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Ministère de la Justice Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse Anne DOUËTTE Promotion 2009 / 2011 L'adhésion dans le travail éducatif : « De l'injonction judiciaire à la volonté de s'émanciper » Sous la direction de Myriam Fabre, Docteur en Droit Privé, IRTS Parmentier Paris XI Mémoire de titularisation aux fonctions d’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse Master I- Mention Sciences de L’Education et de la Société Spécialité « Travail éducatif et sociale » UFR Sciences de l’éducation – Université Lille 3 Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse Pôle Territorial de formation Ile de France

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Ministère de la JusticeDirection de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

Anne DOUËTTE Promotion 2009 / 2011

L'adhésion dans le travail éducatif :« De l'injonction judiciaire à la volonté de s'émanciper »

Sous la direction de Myriam Fabre, Docteur en Droit Privé, IRTS Parmentier Paris XI

Mémoire de titularisation aux fonctions d’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

Master I- Mention Sciences de L’Education et de la SociétéSpécialité « Travail éducatif et sociale »

UFR Sciences de l’éducation – Université Lille 3

Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunessePôle Territorial de formation Ile de France

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A Mehdi, Yassine, Mousshine et William, en espérant que votre soif de liberté

vous donne un jour des ailes...

REMERCIEMENTS

à Myriam Fabre, merci pour votre « prise en charge », aucun problème

d'adhésion, (malgré la contrainte du cadre parfois, difficile à tenir ...) !

Merci à mes anciens collègues et amis me rappelant chaque jour de quel milieu

professionnel je viens. Merci à tous les jeunes nantais que j'ai pu rencontrer dans ces vies

antérieures à l'éducation nationale et dans divers milieux associatifs consacrés à la

jeunesse; ce sont eux qui m'ont donné envie de faire ce métier et qui m'ont portée tout au

long de la formation.

Merci à tous ceux qui m'ont aidée de près ou de loin pour ce mémoire ;

merci aux collègues et amis du 93,

merci aux collègues et amis de la promotion 2009/2011,

merci aux amis et à la famille, et plus particulièrement, je remercie Marina et Fabrice.

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« Si l'éducateur sait ce qu'il faut faire pour autrui et propose une solution que la

personne en difficulté ne peut refuser, cette proposition se transforme en imposition. Cela

induit chez l'autre une place de dominé, d'assisté, ou une attitude de refus mis en acte qui

conduit à la rupture (…) Si à l'inverse, renonçant à l'illusion d'un pouvoir de changer

autrui, l'éducateur interroge les possibilités et les ressources de la personne, celle ci, à

partir de la reconnaissance de ses points d'appui et de sécurité, peut alors dévoiler ses

points de fragilité, se projeter dans l'avenir et organiser ses actes.1 »

1 J.Bricaud et J.Marpeau, « Mineurs étrangers isolés : à l'épreuve du soupçon » Champ du social, Paris , 2005, p.109

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Table des matières

Introduction ........................................................................................................................1

Partie I : Le travail éducatif, impossible sans adhésion ?..................................................101) Les facteurs sociologiques de la non adhésion.........................................................10

1.1) Le stigmate........................................................................................................11 1.2) Une culture stigmatisée élevée en emblème....................................................14 1.3) La vie des jeunes des cités et la conscience de classe....................................16

1.4) Phénomène de bandes et déviance dans la culture délinquante.......................17 1.5) L'acquisition du « capital guerrier ».................................................................19

2) Les facteurs psychologiques de la non adhésion......................................................21 2.1) Les résistances et mécanismes de défense en psychanalyse............................21 2.2 ) relation éducative et transfert..........................................................................22 2.3) La demande inconsciente.................................................................................24 2.4) La tendance antisociale ...................................................................................26 2.5) le conflit psychique..........................................................................................29

3) La prise en compte de ses freins dans le travail éducatif.........................................31 3.1) comment se positionne l'équipe éducative dans cette « non adhésion »?........31 3.2) Dans quelles mesures ces freins empêchent ils le travail éducatif?.................35

Partie II : L'adhésion, finalité possible du travail éducatif ?.............................................39 1) Le cadre judiciaire, l'injonction d'effectuer un travail éducatif...............................40

1.1) Le travail en lien avec le Juge des Enfants......................................................40 1.2) le sens de la sanction........................................................................................42

2) la relation éducative dans un temps judiciaire ........................................................45 2.1) L'adhésion à échéance......................................................................................46 2.2) La préparation du jugement.............................................................................47

Le travail avec les familles................................................................................47 Travail sur l'acte.................................................................................................50 Travail pluridisciplinaire....................................................................................53

3) Adhésion au travail éducatif....................................................................................54 3.1) La relation de confiance, relation d'aide..........................................................54 3.2) Triangulations : les ressources externes, le travail en partenariat....................57 3.3) L'émergence d'un projet...................................................................................60

Conclusion.........................................................................................................................65

Bibliographie.....................................................................................................................68

ANNEXES........................................................................................................................71

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Introduction

Ce thème sur l'adhésion dans le travail éducatif m'est venu au cours de

discussions informelles que j'ai pu avoir avec des éducateurs spécialisés exerçant

notamment en service de prévention spécialisée. En effet, j'ai pu travaillé avec eux dans

le cadre d'un partenariat pendant plusieurs années alors que j'étais animatrice auprès de la

jeunesse (de 12 à 18ans) sur un quartier de Nantes. Le public à la Protection Judiciaire de

la Jeunesse est sensiblement le même : les adolescents. Lorsque nous nous retrouvons

avant même que je commence la formation, les éducateurs de prévention m'interrogent

sur mon choix d'être éducatrice à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. En tant

qu’éducateurs spécialisés, ils me font part de leurs représentations. Ils m’expliquent qu’il

leur serait difficile de concevoir la notion de contrainte dans leur métier. « Je ne pourrais

pas faire ce que tu fais, sans la libre adhésion2 de la personne ». Quelque chose les gêne;

ils craignent que la Protection Judiciaire de la Jeunesse soit dans un rôle plus coercitif et

répressif qu’éducatif…La liberté individuelle pouvant être entravée, ils se demandent si

réellement un travail éducatif est possible dans ces conditions. Dans les principes

fondamentaux des clubs de prévention spécialisée, la libre adhésion est un vecteur

fondamental dans le travail éducatif. Ils exercent sans mandat administratif ou judiciaire,

dans le respect de l’anonymat, dans la non institutionnalisation de leur action et en

partenariat. Et c’est bien ce cadre selon eux , cette charte3, qui leur permet d’être en

relation avec un jeune et de réellement l’aider.

Dans le cadre d'une mesure judiciaire pénale, l'adhésion n'est pas un préalable.

Dans la circulaire du 02 Février 2010, portant sur l'orientation de l'action d'éducation

dans le cadre pénal, il est expliqué que: « toute prise en charge éducative intègre le

principe de la construction du lien sans pour autant faire de l’adhésion du mineur et/ou de

sa famille un préalable ». Par conséquent, le Juge ne cherche pas et ne parvient pas

systématiquement à solliciter l'adhésion de l'adolescent. Les éducateurs me faisaient part 2 Notion de travail en service de Prévention Spécialisée3 cf code de l’action social et des familles, article L-313 relative à la délégation de missions de l’Aide

Sociale à l’Enfance par des organismes associatifs habilités

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de leurs questionnements, à savoir qu'elle était la pertinence d'un travail éducatif sans

adhésion de l'adolescent ? Ils me demandaient ce que je ferai si un adolescent refusait

toutes les mesures, toutes les propositions et même fuyait la relation. Ils me

questionnaient sur les marges de manoeuvre en tant qu'éducateur à la Protection

Judiciaire de la Jeunesse.

« Car outre qu'ils obéissent souvent à des lois qui ont été portées sans eux, ou

même contre leur volonté exprimée, ils ne font pas attention que l'adhésion à une loi est

toujours forcée. »4

Il est essentiel tout d'abord de définir ces deux notions : adhésion et travail

éducatif, qui seront mises en parallèle :

L'étymologie du mot vient du latin adhaesio qui signifie « ce qui relie, point de

contact ». En ce qui concerne la définition du terme adhésion, d'après plusieurs

dictionnaires5, il est relevé que le nom féminin du verbe adhérer se décline en plusieurs

sens. En droit, il s'agit de « l'action de devenir membre d'une association, d'une

organisation, d'un parti, l'action peut être symbolisée par la signature d'un contrat ». En

technique, l'adhésion correspond à « un phénomène chimique et/ou physique créant

l'adhérence ». Plus généralement le fait d'adhérer s'emploie selon l'expression suivante :

« Action d'être en adhésion, en accord avec quelqu'un ou quelque chose, fait de donner

une approbation à un projet, des idées, une doctrine, après réflexion ». L'adhésion est

synonyme des termes agrément, assentiment, acquiescement, consentement, accord et

antonyme des termes résistance, refus, démission, rejet, opposition, retrait, séparation.

Tentons à présent de définir la notion de travail éducatif. Est ce un travail en

milieu ouvert ? En hébergement ? Le travail sera différent selon le milieu dans lequel

l'éducateur Protection Judiciaire de la Jeunesse se trouve. La notion du cadre

institutionnel judiciaire dans lequel nous travaillons est importante pour définir tout

4 L.G.A De Bonald, « Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social » A.Leclerc editions, Paris, 1847

5 Dictionnaire étymologique de la langue française Hachette, Larousse et en latin le dictionnaire Gaffiotsite de documentation centrale de l’université de Lille 3 Charles de Gaulle : http://hip.scd.univ-lille3.fr/ipac20/ipac.jsp?session=null&profile=cas&CAS=passe#focus

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d'abord le cadre de notre intervention.. C'est l'ordonnance du Juge et ses motivations qui

nous énoncent ensuite les objectifs éducatifs.

Derrière le terme de travail, les auteurs en sciences de l'éducation parle « d'actes

éducatifs » et de « projets éducatifs ». Ainsi J.Rouzel définit l'acte éducatif de la manière

suivante : «Il n'y a d'actes que si quelque chose bouge pour le sujet, dans son rapport à lui même et aux autres. Et finalement, c'est bien ce que l'on attend d'un éducateur, qu'il puisse faire bouger la réalité quotidienne des personnes gravement affectées par le désordre dans leur corps, dans leur esprit et dans leur mode de relation 6.

Au cours de mes stages, j'ai souvent pu entendre mes collègues parler ainsi: « il

bouge, les choses bougent pour lui », ce qui est qualifié comme preuve du processus de

travail éducatif, c'est le chemin parcouru, l'évolution progressive de l'individu pris en

charge, les changements qui s'opèrent en lui et dans son environnement. Mais l'acte

éducatif ne se dit pas pour le sujet. C'est l'éducateur qui fait l'acte éducatif et la personne

concernée y répond. Le terme de travail éducatif selon moi engage deux acteurs :

l'éducateur et l'adolescent, ce travail s'opère à deux. Le travail éducatif serait la

conséquence de l'acte et s'interpréterait de nombreuses manières. Le travail éducatif est

un accompagnement, un soutien, une aide de l'individu dans la recherche puis

l'accomplissement de ses projets.

J.Rouzel dans le même ouvrage7 utilise une citation de Daniel Sibony8 pour

évoquer la notion de projet éducatif : « L'humain en temps normal n'est ni sujet ni objet

mais projet sensible de venir assumer telles rencontres, événements ou lieux d'être, et de

les faire vivre et parler ou de les rendre inertes et de faire parler cette inertie. ». Le travail

éducatif selon moi est tout ce qu'un éducateur peut apporter, proposer, mettre en place

pour et avec la personne afin de l'amener vers des changements de son quotidien et de sa

vie globale. L'adolescent doit accepter, adhérer à l'acte éducatif afin qu'il puisse effectuer

des changements. Le travail éducatif prend alors en compte la notion de relation

éducative. Cette notion, importante, sera développée par la suite.

6 J.Rouzel, « Le travail d'éducateurs spécialisé »Dunod, Paris, 20007 J.Rouzel, Op cit8 Daniel Sibony est un écrivain et psychanalyste français. Né le 22 août 1942 à Marrakech

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La particularité du travail éducatif à la Protection Judiciaire de la Jeunesse

s'effectue sur ordonnance judiciaire auquel l'individu ne peut déroger. L'adolescent,

souvent, n'a pas de projet précis concernant son avenir, c'est un « être en devenir »9 qui se

découvre. Par exemple, il ne sait pas quel parcours professionnel lui correspondrait.

Dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative, il est inscrit dans le code civil

à l'article 375 que le magistrat doit rechercher l'adhésion du mineur et de sa famille. Dans

le cadre d'une mesure pénale, l'adhésion n'est pas un préalable, c'est à l 'éducateur de

« reprendre le sens de l'intervention judiciaire » comme il est stipulé dans le référentiel

mesure pour la mise en oeuvre de ces mesures éducatives au pénal. C'est donc à

l'éducateur d'amener l'adolescent vers l'adhésion. Mais dans quelles mesures est ce

possible? Et quels sont nos outils pour amener l'adolescent vers un processus d'adhésion

à un travail éducatif ?

« a contrario, le refus répété de toute intervention, malgré les différentes tentatives de

rencontre, conduira à adresser un rapport au Juge, qui décidera de la conduite à venir »10

Lors de mes différents stages, en milieu ouvert, en hébergement, au SEAT, en

détention, en psychiatrie, j'ai pu constater ces résistances, ces refus11 de la part des

adolescents mais aussi de la part des familles. Par exemple, beaucoup d'adolescents ne

répondent pas systématiquement ou pas du tout aux convocations du milieu ouvert. En

hébergement, j'ai pu rencontrer un jeune homme, Yassine12 (nous reviendrons sur son

histoire) qui refusait de partager tous les moments collectifs, il restait dans sa chambre et

il était difficile d'accès. Au SEAT, un adolescent qui venant d'être déféré a refusé de

parler à l'éducatrice. Toutes ces personnes ont un point commun: pour de multiples

raisons, ils refusent, ils freinent, ils fuient, ils ne sont pas en capacité, pas en mesure

d'entrer en relation éducative et bloquent par conséquent le travail éducatif.

9 Expression datant de l'Egypte Antique pour désigner les enfants et les adolescents. Expression reprise aujourd'hui par la psychanalyse.10 Circulaire loi du 02 février 2002 relative à la délinquance juvénile11 notion qui sera développée selon plusieurs champs disciplinaires par la suite

12 Tous les prénoms utilisés ont été changés pour respecter l'anonymat des personnes citées et évoquées.

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Toute la question est de repérer sur quoi se fonde la non adhésion ou l'adhésion

des adolescents. Robert Cario par exemple parle d'une jeunesse «à la recherche d'une

socialisation perdue »13. Le chercheur s'est intéressé la sociologie de la jeunesse

délinquante. Cette théorie a été reprise par des sociologues également comme Thomas

Sauvadet14. Les chiffres de la délinquance désignent une population majoritairement

issue de milieu populaire et / ou défavorisé. L'autre dénominateur commun est un faible

niveau scolaire et une déscolarisation précoce. Thomas Sauvadet explique dans ses

travaux que les jeunes délinquants, de par leur perte de repères des normes sociales, ont

développé d'autres normes, ne reconnaissant pas ainsi, de manière consciente ou

inconsciente les institutions qui les entourent. Ainsi, selon leur degré de connaissance et

leur rapport à la société, les jeunes délinquants n'auront pas la même approche des

institutions. De ce fait, plus un adolescent va être démuni socialement, moins il

parviendra à s'inscrire dans la société. Le travail éducatif à mettre en place avec lui sera

plus difficile qu'avec une autre personne qui serait réellement « usagère », dans le sens où

elle connaîtrait le fonctionnement, l'utilité du service public. Mais encore, Nicolas

Duvoux15 dans ses recherches par exemple a étudié ces différentes approches qu'un

citoyen peut avoir envers le service public. Il explique ce refus de se servir du service

public peut se traduire comme « un refus de la dépendance 16».

J'ai pu côtoyé durablement plusieurs adolescents dans ce refus d'entrer en relation

éducative. Alors que j'effectuais mon stage en Etablissement de Placement Educatif, j'ai

pu faire la connaissance de Yassine âgé de 16ans. Les faits d'Infractions à la Législations

des Stupéfiants, qui l'avaient conduit en Etablissement de placement éducatif (EPE),

auraient pu relever d'un mandat de dépôt. En accord avec le Juge d'Instruction et en tant

que primo délinquant, Yassine avait « adhéré » à l'Ordonnance de Placement Provisoire

dans l'attente de son jugement. Il était soumis par ailleurs à un Contrôle judiciaire (CJ) ,

lui interdisant de se rendre au domicile familiale (dans l'arrondissement de Paris concerné

où il a été pris en flagrant délit) et lui imposant de suivre une formation ou une scolarité.

13 R.Cario « Jeunes délinquants, à la recherche d'une socialisation perdue » L'Harmattan, Paris, 200014 T.Sauvadet, Chercheur à la CESAMES, Université Paris VIII 15 N.Duvoux maître de conférence à l'université de Paris Descartes, rédacteur en chef du site La vie des idées et membre de la rédaction de la revue Liens social et politique 16 Cours Master 1 sciences de l'éducation Lille 3 « Enjeux du travail éducatif et social »

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Je peux dire que les relations entre Yassine et le service étaient globalement agréables

tant que nous allions dans son sens, ce qui ne pouvait pas toujours être le cas.

L'adolescent pouvait être cordial lorsqu'il avait des demandes concrètes vis à vis du

service: les autorisations de sorties notamment. Par ailleurs, il avait très peu de

demandes, il se montrait autonome et indépendant. Malgré tout, il semblait ne répondre

en rien au travail éducatif demandé. Yassine ne « bougeait » pas, selon l'expression de

mes collègues, du moins en apparence. Concrètement, il ne cherchait pas de stage ou de

formation, il se servait de ces injonctions comme des prétextes pour pouvoir sortir de la

structure. Il était déféré tous les deux mois environ; il poursuivait son trafic dans

l'arrondissement que le CJ lui interdisait d'approcher et d'importantes sommes d'argent

avaient été saisies au foyer d'hébergement. L'adolescent nous disait qu'il gagnait 1500

euros par jour en moyenne et qu'il n'était pas prêt, pas disposé, à changer de mode de vie.

Yassine semblait lucide; « la prison », disait il, il s' attendait à ce qu'elle vienne ponctuer

sa vie, cela faisait partie selon lui des « risques du métier ». Sa famille ne sollicitait pas

vraiment ce changement non plus, le trafic de crack semblait être leur principal source de

revenus financiers. Deux de ses frères majeurs effectuaient des peines de prison pour les

mêmes faits. Yassine répondait à d'autres normes sociales, en marge de celles exigées par

les institutions. Son discours était cohérent, il était conscient et revendiquait même le fait

de ne pas « être l'esclave du système » selon ses termes.

Le travail éducatif sur les six mois s'est difficilement mis en place et Yassine lors

de son quatrième déferrement s'est vu cette fois ci placé sous mandat de dépôt et

incarcéré par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Face au manque de

coopération, d'adhésion de la part de Yassine dans le travail éducatif, il était clair que le

Juge d'Instruction allait proposer une autre solution visant désormais uniquement à

stopper la délinquance de ce dernier. Pour l'équipe, la prise en charge n'avait pas eu les

effets escomptés, l'adolescent avait refusé tout changement toute évolution qu'il ressentait

comme des contraintes, soumission, des injonctions qui lui avaient été ordonnées...Il

n'avait adhéré à aucune « intervention éducative ».

Un autre adolescent, rencontré cette fois ci en milieu ouvert, me semble

correspondre au même profil que Yassine, dans son « refus de la dépendance ». Il s'agit

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de Medhi, 17 ans. Il faisait l'objet d'une mesure de Liberté Surveillée Préjudicielle, lui

aussi était mis en examen pour une Infraction à la Législation des Stupéfiants (ILS).

Nous disposions uniquement de l'adresse postale pour le contacter. Au bout d'un mois et

trois rendez vous non honorés, nous nous sommes rendus au domicile, sans avoir pu

prévenir personne de notre arrivée. L'adolescent, étant absent du domicile lors de notre

visite, nous avons été reçues par sa mère, vivant seule avec ses quatre enfants. Son fils,

dé-scolarisé depuis la 5ème alors âgé de 13 ans, avait déjà eu des mesures éducatives de

Liberté Surveillée pour les mêmes faits que Yassine. Aujourd'hui à 17 ans, son dossier

revenait dans nos services pour les mêmes infractions avec la même mesure. Au court de

l'entretien informel avec Madame, Mehdi est entré chez lui, il était surpris de nous y voir.

Nous avons pu lui parler cinq minutes avant qu'il n'aille s'enfermer dans sa chambre en

claquant la porte. Là encore, l'adolescent m'est apparu lucide, conscient de sa situation.

Dans un discours explicite et vif, il a pu nous faire part de son refus d'entreprendre un

travail éducatif. Il n'en voyait pas l'intérêt, il nous disait n'avoir aucune demande, aucun

besoin, d'autant plus que les mesures éducatives prises plus jeune ne lui avaient « rien

apportées » selon lui. Le jour du jugement disait il, « j'assumerai ». Jusqu'au jugement, et

en concertation avec l'équipe, nous nous sommes mis d'accord sur la manière de travailler

avec ce refus. Régulièrement je joignais par téléphone Madame D. la mère de Mehdi.

Elle s'était montrée favorable au travail éducatif et nous entretenions de bons rapports

avec elle. Nous prenions des nouvelles de Mehdi et de sa famille et nous continuions des

proposer des rendez vous, qu'il n'honorait toujours pas. Par ailleurs, notre service était en

partenariat avec le service de prévention du quartier de Mehdi et nous croisions nos

analyses à son sujet, eux non plus ne le voyait pas. Malgré cela, je n'ai revu l'adolescent

que le jour du jugement. Les sanctions à son égard ont pris en compte les éléments du

rapport éducatif et ont été plus sévères que si Mehdi avait adhéré à la mesure éducative.

Ces deux situations ont nourries mes interrogations tout au long de ma formation,

et la fréquence de ces refus rencontrés m'a amenée à chercher des solutions pour faire

face à ses difficultés d'adhésion aux mesures ordonnées par le Juge. En quoi pouvons

nous susciter l'envie d'entreprendre un travail éducatif chez un adolescent de la Protection

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Judiciaire de la Jeunesse qui s'y refuse ( du moins, en apparence ) ? Comment mener un

travail éducatif sans adhésion de la part de l'adolescent sous main de justice ?

Pour y répondre, je m'appuierai tout d'abord sur ces deux ans d'expérience à la

Protection Judiciaire de la Jeunesse, à l'aide de mes observations sur les terrains de stage.

Les situations de Yassine et Mehdi seront les fils conducteurs des avancées de mes

analyses et réflexion. D'autres situations d'adolescents, (Mousshine et William

principalement) seront aborder par ailleurs. Les éléments théoriques, transmis tout au

long de la formation serviront à consolider et à étayer cette étude. Par ailleurs, j'ai pu

mener des entretiens semi directifs à l'aide de grilles d'entretien auprès des adolescents de

la Protection Judiciaire de la Jeunesse, auprès des professionnelles éducateurs et

psychologues sur la base du volontariat. L'analyse de ces entretiens viendra appuyer mes

hypothèses de recherches.

Par conséquent ma première hypothèse de recherche repose sur l'affirmation

suivante : sans adhésion au travail éducatif de la part de l'adolescent dans le cadre d'une

mesure éducative pénale, la mise en place d'une évolution ne peut se réaliser. Nous

observerons ce qui évalue la non adhésion, ses causes, puis ses conséquences sur le

travail éducatif dans un cadre judiciaire.

L'hypothèse suivante sera alors de déterminer si l'adhésion peut être une finalité

possible du travail éducatif, à savoir si elle peut se travailler dans le cadre judiciaire. Mon

travail de recherche sera d'étudier quels sont les moyens à mettre en place, les actions et

les réflexions à mener afin d'opérer ces changements, sans l'adhésion au préalable de

l'adolescent. De quelles manières est il possible d'acheminer un travail éducatif malgré la

non adhésion apparente d'un adolescent ?

