L’autorisation noétique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de l’éducation de Jiddu Krishnamurti), par René Barbier

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    1/19

    Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans laphilosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti)

    Ren Barbier (Universit Paris 8 Vincennes--Saint-Denis. Groupe de Recherche sur lEnseignement deKrishnamurti, G.R.E.K., Sciences de lducation 1 )http://www.barbier-rd.nom.fr/

    Colloque de lAssociation Francophone Internat ionale de Recherche Scient ifique en Education (A.F.I.R.S.E.), Angers, le Sujet enducation, mai 1995.

    En 1995, plusieurs pays clbrent le centenaire de la naissance dune personnalit

    exceptionnelle: Jiddu Krishnamurti. Ce sage dorigine indienne, mais plus largement de culture

    britannique, tout la fois psychologue et philosophe, condition de sortir un peu de nos

    classifications classiques en occident, intresse tout particulirement les Sciences de

    lducation . Na-t -il pas parl, prononc des confrences sur lducation, reu des

    interlocuteurs travers le monde et crit quelques ouvrages de sa main, pendant

    pratiquement les trois quarts de notre XXeme sicle ? A Saanen, en Suisse, o il donnaitrgulirement des confrences, des milliers de personnes venaient lcouter chaque anne,

    jusquen 1985. Il a marqu dinnombrables penseurs, dont plusieurs de renomme internationale

    en psychologie, en philosophie ou dans les sciences de la matire. Il existe cinq coles se

    rclamant directement de son enseignement en Inde et deux en Occident (une aux U.S.A. Oja

    (Californie) et une en Angleter re, Brockwood, dans le Hampshire). Des centres dinformation et

    de documentation ont t institus dans de trs nombreux pays. Pourtant, aprs information, il

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://www.barbier-rd.nom.fr/
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    2/19

    nexiste aucun enseignement en sciences de lducation (except luniversit Paris 8), sur ce

    "penseur" de lducation. Prudent, je dois mettre ncessairement des guillemets si je veux

    employer le terme "pense" pour Krishnamurti, car le mot est inappropri pour la nature de son

    enseignement. Ce que jen dirai est sous ma seule responsabilit et reprsente la manire,

    ncessairement subjective, dont je me suis appropri sa vision du monde 2 . Krishnamurti

    nadmettait dailleurs aucune exgse ou aucun interprte de ses propos. Ses livres et les

    cassettes vido sont l pour tous ceux qui ont envie de le connatre rellement, sans

    intermdiaire. Son enseignement procde dune exprience personnelle de la ralit, dune

    vision quil appelle "pntrante". Elle ne rsulte aucunement dun savoir acquis, dun hritage

    culturel. Bien que n en Inde, Madanapalle, 280 kilomtres entre Madras et

    Bangalore,brahman dorigine, de langue Telougou (dont il perdra lusage par la suite),

    Krishnamurti transcende et dpasse toute appartenance ethnique, religieuse, culturelle et

    nationale. Il reprsente sans doute ce que nous pouvons nommer par excellence un "citoyen du

    monde". Le sujet, chez lui, est ce qui advient, en toute libert et naturellement, quand lapersonne a su voir lemprise de tous ses conditionnements. En la voyant, sans analyse et dune

    manire radicale, il sen dgage. Il rencontre ainsi lamour/compassion. Il en a fait

    personnellement lpreuve en se dgageant de son institutionalisation en tant que "Grand

    Instructeur du Monde" par la Thosophie qui lavait pris en charge ds son plus jeune ge. Mais il

    se peut que malgr toutes les emprises culturelles subies et inluctables, il nait jamais t

    vraiment conditionn, comme il le soutient lui-mme plusieurs fois sans connatre la raison de ce

    fait.

    1. Lenfermement dans lhabitus et le processus ducatif chez Krishnamurti

    Examinons son histoire de vie, non dans ce quil af firme (son non-condionnement radical), mais

    sous un regard plus sociologique, partir de sa biographie tablie par Mary Lutyens

    (1982,1984,1989, 1993).

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    3/19

    N le 12 mai 1895 (calendrier occidental), Krishnamurti appartient une famille brahmine

    modeste de dix enfants. Son nom patronymique est Jiddu. Huitime enfant, il est nomm

    Krishnamurti en souvenir de la naissance du dieu Krishna, huitime enfant lui aussi. Plusieurs

    de ses frres et soeurs dcdent dans leur plus jeune ge, except son frre Nityananda quil

    adorait, trois autres frres dont un demeurera dbile et une soeur ane rapidement marie.

    Sa mre, Sanjeevamma, mourra lorsquil aura 10 ans. Elle a demble lintuition que

    Krishnamurti est un tre remarquable et elle veut accoucher dans la pice rserve aux prires,

    cas tout--fait exceptionnel. Ce sentiment est confirm par lastrologue de la famille qui assure

    son pre Narianiah que lenfant deviendrait quelquun de grand et de merveilleux.

    Krishnamurti est un petit garon rveur et maladif, dtestant lcole au point que ses

    professeurs pensent quil est un attard mental, au contraire de son frre Nitya trs bon

    lve.Trs jeune il a un sens aigu du don de soi. Il donne facilement ses friandises ses frres

    et soeurs, de la nourriture aux mendiants qui passent devant sa porte. Il lui arrive souvent de

    rentrer de lcole sans crayon, ni ardoise, ni livre parce quil les a offerts un enfant pluspauvre. Par contre il aime observer la nature avec intention et conservera toute sa vie une

    inclination trs pousse pour la mcanique. Son pre, aprs la mort de sa femme et sa mise la

    retraite demande instamment Annie Besant, qui dirige la Socit Thosophique dont il est

    membre, de laider nourrir sa famille. Il sinstalle ainsi avec ses enfants Adyar, lieu o la

