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L’Inde entre Ciel et Terre Carnet de voyage en Inde 11 Juillet-1 er Août 2012 David Frapet

L’Inde entre Ciel et Terre · 2013. 8. 18. · David Frapet David Frapet. 22 . 2 3 11 Juillet 2012 : Hare India ! Six heures du matin : Je prends place dans un taxi qui fonce à

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erre

L’Inde entre Cielet Terre

Carnet de voyage en Inde11 Juillet-1er Août 2012

David Frapet

12.9 506425

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 182 pages

- Tranche : (nb pages x 0,055 +2 mm) = 12.01----------------------------------------------------------------------------

L’Inde entre Ciel et Terre

David Frapet

Da

vid

Fra

pet

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11 Juillet 2012 : Hare India !

Six heures du matin : Je prends place dans un taxi

qui fonce à tombeau ouvert en direction du grand

Temple ISKCON (International Society for Krishna

Consciousness) situé dans le quartier d’East of

Kailash, en périphérie de Delhi. Une musique shivaïte

envahit l’habitacle. Je suis heureux de retrouver l’Inde.

J’aime cette odeur d’humidité urbaine, d’épices et de

pollution. Delhi n’a pas changé depuis l’an dernier.

J’arrive par le vol d’Istambul, « Turkish Airlines », qui

s’est posé à l’aéroport Indira Gandhi à 4 heures du

matin. Bien qu’ayant très peu dormi, je n’éprouve

aucune sensation de fatigue. Au contraire, une douce

sensation de flotter s’est emparée de moi. Je suis

parfaitement détendu, très à l’aise, très excité à l’idée

de revenir à la maison après un an d’absence. Je

ressens instinctivement l’étrange impression d’être

chez moi, après mon séjour de l’an passé, qui fut

pourtant fort court : Dix jours. Le chauffeur de taxi

conduit comme un fou. L’idée m’effleure que je

pourrais mourir maintenant, dans un stupide accident

de la route, ici, sur une vilaine autoroute indienne.

Mais cette pensée disparaît comme elle est venue. Je

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ressens pleinement le sentiment nourrissant de la toute

– puissance ; à cet instant, j’ai la certitude que je ne

risque rien, parce que je suis protégé par des Forces

supérieures, ces Forces qui m’ont amené jusque-là.

Cette ivresse consciente est un effet de la Pure Bonté

du Très Haut.

Incroyable ! Delhi compte plusieurs millions

d’habitants, et il faut que je rencontre, juste devant

l’entrée du Temple Krishna d’East of Kailash, le

chauffeur de taxi qui m’avait conduit l’an dernier

jusqu’à Vrindavana. Nous nous sommes tout de suite

reconnus ! Je suis soudain épuisé, mais comme il parle

bien anglais, j’en profite pour lui demander comment

faire pour « monter » jusqu’au Cachemire. Il est en

train de me donner les informations, lorsqu’un dévot

de Krishna (indien, je précise) se joint à nous, et me

tends son portable dernier cri. La mémoire de son

cellulaire contient tous les numéros de téléphone des

temples ISKCON de l’Inde. Je crois comprendre qu’il

existe un temple Krishna à Jammu et à Srinagar, la

capitale du Cachemire indien. Il paraît même qu’à

Jammu, « les Krishnas » louent des chambres aux

touristes. J’entame une conversation téléphonique en

anglais avec un homme qui vit dans le temple de

Srinagar. Je ne comprends pas tout, mais l’homme me

dit qu’il dispose de capacités d’hébergement pour des

égarés de dernière minute. Je lui dis que j’ai pris bonne

note de cette information et à partir de cet instant, je

suis prêt à n’importe quoi pour déposer mes valises,

me laver et m’allonger.

Je viens donc de régler le problème de ma montée

au Cachemire, en moins de dix minutes, alors que je

me torturais avec ce souci depuis des semaines :

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Moralité, soyez patients et attendez l’évènement. En

Inde, il vient toujours !

