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QUINTELA Gabriela DURAN PEREZ Carmen L’IVRESSE Souper à la maison d’or , Thomas Couture, 1855

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QUINTELA Gabriela DURAN PEREZ Carmen

L’IVRESSE

Souper à la maison d’or, Thomas Couture, 1855

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Depuis la nuit des temps, l'homme a toujours succombé aux ivresses de l'alcool. Ce thème peu connu a pourtant été travaillé au fil des siècles par plusieurs poètes. Les poètes sont des artistes ; la poésie revêt une vision du monde propre à chaque auteur, en passant par la déclaration d'amour jusqu'à une arme féroce contre des idéaux, des injustices... Elle permet un immense travail sur la langue, de lui conférer du sens, de la rendre vivante et palpable, de tenir compte de son incessante évolution. La poésie est ainsi universelle : tout le monde détient une imagination suffisante afin d'en concevoir, car tout le monde pense, ressent, vit. Les différents aspects de la vie sont donc très justement dépeints par de nombreux poètes. Une de ces facettes se trouve être l’alcool. Berceau d’illusions, de fantasmes, il fait rêver comme il ouvre la porte à de monstrueuses vérités et cruautés. Au sein de cette anthologie, la sélection de poèmes souligne les débauches de l’esprit humain soumis aux effets de la boisson, peu importe l’époque. Il est étonnant d’explorer, grâce à d’habiles mots, les pensées farfelues ou les désirs uniques de ces auteurs. Ce recueil se compose des dix poèmes suivants : - “L’âme du vin” de Charles Baudelaire, poème initiateur car on débute avec le vin ainsi personnifié et glorifié. - “Celui qui boit…” de Pierre de Ronsard, qui quant à lui, se range d’un point de vue extérieur et décrit sommairement quelques effets de l’alcool sans en être la victime. « L’ivresse » de Watteau Louis Joseph illustre avec brillance l’état de confusion dont parle Ronsard. - “L’absinthe” de Raoul Ponchon est un poème assez simple qui permet de progressivement rentrer dans le bain des délires de l’esprit humain. - “Sonnet ivre” de Jean Richepin ; l’auteur y exprime les différentes raisons qui nous pousseraient à boire sans chercher « les effets ni les causes ». Ici, c’est la peinture « Paysans rassemblés autour d'une table » de Sorgh Hendrick Maartensz qui démontre parfaitement l’état d’esprit du poème : les paysans se retrouvent tous pour boire lorsqu’ils sont las.

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- “Black Label” de Léon-Gontran Damas est un texte interpellant de par son engagement (il dénonce le racisme en évoquant le label noir, qui est à la fois une boisson mais aussi un mot caractérisant les « Nègres ») et utilisant l’ivresse afin de montrer sa résignation, ses véritables pensées incontrôlées. - “Poivrot” de Jean Richepin : cette œuvre a été choisie car au-delà des déboires de « Black Label », Richepin démontre un profond état d’ébriété. - “Oraison du soir” d’Arthur Rimbaud : c’est désormais un état de tristesse qui vient accompagner l’alcool, lentement mais sûrement. Et, afin d’appuyer l’acte qu’exécute Rimbaud à la fin de son sonnet, est placé le célèbre « Manneken – Pis » de Jérôme Duquesnoy l’Ancien. - “Bacchante triste” de Renée Vivien, mêlant cette fois-ci chagrin et amour, souligne cette nouvelle raison de boire. - “Métempsycose” de Winston Perez, plonge désormais le lecteur dans un état d’ivresse extrême, presque aussi fulgurant que la folie. - “Le vin de l’assassin” de Charles Baudelaire, et voici la fin… Après un acte des plus cruels, voici une véritable apothéose, apogée de l’ivresse maladive. « L’alcool » de Vizzavona François Antoine illustre très bien les évènements : une femme est étendue sur le sol, tandis que l’homme pointe son regard fou en direction de sa bouteille qu’il n’aspire qu’à terminer. Ainsi, le recueil connaît donc une progression lente mais sûre en direction de sa fin fatale. L’alcool et ses effets sont décrits sous plusieurs formes, ayant pour source diverses raisons…

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« L’âme du vin » écrit par Charles Baudelaire (1821-1867) est extrait du recueil Les fleurs du mal publié en 1857. Baudelaire en tant que fidèle consommateur de vin, met en avant cette boisson aux effets revitalisants. Ce poème est un véritable hymne au travail des vignerons, à la force que le vin donne à celui qui le consomme et aux joies qu’il procure.