    Socit Thosophique lui offre un poste dassistant au secrtariat. Il va dans une High School

    situe Mylapore sans plus de succs scolaire et reoit maints coups de canne pour sa

    suppose stupidit. Comme il frquente la plage Adyar avec son frre Nitya, il rencontre les

    autres jeunes gens faisant partie du cercle de la Thosophie. Cest l quun jour CharlesWebster Leadbeater, une des figures hauturires du Mouvement thosophique, le remarque

    malgr son apparence physique peu agrable cette poque, en dclarant que Krishnamurti

    possde une aura magnifique sans nulle trace dgosme. La Thosophie proclamait alors

    lavnement minent dun "Grand Instructeur" qui devait sauver le monde. Leadbeater persuade

    Annie Besant que Krishnamurti est llu du Mouvement, malgr la prsence dun jeune hollandais

    qui tait venu en Inde avec sa mre, pressenti antrieurement par le mme Leadbeater, pour le

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    4/19

    mme rle. A partir de ce moment Krishnamurti et son frre Nitya vont tre pris en charge

    totalement et soumis aux injonctions ducatives de la Socit Thosophique. Ils vont sortir de

    lhabitus purement hindou pour entrer dans un habitus de bourgeois britannique, au point de

    perdre lusage de leur langue dorigine, mais dapprendre, videmment, jouer au golf.

    Krishnamurti parlera couramment langlais, le franais et litalien. Le pre tentera bien de

    rcuprer ses enfants par un procs quil perdra au plus haut niveau. Annie Besant et la Socit

    Thosophique garderont la tutelle sur les deux adolescents.

    Suivant la tradition thosophique, Krishnamurti et son frre reoivent une initiation spirituelle

    qui procde par tapes. Ils sont cens communiquer par des voies parapsychologiques, avec

    des figures spirituelles intemporelles (matre Morya et matre Kouthoumi) protectrices de la

    Socit Thosophique. Par cette initiation ils ont accs la "Grande Fraternit Blanche" des

    initis. Un ordre est fond pour Krishnamurti, lOrdre de lEtoile dOrient, dont il prend la tte,

    second par Annie Besant et C.W. Leadbeater. Vtements, chaussures et nourritures

    langlaise sont infligs aux deux jeunes gens.Plus tard il apprciera l esthtique vestimentaireanglaise, mais en Inde il shabillera la mode du pays. Il restera toujours cheval sur la question

    de la propret. A Londres tout est fait pour que Krishnamurti puisse tudier Oxford. Si son

    frre, un peu plus tard, russit brillamment dans le domaine juridique, Krishnamurti demeure un

    tudiant peu intress par ses tudes, malgr la frule de ses prcepteurs. Il prfrera, aux

    livres "srieux", la lecture de romans policiers et les f ilms de Clint Eastwood. On lui offre biens

    et argent. Ses disciples sont lgions et viennent lcouter dvotement. Chacune de ses

    confrences fait lobjet dune publicit spectaculaire. Krishnamurti est mal laise dans ce

    systme largement institu par le Mouvement Thosophique. Ds 1922, en Californie, il connatune crise spirituelle profonde, une illumination et le dbut dune souff rance physique qui ne le

    quittera plus et quil nomme "le processus". Il va se distancer de plus en plus de la Thosophie.

    La mort de son frre Nitya, atteint de tuberculose, le surprend en 1925, lors dun voyage en

    bateau en direction de l Inde, malgr des "assurances" plus ou moins magico-religieuses

    transmises par les figures dominantes de la Thosophie. Il plonge alors dans une dtresse sans

    fond. Pourtant quand il arrive en Inde, son visage rayonne et il est parfaitement calme. Il a

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    5/19

    compris ce qui alimentera dfinitivement son enseignement jusqu la fin de sa vie. Ds cette

    poque, il devient drangeant pour le Mouvement Thosophique qui ne reconnat plus son

    rejeton. Bien que toujours trs respectueux envers sa "mre" Annie Besant, il suit son propre

    chemin. En 1929, il prononce le clbre discours dOmmen, nom du lieu de la rencontre prs du

    chteau dEerde qui lui avait t donn. "La vrit est un pays sans chemin" annonce-t-il. Ds

    1927, il avait affirm dans ce mme lieu : "Je redis que je nai pas de disciples. Chacun parmi

    vous est un disciple de la Vrit, si vous comprenez la Vrit et si vous ne suivez pas des

    individus... La Vrit ne donne pas despoir ; elle donne la comprhension..." Personne na le

    devoir de suivre un gourou, une doctrine, ou de sinstaller dans des lieux supposs sacrs, ni de

    passer par des rituels dinitiation. Il ny a pas de "mthodes" de mditation. Le savoir livresque

    ne sert rien quant au devenir spirituel. Ltre humain na rien chercher, rien vouloir, rien

    attendre, personne suivre, pas mme Krishnamurti : simplement tre compltement attentif

    la vie, ce qui est, dinstant en instant. Il prne une rceptivit totale, une ouverture de ltre

    au mouvement mme de la vie et une mise en doute de toute parole dautorit sur le plan dune

    ducation dominante de connaissance de soi. Jusqu la fin de son existence, il rappellera

    cette vrit dcouverte cette poque. Lessence de son enseignement sera fonde sur le

    doute et lpreuve de ralit personnelle.

    Sa pratique suit son discours. Il dissout lOrdre de lEtoile, quitte la Thosophie et rend les biens

    quon lui avait donns. Dsormais lorganisation qui soutiendra ses actions (confrences et

    ditions, cration de fondations pour la diffusion de son enseignement) sera purement profane

    et rduite au minimum. Il aura mme entrer dans une bataille juridique avec un de ses anciens

    proches, Rajagopal, qui, soccupant de la gestion des ditions, stait ar rang pour lui fairesigner subrepticement un document lautorisant sapproprier les livres de Krishnamurti.

