J. Krishnamurti, Ojai, 1949

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    L e prsent ouvrage est un recueil d entretiensqui ont eu lieu des dates diffrentes. Il nestdonc pas destin tre lu la faon d untrait de philosophie.

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    rishnamurti

    0 J A I

    1 9 4 9T r aduct i on de C ar l o S ua r es

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    Seule traduction autorise

    LE CERCLE DU LIVRE 66, Bd Raspail Paris

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    Copyright by KRISHNAMURT1 WRITINGS INC.

    Oja, Madras and London : 1950

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    CAUSERIES O JAI 1949

    I

    JE suis sr que ceux qui viennent ces runions, et qui

    vont dautres runions plus ou moins semblables,simaginent tre trs srieux et sincres, il est important,en effet, quon le soit. .Mais nous devrions essayer de biencomprendre ce que lon entend par l. Est-on srieux,est-on sincre, lorsquon va dun confrencier un autre,dun chef politique ou spirituel un autre, lorsque 1onsadresse diffrents groupes, diffrentes organisations,en vue d obtenir quelque chose? Ainsi, avant mme dechercher savoir ce quest la sincrit, tchons de connatre lobjet de nos poursuites.

    Que poursuivons-nous? Que veut chacun de nous?Dans ce monde agit, o chacun sefforce de trouver une

    paix d une certaine sorte, un bonheur, un refuge d unecertaine sorte, nest-il pas important, pour chacun de nous,de savoir ce que nous cherchons? Que voulons-nous obtenir? Que voulons-nous dcouvrir? Il est probable que la

    plu part d entre nous cherchent un bonheur, une paix.Dans ce monde de guerres, de tumulte, de conflits, de

    souffrances, nous voulons un refuge. Je crois que chacun de nous est plus ou moins en qute dun havre de

    paix, et, dans cette poursuite, nous passons d un chef un autre, d un guide un autre, d une organisation religieuse une autre.

    Mais est-ce vraiment le bonheur que nous cherchons?

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    N est-ce pas plu tt un plaisir dont nous esprons quilnous donnera le bonheur? Bonheur et satisfaction sont

    deux choses bien diffrentes. Peut-on aller la recherchedu bonheur? O n peut trouver la satisfaction, mais ilest bien certain q uon ne peut pas trouver le bonheur.Le bonheur est le driv de quelque chose, cest un sous-

    produit. Donc, avant de consacrer notre esprit et notrecur ce qui exige tant dattention, de vigilance, de sincrit, il nous faut connatre, nest-ce pas, notre but rel.Voulons-nous le bonheur ou la satisfaction? Je crains que

    la plupart dentre nous dsirent se satisfaire, prouver unsentiment de plnitude au bout de leur recherche.

    Mais peut-on, en fait, aller la recherche de quoique ce soit? Pourquoi venez-vous ces runions? Pourquoi tes-vous tous assis l, en train de mcouter? Il seraitintressant de savoir pourquoi vous venez de si loin, parune journe si chaude, pour mentendre. Et, qucoutez-vous en ce moment? Est-ce une solution vos tracas que

    vous cherchez, et est-ce cela que vous poursuivez en allantdun confrencier lautre, dune organisation religieuse lautre, et en consultant des bibliothques? Ou est-cela cause mme de la souffrance, des conflits, de la misre,que vous voulez dcouvrir? Mais dans ce cas, si cest lacause et non la solution que vous voulez connatre, pourquoi tant lire et tant couter? Car ce quil importe davoir,cest une clart dintention.

    Aprs tout, si cest la paix quon cherche, il nest pastrs difficile de la trouver. Il suffit de se dvouer aveuglment une cause, une ide, et ainsi y prendre refuge.Cela ne rsout videmment rien. Sisoler, se confiner dansune ide, nest pas se librer de ltat de conflit. Il nousfaut donc dcouvrir intrieurement et extrieurement ceque nous voulons, chacun de nous. Ds qu nous clarifions

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    Mais nous connatre nous-mmes est la dernire choseque nous dsirions, bien que ce soit la seule fondation sur

    laquelle nous puissions construire. Avant de btir, avantde transformer, de condamner ou de dtruire, il nous fautsavoir ce que nous sommes. Nous en aller en qute dematres, de gourous, de yogas, de rituels, etc..., estdonc tout fait inutile. Cela na aucun sens, mme si les

    personnes que nous suivons nous disent de nous tudiernous-mmes. Ce que nous sommes, ainsi est la socit. Sinous sommes mesquins, jaloux, vains, avides, ainsi est tout

    ce que nous engendrons autour de nous, ainsi est la socitdans laquelle nous vivons.

    Donc il me semble quavant de partir en voyage pourdcouvrir la ralit ou Dieu; quavant dagir; quavantdentretenir des rapports avec nos semblables (la socittant lensemble de ces rapports), il est essentiel que nousnous connaissions nous-mmes. E t je considre srieuse etsincre la personne pour qui cette connaissance est le pre

    mier et principal intrt, non la personne qui se proccupe datteindre un but. Si vous et moi ne nous comprenons pas nous-mmes, comment pouvons-nous, par notreaction, amener une transformation dans la socit, ou ailleurs? Ce qui ne veut pas dire, videmment, que laconnaissance de soi soppose aux rapports humains et nousisole; ni quelle mette laccent sur lindividu, le moi, encontraste avec la masse, avec les autres. Je ne sais pas

    si quelques-uns dentre vous ont entrepris de studiersrieusement, dobserver chacun de leurs mots, chacunede leurs ractions, dobserver chaque mouvement de leur

    pense et de leurs Sentiments ; de se mettre en somme dansun tat total et impartial dobservation. Etes-vous conscients de vos rflexes corporels? Savez-vous si ce sont voscentres physiologiques ou vos ides qui vous font agir?