Dans une première partie, je développerai autour des situations de Mehdi et

Yassine. Nous observerons tout d'abord comment l'éducateur peut repérer ses freins et les

analyser. Je m'appuierai sur divers entretiens réalisés et aussi sur les champs théoriques

de la sociologie et de la psychologie afin d'étayer ces analyses sur la non adhésion. Puis

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j'évaluerai par la suite en quoi cette non adhésion est un frein au travail éducatif au

travers des parcours de Mehdi et Yassine principalement.

La deuxième partie sera consacrée à la recherche d'un travail éducatif opérant

malgré l'adhésion non visible en début de mesure. Les situations de William et

Mousshine seront prises en exemple afin d'évaluer les moyens mis en oeuvre pour

solliciter un travail éducatif de leur part. Les entretiens effectués serviront également à

soutenir cette deuxième partie consacrée au travail d'adhésion.

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Partie I : Le travail éducatif, impossible sans adhésion ?

Qu'est ce que la non adhésion dans le travail éducatif ? Il ne s'agit pas d'un

sentiment d'impuissance de la part d'un éducateur. Le travail éducatif , selon moi, doit

émaner d'une envie, d'une adhésion de la part du jeune. J'étudierai dans ce chapitre en

quoi, la non adhésion d'un adolescent peut empêcher le travail éducatif dans un temps

judiciaire. Dans le champ de la sociologie puis dans le champ de la psychologie, nous

verrons en quoi la multiplicité de facteurs compliquent l'adhésion à un travail éducatif

que les instances judiciaires imposent. Nous analyserons comment ces refus sont pris en

compte par les équipes d'hébergement, de milieu ouvert et par le juge. Nous

rechercherons enfin les conséquences de cette non adhésion sur le travail éducatif.

1) Les facteurs sociologiques de la non adhésion

J’ai pu constater au cours de mes stages que le travail éducatif pouvait être

freiné de par l’usager sous main de justice. J’ai tenté d’analyser la nature de ses

résistances ; tout d’abord, mes premières explications me semblaient trouver leurs

sources dans le champ de la sociologie.

D’après mes constatations, les adolescents qui nous sont adressés sont pour

certains « démunis de repères sociaux » comme l’explique Nicolas Duvoux17, sociologue

et maître de conférence à Paris Descartes. L’auteur explique que tous les individus d’une

même société ne sont pas tous égaux face aux institutions, dans l’intégration des normes

sociales. Certains sont en manque de socialisation, c'est-à-dire de liens sociaux, ce qui

empêche l’individu de s’identifier à la société, de s’y reconnaître, créant ainsi un

sentiment d’exclusion, se sentant « stigmatisés ».

17 N.Duvoux, op cit

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J'étudierais successivement les théories sociologiques suivantes du stigmate, les

effets de ce stigmate, à savoir qu'il se transforme et s'élève en emblème. J'observerai par

la suite la vie des jeunes de cité et la conscience de classe, les phénomènes de bandes et

la culture délinquante et enfin le « capital guerrier » terme que nous reverrons.

1.1) Le stigmate

Le terme de stigmate vient du grec stigma et signifie l'infamie. Aujourd'hui ce

terme a été repris par le champ de la sociologie. C'est Erving Goffman, docteur en

sociologie qui a été le premier à parler de stigmate18. Il définit le stigmate de la manière

suivante : "situation de l'individu que quelque chose disqualifie et empêche pleinement

d'être accepté par la société". L'auteur explique que le stigmate n'est pas une fin en soi

ou quelque chose qui naît avec l'individu. Le stigmate émane des relations entre

l'individu et une société, de par les représentations et les stéréotypes. Ainsi Goffman

détermine 3 types de stigmate : « la monstruosité du corps ( déformation, amputation ),

les tares de caractères ( maladies mentales, troubles divers ) et les caractéristiques tribales

( tatouage, scarification)19 ».

Le stigmate dont parlait Goffman à l'époque évolue dans nos sociétés. Depuis

une dizaine d'années, les médias parle de quart monde, des problèmes des banlieues. La

jeunesse vivant dans ses périphéries urbaines est appelé « jeunes de banlieue » « jeunes

des cités » et souffre d'une image négative dans l'opinion publique pouvant faire

l'amalgame en les nommant « voyous » , « racailles ». A une autre époque, la jeunesse

délinquante était appelée « blousons noirs », « apaches ». Ces jeunes sont une catégorie

sociale stigmatisée. Ils se ressemblent de par leur culture, leurs gouts, leur façon d'être et

de s'habiller, ils se reconnaissent et portent alors ce stigmate aux « caractéristiques

tribales » dont Goffman parlait. C'est un ensemble de faits sociaux qui constitue ce

stigmate sociale favorisant l'exclusion sociale.

18 E.Goffman « Stigmates, les usagers sociaux des handicaps » Ed de Minuit, Paris, 197719 Ibid

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Thomas Sauvadet parle lui aussi du « stigmate » dans son ouvrage « le capital

guerrier » 20. Il commente lors d’une intervention21 en Pôle territorial de formation ( PTF)

le stigmate de la manière suivante : « le stigmate, soit on le cache, soit on le

revendique ». Le sociologue explique ce phénomène social selon trois thématiques :

culturelle, économique et sociale.

Au niveau culturelle, il s'agit pour un individu de se structurer selon des valeurs,

des principes moraux, des convictions, des croyances. Cette culture se traduit en société

par un certain nombre de pratiques, de faits sociaux, plus ou moins en norme avec la

société. En France, ce stigmate autour de la culture est fréquent. Les immigrés en France

ne s'intègrent pas tous de la même façon. Les conditions d'accueil et les aménagements

que peut proposer les services publics pour les nouveaux arrivants demandent une faculté

d'adaptation que tous n'ont pas. Nous recevons beaucoup de familles sur le service qui

nous disent vivre de façon repliée. La famille de Yassine par exemple, originaire du Mali

vit en France depuis la fin des années 70 et pourtant Yassine disait ne pas se reconnaître

dans la société française. Le père de Yassine avait plusieurs femmes et plusieurs familles,

au Mali et en France. Cette caractéristique de la polygamie peut constituer un stigmate en

France car cette pratique est interdite et rejetée par l'opinion public. De par l'ensemble

des valeurs culturelles maliennes auxquelles ils aspiraient, la famille de Yassine vivait en

communauté : famille élargie et amis étaient regroupés dans un même quartier de Paris.

De part leurs coutumes, ils s'inscrivent différemment de la norme occidentale. De ce fait,

ils disaient se sentir comme coupés des autres. Tous retournaient régulièrement au Mali

pour de longs mois chaque année. C'est là bas que la mère de Yassine disait se sentir

mieux. Yassine et sa famille se sentaient encore étranger à la France, alors qu'ils y

habitent depuis 30 ans. Ce stigmate exprime bien cette relation, ce rapport entre deux

cultures fait de représentations et de stigmates que chacun des parties (société et

individus) ne parvient à surmonter. Néanmoins, la particularité culturelle à elle seule ne

constitue pas le stigmate.

Le stigmate, toujours selon la théorie de T.Sauvadet, se constitue aussi autour du

pouvoir économique des personnes. Le chômage, le SMIC ( salaires minimum d'insertion

), les temps partiels, les contrats à durée déterminée, les emplois aidés et autres contrats 20 T.Sauvadet, « Le Capital guerrier » Armand Colin, Paris 200621 Intervention de T.Sauvadet au PTF Pantin le 10 Février 2011

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d'insertion, toutes ces formes de contrats de travail ou la recherche d'emploi entraînent un

individu dans la précarité économique. Certaines populations sont plus touchées que

d'autres par la précarité de l'emploi ou le chômage : les femmes, les seniors et les jeunes.

Dans cette dernière catégorie, deux sous parties sont à distinguées : d'abord les jeunes

dits sur-diplômés qui ne trouvent pas d'emploi correspondant à leurs niveau universitaire

et les jeunes non qualifiés et non diplômés. La situation des jeunes à la Protection

Judiciaire de la Jeunesse nous concerne prioritairement. En effet, la plupart des familles

reçues sur le service sont issues de milieu défavorisée et les jeunes concernés par les

mesures sont souvent plus exposés à la précarité dans leur avenir. De plus, beaucoup de

ces adolescents ont quitté le milieu scolaire tôt et sans diplôme.

Mehdi et Yassine sont tous deux issus d'un milieu défavorisé. Les deux

adolescents ont été élevé dans une cellule familiale dite monoparentale avec de

nombreux frères et soeurs. Mehdi n'a jamais connu son père tandis que Yassine est en

lien avec lui, bien que ce dernier ne soit pas présent au domicile et dans le quotidien du

garçon. Dans la famille de Mehdi, ils sont cinq enfants; Mehdi a une soeurs et trois frères

et soeurs cadets. Yassine lui, est issu d'une famille de quatre enfants dont trois garçons.

Yassine est le benjamin. Et ces deux familles nombreuses se sont construites autour d'une

mère qui n'exerce pas d'activité professionnelles. Ainsi ces deux cellules vivent des aides

de l'Etat, ce qui constitue un faible revenu mensuel. Ces deux familles sont donc

concernées par ce stigmate économique.

Enfin, le troisième thème définissant le stigmate chez un individu interroge son

milieu social, c'est à dire sa socialisation. Comment la socialisation d'un individu s'est

elle constituée ? Tout d'abord au niveau familial, puis au niveau institutionnel avec

l'école et puis au niveau du groupe de pairs ? Thomas Sauvadet explique un échec de la

socialisation au niveau familial tout d'abord par la violence dont elle fait preuve. La

violence familiale, sous toutes ces formes peut engendrer des difficultés relationnelles

par ailleurs avec toutes autres formes d'instances socialisantes comme l'école ou le

travail. De même qu'un important dysfonctionnement familiale, dans lequel un enfant ne

se serait pas épanoui, conduise à rendre difficile la socialisation. Néanmoins, la famille

n'est pas toujours responsable de cet échec et ne constitue pas à elle seule la socialisation.

Un enfant peut être socialisé à l'intérieur de sa cellule familiale et pour autant, il peut

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connaître des difficultés de socialisation à l'école. Cela peut être au niveau de son groupe

de pairs par exemple; il ne s'identifie à aucun groupe. Mais encore, l'individu, bien

qu'intégré à ses groupes de pairs peut rencontrer une difficulté dans son évolution

scolaire. Par exemple, un enfant en échec scolaire va rapidement se sentir différent des

autres camarades de sa classe qui l'identifieront de la même façon. L'individu à long

terme pourra se sentir exclu de cet espace de socialisation, cet espace institutionnel

déterminant pour intégrer la norme.

Yassine et Mehdi, là encore sont concernés par ce stigmate de la socialisation.

Le plus visible à mon sens est qu'ils ont quitté l'école très tôt. Tous deux sont passés par

des classes relais puis ne sont pas parvenus à rejoindre par la suite leur niveau d'origine.

Tous deux ont un niveau scolaire de 5ème, ce qui constitue un stigmate social. Leur

socialisation par conséquent, s'est faite en dehors des institutions et constitue une

socialisation à la marge d'une société, une socialisation en dehors de la norme.

Par conséquent, c'est tout cet ensemble de faits qui peuvent « stigmatiser » un

individu. Et c'est souvent portée par ce stigmate qu'une personne peut s'inscrire dans un

parcours délinquant; c'est le cas de Yassine et Mehdi.

Thomas Sauvadet explique dans « le capital guerrier » que beaucoup

d'adolescents sont exposés à ce stigmate et notamment dans les cités, appelés autrefois

« les grands ensembles ».

« Le groupe « jeunes de la cité » organise une réponse collective, retournant le

stigmate en emblème »22.

1.2) Une culture stigmatisée élevée en emblème

« Le stigmate, soit on le cache, soit on le revendique »23

22 T.Sauvadet « Auogestion des jeunes de la cité » dans « Espaces de rue, espaces de parole » L'Harmattan, Paris 2008, p.174

23 T.Sauvadet lors de son intervention au PTF IDF le 10/02/11

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La Seine Saint Denis, département où j'ai été affectée pour effectuer mes stages,

est un territoire qui a lui seul peut être stigmatisé par les médias et dans l'esprit de

personnes qui ne le connaissent qu'aux travers de ces informations. Emeutes, pauvreté,

délinquance, drogues, armes, violences...voilà quelques termes qui pourrait définir la

Seine Saint Denis dans l'imaginaire collectif. Par exemple, issue de la ville de Nantes,

beaucoup de personnes de mon entourage « compatissaient » à l'idée que je vienne dans

ce département alors que c'était un choix de ma part.

De plus en plus, les associations dénoncent ce stigmate qui peuvent s'opérer au

niveau de l'adresse. Un article24 paru cette année, dénonçait que des enseignes de

magasins refusaient des chèques en fonction de l'adresse postale du client. Habiter en

Seine Saint Denis, dans des quartiers de grands ensembles peut être d'emblée un

constituant du stigmate.

Après la croissance économique florissante des 30 glorieuses, les sociologues

aujourd'hui parle des 30 piteuses25, le déclin économique persistant depuis le début des

années 80. La jeunesse née depuis cette période a pu faire l'expérience plus ou moins

désagréable de cette société dont l'intégration se fait de plus en plus difficilement.

Beaucoup d'adolescents que j'ai pu rencontrer disent ne pas se faire d'illusion concernant

leur avenir. Leur vision du travail s'apparente à une obligation. Pour eux, ils ne pourront

que subir un métier pour lequel ils n'ont aucune appétence. La jeunesse de France,

unanimement, se classe première au rang des plus pessimistes des autres jeunesses

européennes26. La jeunesse de Seine Saint Denis, confrontée aux réalités économiques

s'inscrit dans cette morosité conjoncturelle. Par ailleurs cette jeunesse en Seine Saint

Denis y est bien plus représentée que dans les autres département : la moyenne d'âge est

ici de 27 ans.

Les adolescents d'aujourd'hui sont nés dans les années 90 et ont connu le déclin

de leurs quartiers. Beaucoup se vivent comme des victimes, des exclus du fait d'habiter

24 D.Rosenweg « Discrimination : ces adresses qui empêchent de payer par chèque » Le Parisien, publié le 15/02/11

25 Expression employé par N. Baverez, économiste. Cette période économique de l'histoire désigne le déclin de la croissance économique capitaliste depuis les trente dernières années. Cette période exprime l'inverse des trente glorieuses, périodes de croissance économiques de 1955 à 1975.

26 Le Point, « Sondage :Les français, champion du monde du pessimisme » parut le 04/01/11

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ces grands ensembles. De plus, ils ont vécu ce que les médias ont appelés des « émeutes

urbaines », des insurrections unanimes de plusieurs quartiers en 2005, suite à la mort de

deux adolescents, Zyed et Bouna, en lien avec une poursuite policière. Les deux jeunes

hommes, refusant de se soumettre à un contrôle policier, ont pris la fuite et, de peur, se

sont réfugiés dans un transformateur électrique. Ils trouveront la mort dans ce refuge. La

révolte est partie de leur ville : Clichy sous Bois en Seine Saint Denis et s'est étendue par

la suite à de nombreux quartiers d'Ile de France et enfin à toutes les villes de France, en

province, dans des grandes et moyennes agglomérations.

Cette jeunesse des quartiers, depuis longtemps, n'a plus de rapport de confiance

avec la police française. Tout comme leur rapport avec différentes institutions s'avère

être de plus en plus méfiant. La jeunesse ici se méfie des institutions comme l'éducation,

la santé, les services sociaux car elle ne croit pas qu'elle puisse leur apporter une aide ; ils

sont en résistance de par leur culture, leur expérimentation malheureuse de ces

institutions. Cette culture élevée en emblème est comme « une conscience de classe27 ».

K.Marx28 parlait aussi « d'aliénation ».

1.3) La vie des jeunes des cités et la conscience de classe

La vie en collectivité tout d'abord caractérise la vie de quartier. La proximité entre

de nombreuses familles est forte : Il s'agit de « l'hypertrophie sociale de l'espace

résidentiel »29. A Bobigny, il n'est pas rare de constater que six familles par pallier se

superposent sur une vingtaine d'étages. La densité sur le département est de presque 6

000 habitants au kilomètre carré30. Ces logements sociaux, dans leurs projets initiaux, ont

été érigés pour accueillir de façon transitoire les familles réfugiées politiques et / ou

venues travailler en France de la reconstruction d'après guerre; les trente glorieuses.

Beaucoup de familles immigrante dès les années 50 et jusque dans les années 70 ne

pensaient pas rester durablement en France. Ces logements étaient aussi à leur début un

27 Terme marxiste28 K.Marx, historien, philosophe, sociologue, économiste ( 1818 - 1883)29 T.Sauvadet, op cit , p.16130 Chiffres INSEE

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progrès social : électricité, chauffage, eau courante. Cet acquis social était alors réservée

à la classe moyenne : retraités, agents du tertiaire et du service public. Plusieurs

populations ont ainsi cohabité. L'immigration durant les 30 glorieuses a été très forte.

Yassine et Mehdi vivent dans ses grands ensembles en Seine Saint Denis. Tous

deux, depuis l'arrêt de leur scolarité avaient commencé à être présent de façon constante

dans les lieux publics de leur quartier. Pour eux, la cité, offre des possibilités.

Au cours de mes différents stages et pour avoir côtoyé la vie dans « les grands

ensembles », j'ai pu observer que la tentation peut être forte quand un individu est en

perte de repères sociaux. Quelques adolescents ont souvent pu me décrire l'emprise d'un

quartier sur un individu. Les ressources d'un groupe d'individus vivant dans le même

espace restreint sont importantes. Le sentiment d'appartenance est fort, la solidarité, la

collectivité sont des valeurs sur lesquelles les habitants peuvent s'appuyer. Beaucoup

d'adolescents de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ont pu formuler clairement la

demande d'être éloigné de son environnement géographique pour les sortir de la

délinquance. L'un d'entre d'eux m'avait décrit une journée type à rester sur la place

publique de son quartier : plusieurs personnes étaient venues à sa rencontre pour lui

proposer des « plans » : un moyen pour se procurer un peu d'argent, de manière illégale.

Cambriolage, deal, braquage, vol à l'arraché, vol à la portière; certains groupes se

constituent de cette façon. Les individus peuvent se construire une identité par ce lien

social, ils augmentent ainsi leur estime de soi, ne l'ayant pas trouvé dans les autres

espaces socialisants : la famille, l'école, le travail...

1.4) Phénomène de bandes et déviance dans la culture délinquante

Des sociologues comme Marwan Mohammed31 ou Laurent Mucchielli32 ont pu

analyser ces phénomènes dans leur ouvrage commun « Les bandes de jeunes »33. Ces

31 M.Mohammed est sociologue, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP)

32 L.Mucchielli est un sociologue spécialisé dans les phénomènes de délinquance.33 M.Mohammed et L.Mucchilli « Les bandes de jeunes » Editions La Découverte, Paris, 2007

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phénomènes de bandes sont une des conséquences possibles de ce que Thomas Sauvadet

nomme comme les trois axes conduisant à la stigmatisation. Les individus, démunis de

repères sociaux dans la cellule familiale à l'école, au travail et autres espaces socialisants,

les cherchent ailleurs.

En ce qui concerne nos jeunes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ; ils ont

un sentiment d'échec et d'exclusion vis à vis de l'école, de la famille et de la société en

général. Ils ne se sentent pas toujours à leur places dans ces espaces de socialisation qui

conduisent à la norme. Ils vont compenser alors ce manque de reconnaissance, ce

sentiment d'échec par l'investissement d'un autre espace de socialisation dans lequel

l'adolescent aura une place et un sentiment d'appartenance. Cette autre espace peut être le

groupe de pairs, la bande d'amis. Dans les quartiers de Seine Saint Denis, ces

regroupements se font facilement de par la proximité des habitations.

A l'intérieur de son groupe d'amis, l'individu tentera de compenser son manque de

socialisation; il tentera de gagner la reconnaissance qu'il n'a pas eu ailleurs. Appartenir à

une bande ne signifie pas que l'individu va dévier dans des actes de délinquances. La

question à se poser est qu'est ce qui unit ces individus ? Est ce la pratique d'un sport, le

foot, la moto ? Est ce la création musicale ? Est ce l'usage d'alcool, de drogues ? Est ce

une association délinquante? Les activités partagées et fédératrices, qui peuvent être

déviantes, sont variées et nombreuses.

La particularité des groupes vivant dans des grands ensembles dans lesquels j'ai

pu me rendre est qu'ils sont soumis à la tentation de gagner de l'argent de manière dite

facile. Cela peut être une contribution dans un trafic de drogues, de téléphones portables,

de papiers, la participation à un cambriolage, des vols de voitures, de scooters, des

braquages etc...La misère galopante dans certaines villes normalisent les populations

dans son recours à ce que l'on peut appeler le « système D » . Des moyens illégaux,

jusqu'à un certain degrés d'acceptation, peuvent être utilisés à des fins de subsistance. Les

sociologues expliquent que ce degré de tolérance aux actes illicites varie en fonction du

degré de misère dans lequel une population se trouve. Ainsi, plus la pauvreté augmente,

plus le recours à la violence est par exemple toléré34. Il en va de même pour les trafics. Le

34 T.Sauvadet, op cit, p. 192

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trafic de drogue, non seulement, peut être une importante source de revenus pour des

familles, mais encore, il est préférable à d'autres actes de délinquance qui pourrait être

commis si les trafiquants n'avaient plus cette source de revenus. Et face au recul des

institutions publiques, ces sociétés « souterraines » ne peuvent que croître. Il existe même

des cas extrêmes dans le monde où ces sociétés souterraines ont complètement pris la

place des institutions dépourvus de moyens pour faire face à la pauvreté (par exemple la

mafia à Naples, les Favelas au Brésil, les ghettos à Los Angeles, New York...)

Certains adolescents de la Protection Judiciaire de la Jeunesse que j'ai pu

rencontré sont en proie à ces phénomènes de quartier. J'ai pu rencontrer Yassine et Mehdi

qui illustrent ces phénomènes d'appartenance à un groupe. L'implication dans ces groupes

est telle que certains jeunes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse en sont devenus

dépendants. Il paraît alors très difficile pour eux d'en sortir. Un adolescent m'a fait la

demande de l'éloigner, de le placer loin de son quartier. Ainsi, il pouvait masquer ce qu'il

considérait être une trahison envers le groupe par la contrainte judiciaire de

l'éloignement. Sa seule volonté ne suffisait pas à le sortir de la spirale délinquante selon

lui, tant qu'il vivait sur le quartier. Du fait de leur appartenance à un groupe, les jeunes de

la Protection Judiciaire de la Jeunesse sont souvent en proie à des conflits de loyauté vis

à vis de leur environnement social. Je reviendrais sur cet aspect par la suite. Cela a pu se

vérifier dans le cadre d'un partenariat avec les éducateurs de la prévention qui nous ont

confirmé leur appartenance à un groupe du quartier.

1.5) L'acquisition du « capital guerrier »

« En ce sens, les chauds se conforment au mode de fonctionnement le plus

efficient au sein du groupe de la cité, celui qu’ils ont découvert lorsqu’ils n’étaient encore

que des enfants. Ils sont juste les meilleurs à ce jeu auquel beaucoup d’autres essaient de

jouer. » 35

35 T.Sauvadet , op cit , p.187

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Selon la théorie de T.Sauvadet, Yassine et Mehdi, adolescents que nous étudions

en fil rouge, cherchent à augmenter « leur capital guerrier ». Et cette augmentation passe

par leur refus de répondre à l'injonction d'un travail éducatif. T.Sauvadet explique que

leur « orgueil meurtri » du fait d'avoir été exclu de la société, ils sont « résolus à ne plus

reculer », d'où le terme de « guerrier ».