    Dans la logique sociologique de la constitution de lhabitus, une telle rupture est

    incomprhensible. Le sociologue de la reproduction ne saurait admettre la parole de

    Krishnamurti af firmant quil na jamais t conditionn. Lhabitus nest-il pas une matrice de

    perception, de reprsentation et daction, reproductrices de structures conformes et

    constitue dans la mconnaissance mme de ses conditions dinculcation, par le truchement

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    6/19

    dune institutionalisation de la vie quotidienne et dagents ducatifs appropris (Bourdieu et

    Passeron, 1970) ? A suivre la sociologie de Pierre Bourdieu, on ne voit pas pourquoi

    Krishnamurti a pu oprer une telle rvolution intrieure. Il tait, par excellence, lhomme

    institu, lhabitus totalement clos. Figure de gourou expose la dvotion des masses, il avait

    tout gagner rester dans un statut aussi confortable. Port par une organisation adquate

    qui contrlait et sanctionnait le fonctionnement parfait de cet habitus. Ce qui a dstructur cet

    habitus nest pas explicable par la sociologie, ni mme par la psychanalyse. On comprend encore

    moins si nous nous en tenons phnomnologiquement la stricte parole de Krishnamurti sur son

    enfance dans laquelle il na jamais prouv daf fectation sous les coups ou les brimades.

    Daucuns ont propos de voir dans cet acte, une rvolte dun tre soumis aux figures

    draconiennes dautorits multiples de la Thosophie. Une sorte de "rvolte contre le pre" dune

    certaine faon. Cest ainsi que linterprte Sri Rajneesh, le gourou de Poona (Jan Foudraine,

    1992), contre lequel Krishnamurti sest souvent lev. Krishnamurti naurait jamais rgl ses

    problmes avec lautorit de la Thosophie. Jusqu la fin de sa vie il se serait battu contre des

    fantmes. Mais Krishnamurti ne sest jamais "rvolt" contre lenseignement de la Thosophie. Il

    a simplement "refus" sans le moindre dsir de faire des vagues. Il a quitt le Mouvement en

    parlant, en prononant une parole authentique sans jeter lanathme sur les anciens disciples

    assis "aux pieds du matre". Il sest retir de ce jeu truqu dont il avait compris soudain linanit

    mondaine. Aucune acrimonie dans ses propos. Son affection pour Annie Besant est reste

    intacte. Quand il interpellait les disciples spectaculaires (par leur accoutrement) de Sri

    Rajneesh, qui venaient systmatiquement lcouter lors de ses confrences, il nexprimait

    aucune animosit ou rancune. Point de projections imaginaires dans ses remarques. Simplementune question : pourquoi ce besoin de suivre un suppos "matre spirituel" et de se distinguer

    ainsi ? Qui suit ce gourou ? Observez et vous comprendrez ce que vous tes. Dautres comme

    Catherine Clment, dans son tude sur "la Syncope. Philosophie du ravissement" (1990),

    suppose quil tait une sorte de "chaman", sans doute partir des rares moments dextases qui

    a vcu autour de sa vingt-septime anne. Cest mconnatre que Krishnamurti ne parlait pas en

    tat de transe, mais dans un dialogue interactif, le plus souvent, avec un auditoire ou une autre

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    7/19

    personne. Bien que ses confrences ne soient pas prpares mais largement improvises, il

    tait dans linstant, un tre particulirement "prsent" dont la parole, toujours trs rationnelle,

    de plus en plus soucieuse dtymologie au fil de lge, touchait au plus juste, et non une

    personne habite par une entit, plus ou moins inconsciente, aux yeux rvulss et ar ticulant des

    sons d une voix inhabituelle. Beaucoup dautres, fins connaisseurs, pensent quil tait un vrai

    gourou malgr tout, voire le "gourou des gourous" (Arnaud Desjardins, Ma Ananda Moyi). Un

    psychiatre travaillant en Inde sur le rapport matre/disciple, Jacques Vigne, tente mme de

    dmontrer ce postulat. (J. Vigne 1994).

    En vrit, le processus ducatif pour Krishnamurti est justement cette facult souvrir au

    monde sensible, naturel et social, au sein dune attention vigilante. Pour lui il ny a rien l

    dextraordinaire ou dexceptionnel. Il sest toujours dfendu dtre un "cas" mystique car, alors,

    quoi son enseignement aurait-il pu servir ? Il a toujours affirm, au contraire, que tout le

    monde peut vivre cette joie dtre et rencontrer cet "Otherness" dont il parle dans ses

    "Carnets"(1988). Lenseignement quil donne doit tre reu en profondeur et avec un vritable

    esprit critique. Rien voir avec une quelconque croyance ou dvotion. Cest la facult

    intelligente de lautre quil sadresse. Ce que recherche Krishnamurti dans son interlocuteur,

    cest un "auteur", le crateur de soi-mme, non un "suiveur", un disciple : une personne qui

    sautorise sapproprier, dune manire dubitative et exprientielle, une information

    essentielle pour son propre devenir, mme si cette nouvelle conscience de soi, soudainement

    reconnue, fait disparatre lillusion dun moi existentiel et intentionnel spar du monde. Il na

    cure que des miliers de personnes viennent lcouter. Il prfre cinq personnes rellement

    concernes et prtes mettre en oeuvre ce quil propose pour leur propre compte."Fateslexprience" est son matre-mot, en entendant par ce terme, une situation de la vie quotidienne

    et non la mise en place dun dispositif exceptionnel.

    2. Lautorisation notique du sujet en ducation

    Le concept dautorisation a t propos par Jacques Ardoino (1977) et dvelopp par Rolande

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    8/19

    Robin (1988). Je nomme autorisation notique le processus ducatif radical qui achemine le

    sujet en formation vers la plus haute ralisation de son tre-au-monde par lveil de

    lintelligence. Ce processus est la manifestation de ce que Constantin Fotinas, de luniversit de

    Montral, nomme l "Education des Profondeurs" dans son Tao de lEducation (1990).Selon sa

    conception, qui mest trs proche, elle sarticule l "Education Utilitaire" (qui dgnre

    souvent en Education du Prof it) pour aller vers la "Grande Education", horizon dune conscience

    qui fait corps avec ce qui est.

