Los Gatos, Sky Oaks Productions,1979); Nermine FAHMI, An Investigation of the Effectiveness of Extensive Listening andReading Practice on Students' Ability to Read English (Thèse présentée à l'Université amé-ricaine du Caire, 1979); Judith O. GARY et Norman GARY, Comprehension-OrientedForeign Language Instruction. An Overview, ds The Linguistic Reporter, vol.23 (1980),n03, pp. 4-5 (article auquel les références précédentes ont été empruntées); Id., Caution:Talking May Be Dangerous to your Linguistic Health! The Case for a Much GreaterEmphasis on Listening Comprehension in Foreign Language Instruction, à paraîtreds Internation Review of Applied Linguistics.

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nell, à Ithaca, dans le but d'étudier l'utilisation de la vidéo-cassette enpartie également pour l'acquisition de la compétence réceptive".

Il va sans dire que si l'intérêt de la compétence réceptive étaitreconnu, si ce type de communication pouvait constituer une solution enfonction de la structure d'une société plurilingue, il faudrait sans tarders'engager dans des études sérieuses et pluridisciplinaires permettant:1° de déterminer les caractéristiques linguistiques, psycholinguistiques,etc. de ce type de communication verbale; 2° de préciser son statut fonc-tionnel dans une société globale; 3° d'élaborer une méthodologie spécifi-que qui conduise à son acquisition tout en ouvrant la voie vers une com-pétence communicative.

Je m'en tiendrai, pour terminer, à ce troisième point, c'est-à-dire àquelques considérations d'ordre méthodologique.

Une stratégie d'acquisition du «bilinguisme passif» fut déjà envisa-gée par Louis Armand et par Paul Cornil. Elle était, forcément, élémen-taire: «L'accent doit être mis sur la version et non sur le thème (... ).L'écoute de la radio et la lecture dans la seconde langue suffisent déjàpour entretenir et parfaire la connaissance passive d'une langue.x"Aucune indication, en fait, sur l'acquisition proprement dite de cette con-naissance passive d'une langue. Ce dont les auteurs du manifeste étaientd'ailleurs bien conscients: constatant qu'«il ne semble pas qu'il existejusqu'à présent une méthode d'enseignement systématique» du bilin-guisme passif, ils appellent de leurs vœux la mise sur pied, avec l'aide despécialistes, d'«une méthode nouvelle d'enseignement plus facile et plusrapidement assimilable, répondant aux exigences moindres du bilin-guisme passif»33.Même si l'on peut considérer que les auteurs de ce mani-feste s'illusionnent quelque peu sur la facilité à confectionner une«méthode nouvelle», même si certaines de leurs prémisses mériteraientd'être davantage étayées, il semble néanmoins que l'on puisse souscrire àleur souhait et envisager un ensemble cohérent de recherches menées avecrigueur.

11 Deux colloques de l'AIMAV sont envisagés, l'un en 1982 à Ithaca (UniversitéCornell) , l'autre en 1983 à Tokyo, sur la composante culturelle dans l'utilisation de la vidéo-cassette dans l'enseignement des langues: la compétence réceptive y sera également prise enconsidération.

32 Voir supra, note 5.33 Ibid.

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Ce sera évidemment moins sur le contenu de l'enseignement quedevrait s'effectuer cette recherche", que sur la stratégie d'enseignement,qui se rattache à la planification, et sur les tactiques d'enseignement, quise rattachent à l'action planifiée".

Depuis une vingtaine d'années, depuis l'influence des méthodesaudio-visuelles sur la méthodologie de l'enseignement des langues étran-gères, les niveaux de maîtrise d'une langue sont généralement considéréscomme suit: un premier niveau, ou niveau d'initiation, a comme objectifun apprentissage pratique, la prééminence étant, comme je l'ai dit, accor-dée à la pratique orale, ainsi qu'à l'assimilation de la grammaire et dulexique de base; un niveau intermédiaire tend à compléter la compétencegrammaticale et à développer un vocabulaire général, la lecture pouvantdevenir une pratique dominante; au niveau avancé le langage écrit (litté-raire ou technique) devient l'objet majeur de l'apprentissage, le travailoral n'étant toutefois jamais totalement abandonné. À partir de cettestratégie d'apprentissage, les programmes didactiques ont abandonné lavoie analytique et rationnelle menant à la connaissance formelle de lalangue-cible" pour suivre la voie, de type à la fois cognitif et opération-nel, permettant un apprentissage fonctionnel de la compétence àcommuniquer".

Eu égard au fait que la communication bilingue ou plurilingue peutégalement s'effectuer par l'intermédiaire de la compétence réceptive dechacun, c'est-à-dire à l'aide de la langue usuelle de chaque locuteur, ilconviendrait d'examiner dans quelle mesure il faudrait soit remplacer cestrois niveaux de l'apprentissage par d'autres, soit modifier et adapter cestrois niveaux, soit en adapter un seul, par exemple le premier.