Ils revendiquent leur vie de rue et leurs aptitudes guerrières, il s’agit de se convaincre rapidement de la nécessité de la prise de risque d’ordre physique. L’expression habituellement employée, « monter en pression », témoigne de la connaissance dont ils disposent au sujet des différents états qui amènent les nerfs à déployer une énergie insoupçonnée et guidée par la rage. La montée rapide des émotions s’apparente à un gage d’adaptation aux situations difficiles qu’ils rencontrent, ils doivent savoir mobiliser rapidement leur agressivité36

La plupart des adolescents de la Protection Judiciaire de la Jeunesse n'ont pas

conscience de cet encrage. Ils n'ont pas le recul nécessaire, ni la maturité. Ces jeunes

hommes, plus rarement chez les filles , ces guerriers, souvent font preuve d'une grande

loyauté à l'intérieur de leur groupe de pairs. Ils disent se rendre compte des enjeux et

accepter le fait que leur vie soit arrêté régulièrement par des enfermements, des

emprisonnements. Il conserve de cette façon une position de leader à l'intérieur de leur

groupe de pairs. Ils se tiennent de cette façon à la discipline que leur morale exige, ils

honorent de cette façon leur « code de la rue ». C'est ainsi qu'ils ont construits leurs

repères et c'est l'environnement social qui dicte la conduite à tenir.

La conséquence d' un non respect d'un suivi éducatif et / ou coercitif n'est pas en

inadéquation avec les valeurs morales générés dans « la vie de rue »37 et « le capital

guerrier » s'en voit augmenter. Cette résistance a un prix. Par exemple Yassine que nous

suivions en hébergement a pu voir son CJ révoqué ce qui l'a conduit à effectuer quatre

mois de prison ferme. Mehdi lui aussi n'a pas respecté ses obligations, il ne s'est jamais

présenté aux convocations du service, il a refusé tout travail éducatif et s'est vu ordonné

d'un sursis simple de trois mois de prison ferme pour la durée de deux ans.

36 T.Sauvadet, op cit , p.19237 Terme employé par T.Sauvadet

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Par conséquent, nous voyons qu'au travers d'actes de délinquance, certains jeunes

de cités tentent par là d'augmenter leur capital guerrier afin d'acquérir la reconnaissance

parmi leur groupe de socialisation.

2) Les facteurs psychologiques de la non adhésion

2.1) Les résistances et mécanismes de défense en psychanalyse

Le champ de la psychanalyse tente d'expliquer « ces freins de l'adhésion », ils

traduisent cette idée par le terme : « résistance ». Du point de vue des psychologues que

j'ai pu rencontrer et interroger dans leurs pratiques ne m'ont pas parlé de non adhésion

mais plutôt de résistances. C'est Freud qui dans cette discipline a été le premier à en

parler. Il évoquait des résistances à la psychanalyse pour désigner une « attitude

d'opposition à ses découvertes en tant qu'elles révélaient les désirs inconscients et

infligeaient à l'homme une vexation psychologique »38. Freud commente alors dans une

lettre de 1897 que « La résistance constitue, en fin de compte, ce qui entrave le travail

thérapeutique ». Et c'est la même théorie qui m'anime dans le travail éducatif, considérant

que l'adolescent, en ce qui nous concerne, doit lever ces « résistances » afin de pouvoir

entamer un travail.

Freud s'est confronté à cet obstacle avec ses patients. Il a expérimenté pour cela

au début plusieurs méthodes; l'insistance et la persuasion. Puis très vite, il a interprété ces

résistances, découvrant ainsi qu'elles pouvaient servir à l'analyse. Le psychanalyste décrit

ses résistances comme étant des « moyens d'accès au refoulé et au secret de la névrose ».

En effet, plutôt que de lutter contre, Freud a utilisé la résistance comme une technique

analytique. Il décrit ses résistances en deux points : premièrement, les résistances

naissent pour se mettre à distance du refoulé et deuxièmement les résistances sont des

38 Laplanche et Pontalis, « Vocabulaire de la psychanalyse » PUF, 2007

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mécanismes de défense. La résistance est donc analysée par Freud comme un des

mécanismes de défense du moi, tout comme le refoulement par exemple. La question est

de savoir alors : qui résiste à quoi ? Et pour se défendre de quoi ? En effet, les

mécanismes de défense s'érigent alors que le sujet craint de revivre la même déception

insupportable. Freud en 193739 écrit encore à ce sujet : « Les mécanismes de défense

contre des dangers anciens font retour dans la cure sous forme de résistances à la

guérison, et parce que la guérison elle même est considérée par le moi comme un

nouveau danger. »

Beaucoup de situations que nous rencontrons sur le service sont évoquées par les

psychologues comme des « sujets en résistance » au travail éducatif. Les adolescents

arrivent et refusent de parler d'eux, de leur famille, de leur histoire. Ils refusent tout en

bloc, à l'instant de la rencontre.

2.2 ) relation éducative et transfert

Au cours de ses recherches, Freud va écrire aussi sur la résistance au transfert

dans la relation thérapeutique. En effet, il explique que ces résistances, la plupart du

temps se cristallisent dans la relation avec le psychanalyste et donc dans le transfert, ce

qu'il nomme résistance au transfert. Cette notion de transfert est également présente dans

la relation éducative. Le vocabulaire est différent mais le champ de la psychologie est

une part importante du métier d'éducateur et nous empruntons des concepts à cette

discipline. Quelques auteurs en sciences de l'éducation ont parlé de transfert dans la

relation éducative comme Joseph Rouzel40. Dans son ouvrage « Le travail d'éducateur

spécialisé »41, il définit le transfert :

39 S.Freud, « Die endliche und die unendliche Analyse » German éditions, 193740 J.Rouzel, Educateur spécialisé, psychanalyste 41 J.Rouzel« Le travail d'éducateur spécialisé, Ethique et pratique » Dunod, Paris,2002

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(…) dans un cadre autre que la cure, un enfant, un adolescent, un adulte supposent à un éducateur un savoir, sur soi, sur la vie, sur le monde. Ils lui prêtent ce savoir, et c'est pourquoi, comme disent souvent les éducateurs, ça « accroche ». Du fait de ce savoir supposé de l'autre, le sujet va, en parole et en actes, transférer et adresser à l'éducateur les signifiants, les mots, les expressions qui recouvrent et désignent cet objet précieux, que toute la théorie clinique désigne comme à jamais perdu. 42

Souvent sur le terrain, j'entends dire : « qu'est ce que j'induis chez le jeune »? En

hébergement, le transfert est plus net. Une douzaine d'éducateurs côtoient le même jeune

mais aucun d'eux n'a la même relation avec lui. Il m'est arrivé même au cours de mes

expériences, d'avoir un ressenti très différent de mes collègues concernant un jeune.

L'équipe en foyer d'hébergement semblait à l'unanimité ne pas « saisir » la personnalité

de l'adolescent, ça « n'accrochait » pas. Ils avaient de la difficulté à établir des

conversations avec lui. Pourtant, à mon arrivée dans l'équipe, c'est ce même jeune avec

qui je suis entrée plus facilement en relation. Le transfert était différent, il était positif43,

nous nous comprenions avec cet adolescent, une relation de confiance s'est facilement

instaurée par la suite entre nous. Car la relation éducative se construit autour d'un

transfert qui a lieu dès la rencontre. Le professionnel est le transfert de la personne

accompagnée, il est l'image qui est renvoyée à la personne. Tandis que la personne

accompagnée devient elle aussi objet de transfert, il s'agit du contre-transfert, c'est

l'image qu'elle nous renvoie. Nous projetons des images, nous attribuons des pensées, un

caractère lorsque nous rencontrons un adolescent. Parfois, ces images sont fortes et elle

nous rappelle un frère, un ami, un ennemi, quelqu'un que l'on connaît...Il est difficile de

décrire le transfert. Lancan44 résumait en disant que le transfert « c'est de l'amour ».

En ce qui concerne la relation éducative, le terme est mal choisi mais il existe

cette envie d'investir la relation ou pas, et cette envie, résulte des affinités que chacun

ressent de manière différente selon les interactions. Freud parlait de transfert positif ou

négatif dans « Etudes sur l'hystérie »45 en 1895. Le transfert amène à la relation et pour ce

qui est du rôle de l'éducateur, ce transfert va déterminer la relation éducative. C'est

pourquoi un transfert peut être facilitant pour enclencher le travail éducatif comme il peut

être un frein. En effet, comment maîtriser au mieux l'image que nous renvoyons aux

jeunes? Un transfert positif ne doit pas susciter trop d'empathie et d'affection qui pourrait

42 J.Rouzel, op cit, p. 4443 S.Freud « Etudes sur l'hystérie » Bibliothèque de psychanalyse, PUF, 15eme édition44 J.Lacan (1901-1981) psychanalyste français45 S.Freud, Op cit

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donner lieu à une relation de dépendance. A l'inverse, l'éducateur, en cas de transfert

négatif doit éviter que la relation bascule dans une confrontation permanente. Quelques

soient les émotions ressenties, le professionnel se doit de les analyser afin de les mettre à

distance (ou à bonne proximité...) , « prendre du recul » pour pouvoir rester dans la

relation éducative car les rôles y sont précis. Nous y reviendrons par la suite.

Prenons la situation de Yassine qui avait été confié au foyer d'hébergement. Le

jeune homme avait pu nous dire qu'il « nous méprisait à cause de notre statut de

fonctionnaire ». Il disait ne pas nous faire confiance car nous étions représentants l'Etat et

que par conséquent nous étions soumis à lui. Il nous qualifiait à ce propos « d'esclaves »

ou de « jouets de l'Etat » lorsqu'il restait poli. Yassine ne supportait pas cette notion

d'Etat et à ce sujet, nous pouvions avoir des conversations éclairées d'un point de vue

politique. Yassine était intelligent et maitrisait la plupart des concepts anarchistes qu'il

évoquait. Il ne comprenait pas que quelques « puissants » puissent s'imposer sur toute

une nation. Lui estimait ne pas avoir de place dans le système français, alors, il rejetait en

miroir le système français. Le jeune homme clamait avec fierté cette liberté qu'il

s'octroyait : « Ce que vous gagnez en un mois, je le gagne en un jour ». Et bien que

l'adolescent reconnaisse en ces termes qu'il vendait « de la mort », Yassine estimait que

la société française ne lui avait pas permis de gagner autrement sa vie. Pour ses raisons,

Yassine fuyait la relation éducative. Il ne supportait pas notre rôle auprès de lui qu'il

estimait inutile et vain. Il évitait au maximum les contacts et les échanges qu'il pouvait

avoir avec l'équipe éducative. Il faisait juste en sorte de « tenir son placement » afin de ne

pas aggraver sa situation. La non adhésion rassemble en ce terme un bon nombre

d'éléments qui se cumulent comme le transfert dans la relation éducative. Que pouvons

nous faire en cas de transfert négatif, alors que le jeune refuse, évite la relation et freine

de cette façon le travail éducatif?

2.3) La demande inconsciente

« Vous êtes venus taper à la porte de la justice ? » Mme E. , psychologue.

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Au cours de mes entretiens pour mon mémoire, j'ai pu discuter de ces notions

avec les psychologues exerçant sur mon service. Mme E. par exemple se souvient d'une

phrase qu'elle a pu dire à un adolescent au début d' un entretien. Elle lui a demandé

pourquoi il était venu « frapper à la porte du palais de justice ». D'un point de vue

psychanalytique, les praticiens s'accordent à théoriser le passage à l'acte transgressif

comme étant une demande inconsciente du sujet d'interpeller l'extérieur. Le tout étant

d'analyser cette demande. D'un point de vue général, souvent cette demande derrière

l'acte est un appel à l'aide, un signal exprimant une détresse, un dysfonctionnement. En

psychanalyse, ce passage à l'acte est une demande à prendre en compte d'autant plus

qu'elle suscite une injonction judiciaire. Pour les psychologues, ce passage à l'acte est le

début du travail éducatif et ou thérapeutique car le sujet attend une conséquence, un

retour, une réponse.

Mélanie Klein46 a beaucoup travaillé sur l'importance de la réparation47 d'une

point de vue psychanalytique. Ce retour, en Protection Judiciaire de la Jeunesse se fait

dans la contrainte, par une ordonnance. Le Juge des Enfants nous mandate pour

intervenir dans la vie de l'adolescent. Mme E. répond à cela que cette contrainte peut être

confortable pour le sujet qui se voit obligé de faire les choses. Cette obligation peut être

sécurisante pour les adolescents m'explique t elle, notamment pour ceux qui sont pris

dans des « conflits psychiques » ( nous reverrons ce terme par la suite ). Ainsi

l'adolescent peut cacher justement son adhésion aux yeux de sa famille ou de son

quartier. Car là encore c'est l'interprétation des faits qui prévaut : pourquoi l'adolescent

aurait besoin de masquer son adhésion derrière la contrainte ?

La psychologie, là encore, tente de répondre à ces questions. De quelles manières

fonctionnent ces sujets en résistance et plus particulièrement en résistance dans la

relation éducative? Qu'est ce que la relation éducative peut induire chez le sujet pour que

cela suscite chez lui des résistances, que je traduis par ce refus d'adhérer au travail

46 M.Klein (1882-1960), psychanalyste britannique d'origine autrichienne47 M.Klein « L'amour et la haine » Payot, Paris, 1982

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éducatif. Quelques théories se sont intéressées à ce sujet et ont tenté d'analyser les

comportements de ces adolescents « en résistance ».

2.4) La tendance antisociale48

La première définition du pédopsychiatre est de décrire chez le sujet des passages

à l'acte délinquant, déviant, transgressif, ce qu'il nomme antisocial. Winnicott49 insiste

pour dire que ce n'est pas un diagnostic mais une tendance dans le sens où elle peut être

épisodique.

Le psychiatre explique que cette tendance se développe chez « les enfants carencés ».

« (…) la tendance antisociale peut être observée telle qu'elle apparaît chez l'enfant

normal ou presque normal ; elle se rattache aux difficultés inhérentes au développement

affectif »50.

Ce phénomène apparaît dans le premier espace de socialisation, en général la

famille. Un enfant en état de privation de « certains caractères essentiels propres à la vie

de famille » va manifester un comportement d'hostilités à l'égard de ses parents, de la

fratrie, en réaction à cette carence. Et cette tendance antisociale peut s'accroître dans les

autres espaces de socialisation au fur et à mesure que le sujet s'en sentira ou sera

effectivement rejeté de ces espaces. Par conséquent, la tendance antisociale peut s'élargir

après la famille, aux groupes de pairs, à l'école, aux institutions puis à la société d'une

manière générale.

Winnicott a recherché des solutions pour enrayer cette tendance. Il écrit que

« dans la tendance antisociale, l'espoir est sous-entendu 51». En effet, il décrit ce que les

psychologues ont pu m'expliquer : la tendance antisociale est une demande inconsciente

pour que l'extérieur vienne porter son attention. Car en effet le psychiatre écrit : Lorsqu'il y a une tendance antisociale, c'est qu'il y a eut une véritable déprivation (pas une simple

privation); c'est à dire qu'il y a eut perte de quelque chose de bon, qui a été positif dans l'expérience de l'enfant jusqu'à une certaine date, et qui lui a été retiré. Ce retrait a dépassé la durée pendant laquelle l'enfant est capable d'en maintenir le souvenir vivant. 52

48 D.Winnicott « Agressivité, culpabilité et réparation », Petite Bibliothèque Payot, Paris, 200449 D.Winnicott (1896-1971) est un pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique.50 D. Winnicott, op cit, p. 7951 D.Winnicott, op cit, p.8552 D.Winnicott, op cit, p.86

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Cette sollicitation agressive de l'extérieur en psychanalyse s'avère être salutaire

pour le sujet car il a extériorisé son mal être. En psychanalyse, ce mal-être, souvent,

trouve son explication dans la relation à la mère et plus particulièrement dans la relation

du nourrisson à sa mère. Winnicott décrit en deux concepts dans son ouvrage « La mère

suffisamment bonne »53.Il s'agit du « handing » et du « holding ».

Le « holding » consiste à être présent de manière sécurisante vis à vis du

nourrisson pour répondre à ses besoins primaires, comme manger et boire mais aussi

pour répondre aux besoins affectifs importants, notamment pouvoir apaiser les angoisses

du nourrisson.

Le « handling » correspond à la façon dont l'enfant va être traité physiquement et

psychiquement, la manière dont le nourrisson a été intériorisé par l'entourage et envisagé

par sa mère. Winnicott parle alors de « mère suffisamment bonne » pour assurer ces deux

fonctions essentielles au bon développement du nourrisson.

La situation de William

Au cours de mon stage de milieu ouvert, j'ai fait la connaissance d'un adolescent

qui portait cette problématique aux dires des psychologues : William54. Sa mère était âgée

de 15 ans à sa naissance et ils ont été accueillis dans un premier temps dans un foyer de

jeunes mères. En dépit de cette aide, la jeune femme n'a pas été en mesure d'assurer son

rôle de mère ; elle a abandonné l'enfant au bout de 6 mois par le biais d'une fugue

maternelle. L'autorité parentale a été confié par la suite à la circonscription de l'Aide

Sociale à l'Enfance (ASE) de son département. Aujourd'hui, William, âgé de 16 ans, fait

aussi l'objet de mesures pénales et d'un suivi Protection Judiciaire de la Jeunesse.

L'histoire de son parcours institutionnel parle à elle seule. L'adolescent a effectué une

quinzaine de placements en foyer, une dizaine de placements en famille et les trois

années les plus récentes ont été 3 longs séjours de rupture. De tous ces placements, il est

écrit dans les rapports que c'est le comportement de William qui les a mis en échec.

Même si dans les rapports récents je lis que le dernier placement s'est bien déroulé les

53 D.Winnicott, « La mère suffisamment bonne », coll Petite Bibliothèque Payot, ed Payot, 200654 Nom d'emprunt

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trois premiers mois, William a fini par fuguer et revenir de lui même en région

parisienne. Une dispute, un changement, les raisons sont nombreuses pour que William

désinvestisse le placement, de manière consciente ou non.

Les psychologues de service en analyse de pratique explique que William souffre

de carences affectives depuis sa naissance et qu'il est donc difficile pour l'adolescent de

construire une relation stable et durable. Le jeune homme aujourd'hui préfère rester

maître de la situation en rompant lui même les liens. De ce fait, le comportement de

William tend à s'inscrire dans la tendance antisociale. L'adolescent est sorti du système

scolaire dès la 5eme et ne veut plus en entendre parler aujourd'hui. William est aussi une

personne qui souvent va provoqué des conflits dans un groupe d'adolescents. Le jeune

homme d'emblée, teste la fiabilité des relations alors qu'elles sont à peine créées. D'après

les psychologues, le jeune homme use de mécanismes de défense dès qu'il sent que

quelque chose de son histoire se rejoue et notamment lorsqu'il s'attache à quelqu'un. Il

entre alors en résistance et tend au comportement antisocial selon Winnicott. William a

pu se mettre dans des conflits très violents (insultes, coups, menaces...) et très inattendus

avec un de ses camarades de foyer par exemple, avec qui depuis deux semaines il était

ami. William avait été déçu par le comportement de son camarade qui lui avait emprunté

sans lui demander une couverture. Sa déception avait été si forte que sa colère en

semblait démesurée et le mineur a tout de suite demandé à ce que son placement prenne

fin.

L'enjeu ici pour l'éducateur est d'inscrire l'adolescent dans une stabilité matérielle

et affective qui pourra lui permettre de pouvoir commencer un travail éducatif. Cette

relation éducative, si ces objectifs sont réalisés, deviendra peu à peu une relation de

confiance ce qui est nécessaire à la poursuite du travail éducatif. Malgré tout, la

déprivation d'une mère qu'il a subi étant nourrisson suppose, selon les psychologues, des

problématiques abandonniques. William doit pouvoir effectuer un travail

d'accompagnement éducatif et d'étayage psychologique auprès des professionnels réunis

en équipe pluridisciplinaire.

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2.5) le conflit psychique

En psychanalyse, les théoriciens parlent de « conflit psychique ». Dans l'ouvrage

« Vocabulaire de la psychanalyse », cette notion est définie comme suit :

On parle en psychanalyse de conflit lorsque, dans le sujet, s'opposent des exigences internes contraires. Le conflit peut être manifeste ( entre un désir et une exigence morale par exemple, ou entre deux sentiments contradictoires ) ou latent, ce dernier pouvant s'exprimer de façon déformée dans un conflit manifeste et se traduire notamment par la formation de symptômes, des désordres dans la conduite, des troubles du caractère, etc. La psychanalyse considère le conflit comme constitutif de l'être humain et ceci dans diverses perspectives : conflit entre le désir et la défense, conflit entre les différents systèmes ou instances, conflits entre les pulsions, conflit oedipien enfin où non seulement se confrontent des désirs contraires, mais où ceux ci s'affrontent à l'interdit. 55

En ce qui concerne notre étude, nous observons que Yassine et Mehdi sont pris

dans différents conflits psychiques. Les psychologues que j'ai pu rencontrer au cours de

ma formation ont pu me parler longuement de l'importance des parents. D'après les

professionnels, le travail d'adhésion d'un adolescent passe souvent par l'agrément des

parents.

En ce qui concerne Yassine par exemple, c'est le Juge d'Instruction qui avait

proposé à l'adolescent de le placer en foyer d'hébergement de la Protection Judiciaire de

la Jeunesse; cette ordonnance, en accord avec l'adolescent devait être entendue comme

une alternative à l'incarcération. Je me souviens de Yassine au premier jour de sa venue.

Le jeune homme souriait car, il savait que cette situation était une chance pour lui. Dès le

début, nous avons explicité les règles de vie en collectivité avec l'adolescent. Il était clair

que si Yassine ne respectait pas ses obligations liées au placement, l'adolescent avait une

forte probabilité de voir sa liberté encore plus entravée. Yassine ce soir là, semblait ne

pas vouloir tenter de mettre en échec son placement.

Il nous apparaissait avoir été réceptif au discours du Juge et au nôtre. Mais, dès le

lendemain, Yassine est parti, contre notre avis. Le jeune homme a pris ses affaires et a

quitté l'établissement. Nous avons dû le déclarer en fugue. L'équipe a été surprise de cette

réaction. Nous n'avons pas vu le jeune homme pendant trois jours.

55 J.Laplanche et J.B.Pontalis « Vocabulaire de la psychanalyse » , p.90

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Yassine est revenu au bout de ce temps, accompagné de sa mère et d'un oncle.

Nous nous sommes réunis avec la famille de Yassine et l'équipe éducative et tous les

objectifs de placements ont été abordés une nouvelle fois. Yassine éprouvait ce besoin,

que son entourage familial soit informé et surtout qu'il soit en accord avec ces contraintes

judiciaires. La mère a ensuite parlé à son fils devant nous. Madame lui a parlé de

« chance à saisir », elle lui a recommandé de « bien se tenir » pour ne plus avoir de

problèmes par la suite vis à vis de la justice. La réaction de Yassine m'a fait penser qu'il

n'avait jamais entendu ses mots venant de sa mère. Je pense que le jeune homme

s'attendait plutôt à ce que sa mère soit en désaccord avec ces objectifs de placement.

Yassine après cet échange était comme résigner et il a entrepris de faire cet effort de

« tenir son placement » jusqu'à échéance.

Ivan Bozorményi-Nagy56 a travaillé autour de cette notion de « conflit de

loyauté » qui concernait alors Yassine. Le psychiatre évoque ainsi « l'éthique

relationnelle57 » qu'il existe au sein des cellules familiales. Yassine se sentait en conflit de

loyauté probablement vis à vis de sa famille. Le jeune homme avait besoin d'être

encouragé par les siens pour adhérer à la mesure ordonnée à son égard.