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    E t comment rpondez-vous aux conditions extrieures? Jene sais pas si vous avez jamais pntr profondment dans

    ces questions, sauf sporadiquement peut-tre, et en dernire ressource, dans des moments de dsarroi et de faillite gnrale.

    Mais quel que soit le champ de votre pense, il ne contiendra aucun lment de vrit tant que vous ne vousconnatrez pas, tant que vous ne saurez pas pourquoi vouspensez de telle ou telle manire, quels sont les lmentsde votre conditionnement, et pour quelles raisons vous

    avez certaines croyances sur lart, la religion, votre pays,votre voisin et vous-mme. Si vous ne connaissez pas toutecette armature, et la substance de votre pense, et sonorigine, votre recherche est futile, votre action na aucunsens. Que vous soyez Amricain ou Hindou, que vousapparteniez telle ou telle religion, na aucun sens non

    plus.Donc, avant de chercher comprendre si la vie a un

    sens et quelle est la signification de toutes ces guerres, deces antagonismes nationaux, de ces conflits, de ce dsordre,il est vident quil nous faut commencer par nous-mmes.Cela a lair si simple, et pourtant cest si extraordinairement difficile! Car pour nous observer dans nos moindresnuances, pour percevoir le fonctionnement de notre pense,il nous faut tre tout le temps sur le qui-vive. Et, au furet mesure que nous saisissons les mouvements de plus

    en plus subtils et complexes de notre pense, de nos ractions, de nos motions, nous devenons de plus en plusconscients, non seulement de nous-mmes, mais des autres,de ceux avec qui nous sommes en contact. Se connatresoi-mme cest studier en action, dans les rapports quelon a avec les autres. Mais la difficult est que noussommes impatients; nous voulons avancer, atteindre un

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    provoquera peut-tre une transform ation, dans ses rapportsimmdiats, autour delle, donc dans le monde o nousvivons.

    QUESTION. Faut-il que je sois un niveau spcialde conscience pour comprendre ce que vous dites?

    Kr i s HNAMURTI. Pour comprendre quoi que ce soit,et non seulement ce que je dis, que faut-il? Pour vouscomprendre vous-mme, pour comprendre votre mari, votrefemme, un tableau, un paysage, les arbres, que faut-il?Une application de lesprit, nest-ce pas? Il faut consacrertout son tre, une attention profonde et totale ce que lonveut comprendre. Mais comment est-ce possible, si lonest distrait? Ainsi, par exemple, lorsque vous prenez desnotes pendant que je parle, vous vous emparez sans doutede quelque phrase, tout heureux , de penser que vous pourrez la rpter. Mais comment pouvez-vous tre rellementattentifs lorsque ce sont des mots qu i vous intressent ? Car

    vous voil concentrs un niveau verbal que, de ce fait,vous ne pouvez pas dpasser. Les mots ne sont que destruchements. Mais, si vous ntes pas capables dentrerrellement en communication avec les autres, et que vousvous accrochez des mots, il ne peut y avoir ni relleattention, ni relle comprhension.

    Ecouter est un art. Comprendre, cest tre dabordprofondment attentif, sans se laisser aller aucune dis

    traction. Prendre des notes, sasseoir dans une positionincommode et fatigante, faire un effort pour comprendre :tout est occasion de distraction. En particulier, faire uneffort pour comprendre, cest ncessairement mettre unobstacle la comprhension, car toute lattention est alorscapte par leffort. Je ne sais pas si vous avez remarqu

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    que lorsquon est trs intress par ce que quelquun dit,on ne fait aucun effort, on ne construit pas un mur dersistance contre la distraction. Lorsquon est vitalementintress, la question de savoir comment tre attentif nese pose pas, ca r on est spontanment et entirement absorb.Mais la plupart des personnes constatent quil leur estdifficile de se trouver dans un tat dattention profonde,car sil est vrai que consciemment elles dsirent comprendre, il y a une rsistance aux niveaux les plus profonds deleur conscience; ou, au contraire, elles peuvent prouverun dsir intrieur de comprendre, mais la rsistance est

    extrieure, en surface.Donc, pour que lattention que nous accordons soit

    totale, il faut une intgration de tout notre tre. En effet,il peut arriver qu un certain niveau de votre consciencevous dsiriez dcouvrir, comprendre, mais qu un autreniveau, cette comprhension mme soit une destruction, carelle vous obligerait modifier toute votre vie. Il existeainsi, en vous, une lutte, un conflit, dont vous ntes peut-

    tre pas conscients. Bien que vous croyiez tre attentifs, une distraction dune certaine sorte, intrieure ou extrieure, est en cours, et cest cela la difficult. Et cest parceque toute votre attention est ncessaire si vous voulezcomprendre que je vous ai suggr plusieurs reprisesde ne pas prendre de notes et de ne songer aucune pro

    pagande mon bnfice ou au vtre. Je vous demande devous borner couter tout simplement; mais notre diffi

    cult est que nos esprits ne sont jamais tranquilles. Nousne nous mettons jamais dans un tat calme et rceptif. Les

    journaux, les illustrs, les politiciens, les discoureurs defoires, ne cessent de nous remplir la tte de leurs inepties,chaque prdicateur au coin de la rue nous dit ce que nousdevons faire et ce que nous ne devons pas faire. E t ce