Sans que l'on puisse préjuger de l'orientation que prendra la recher-che à effectuer ou qu'imposeront les expériences à réaliser, il semble tout

34 Encore que la quantification du contenu, en fonction d'une praxis particulière et spé-cifique, ainsi que la sélection, l'alternance graduée, la présentation et la répétition des élé-ments de langage (voy. W.F. MACKEY, Language Teaching Analysis, Londres, Longman,1965) semblent devoir être également envisagées.

35 Cette recherche pourra avantageusement s'inspirer du «modèle intégré» proposé parErnesto ZIERER (Un modelo integral para la didàctica de los idiomas extranjeros, Trujillo,Universidad Nacional, 1973).

36 Héritier de la grammaire latine, pareil programme a comme objectifs principaux lacompréhension et la mémorisation des règles grammaticales, de paradigmes et des syntag-mes. Dans la pratique, la traduction (thème et version) y est considérée comme l'exercice leplus efficace.

37 Un programme de ce type est assimilé au processus psychologique d'acquisition de lacompétence linguistique fondamentale (comprendre-s-parler -lire _écrire) dans un con-texte situationnel de communication réelle.

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de même qu'on puisse entrevoir certaines caractéristiques et poser cer-tains jalons.

Il est clair que ce sont, sinon exclusivement, tout de même principale-ment les procédés de réception, voire de «perception», qu'il conviendrade développer, c'est-à-dire les procédés qui peuvent mener l'apprenant àune compréhension de la signification globale d'un segment quelconquede la langue-cible, segment pouvant être utilisé comme moule fondamen-tal de contenu et de forme. Selon les besoins de l'apprenant et/ou de laméthode, ces procédés pourront faire appel à des dialogues, à des descrip-tions ou à des récits. Et peut-être conviendra-t-il de limiter, sinond'exclure, les procédés analytiqes.

Est-ce à dire qu'il faudra revenir à l'approche formelle de la langue-cible? Ou, plus spécialement, à l'approche informative, selon l'expressionde I. Morris:", qui tend à transmet!re la connaissance de la langue oul'information sur la langue sans assurer la maîtrise pratique de la langue?Ce n'est pas exclu. Encore qu'il faille tenir compte du fait que compren-dre un interlocuteur implique une compétence, fat-elle seulement récep-tive, ce qui correspond également à une certaine maîtrise pratique.

Peut-être faudra-t-il se rappeler aussi la méthode directe graduéed'I.A. Richards, conçue selon une gradation qui tient compte des énoncésdans la situation qui leur confère leur signification et dont l'intelligibilitéest le principal critère".

Quoi qu'il en soit, la communication directe se faisant normalementpar la parole, ici aussi l'objectif consistera à amener, de façon fonction-nelle, l'apprenant au contact avec le langage oral. Le problème capitalposé à la compétence réceptive est, en effet, non seulement celui du déco-dage de la langue parlée, mais surtout celui du décodage d'un discoursoral particulier. i.

Aussi bien, si, jusqu'à présent, les exercices d'audition et de compré-hensiorr'? ont toujours été pratiqués en fonction del'acquisition d'unecompétence et d'une performance menant à la «parole» (langue parlée etlangue écrite), il conviendra, en vue des nouveaux objectifs, de les inté-grer dans un ensemble structuré en fonction de l'acquisition d'une prati-que active, se suffisant momentanément à elle-même, de la compétence

le The Teaching of English as a Second Language, Londres, Macmillan, 1950.li Voy. I.A. RICHARDS & C.M. GIBSON, Learning the English Language, New

York, Houghton Mifflin, 1943et I.A. RICHARDS, The New Approach ta the Teaching ofLanguage Skiffs Developed by «Language Research», Inc., at Harvard University, NewYork, Seminar Films, 1952.

40 Les fameuses «listening-comprehension activities».

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réceptive. Dans cette optique, pour le travail individuel ou en groupe, onpourra envisager de combiner les média de communication, tels la radioou la télévision, avec des programmes pré-établis pour un emploi spécifi-que dans l'apprentissage des langues ou avec des programmes d'intérêtgénéral. Ces techniques pourront être complétées par des terminaux con-nectés à un ordinateur central pouvant soit communiquer un programmedemandé, soit guider et évaluer l'apprenant individuel". Aussi trouvera-t-on dans cette nouvelle stratégie d'apprentissage une utilisation plus adé-quate de l'enseignement programmé, linéaire ou ramifié, avec l'aide demanuels programmés ou de machines à enseigner.

Apparemment, ce processus d'apprentissage devrait être plus aisé et,partant, plus rapide, puisque des trois activités spécifiques signifiantes del'apprentissage: cognition, pratique, maîtrise, seule la première doit, ici,être envisagée. Et du fait même qu'elle deviendra autonome, elle n'endeviendra que plus dynamique, c'est-à-dire plus active.

Reste un problème, et non des moindres. Il s'agit de la nécessitéd'une prise de conscience par chaque locuteur pratiquant la communica-tion bilingue de la spécificité de ce mode de communication.

