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L’université de Lille Sciences humaines et sociales a souhaité s’associer étroitement au Prix du Roman des Étudiants France Culture/Télérama. Comment participer ? Pour devenir juré, chaque étudiant est invité à envoyer la critique du dernier roman qu'il a aimé (et pas forcément un de ceux sélectionnés par le jury France Culture/ Télérama) avant le 10 octobre à [email protected]. S’il est désigné membre du jury, l’étudiant votera pour l’un des cinq romans de la sélection France Culture / Télérama. Des rencontres entre auteurs sélectionnés et jurés-étudiants sont programmées dans les librairies partenaires du prix jusqu'à fin novembre. Une rencontre sera également organisée à la bibliothèque universitaire de Lille 3. Le jury aura jusqu'à fin novembre pour élire son roman préféré. Le lauréat sera proclamé le 14 décembre sur France Culture et dans Télérama. Une étudiante, Alice, est coordinatrice du prix, et joignable pour toute question au 01 55 30 55 98 et à l'adresse [email protected].
Un petit mot enfin pour expliquer le sens de cette initiative. Comme nous le savons tous, une université est un lieu qui produit et diffuse des connaissances scientifiques de haut niveau : que nous soyons étudiant-e-s ou enseignant-e-s, nous vivons cela au quotidien, dans nos cours et nos labos. Parmi toutes les grandes universités, Lille 3 participe donc à l’aventure du savoir et assume pleinement la mission qui lui est confiée. Mais le rôle d’une université comme Lille 3 ne s’arrête pas là. Parce qu’elle réunit des hommes et des femmes venus d’horizons différents, l’université a vocation à être non seulement un lieu de savoir partagé mais aussi un lieu de culture partagée : nous voulons encourager la culture qui unit, qui émeut et qui fait penser contre tout ce qui, aujourd’hui, invite au repliement sur soi, à la division et à la peur. Sollicitée par le magazine culturel Télérama et la radio France Culture de rejoindre la nouvelle édition du prix littéraire des étudiants, l’Université de Lille 3 ne pouvait laisser passer une telle chance. L’occasion est trop belle de tisser un partenariat original, fécond et durable, d’autant que France Culture et Télérama se sont engagés, pour la première fois dans l’histoire de ce prix, à organiser au sein de notre université, une alléchante rencontre littéraire avec certains des écrivains en lice et vous tous, leurs lecteurs, que vous soyez étudiant-e-s, enseignant-e-s, personnel-s ou tout simplement curieux ou amoureux de la littérature.
Alors, maintenant à vous de lire et d’élire ! Laurent Brassart, Vice-Président Culture, médiation scientifique, Learning Center
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Catherine Cusset, L’autre qu’on adorait, Gallimard
Prologue, 22 avril 2008
Phil Miller tapotait le micro, tout le monde s’est tu. Les discours ont commencé. Quand il a
prononcé son nom, Nora s’est avancée, les pommettes roses sous les applaudissements. Elle a
reçu son prix, accompagné d’un chèque de sept cents dollars qui seraient bien utiles si elle
t’accompagnait en France cet été. Le professeur Miller a esquissé le geste de lui serrer la main
puis s’est ravisé, s’approchant d’elle pour l’embrasser sur les joues – à la fwançaise. Il était
plus petit qu’elle et Nora a dû retenir un rire au souvenir du surnom que tu lui donnais : le
gnome. Le chaleureux sourire d’Evelyn au premier rang compensait l’absence de ses parents,
qui n’avaient pu quitter la ferme et ne comprenaient pas ce qu’étudiait depuis quatre ans leur
boursière de fille. De la recherche en littérature ? On ne faisait quand même pas des vaccins
avec des mots ? Ils ne t’avaient jamais rencontré : ils t’auraient pris pour un martien.
Depuis l’estrade, Nora a cherché ta silhouette dans le groupe compact des professeurs et
des élèves. Tu n’étais pas là. Avec ton mètre quatre-vingt-dix, elle t’aurait repéré même au
dernier rang.