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    flot ininterrompu dveloppe aussi en nous, videmment,une rsistance. Tant que lesprit est troubl, il ne peuty avoir de comprhension. Tant que lesprit nest pas tran

    quille, silencieux, calme, rceptif, sensitif, il nous est impossible de comprendre. E t cette sensibilit de lesprit n estpas seulement ncessaire dans les couches suprieures,superficielles de la conscience; il faut une tranquillit quitransperce toutes les couches de la conscience, une tranquillit intrgre. En prsence dune trs belle chose, sivous commencez bavarder, vous ne sentez pas sa signification. Mais ds linstant que votre esprit se tait, ds

    linstant que vous tes sensitif, la beaut de cet objet vient vous. De mme, si nous voulons comprendre quoi quece soit, non seulement devons-nous physiquement nous tenirtranquilles, mais nos esprits doivent tre la fois sur lequi-vive et calmes. Cette passivit alerte de lesprit ne

    peut pas tre obtenue par la contrainte. O n ne peut pas entraner lesprit tre silencieux. Par de telles disci

    plines lesprit devient toyt au plus un singe savant, silen

    cieux lextrieur, et intrieurement en tat dbullition.Aussi, couter est un art, et lon doit accorder tout sontemps, toute sa pense, tout son tre, ce que lon dsirecomprendre.

    QUESTION. Puis-je mieux comprendre ce que vous dites en lenseignant?

    Kr i s h n a m u r t i . Vous pouvez apprendre , en parlantaux autres, de nouvelles faons de vous exprimer. Vouspouvez parvenir transmettre avec beaucoup d habiletce que vous avez dire. Mais cela nest certes pas comprendre. Si vous ne vous com prenez pas vous-mmes,comment, pourquoi, et au nom de quoi irez-vous le racon

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    ter dautres? Ce ne serait que de ia propagande, nest-cepas? V o u s ne comprenez pas une certaine chose,mais vous allez en parler aux autres. Et vous croyez quune

    vrit peut tre rpte! Pensez-vous pouvoir communiquer aux autres une exprience que vous avez eue? Vous

    pouvez la transmettre verbalement. M ais pouvez-vous lafaire prouver? Vous pouvez la dcrire. Mais vous ne,

    pouvez pas faire participer ltat, la perception delexprience elle-mme. Ainsi, une vrit rpte cessedtre vrit. Seul un mensonge peut tre rpt. Dslinstant que vous rptez une vrit, elle na pas de

    sens. Et, pour la plupart, nous sommes occups rpter,non vivre pa r exprience directe. L homme qui vit, quiprouve rellement quelque chose, ne se proccupe pas devaines rptitions, de convertir les autres, de propagande.Mais malheureusement la plupart dentre nous sintressentsurtout la propagande, non seulement en vue de convaincre les autres, mais aussi pour faire des bnfices en lesexploitant. Graduellement cela devient une fraude orga

    nise.Si vous ntes pas emptrs dans toutes ces activitsverbales, si vous tes plongs, au contraire, dans la perception de la vie, vous et moi sommes en communion.M ais si cest la propagande qui vous intresse et jedis que la vrit ne peut pas tre lobjet dune propagande il ny a, entre vous et moi, aucun contact.Et je crains que de nos jours la difficult soit l. Vous

    voulez raconter aux autres ce que vous navez pas prouv,et sprez, en racontant, prouver. En somme vous cherchez une sensation, une satisfaction, sans lappuyer surune valeur, sur une validit, sur une ralit. Mais uneralit vcue, si elle est communique, ne cre pas dentraves; donc vivre une exprience est bien plus impor

    le

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    tant, plus valable, quchanger des messages au niveauverbal.

    QUESTION. I l me semble que le mouvement de lavie ne puisse tre rellement peru et prouv que dans nos rapports avec les hommes et avec les ides, et que

    se dtacher de ces stimulants c'es t se trouver dans unevacuit dprimante. Pour me sentir vivre, jai besoin dedistractions.

    Kr i s h n a m u r t i . Cette question implique tout leproblm e du dtachement et des rapports humains. O r,pourquoi voulons-nous tre dtachs? Q uel est cet instinct,

    chez la plupart dentre nous, qui veut carter, qui veutnous dtacher? II se peut que, pour beaucoup dentrenous, cette ide de dtachement ait t engendre parceque tant d instructeurs religieux en ont par l : Vousdevez tre dtachs en vue de trouver la ralit; vousdevez renoncer; vous devez abandonner; alors seulementtrouverez-vous la ralit. Mais, pouvons-nous tre dtachs dans nos rapports? Et quentendons-nous par rap

    ports avec le monde, avec les hommes, avec des ides?Il nous faut nous reposer toutes ces questions, une une,avec soin.

    Pourquoi avons-nous cette raction instinctive, cetteconstante aspiration vers le dtachement? Diffrents instructeurs religieux ont dit : soyez dtachs. Po urq uo i?Tout dabord, le problme est : pourquoi sommes-nousattachs? Non pas : comment tre dtachs, mais pourquoi

    se trouve-t-il que vous soyez attachs? Srement, si vouspouvez trouver la rponse, il ne pourra tre questionde dtachement, nest-ce pas? Pourquoi sommes-nousattachs des distractions, des sensations, des chosesde lesprit ou du c ur? Si nous pouvons dcouvrir pourquoi nous sommes attachs, peut-tre trouverons-nous la

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    vraie rponse au lieu d aller chercher commentnous dtacher.