    Je propose ce terme pour faire comprendre en quoi ce processus est au coeur de la "pense"

    de Krishnamurti.

    La nose est lacte par lequel on pense et le Nome ce que lon pense. "Notique", du grec

    notikos, signifie qui a rapport la pense (nose, du grec nosis). Le terme renvoie ici pour moi

    la "pense du fond" (Grund) dont parle Martin Heidegger dans Le Principe de raison. (1983). Il

    ne sagit pas des habituels concepts et thories qui nous permettent de discuter et

    dargumenter "rationnellement" mais des rapports de sens qui nous font voir, dune manire

    toujours allusive, symbolique, notre unicit ontologique, ce que nous sommes fondamentalement

    par une mise en question permanente de notre suppose identit. Or Krishnamurti nous le

    rpte sans cesse : "nous sommes le monde" et le monde est nous (V.E.68). Il se situe dans une

    philosophie non-dualiste, celle des philosophes assumant la via negativa (Shankara, Matre

    Eckhart, ou des contemporains comme Ramana Maharshi, Sri Nissargadatta). Cest la raison

    pour laquelle Krishnamurti est trs diff icilement compris par les chercheurs en sciences

    humaines. Peu dentre eux savouent inspirs par une approche non-dualiste de la vie. Doubls

    par leur culture, enferms dans une reprsentation ethnocentrique de la philosophie soi-disantoccidentale et lie la production exclusive du concept (Deleuze et Guattari, 1991), ils

    inscrivent leurs rflexions dans une pense systmatiquement dualiste mais qui ne saf firme

    jamais comme telle. Cest le cas de presque tous les psychanalystes et sociologues. Ainsi

    Catherine Clment dclare, propos de la haine de soi, comme une vrit indiscutable :

    "Rcapitulons. Il ny a pas damour sans haine, rversible, jusquau fait divers de la passion

    jalouse." (Le Magazine littraire, juillet-aot 1994). Dou la quasi impossibilit de poursuivre

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    9/19

    longtemps une discussion "en contact", ds quil sagit dexaminer la nature de la distinction

    entre objet et sujet de connaissance. Nous en avons fait lpreuve rcemment lors dun

    entretien avec Cornelius Castoriadis propos de la mditation (J. Ardoino, R. Barbier, F. Giust-

    Desprairies, 1993). Mais nuanons notre critique, peut-tre quEdgar Morin, avec son "Evangile

    de la perdition" dcrit dans Terre-patrie (1993), nest pas trs loign de ce que je pressens

    comme une philosophie de lducation pour notre temps, la lumire de Krishnamurti (R. Barbier,

    1994).

    Sujet notique et art de voir

    Nentre pas dans lautorisation notique qui veut. Il faut dabord prendre conscience de la

    logique de nos conditionnements. Krishnamurti na de cesse de rappeler la multitude demprises

    qui contraignent nos regards et nos comportements quotidiens. Nous sommes une masse de

    "mmoires" physique, biologique, psychologique, sociale, culturelle qui interfrent et

    nourrissent nos allant-de-soi. Inutile de tenter de les connatre par une voie rgressive etanalytique. Ces "mmoires" sont trop profondment ancres en nous-mmes depuis notre

    naissance et mme depuis des gnrations. Elles constituent notre pass mais galement le

    pass de lhumanit et mme le pass de lunivers. Tout savoir sappuie sur ce "dj-connu", sur

    ces "mmoires" dont la vrit nest que relative et dpendante dun espace-temps. La pense,

    processus purement matriel, chimique, pour Krishnamurti, nest faite que de lutilisation de ce

    fond de "mmoires" (V.E. 58-65). Elle nest jamais neuve. Pis elle est incapable de comprendre

    ce qui sans cesse surgit dans la vie relle. La pense ne peut reconnatre la cration

    permanente de la vie, qui est en mme temps destruction. Crant sans cesse une ralit

    illusoire, elle suscite un dsir de scurit, introuvable en der nire instance (V.E.41-42). La vie en

    acte dtruit tout repre immuable. Elle comprend un mystre irrductible toute explication

    mais que chacun apprhende (V.E.48). Il sensuit une inscurit permanente facteur dune peur

    incontournable lie au temps qui passe et dont on cherche indfiniment se garantir. Le savoir,

    toujours li au dj-connu, fait partie de ce systme de protection contre la perception directe

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    10/19

    de linconnu (V.E.49, 83). Le temps, cest le pass qui joue son rle daf follement larv.

    Limagination, comme la pense, fait partie du temps. Elle construit un avenir hypothtique o

    le "devoir tre" remplace le "ce qui est". Toute communication vraie est impossible, englue

    dans une coule d images de lautre et de soi-mme (V.E.71, 80). La pense - exception faite

    dune pense fonctionnelle, instrumentale ncessaire la vie usuelle - empche ainsi laccs

    la connaissance authentique par limposition de toute une srie de comparaisons, de contrles,

    de mesures et de comptitions. Il sensuit une vie pleine dmotions paralysantes lies au dsir,

    au manque, la jalousie, lavidit, la haine. La souffrance f ait ainsi bon mnage avec le

    plaisir, dans une course rtroactive sempiternelle. La libert ou lamour, habituellement

    voqus, ne sont quune suite dalinations quotidiennes mconnues. Pense, pass, imagination

    contribuent dans leurs ef fets psychologiques et sociaux renforcer le dsordre du monde.

    Toutes les figures dautorit, tous les gourous sont l pour masquer la logique du

    conditionnement (V.E.144-145, 172) et Krishnamurti lui-mme sait quil nest pas prserv de ce

    type de projections son gard. (V.E.138-143). La doctrine de la rincarnation fait partie de ce

    systme imaginaire (V.E.157). Dans cette perspective, la mort est lhorreur absolue. On va

    lcar ter, la nier, par tous les moyens car la mort est labolition du temps sous sa forme de

    mouvement de la pense (V.E.197). Ce faisant on ne fait quen accentuer la contrainte absolue.