Pour l’instant, il est 6 H 40 du matin (heure

indienne). Je n’ai pas fermé l’œil depuis fort

longtemps, et j’apprends que la prochaine chambre

disponible (que l’on m’a déjà vendue pour 600 roupies

– 10 Euros –), ne sera ouverte qu’à partir de 9 H 30. Il

me faut donc attendre, et sans me plaindre, car il

semble que l’hôtellerie de ce temple me fasse une

faveur en m’attribuant une chambre. Je n’ai en effet

pas réservé. Ma qualité de membre d’ISCKON a dû

jouer en ma faveur, comme probablement ma manière

de me présenter par un « Hare Krishna » de bon aloi…

Tout cela me renforce dans l’idée que je suis ici chez

moi. Tout à l’heure, j’irai chanter les Saints Noms de

Krishna ; je m’attablerai ensuite au cœur du Temple,

devant le meilleur Prasadam végétarien de la ville,

celui servi au « Govinda-Restaurant ». Heureuses

perspectives que voilà, et qui m’aident à supporter la

fatigue.

J’adore la manière de dire « bonjour » chez les

dévots de Krishna : « Hare Krishna », mains jointes.

En quelque sorte, cela signifie : « Puissance du

Seigneur ». Ils disent aussi « Haribol », ce qui signifie

« Chantons ! ». C’est beau de croiser son prochain, dès

6 heures du matin, et de lui dire : « chantons ! ». C’est

bien plus entraînant que notre mécanique « bonjour »

sans âme, que nous nous jetons quotidiennement à la

face. Pauvre Occident ! Il sait peut-être domestiquer

l’atome ou mettre des satellites artificiels en orbite

autour de la Terre, mais il ne sait pas dire « bonjour ».

J’ai trois bonnes heures à tuer avant de pouvoir

profiter de ma chambre. Je pars donc à l’aventure

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dans le quartier (que je connais cependant très bien),

en attendant 9 H 30. Tous mes bagages sont empilés à

la réception, à la vue de tous. Même pas peur qu’on

me les vole ! Je suis chez les Krishna, oui ou non ?

Vraiment, le quartier d’East of Kailash ne s’est pas

assaini depuis l’an dernier. L’égout coule toujours au

milieu de la rue. Le goudron défoncé abrite les

mêmes ornières remplies d’une boue à la composition

indéterminée. Et pourtant, au milieu de ce cloaque,

circulent des enfants vêtus d’uniformes scolaires

rutilants ; les mères de famille qui les accompagnent,

sourient à leur entourage, et les commerçants

s’agitent dans leurs boutiques. On se bouscule aux

étalages. Les odeurs de la pourriture et de l’huile de

vidange se confondent avec celles de l’encens et de la

fumée des fours traditionnels à pains. Parfois des

volutes de parfum et d’épices parviennent jusqu’à

vous, mais la douce sensation olfactive est soudain

effacée par un brusque relent de gaz d’échappement,

ou pire, d’excréments animaliers. Ce quartier, dans

lequel je commence à avoir mes habitudes depuis l’an

dernier, est vraiment très défavorisé. Toutefois, je

m’y sens en parfaite sécurité. Je me surprends même

à l’aimer.

Quand on s’ennuie et que l’on dispose de quelques

moyens, on mange ! 7 H 10 : Je rentre dans un petit

restaurant complétement enfumé par des chaudrons

remplis d’huile bouillante dans lesquels des cuisiniers

préparent des plats populaires. Le patron me lance un

puissant « Hare Krishna », auquel je réponds avec le

même enthousiasme. Le moins que l’on puisse dire

est que cet établissement ne répond pas aux canons de

l’hygiène occidentale ! On mange avec les mains ; ici,

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pas de couverts. Les serveurs, de jeunes gens âgés de

15 à 18 ans maximum, nettoient le sol (très sale) avec

de vieilles serpillières qu’ils étalent de leurs mains

(pas de balais). Des hommes qui semblent aux

commandes, leur désignent d’un doigt dédaigneux les

endroits à récurer. J’ai même l’impression que cette

frénésie de nettoyage a augmentée depuis que je suis

rentré dans l’établissement. Les yeux des clients sont

irrités par la fumée sortie du tandoor (le four

traditionnel) et des bassines d’huile bouillante où

frissonnent des beignets de pomme de terre. Ces

bassines fixent mon regard. Elles sont posées sur une

sorte de mini gazinière qui crache des flammes

géantes bleutées. Je me suis assis à une table non

débarrassée, pleine de miettes de pain et de mouches.