    Pourquoi donc tes-vous attachs et quarriverait-il si

    vous ne ltiez pas? Si vous ntiez pas attachs votrenom, vos possessions, votre position j entends toute cette masse de choses dont vous tes faits : vosmeubles, votre voiture, vos caractristiques, vos gots particuliers, votre temprament, vos vertus, vos croyances,vos ides quarriverait-il? Si vous ntiez pas attachsvous vous retrouveriez ntant plus rien du tout, nest-ce

    pas? Si vous ntiez pas attachs votre confort, votre

    position, votre vanit, vous seriez tout d un coup perdus,nest-ce pas? Ainsi, la peur du vide, la peur de ntre rien,est ce qui vous attache : que ce soit votre famille, votremari, votre femme, une chaise, une auto ou votrepays, lobjet importe peu. L a peur de ntre rien, fait quelon saccroche quelque chose, et le fait de demeureraccroch implique un conflit, une douleur. Car ce quevous retenez se dsintgre vite, meurt : votre voiture, votre

    position, vos possessions, votre mari. Ainsi, dans le fait deretenir, est une douleur, et, pour viter cette douleur, nousdisons que nous devons tre dtachs. Regardez en vous-mmes et vous verrez quil en est ainsi. La peur de lasolitude, la peur de ntre rien, la peur du vide, nous

    poussent nous attacher un pays, une ide, un Dieu, quelque organisation, un Matre, une discipline, nimporte quoi. L action de sattacher comporte une dou

    leur; pour viter cette douleur nous essayons de cultiverle dtachement, et ainsi nous entretenons ce cycle qui esttoujours douloureux, dans lequel il y a toujours une lutte.

    Mais pourquoi ne pouvons-nous vivre en ntant rien?En non-entits? Non par simple expression verbale, maisintrieurement? Alors, il ny aurait pas ce problme de

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    lattachement fet du dtachement. Et, dans cet tat, peut-ontre en rapport avec les autres? Cest ce que voudraitsavoir la personne qui ma pos cette question. Elle dit,que si lon nentretient pas un commerce avec des personnes ou des ides, on se trouve dans une vacuit dprimante. En est-il vraiment ainsi? Les rapports que lon aavec les autres, sont-ils ceux de lattachement? Lorsquevous tes attachs une personne, tes-vous rellement enrelation avec elle? Lorsque je suis attach vous, accroch vous, cet acte de possession est-il un commerce?Vous devenez, pour moi, une ncessit, car sans vous,

    je suis perdu, je suis gn, malheureux, je souffre de solitude. Ainsi, vous devenez une ncessit, un objet utile, unobjet qui remplit mon vide intrieur. Vous n tes pasimportant; limportant est que mon besoin soit satisfait.Et peut-il exister une relation quelconque entre vous etmoi lorsque vous mtes un besoin, une ncessit, lafaon dun meuble?

    Prenons cette question sous un autre aspect : peut-on

    vivre sans rapports avec le monde? Et ceux que lon peutavoir ne sont-ils que des stimulants? Sans les rapportsque vous appelez distractions, vous vous sentez perdus,vous ne vous sentez pas vivre. En dautres termes, vous

    > transformez vos rapports avec le monde en distractions,ce qui vous permet de vous sentir vivre. C est ce quim

    plique la question pose.Mais peut-on vivre sans avoir de rapports avec le

    monde? Evidemment pas. Il nexiste rien qui puisse vivredans un tat disolement. Quelques-uns dentre nous, peut-tre, voudraien t vivre dans un ta t d isolement. M aiscela nest pas faisable. Alors, les rapports avec lextrieurdeviennent de simples distractions, qui vous font prouverla sensation d tre trs vivants : lentretien de vos que

    ls

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    relies, de vos conflits, de vos luttes, vous donne cette sensation, et, si vous naviez pas ces distractions, vous voussentiriez comme morts. Mais les distractions sous toutesleurs formes, alcool, cinma, connaissances, etc..., engourdissent les esprits et les curs. E t de tels esprits, de telscurs, peuvent-ils entretenir des rapports les uns avec lesautres? Seuls les esprits sensitifs, seuls les curs veills laffection, peuvent tre en rapport avec le monde extrieur.

    Tant que vous traitez vos rapports comme des distractions, vous vivez manifestement dans une vacuit, car voustes effrays lide de sortir de cet tat de distraction.Il sensuit que toutes les formes de dtachement, de sparation, vous effraient. Mais les rapports rels avec lemonde, sont, en fait, un tat dans lequel on est constamment en train de se comprendre soi-mme, par rapport autre chose. Ainsi notre relation avec le monde est un

    processus d auto-rvlation, non une distraction. E t cetteauto-rvlation est trs douloureuse, car dans nos rap

    ports, nous nous dcouvrons bien vite, si nous sommes prts accepter nos dcouvertes. Mais comme, pour la plupart,nous ne voulons pas faire cette dcouverte de nous-mmes,comme nous prfrons nous cacher au cours de nos rap

    ports, ceux-ci deviennent obscurment douloureux, et nousessayons de nous en dtacher. Relation nest pas stimulation. Pourquoi voulons-nous tre stimuls? Si nous lesommes, nos rapports smoussent. N avez-vous pas remar

    qu que tous les stimulants finissent par abtir lesprit etattnuer la sensibilit du cur?

    Donc, la question du dtachement ne devrait jamais seposer. Seul lhomme qui possde songe renoncer. Maisil ne se dem ande jamais pourquoi il possde, quelleest toute la structure en lui qui le rend possessif. Lorsquil

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    commence comprendre le processus de la possession ilprovoque en lui une libration nature lle, il ne cultive pas

    loppos de la possession sous forme de dtachement. Etnos rapports avec le monde ne sont quune stimulation,une distraction, tant que nous nous en servons pour notre

    plaisir, ou pour satisfaire une ncessit, ou pour nous vader de nous-mmes. Vous devenez trs important pourmoi, parce quen moi-mme je suis pauvre. En moi-mme,

    je ne suis rien, alors vous tes tout. D e tels rapports sontfatalement des conflits, des souffrances, et ce qui fait

    souffrir nest plus une distraction. Alors, nous voulons fuirces rapports et cest ce que nous appelons le dtachement.