    Le social prolonge ce qui se joue au niveau individuel car en fait il nexiste aucune sparation

    entre ralit, imaginaire, individu et socit (V.E.162). Le rvolutionnaire veut changer la socit

    mais reproduit la logique des conditionnements dont il est porteur. Les lendemains qui chantent

    produisent sans cesse des larmes de sang. Le monde senfonce ainsi dans une tragdie de plus

    en plus vidente sous les discours de bonne volont. Si Krishnamurti prend la parole, cest quily a urgence et que rien ne va plus (V.E.84). Cest aussi simplement parce quil est un tre parlant

    - un "parltre" dirait J. Lacan - comme la fleur of fre son parfum au monde (V.E.164).

    La rvolution du rel

    Que nous dit- il ? La Vrit na pas de chemin. Ltre humain est sans boussole, mais il peut tre

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    11/19

    "prsent" lui-mme et au monde (V.E.140). Il na aucun matre suivre pour comprendre ce

    quil est en ralit. Il ny a pas de mthodes, pas de techniques. Toute mditation assise, debout

    ou couche nest quun artifice exprimant un tat desprit anim par la fragmentation de ce qui

    est. Il sagit pour lui simplement dapprendre lar t de voir et d couter ce qui est, sans chercher

    comparer, imaginer, rationaliser, accumuler (V.E.175). Voir et couter le dsordre de la

    pense non instrumentale, rtablissent lordre fondamental du monde (V.E.174). Pour vivre cette

    attitude nouvelle, aucun moment, aucun dieu, ni aucun lieu ne sont privilgis (V.E.179). Plus

    encore, il ny a aucun effort faire, aucune intention mettre en oeuvre. Simplement tre l,

    avec passion, dans un tat de prsence attentionne et instantane au monde environnant et

    soi-mme. La pense est soluble dans linstant. Mais elle rsiste parce quelle a "peur de ne pas

    penser" dit Krishnamurti (V.E.77). La peur est un mot quun regard fait f lamber. Il sagit de sortir

    du systme des oppositions de la pense aristotlicienne (V.E. 62) : lamour ou la haine, la vie ou

    la mort, le plaisir ou la souff rance, dieu ou lathisme ; sans toutefois rinventer un nouvel

    imprialisme heuristique avec une option "dialectique" de la vie.

    Ainsi vouloir tre "non-violent" implique, ipso facto, la catgorie mconnue de la violence.

    Avant tout, nous avons voir la violence et tous ses effets pernicieux. "Etre un" avec la

    violence pour lpuiser dans la vision de sa ralit. "Etre un" avec la mort relve de la mme

    perspective (V.E.154-156).

    Voir et couter dpassent toutes les catgories dichotomiques qui scroulent comme des

    cendres bleuies. Krishnamurti, dans son for intrieur, nest pas plus hindou, ou chrtien, ou

    musulman ou athe quil nest communiste, capitaliste ou Amricain, Indien, ou Europen.

    Alors seulement le cerveau disponible, rceptif, comprhensible par laffirmation dun "postulatempathique" comme le propose en conclusion dune tude sur lmotion, un psychophysiologue

    contemporain (Jacques Cosnier, 1994), peut prendre conscience de sa nature et rencontrer un

    autre espace-temps, un ailleurs absolu, qui pourtant a toujours t prsent dans notre monde,

    en nous-mme. Krishnamurti nomme cette bndiction l "Otherness", lAutret (R. Barbier,

    1992). Ltre humain dcouvre vraiment ce quest lamour indissolublement uni la mort et la

    cration. Un amour/compassion intense qui saisit la beaut des choses et des tres et

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    12/19

    comprend le sens de la souffrance (V.E.153). Un veil de lintelligence (1980) comme il le nomme

    qui permet la vritable communication des inter locuteurs (V.E.28). Lintelligence, selon

    Krishnamurti, nest pas construite et na pas de paliers, dtapes ou de moments exceptionnels

    pour sexprimer. Ce nest ni lintelligence de Jean Piaget, ni la mesure du Q.I. de Binet et Simon,

    ni celle des surdous de Rmy Chauvin. Elle est simple constatation, partir dune "vision

    pntrante", de la totalit interactive du monde.Ce qui permet de reconnatre immdiatement

    le vrai et le faux (V.E.26 ss., 186). Si elle se sert de la "pense" comme dun instrument, elle la

    transcende. Elle voit instantanment la dynamique complexe de la vie et distingue la ralit

    pense, de la vrit. Elle agit en consquence, dans une conscience-acte, une action juste

    (V.E.59). Ltre veill lintelligence ne saurait tre en contradiction avec lui-mme. Si le

    monde, dans sa ralit, lui pose des questions, il les rsout immdiatement et sans rsidu. Il ne

    choisit pas, il agit avec assurance et en connaissance (V.E. 177). Cest pourquoi il na pas de

    rve selon Krishnamurti (V.E. 180). Ltre de lintelligence est "passionn", non pas au sens dune

    passion aveugle et destructrice, mais au sens dune intensit existentielle de chaque instant.

    Voir et couter supposent une surprise permanente au surgissement du monde, limprvu. La

    vie devient dune coloration sans pareille, dune intensit remarquable. Sa profondeur ne cesse

    de sapprofondir. Ltre se "gravifie" si jose ce nologisme. Il est la fois au plus joyeux de soi-

    mme et gravement lucide. La joie nexclut pas la peine, bien au contraire. La peine est la

    compassion vcue lgard de toute la souff rance du vivant. Ltre de lintelligence connat la

    solitude radicale au coeur mme de sa reliance. Pour lui la solitude arrache le bleu des images.

    Rien nest jamais identique. La reproduction nest quun effet doptique pour le non-voyant.

