2
ACTUALITÉ Culture Grotte Chauvet, le panneau des lions des cavernes. © Jean Clottes / Ministère de la Culture Par MARION COCQUET Lascaux se repose. Petit à petit, elle panse ses blessures, lentement, elle se remet des hordes de visiteurs qui, pendant des décennies, ont poussé des oh ! et des ah ! devant ses chevaux et ses bisons vieux de plus de 18 000 ans. Hors de question pourtant de voir la "chapelle Sixtine de la préhistoire" rouverte un jour au public : la visite de la grotte convalescente restera réservée à une poignée de privilégiés. Les répliques de ses trésors, elles, doivent en revanche sillonner le monde : "Lascaux 3", exposition internationale de fac-similés, pourrait prendre la route dès 2013, tandis que "Lascaux 4", centre d'art pariétal, devrait ouvrir en 2014. De même que la copie à Vallon-Pont-d'Arc de la grotte Chauvet. "Pour ces sites, dont l'entrée est interdite, les répliques sont évidemment indispensables. Mais il ne faut pas envisager la copie comme une solution systématique, transformer le patrimoine en une sorte d'Eurodisney", estime Patrick Palem, directeur de la société Socra spécialisée dans la conservation et la restauration d'oeuvres d'art et candidate pour la réplique de Chauvet. Il l'assure : les copies d'oeuvres d'art tendent aujourd'hui à se multiplier. À outrance. Un exemple ? La statuaire des églises et des cathédrales, dont les originaux sont le plus souvent mis à l'abri dans des musées. L'art de la réplique Le Point.fr - Publié le 14/03/2012 à 12:33 De la grotte Chauvet au tombeau de Toutankhamon, l'usage des copies ne cesse de s'étendre. Et inquiète certains.

L'art de la répliquelacavernedupontdarc.org/wp-content/uploads/2012/02/LE-POINT-LArt... · pas envisager la copie comme une solution ... pour ne laisser au vulgum pecus que les pièces

  • Upload
    hamien

  • View
    217

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

ACTUALITÉ Culture

Grotte Chauvet, le panneau des lions des cavernes. © Jean Clottes / Ministère de la Culture

Par MARION COCQUET

Lascaux se repose. Petit à petit, elle panse ses blessures, lentement, elle se remet des hordes de visiteurs qui, pendant des décennies, ont poussé des oh ! et des ah ! devant ses chevaux et ses bisons vieux de plus de 18 000 ans. Hors de question pourtant de voir la "chapelle Sixtine de la préhistoire" rouverte un jour au public : la visite de la grotte convalescente restera réservée à une poignée de privilégiés. Les répliques de ses trésors, elles, doivent en revanche sillonner le monde : "Lascaux 3", exposition internationale de fac-similés, pourrait prendre la route dès 2013, tandis que "Lascaux 4", centre d'art pariétal, devrait ouvrir en 2014. De même que la copie à Vallon-Pont-d'Arc de la grotte Chauvet. "Pour ces sites, dont l'entrée est interdite, les répliques sont évidemment indispensables. Mais il ne faut pas envisager la copie comme une solution systématique, transformer le patrimoine en une sorte d'Eurodisney", estime Patrick Palem, directeur de la société Socra spécialisée dans la conservation et la restauration d'oeuvres d'art et candidate pour la réplique de Chauvet. Il l'assure : les copies d'oeuvres d'art tendent aujourd'hui à se multiplier. À outrance. Un exemple ? La statuaire des églises et des cathédrales, dont les originaux sont le plus souvent mis à l'abri dans des musées.

L'art de la répliqueLe Point.fr - Publié le 14/03/2012 à 12:33

De la grotte Chauvet au tombeau de Toutankhamon, l'usage des copies ne cesse de s'étendre. Et inquiète certains.

Seconde main

Le risque, selon Patrick Palem : s'habituer à réserver à une élite d'experts l'expérience, irremplaçable, de l'original, pour ne laisser au vulgum pecus que les pièces de seconde main. Et refuser ainsi de laisser vivre (et vieillir) les oeuvres dans le cadre pour lequel elles ont été pensées. "Les groupes équestres du Grand Palais sont faits pour être vus depuis plusieurs mètres de distance. De près, ils ressemblent à des chevaux de trait ! Les mettre dans un musée n'aurait aucun sens", note-t-il.

Sur la question des copies, les experts se divisent. Jaromir Malek, égyptologue de renom et collaborateur de l'exposition "Toutankhamon, son tombeau et ses trésors", avoue ainsi volontiers avoir d'abord été sceptique sur cette exposition qui prétend reconstituer la sépulture du pharaon telle qu'elle fut découverte en 1922 et qui tourne depuis 2008. Pourquoi a-t-il révisé son jugement ? "Présenter de cette manière les oeuvres authentiques serait impossible, elles sont bien trop fragiles, explique-t-il. Ici, les copies ne se substituent pas aux originaux. Elles permettent au contraire au grand public d'y accéder." À condition, précise-t-il, que ce type d'exposition soit dirigée par une équipe de scientifiques.

Musée virtuel

"La réplique doit être gouvernée par un esprit d'éthique et de pédagogie", estime pour sa part Renaud Sanson qui, pendant plusieurs années, a dirigé "Lascaux révélé", prédécesseur de "Lascaux 3". "Nous qui avons eu la chance d'entrer dans cette grotte, d'y passer des heures : nous avons une responsabilité vis-à-vis du grand public, ajoute-t-il. Celui de donner à lire les découvertes que permet cette étude des oeuvres." Sa technique : recréer les parois à partir d'une modélisation numérique de la grotte avant d'y projeter, pour les copier ensuite, les photographies prises dans le site. Un travail de faussaire plus que de copiste : "La main de l'artisan contemporain doit disparaître tout à fait", estime Renaud Sanson.

Le nerf de la guerre : la technologie numérique, qui permet désormais des copies d'une extrême précision. Peut-elle donner lieu à des expositions purement virtuelles ? Avant d'être visibles sur de fausses parois, les trésors de Lascaux sont disponibles à travers une visite internet. Le Google Art Project propose aux internautes de découvrir dix-sept tableaux, photographiés en gigapixels. Le site du musée du Louvre, de même, fait découvrir à ses visiteurs ses oeuvres les plus importantes... En 2010,"Révélations, une odyssée numérique dans la peinture" parrainée par Samsung au Petit Palais allait plus loin encore. Son principe : présenter, à côté des reproductions de quarante toiles majeures, un "voyage numérique" au coeur des oeuvres projeté sur écran. Une expo de "faux" pour permettre aux visiteurs de voir le travail du peintre sous un jour nouveau. Révolutionnaire ? Inquiétant ? Le dossier n'est pas clos.

LE POINT.FR du 14 mars 2012