Mais ces conflits psychiques qu'éprouvent tout être humain ne sont pas

uniquement liés à la famille. Comme l'explique la définition en début de paragraphe, il

existe plusieurs natures de conflits psychiques et celui qui nous intéresse dans ce

mémoire c'est « le conflit entre les différents systèmes ou instances ». Car c'est bien ce

que peuvent éprouver plusieurs jeunes hommes en arrivant à la Protection Judiciaire de la

Jeunesse. Beaucoup d'entre eux semblent se mettre en conflit psychique lorsqu'ils

adhèrent aux mesures éducatives. Certains nous apparaissent tellement encrés dans leur

environnement social ( comme une bande, un groupe d'amis, une équipe...) qu'ils refusent

en bloc, préservant de ce fait leur intégrité sociale et morale; leur « éthique

relationnelle ».

56 Ivan Bozormenyi Nagy (1920-2007) est un psychiatre américain reconnu à partir des années 50 pour ses travaux en psychogénéalogie et pour avoir été un pionnier dans l'élaboration de thérapies familiales.

57 I.Bosormenyi Nagy, « Invisible Loyalties » Ed Brunner Mazel, New York, 1973

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3) La prise en compte de ses freins dans le travail éducatif

3.1) comment se positionne l'équipe éducative dans cette « non adhésion »?

Travailler avec l'absence

J'ai choisi de prendre l'exemple que les éducateurs de milieu ouvert connaissent

bien : la non présentation aux convocations. Lors des entretiens réalisés avec les

professionnels pour mon mémoire, j'ai remarqué que beaucoup d'entre eux considéraient

ses absences aux premières convocations comme un des signes concrets et

caractéristiques de la non adhésion. Tous ont pu me dire que l'essentiel à cet instant de la

prise en charge est de comprendre pourquoi l'adolescent et sa famille ne se sont pas

présentés, alors que j'aurais pu croire que l'essentiel était de tout faire pour qu'il viennent.

Comme S.Freud58 avait pu analyser que les résistances apportaient en fait autant

d'éléments voire plus sur la personnalité de ses patients, l'équipe éducative s'appuie

toujours de même sur les éléments apparents, à défaut même qu'il y est un échange

verbal.

L'aveu prétend nous faire voir ce qu'est véritablement l'autre en l'identifiant à ce qu'il a dit.

S'écarter de l'aveu n'est pas renoncer à la parole, mais renoncer à établir une vérité définitive à partir de ce

qui est dit. Les travailleurs sociaux doivent probablement suspendre cette prétention à savoir qui est l'autre,

s'ils espèrent l'accompagner dans des évolutions dont il sera le protagoniste. Accepter que tout ne passe pas

par l'aveu, c'est ouvrir un autre espace que celui de la vérité, celui de la relation. 59

Je connais l'exemple d'une famille, suivie dans le cadre d'une mesure de milieu

ouvert que l'équipe a mis du temps à rencontrer. Nous n'avions pas de numéros de

58 S.Freud, Op cit59 Marpeux et Bricaud, « Mineurs étrangers isolés » Champ du social, Paris, 2005

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téléphone, juste une adresse postale. La première convocation par courrier était plutôt

ordinaire. Elle décrivait le cadre judiciaire de la convocation : « Vous avez rencontré le

(date) Le Juge Des Enfants qui a ordonné une mesure de (nom de la mesure). Notre

service a été mandaté pour la mettre en place, nous vous proposons donc de vous

rencontrer le (date et heure) à l'Unité Educative de Milieu Ouvert (adresse). Merci de

nous tenir informé en cas d'indisponibilités, vous pouvez nous joindre aussi pour toutes

autres questions au (numéros de téléphone) du lundi au vendredi de 9h à 18h. ».

N'obtenant pas de nouvelles des familles, les convocations se font plus

pressantes. Nous écrivons que ces absences peuvent leur porter préjudice vis à vis du

Juge. Nous rappelons les obligations. Puis nous proposons des aménagements qui

peuvent être interprétés différemment pour les familles, nous expliquons par courrier que,

n'ayant toujours pas de nouvelles de leur part, nous allons venir à leur domicile.

L'exemple de Kenny

Par deux fois cette année, j'ai vécu cette situation. La première concerne la mise

en oeuvre d'une LSP, nous devions alors rencontré Kenny, un adolescent de 16 ans. Les

trois premiers rendez vous sur le service, nous avons attendus Kenny et sa famille mais

personne n'est venu. Ne pouvant les contacter, nous nous sommes donc rendus au

domicile indiqué, ne serait ce que pour vérifier la validité de l'adresse. Nous avons pu

être accueilli une fois là bas, Kenny et d'autres membres de sa famille était présent. Après

nous être présentés, nous avons demandé les raisons de diverses absences. Le mineur a

été confus dans un premier temps. Il semblait être, au sens de Robert Cario60 dans son

ouvrage61, un adolescent « à la socialisation perdue». Nous avons tenté de le sécuriser

dans un premier temps; nous lui avons rappeler le cadre de notre travail, insistant sur le

fait que nous étions là pour l'aider dans ses affaires judiciaires. Il nous disait ne pas sortir

en dehors de son quartier et qu'il ne savait pas comment venir sur le service. Nous lui

avons proposé de venir le chercher chez lui pour le prochain rendez vous, ce que Kenny a

accepté. Deux semaines plus tard, nous l'attendions en bas de chez lui comme convenu. 60 Professeur en sciences criminelles comparées à la faculté de droit de Pau61 R.Carion « Jeunes délinquants »Sciences criminelles, L'Harmattan, Paris, 2000

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Auparavant, nous avions pu joindre le jeune par téléphone qui nous avisait qu'il nous

attendait comme prévu. Or, nous avons attendu Kenny pendant 1 heure en bas de son

immeuble. L'adolescent a fini par nous rejoindre dans la voiture. Attristé, il nous a

expliqué que pendant cette heure, il avait fait ses adieux à toute sa famille. Il avait réuni

quelques affaires et était prêt à être écroué. Kenny pensait que nous allions l'emmener en

centre de détention.

L'analyse de sa résistance exprime en fait un manque de compréhension de la part

de l'usager qui est « démuni de rapports sociaux ». Bien que nous ayons perçu ses

ruptures dans le parcours de Kenny, nous n'étions pas en mesure d'évaluer cet écart dans

le processus de socialisation. L'adolescent a grandi dans un pays d'Afrique qui a été

renversé par la dictature et c'est ce qui l'a conduit en France à l'âge de 8ans. Nous avons

analysé par la suite que Kenny, ainsi que les membres de sa famille, restaient méfiants

vis à vis des fonctions de l'Etat. Ils étaient en incapacité, tant le traumatisme de la

dictature était encore présent, de faire confiance aux institutions et de croire qu'elles

puissent être dans autre chose que la violence. Chez Kenny, l'analyse de ses résistances

au processus de socialisation trouvent des explications dans le champ de la sociologie et

de la psychologie. Une fois ces analyses effectuées en équipe, nous avons tenté d'

aménager au mieux la mise en place de la mesure prévue pour Kenny. La prise en compte

de tous ces aspects (psychologiques, sociologiques, historiques...) est importante dans

l'objectif de créer au mieux l'adhésion au travail éducatif. L' adhésion de Kenny s'est

acheminé après avoir été analysée. Un travail d'étayage concernant notre intervention

éducative auprès de Kenny et ses parents a été effectué. La famille a eu besoin de temps

pour établir des liens de confiance mais ils se sont crées au fur et à mesure des rencontres

sur le service et à leur domicile, l'adhésion au travail éducatif a été déclenché.

L'exemple de Mehdi

La première rencontre avec Mehdi, 18 ans, avait débuté tout comme avec Kenny.

Lui aussi faisait l'objet d'une LSP. Après plusieurs rendez-vous annulés et sans nouvelles

d'eux, n'ayant pas de contacts téléphoniques, nous nous sommes donc rendus au domicile

familiale avec ma collègue. Nous avons été reçues par la mère de Mehdi et ses deux plus

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jeunes enfants âgés de 3 et 4 ans. Madame a commencé par nous dire que Mehdi refusait

le travail éducatif, d'autant plus que le jeune homme avait déjà été suivi par un éducateur

qui était en poste dans ce même service il y a 4ans. Madame nous disait que Mehdi

connaissait les services sociaux et qu'il pensait que nous ne pouvions pas l'aider. Mehdi

est rentré chez lui alors que nous étions en conversation avec Madame. Nous nous

sommes présentés et le jeune homme a alors repris les mots de sa mère. Il s'exprimait de

manière fluide avec un débit de parole important. Son discours était cohérent et

intelligible. Il laissait transparaître une forte personnalité chez le jeune homme. Mehdi

m'évoquait ce que Thomas Sauvadet appelle sur un quartier un« guerrier ». Il m'a

expliqué très clairement que son dernier éducateur n'avait « rien changé dans sa vie » et

qu'il cumulait les mêmes problèmes depuis ses 14 ans. J'ai tenté alors d'argumenter

favorablement pour un travail éducatif, j'essayais de le convaincre de l'aide bénéfique que

le service pouvait lui apporter. Il commente alors ce qui pourrait être un rapport éducatif

dont il serait l'objet : « L'école, je n'y vais plus depuis 4 ans et je n'ai pas de diplômes, pas

de formation, pas de travail (…) La famille, c'est ma mère qui m'éduque et elle est là (…)

et oui je conduis sans permis et oui, je vends du cannabis et c'est comme ça que je suis

bien ». Ainsi « tout allait bien » dans la vie du jeune et il ne souhaitait pas d'intervention

de notre part. Je lui ai dis à ce moment que nous devions écrire un rapport au Juge des

Enfants, dans lequel nous devrons rendre compte du travail éducatif. Ce rapport devait

être envoyé dans un mois et que par conséquent, nous restions disponible tout ce temps

pour le rencontrer, au cas où il changerait d'avis. Je lui ai laissé la carte du service avec

les coordonnées nécessaires pour nous joindre.

La situation de Mehdi, tout comme celle de Kenny a été évoqué en équipe en

analyse de situation. Il a été décidé pour Mehdi, qu'il était important que le lien avec le

service soit malgré tout conservé, même indirectement. Sa mère étant favorable au suivi

éducatif, elle représentait donc un point d'appui pour le suivi. J'ai entrepris de

m'entretenir régulièrement avec elle, au moins par téléphone. Puis en équipe, un collègue

m'a soumis l'idée de faire le lien avec le service de prévention du quartier, ce que j'ai fait.

L'équipe du service de mon lieu de stage a donc pris ses dispositions pour enclencher au

mieux le travail éducatif avec Mehdi. Au fur et à mesure, les avancées concernant Mehdi

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ont été évoquées chaque semaine avec la psychologue de service. Elle m'aidait à analyser

les éléments sur lesquels je pouvais m'appuyer. Elle me disait qu'il n'y avait pas de « non

adhésion totale » et qu'il y avait toujours un espace dans lequel le professionnel pouvait

intervenir. Comme a pu me décrire une éducatrice de mon service lors d'un entretien :

« L'essentiel est d'exister dans la vie du jeune, qu'il sache qu'on pense à lui. ».

3.2) Dans quelles mesures ces freins empêchent ils le travail éducatif?

Tous ces freins, psychologiques et sociologiques dont les signes concrets comme

le fait d'échapper à la relation éducative démontrent une entrave au travail éducatif. Je

vais tenter à présent d'évaluer dans quelles mesures ces résistances rendent le travail

éducatif quasiment impossible. Dans le cadre de la justice des mineurs, le refus

d'entreprendre un travail éducatif peut être préjudiciable pour le mineur en question. Au

cours de mes stages, j'ai pu observer que les mesures pénales se graduaient dans leurs

forces de coercitions, en fonction des intentions du mineur mis en examen. Si le mineur

n'adhère pas, dans un temps délimité, au placement en foyer par exemple dans le sens où

il refuse le travail éducatif, le Juge peut ordonner un placement en centre éducatif

renforcé (CER) puis fermé (CEF) jusqu'au dernier degrés : la prison pour mineur. Toutes

ces dispositifs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse sont inscrits dans le référentiel

mesures62. Les CEF font état de la non adhésion du jeune en ces termes cités dans les

objectifs de travail de l'éducateur : « rendre possible un travail éducatif dans la durée

pour favoriser l'évolution personnelle, psychologique, familiale et sociale »63. Et malgré

les tentatives d'interventions des équipes éducatives, certains adolescents restent en

opposition dans la non adhésion, le critère commun étant que ces adolescents restent

encrés dans la délinquance.

Reprenons le cas de Mehdi; quelles ont été les conséquences de son refus

d'entreprendre un travail éducatif ? 62 Référentiel des mesures et des missions confiées au service de la protection judiciare de la jeunesse,

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, ministère de la justice, éditions septembre 2005 63 Référentiel mesures, page 83

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Le jour de son jugement, j'ai pu revoir Medhi, ce fut alors notre deuxième

rencontre. La psychologue de mon service avait raison : « il y a toujours un petit espace

pour mener une intervention éducative ». Cela s'appelle un « espace intersticiel »64. Les

liens indirects que nous avions tisser en équipe partenariale autour de Mehdi : les

entretiens réguliers avec sa mère et avec les éducateurs de la prévention de son quartier

qui connaissaient bien le jeune homme, avaient peut être servis au moins à ce qu'il se

présente le jour de son jugement. J'avais le sentiment que Mehdi était venu pour ne pas

laisser sa mère seule pendant le jugement. Mais Mehdi s'est énervé alors qu'il a réalisé

l'attente que représentait un passage en tribunal pour enfants. Cette attente, en soit,

n'allait pas dépasser une heure. Mais une heure, cela semblait être trop pénible pour

Mehdi. Le jeune homme s'en est pris au Juge des Enfants de l'autre côté de la porte. Sa

voix a pu être entendu dans des parties plus éloignées du tribunal : Mehdi manifestait son

mécontentement d'attendre. Il disait « pour qui il se prend (Le Juge) de me faire

attendre?! Je ne me suis pas levé pour attendre ! ». Mehdi fut véhément. J'ai tenté de le

raisonner et je l'ai suivi alors qu'il quittait tribunal. Sur la place devant le palais de justice,

le jeune homme a accepté d'échanger avec moi. Mehdi était encore très énervé et il

ressassait « il (le Juge) se prend pour mon père ou quoi?! ».

Mehdi ne voyait plus son père depuis l'âge de deux ans, autant dire qu'il ne l'avait

quasiment jamais connu. Ses parents s'étaient séparés après une violente dispute et

avaient par la suite rompus tous liens entre eux. Leur relation par ailleurs n'était pas

stable et Madame a pu me faire part des violences qu'elle subissait alors que son mari

consommait excessivement de l'alcool.

Probablement, tout comme l'indique la théorie, Mehdi a souffert de déprivation

du fait de ne pas connaître son père. Et tout comme Winnicott65 l'a explicité, le jeune

homme a alors développé une personnalité à tendance antisociale. Ainsi puisque son père

le laissait faire n'importe quoi, de par son absence, personne d'autre ne pouvait s'opposer

à cela dans l'esprit du jeune, me semblait il. La figure paternelle en effet représente

l'autorité et d'un point de vue psychanalytique, Mehdi attendrait inconsciemment une

intervention de son père pour stopper les délits. 64 Roussillon65 D.Winnicott, op cit

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J'ai tenté de le convaincre de se présenter à son jugement par mon discours et

Mehdi semblait indécis à ce moment là. Il fumait une cigarette face au tribunal. Il

contemplait l'édifice en souriant : « c'est une ruine, le bâtiment va s'effondrer et je serai

dedans ». Puis il regarda le drapeau français qui flottait. Le blanc était devenu marron et

sur les bords on devinait l'usure de plusieurs années d'exposition « ça fait pitié » dit alors

Mehdi. Il était sur le point de rentrer au Tribunal avec moi puis quelqu'un est venu

l'aborder. Il s'agissait de Steeve, co-auteur dans la même affaire que Mehdi. Les deux

jeunes hommes devaient être jugés en même temps. « Ah tu es venu? » lui demande

Mehdi en souriant. « Je suis venu voir comme ça » lui répond Steeve, avec le même

sourire en coin. J'ai salué leur présence matinale à tous deux et je les ai invité à revenir en

salle d'attente pour le jugement. « Maintenant que vous êtes là, vous n'êtes pas venus

pour rien? »dis je. Mais les deux riaient : « Maintenant que l'on s'est retrouvé surtout, on

va aller manger ensemble » me répond alors Mehdi. Les deux jeunes hommes n'étaient

pas agressifs, simplement, ensemble, il paraissait plus compliqué de les convaincre.

Mehdi et son ami ont fini par me remercier de ma persévérance. « Merci, on sait que c'est

pour notre bien, mais non, nous n'irons pas ». Ils m'ont saluée cordialement et Mehdi a

ajouté en partant : « Vous avez fait tout ce que vous avez pu mais j'ai pris ma décision,

j'assumerai ». Je sais que durant tous ces mois, j'avais « existé dans la vie du jeune », lui

même avait pu reconnaître mon action mais ce n'était pas suffisant pour enclencher un

travail éducatif, Mehdi étant resté dans ses positions.

Son jugement malgré tout a eu lieu, sans lui. Avec sa mère, nous nous sommes

exprimées devant le Juge à son sujet. En dépit des refus de Mehdi d'effectuer un travail

éducatif, j'estimais qu'une mesure éducative devait néanmoins se poursuivre à son égard.

J'ai pu exposer mes motivations et affirmer que le processus d'adhésion chez Mehdi était

plus lent que chez d'autres adolescents et que le jeune homme avait besoin de plus de

temps. Le Juge m'a écouté attentivement et trouvait mes arguments pertinents.

Cependant, il n'a pas suivi mes recommandations concernant Mehdi. D'une part Mehdi

était devenu majeur pendant la prise en charge et d'autre part, le Juge avait pu entendre

l'énervement de l'adolescent à travers la porte de la salle d'audience.

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Le Juge me fit répéter que Mehdi tout au long de la mesure avait refusé de venir

aux entretiens. La magistrat a alors plutôt suivi les réquisitions du Parquet qui souhaitait

sanctionné Mehdi, pour son attitude que pour ses actes. La non adhésion ici prouvait bien

l'absence de travail éducatif et les peines ordonnées à l'encontre de Mehdi ont été prises

en conséquence de sa non adhésion. Tous ces freins liés à l'adhésion empêchent donc le

travail éducatif dans le temps judiciaire contraint. Tandis que ce temps peut être suffisant

pour certains adolescents, d'autres semblent avoir besoin de plus de temps.

Par conséquent, nous avons analysé dans cette partie tout d'abord quelles

pouvaient être les causes de ces résistances rencontrées dans le travail éducatif. Ces

causes trouvent leurs explications dans les domaines de la sociologie et de la

psychologie. Les facteurs sont divers et variés; lorsqu'ils s'accumulent, le travail éducatif

ne parvient pas à se réaliser, l'éducateur alors fait face à une impuissance de pouvoir

intervenir. Les équipes éducatives tentent de se positionner mais parfois, le temps

judiciaire ne permet pas un travail de plus grande ampleur.

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Partie II : L'adhésion, finalité possible du travail éducatif ?

L'adhésion, ce terme a pu surprendre certains collègues de la Protection Judiciaire

de la Jeunesse. Pourquoi cette question puisque le mandat ne donne pas le choix aux

adolescents ? L'adhésion n'est pas acquise au départ puisqu'ils n'ont pas choisi d'être suivi

par un juge. Mais qu'en était il du réel travail éducatif ? Ne doit il pas émaner aussi de

l'adolescent, avec sa volonté, son adhésion? Notre rôle se bornait il uniquement à ce que

les jeunes honorent les injonctions judiciaires ?

Au fur et à mesure des entretiens, j'ai pu observé le cheminement d'un travail

éducatif à travers un parcours judiciaire. L'articulation entre le juge et la Protection

Judiciaire de la Jeunesse influe dans l'adhésion de l'adolescent au travail éducatif. Une

bonne évaluation de la situation favorise la cohérence des prises en charge. Comment, en

fonction du cadre judiciaire, l'adhésion à un travail éducatif peut être amené ?

Tout d'abord, j'observerai la relation éducative dans le cadre judiciaire : la

préparation au jugement, le travail avec les familles, le travail sur l'acte et le travail

pluridisciplinaire. Nous verrons en quoi le cadre judiciaire peut favoriser une adhésion au

travail éducatif. La relation éducative sera une notion importante de cette deuxième

partie.

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1) Le cadre judiciaire, l'injonction d'effectuer un travail éducatif

1.1) Le travail en lien avec le Juge des Enfants

L'instauration du lien en recourant aux différents outils disponibles, en utilisant les ressources identifiées dans l'environnement du jeune et de sa famille est essentiel. A cet égard, toute prise en charge éducative intègre le principe de la construction du lien sans pour autant faire de l'adhésion du mineur et / ou de sa famille un préalable. A contrario, le refus répété de toute intervention, malgré les différentes tentatives de rencontre, conduira à adresser un rapport au juge qui décidera de la conduite à venir .66

La circulaire du 02 février 2010 détaille par la suite le déroulement de l'action

éducative au pénal. Premièrement, le rôle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse est

d'évaluer la situation spécifique du mineur afin d'élaborer par la suite « une stratégie

d'intervention éducative»67. Les aspects fondamentaux précisent le texte pour cette

évaluation est de prendre en compte la famille, la scolarité et la santé du mineur. Ensuite,

l'évaluation porte sur le comportement délinquant du mineur ; le type de délinquance, les

conditions du passage à l'acte et le positionnement du mineur dans son rapport à la loi.

Après avoir étudié tous ces aspects, l'éducateur peut alors déterminer sa « stratégie

éducative ». Le texte précise ensuite :

Afin de consolider l'intervention des professionnels, il est indispensable de s'appuyer sur les capacités et les ressources du mineur mais également sur celles de son entourage sans lequel il est souvent difficile de modifier la situation, les modes de résistances légaux et illégaux à l'insertion, ainsi que les freins qui apparaissent à l'encontre des sorties de la délinquance 68.

La Protection judiciaire de la jeunesse a pour cadre sa propre administration qui

est rattachée au ministère de la justice. En tant qu'administration publique, la Protection

Judiciaire de la Jeunesse est donc chargée d'appliquer les nouvelles lois et ainsi de

répondre à la demande émanant de l'Etat dans ses politiques publiques. Ses politiques

publiques, depuis deux décennies s'intéressent de près à la délinquance des mineurs. En

effet, les enjeux politiques concernant les mineurs ne sont plus les mêmes depuis la

66 Extrait de la circulaire d'orientation sur l'action d'éducation dans un cadre pénal du 02 février 2010, p.667 Extrait circulaire 02 février 2010, op cit, p.668 Extrait circulaire 02 février 2010, op cit, p.7

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rédaction de l'ordonnance du 02 février 1945. A l'époque, la France, à l'issue de la

seconde guerre mondiale était en reconstruction. Et pour se faire, la nation avait besoin

de s'appuyer sur sa jeunesse et devait par conséquent l'aider à surmonter les traumatismes

de la guerre, qui à l'époque, avait laissé beaucoup d'adolescents livrés à aux mêmes, en

danger et en proie à la délinquance. Renonçant au traitement judiciaire ancien qui était

réservé aux mineurs, l'esprit de l'ordonnance de 1945 a été subversive à l'époque dans le

sens où elle innovait par cette idée que malgré des faits de délinquance juvénile,

l'éducatif devait primer sur le répressif. Mais depuis, les temps ont changé, de

l'irresponsabilité pénale en 1945, la jeunesse délinquante depuis 1993 bénéficie

aujourd'hui d'atténuation de la responsabilité pénale69 :

Le système protectionnel, qui considérait l'enfant délinquant comme une victime, pouvait être accepté par une société marquée par la croissance du pouvoir d'achat et par le plein emploi. Il devenait moins tolérable dans une société dominée par l'insécurité sociale. A partir des années 90, les différents gouvernements ont compte tenu du sentiment d'insécurité suscité en partie par l'augmentation de la délinquance des jeunes et ont réformé profondément l'ordonnance de 45 70.