Et je hume avec délectation l’odeur des naans, ces

délicieux pains indiens, plats et couverts de cloques,

servis bouillants, nature, au beurre, ou à l’ail. Je

commande un puri (prononcé « pourri »), c’est-à-dire

un plat végétarien composé de légumes, de dalls

(lentilles indiennes jaunes), et de pois chiches. Le tout

est très fortement pimenté et joliment coloré. Je me

régale et une fois mon plat englouti, je m’empresse

d’en commander un autre. Le même. Tout en

mangeant, j’observe les scènes qui se déroulent

autour de moi. Ce petit restaurant est un spectacle !

Le patron et les serveurs parlent fort. Les commandes

sont criées. Parfois un garçon de salle passe devant

ma table en traînant sur le sol une caisse de briques de

petit lait. D’étranges clients en robes blanches, avec

ou sans barbes, me saluent d’un sourire. D’autres,

vêtus de vieux maillots délavés et sans formes, me

jettent un regard amical, mais interrogatif. Je suis

« aux petits soins ». Le patron en personne m’apporte

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une petite coupelle remplie de serviettes en papier.

Mais il semble s’interroger sur les raisons de ma

présence. Ce n’est pas un quartier pour les touristes…

Mais voilà que je recommande pour la troisième fois

le même plat ! Etonnement. Je précise « à emporter »,

car j’ai honte de me goinfrer dans un quartier aussi

pauvre. Le patron me confectionne alors un

assortiment impressionnant d’emballages plastiques,

fermés par des nœuds, et qui ne fuient pas ! En prime,

j’ai même droit à une petite assiette jetable en

aluminium.

Vient l’heure de l’addition : 90 roupies pour les

trois services, c’est-à-dire…1 Euro et cinquante

centimes ! Dix de nos anciens francs… C’est certain,

j’ai payé le prix qui est demandé à la clientèle locale.

Je pense qu’ils ont dû se dire que pour venir manger

chez eux – et dévorer comme je l’ai fait –, il fallait

que je sois bien fauché. Je me dis alors que c’est

lorsqu’on cesse de se faire pigeonner par les

commerçants, que l’on devient vraiment citoyen d’un

pays. Je prends cela pour une marque de

considération. Ainsi, je serais des leurs ?

8 H 30. Finalement une chambre s’est libérée à la

Guest House du temple. « Hare Krishna »! Je paie,

toujours le prix promis de 600 roupies. Et là aussi, le

réceptionniste accepte de me faire une fleur, étant

donné que ce prix est réservé aux membres de

l’ISCKON, mais que j’ai oublié ma carte de membre

en France. Il me croit sur parole quand j’affirme être

adhérent, d’autant plus facilement d’ailleurs qu’il a

retrouvé mon nom sur les registres de l’an passé.

Je grimpe à l’étage, avec mes valises. Je pousse la

porte de la chambre N° 16, celle avec douche et

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ventilateur. A peine étendu sur mon lit, je m’endors ;

je vais rouvrir un œil à 14 Heures.

14 H 30 : Une bonne douche, puis j’enfile des

habits propres. Je consomme ensuite mon repas

« emporté » qui est désormais froid, puis je me rends

à la réception pour récupérer 400 roupies de monnaie

que la caisse de l’hôtellerie me devait depuis mon

arrivée. Je sortais du bureau de change de l’aéroport

et je n’avais dans mon portefeuille que des billets de

1000 roupies. Nourri, reposé et libéré des formalités

administratives d’arrivée, je peux enfin me rendre au

grand temple, pour chanter les Saints Noms. Après

avoir franchi le poste de sécurité et subi une sévère

fouille à corps, j’offre – selon les usages en vigueur –

un collier de fleurs à Krishna. J’éprouve alors une

grande joie en flânant dans les allées de ce temple que

je connais bien. Le temple « Krishna » d’East of

Kailash, outre les salles de prières dans lesquelles se

déroulent plusieurs fois par jour des Sankirtanas,

abrite un restaurant, une pâtisserie, des magasins de

vêtements, deux librairies, un disquaire, une sorte de

bar, des bassins, et même un splendide musée

consacré à la culture védique.

Pénétrer dans l’enceinte de ce lieu sacré, c’est

aussi entrer dans un profond recueillement. Voici

l’heure du lâcher-prise, après l’agitation du voyage.