L’âme du vin

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles : “Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité ! Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, De peine, de sueur et de soleil cuisant Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ; Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant, Car j’éprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux, Et sa chaude poitrine est une douce tombe Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. Entends-tu retentir les refrains des dimanches Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ? Les coudes sur la table et retroussant tes manches, Tu me glorifieras et tu seras content ; J’allumerai les yeux de ta femme ravie ; A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs Et serai pour ce frêle athlète de la vie L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs. En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l’éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur !”

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Ce sonnet est réalisé par Pierre de Ronsard (1524 – 1585), célèbre auteur de la Pléiade et figure essentielle de la Renaissance. Dans ce poème (publié au 16ème siècle), il décrit non exhaustivement quelques effets anodins de la boisson.

Celui qui boit …

Celui qui boit, comme a chanté Nicandre, De l’Aconite, il a l’esprit troublé, Tout ce qu’il voit lui semble estre doublé, Et sur ses yeux la nuit se vient espandre. Celui qui boit de l’amour de Cassandre, Qui par ses yeux au cœur est ecoulé, Il perd raison, il devient afolé, Cent fois le jour la Parque le vient prendre. Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin Ou l’or fondu peuvent bien mettre fin Au mal cruel que l’Aconite donne : La mort sans plus a pouvoir de garir Le cœur de ceux que Cassandre empoisonne, Mais bien heureux qui peut ainsi mourir.

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L’ivresse de Watteau Louis Joseph (1731-1798)

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« L’absinthe » est un poème de Raoul Ponchon (1848 - 1937) et paru certainement dans le « Courier français » où il était poète-journaliste entre 1886 à 1907. Ponchon était un pauvre ivrogne se considérant lui-même comme poète du troisième rang. Ce poème datant de 1886 en dit long sur ses occupations journalières, les thèmes les plus abordés étant les plaisirs de la table.

L’absinthe

Absinthe, je t’adore, certes !

Il me semble, quand je te bois,

Humer l’âme des jeunes bois,

Pendant la belle saison verte !

Ton frais parfum me déconcerte.

Et dans ton opale je vois

Des cieux habités autrefois,

Comme par une porte ouverte.

Qu’importe, ô recours des maudits

Que tu sois un vain paradis,

Si tu contentes mon envie ;

Et si, devant que j’entre au port,

Tu me fais supporter la Vie,

En m’habituant à la Mort.

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“Sonnet ivre" issue de Jean Richepin (1849 - 1926), un poète qui mena pendant un certain temps une vie marginale qui lui inspira son recueil La chanson des gueux paru en 1876. A sa sortie, le recueil fit scandale car il dépeignait un peuple tout droit sorti de la Cour des Miracles. Richepin écopa ainsi d'une amende de 500 francs et d'un mois de prison. Dans ce poème Jean Richepin nous incite à boire pour oublier « les désirs anxieux, les espoirs avortés ».

Sonnet ivre

Pourtant, quand on est las de se crever les yeux, De se creuser le front, de se fouiller le ventre, Sans trouver de raison à rien, lorsque l’on rentre Fourbu d’avoir plané dans le vide des deux, Il faut bien oublier les désirs anxieux, Les espoirs avortés, et dormir dans son antre Comme une bête, ou boire à plus soif comme un chantre, Sans penser. Soûlons-nous, buveurs silencieux ! Oh ! les doux opiums, l’abrutissante extase ! Bitter, grenat brûlé, vermouth, claire topaze. Absinthe, lait troublé d’émeraude. Versez ! Versez, ne cherchons plus les effets ni les causes ! Les gueules du couchant dans nos cœurs terrassés Vomissent de l’absinthe entre leurs lèvres roses.