Dominique Youf71 commente alors le durcissement progressif de la justice des

mineurs prévalant sur l'équilibre entre coupable, victime et société. Et c'est le

changement de société qui modifie les lois dans ce contexte. Aujourd'hui, les sociologues

et économistes décrivent ces trente dernières années comme les « trente piteuses » : les

jeunes d'aujourd'hui ne sont plus aussi sûrs que les jeunes de 1945 d'avoir une place à

l'avenir dans la société. Durant la période des « Trente glorieuses », les sociétés

occidentales connaissaient de faibles taux de chômage car la croissance économique était

forte. Aujourd'hui, l'école, à elle seule, ne garantit plus son rôle d'insertion dans le futur;

cela se voit notamment à travers le chômage , chez les jeunes diplômés de niveau bac+4

et plus72.

Par conséquent, beaucoup d'adolescents se retrouvent vite en difficultés dès lors

qu'ils ne parviennent pas à s'adapter à cette nouvelle société de plus en plus exclusive qui

69 Loi du 24 aout 1993 portant sur les réformes du code pénal70 D.Youf « La justice pénale des mineurs » La documentation française, Problèmes politiques et sociaux

n° 935,p.7, Paris, avril 200771 D.Youf est un philosophe et juriste spécialiste de la justice des mineurs72 Www.eco.rue89.com : Les chiffres du chômage des jeunes, « génération perdue » 18 Aout 2010, écrit

par F.Krug.

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ne peut assurer à chacun l'espoir de trouver une place stable et enrichissante. Beaucoup

de jeunes se sont vus ainsi être exclus et les classes populaires, prolétaires se sont vus

distancées rapidement d'un point de vue économique, faisant les frais d'une conjoncture

de crise globale.

Dominique Mulliez73, magistrat décrit alors la conséquence de ces changements

institutionnels du traitement de la délinquance juvénile. Il écrit :

« Défendre aux magistrats de se situer dans un positionnement politique dans

leurs décisions tout en demandant qu'ils s'impliquent dans des politiques publiques

fortement marquée par des choix politiques peut parfois s'apparenter à une injonction

paradoxale. 74»

Le magistrat exprime dès lors des changements profonds pour les acteurs du

milieu judiciaire de la jeunesse pouvant amener jusqu'à des non sens dans leurs fonctions

respectives. D'où l'importance de la relation entre magistrats et éducateurs pour ne pas en

arriver à l'injonction paradoxale75. En effet, comment assurer au mieux son rôle

d'éducateur au sein d'un système judiciaire tendant vers plus de répressif, poussé par

l'opinion publique de plus en plus en proie à l'insécurité? Que devient la part d'éducatif

alors que sa primeur est remis en cause par les opinions publiques? Que peut être le rôle

d'un éducateur dans la mise en place de sanctions et de peines?

L'adhésion dépend de cette première étape chez le Juge et du contexte dans lequel arrive

les adolescents.

73 D.Mulliez est magistrat et chef d'Inspection des services de la direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

74 D.Mulliez « Pour une réflexion sur les relations entre magistrats et Protection judiciaire de la jeunesse » Cahiers dynamiques n°21, dec 2001, p. 31

75 « Ordre incongruent plaçant le récepteur dans une situation angoissante » définitions sources : www.dicopsy.com

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1.2) le sens de la sanction

« Quand on ne sait parler parce que la parole a disparu dans la société, on ne dispose plus que du passage à l’acte »76

Je commence ma réflexion en me demandant si la non adhésion viendrait d'une

sanction qui serait ressenti par les adolescents comme une vexation. Si la sanction est

primordiale dans l'équilibre d'une société démocratique, pour le mineur, ce passage au

tribunal et devant le Juge peut le laisser amère. En effet, nous avons étudié en première

partie que le passage à l'acte arrivait par manque de mots, manque de moyens

d'expressions pour exprimer une douleur, une souffrance.

Mais bien que les éducateurs et professionnels de la jeunesse sachent cela, l'acte

commis ne peut pas rester sans réponse. Lors des entretiens que j'ai pu réaliser avec des

adolescents de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, beaucoup ont une réponse

commune. A la question : « pensez vous que les mesures pénales prises à votre égard

sont justes? »; la plupart d'entre eux ont répondu que ces sanctions étaient méritées,

« normal » diront certains. Winnicott écrit par exemple dans la tendance antisocial77 que

l'adolescent en volant, cherche autre chose que l'objet volé en lui même.

Inconsciemment, l'adolescent le fait car il se sent privé de quelque chose et il se

« dédommage » par lui même de cette façon, en volant. L'acte délictueux ici peut être

reconnu difficilement par le mineur car c'est lui au départ qui s'est senti volé, c'est lui qui

était lésé. Les adolescents souvent n'acceptent pas cette position de victime qu'ils peuvent

connaître.

Mais, comme avait pu le développer les psychologues du service dans lequel

j'effectuais mon stage, des adolescents commettant des passages à l'acte délinquant

sollicitent pour la plupart d'entre eux inconsciemment ou non des regards de l'extérieur

sur eux. Un passage à l'acte, par conséquent, ne peut être resté sans réponse, d'un point de

76 F.Tanguy « « Mémoire d'éducateurs spécialisés : des outils pour refermer la boîte de Pandore vers une andragogie autogestionnaire » Paris, 2011

77 D.Winnicott « La tendance antisociale »op cit

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vue psychanalytique mais aussi social et démocratique. Eirick Prairat78 commente ainsi

« rien de pire que le silence en cas de transgression caractérisée de la loi79 »

Alors que j'effectuais mon stage de milieu ouvert, le directeur de la structure m'a

attribuée une mesure concernant Mousshine80. L'équipe, connaissant le thème de mon

mémoire avait soumis cette idée que je puisse suivre cet adolescent qui apriori pouvait

faire l'objet de non adhésion. En effet, dans le rapport rédigé par le Service éducatif

attaché aux tribunaux (SEAT), le Recueil de renseignements socio éducatif (RRSE)

faisait état de plusieurs éléments laissant penser que l'adolescent allait freiner le travail

éducatif. La plupart de mes collègues, lors des entretiens, considèrent en effet que le

premier signe de non adhésion était le rapport aux faits reprochés. Et dans le RRSE

concernant Mousshine, les éducateurs ont fait état de son refus de reconnaître ces actes

délictueux.

Philippe Meirieu énonce le fait que la sanction responsabilise la personne en la

mettant face à ses actes : « La sanction contribue à son éducation en créant chez lui

progressivement cette capacité d’imputation par laquelle liberté se construit. »81

La sanction a une place dans un contexte éducatif, lorsque magistrats et

Protection Judiciaire de la Jeunesse sont en cohérence dans la prise en charge du mineur.

Souvent par exemple, nous constatons que les mesures coercitives (CJ, Sursis Mis à

l'Epreuve, etc) sont la plupart du temps accompagnées de mesures éducatives (LSP,

16bis, etc). Les magistrats en ordonnant ces mesures conservent l'esprit de l'ordonnance

de 1945. Au cours de ma formation en Seine Saint Denis, je n'ai jamais pu observé de

mineur n'ayant pas de mesures éducatives.

78 E.Prairat est Professeur de Sciences de l'Éducation à l'Université Nancy 2 79 E.Prairat, « Ce que sanctionner veut dire » op cit80 Nom d'emprunt81 P.MEIRIEU, Le choix d’éduquer, 2007, ESF, p.66

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« L'action de punir, comme tout action, ne se justifie que s'il en résulte quelque

chose de bon. Si l'enfant doit être puni, c'est seulement dans la mesure où l'action de

punir peut être intégrée à l'œuvre d'éducation »82.

La justice dans son fondement, n'a pas pour unique but d'assurer le juste équilibre

entre victimes, coupables et société, elle maintient aussi un degré de responsabilisation

des individus. Cette responsabilisation leur permet aussi de se construire une place de

citoyen au sein d'une République démocratique.

Comme nous l'avons vu avec Mélanie Klein83, le processus de réparation est un

fondement du psychisme. Un nourrisson d'être soutenu mais aussi d'être sanctionné pour

se construire, afin qu'il intègre les notions d'amour et de haine; l'objet du désir pouvant

être en même temps amour et haine. Par la suite, l' enfant va ressentir de la culpabilité

pour avoir ressenti de la haine. Il éprouvera le besoin de réparer, et la mère doit l'aider à

apaiser ses angoisses liée aux sentiments de culpabilité.

Ces premiers temps de la vie d'un être humain structure le psychisme par la suite.

La justice vise également la réparation pour assurer cet équilibre. Les mineurs souvent

sont amenés à « réparer » selon les faits causés : ils se voient sanctionner mais cette

sanction a pour objectif de leur donner cette possibilité de réparer et de se réparer ainsi

psychiquement. La sanction éducative a également une visée structurante d'un point de

vue social car elle place l'adolescent délinquant dans une responsabilisation qui permet le

maintien des liens sociaux.

Par rapport aux adolescents en résistance et au travail éducatif, le point de départ

pour William, Yassine Mehdi et Mousshine est qu'ils ne reconnaissent par leurs faits en

tant qu'acte délictueux. C'est alors à l'éducateur d'expliquer à la sanction afin qu'elle

prenne sens chez eux. Les autres adolescents que j'ai pu interviewer pour mon mémoire,

eux, reconnaissaient les faits et acceptaient la contrainte du travail éducatif.

82 M.Conche « Le fondement de la morale » cité par Eirick Prairat dans l'article « ce que sanctionner veut dire », p.4 Cahiers Dynamiques, Janvier 2010, n° 45

83 M.Klein « L'amour et la haine », op cit

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2) la relation éducative dans un temps judiciaire

« Nous, nous sommes dans la contrainte, donc l'adhésion ici est contrainte. »

Maxime84 ,

éducateur Protection Judiciaire de la Jeunesse

D'après le dictionnaire, « éducation » signifie la« mise en œuvre des moyens

propres à assurer la formation et le développement d'un être humain »85. Et relation (entre

personnes) se définit comme : « lien de dépendance ou d'influence réciproque »86. La

relation éducative serait un lien de dépendance et d'influence réciproque qui permettrait

d'assurer la formation et le développement des êtres humains.

« La relation éducative est un temps, un espace, à la fois instables et sécurisés, au sein desquels une personne requise pour ses compétences en aide une autre à passer du vivre à l’exister. (…) La personne apprend à faire ses propres choix au regard des capacités et à devenir pleinement actrice de sa vie. C’est dans ce difficile accompagnement, que les équipes éducatives mettent en œuvre l’aide à l’autonomie de la personne.»87

Le temps judiciaire est délimité par le Juge selon le moment où il souhaite que

l'audience de jugement ait lieu. Souvent ce temps est de six mois pour beaucoup de

mesures éducatives avant jugement. Les équipes éducatives et l'adolescent connaissent

les échéances par avance et doivent s'organiser en fonction. Parfois, les jugements sont

en instruction et ce temps peut être plus long. Ensuite, le juge peut ordonner d'autres

mesures post sentencielles.

2.1) L'adhésion à échéance

84 Nom d'emprunt85 Le petit Robert, 200886 Ibid87 P.Gaberan, La relation Educative, ERES, 2003

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La relation éducative débute le plus souvent avec la rencontre des parents. Dans

le cadre d'un suivi à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nous faisons la connaissance

d'un adolescent et de son environnement familial, social. Cela nous permet par la suite

une approche plus globale de l'adolescent. Les échéances de ces prises en charge sont

pour la plupart du temps les jugements. A la suite de ces jugements, des mesures

éducatives sont prononcées ou non. Le temps de la relation éducative s'appuie sur ce

temps de préparation de jugement. Il s'agit pour l'adolescent d'évoluer et de prouver son

évolution, ses changements positifs entre son passage à l'acte et le moment où il a été

déferré et le moment où il sera jugé.

J'ai pu interviewer la plupart des éducateurs de service dans lequel j'effectuais

mon stage dans l'objectif de nourrir mon mémoire. Beaucoup ont réagis à ce terme

d'adhésion. Pour beaucoup d'entre eux, la préparation du jugement permet souvent

l'adhésion. En fonction de son rapport à la loi, à l'autorité, y compris symbolique, les

adolescents redoutent plus ou moins ces échéances, mais tous au fond, redoutent de voir

leur situations s'aggraver. Mehdi, par exemple, malgré son attitude de refus permanent

s'est tourné vers le service éducatif peu de temps avant les échéances de jugement. Un

collègue éducateur a pu me dire à ce sujet : « ça les travaille toujours! ».

Mehdi n'était pas venu finalement. Sa seule démarche envers le service éducatif

avait été de me téléphoner pour prendre rendez vous une semaine avant son jugement. En

fonction de mes disponibilités, ça n'avait pas été facile de trouver un rendez vous. Le jour

prévu, le département de la Seine Saint Denis s'était retrouvé paralysé par la neige. Les

bus ne desservaient plus le quartier de Mehdi. L'adhésion aurait pu émerger dans ce

travail de préparation. Lors de son jugement, ce manque d'adhésion (malgré cette

amorce) a été pris en compte et sanctionné et nous n'avons pas été mandaté une nouvelle

fois pour un suivi éducatif.

Le temps joue un rôle fondamental dans le processus d'adhésion. Nous avons

probablement manqué de temps avec Mehdi. Selon les problématiques des adolescents

que les services ont à prendre en charge, l'adhésion met plus de temps à apparaître. Et il

faut pourtant pouvoir agir rapidement car la durée des mesures éducatives qui nous sont

confiées au service s'étendent sur six mois.

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Pour les éducateurs que j'ai pu questionner, le processus d'adhésion au travail éducatif

commence nécessairement avec la préparation du jugement.

2.2) La préparation du jugement

Le travail avec les familles

La première rencontre en milieu ouvert, se déroule généralement avec les parents.

Dans les convocations envoyées au domicile, nous précisons que nous souhaitons, lors de

cette première prise de contact recevoir l’adolescent ainsi que le et/ou la et/ou les

dépositaires de l’autorité parentale. Ceci varie selon l’environnement de chaque mineur

pris en charge. Mousshine faisait l’objet de deux mesures ordonnées par le juge : une

LSP ( liberté surveillée préjudicielle ) et un CJ ( contrôle judiciare ). L’adolescent à

l’époque a été arrêté pour des faits de violence en réunion suivie d’une ITT (incapacité

totale de travail) pour la victime de sept jours.

Par ailleurs, il avait également été mis en examen trois mois plus tôt pour des faits

de transport, d'usage, d'acquisition et de cession de cannabis.

Mousshine et ses parents n'avaient pas pu venir aux trois premiers rendez vous proposés.

J'avais pu joindre par téléphone Mme S. sa mère; cette dernière me dit alors qu'elle n'était

pas au courant. Nous avons convenu d'un rendez vous tous ensemble le jour suivant. Le

lendemain, Mousshine et ses parents se présentent au service. Nous les avons reçu avec

une collègue titulaire. L'entretien fut éprouvant. Il s'est avéré que les parents de

Mousshine n'étaient pas au courant des faits précisément. Ils savaient en revanche que

leur fils s'était retrouvé plusieurs fois en garde à vue au commissariat ces derniers mois.

Les parents de Moushine sont désappointés par cette situation. Madame semble trouver

des explications dans la personnalité de son fils : « Il est différent, il n'est pas comme ses

frères et soeurs, eux sont respectueux, lui, il ne fait que des bêtises ». Monsieur nous dit :

« ici les jeunes ne sont pas les mêmes, ils ne grandissent pas de la même façon...ici, ils

veulent consommer, consommer et c'est tout ».

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Les parents de Mousshine sont originaires du Mali, ils sont arrivés en France à la

fin des années 80. Ils ont eu cinq enfants, tous sont nés en France. Mousshine est le

second, avec son frère jumeau. Tous sont scolarisés, sauf lui, depuis un an; il n'a pas été

admis en Contrat d'apprentissage professionnel. Monsieur travaille. Madame reste au

domicile, souffrant de séquelles liées à un grave accident de la circulation. Dix ans après,

elle a encore beaucoup de difficultés motrices, pour marcher, pour parler, pour écrire.

Mousshine ne dira pas un mot de l'entretien. Durant une longue heure il entendra ses

parents lister ses défauts. Leurs relation semblaient être conflictuelles. Cela n'a pas été

facile d'apaiser Monsieur et Madame qui étaient très inquiets pour leur fils. Mousshine

termina l'entretien en pleurs.

Leurs relations entre parents et enfants paraissaient conflictuelles, mais la réaction

de Mousshine me semblait positive malgré ses larmes. Il me semblait que le désarroi de

ses parents l'attristait. Cela me fit penser que les parents de Mousshine avaient peut être

conservé leur autorité sur lui dans le sens où leur regard semblait avoir une importance,

vue sa réaction. Je pensais alors qu'il était nécessaire pour l'adolescent de se voir

valoriser au travers le regard de ses parents. Les parents de Mousshine allaient pouvoir

être un ressort dans le processus d'adhésion au travail éducatif de Mousshine.

Les relations avec l'autorité parentale sont différentes, en ce qui concerne Yassine

et Mehdi. Nous avons vu par exemple avec Yassine qu'il était revenu au foyer,

accompagnée de sa mère. Celle ci avait pu être une aide à l'adhésion à ce moment là.

Mais cette adhésion qu'elle avait pu insuffler à son fils était qualifiée en équipe

d'adhésion de surface. Yassine œuvrait en réalité pour se faire oublier, pour passer

inaperçu mais pas pour changer en réalité. Son activité délinquante malgré le placement

n'a jamais cessé. En analyse de situation, il avait été établi que Yassine et sa mère avait

une relation ambivalente. Cette dernière, seule à élever ses enfants, avait pu nous dire son

impuissance à agir, son manque d'autorité. Elle n'osait pas s'imposer face à ses trois fils

devenus adultes.

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De mon point de vue et également pour avoir analysé en équipe de milieu ouvert

la relation entre Mehdi et sa mère : leurs rapports sont tout aussi ambivalents, c'est à dire

que Madame pouvait changer de discours lorsqu'elle s'adressait à lui. La mère de Mehdi a

pu me dire, par exemple, que sa plus grande peur était que son fils de 18ans, quitte le

domicile familial, alors que ce dernier contribuait à mettre à mal la vie de famille de par

son attitude décrit comme « toute puissance ». Madame souhaitait le voir changer mais

n'osait pas « l'affronter » me disait elle.

Madame vit seule avec ses 5 enfants. Elle me disait, alors que je venais la visiter

régulièrement au domicile, que ces enfants « sont tout pour moi, ils sont toute ma vie ».

Madame avait peur en fait à l'idée de perdre leur amour. Elle me disait qu'elle avait

toujours beaucoup « cédé » à Mehdi depuis son plus jeune âge; de peur qu'il ne l'aime

plus. Aujourd'hui, Madame connait les problèmes de son fils. Elle est consciente de ses

dérives délinquantes. Elle lui dit, elle lui rappelle les risques qu'il encoure mais elle fuit

le conflit. Et de son propre aveu, Mehdi « fait ce qu'il veut à la maison, il se comporte en

homme de la maison...faut dire que la place a toujours été libre ». Madame souffre de

dépression, elle n'a pas beaucoup d'énergie pour se battre sur tous les fronts « j'ai

abandonné certains combats » me dit elle. « vous savez, Mehdi sera peut être un vrai

voyou, un vrai délinquant, il y en a...c'est peut être ça son destin... ».

La famille n'échappe pas à ce lent travail de sape et de destruction, elle se fragilise, diminue dans sa configuration, perd une bonne part de ses ressources et de son indépendance, et s'étiole. Par contre, au même moment, elle est encensée ou stigmatisée par les pouvoirs publics, qui entendent bien faire de ce qu'il en reste un auxiliaire social ou pénal, destiné à compenser en partie le désengagement de l'Etat dans la vie publique. 88

Comme l'écrit Laurent Ott, au fur et à mesure que les institutions se sont

affaiblies, la famille s'est vue attribuée plus de fonctions. La famille dans nos sociétés

actuelles a évolué. Aujourd'hui, presque un mariage sur trois se termine en divorce

(sources INSEE). L'émancipation de la femme, l'allongement de la durée de vie

expliquent en partie ce phénomène. Aujourd'hui, les familles monoparentales ou

recomposées sont fréquentes et dans ce contexte des « 30 piteuses », la fonction familiale

s'est accrue. La famille est devenue aujourd'hui une ressource essentielle pour les

individus, son rôle de socialisation s'avère déterminant.

88 L.Ott « Travailler avec les familles »éditions Erès, Ramonvile Saint Agne, 2004, p.117

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La mère de Mehdi, tout comme la mère de Yassine sont seules pour élever,

éduquer leurs enfants. Elles n'ont pas eu le soutien institutionnel nécessaire qui leur

manquait en tant que famille mono-parentale. L'école par exemple pour Yassine et pour

Mehdi n'a pas joué son rôle d'insertion sociale. Par ailleurs, ils ont tous deux grandi sans

la présence de leur père. Le père en psychanalyse représente l'autorité, dans sa

symbolique, l'image paternel incarne le rapport à la loi. Quand est il de Mehdi et de son

rapport à la loi? En quoi l'absence du père joue t elle un rôle dans ce rapport ?

Le jeune homme n'a presque jamais connu son père ; Monsieur est parti du

domicile familial alors que Mehdi avait deux ans. Cette déprivation de père est une

souffrance visible chez Mehdi. Par exemple, le jour de son jugement, le jeune homme

s'est fait remarquer dans tout le tribunal pour enfants. Mehdi criait avec véhémence que

le Juge le faisait attendre et que c'était inadmissible. Ce « scandale » pouvait être à la

limite de l'outrage à magistrat étant donné que le Juge pour Enfants de Mehdi a entendu

l'agitation et l'énervement de ce dernier à travers la porte de la salle d'audience. Après

cette incivilité, les premiers mots de Mehdi ont été : « pour qui se prend le juge, ce n'est

pas mon père ». Le lien entre les actes transgressifs de Mehdi et la déprivation d'un père

est cette colère, ce sentiment d'injustice avec lequel Mehdi s'est construit. Mais Mehdi,

peut être, sous entend aussi derrière cette phrase qu'il a besoin d'une figure paternelle

forte garantissant une autorité même extrême puisque c'est ce qu'il attendrait d'un père;

lui seul pourrait avoir le droit d'être intransigeant envers Mehdi.

Le fait de comparer le Juge pour Enfants, qui est un homme en ce qui concerne

Mehdi, à son père, n'est pas anondin. Mehdi, inconsciemment, attend peut être du Juge

des Enfants l'autorité qu'il n'a pas eu de son père. Et bien que le jeune homme ne

reconnaisse pas ses délits, qu'il estime d'une certaine façon justes à son échelle, la justice

doit maintenir sa fonction symbolique en sanctionnant les faits de l'adolescent. Le

premier objectif étant ici que Mehdi n'éprouve pas de sentiments d'impunité. C'est à

l'éducateur, par la suite d'amener un travail sur les faits.

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Travail sur l'acte

Transgression vient du latin trangressio qui signifie « passer outre »89. L'action de

transgresser est le fait de désobéir et de violer une loi, un interdit. La plupart des

adolescents pris en charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse sont auteurs d'actes

transgressifs, délictueux et c'est cet acte qui les ont conduits vers ce travail éducatif

contraint.

William est arrivé dans nos services pour avoir proféré des menaces de mort à

l'encontre d'un adulte, Mehdi pour un trafic de résine de cannabis, Yassine pour un trafic

de crack et Mousshine pour des violences aggravées. Tous ces actes sont différents.

Certains actes nous paraissent plus graves, chaque sensibilités d'éducateurs s'expriment

différemment selon la teneur des actes. « Nous ne sommes pas neutres dans nos

accompagnements, chacun est guidé par des valeurs qui ont construit son identité

d'éducateur. »90. Mais l'important pour le professionnel, c'est de s'attacher à la personne,

et non à l'acte. Ce travail sur l'acte est selon moi, est un travail d'une grande dimension

pour l'éducateur PJJ.