Tu avais promis de venir, même si tu détestais ton patron et ces cocktails de fin d’année où
tu t’ennuyais comme un rat mort. T’étais-tu vexé parce qu’elle n’avait guère protesté hier soir
quand tu lui avais dit que tu préférais rester seul pour corriger ces kilos de copies
extrêmement en retard ? Ou, comme Evelyn le supposait, dormais-tu encore parce que tu
avais fini par prendre un somnifère vers midi après avoir travaillé toute la nuit ?
Dès la fin des discours les deux femmes se sont éclipsées sans prendre un verre avec les
professeurs qui félicitaient la jeune fille et Evelyn qu’on prenait pour sa mère. Elles ont filé
chez Nora qui avait laissé la clef dans son sac de la veille, puis sont allées chez toi dans la
voiture d’Evelyn.
Elles ont monté les deux étages et frappé. « Thomasss ! » criait Evelyn, et Nora : «
Thomas ! ». Elles étaient nerveuses bien sûr, même si la répétition atténuait l’inquiétude. Dix
jours plus tôt, Nora s’était affolée : tu ne répondais à aucun message depuis deux jours. Elle
avait débarqué chez toi et t’avait trouvé au lit, hébété par l’alcool.
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Jean-Paul Dubois, La Succession, éditions de l’Olivier
TOUS LES JOURS LE BONHEUR
Ce furent des années merveilleuses. Quatre années prodigieuses durant lesquelles je fus
soumis à un apprentissage fulgurant et une pratique intense du bonheur. Il m’avait fallu
attendre vingt-huit ans pour éprouver chaque jour cette joie d’être en vie au petit matin, de
courir pour polir mon souffle, des respirer librement, de nager sans peur, et de ne rien espérer
d’autre d’une journée sinon qu’elle m’accompagne comme l’on promène une ombre et que le
soir venu elle me laisse en l’état, simplement satisfait, abruti de quiétude et de paix loin de ce
territoire désarticulé que j’avais abandonné, et surtout loin de ceux qui m’avaient mis au
monde par des voies naturelles, m’avaient élevé, éduqué, détraqué et sans doute transmis le
pire de leur gènes, la lie de leurs chromosomes.
Sur ce dernier point je sais parfaitement ce dont je parle.
De la mi-novembre 1983 au 20 décembre 1987, je fus donc un homme profondément
heureux, comblé en toutes choses et vivant modestement des revenus que me procurait la
pratique du seul métier que j’aie jamais rêvé d’exercer depuis mon enfance : pelotari.
En Floride, et surtout au Jaï-alaï de Miami, j’ai fait partir de ce petit cercle de
professionnels de la pelote basque rétribués à l’année pour danser sur les murs, jouer du grand
gant, fendre l’air avec une cesta punta et propulser des balles de buis cousues de peau de
chèvre à 300 km/h sur le plus grand fronton du monde – un Vatican peuplé de cent papes aux
mains d’osier – frôlé par les avions de l’aéroport de Miami International, et fréquenté alors
par ce qui faisait de mieux dans une ville qui, il faut bien le reconnaître, n’avait jamais été
trop regardante sur la fabrique de son aristocratie.
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Gaël Faye, Petit pays, Grasset
PROLOGUE
Je ne sais vraiment pas comment cette histoire a commencé.
Papa nous avait pourtant tout expliqué, un jour, dans la camionnette.
– Vous voyez, au Burundi, c’est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on
appelle ça les ethnies. Le Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez.
– Comme Donatien ? j’avais demandé.
– Non, lui c’est un Zaïrois, c’est pas pareil. Comme Prothé, par exemple, notre cuisinier. Il
y a aussi les Twa, les pygmées. Eux, passons, ils sont quelques-uns seulement, on va dire
qu’ils ne comptent pas. Et puis il y a les Tutsi, comme votre maman. Ils sont beaucoup moins
nombreux que les Hutu, ils sont grands et maigres avec des nez fins et on ne sait jamais ce
qu’ils ont dans la tête. Toi, Gabriel, avait-il dit en me pointant du doigt, tu es un vrai Tutsi, on
ne sait jamais ce que tu penses.