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Paysans rassemblés autour d'une table, Sorgh Hendrick Maartensz (vers 1610-1670)

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« Black Label » est en réalité le nom du recueil réalisé par Léon-Gontran Damas (1912 – 1978) publié en 1956. C’est un véritable chant consacré à la lutte contre le racisme, et à l’éloge de la négritude. Il fera partie de ce grand mouvement littéraire en compagnie de Léopold Senghor et Aimé Césaire dans les années 40.

Black-Label (extrait)

Et Black-Label pour ne pas changer Black-Label à boire à quoi bon changer

Sur la terre des parias un premier homme vint sur la terre des parias un second homme vint sur la terre des parias un troisième homme vint

Depuis

Trois fleuves trois fleuves coulent trois fleuves coulent dans mes veines

Black-Label à boire pour ne pas changer Black-Label à boire à quoi bon changer

A DES MILLES ET DES MILLES en Paris Paris Paris Paris – l’exil mon cœur maintient en vie le regret double eu tout premier éveil à la beauté du monde et du premier Nègre mort à la ligne mort sur la Ligne qui mène encore aux Isles de l’Aventure aux Isles à la Dérive aux Isles de la Flibuste aux Isles de la Boucane aux Isles de la Tortue aux Isles à Négreries aux Isles à Sureries aux Isles de la Mort-Vive

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« Poivrot » (publié en 1892), comme son nom l’indique, décrit avec réalisme par Richepin, un vieil ivrogne qui déambule dans les rues et qui se fait interpeller par « les messieurs d’la sonne ».

Poivrot

Eh ben ! oui, j’ suis bu. Et puis, quoi ? Que qu’ vous m’voulez, messieurs d’la rousse ? Est-ç’ que vous n’aimez pas comm’ moi Àvous rincer la gargarousse ? Voyez-vous, frangins, eh ! sergots, Faut êt’ bon pour l’espèce humaine. D’vant l’ pivois les homm’s sont égaux. D’ailleurs j’ai massé tout’ la s’maine. (Tu sais, j’ dis ça à ton copain, Pa’ç’que j’vois qu’ c’est un gonç’ qui boude. Mais entre nous, mon vieux lapin, J’ai jamais massé qu’à l’ver l’coude.) Après six jours entiers d’turbin, J’ me sentais la gueule un peu sale. Vrai, j’avais besoin d’ prend’ un bain ; Seul’ment j’l’ai pris par l’amygdale. J’ sais ben c’ que vous m’ dit’s : qu’il est tard, Que j’ baloche et que j’ vagabonde. Mais j’ suis tranquill’ j’ fais pas d’pétard. Et j’ crois qu’ la rue est à tout l’ monde. Les pant’s sont couchés dans leurs pieux, Par conséquent je n’ gên’ personne.–164 – Laissez-moi donc ! j’ suis un pauv’ vieux. Où qu’ vous m’emm’nez, messieurs d’la sonne ? Quoi ? vrai! vous allez m’ ramasser ? Ah ! c’est muf! Mais quoi qu’on y gagne ! J’m’en vas vous empêcher d’pioncer. J’ ronfle comme un’ toupi’ d’All’magne.

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Arthur Rimbaud (1854 – 1891), grand poète de la littérature française, consacrera également quelques lignes de son art à l’alcool, dans ce poème publié en 1870, où il témoigne de sa révolte précoce.

Oraison du soir

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,

Empoignant une chope à fortes cannelures,

L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier

Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier,

Mille Rêves en moi font de douces brûlures :

Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier

Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures.

Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin,

Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,

Et me recueille, pour lâcher l’âcre besoin :

Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,

Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,

Avec l’assentiment des grands héliotropes.