Un article des Cahiers dynamiques traite de ces pratiques autour de milieu ouvert91. En ce

qui concerne le passage à l'acte, nous ne sommes pas juges, ni procureurs, ni avocat,

notre rôle est de créer du lien avec ses adolescents même si certains parcours évoquent en

nous de l'effroi ou de l'injustice. Nous nous devons de prendre du recul et de regarder la

personne en tant que sujet pour pouvoir comprendre les conditions dans lesquelles le

jeune est passé à l'acte. Il s'agit pour nous de contextualiser en reprenant l'histoire

familiale, le parcours scolaire de l'adolescent. Pour comprendre, il faut s'appuyer sur ce

que dit l'adolescent et sur ses représentations.

J'ai pu reprendre en équipe pluridisciplinaire, mes entretiens avec Mousshine.

Ensemble, nous avons tenté d'analyser les conditions de son passage à l'acte en fonction

de ce que l'adolescent pouvait en dire en dire. Il a été analyser que Mousshine était pris

89 Définition Petit Robert de la langue française 2009, p.260290 F.Tanguy « Mémoire d'éducateurs spécialisés : des outils pour refermer la boîte de Pandore vers une

andragogie autogestionnaire » Paris, 201191 N.Faingold et coll, « Pratiques éducatives et savoirs professionnels en milieu ouvert », Cahiers

dynamiques n°41, Mai 2008, p.21

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dans des phénomènes de bandes importants. Nous avons pu vérifier cette hypothèse en

nous mettant en contact avec l'équipe de la prévention spécialisée de son quartier. Ces

derniers nous ont confirmé la présence de Mousshine dans plusieurs groupes de

personnes, dont les activités s'organisaient autour d'un trafic de cannabis.

J'ai eu l'occasion de préparer un jugement en milieu ouvert avec Mousshine. Le

jeune homme ne reconnaissait pas les faits qui lui étaient reprochés. Il avait pourtant été

mis en examen et s'était vu attribué une mesure éducative de LSP ainsi qu'une mesure

coercitive, un CJ pour des faits de violence en réunion n'excédant pas 7 jours

d'Interruption temporaire de travail. Il avait également été mis en examen deux mois

auparavant pour des faits d'usage, d'acquisition de transport et de cession de résine de

cannabis. Mais le jeune ne reconnaissait aucun de ces faits; l'adhésion au travail éducatif

n'apparaissait pas en ce début de mesure; car elle passe en partie par la reconnaissance

des faits. J'avais donc pris le parti de laisser de côté cet aspect du travail, pour d'abord

créer une relation de confiance avec l'adolescent. J'y reviendrais par la suite.

Puis le jugement approchant, nous avons pu reparler des faits. Mousshine avait eu

beaucoup de difficultés à revenir sur cette histoire de violence qui semblait le peiner. Il

mit du temps pour développer le récit de cette transgression. Mousshine a commencé par

me décrire une agression qu'il aurait subi, lui et plusieurs de ses amis. Les « grands de la

cité » étaient venus les corriger. A ma question « pourquoi? » Mousshine resta

silencieux. Deux semaines plus tard, lui et quatre de ses amis avaient projeté de se

venger. Ils sont arrivés à cinq devant la porte de l'appartement d'un de celui qui les avait

frappé. Ils ont sonnés à sa porte et dès qu'il a ouvert, les cinq adolescents se sont mis à le

violenter. Dans le cadre de la relation éducative , Mousshine reconnaissait les faits, ce qui

n'était pas le cas en audience avec le Juge. « Tu regrettes ? » lui demandais je alors. Le

jeune homme avait la tête baissée; « oui » me dit il. « Et pourquoi tu regrettes? » « Je

regrette » dit il « parce qu'à cause de cette bagarre, je me suis fâché avec mon meilleur

ami...La victime était son grand frère ». Je fus un peu surprise de ce décalage...J'ai

cherché, je lui ai dit « Tu ne regrettes pas aussi pour toi, de t'être retrouvé là? ». Le jeune

homme hausse les épaules. Je tente de comprendre en repartant sur les faits. Je lui

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demande de décrire comme il peut la scène de violence pour laquelle il était mis en

examen. Mousshine me décrit un déchaînement aveuglé, ses souvenirs sont confus. La

victime s'est vite retrouvée au sol et à cinq autour, ils l'ont roué de coups. « J'avais peur,

je tapais comme un fou » me dit Mousshine. Je lui demande comment était la victime à

ce moment là; « est ce qu'il criait, est ce qu'il saignait? ». Mousshine recherche alors dans

sa mémoire « oui, il y avait du sang, au niveau du visage »... « Comment tu t'es senti à la

vue du sang? », Mousshine de nouveau haussa les épaules. Selon moi, il n'avait pas

conscience de cette violence, elle semblait être banale pour lui. Son seul regret à ce début

de prise en charge était qu'à cause de cette vengeance, lui et son meilleur ami s'étaient

disputés.

Il y avait par conséquent un important travail sur les faits à effectuer avec Mousshine qui

par ailleurs, ne les reconnaissait pas devant le Juge. Mais surtout Mousshine devait

prendre conscience de la dangerosité de cet acte qui aurait pu entrainer des conséquences

bien plus graves. Dans une réunion d'analyse le concernant, il avait été établi que

l'important aujourd'hui dans le travail éducatif avec Mousshine était de faire émerger sa

culpabilité.

Travail pluridisciplinaire

Dans les entretiens pour mon mémoire, j'ai pu constater que l'adhésion du travail

éducatif passait généralement en premier lieu par le fait de reconnaître sa transgression

ou non. Si l'adolescent admettait sa culpabilité, alors, le travail éducatif pouvait

s'enclencher plus aisément.

Beaucoup d'éducateurs s'accordent à dire que ce travail faisant émerger la

culpabilité est réservé aux psychologues et professionnels de la santé psychique.

Cependant adhérer, accepter de prendre rendez vous avec la psychologue n'est pas

évident pour un adolescent. William à ce sujet, a été le plus éloquent sur ce thème. Alors

que nous lui présentions le service avec ma collègue, William, habitué aux services

sociaux a deviné la suite de notre proposition; il nous coupa dans notre phrase : « Non, je

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n'irai pas voir de psygogols ». Le suivi psychologique pour autant était déjà en cours au

vue de ses problématiques.

En effet, la psychologue de service prenait régulièrement rendez vous avec nous,

les éducateurs référents de William. Elle nous aidait à comprendre ses problématiques

dans un premier temps, puis à analyser les raisons de ses mises en danger. Bien que

William ait refusé de la rencontrer, la psychologue pouvait néanmoins l'approcher

indirectement grâce à nos observations lors des entretiens avec lui. Les problèmes étaient

tels chez l'adolescent qui lui était difficile, à ce moment de la prise en charge, de

s'engager dans un travail éducatif. Son histoire, tellement douloureuse, semblait très

difficile à évoquer. Nous savions qu'il nous fallait beaucoup de temps pour préparer ce

jeune à engager un travail psychologique par ailleurs. Il en va de même pour tous ces

adolescents qui semblent ne pas adhérer pas au travail éducatif, souvent ces résistances,

en partie, masquent cette absence de culpabilité de la part des adolescents, du point de

vue des psychologues du service. Et cette culpabilité doit pouvoir émerger chez ses

adolescents.

3) Adhésion au travail éducatif

3.1) La relation de confiance, relation d'aide

La relation d'aide92 renvoie à diverses possibilités, l'une d'entre elle consistant à se centrer sur la promotion de la croissance/développement, selon la proposition de Rogers (1987, p.43) : « Une situation dans laquelle l'un des participants cherche à promouvoir, pour l'un ou pour l'autre, ou encore pour les deux, une plus grande appréciation, une plus grande expression et un usage plus fonctionnel des ressources internes latentes de l'individu. » Il est important d'observer que l'aide considérée ici implique un processus relationnel et que les deux parties sont modifiées par la relation.93

La relation de confiance, dans le cadre éducatif doit amener une relation d'aide.

Carl Rogers94 s'est intéressé à développer des techniques d'entretien afin de créer une

92 Aide, suppose l'acte d'épauler, de collaborer, d'assister, de faciliter ou de secourir quelqu'un en difficulté. Il s'agit d'un acte qui a lieu dans le cadre d'un rapport qui se fortifie en cours d'accompagnement (Cunha A.G. (1982) Dicionario Etimologico Nova Frenteira da Lingua Portuguesa. Rio de Janeiro, Nova Fronteira)

93 M.A.Tassinari « La dimension politique des relations d'aide : la contribution de Carl Rogers » Nouvelles revue de psychologie n°6, février 2008

94 Carl Rogers, (1902-1987) USA-Brésil, psychologue clinicien

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relation de confiance avec l'interlocuteur. Il a élaboré tout d'abord la notion d'empathie; à

notre échelle, cela signifie que l'éducateur doit pouvoir comprendre l'univers de

l'adolescent, y être au plus proche. Le professionnel doit être capable de se mettre à la

place de l'adolescent. Cette théorie se nomme « l'approche centrée sur la personne » ou

encore la « non directivité » des entretiens. Il s'agit pour le professionnel de se fondre

dans l'univers de son interlocuteur tout en faisant preuve de congruence c'est à dire

d'authenticité. Le non jugement et l'écoute sont très important dans cette théorie.

Cette technique est souvent employée dans les entretiens. Pour ma part, c'est ainsi

que je tente de procéder. Lors des premiers entretiens j'essaie de me mettre au niveau de

mon interlocuteur, afin de comprendre l'environnement dans lequel l'adolescent vit, je

serai dans une position d'écoute au début. Par la suite, il est important de ne pas trop se

laisser imprégner par l'univers de l'adolescent. Pour se faire, la prise de recul est

nécessaire ; une mise à distance des émotions est indispensable. Autant la souffrance des

adolescents et de leur famille doit susciter en nous des émotions, autant nous devons

ensuite analyser nos ressentis et prendre de la distance par rapport à nos émotions afin de

pouvoir rester dans une relation éducative. Il faut faire preuve de congruence, d'écoute

active, de reformulation pouvant aider l'adolescent à s'exprimer par lui même. Ensuite, il

s'agit pour le professionnel de ne pas juger les adolescents ou leurs famille. L'éducateur

doit faire preuve d'une certaine éthique, comme l'écrit Francis Imbert : « La morale

définit les bonnes formes de la conduite, l'éthique interroge le sujet pris dans cette

morale; elle l'interpelle là où il se croit en règle »95

Dans les entretiens que j'ai pu effectuer, la plupart des éducateurs m'ont affirmé

que le travail éducatif dépendait de la relation éducative, et plus précisément de la

relation de confiance. Comme Mme E. la psychologue de service l'indique en première

partie, la contrainte peut être confortable pour certains adolescents, aux yeux de leur

entourage mais aussi par rapport à eux mêmes, malgré leurs multiples résistances,

sociologiques et psychologiques, les adolescents peuvent s'en saisir. En effet, le fait de ne

95 F.Imbert « La question de l'éthique dans le champ éducatif » Matrice, Vigneux, 1987, p.69

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pas avoir le choix peut être plus simple pour Mousshine, Yassine, Mehdi ou William car

ce choix pourrait engendrer d'autres conflits psychiques.

Les adolescents aussi ont répondu à un questionnaire en vue de mon mémoire.

Tous reconnaissent cette possibilité d'une relation éducative en dehors de la préparation

de jugement. Tous m'ont dit avoir confiance en leur éducateur mais peu s'en saisissent en

dehors de leurs affaires judiciaires. Beaucoup d'adolescents s'exprimaient uniquement

selon leurs obligations. « Je devais me trouver une formation » « je dois venir voir mon

éducateur » « je dois faire un travail de soins ». Rare sont ceux qui arrivent avec l'idée

d'un projet ou une demande particulière. Cette sollicitation, cette demande d'aide est à

faire émerger, d'autant plus que les adolescents ont des difficultés parfois à admettre

qu'ils ont besoin d'aide et que, dans le cadre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse,

certains adolescents n'osent pas se confier.

Les adolescents ont pu m'expliquer lors des entretiens qu'ils se refusaient à parler

de leurs problèmes familiaux, de leurs problèmes personnels... Ils craignent que les

éducateurs, en tant que représentants de l'État, agissent de façon radicale. Pour ce genre

de problèmes, la plupart des adolescents m'ont confié qu'ils s'adresseraient plutôt aux

éducateurs de rue par exemple. L'éducateur doit travailler avec les représentations qu'ont

ces adolescents de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Les adolescents ont pu me décrire aussi que leurs relation avec leur éducateur

n'était pas linéaire ou constante. Parfois, il venaient régulièrement puis ils ne venaient pas

pendant un moment. Fatigue ou autre chose à faire, souvent les adolescents n'avaient pas

de réelles explications en ce qui concerne leurs absences. C'est aussi un constat du côté

des éducateurs; parfois, la relation éducative semble avoir ses effets, puis quelque chose

fait que le suivi stagne ou s'arrête momentanément. Il y a parfois des ruptures, des

nouveautés, des évolutions positives et des régressions.

Notre rôle est de prendre appui aussi sur ces absences et ces fluctuations dans la

relation éducative, non de les blâmer.

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« Si l'éducateur sait ce qu'il faut faire pour autrui et propose une solution que la personne en difficulté ne peut refuser, cette proposition se transforme en imposition. Cela induit chez l'autre une place de dominé, d'assisté, ou une attitude de refus mis en acte qui conduit à la rupture (…) Si à l'inverse, renonçant à l'illusion d'un pouvoir de changer autrui, l'éducateur interroge les possibilités et les ressources de la personne, celle ci, à partir de la reconnaissance de ses points d'appui et de sécurité, peut alors dévoiler ses points de fragilité, se projeter dans l'avenir et organiser ses actes. 96»

Il ne s'agit pas pour l'adolescent de s'inscrire dans un projet juste parce que c'est une

obligation. Et le rôle de l'éducateur n'est pas de trouver un projet à l'adolescent à tout

prix.

(…) un jeune peut adhérer à tout ce qu'on lui dit. On l'inscrit en CAP, ça marche, on l'aide pour aller revoir sa famille et il adhère, il fait les choses...Mais lui, où est il dans tout ça? C'est lui qui veut ou c'est lui qui adhère? Faut pas trop adhérer je crois parce que sinon après c'est trop coller quoi ! Et c'est bien qu'un jeune puisse avoir son discours, son envie, son intelligence des choses. Après oui, il y a des jeunes qui sont contents de venir au service et qui viennent au rendez vous...mais, est ce que c'est ça adhérer?? Je ne suis pas sur que ce soit ça adhérer.97

Je m'appuierai sur l'exemple de Mousshine pour décrire l'émergence d'une

relation de confiance. La première rencontre avec ses parents avait peut être pu laissée de

mauvais souvenirs à Mousshine. Il avait fini en larmes et il n'avait pas pu dire un mot. Au

deuxième entretien, les échanges furent difficiles car je voulais revenir sur le précédent.

C'était très compliqué pour Mousshine d'évoquer ses liens familiaux. Le climat familial

semblait lui peser beaucoup. Mais j'ai pu dire mes remarques, j'ai pu mettre des mots sur

sa souffrance. Mousshine acquièssait pour approuver la justesse de mon analyse. Même

s'il n'était pas en mesure d'en parler à ce moment là de la prise en charge, mon objectif

dans un premier temps était de l'apaiser vis à vis de ses parents. « Un jour tu verras, leur

regard sur toi changera : ils seront fiers de toi ». Pour le jeune homme, la relation de

confiance devait d'abord passer par une restauration de son estime, une valorisation de lui

même. Et l'idée de prouver qu'il puisse trouver une activité le motivait à se dépasser afin

d'être vu différemment par ses parents. Je pense que le ressort du travail éducatif pour

Mousshine était dans cette envie de prouver à ses parents qu'il pouvait être différent de ce

qu'ils projettent sur lui.

96 J.Bricaud et J.Marpeau, op cit, p. 10997 Entretien avec Maxime, éducateur Protection Judiciaire de la Jeunesse

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3.2) Triangulations : les ressources externes, le travail en partenariat

« Triangulez, triangulez », ne cessait de dire François Tosquelles98, avec la fougue et la gouaille qu'on lui connaissait. Ces effets tiers, de triangulations est un fondements des médiations. Dans le travail éducatif, tout passe par ses effets de médiation dont le mythe d'Oedipe nous donne à lire en paradygme. C'est pour avoir échappé à cet effet de triangulation primordial, introduit par l'interdit de l'inceste, qu'Oedipe plongea Thèbes dans le malheur et voue à la perte sa lignée familiale. Hors des effets de médiation introduits par l'appareil symbolique, hors l'inter-dit (…) la reproduction du vivant et la production sociale s'arrêtent. Les places dévolues à chacun dans l'espace familial, institutionnel et social sont alors indifférenciées.99

Je débutais mon intervention éducative auprès de Mousshine et comme François

Tosquelles le préconisait, je souhaitais trianguler, c'est à dire, recourir aux médiations

afin d'aider au mieux l'adolescent pris dans ses problématiques. Les médiations possibles

étaient vastes. J'envisageais au début de l'inviter déjeuner sur Paris, je pensais aussi à lui

pour un stage de formation aux premiers secours organisé sur mon lieu de stage. Il

s'agissait de savoir quelle était la meilleure triangulation à mettre en place dans mon

intervention éducative, quelle était la première des priorités en ce qui le concernait?

Je pensais que la priorité avec Mousshine était de l'aider à s'inscrire dans un projet

qui serait le sien. J'envisageais pour cela d'abord de le connaître plus. Alors qu'il venait

au service pour la troisième fois, nous sommes allé sur un site internet afin de faire

quelques tests de personnalité. Ce site100 m'avait été conseillé par un autre éducateur car il

s'adresse aux adolescents. Ce test d'évaluation de son potentiel nous a permis d'échanger

sur ses qualités. Cette conversation fut plutôt légère et plaisante; elle permit à Mousshine

de se projeter dans son avenir, d'autant plus que les résultats du test ne lui fermait aucune

voie professionnelle. A ce moment du suivi, Mousshine pu me parler de sa scolarité et

des sentiments d'échecs qui y sont liés. En effet, Mousshine a quitté l'école à 17ans en

sortant d'un cursus SEGPA, sans diplôme. Le jeune homme a exprimé sa difficulté à

s'orienter dans un parcours professionnel. Mousshine ne savait pas ce qu'il voulait faire

plus tard et ce qui lui était possible de faire. Il me dit au bout d'un moment « J'ai besoin

d'aide, seul, je ne comprends pas, je suis perdu ». Il exprimait là, ce que Robert Cario

98 F.Tosquelles (1912-1994) psychiatre catalan99 J.Rouzel « Le travail d'éducateur spécialisé » Dunod, Paris 2000, p. 82100Www.kledou.fr

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caractérisait chez les jeunes délinquants dans son ouvrage; le fait qu'ils soient pour

beaucoup d'entre eux « en perte de socialisation et en manque de repères »101.

Nous nous sommes alors mis d'accord pour travailler ensemble son orientation

professionnelle. Nous avons pris un rendez vous à la mission locale de sa commune.

Parallèlement à ce rendez vous, Mousshine s'était mis en réflexion. Une fois à la mission

locale, nous avons longuement regardé les fiches métiers. Nous découvrions avec

Mousshine des métiers dont nous ne soupçonnions pas l'existence. Par la suite, durant

l'entretien avec la conseillère, Mousshine semblait ailleurs. Nous avons convenu ce jour

d'un prochain rendez vous à la mission locale, afin que Mousshine prenne le temps de

réfléchir. En attendant pour l'y aider, il était d'accord pour rencontrer la conseillère

d'orientation de notre service.

Mousshine par la suite ne m'a plus donné de nouvelles. J'ai appris en téléphonant

à sa mère que Mousshine faisait d'importantes crises d'eczéma et qu'il était très fatigué.

J'ai proposé alors de venir les visiter à leur domicile. Madame était enthousiaste à cette

nouvelle. Lors de ma venue, je m'arrêta pour saluer les collègues éducateurs de la

prévention. Nos services se connaissent bien pour travailler souvent ensemble. Ils

connaissaient Mousshine et sa famille, nous avions déjà échangé avec eux et c'est de

cette manière que nous avions pu évaluer le degrés d'appartenance à la vie de quartier de

Mousshine ainsi que son implication dans des trafics. Nous avions convenu de les mettre

en lien plus rapprochés; j'allais donc parler à Madame de la possibilité de rencontrer un

éducateur du service de la prévention spécialisée. Durant la visite à domicile, Mousshine

était couché et je ne l'ai pas dérangé. J'ai consacré ma visite alors à sa mère. Madame a

pu m'exprimer ses problèmes de dépression, de sa difficulté d'être mère au quotidien et

de son inquiétude envers Mousshine. J'ai tenté de l'écouter au mieux et de la rassurer

comme je pouvais, au moins concernant Mousshine. Il était important pour moi qu'elle

remarque les efforts de son fils pour s'en sortir. La perspective pour Madame d'être en

lien avec les associations du quartier lui plaisait. J'ai pu lui expliquer que les éducateurs

de la prévention consacraient des projets aux mères et femmes du quartier. Des espaces

de rencontres privilégiés leur étaient proposés chaque jeudi après midi autour de diverses

ateliers. Il me semblait en effet que Madame vivait de façon isolée depuis son accident et

101 R.Cario, op cit

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elle et son mari avaient pu nous dire sur le service qu'il ne connaissaient personne dans

leur ville.

Le fait de consacrer du temps à Madame ne pouvait qu'être bénéfique dans

l'amorce d'une relation de confiance entre Mousshine et moi. Bien que parler de sa

famille était encore trop difficile pour Mousshine à ce stade, je pense qu'il souffre de voir

sa mère déprimer et physiquement diminuée depuis son accident. De plus, Mousshine

étant le seul sans activité au domicile, c'est lui qui assure pour sa mère le rôle

d'intendance. Mousshine, en effet, se lève tôt chaque jour et consacre ses matinées à aider

sa mère dans diverses tâches : ménages, courses, l'accompagnement du plus jeune à

l'école primaire etc. Cette aide dans le quotidien de sa mère ne lui permettait peut être pas

d'envisager une activité sans penser que sa mère se retrouvait démunie sans lui. Le travail

éducatif devait alors prendre en compte, selon moi, la situation de Madame afin que

Mousshine soit disponible pour se lancer dans un projet.

Madame fut mise en lien alors avec l'association de prévention. Peu de temps

après Mousshine m'appela au service, il avait une nouvelle : « Je sais ce que je veux

faire »me dit il, « Je veux passer mon BAFA (Brevet d'Aptitude aux Fonctions

d'Animateur) »

Toutes ces médiations, ces effets de triangulations ont permis à Mousshine de

faire émerger l'idée d'un projet. Sans que je ne lui parle jamais du BAFA, l'adolescent est

arrivé avec cette envie. Il avait parlé à un grand du quartier qui était animateur. Leur

échange avait motivé Mousshine à s'engager dans ce projet. Mousshine a su à temps se

saisir de l'espace de rencontre contrainte avec un éducateur pour engager un réel travail

éducatif, dans le sens où il « avait fait bouger la réalité quotidienne102 », l'intervention

avait produit chez lui « un effet de franchissement.103 »

« Ce blanc (…) est, dans sa présence-absence, témoin d'un non vécu; appel aussi,

à le faire reconnaître pour la première fois, à entrer enfin en relation avec lui afin que ce

102J.Rouzel, op cit , p.44103Terme lacannien cité par J.Rouzel, op.cit , p.44

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qui n'avait pu être surchargé de sens puisse prendre vie. « c'est dans la non existence que

l'existence peut commencer104 ».105

3.3) L'émergence d'un projet

« Il n'est pire tyrannie que de vouloir le bien de l'autre » Emmanuel Kant

Le rôle de l'éducateur n'est pas de basculer dans une volonté de « normalisation »

pour les personnes prises en charge. Bien sûr, la société a ses rigueurs et pour ce qui est

de s'y intégrer, toute personne doit se conformer un minimum à elle. Mais la question

n'est pas là. Il ne s'agit pas de trouver un projet d'insertion à chacun pour dire qu'un

travail éducatif a été fait. Il ne s'agit pas dans l'adhésion au travail éducatif d'adhérer à un

projet de société. Yassine, Mehdi ont peut être pu faire cet amalgame, mais le réel projet

pour eux, est un projet d'émancipation, de libération individuelle.