    Tant que, dans nos rapports, nous nous servons de notreintellect, nous ne pouvons pas comprendre ce que sontdes relations relles. Car, aprs tout, cest notre intellectqui nous dtache des choses. Lorsquil y a amour, il ne

    peut tre question d attachement ni de dtachement. Dslinstant que cesse cet amour, surgit cette question de latta

    chement et du dtachem ent. L amour nest pas le produitde la pense. On ne peut pas penser lamour. L amourest un tat dtre. Et lorsquon y intervient mentalement,avec tout ce que lesprit apporte de calculs, de jalousies,d habiles illusions, le problme de nos rapports surgit. Nosrapports nont de valeur que sils sont le moyen qui nous

    permet de nous rvler nous-mmes nous-mmes. E t si,au cours de ce processus, nous nous explorons profond

    ment et extensivement, nos rapports seront un tat de paix,non une lutte, un antagonisme de deux personnes. Ce nestque dans ce calme, o fructifie la connaissance de soiquexiste la paix.

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    Ai n s i que je vous le proposais hier, nous devrions tre

    capables d couter ce que lon dit, sans refus, ni acceptation. Nous devrions pouvoir couter de faon ne pas

    immdiatement rejeter ce qui est nouveau; ni toutefoisaccepter tout ce que lon dit, ce qui serait absurde, carnous ne ferions quinstaurer une autorit. O est lautorit,il ne peut y avoir de pense, de perception : il ne peut yavoir de dcouverte du rel. Et ce danger existe, puisque,

    pour la plupart, nous avons une tendance accepter avec

    empressement ce que lon nous dit, sans rflexion, sansrecherche, sans examen approfondi. Ce matin, il se pourrait que je vous dise quelque chose de neuf, ou que

    j exprime un nouveau point de vue, ce qui vous chapperait si vous ne mcoutiez dans un tat de dtente propice la comprhension.

    Je voudrais vous entretenir ce matin dun sujet assezdifficile : laction, lactivit et nos rapports avec le monde.

    Ensuite, je rpondrai des questions, mais il nous fautdabord comprendre ce que nous entendons par activitet par action. En effet, toute notre vie semble base surlaction, ou plutt sur lactivit; et je voudrais prcismentdiffrencier laction et lactivit. Il semble que nous soyonssi absorbs par des choses faire! Nous sommes si agits,si consums de mouvements, faisant toujours quelque

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    chose nimporte quel prix, allant de lavant, accomplissant des uvres, poursuivant le succs! Mais quelle place

    occupe lactivit dans nos rapports humains? Car, ainsique nous le disions hier, la vie est faite de rapports. Rienne peut exister dans lisolement. O r si nos rapports humainsne sont quune activit, ils nont pas beaucoup de valeur.Je ne sais pas si vous avez remarqu que ds que vouscessez dtre actifs, vous prouvez immdiatement uneapprhension nerveuse. Vous ne vous sentez, pour ainsidire, plus vivre, vous navez plus de ressort. Alors vous

    vous replongez dans le mouvement. Et il y a aussi la peurde la solitude, la peur de se trouver tout seul, sans livre,sans radio, sans conversation ; la peur de sortir seul en promenade, ou de demeurer seul assis sur une chaise, tranquillement, sans se livrer constamment quelque activitqui absorbe les mains, la tte, le cur.

    Donc, pour comprendre lactivit, nous devons comprendre le sens de nos rapports humains. Si nous faisons

    de ces rapports une distraction, une vasion, ils ne sontquune forme dactivit. Et la plupart de nos rapports, nesont-ils pas de simples distractions, donc, en fait, dessuites dactivits enchevtres? Ainsi que je lai dit, lesrapports humains nont une vraie valeur, que lorsquilssont notre processus dauto-rvlation, lorsquils sont vraiment la rvlation que lon a de soi, au cur mmede ces rapports. Mais la plupart dentre nous ne dsirent

    pas tre rvls dans leurs rapports avec les autres.A u contraire, nous nous servons de nos relations mutuellespour camoufler notre insuffisance, nos difficults, notreincertitude. Ainsi, nos changes deviennent un simple mouvement, une simple activit. Je ne sais pas si vous avezremarqu que les rapports entre humains sont trs douloureux, et que, tant quils ne sont pas un processus rv-

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    lateur, dans lequel nous nous dcouvrons nous-mmes,ils ne sont quun moyen de nous fuir.

    Je crois quil est important de comprendre cette question, car, ainsi que nous le disions hier, la connaissancede soi est contenue dans le dveloppement de nos rapportsavec le monde, quil sagisse dobjets, de personnes,dides. Ces rapports peuvent-ils tre bass sur une ide?Un acte bas sur une ide nen est-il pas le simple prolongement? Cet acte nest donc que de lactivit. L action,au contraire, nest pas base sur une ide; elle est imm

    diate, spontane, directe, sans quil y soit ml un processus de pense. Si nous basons nos rapports sur une ide,cest--dire si nous en faisons une simple activit, il ny al aucune comprhension, il ny a que la mise en application dune formule, dun modle. Et ces rapports nouslimitent, nous confinent, nous rtrcissent, parce que nousdsirons toujours en obtenir un rsultat.