Cette année, j’ai visité « l’exposition védique » et

assisté à un spectacle grandiose, relatant avec sons,

lumières et effets spéciaux plutôt réussis, la Baghavad

Gita, le grand livre sacré de l’hindouisme. A la fin du

parcours, le visiteur se retrouve devant un

gigantesque globe à facettes qui reflètent toutes une

image de Krishna accompagné de Swami

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Bhaktivedanta Prabupphada, le fondateur du

Mouvement de la Conscience de Krishna dans les

années 70, en train de danser et de prêcher. Le

message est clairement énoncé en anglais : « Krishna

est Dieu ; il est présent dans tous les atomes de

l’Univers et nous retournerons à Lui, une fois que

nous aurons achevé notre cycle infernal des morts et

des renaissances ».

A 19 H, j’ai assisté au Kirtan, l’office dévotionnel

chanté et dansé à la gloire de Krishna. J’ai

immédiatement retrouvé l’ambiance saisissante des

répétitions frénétiques du Maha Mantra « Hare

Krishna, Hare Krishna, Krishna, Krishna, Hare, Hare !

Hare Rama, Hare Rama, Rama, Rama, Hare, Hare ! »,

mais aussi des danses extatiques, des colliers de fleurs

sanctifiés jetés dans la foule des fidèles par les prêtres

au crâne rasé, appelés « brahmacaris ». Les dévots de

Krishna chantent à tue-tête. Affirmer qu’ils hurlent

serait d’ailleurs plus proche de la réalité. Une sono

digne d’une boite de nuit diffuse une musique

d’accompagnement. Dans l’assistance, ce ne sont que

claquements de mains, dévotion intégrale et regards

éperdus. Personne ne juge personne. N’importe quel

arrivant de n’importe quelle partie du monde peut se

présenter à l’office et chanter les Saints Noms de

Krishna. J’ai personnellement chanté le Maha Mantra,

assis, debout, immobile et en dansant. J’aime me

fondre dans l’égrégore dégagé par toutes les âmes qui

participent à cette cérémonie du Kirtan. Je disparais

alors, en me fondant dans l’assemblée des dévots, pour

appartenir quelques instants à la plus vieille Tradition

religieuse du monde. J’ai connu cette ivresse spirituelle

l’année dernière au grand temple ISCKON de

Vrindavana, lorsqu’assis parmi les dévots au pied de

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l’arbre sacré « tulasi », j’ai entamé le Maha Mantra

avec les chanteurs et les danseurs qui réalisaient la

« Rasa Lila », la danse sacrée que Krishna lui-même

pratiqua sur les bords de la Yamuna avec les bergères

(les « gopis »), il y a de cela presque 5000 ans. Notons

que les bergères en question n’en étaient probablement

pas. Dans le Krishnaïsme, les « gopis » symbolisent les

âmes réalisées, ou à tout le moins, les âmes en voie de

réalisation. Ces danses divines sont donc à envisager à

un niveau allégorique et non pas littéral…

12 Juillet 2012 : Histoires de Gares

Ce matin, je pars pour le Cachemire. Aux alentours

de 9 Heures, je monte dans un rickschaw en direction

de « Kashmiri Gate » (la porte du Cachemire), qui est

comme son nom l’indique, le terminal des bus

spécialisé vers les destinations du Pendjab et du

Cachemire. En arrivant dans cette gare, je surgis dans

un véritable cauchemar. Heureusement que j’ai acquis

une expérience des gares indiennes l’année dernière !

La gare de Kashmiri Gate se situe dans une périphérie

très pauvre de Delhi. Quelques dizaines de vieux

autocars délabrés stationnent piteusement sur un

grand parking cimenté d’aspect misérable. Une foule

de voyageurs et de rabatteurs pour les bus, évolue

dans tous les sens. Là retentissent cris et coups de

klaxons dans des nuages de pollution émis par les

pots d’échappement de vieux bus à bout de souffle.

Aucune indication des destinations en anglais. Tout

est écrit en hindi. Pour aggraver le tout, le bâtiment

principal de la gare est en travaux. Des guichets de

fortune ont été installés à l’extérieur. Les employés y

sont franchement détestables. Pendant presque une

heure, je vais faire le piquet devant ce qui ressemble

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vaguement à un bureau de ventes de tickets de

transport. Les employés ne me regardent même pas.