Yassine, Mehdi et William n'ont pas adhérer, en apparence, à un travail éducatif

mais ce n'est pas pour cela qu'il n'a pas eu lieu, que quelque chose ne s'est pas opéré.

Notre intervention a peut être suscité le début d'une réflexion qui amorcerait un

changement chez les adolescents. Mais pour eux, ces changements prennent plus de

temps et ils s'opèreront plus tard.

L'écart entre la satisfaction de l'éducateur à constater qu'un adolescent adhère et la

réalité du travail éducatif peut être grande. L'évaluation objectives des situations n'est pas

toujours le reflet des réalités psychiques et sociales des personnes.

« Le projet ne peut vivre que parce qu'il est lieu de projection du désir et de sa

formulation; mais aussi parce que fondamentalement comme tout vrai processus désirant,

il rate son objectif et dérive de son but. Ce ratage à intégrer signe que l'humain l'a habité,

est à prendre en compte dans les procédés d'évaluation.106 »

104D;Winnicott, « fear of breakdown », 105J.B Pontalis, auteur de la préface de « Jeu et réalité » de D.Winnicott106J.Rouzel, op cit, p.74

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Par conséquent, je prendrais la situation de William pour attester de cette théorie

du projet éducatif. L'adolescent, comme nous l'avons vu, a mis en échec de nombreux

placements (famille d'accueil, lieux de vie, foyer, séjour de rupture...). Les modalités de

placement ont été alors plus contraintes, d'autant plus qu'il commettait des actes

délictueux. La Juge des Enfants avait donc ordonné que William soit confié en CER.

L'adolescent, une fois de plus, a encore fugué. L'équipe éducative du CER n'avait plus de

nouvelles de William (son téléphone portable était consigné au CER) tandis que

l'adolescent passait nous voir au service régulièrement.

A 17 ans, il refusait catégoriquement de retourner au CER. William nous disait

s'être installé dans un appartement vacant de son quartier avec deux amis. Nous n'avions

aucun moyen de vérifier cette information, l'adolescent souhaitait ne pas la divulguer au

service : « je ne suis pas bête, la dernière fois, la police est venue ! ».

Nous étions inquiets et la seule chose que nous pouvions faire, c'était de

transmettre cette information au Juge des Enfants. Une note est partie demandant une

audience pour William, à savoir qu'il refuse ce placement et qu'il est en fugue. Nous

étions favorables avec concertation d'équipe pour que le jeune homme soit confié à un

autre type de structure, nous pensions à un lieu de vie que nous connaissions où plusieurs

familles d'accueil regroupées en village dans le Sud de la France accueillaient

individuellement les enfants et adolescents. William connaissait ce lieu et souhaitait

également y retourner, c'était sa demande après avoir passé deux semaines au CER. Cette

demande était en mesure d'être acceptée par La Juge.

En attendant, William nous semblait aller mieux depuis qu'il avait fugué du CER.

Une fois de plus, cela avait été une mauvaise expérience pour lui. Désormais, il attendait

comme nous une prochaine audience chez la Juge et cela a pris plusieurs semaines.

William revenait régulièrement pour savoir ce qu'il en était de cette audience. De l'avis

général, le garçon nous apparaissait aller de mieux en mieux. Il nous disait qu'il travaillait

dans une pizzeria, qu'il aidait en cuisine. Il nous racontait qu'il apprenait à s'organiser, à

s'autonomiser.

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Nous ne sommes pas en mesure à ce moment de savoir si cela est vrai, mais une

chose est sûre; ce sont les évolutions de William. Le garçon avait changé, William avait

retrouvé le sourire, il parlait calmement. Malgré toutes ces épreuves, difficiles pour lui, il

avait trouvé les ressources nécessaires en lui pour s'en sortir seul et nous sentions

unanimement qu'il « allait mieux ».

Bien que cette situation de vie en appartement « auto géré », d'un point de vue

éducatif, n'est pas envisageable, un objectif éducatif, non visible, abstrait et subjectif

nous semblait avoir été atteint : William semblait avoir mûrit et semblait s'épanouir de

cette façon, bien qu'il ait refuser la contrainte éducative et pénale d'un placement en CER.

De là, un nouveau projet avait émané de lui : il souhaitait retourner dans ce lieux de vie

du Sud de la France, cette vie en appartement disons auto-géré était bien une solution

provisoire dans ses projections.

De notre point de vue, le jeune homme s'émancipait de sa condition, il ne

subissait plus la contrainte, il avait choisi un projet, il voulait acquérir cette

autodétermination. Il était en passe de trouver sa liberté au sens philosophique du terme.

La liberté désigne, dans son sens métaphysique et spéculatif, le pouvoir irréductible d'être à soi même sa propre cause, pouvoir d'autodétermination, mais aussi, en son acception morale, la capacité de ne pas subir la contrainte des passions ou inclinaisons – l'homme accèdant alors au statut de sujet responsable de lui même et de ses actes – (liberté morale) et, enfin, comme liberté politique, le fait de jouir de certains droits garantis par la loi .107

107 J.Russ « Les chemins de la pensée » Bordas, Paris, 1999, p.65

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Conclusion

Tous ces adolescents présentés tout au long de ce mémoire : Mehdi, Yassine,

William et Mousshine ont des similitudes dans leurs prises en charge. Ils viennent du

même environnement social, présentent les mêmes problématiques psychologiques et

pourtant, ils ne réagissent pas tous de la même manière à l'intervention éducative.

Cette réaction d'adhésion au travail éducatif non seulement peut prendre du temps

pour émerger mais aussi ne s'évalue pas toujours de façon concrète et objective. L'idée

d'un projet, l'idée de changer, comme dit l'adage, peut parfois attendre « que jeunesse se

passe ». Mais que se passe t il alors, si, comme écrit dans le référentiel mesure, dans le

cadre d'un placement en CEF, l'éducateur ne « rend (pas) possible un travail éducatif

dans la durée pour favoriser l'évolution personnelle, psychologique, familiale et

sociale »108? Que se passe t il si le travail éducatif , opérant, n'est pas possible ?

La non adhésion au travail éducatif apparente pouvant être répréhensible, l'éducateur

Protection Judiciaire de la Jeunesse se doit de susciter au mieux l'adhésion chez

l'adolescent.

Nous avons pu observer que la justice, contrairement à son symbole la déesse

Thémis, représentée parfois avec les yeux bandés en signe d'impartialité, ne juge pas

aveuglément. La justice des mineurs encore plus spécifiquement, prend en compte la

personnalité du mineur. C'est le regard de l'éducateur et de l'équipe pluridisciplinaire qu'il

représente, qui va pouvoir orienter au mieux et c'est à lui de faire part des réels besoins

de l'adolescent.

Nous l'avons vu, la relation éducative, dans le cadre d'une prise en charge à la

Protection Judiciaire de la Jeunesse, débute, s'amorce, dans le contexte d'un jugement.

Mais le rôle de l'éducateur ici, ne peut se borner à cet accompagnement judiciaire. Notre

rôle n'est pas d'expliquer le passage à l'acte du jeune, ni de le défendre ou de l'excuser,

nous ne sommes pas avocats, nous ne sommes pas procureurs. Notre but premier n'est

108 Référentiel mesures, Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Minitère de la Justice , p. 83

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pas de faire éviter l'emprisonnement, l'enfermement des adolescents bien que nous

puissions le déplorer parfois, au terme d'un parcours à la Protection Judiciaire de la

Jeunesse. Pour beaucoup d'éducateurs, l'emprisonnement peut être perçu comme un

échec, mais notre rôle ne produit pas toujours des effets dans le temps judiciaire : le

temps éducatif est différent.

Comme a pu développé et conclure S.Freud en préface d'A.Aichorn : « gouverner,

soigner, éduquer sont trois métiers impossibles ». Je m'appuie alors sur ce propos pour

affirmer que l'acte d'éduquer n'est pas visible ou quantifiable et les effets escomptés

n'arrivent pas toujours dans un temps judiciaire. La justice peut alors ordonnée parfois

des injonctions dites paradoxales109, voire une double contrainte selon l'école de Palo

Alto110 : On nomme double contrainte (double-bind) une paire d’injonctions paradoxales consistant en une

paire d’ordres explicites ou implicites intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre. To bind(bound) signifie « coller », « accrocher » à deux ordres impossibles à exécuter avec un troisième ordre qui interdit la désobéissance et tout commentaire sur l’absurdité de cette situation d’ordre et de contre-ordre dans l’unité de temps et de lieu. Sans cette troisième contrainte, ce ne serait qu’un simple dilemme, avec une indécidabilité plus-ou-moins grande suivant l’intensité des attracteurs. 111

Une mauvaise évaluation des besoins des personnes peuvent en être une des

raisons de la double contrainte. L'accompagnement éducatif doit se faire en lien avec le

Juge des Enfants, l'articulation des actions entre la Protection Judiciaire de la Jeunesse et

la Justice doit être cohérente.

Nous l'avons vus, le processus d'adhésion peut être long et n'est pas toujours

quantifiable. Plusieurs vecteurs peuvent amener cette adhésion plus rapidement : le

rapport à la loi, à l'acte posé, l'injonction judiciaire du Juge peut susciter à elle seule

l'adhésion du jeune. Ensuite le travail avec les familles joue un rôle important dans ce

processus d'adhésion au travail éducatif. La présence et le regard parental est très

important dans la capacité à mobiliser l'adolescent et agit sur son adhésion. En dernier

recours, c'est à l'éducateur de faire émerger cette adhésion par la relation éducative. Cette

109Www.dicopsy, : Orde incongruent mettant le récepteur dans une situation angoissante110Courant de pensée psych-sociologique du nom de la ville où il est né en Californie dans les années 50.

Les principaux fondateurs sont : P.Watzlawick ou J.Haley111Www.bibliothèques psy

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relation nous l'avons vu, repose sur une éthique, non sur une morale. Quand bien même,

l'adolescent met une nouvelle fois en échec les propositions éducatives qui lui ont été

faites, l'éducateur doit néanmoins évaluer, rendre compte, selon la primauté de l'éducatif

à faire valoir dans notre travail, d' une autre évolution, si elle existe, que celle ordonnée

par injonction judiciaire. L'adolescent peut faire « bouger » de façon non visible et

apparente son quotidien. Dans un temps judiciaire ou éducatif, l'éducateur doit être en

mesure de faire naître cette émancipation, cette liberté au sens philosophique, même si

elle n'est pas encore en mesure d'être acquise. L'adolescent, qui est un être en devenir,

sera en passe de s'émanciper, d'acquérir sa liberté dans la prise en compte des contraintes

qu'elle induit, de part le désir de se projeter dans l'avenir, dans la garantie d'acquérir ses

droits de citoyens.

L'adolescent devenu adulte aura pleinement conscience de ces enjeux et sera libre

de mener sa vie en connaissance des risques judiciaires. Nous l'avons observé, le rôle

éducatif n'est pas d'insuffler une morale aux adolescents mais de faire en sorte qu'il sache

maîtriser leurs vies au mieux, par la connaissance d'eux mêmes et des institutions qui les

entourent. Notre rôle est éthique, non moral.

« Je méditais donc en moi même sur cette question : est-il possible que je

parvienne à diriger ma vie suivant une nouvelle règle, ou du moins à m'assurer qu'il en

existe une, sans rien changer touefois à l'ordre actuel de ma conduite, ni m'écarter des

habitudes communes? » B.Spinoza « Traité de la réforme de l'entendement » 1842

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Bibliographie

Ouvrages

Sciences de l'éducation

P. Gaberan, « La relation Educative », ERES, 2003

G.Hardy « S'il te plait ne m'aide pas! » Eres, 2001, Paris, 2001

F.Imbert « La question de l'éthique dans le champ éducatif » Matrice, Vigneux, 1987

L.Ott « Travailler avec les familles »éditions Erès, Ramonvile Saint Agne, 2004

J.Rouzel, « Le transfert dans la relation éducative » coll Action Sociale, Dunod

Psychologie

I.Bosormenyi Nagy, « Invisible Loyalties » Ed Brunner Mazel, New York, 1973

S.Freud, « Die endliche und die unendliche Analyse » German éditions, 1937S.Freud « Etudes sur l'hystérie » Bibliothèque de psychanalyse, PUF, 15eme éditionS.Freud, « L'inquiètante étrangeté » Presse Universitaire de France, 2009

M.Klein « L'amour et la haine » Payot, Paris, 1982

J.Laplanche et J.B.Pontalis « Vocabulaire de la psychanalyse » PUF, Paris, 2007

F.Tosquelles « Cours aux éducateurs » Editions du champ social, Nimes, 2002

D.Winnicott « Agressivité, culpabilité et réparation » Petite Bibliothèque Payot, 1984D.Winnicott, « La mère suffisamment bonne », coll Petite Bibliothèque Payot, ed Payot,

2006

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Sociologie

L.G.A De Bonald, « Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social » A.Leclerc editions, Paris, 1847

M.Mohammed et L.Mucchilli « Les bandes de jeunes » Editions La Découverte, Paris, 2007

T.Sauvadet « Le capital guerrier » A.Colin, Paris, 2006T.Sauvadet « Jeunes dangeureux, jeunes en danger » Ed dilecta, Paris, 2006

Sciences criminelles

R.Cario, « Jeunes délinquants, à la recherche de la socialisation perdue » L'Harmattan, Paris, 2000

Philosophie

M.Foucault « Surveiller et punir » Gallimard, Paris, 1975 « Moi, Pierre Rivière... » Gallimard, Paris, 1973

B.Spnoza « L'éthique » Presse Universitaire de France, Paris, 1990

Droit

D.Youf, « La justice pénale des mineurs » Problèmes politiques et sociaux, n°935, Avril 2007

Référentiel mesures, Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Minitère de la Justice

code de l’action social et des familles

Ordonnance du 02 février 1945 sur la justice pénale des mineurs

Circulaire loi du 02 février 2010 relative à la délinquance juvénile

Loi du 24 aout 1993 portant sur les réformes du code pénal

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Revues

Nouvelles revue de psychologie , M.A.Tassinari « La dimension politique des relations d'aide : la contribution de Carl Rogers » n°6, février 2008

Les cahiers dynamiques, Revue professionnelle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse :

« Eduquer les mineurs délinquants » n°45 « Les voies de l'échange et les chemins de la communication » n° 35 « Dans la dynamique de milieu ouvert » n°41 « Quelle justice des mineurs en Europe? » n°43 « Eduquer sur ordonnance » n°21

Cours / conférence

N.Duvoux, Cours Master 1 Sciences de l'éducation Lille 3, 1er semestre

D.Lapeyronnie, Cours à l'ENPJJ, Novembre 2010

L.Ott , Conférence au Derpad, Paris XII le 01 mars 2011

T.Sauvadet, intervention au PTF Pantin le 11 février 2011, ENPJJ juin 2010

Réunion thématique internes psychiatre de l'hôpital Avicenne, sur les travaux de F.Tosquelles, Bobigny, le 03 Mars 2011

Liens internet

Site CAIRNSite Université de Lille 3

Cinématographie, documentaires, supports visuels

M.Kassovitz « La Haine » produit par C.Rossignon, Paris, 1995

J.F Richet « Ma 6Té va cracker » produit par Anne Bennet, Meaux, 1996

J.Singleton, « Boyz N the Hood », Columbia Pictures, Los Angeles,, 1991

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ANNEXES

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Encart méthodologique

Yassine et Mehdi, à travers leur situation ont tous les deux été à l'origine de mes questionnements. Dans un premier temps, ce fut Yassine que j'ai pu suivre alors que j'étais en stage en hébergement. Puis, ce fut Mehdi alors que je débutais en milieu ouvert l'année suivante. Tous deux semblaient incarner mes interrogations dans leur rapport de résistance au travail éducatif. Ils symbolisaient aussi, pour beaucoup de mes collègues, les limites de notre travail éducatif, le repoussant dans son cadre de la contrainte judiciaire. Au cours de ma réflexion, j'ai décidé de prendre appui sur d'autres adolescents pour étayer mon analyse. Mousshine et William, dont j'ai pu être au plus près dans les prises en charge, me sont apparus, tout comme Yassine et Mehdi, en résistance par rapport au travail éducatif. Les débuts, dans les suivis éducatifs, entre ces quatre jeunes hommes pouvaient être similaires mais, en ce qui concerne Mousshine et William, plusieurs aspects ont évolué, créant ainsi une adhésion possible au travail éducatif. Ce n'est pas pour cela que le travail n'a pas opéré pour autant pour Yassine et Mehdi, seulement le temps judiciaire n'a pas établi cette émergence.

Problématique générale de la recherche

Ma problématique tente de trouver des explications, puis des solutions que l'éducateur Protection Judiciaire de la Jeunesse pourrait mettre en place dans des suivis où l'adolescent n'adhérerait pas au préalable. Ainsi, j'ai formulé ma question de départ de cette façon :

De quelles manières est il possible d'acheminer une adhésion si elle n'est pas présente au début

d'une prise en charge ?

Hypothèses de départ

Ma première hypothèse est la suivante : sans adhésion au travail éducatif de la part de l'adolescent dans le cadre d'une mesure éducative pénale, la mise en place d'un travail éducatif ne peut se réaliser. En quoi, la non adhésion d'un adolescent peut elle freiner le travail éducatif? Quelles sont les causes de cette non adhésion et en quoi est ce un frein au travail éducatif ?

La seconde hypothèse repose sur l'idée que la non adhésion de la part d'un adolescent peut se travailler. Quels moyens, dans le cadre d'un suivi éducatif au pénal, peut mettre en place l'éducateur pour amener un travail éducatif malgré une non adhésion apparente de départ. Par conséquent, l'éducateur peut travailler cette adhésion.

Méthode de recueil de données

Auprès des adolescents

Vis à vis de mon sujet, j'aurais aimé interviewer des jeunes en non adhésion apparente au travail éducatif. Vue ma position d'éducatrice stagiaire, il m'a été difficile de pouvoir réaliser un entretien avec ces adolescents. En effet, ceux que je recherchais se présentaient rarement à leurs rendez vous de milieu ouvert et lorsqu'ils venaient, ils refusaient d'effectuer cet entretien. Par conséquent, j'ai pu réaliser des interviews auprès d'adolescent qui ont bien voulu me consacrer du

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temps. Pour ce mémoire, j'ai pu m'entretenir avec une dizaine d'adolescents, dont certains que je ne connaissais pas du tout et d'autres que je suivais.

Je voulais par cet entretien tout d'abord connaître quelle était leur perception de l'injonction judiciaire et ce qu'ils en avaient retenu. Ces réponses étaient floues la plupart du temps. Le nom des mesures attribuées, qu'elles soient corecitives ou éducatives ne faisaient pas sens chez eux. Ils retenaient essentiellement qu'ils allaient être suivi par un éducateur.

J'abordais la question alors de l'acte. Je leur demandais, si , par rapport aux faits pour lesquels ils étaient mis en examen, s'ils trouvaient la décision judiciaire appropriée à leur égard, compte tenu de leur situation. Beaucoup m'ont répondu que c'était « normal », que ce sont « les règles » et qu'ils savaient que c'était illégal. D'autres ne vivaient pas la mise en examen de la même façon : « je ne savais pas que ça allait faire ça », pour les faits de violence sur personne, j'ai plusieurs fois entendu cette réponse.

Je voulais ensuite savoir comment était ressenti le travail éducatif : est il considéré comme obligatoire selon eux, viendraient ils s'ils avaient le choix ? Cette question du choix laissait toujours place à un silence. Tous ont admis que ce travail pouvait être « pour leur bien » mais que ce caractère obligatoire pouvait faciliter la démarche. Beaucoup parmi eux m'ont répondu qu'ils viendraient quand même s'ils avaient le choix parce qu'il « faut le faire » : « trouver un travail, une formation, s'insérer ». Sans le caractère obligatoire, certains d'entre eux l'admettent : ils ne viendrait pas de façon aussi régulière au service.

Puis, je leur ai demandé enfin quelles étaient leurs sollicitations vis à vis du service ?Pour tous, leurs demandes étaient concrètes, il s'agissait pour eux d'insertion sociale et professionnelle comme trouver une formation , passer son permis par exemple. En dehors, ils n'avaient pas de sollicitations. Pour ce qui était de leur histoire familiale, tous m'ont affirmé que pour « ces problèmes là », ils ne se solliciteraient pas un éducateur. Tout comme les autres thèmes abordés : problèmes de santé, problème personnel,problème administratif, etc

Auprès des professionnels

En qui concerne l'entretien avec les professionnels, j'ai pu interviewé la plupart des éducateurs et psychologues du milieu ouvert dans lequel j'ai effectué mon stage. J'ai pu interviewé également deux éducateurs spécialisés : tous deux travaillent auprès d'adolescents dont l'adhésion est le préalable à tout travail éducatif. L'un d'entre eux travaille en tant qu'éducateur de la prévention / éducateur de rue sur un quartier de Paris et l'autre travaille dans un lieu de vie accueillant des adolescents de la PJJ sur la base de son adhésion.

A tous je leur ai demandé de définir le terme d'adhésion. Cette notion ne faisait pas sens de la même façon selon le cadre dans lequel l'éducateur travaille. Autant cette notion pouvait être primordiale pour les éducateurs spécialisés exerçant sans mandat, autant, le mandat dans le cadre de la PJJ semblait supprimer cette question d'adhésion. Enfin, tous s'accordent à dire que l'adhésion peut être de surface ou à l'inverse, peut ne pas être apparente.

J'ai demandé ensuite aux éducateurs PJJ de me décrire s'ils avaient rencontré des adolescents qui n'adhéraient pas selon eux. Et ses rencontres sont fréquentes, de l'avis de beaucoup ; « certains jeunes ne se saisissent pas de l'aide proposée ».

Nous avons tenté alors d'analyser les conséquences d'une non adhésion au travail éducatif au niveau judiciaire et au niveau éducatif.

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J'ai tenté de connaître ensuite par quels moyens ils pouvaient amener une adhésion chez un adolescent. A travers les outils proposés par tous les éducateurs, PJJ et spécialisés, j'ai pu construire la deuxième partie de ce mémoire.

La question de la relation éducative a été soulevée et est apparue alors comme centrale dans le processus d'adhésion du mineur.

Méthode d'analyse des données

J'ai pu analyser les données recueillies à l'aide de grille d'entretien. Selon les items, j'ai pu observé les points communs et les dissonances dans les discours des adolescents et des professionnels.

La première partie du mémoire se place du point de vue des adolescents, et se base en fonction des entretiens réalisés auprès d'eux et des situations rencontrées sur les terrains de stage.

Toutes la deuxième partie a été consacrée à développer le processus d'adhésion décrit par les professionnels. Pour eux, l'adolescent n'est jamais en adhésion en début de mesure et c'est à l'éducateur d'amener ce processus dans le temps qui lui est imparti. Les entretiens ont guidé toute la deuxième partie de ce mémoire. Les items abordés en entretien ont été repris dans la deuxième partie.

Les éléments théoriques et mes observations faites sur les terrains de stage sont venus consolidés les analyses de ces entretiens.