    Une ide est le produit dun dsir, dune aspiration,

    dune poursuite. Si je suis en relation avec vous parce quej ai besoin de vous, physiologiquement ou psychologiquement, mes rapports sont videmment bass sur une ide :

    je cherche obtenir de vous quelque chose. D e tels rapports ne peuvent pas tre un processus d auto-rvlation.Ils ne sont quune impulsion, une activit, une monotonie,o sinstallent des habitudes; donc toujours une tension,une souffrance, un litige, une lutte, une cause de tourments.

    Des rapports qui ne comporteraient aucune ide, aucuneexigence, aucun sens de possession, aucune possession,sont-ils possibles? Pouvons-nous communier les uns avecles autres (car cest en cela que consistent des rapportsrels tous les niveaux de notre conscience) si nous sommesrelis les uns aux autres par un dsir, un besoin physiologique ou psychologique? Et des rapports peuvent-ils,exister

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    sans ces causes qui nous conditionnent? Ainsi que je l*aidit, cette question est bien difficile. Il faut y pntrer

    trs profondment et avec beaucoup de calme. Il ne sagitni dacceptation, ni de rejet.Nous savons que nos rapports, en ce moment, sont une

    dispute, une lutte, une souffrance, ou une simple habitude. Si nous pouvions comprendre pleinement, compltement, nos rapports avec une seule personne, peut-treaurions-nous la possibilit de comprendre nos rapportsavec la multitude, cest--dire avec la socit. Si je ne

    comprends pas mes rapports avec le un , lindividu, jene comprendrai certainement pas ceux que jentretiensavec le nombre, la socit, la totalit. E t si ceux que j aiavec les individus sont bass sur un besoin, une satisfaction, mes rapports avec la socit doivent tre de mmenature. Il doit donc sensuivre un dsaccord entre moi etlindividu ou moi et la masse. Mais est-il possible de vivreavec 1 un ou avec les autres sans exigence? N est-ce

    pas l, en fa it, le problme qui existe non seulement entrevous et moi, mais entre moi et la socit? Pour comprendre ce problme, pour lexplorer trs profondment, ilnous faut pntrer la question de la connaissance de soi,car si vous ne vous connaissez pas tel que vous tes, sivous ne savez pas exactement ce qui est, vous ne pouvez

    pas entretenir avec les autres des rapports authentiques.Livrez-vous toutes les activits qui peuvent se penser,fuyez, adorez, lisez, allez au cinma, tournez la radio;tant que vous ne vous comprendrez pas vous-mmes, ilvous sera impossible davoir des rapports authentiques avecquoi que ce soit. De l vos querelles, vos batailles, vosantagonismes, votre confusion, non seulement en vous,mais extrieurement vous et autour de vous. Tant quenous nous servons de nos rapports comme moyens de nous

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    quest notre problme. Nous avons rempli nos curs deschoses de lesprit. Et les choses de lesprit sont essentiel

    lement des ides, des jugements sur ce qui devrait treet ce qui ne devrait pas tre. Les rapports peuvent-ilstre bass sur une ide? Et sils le peuvent, ne sont-ils

    pas des activits qui senferm ent en elles-mmes, de sortequelles engendrent invitablement des disputes, des luttes,des souffrances? Mais si lintellect nintervient pas, il neconstruit plus de barrires, il nest plus en train de sediscipliner, de se refouler ou de se sublimer. Cela est

    extrmement difficile, car ce nest pas par des rsolutions,des pratiques ou des disciplines que lesprit peut cesserdintervenir. Mais il cessera dintervenir aussitt que se

    produira la pleine comprhension de son propre processus.Alors seulement nous sera-t-il possible dentretenir desrapports authentiques avec des individus et avec lensem

    ble des hommes, libres de querelles et de discordes.

    QuETION. Je retiens nettement de ce que cous ditesque le savoir et les connaissances sont des obstacles. Mais quoi font-ils obstacle?

    Kr i s h n a m u r t i . Le savoir et les connaissances sontmanifestement des obstacles la comprhension du neuf,de lintemporel, de lternel. Il est bien certain qe cultiver une technique ne vous rend pas crateur. Vous

    pouvez savoir peindre merveilleusement, possder unetechnique parfaite et pourtant ntre pas un crateur.Vous pouvez savoir crire des pomes techniquement parfaits et pourtant ntre pas un pote. Etre pote impliquela capacit daccueillir le neuf; cest tre assez sensitif

    pour rpondre ce qui est frais et nouveau. P our la plu part d entre nous, apprendre , acqurir des connaissances.

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    est devenu une mauvaise habitude, et nous croyons quecest ainsi que lon devient cratif. Mais un esprit encom

    br , empaquet dans des faits, dans des connaissances,est-il capable de recevoir ce qui est neuf, soudain, spontan ? Si votre esprit est encombr de choses connues, reste-t-il de la place en lui, pour recevoir quelque chose quiappartienne linconnu? Les connaissances'sont toujours,videmment, du domaine du connu; et, avec le connu,nous essayons de comprendre ce qui est inconnu, ce quiest au-del de toute mesure.

    Si vous voulez bien que nous prenions, par exemple,un fait banal qui se produit chez la plupart dentre nous :les esprits religieux quel que soit, pour le moment, lesens de ce mot essayent d imaginer ce quest Dieu,ou essayent de penser ce quest Dieu. Us ont lu dinnom

    brables livres, ils ont lu des dtails sur les expriences dediffrents saints, de Matres, de Mahatmas, et sur toutle reste; et ils sefforcent dimaginer, ou de ressentir ce

    quest lexprience dun autre. En dautres termes, ilssefforcent de se rapprocher de linconnu au moyen duconnu. Mais peut-on faire cela? Peut-on penser ce quinest pas connaissable? On ne peut penser qu quelquechose que lon connat. Mais il se produit en ce moment,dans le monde, cette ex traordina ire perversion : nouscroyons que nous comprendrons si nous avons plus dinformations, plus de livres, plus de faits, plus de matireimprime.