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Manneken – Pis, Jérôme Duquesnoy l’Ancien, 1619

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Ce poème aux airs mélancoliques est créé par Renée Vivien (1877 – 1909) dans son “Etudes et Préludes”. Cette poétesse est à l’origine britannique du courant parnassien de la Belle Epoque, mais elle tombera amoureuse de la langue française.

Bacchante triste

Le jour ne perce plus de flèches arrogantes Les bois émerveillés de la beauté des nuits, Et c’est l’heure troublée où dansent les Bacchantes Parmi l’accablement des rythmes alanguis. Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes, Leurs pieds vifs sont légers comme l’aile des vents, Et la rose des chairs, la souplesse des lignes Ont peuplé la forêt de sourires mouvants. La plus jeune a des chants qui rappellent le râle : Sa gorge d’amoureuse est lourde de sanglots. Elle n’est point pareille aux autres, - elle est pâle ; Son front a l’amertume et l’orage des flots. Le vin où le soleil des vendanges persiste Ne lui ramène plus le généreux oubli ; Elle est ivre à demi, mais son ivresse est triste, Et les feuillages noirs ceignent son front pâli. Tout en elle est lassé des fausses allégresses. Et le pressentiment des froids et durs matins Vient corrompre la flamme et le miel des caresses. Elle songe, parmi les roses des festins. Celle-là se souvient des baisers qu’on oublie… Elle n’apprendra pas le désir sans douleurs, Celle qui voit toujours avec mélancolie Au fond des soirs d’orgie agoniser les fleurs.

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Winston Perez, un poète cubain né en 1971, sombre dans les méandres d’une douce folie au sein de ce poème contemporain publié en 2005.

Métempsycose

Un jour j’ai quitté mon corps pour en rejoindre un autre et j’ai connu l’osmose de la métempsycose J’avais l’œil ouvert des jours heureux Un parfum de glucose Rose Au creux de mes mains posées sur mon ventre Une forte dose D’opium 27 Mille étaient les cercles Mille étaient les étoiles Mille étaient les soleils Emanations d’ombre dorées de jouissances riches de sensations déjà vécues Osmose de la métempsycose un peu surannée Une renaissance vers l’infinie pureté de caresses buccales en voyage cosmiques d’âmes parfaites Va-et-vient d’extase Allers retours de subtilité Eruptions

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A nouveau du Baudelaire avec cet enivrant « Vin de l’Assassin ». Il n’y a rien de plus morbide, pourtant c’est cela qui fait tout son charme. L’ivresse conduit donc à une fin, un acte décisif.

Le Vin de l’Assassin

Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre. Autant qu’un roi je suis heureux ; L’air est pur, le ciel admirable… Nous avions un été semblable Lorsque j’en devins amoureux ! L’horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s’assouvir D’autant de vin qu’en peut tenir Son tombeau ; - ce n’est pas peu dire : Je l’ai jetée au fond d’un puits, Et j’ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle. - Je l’oublierai si je le puis ! Au nom des serments de tendresse, Dont rien ne peut nous délier, Et pour nous réconcilier Comme au beau temps de notre ivresse, J’implorai d’elle un rendez-vous, Le soir, sur une route obscure. Elle y vint ! - folle créature ! Nous sommes tous plus ou moins fous ! Elle était encore jolie, Quoique bien fatiguée ! et moi, Je l’aimais trop ! voilà pourquoi Je lui dis : Sors de cette vie ! Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides

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Songea-t-il dans ses nuits morbides À faire du vin un linceul ? Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l’été ni l’hiver, N’a connu l’amour véritable, Avec ses noirs enchantements, Son cortège infernal d’alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes, Ses bruits de chaîne et d’ossements ! - Me voilà libre et solitaire ! Je serai ce soir ivre mort ; Alors, sans peur et sans remord, Je me coucherai sur la terre, Et je dormirai comme un chien ! Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues, Le wagon enragé peut bien Écraser ma tête coupable Ou me couper par le milieu, Je m’en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table !

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L’alcool de Vizzavona François Antoine (1876-1961)