Là, moi non plus je ne savais pas ce que je pensais. De toute façon, que peut-on penser de
tout ça ? Alors j’ai demandé :
– La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ?
– Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays.
– Alors… ils n’ont pas la même langue ?
– Si, ils parlent la même langue.
– Alors, ils n’ont pas le même dieu ?
– Si, ils ont le même dieu.
– Alors… pourquoi se font-ils la guerre ?
– Parce qu’ils n’ont pas le même nez.
La discussion s’était arrêtée là. C’était quand même étrange cette affaire. Je crois que Papa
non plus n’y comprenait pas grand-chose. À partir de ce jour-là, j’ai commencé à regarder le
nez et la taille des gens dans la rue. Quand on faisait les courses dans le centre-ville, avec ma
petite sœur Ana, on essayait discrètement de deviner qui était Hutu ou Tutsi. On chuchotait :
– Lui avec le pantalon blanc, c’est un Hutu, il est petit avec un gros nez.
– Ouais, et lui là-bas, avec le chapeau, il est immense, tout maigre avec un nez tout fin,
c’est un Tutsi.
– Et lui, là-bas, avec la chemise rayée, c’est un Hutu.
– Mais non, regarde, il est grand et maigre.
– Oui, mais il a un gros nez !
C’est là qu’on s’est mis à douter de cette histoire d’ethnies. Et puis, Papa ne voulait pas qu’on
en parle. Pour lui, les enfants ne devaient pas se mêler de politique. Mais on n’a pas pu faire
autrement. Cette étrange atmosphère enflait de jour en jour. Même à l’école les copains
commençaient à se chamailler à tout bout de champ en se traitant de Hutu ou de Tutsi.
Pendant la projection de Cyrano de Bergerac, on a même entendu un élève dire : « Regardez,
c’est un Tutsi, avec son nez. » Le fond de l’air avait changé. Peu importe le nez qu’on avait,
on pouvait le sentir.
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Laurent Mauvignier, Continuer, Minuit
La veille, Samuel et Sibylle se sont endormis avec les images des chevaux disparaissant
sous les ombelles sauvages et dans les masses de fleurs d’alpage ; les parois des glaciers, des
montagnes, les nuages cotonneux, la fatigue dans tout le corps et la nuit sous les étoiles, sur le
sommet d’une colline formant un replat idéal pour les deux tentes.
Et puis au réveil, lorsque Sibylle sort de sa tente, une poignée d’hommes se tient debout et
la regarde.
Il lui faut deux ou trois secondes pour les compter, ils sont huit, et une seconde de plus
pour constater que les deux chevaux sont encore à quelques mètres, là où on les avait laissés
hier soir. Samuel se lève à son tour, il ne comprend pas tout de suite. Il regarde sa mère et, à
l’agressivité qu’il reconnaît dans la voix des Kirghizes quand ils se mettent à parler, à
questionner en russe, et surtout parce qu’à sa façon de répondre il voit que sa mère a peur, il
se dit que la journée commence mal.
Sibylle parle russe, c’est l’avantage d’avoir eu des grands-parents qui ont fui l’Union
soviétique. Mais c’est comme si elle n’entendait pas rien de ce que lui dit l’un des types. Elle
fixe un instant ses yeux bleus, son visage fermé, les autres avec leurs têtes noircies par le
soleil et le travail – mais qu’est-ce que c’est leur travail ?