    Mais pour tre conscient de quelque chose qui nestpas une projection du connu, il faut que se produise unelimination, par la comprhension du processus du connu.Po urq uoi lesprit sagrippe-t-il toujours au connu? N est-ce

    point parce quil est constamment en qute de certitude,de scurit? Sa nature mme est fixe dans le connu, dans

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    la dure. Et, un tel esprit, dont toute la fondation reposesur le pass, sur le temps, comment peut-il vivre lintem

    porel? Il peut concevoir, formuler, dpeindre linconnu,mais tout cela est absurde. L inconnu ne peut entrer enexistence que lorsque le connu est compris, dissous, misde ct. E t cela est extrmement difficile, car ds l instantque nous vivons quelque chose, lesprit traduit cette exprience dans les termes du connu et la rduit du pass.Je ne sais pas si vous avez remarqu que toute expriencevcue est immdiatement traduite en connu, nomme, enre

    gistre, catalogue. Donc, le mouvement du connu est lesavoir. Et il est vident que ce savoir, que ces connaissances, sont un obstacle.

    Supposez que vous nayez jamais lu un seul livre dereligion ou de psychologie et que vous vouliez trouver lesens, la signification de la vie. Comment vous y prendriez-vous? Supposez quil ny ait pas de Matres, pas dorganisations religieuses, pas de Bouddha, pas de Christ, et

    que vous ayez commencer par le commencement. Comment vous y prendriez-vous? Tout dabord, il vous faudrait comprendre le processus de votre pense, nest-ce

    pas? E t ne pas vous projeter vous-mme par la pensedans le futur, ne pas crer un Dieu qui vous fasse plaisir.Cela serait par trop puril. Donc, tout dabord, vousdevriez comprendre le processus de votre pense. Il est

    bien vident, nest-ce pas, que cest l le seul moyen dedcouvrir quoi que ce soit de nouveau.

    Lorsque nous disons que le savoir et les connaissancessont des obstacles, des entraves, il est entendu que nousne parlons pas des connaissances techniques, de la faonde conduire une auto ou de manipuler des machines, oude lefficience qui rsulte de ces connaissances. Nous parlons de tout autre chose : de ce sens de flicit crative

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    lexprience se produit par contacts, par sensations, pardsirs. Cette exprience laisse un rsidu que nous appelons

    mmoire, qui se compose de souvenirs plaisants oudplaisants, profitables ou non. De ce rsidu nat uneraction, une rponse que nous appelons pense, conditionne selon diffrentes influences dues au milieu, et ainside suite. Vous voyez que nos facults mentales et nonseulement les couches extrieures de la conscience, maisle processus dans sa totalit sont le rsidu du pass.A prs tout, vous et moi sommes le rsultat du pass. L en

    semble de notre processus conscient qui vit, qui pense, quisent, est ax sur le pass. Or, pour la plupart, nousvivons aux niveaux les plus en surface de notre conscience.L nous sommes actifs, l nous avons nos problmes, nosinnombrables querelles, nos questions quotidiennes, et aveccela, nous sommes satisfaits. Mais ce qui est en surface,ce peu de conscience qui se montre, nest videmment pastout le contenu de la conscience. Pour comprendre tout

    ce contenu, la pense superficielle doit se taire, ne serait-ceque quelques minutes, quelques secondes. C est alors quildevient possible de recevoir ce qui est inconnu.

    Or, si la pense nest quune raction, une rponse dupass, son processus ne doit-il pas cesser en faveur duneuf? Si la pense est le rsultat du temps et elle lest et si nous voulons tre mme de recevoir les transmissions de lintemporel, de ce que nous ne connaissons pas,le processus de la pense doit prendre fin, nest-ce pas? Pour recevoir quelque chose de neuf, lancien doit cesser.Si vous voulez comprendre un tableau moderne, vous ne

    pouvez pas laborder d un point de vue acadmique : vousdevrez mettre ce point de vue de ct, ne serait-ce que

    pour quelques instants. D e mme, si vous voulez comprendre ce qui est neuf, intemporel, votre esprit, linstru

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    ment de votre pense, qui est le rsidu du pass, doitprendre fin. M ettre fin sa propre pense peut sembler

    une entreprise assez extravagante. On ny parvient pas parune discipline, ni par ce que lon appelle en gnral mditation. Nous examinerons plus tard, dans les semainesqui suivront, ce quest la vraie mditation, mais nous pouvons dj voir que toute action de la part de lesprit pourmettre fin lui-mme est encore un processus de pense.

    Ainsi ce problme est rellement trs ardu et trs subtil.Car il ne peut y avoir de bonheur, il ne peut y avoir de

    joie, de flicit, sans renouveau crateur. E t ce renouveaune peut avoir lieu tant que lesprit se projette constammentdans le futur, dans le lendemain, dans le proche instant.Et comme cest de cela, dont il ne cesse de soccuper, nousne sommes pas cratifs. Nous pouvons faire des enfants,mais ne sagit-il pas plutt dtre intrieurement cratifs,davoir cet extraordinaire sens du renouveau dans lequelest une constante fracheur, do lintellect est totalement

    absent. Ce sens cratif ne peut se produire si lesprit seprojette constamment dans le fu tur, dans le lendemain.Voil pourquoi il est important de comprendre tout le

    processus de la pense. Si vous ne le comprenez pas avec toutes ses subtilits, ses varits, ses profondeurs vous ne pouvez pas avoir de vrais rapports humains. Il nesert rien de discourir ce sujet, il vous faut cesser de

    penser, bien que cela puisse vous sembler extravagant.