Points forts et limites

La première limite a été de ne pas pouvoir interviewer les adolescents qui incarnent le sujet central de ce mémoire, étant donné qu'ils sont en refus d'effectuer un travail éducatif. Toute la première partie a donc été construite sur l'analyse à l' aide de réflexions théoriques de ces situations de non adhésion. D'un point de vue sociologique et psychologique, j'ai tenté de comprendre quelles étaient les causes communes inhérentes à ces adolescents en non adhésion. Par la suite, j'ai tenté d'étudier comment les équipes éducatives et les institutions judiciaires réagissaient à ce refus de par les situations vécues sur le terrain.

La seconde limite a été de constater que l'adhésion n'était pas une question centrale du point de vue d'une partie des collègues de la PJJ. Pour beaucoup d'entre eux, il semblait qu'amener l'adhésion devenait une finalité du travail éducatif

Mais ces entretiens réalisés avec les professionnels sont devenus le point fort de ce mémoire par la suite. En effet, tous ont décrit le processus d'adhésion et m'ont permis d'analyser l'acheminement de cette adhésion, de l'injonction judiciaire dans un premier temps, à la relation éducatif dans un deuxième temps. Dans cette partie, chacun a énoncé les moyens qu'il mettait en place pour créer l'adhésion à un travail éducatif. Le travail avec la famille, le travail sur l'acte et le travail pluridisciplinaire...Puis nous avons tenté de définir ensuite le travail éducatif : par quels moyens pouvait il être amené ?

Toute la deuxième partie de ce mémoire a été construite en fonction de ces entretiens réalisés avec les professionnels mais aussi les adolescents.

Afin de consolider l'analyse de ces grilles d'entretien, des éléments théoriques viennent soutenir la réflexion tout au long de ce mémoire , ainsi que mes observations et analyses effectuées pendant deux ans en terrain de stage. Par ailleurs, j'ai choisi de centrer cette étude sur quatre situations d'adolescents : Yassine, Mehdi, Mousshine et William dont les noms ont été modifiés. Ces adolescents ont été rencontrés dans le cadre de placement en Etablissement de Placement Educatif (Yassine) et dans le cadre du milieu ouvert (Mousshine, Mehdi et William).

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GRILLE D'ENTRETIEN

Items du questionnaire éducateurs et professionnels :

– Définitions de l'adhésion– Importance donnée à l'adhésion de l'individu dans les prises en charge– L'analyse de la non adhésion– Les moyens d'action pour amener l'adhésion– L'adhésion et ses illusions– La conséquence de la non adhésion– Le lien entre la relation éducative et l'adhésion au travail éducatif

Items du questionnaire famille et adolescents :

– Compréhension du système judiciaire – Le rapport aux institutions– Le rapport aux obligations judiciaires– Le rapport à l'éducateur

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Questionnaire familles et adolescents

I) Depuis combien de temps êtes suivi par le service éducatif ?

II) Combien de fois, d'après vous, avez vous rencontré les éducateurs du service?

III) Vous considérez que votre présence au service est:

– Obligatoire

– Pas obligatoire

IV) Viendriez vous au service si vous aviez le choix ?

V) Pensez vous que votre éducateur vous apporte de l'aide, ou peut vous apporter de l'aide par suite ?

VI) Si oui, dans quels domaine(s) diriez vous que votre éducateur est une aide:

– Judiciaire– scolaire, professionnel – familiale– administratif– concernant votre santé– autres :

VII) Avez vous convenu d'un prochain rendez vous avec votre éducateur?

VIII) Si oui, quel est la nature de ce rendez vous? (où et quand se déroulera-il? dans quel but?)

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Questionnaire éducateurs et professionnels

I) Qu'est ce que l'adhésion de l'usager selon vous?

– Quels sont les signes concrets lors d'un suivi, selon vous, qui le démontrent?

II) Avez vous connu des situations où vous avez considéré que l'adolescent n'adhérait pas?

IV) Quelles sont les conséquences selon vous dans les prises en charge?

V) Quels sont vos méthodes, vos moyens d'actions et autres pour tenter d'amener l'adolescent vers une réelle adhésion?

– quelles conditions mettez vous en place?

VI) Pensez vous que l'adhésion soit indispensable à la prise en charge, à la mise en place d'un travail éducatif?

VII) Pensez vous que l'adhésion peut dépendre de l'évolution de la relation éducative?

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Entretien avec Salah (nom d'emprunt ), 18 ans

Je rencontre Salah pour la première fois, le jeune homme ayant accepter de prendre ce temps pour répondre à mes questions, après avoir été reçu à son rendez vous sur le service avec son éducateur. Après s'être présentés mutuellement, je lui expose le cadre de ce questionnaire et nous débutons l'entretien :

Moi : Que peux tu me dire de ton passage devant le Juge, quelles mesures ont été pronocées à ton égard ?

Salah : …...Bah, on m'a envoyé ici.

Moi : Qu'est ce que tu sais un peu ce que le Juge t'a demandé? Est ce que tu as eu des obligations... ?

Salah : Ah oui ! Trouver une activité, trouver quelque chose...

Moi : Est ce que tu sais combien de temps va durer cette mesure ?

Salah : C'était un an et demi mais là, il reste quatre mois. Ça se finit en juin.

Moi : Que penses tu des décisions de justice prises à ton égard ?

Salah : C'est juste, c'est mérité, c'est la justice. Je faisais des trucs pas bien, je me suis fait attraper par la police et voilà...

Moi : Maintenant, toi, qu'est ce que tu attends du service éducatif ?

Salah : (en souriant) Je n'attends rien!

Moi : Tu n'attends rien?

Salah : Juste qu'ils m'ont aidé à trouver une formation tout ça...Ce sont les obligations du Juge.

Moi : Comment se passe tes rendez vous avec ton éducateur, tu le vois régulièrement, tu viens à tous tes rendez vous...?

Salah : Non, je ne viens pas à tous mes rendez vous...Une fois sur deux à peu près enfin je ne m'en souviens même pas.

Moi : Comment tu expliques que tu ne viennes pas à tous tes rendez vous?

Salah : Je ne sais pas moi...Je ne viens pas c'est tout, je ne pouvais pas venir, j'avais autre chose à faire...

Moi : Et des fois, tu n'as pas envie de venir?

Salah : Oui parfois je suis fatigué...Et ça fait longtemps!

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Moi : Est ce que tu considères ta présence obligatoire sur le service ?

Salah : Oui, c'est obligatoire!

Moi : Si tu avais le choix, tu viendrais sur le service?

Salah : Oui je viendrais quand même...Pour trouver une formation...Et comme là, j'ai déjà trouvé!

Moi : Ah oui alors, qu'as tu trouvé?

Salah : Une formation de BAFA, j'ai commencé il y a deux mois!

Moi : Et bien félicitations ! Et ça te plait ?

Salah : Oui ça me plait !

Moi : Et tu as trouvé avec l'aide de ton éducateur?

Salah : Oui!

Moi : Et aujourd'hui, en quoi il pourrait t'aider ?

Salah : Aujourd'hui, j'aimerais passer mon permis, avoir un peu d'aide...et aussi pour les transports; je n'ai pas de cartes...Je lui avais dit mais ça prend du temps...

Moi : Quelle définition tu donnerais au métier d'éducateur?

Salah : L'éducateur, il m'aide à faire quelque chose, à avancer...ça dépend de ma volonté aussi...

Moi : C'est à dire?

Salah : Il m'aide, si je veux m'aider.

Moi : Et toi tu veux bien?

Salah : Oui je le veux bien et c'est pour ça qu'il m'a aidé.

Moi : Et depuis le départ, tu as cette volonté ?

Salah : Oui depuis le début je voulais quelque chose mais à la base, c'est ça : je ne savais pas trop quel projet...Mais là, je ne vais pas me prendre la tête, je vais faire ça parce que j'aime bien, il (l'éducateur) m'a aidé à trouver le projet qui me convenait le mieux.

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Maxime, éducateur

Moi : Quel définition donnes tu au terme « adhésion »?

Maxime : Adhérer veut dire coller. Moi ça me fait penser à deux choses : adhérer au mesures éducatives, et aussi ça me fait penser aux relations parents/enfants, c'est le collage qui me fait penser à ça, c'est à dire le degré d'attachement entre les parents et les enfants, souvent entre le fils et la mère d'ailleurs. C'est un manque d'autonomie, une difficulté à s'émanciper. Pour moi en tout cas, l'adhésion, ce n'est pas chercher à ce que l'adolescent adhère à ce que nous pensons être le travail éducatif. Je considère que l'adolescent vient au service dans le cadre d'une contrainte...Je ne lui demande pas d'adhérer à ça, je lui demande de respecter ça, cet ordre du magistrat. Après à l'intérieur de ça, il peut se passer aussi quelque chose qui va rendre service. Je leur dis; peut être que ça va vous servir à quelque chose, quelque chose qu'ils vont pouvoir prendre. Et plus ça que quelque chose où ils vont coller, adhérer, je l'entends comme ça l'adhésion. Je n'attends pas qu'il colle aux discours ou au parcours que je lui souhaiterais.

Moi : Quelles sont les signes de l'adhésion selon toi ?

Maxime : Des gens qui viendraient régulièrement sur le service oui en effet. Des jeunes qui nous solliciteraient avec des projets...Mais c'est un terme que je n'emploie pas moi l'adhésion. Car un jeune peut adhérer à tout ce qu'on lui dit. On l'inscrit en CAP, ça marche, on l'aide pour aller revoir sa famille et il adhère, il fait les choses...Mais lui, où est il dans tout ça? C'est lui qui veut ou c'est lui qui adhère? Faut pas trop adhérer je crois parce que sinon après c'est trop coller quoi ! Et c'est bien qu'un jeune puisse avoir son discours, son envie, son intelligence des choses. Après oui, il y a des jeunes qui sont contents de venir au service et qui viennent au rendez vous...mais, est ce que c'est ça adhérer?? Je ne suis pas sur que ce soit ça adhérer.

Moi : As tu connu des situations où le jeune n'adhérait pas?

Maxime : (en riant) Bien, j'espère toutes ! Si il me dit oui pour me faire plaisir, c'est qu'on ne se comprend pas bien. Il faut ce rencontrer. Parfois, des jeunes veulent des choses et moi je ne suis pas d'accord. Et vis versa, moi je vais proposer des choses qu'eux refusent. Parfois, ils arrivent avec des idées préconçues.

Moi : Que penses tu de ma situation avec Mehdi112 alors par exemple?

Maxime : Donc ça c'est pour toi un jeune qui n'adhère pas... Mais moi je dirais plutôt qu'il n'a pas envie qu'on s'occupe de lui, qu'il y ait un travail éducatif...Il a 18ans Mehdi, c'est ça? Il est suivi depuis pas mal de temps et j'ai remarqué qu'à cet âge par exemple, il n'aimait plus parler de sa famille par exemple. Mais, en ce qui concerne Mehdi, tout ce qu'on peut faire, simplement, c'est de savoir s'il a bien peser le pour et le contre. Il faut lui expliquer. Là aujourd'hui, son trafic de cannabis c'est tant et demain ça sera tant. Toi après, tu ne peux pas vouloir pour lui. Si lui il a choisi, il te dit qu'il a choisi. Moi j'ai vu un entretien avec un adolescent, passionnant, où l'adolescent nous a dit devant son père : « moi, honnêtement, aujourd'hui, j'ai 18 ans, je ne sais pas si demain je vais aller dans la délinquance ou si je vais repartir dans le droit chemin ». Il hésitait...Là, il y a quelque chose à faire là. Après, s'il veut le contraire, qu'il expérimente !

112Nom d'emprunt concernant l'adolescent dont la situation est décrite au chapitre un.

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Moi : Est ce que tu distingues l'adhésion libre de l'adhésion contrainte?

Maxime : C'est le cadre pour moi qui va faire l'une ou l'autre. Nous, nous sommes dans la contrainte, donc l'adhésion ici est contrainte. Je dois changer de métier si je n'accepte pas cette contrainte. On peut y voir les avantages et les inconvénients de ce cadre. Moi ce qui me gêne le plus, c'est la stigmatisation que pose la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Après l'avantage, c'est qu'il vienne parce qu'il y est obligé. La relation par suite peut se passer relativement tranquillement. On peut se cacher derrière cette obligation en disant « bon je viens je suis obligé ». Le jeune peut donner le change à l'extérieur. « je fais ça je suis obligé ». Mais on ne doit pas oublier le stigmate, et que plus vite, il en sort, mieux c'est pour lui.

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Faiza, éducatrice

Moi : Qu'est ce que l'adhésion selon toi?

Faiza : Bon, je pense que l'adhésion, c'est pas forcément une chose évidente : il n'y a pas ceux qui viennent et qui adhèrent et ceux qui ne viennent pas et qui n'adhèrent pas. Je pense qu'on peut l'évaluer dans le temps, quand quelque chose se passe, tout simplement. Ça veut dire peut être que quelque part, l'usager nous accepte dans sa vie.

Moi : Quels sont les signes concrets de l'adhésion lors d'un suivi selon toi?

Faiza : Pour moi, c'est exister pour le jeune et sa famille... Il y a aussi des adhésions plus évidentes; des jeunes qui sont contents de venir nous voir, qui nous demandent conseils...Concrètement, c'est plein de choses différentes. Il faut du temps. C'est une relation, des liens...Ne serait ce que par courrier ou par téléphone...même si on ne voit pas le jeune...il y a une relation...J'existe quelque part quand même.

Moi : As tu connu des situations où l'adolescent n'adhérait pas ?

Faiza : Oui, ça m'est arrivé récemment, un jeune a pu me formuler très clairement qu'il ne voulait pas de suivi éducatif. Je ne sais pas comment te dire, mais c'était très clair ! Jamais on ne me l'a exposé comme ça, à tel point qu'on s'est posé la question de l'orienter au SPIP étant donné qu'il a eu 18 ans...Du coup, je lui en ai parlé, je lui ai exposé les différences et du coup, il préfère le service éducatif. En gros, il vient sur le service toutes les deux semaines pour pointer...on a poser les choses comme ça. Pour l'instant, on est dans ce cadre là mais je me dis, peut être que dans 6 mois, à force de me voir régulièrement...Il va se passer des choses...Mais ça m'est arrivé une fois oui, de ne rien pouvoir faire du tout...Là, c'était dingue ! C'était toute la famille qui ne voulait pas, la mère était dans la même posture que le gamin...Après le premier entretien d'accueil, ils ne sont jamais venus et ne voulaient pas venir. Il ne voulait pas me parler, il ne voulait pas d'éducateur. Il ne reconnaissait pas les faits aussi, c'est peut être ça...Et en même temps, on avait une LSP ça laissait peu de temps.

Moi : Est ce que tu considères alors ces suivis comme des échecs ?

Faiza : Non, je ne le prends pas comme ça non.

Moi : Et les rapports que tu écris, alors que le jeune ne s'est pas investit, tu ne te dis pas que ton action va freiner son parcours ?

Faiza : Je me sentirai en échec si le jeune était représenté devant le juge...

Moi : Quelles conditions vas tu mettre ne place dans le cas où le jeune n'adhère pas ?

Faiza : Encore une fois, ça dépend du cadre. Il faut voir si ce sont des mesures éducatives ou si ce sont des obligations, le CJ, le sursis...tu n'auras pas les mêmes outils en fonction du cadre, tu vois. Il y a plusieurs techniques en fonction de la mesure. Bon tu peux essayer de leur mettre la pression, ça ne marche pas ( rire )...Visite à domicile....Bon moi j'essaie toujours au maximum de sécuriser l'adolescent et sa famille...La famille, ça compte beaucoup, elle n'est pas à isoler bien souvent...C'est un ensemble de choses, cela dépend du jeune, de sa famille, des mesures ordonnées...Dès le début, j'essaie de leur montrer que je ne suis pas contre eux...plutôt avec eux...Mais pas non plus euh...J'essaie de présenter notre intervention comme une chance, vraiment comme une chance.

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Moi : Penses tu qu'il y a des adhésions libres et des adhésions contraintes ?

Faiza : Je ne pense pas qu'on puisse faire adhérer avec la contrainte. Pour moi,c'est contradictoire. Tu mets un jeune en prison mais tu ne le fais pas adhérer à la prison. En milieu ouvert, dans les cas où ça marche c'est parce que le jeune adhère. Ça se construit. Je pense qu'il faut reconnaître à la base, une légitimité quand même. C'est pour ça que c'est plus compliqué avec les jeunes qui ont du mal à reconnaître. Nous devons être légitimes pour eux. Mais je crois que je confonds un peu la relation et l'adhésion...On peut travailler sans adhésion mais pas sans la relation...En fait l'adhésion, je n'y pense jamais. Bon, ça m'est arrivé d'avoir un jeune qui faisait toutes les démarches convenues, qui venaient à tous ces rendez vous et il s'est retrouvé à Villepinte ( Maison d'arrêt) ! Alors, je ne sais pas si c'est moi qui lui dit des conneries mais...! Je pense voilà, il ne faut pas surestimer notre rôle...

Moi : Quelles sont tes méthodes pour passer d'une adhésion illusoire à une adhésion réelle.

Faiza : Moi je vais chercher la progression, l'amélioration mais je ne cherche pas l'adhésion. Je pense qu'il peut y en avoir sans adhésion...Bon plus ou moins, on peut avancer aussi dans un rapport de force. Mais dans ces cas là, je ne vais pas parler de forcing mais plutôt d'assistance. Parfois il y a une adhésion mais les jeunes n'arrivent pas à se lever...Il faut voir d'où on part et parfois on part de très loin, alors on écrit des notes au Juge, comme quoi le jeune n'est pas en mesure de se mobiliser mais ça, ça ne marche jamais !

Moi : Quelle est l'influence de la relation éducative dans des situations où l'adhésion ne fait pas, d'une manière volontaire ou indépendante de la personne ? Tu parlais d'assistanat à l'instant, c'est une façon d'être dans la relation éducative dans ces situations?

Faiza : Oui, je peux le faire un moment mais, pas trop...Après tu crées de la dépendance aussi. Tu peux donner des coups de pouce, ponctuels. Mon positionnement va participer bien sûr à l'adhésion. Je pense qu'il ne faut pas faire du forcing d'emblée justement. Il faut évaluer.

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Entretien avec Wacila, psychologue en milieu ouvert

Moi : Quel sont les signes de l'adhésion chez l'usager selon toi ?

Wacila : Je dirais que c'est à partir du moment où on arrive à créer une relation de confiance, c'est ce qui va permettre l'adhésion. Après c'est toujours difficile de voir d'une manière générale car on est dans un cadre judiciaire, avec un mandat fait par le Juge des Enfants, demandé suite à un acte posé par l'adolescent...Il se pourrait que cet acte, pour certains, soit un appel...

Moi : inconscient ?

Wacila : Peut être pas inconscient...Le fait de poser un acte fait toujours appel à l'extérieur. Ça c'est une des théories. Et l'extérieur venant intervenir là où le jeune a posé l'acte montre qu'il y a une situation compliquée. Bien souvent, quand un adolescent passe à l'acte, il attend une réponse en fonction de cet acte, il s'y attend en tout cas. Nous, dans notre cadre judiciaire, on voit ce qu'on peut faire autour des contraintes judiciaires, nous composons à partir de ce passage à l'acte.

Moi : As tu rencontré des adolescents qui n'étaient pas dans l'adhésion, en ce qui concerne ta fonction de psychologue, des adolescents qui refusaient de venir aux rendez vous?

Wacila : Oui. Par exemple, je me souviens d'un adolescent qui ne voulait pas aller voir la psychologue alors que j'étais en foyer. En équipe, on a donc mis en place un système, c'était qu'il vienne au moins voir la psychologue à l'heure du rendez vous pour dire qu'il ne voulait pas y aller, sans autres explications. A force de mettre des mots, les adolescents se rendent compte peu à peu que ça peut débloquer des choses, car ils n'ont pas l'habitude de mettre des mots sur ce qu'ils font.Et moi je leur répond : bon, à la semaine prochaine alors! Et au bout d'un moment, par expérience, tous finissent par revenir aux rendez vous. Le cadre obligatoire, contraint d'être suivi par un éducateur ou un psychologue peut aidé le jeune à y aller. Le fait que ça soit obligatoire, ça aide à l'adhésion, certains ne se posent plus de questions après cela, ils disent : bon c'est obligatoire donc j'y vais.

Moi : Quels moyens proposes tu en plus de ceux que tu viens d'énoncer pour amener l'adhésion?

Wacila : Comme je l'ai dit tout à l'heure, la première des choses pour moi, c'est la relation de confiance. Pour cela, il faut s'intéresser au jeune, à ce qu'il fait...Il ne faut pas aborder frontalement certains sujets. Et peu à peu, le jeune va mettre des mots sur son vécu...Et plus, il mettra de mots sur son vécu, plus il pourra alors en mettre sur des projets d'avenir. Il faut créer cette relation de confiance, cela peut passer par un travail avec la famille par exemple, parfois le jeune peut se sentir déloyal vis à vis de sa famille...Se mettre en lien avec elle de façon régulière va pouvoir aider le jeune à adhérer.

Moi : Quelles sont les conséquences dans les prises en charge, dans des adhésions réelles et contraintes, les résultats sont ils très différents?

Wacila : L'essentiel est que venir parler les fasse réfléchir. A force de parler, les adolescents peuvent se rendre compte qu'ils ont envie d'autre chose...Nous devons les soutenir même s'ils n'avancent pas tous de la même manière. Pour nous professionnel, certaines situations sont plus simples quand il y a de l'adhésion. Il faut se demander pourquoi certains freinent l'adhésion et en général, ces jeunes là vivent des situations plus complexes et rencontrent plus de difficultés sociales.

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Moi : Et que ferais tu face à un jeune qui te dit que tout va bien, qui refuse de se remettre en question?

Wacila : ça arrive souvent que des jeunes ne parlent pas de problèmes essentiels. J'ai déjà eu un jeune qui se mettait en scène, qui faisait illusion...et il connaissait de graves problèmes familiaux mais il ne m'en parlait jamais. Un jour, il m'a présenté ses parents. Il n'y avait rien de plus à dire pour lui, je me souviens de sa mère qui portait sur son visage des traces de coups...son père la battait, comme il battait son fils également. C'était une façon pour lui de me parler de sa famille; en me les présentant.

Moi : Selon toi, l'adhésion dépend donc de la relation éducative?

Wacila : Oui, tout à fait. Du début à la fin des prises en charge, il faut penser les conditions pour obtenir l'adhésion. Il faut de l'étayage, du soutien, puis de l'élaboration c'est à dire une réflexion.

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La question de l'adhésion de l'adolescent dans le travail éducatif a été ma

préoccupation centrale dès mon arrivée au sein de la Protection Judiciaire de la

Jeunesse. Au delà du mandat judiciaire légitimant les interventions éducatives,

je me demandais dans quelles mesures ces injonctions contraintes pouvaient être

opérantes dans la situation où le mineur n'adhérait pas.

Il est question dans un premier temps de mettre en lumière les causes de

cette non adhésion que les équipes éducatives peuvent analyser dans ses prises

en charge. Comment les institutions, de milieu ouvert et d'hébergement

réagissent à la non adhésion apparente du mineur ? A partir d'entretiens semi

directifs réalisés auprès des adolescents et des professionnels de milieu ouvert, il

est apparu que la non adhésion de l'adolescent ne représentait pas toujours un

frein au travail éducatif et que la contrainte pouvait permettre à l'adolescent

malgré tout d'opérer des changements.

Dans une deuxième partie, il s'agira de savoir si l'adhésion peut se

travailler ? Est elle nécessaire, du point de vue de l'éducateur et du point de vue

des magistrats, pour opérer un travail éducatif sous injonction judiciaire ? Quel

est le rôle de la relation éducative dans l'adhésion de l'adolescent ?

A l'aide de référence théoriques et d'expérimentations sur les terrains de

stage, nous nous intéresserons à ces questions dans ce mémoire.

Mots clés : Adhésion, travail éducatif , injonction judiciaire, contrainte , relation

éducative, projet éducatif.