Tout le monde passe devant tout le monde, dans une

joyeuse anarchie qui semble tout de même avoir ses

règles. Ici, le touriste européen est un intrus.

Cependant, j’ai vu beaucoup de voyageurs indiens se

faire rabrouer par des chauffeurs de bus ou des

guichetiers. Il faut dire que les hommes des guichets –

nous les nommerons ainsi –, sont intégralement

occupés à faire leur comptabilité. A la main, sur de

grandes feuilles de papier, ils additionnent des

chiffres et agrafent des piles de tickets qu’ils

entourent ensuite avec des élastiques. Ils portent à ces

tâches comptables une attention exclusive et manient

leurs tas de ticket avec dextérité. En tous les cas, les

voyageurs les gênent beaucoup et au bout d’une heure

de ce régime, je finis par perdre mon calme. Pour

contraindre le guichetier à poser son regard sur moi,

je me mets à crier en anglais : « Je veux acheter un

ticket pour Jammu ! » A vrai dire, je n’espère pas

acheter un billet. Je veux simplement que l’employé

de la gare s’aperçoive de ma présence. Contre toute

attente, je parviens à lui faire lever la tête, mais il se

contente de me jeter au visage un seul mot :

« Jalander ». C’est tout du moins ce que je

comprends. Puis, d’un geste méprisant de la main, il

me demande de déguerpir. Je cherche de l’aide et les

autres indiens présents me parlent en hindi en faisant

de grands gestes. Moi je dis que je veux aller à

Jammu et eux me répondent « Jalander ». Je n’y

comprends rien ! C’est une véritable histoire de fous !

Soudain, un homme se dirige vers moi et

m’interpelle. Il me dit que pour acheter un billet pour

Jammu, je dois me rendre au premier étage du

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bâtiment principal de la gare, qui abrite le guichet de

vente que je cherche tant. Je grimpe donc quatre à

quatre les escaliers qui mènent à l’étage, tout en

portant péniblement mes 20 kilos de bagages répartis

dans trois sacs de sport. Je pénètre alors dans une

grande salle déserte en construction. Au lieu des

guichets annoncés, je ne vois que des bétonnières.

Peu s’en faut même que je ne me casse la figure, en

m’entravant dans les câbles électriques qui jonchent

le sol. Et puis soudain, j’aperçois un guichet surmonté

d’une pancarte « Cachemire » ! Je m’y précipite,

plein d’espoirs, mais je me heurte à un guichet vide !

Désespéré, je m’assois quelques instants par terre,

parmi mes sacs. C’est alors que se présente à moi un

jeune homme (qui m’a suivi, semble-t-il), et qui

s’avérera être le contrôleur du bus que je prendrai tout

à l’heure. De but en blanc, il me dit : « Pour Jammu,

descendez à la plateforme N° 12 ». Je m’exécute sans

toutefois le remercier, car sur le coup, je le prends

pour un de ces traîne-savates qui cherchent à soutirer

quelques roupies aux touristes. Parvenu à cette

plateforme 12, je m’aperçois avec horreur qu’il s’agit

de l’endroit où j’ai déjà attendu plus d’une heure !

Profondément démoralisé et me sentant incapable

d’affronter à nouveau les guichetiers détestables avec

lesquels je viens d’avoir quelques échanges

vigoureux, je me dirige cette fois vers les chauffeurs

de bus eux-mêmes.

Après avoir dit que je voulais me rendre à Jammu,

un chauffeur me répond en m’indiquant un bus qui,

selon lui, part pour Jammu. J’ai donc trouvé le car,

mais ça ne résout pas la question de l’achat du billet.

Fatigué et surtout passablement énervé (qui plus est je

commence à ressentir une soif intense), je monte dans

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le bus et m’y installe avec la ferme intention de ne

rien payer, comptant bien en cela me dédommager de

toutes mes peines ! Alors que je suis à ma place en

train de savourer le plaisir d’avoir trouvé le bon

autocar, un jeune couple indien monte dans le bus. Ce

sont des gens modernes et « bien mis ». Pris d’un

dernier doute, je leur demande de me confirmer que je

suis bien dans le bus pour Jammu. A ma grande joie,

le jeune homme me répond que oui, mais soudain,

Ô horreur, il prononce le mot « Jalander ». Cette fois,

je me rends et lui demande ce que ce mot signifie.