Il importe, en effet, de rendre les locuteurs conscients du fait queparler sa propre langue à des interlocuteurs dont cette langue est égale-ment le premier outil d'expression représente un type de communicationtrès différent que d'utiliser cette langue avec des interlocuteurs pour les-quels elle n'est pas la première. Lorsque le locuteur ne tient pas compte decette évidence, la communication risque fort d'être bloquée. C'est ainsique les Suisses romands «froncent les sourcils», comme dit Jean-BernardLang", quand les Alémaniques glissent, d'ailleurs souvent sans s'en aper-cevoir, du Schriftdeutsch vers leur dialecte. De même, en Belgique, lesfrancophones se découragent lorsque leurs interlocuteurs flamands utili-sent une variante de néerlandais qui apparaît comme très éloignée dunéerlandais standard enseigné à l'école et qui, dès lors, devient incompré-hensible.

41 Bien entendu, il faudra alors aussi répéter la mise en garde que j'ai lancée à plusieursreprises, ensemble avec d'autres didacticiens de l'audio-visuel, et rappeler que les techni-ques, quelles qu'elles soient, n'ont en elles-mêmes aucune valeur pédagogique ni didactique,autrement dit que la grande illusion, c'est-à-dire l'illusion la plus dangereuse, consiste àaccepter l'emploi de techniques nouvelles comme une panacée: méthodes et techniques nesont guère que des moyens pour parvenir le plus efficacement possible et, éventuellement, leplus rapidement possible aux objectifs de l'apprentissage. Voy. à ce sujet Marcel DEGRÈVE, L'utilisation des moyens techniques audio-visuels dans l'enseignement des lan-gues: problèmes de méthode, Paris, Unesco, 1975.

42 Art. cité.

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Mais ce phénomène de rupture de communication ne se produit passeulement à la suite d'un passage vers un niveau dialectal: il apparaît aussilorsqu'un locuteur natif parle sa langue en ne tenant aucun compte de lacompétence limitée de son interlocuteur dans cette langue qui lui estétrangère. Dans les deux cas, la fonction de la langue que Karl Bühlernomme la «fonction d'appel»:" - et qui consiste à établir et à maintenir lecontact avec l'interlocuteur - fait défaut.

Cette prise de conscience du rôle et de la responsabilité du locuteurdans l'établissement d'une relation de communication réelle ne peut querésulter d'une prise en considération de ce problème par la didactique deslangues. Et pas seulement, d'ailleurs, de la didactique des langues étran-gères: eu égard au fait que la langue dite maternelle ne sert pas unique-ment à la communication entre locuteurs autochtones, il revient aussi, etpeut-être principalement, aux maîtres de langue maternelle de se préoccu-per de cette finalité de leur enseignement. Il faudra donc réexaminer,c'est-à-dire analyser et étudier, les objectifs imposés à l'enseignement dela langue première et de la ou des langue(s) seconde(s) en fonction de lasituation particulière dans laquelle se situe la praxis communicative bilin-gue ou plurilingue. C'est assez dire que, dans ce domaine aussi, desrecherches et des études s'imposent avec une certaine acuité.

Bien évidemment, cette exigence n'est pas uniquement réservée à lapratique de la compétence réceptive. Ce type de communication toute-fois, par le seul fait que l'interlocuteur aura une maîtrise forcément pluslimitée de la langue du locuteur, risque fort de la rendre plus impérative.A moins que, les deux interlocuteurs se situant à un même niveau, il y aitd'emblée une reconnaissnce plus effective du statut de l'«autre» ...

De toute façon, il est clair qu'une fois de plus la «situation» danslaquelle se manifeste le bilinguisme ou le plurilinguisme doit être prise enconsidération.

En conclusion: peut-on, dès à présent, considérer la compétenceréceptive comme une solution à certains problèmes que l'on observe dansune société plurilingue? Après ce qui précède, il me semble évident qu'ilest prématuré de supprimer le point d'interrogation de mon titre. Mais ilest non moins évident que ce type de communication mérite d'être pristrès sérieusement en considération, tant pour des raisons de stabilisationsociale que pour des raisons méthodologiques. Et que des recherches dansce domaine s'imposent.

4l Sprachtheorie. Die Darsteltungsfunktion der Sprache, 2' édit., Stuttgart, 1965.

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SOMMAIRE

Social Compass, Vol. XXIX, 1982/2

A PROPOS DE LA THÉORIE DU CHARISME

ARTICLES

Jean SÉGUYCharisme, sacerdoce. fondation: autour de L.G. de Monfort

Roy WALLISThe Social Construction of Charisma

Daniele LÉGERCharisma, Utopia and Communal Lite . The Case of Neorural Apo-calyptic Communes in France

Jean BAUBÉROTNathan Sodcrblom: unréformateur religieux?

Guy-Olivier FAURECharisme et réforme sociale en Inde