    Cration et destruction sont dans une boucle rtroactive permanente pour lhomme delintelligence. Les livres ne donnent aucunement accs lintelligence. Ils ouvrent sur le savoir,

    qui est relatif et, comme laff irme le physicien David Bohm, nclaircit pas le mystre (V.E. 51).

    Ils font voir et dcrivent en nommant une partie du monde, cer tes, mais un peu comme

    laveugle de naissance soutient que la patte dun lphant est un arbre. Nommer nest pas

    connatre. Observer vraiment supprime lobservateur et la chose observe. Seule demeure

    lobservation intemporelle et sans nom qui est lintelligence mme en acte (V.E. 186).

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    13/19

    La connaissance porte par lintelligence est un trou dans le savoir. Elle ouvre, par le silence,

    une fente dans ce qui tait considr comme plein, universel, absolu. Elle fait chanter

    lignorance du non-savoir. Elle bouscule les certitudes blindes ou toiles. Lintelligence est

    sans repos et pourtant elle est la srnit mme. Elle dgage une nergie libre incroyable.

    Force f ougueuse des profondeurs et majest de la quitude tout la fois comme disait le vieux

    sage taoste.

    Ltre de lintelligence mne, ds lors, des actions sans attachement. Sa faon de vivre change

    le monde parce quil est le monde. Cette conception rejoint les thses de la phnomnologie et

    de lethnomthodologie. Les for mes de sociabilit ne sont pas des abstractions. Elles sont

    construites par des personnes concrtes. Et mme si elles ont leur logique interne, explore par

    le sociologue, qui trop souvent les hypostasie, elles ne vivent que par laction quotidienne de

    chacun dentre nous. Si nous changeons notre regard sur elles-mmes et notre action, nous

    changeons leur devenir, nous transformons leur tre. "La libert, cest de dire la vrit, avec

    des prcautions ter ribles, sur la route o tout se trouve" crit le pote franais Ren Char.

    Il sagit bien de cette libert l dans la conception de lhomme de lintelligence chez

    Krishnamurti. La libert ne peut tre vcue que dans lamour qui est aussi mort et cration. Une

    libert qui nest rfre aucun garant mtasocial, aucune valeur transcendantale. Une libert

    qui surgit au coeur mme du rel par une vision et une coute pntrantes. Etre libre est

    inhrent au fait de voir et dcouter. La libert est le joyau de lintelligence. Elle est dessence

    ontologique. Elle est donne davance pour qui sait voir. Aucune prison, aucun embrigadement

    nempcheront jamais ses possibilits dissidentes. Krishnamurti, en authentique libertaire,

    parle non de rvolte, autre face de lattachement inconscient, mais de refus. La libert est lechamp des possibles de tous les refus ncessaires. Aujourdhui ils sont innombrables, et cest

    pourquoi il y a urgence par ler et agir pour Krishnamurti.

    Seul ltre de lintelligence, cest--dire lhomme de la libert, peut dpasser la peur et son

    besoin scuritaire. Il en voit immdiatement la logique interne mme sil en subit les premires

    secousses motionnelles sub-cor ticales, par laction spontane du thalamus visuel sur le

    systme amygdalien (Joseph Ledoux, 1994). Etre dans lintelligence du monde nvite pas davoir

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    14/19

    peur dun chien enrag, mais elle dclenche immdiatement laction juste en situation. Par

    contre la peur purement psychologique, celle qui rsulte de limaginaire, lie peut-tre plus aux

    reprsentations et au influx du cortex visuel, est vue et dpose ainsi dans la dcharge des

    illusions.

    Quid de lautorisation notique partir de la philosophie de Krishnamurti ?

    Lautorisation notique chez un tre humain devient, dans cette problmatique, un processus

    dintelligence ou dautoducation radicale qui, dinstant en instant, par une permanente

    attention ce qui est, dbouche sur la plnitude de ltre-au-monde. Le sujet ducatif est avant

    tout un sujet en co-auto-formation. Non que lautre nintervienne pas dans son devenir, bien au

    contraire, mais il est situ dans un environnement social, psychologique, culturel, dtermin et

    lucid. La personne a le dernier mot sur sa propre conscience, souvent partir de

    remarquables "f lashs existentiels" (R. Barbier 1995)..

    Plusieurs questions peuvent tre poses la philosophie transculturelle de Krishnamurti par le

    penseur occidental. La question de laltration. La question de la temporalit.La question de la

    mmoire. La question du savoir. La question de lobservation. La question de limaginaire etc.

    Examinons la premire question et la dernire, pour f inir, dans le cadre limit de cette

    communication.

    La question de laltration

    Quel est le statut de laltrit et de laltration dans la philosophie de lducation deKrishnamurti ? L autre existe-t -il pour lui et quel niveau de profondeur ?

    Il est cer tain que Krishnamurti est compltement concern par lautre qui, chez lui, ne dgnre

    jamais dans un "autrui" spectaculaire et mass-mdiatique (Jean Baudrillard, Marc Guillaume,

    1992). Il est partie prenante de lunivers de lautre par tir de son ouverture ontologique

    lattention. De nombreux textes montrent son extrme sensibilit cet gard. Lautre nest

    jamais anonyme. Il est prsent avec toute sa dtresse, toute sa joie. Krishnamur ti est, avant

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    15/19

    tout, un tre de relations. Il ne saurait se comprendre comme un "ego" spar qui vivrait selon

    la toute-puissance de ses dsirs. Laltrit fait donc partie de sa vie, mais est-ce une altrit

    radicale, celle qui nous interpelle dune manire absolue, dans nos modes de penser et de sentir

    ?