Textuellement je lui dis en anglais : « Mais qu’est-ce

que c’est que ça, Jalander ? ». J’apprends enfin qu’il

s’agit du nom de la ville de Jallandar, qui se prononce

avec l’accent indien « Jullundur ». De là à ce que je

comprenne « Jalander », il n’y avait effectivement

qu’un pas. D’accord, le mystère est élucidé, mais moi,

je veux me rendre à Jammu et non à Jallandar. « Oui,

me répond le jeune homme, mais pour vous rendre à

Jammu, il vous faut obligatoirement transiter à

Jallandar, et de là, vous prendrez un autre bus pour

Jammu ». Je lui avoue que je n’ai pas de tickets et que

je ne sais pas où ni comment en acheter un. Il me

montre alors avec sa main les tristement connus

guichets de la plateforme N° 12. Fort contrarié, je luis

dis que je ne retournerai sous aucun prétexte à ce

guichet, car je ne suis jamais parvenu à me faire

vendre un ticket à cet endroit. Spontanément,

l’homme se lève et m’emmène à la plateforme N° 12

pour acheter le ticket à ma place. Bien sûr j’accepte,

et je confie la garde de tous mes bagages à la jeune

fille qui l’accompagne. Elle affiche un beau sourire ;

elle est jolie et cela me suffit. Arrivé au guichet, mon

sauveur s’adresse au guichetier et achète mon billet

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(270 roupies, soit 4 Euros), non sans avoir

préalablement prononcé le mot magique

« Jalander ! ». Ultime vengeance, je prends mon

ticket et ma monnaie de la main du guichetier sans

dire merci.

A peine assis dans le car, cette fois en règle avec

les transports indiens, j’apprends que nous

n’arriverons à Jallandar qu’à 19 Heures (!). Il est

11 H 30 ; je vais donc devoir voyager plus de 7

heures dans ce mauvais bus. Par-dessus le marché, il

faudra probablement rouler encore 5 heures de plus

pour rejoindre Jammu. Je me demande si je ne vais

pas être obligé de passer la nuit dans ce Jallandar de

malheur. En consultant ma carte routière de l’Inde

achetée l’an dernier à Montpellier, je comprends

pourquoi il est si long de se rendre de Delhi à

Jammu : En fait, le tracé de la route contourne le

Pakistan voisin, qui se trouve à quelques kilomètres

de Jallandar.

20 Heures : Finalement, pendant 7 heures de bus,

j’ai eu le temps de réfléchir à mon itinéraire et de lire

la carte… En fait, je vais d’abord aller à Amritsar, la

ville frontière avec le Pakistan avant de « monter » au

Cachemire. Comme ça, je visiterai d’abord le grand

Temple d’or des sikhs, une curiosité mondialement

connue que je ne veux manquer pour rien au monde.

Ce changement de programme apparaît beaucoup plus

logique quant à l’itinéraire de mon voyage.

A l’heure où j’écris, je suis dans un superbe bus

climatisé qui se dirige vers Amritsar. Le bus est

rempli de sikhs aux regards sombres, portant des

barbes fournies et de magnifiques turbans. Dommage

que je ne passe que la dernière heure dans ce type de

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bus, car l’autre était vraiment épouvantable :

Bouillant, « tape-cul », bruyant et sentant le gasoil…

Impossible de ranger mes valises. Certaines ont

voyagé entre moi et la paroi, quand elles ne

finissaient pas parfois sur mes genoux… Et tout ça

pendant 7 heures.

Donc ce soir, je dors à Amritsar : C’est magique,

tout de même ! Je descendrai à l’hôtel Lucky House

(la maison de la chance), à deux pas du grand temple

d’or. Après avoir déposé mes valises et baigné mes

mains endolories par les sangles des sacs, je décide de

déambuler dans les rues populeuses aux alentours du

temple d’or, et ce jusqu’à minuit. J’ingurgite quelques

délicieux hamburgers végétariens, des sodas indiens

et de l’eau fraiche.

Je me couche en m’étonnant beaucoup d’Amritsar,

qui est une ville où des chaines occidentales comme

« Domino’s Pizza » ont pénétré. Il est possible de

boire des sirops français « Monin » ou d’acheter du

Nesquik ! Les femmes sont très libres et se promènent

dans les rues, seules ou en bandes et n’ont pas les

yeux dans leurs poches. Peut-être que ce vernis

occidental provient d’une réaction contre le Pakistan

voisin (à 1 ou 2 km d’où je me trouve), réputé comme

rigoriste.