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Eric Vuillard, 14 juillet. Récit. Actes Sud
LA FOLIE TITON
Une folie est une maison de plaisance, extravagance d’architecte, outrance princière. Son
allure légère, délicate, le libertinage des lumières à travers les innombrables fenêtres
annoncent le règne bourgeois de la maison secondaire. Elle imite les villas du Palladio, celles
du Vitruve pour entrepreneur, de l’Alberti de petit-maître. Mais parmi toutes les folies que
l’on bâtit en France dans la Bourgogne et le Bordelais, près de Montpellier, en bord de Loire,
pavillons délirants, jardins coquets avec leurs îles de magnolias et leurs cavernes de mousse,
où des nuées d’ombrelles se dispersent dans les allées, ce fut la folie Titon qui, aux dernières
heures de l’Ancien Régime, fit vraiment parler d’elle. Sa gloire est d’avoir vu décoller une
montgolfière avec dans sa nacelle deux hommes, pour la première fois de l’histoire du monde.
Le papier qui enveloppait le ballon venait de la manufacture Réveillon, installée à la Folie
Titon, au bourg Saint-Antoine, à Paris. Sa seconde gloire fut sa dernière. Le 23 avril 1789,
Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de la manufacture royale de papiers peints, s’adresse à
l’assemblée électorale de son district, et réclame une baisse des salaires. Il emploie plus de
trois cents personnes dans sa fabrique, rue de Montreuil. Dans un moment de décontraction et
de franc-parler stupéfiant, il affirme que les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sols par
jour au lieu de vingt, que certains ont déjà la montre dans le gousset et seront bientôt plus
riches que lui. Réveillon est le roi du papier peint, il en exporte dans le monde entier, mais la
concurrence est vive ; il voudrait que sa main-d’œuvre lui coûte moins cher.
Marie-Antoinette avait lancé la mode, elle en fit couvrir son boudoir : amour serrant une
colombe sous un dais floral, angelots tirant à l’arc, grotesques, pastorales, singeries. Et cette
mode du papier peint, sublimement peint, pochoirs, pinceaux, s’était diffusée en Europe ;
c’est alors qu’entre deux fêtes somptueuses, faisant bouffer d’une main délicate son gilet
framboise écrasée et rajustant son foulard crème, Jean-Baptiste Réveillon avait sérieusement
médité, la concurrence internationale faisant rage, sa baisse des salaires.
Or, le peuple avait faim.
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Le mot de la bibliothèque
La bibliothèque universitaire a toujours eu le souci de suivre l’actualité littéraire et de permettre à ses lecteurs, étudiants, enseignants chercheurs ou usagers extérieurs et visiteurs occasionnels, de découvrir et partager les ouvrages d’auteurs contemporains connus ou en devenir. Cet intérêt pour la littérature contemporaine ne se limite pas, ici, à acheter les ouvrages et à les mettre à disposition du public : il s’accompagne d’une politique active et volontaire de rencontres littéraires, échanges avec les auteurs, avec le soutien de l’ensemble de l’université, et notamment son service culturel. Un partenariat fécond avec la villa Yourcenar a également permis de faire découvrir à notre public des auteurs en résidence dans la région. La manifestation Le Roman des Etudiants, prévue pour la fin d’année, trouve ainsi naturellement sa place dans une programmation riche pour le dernier trimestre 2016 : - Rencontre littéraire avec les auteurs Blandine Lejeune, Hervé Jovelin et Luc Watteau, le 04 octobre de 12h30 à 13h30 - Rencontre littéraire autour de "Noémi Lefebvre, Antoine Mouton, Benoît Toquet" en lien avec Action culture Lille SHS et le festival littéraire Littérature, etc (http://litterature-etc.com/), le 13 octobre de 12h30 à 13h30 - Rencontre littéraire autour de Nadine Laporte en partenariat avec la Villa Yourcenar et Action culture Lille SHS, le 09 novembre de 12h30 à 13h30 - Rencontre littéraire autour de Karim Miské en partenariat avec la villa Yourcenar et Action culture Lille SHS, le 24 novembre de 12h30 à 13h30 Toutes ces rencontres – et le prix France Culture Télérama n’y déroge pas – ont lieu dans un espace de la bibliothèque dévolu à cet effet, aménagé pour le confort des auteurs et de leur public. Rendez-vous dans l’espace Vie Etudiante de la bibliothèque !