    Je fais lhypothse que Krishnamurti a conscience de cette altrit radicale parce quil a

    conscience de la nature intrinsque de la solitude pour ltre de lintelligence. Ce dernier se

    sait un tre unique pouvoir observer le monde. La ralit est f ondamentalement singulire. Il

    connat la radicalit du mourir. Il ne se berce pas dillusions avec les doctrines de la

    rincarnation ou les idologies du progrs. Face f ace linconnu, dans la vision pntrante, il

    est sans voix. Il est le "mystique" dont parle Ludwig Wittgenstein dans son Tractatus logico

    philosophicus (1986). Sur ce point sa solitude est essentielle, constitutive de son tre mme.

    Mais chacun porte en lui cette capacit tre "intelligent", donc vivre cette solitude sans

    fond, sans limite. Cette omniprsence du mourir et du vivre que les choses ravivent chaque

    instant. Laltrit constitue cette confrontation de deux solitudes vcues par deux tres

    humains dignes de ce nom. Mais Krishnamurti peut-il aborder vraiment la question de

    laltration dont parle Jacques Ardoino (1977)? Lautre a-t- il, selon lui, une influence inluctable,

    transformatrice de son propre tre ? Je ne le pense pas. Sur le plan ontologique jai le

    sentiment que le je et le tu, pour reprendre une terminologie de Martin Buber, bien que

    totalement dans un champ de relations constitutif de leur tre mme, sont en mme temps deux

    mondes part, quoique non spars. Approche paradoxale, un peu comme celle qui, en

    physique, considre que londicule est, la fois, corpuscule et onde. Radicalement, ltre de

    lintelligence, non fragment, mais conscient de son unicit individuelle, ne peut tre altrpuisquil est un avec tout ce qui est, y compris avec lautre. Seul ltre de la dualit, spar,

    peut rencontrer lautre en tant que provocateur daltrations. Par contre, ltre de lintelligence

    peut entrer en interfrence dans un champ et cette rencontre peut entraner des effets. On

    peut imaginer quil existe des "choc dtres", dans la "Conscience-nergie" (Dr. Marie-Thrse

    Brosse, 1984), comme il y a des chocs bouleversants de particules nuclaires, quand une

    personne rceptive rencontre un tre lintelligence accomplie, un sage. Ltre de lintelligence

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    16/19

    ne dit pas plus "lessence prcde lexistence" que "lexistence prcde lessence". Si

    Krishnamurti semble tre parf ois dans lunivers dune philosophie existentielle, il ne saurait sy

    rduire (Ren Four, 1985). Pour lui, mon avis, il y a conjonction cratrice, chaque instant,

    et dans une surprise merveille, de lessence et de lexistence dans le vivre et le mourir du

    rel. Sa formulation questionnante sur le monde nest pas exprime par un oui ou par un non. Le

    "oui" de la crature face face avec son dieu unique et crateur. Le "non" de celui qui a pour

    autre dieu, la ngation mme de toutes figures de dieu. Elle est plutt du type "ni ceci, ni cela"

    et non du genre "ou bien, ou bien" ou "ceci et cela". Sa pratique est celle du sculpteur qui

    vide son bloc de pierre pour faire apparatre la for me.

    La question de limaginaire.

    Javoue tre trs embarrass par la conception de limaginaire chez Krishnamurti. Il semble bien

    quil assimile limaginaire une vaste entreprise de reproduction et d illusion et, bien quil

    naccepte pas facilement dentrer dans les idologies hindoues de la Maya, ses propos vont

    toujours dans le sens de limage mentale dformant ou masquant la vrit quil oppose la

    ralit. Certes, pour Krishnamurti le monde est rel et indpendant de lobservateur. Mme

    limaginaire, assimil la pense, fait partie de la ralit. Il sagit bien pour lui de rduire

    limaginaire par sa juste observation. En aucun cas de lamplifier ou de sen servir comme on

    peut le faire dans certaines sagesses islamiques ou tibtaines. Il souponne limagination de

    mentir et de travestir ce qui est. Elle apparat comme une capacit crbrale que lon doit non

    pas brider ou contrler, mais laisser passer comme un nuage noir dans le ciel bleu de la vrit.

    Le penseur dans la ligne de Castoriadis ne saurait sy rsoudre (R. Barbier, 1991). Si limaginaire

    est premier et non rductible la pense, ainsi que la propos Aristote daprs Castoriadis

    (1986), sa dynamique cratrice est fondatrice de ltre mme. On peut voir les consquences

    de cette approche et de celle de Krishnamurti dans la vie courante. Le sage non-dualiste

    comme Ramana Maharshi par exemple, se laisse mourir dun cancer considr comme un

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    17/19

    lment de vie, faisant partie de lUn. Le thrapeute occidental au contraire utilise la

    visualisation cratrice, limaginaire en acte, pour lutter contre ce mme cancer (Anne Ancelin-

    Schtzenberger). Plus gnralement peut-on assimiler limagination cratrice au mcanisme de

    la pense ? Certes les rejetons de limagination peuvent toujours sinscrire dans un champ

    symbolique utilisable par la pense. Mais lacte mme dimaginer doit-il rester enferm dans

    lacte de penser ? Crer nest pas penser, au sens mme de Krishnamurti. Crer est ce

    processus dintelligence qui jette un pont suspendu entre le rel et la vrit. Limagination

    cratrice dans sa radicalit active ne cherche rien et ne veut rien : elle trouve. Elle nest pas

    utilitaire, la diff rence des techniques de crativit. Elle est une fonction de la complexit du

    cerveau humain qui devient instrument rceptionnant la formidable cration permanente du

    monde. Elle permet de relier ce qui est spar et de distinguer ce qui est fusionn. Par

    limprovisation, elle est ce qui merge pour la premire fois. Elle est le commencement mme.