13 Juillet 2012 : Au Grand Temple d’Or

Le grand temple d’or des sikhs à Amritsar est

connu dans le monde entier, surtout à cause des tristes

évènements qui s’y déroulèrent en1984 (occupation

armée par des indépendantistes suivie d’une reprise

sanglante des lieux par l’armée indienne). Il m’a été

donné aujourd’hui de pouvoir visiter ce haut lieu de la

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spiritualité mondiale. J’ai longuement remercié Dieu

pour m’avoir offert de tels moments.

Dès hier soir, j’avais procédé à un repérage des

lieux. Ce matin, j’ai donc pu me diriger sans perdre

de temps vers ce site splendide. Arrivé sur « zone »,

je me rends alors à la consigne des chaussures,

passage obligé pour tous les visiteurs qui doivent

entrer déchaussés dans l’enceinte du temple. Je dois

ensuite prendre un foulard pour couvrir mes cheveux,

car dans le sikhisme, les hommes – comme les

femmes – doivent cacher leurs cheveux.

Voilà plus de 30 ans que je voyage de par le

monde et j’ai déjà visité de superbes endroits. Mais

là, je dois dire que le grand temple d’or d’Amritsar

est probablement le plus beau site sacré que j’ai

jamais visité.

Passée la porte d’accès, vous avancez dans une

longue et large allée en marbre, puis vous arrivez au

cœur du site sacré. Soudain, au centre d’une grande

pièce d’eau, surgit devant vous un superbe bâtiment

cubique et très ouvragé, entièrement recouvert d’une

épaisse feuille d’or. Le grand temple d’or des sikhs

est relié au reste du site par une passerelle en marbre

sur laquelle se bousculent en permanence des milliers

de pèlerins. L’étang sacré au centre duquel s’élève,

telle une île merveilleuse, le grand temple, est lui-

même bordé de superbes constructions en marbre, qui

ont chacune leur fonctionnalité : Ici une hôtellerie, là

une cantine et des dortoirs.

On fait le tour du bassin sacré, presque toujours

abrité sous des arcades. Il est très ressourçant de faire

des haltes, de s’asseoir ou même de s’allonger parmi

les pèlerins en écoutant les chants sacrés que diffuse

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une sono surpuissante. Hommes, femmes, enfants,

vieillards, handicapés, sikhs et non-sikhs, viennent

seuls ou en famille pour se recueillir dans ce haut lieu

de la spiritualité.

Hindouistes, chrétiens et musulmans se rendent

également dans cet endroit, pour rencontrer le sacré et

recevoir beaucoup d’énergies positives. Ce lieu est en

effet spirituellement chargé, et quelles que soient les

convictions religieuses que l’on professe, il est

incontestable qu’ici, souffle l’Esprit.

Une grande liberté règne dans ce site. Aucun

prosélytisme (ou si peu) n’est entrepris pour convertir

au sikhisme et il est permis de photographier tout ce

que l’on veut. Tout au long de ma visite, j’ai été

accosté par de nombreux indiens qui m’ont demandé

de les prendre en photo devant le grand temple d’or.

Ils m’ont systématiquement rendu la pareille.

Je n’ai rencontré – de mémoire – que cinq

européens, sur plusieurs milliers de visiteurs, mais

nous ne nous sommes pas parlé.

Au bout d’une heure et demie de visite, je me

décidai à entrer au cœur du temple d’or, jusqu’au

Saint des Saints, là où se trouve le livre sacré des

sikhs, l’« Adi Granth », vénéré par 20 millions de

fidèles. Ce livre sacré des sikhs a été commencé par

le cinquième Guru (Guru Arjun) en 1605, puis achevé

par Guru Govind Singh, 10ème

de la chaine initiatique.

L’Adi Granth renferme des hymnes composés par les

cinq premiers Guru (Nanak, Angad, Amar Das, Ram

Das, Arjun Dev), ainsi que par le 9ème

(Tegh

Bahadur). Il s’agit de poèmes et d’hymnes à haute

valeur initiatique. Notons avec intérêt que le livre

sacré des sikhs, intègre des enseignements de l’indien