    Mais plus encore elle est la joie absolue. Non pas le plaisir relatif. On peut sinterroger sur le fait,

    habituel chez de nombreux mystiques, dentrer dans lcriture potique aprs un insight

    spirituel. Krishnamurti la vcu, comme Saint-Jean de La Croix ou Kabir. Certes les pomes qui

    rsultent de cette expression cratrice tombent ensuite dans la sphre de la pense et de

    lidologie. Ils peuvent tre utiliss pour leurrer les foules. Mais on oublie quils enflamment

    galement et veillent des personnes endormies dans un sommeil ontologique. Le symbole,

    vritable joyau dun acte crateur, est toujours plus quune image mentale qui, avec le percept

    et le concept, seraient lessentiel des activits de cerveau selon J.P. Changeux (1983). Il se peut

    qu la longue le symbole se "refroidisse" et se transforme en allgorie , voire en synthme

    sociologique, selon lexpression de Ren Alleau (1977). Mais pendant longtemps une imagesymbolique et potique digne de ce nom garde sa charge questionnante sur la ralit illusoire

    du monde. On peut penser que limage potique est lontologie, la recherche spirituelle, ce

    quest la pense au domaine technique : un ustensile susceptible de "donner voir" (P. Eluard)

    une connaissance, approche cer tes, mais vivante, de ce qui est. Sans doute la "voie" de

    lobservation sans observateur de Krishnamurti est plus radicale, mais cest une voie "sche",

    une voie abrupte. La Vie, dans son expansion, na-t-elle pas fait fleurir limagination humaine

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    18/19

    justement pour une reconnaissance dif frente de la "prairie dinnocence" dont parle

    Krishnamurti ?

    Bibliographie

    ALLEAU (R.), 1977, La science des symboles , Paris, PayotANCELIN-SCHUTZENBERGER (A.), 1985,Vouloir gurir, aide au malade atteint dun cancer, Paris, Ers, La Mridienne

    ARDOINO (J.), 1977, Education et politique, propos actuels sur lducation II, Paris, Gauthier-Villars ; 1993 (avec R. BARBIER et F. GUIST-DESPRAIRIES), Entret ien avec Cornelius CASTORIADIS, Paris, Pratiques de Formation/Analyses, Lapproche multirfrentielle en formationet en sciences de lducat ion, Universit Paris 8, Formation Permanente, n 25-26, avril 1993, 43-63BARBIER (R.), 1991, Krishnamurt i, une approche radicale pour la recherche cont emporaine en ducat ion, Pratiques de Formation/Analyses ,Universit Paris 8, Formation Permanente, n 21-22, Le devenir du sujet en formation, linfluence des cultures "autres" quoccidentales, 193-226 ; 1994, Edgar MORIN, Louverture multirfrent ielle et lducat ion, Congrs de lA.F.I.R.S.E., Aix-en-Provence, mai ;1995, LapprocheTransversale, lcoute sensible en sciences humaines, Paris, Anthropos, 1997;BAUDRILLARD (J.), GUILLAUME (M.), 1994, Figures de laltrit , Paris, Galile, (Edit ions Descartes, 1992)BOURDIEU (P.), PASSERON (J-C.), 1970, La reproduction, lments pour une thorie du systme denseignement, Paris, Les Editions deMinuit.BROSSE (M-T.) Dr., 1984, La Conscience-nergie, structure de lhomme et de lunivers. Ses implications scientifiques, sociales et

    spirituelles, Saint-Vincent-sur-Jabron, Editions PrsenceBUBER (M.), 1969, Le je et le tu , Aubier-MontaigneCASTORIADIS (C.), 1986, Domaines de lhomme. Carrefours du labyrinthe II, Paris, SeuilCHANGEUX (J-P.), 1983, Lhomme neuronal, Paris, FayardCHAR (R.), 1983, Oeuvres compltes, Paris, La Pliade, GallimardCLEMENT (C.), 1990, La Syncope. Philosophie du ravissement, Paris, Grasset; 1994, La haine de soi, Magazine Litt raire, juillet-ao tCOSNIER (J.), 1994, Psychologie des motions et des sentiments , Paris, RetzDELEUZE (G.), GUATTARI (F.), 1991, Quest-ce que la philosophie, Paris, Les Editions de MinuitFOTINAS (C.), 1990, Le Tao de lEducation, Montral, Les ditions Libre ExpressionFOUDRAINE (J.), 1992, KRISHNAMURTI, RAJNEESH, C.G. JUNG, Paris, Le Voyage Intrieur,FOUERE (R.), 1985, La rvolution du rel. KRISHNAMURTI, Paris, Le Courrier du Livre

    HEIDEGGER (M.), 1983, Le Principe de raison, Paris, Gallimard, coll. TelKRISHNAMURTI (J.), 1980, Paris, Lveil de lintelligence, Stock-plus.; 1988, Carnets, Monaco, Editions du Rocher ; 1990, La Vrit etlvnement, Monaco , Les Editions du Rocher.LEDOUX (J.), 1994, Emot ions, mmoire et cerveau, Pour la science, n 202, aot ., 50-58LUTYENS (M.), 1982, KRISHNAMURTI. Les annes de lveil. Plazac 24380, Arista (distribu par Dervy-Livres) ; 1984, KRISHNAMURTI Lesannes daccomplissement, Plazac, Arista ; 1989, KRISHNAMURTI. La Porte ouverte. Plazac, Arista ; 1994, Vie et mort deKRISHNAMURTI, AmritaMORIN (E.), KERN (A-B.), 1993, Terre-patrie , SeuilROBIN R ., 1988, De l'improvisation l'autorisation, une d nami ue de formation et d'autoformation, Paris DEA, Universit de Paris VIII,

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01
  • 8/2/2019 Lautorisation notique (ou de la notion de sujet dans la philosophie de lducation de Jiddu Krishnamurti), par Ren Barbier

    19/19

    Sciences de l'Educat ionVIGNE (J.), 1994 , KRISHNAMURTI tait-il un gourou ? , art icle indit , G.R.E.K.WITTGENSTEIN (L)., 1986, Tractatus logico philosophicus, Paris, Gallimard, coll. Tel , (1961)

    PDFmyURL.com

    http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01http://pdfmyurl.com/?otsrc=watermark&otclc=0.01