    Pour avoir ce renouveau, cette fracheur, ce sens extraordinaire de communion, lesprit doit se comprendre lui-mme. Et cest pourquoi il est important que la connaissance de soi slargisse et sapprofondisse.

    QUESTION. Je reconnais que les connaissances nem ont pas apport le bonheur. J essaie maintenant d tre

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    rceptif, intuitif, et d'couter les missions de mon mondeintrieur. Suis-je sur la bonne piste?

    Kr i s HNAMURTI. P our comprendre cette question,il nous faut comprendre ce que nous entendons par conscience, car ce que vous appelez intuition pourrait ntreque la projection de votre propre dsir. Tant de personnesdisent par exemple : Je crois la rincarnation, je sensque cela existe, mon intuition me le dit. Mais il est clairquelles nexpriment ainsi que leur dsir de se prolonger,de continuer durer. Elles sont si effrayes par la mort,quelles veulent se persuader qu'il y aura une autre vie,de nouvelles possibilits et ainsi de suite. A lors, intuitivement , elles sentent que tout cela est vrai. Donc pourcomprendre cette question, nous devons comprendre ceque vous entendez par monde extrieur et monde intrieur.Est-il possible de recevoir des missions du monde intrieur, lorsquon est sans cesse la recherche dun but,lorsquon veut accomplir ou cultiver quelque chose, lorsquon dsire le bonheur? Pour que lon soit mme derecevoir les missions de lintrieur, lesprit, la facult intellectuelle de surface, doit tre compltement dbarrass deses complications, de ses prjugs, de ses apptits, de sonnationalisme, sans quoi vos missions intrieures ferontde vous le plus acharn des nationalistes et la terreur devotre entourage.

    La question est donc : est-il possible de recevoir les

    missions de ce qui est inconnu, sans les dformer, sansles couler dans le moule dune pense conditionne? Pourexaminer cette question, il nous faut nous demander cequest la conscience. Quentendons-nous par conscience?Quel est ce processus? Quand dites-vous que vous tesconscients? V ous dites je suis conscient lorsque vous

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    vivez une exprience, nest-ce pas? Lorsquil y a exprience quelle soit agrable ou dsagrable, peu impor

    te il y a perception du fait que lon est conscient decette exprience. L tape suivante est que vous donnez unnom cette perception : vous la dfinissez. Vous dites :ceci est agrable, cela est dp laisant, de ceci je me souviens,de cela je nai pas de mmoire. Ainsi vous lui donnez unnom. Et ensuite, que faites-vous? Vous lenregistrez. Parle seul fait de lui donner un nom, vous lenregistrez...suivez-vous ce que je dis, ou est-ce que cela ressemble trop

    un prche du dimanche? (Rires.)Donc, il ny a conscience que lorsquil y a exprience,appe llation et enregistrement. N acceptez pas ce que jedis : observez-le en vous-mmes et vous verrez que cestainsi que cela opre. Cel^ a lieu tous les niveaux de laconscience, tout le temps, consciemment ou inconsciemment. Et, aux niveaux les plus profonds, ce processus est peu prs instantan, tout comme aux niveaux les plus en

    surface; mais la diffrence est quau niveau superficiel ily a choix, on choisit tandis quaux niveaux plus tendus etplus profonds, il y a admission sans choix. E t la pensede surface, la pense superficielle, ne peut recevoir cemessage que lorsquelle cesse de nommer, de dfinir, denreg istre r ce qui arrive lorsque le problme est beaucouptrop grand, beaucoup trop difficile. Vous essayez dersoudre un problme, et il ny a pas de rponse. Alorsvous labandonnez. Ds que vous labandonnez, il y a unerponse, il y a un message, car lesprit, lesprit conscient,ne lutte plus, nessaie plus de trouver une rponse. Il estsilencieux. Son puisement mme est une faon d tablirce silence, de faon que lesprit puisse capter une transmission. Mais, les soi-disant intuitions quont la plupartdes personnes ne sont que les fausses ralisations de leurs

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    dsirs. Voil pourquoi il y a tant de guerres, tant decroyances organises, dantagonismes, de querelles. Car

    chacun simagine que son intuition est si vraie que,pour elle, il est dispos mourir ou maltra iter les autres.Je regrette de dire que la personne qui croit suivre son

    intuition est videmment sur une fausse piste, ca r pour -comprendre tout cela, il faut transcender la raison. Et pourtranscender la raison, il faut dabord savoir en quoi consiste le processus du raisonnement. On ne peut pas allerau del de ce que lon ne connat pas, on doit dabord

    savoir ce que cette chose est. On doit comprendre toutela signification de la raison, comment on y pntre, commenton raisonne on ne peut pas sauter par-dessus. C ela neveut pas dire quil faille avoir un cerveau trs habile, treun savant, un rudit. Cela exige une honntet de pense,le dsir dtre ouvert, dinviter ce qui est, sans craindrede souffrir. Alors la barrire entre lextrieur et lintrieurest inexistante. L intrieur, alors est lextrieur, et lex

    trieur est lintrieur. M ais pour avoir cette intgrationil faut comprendre le processus de la pense.

    QUESTION. Veuillez, je vous prie, expliquer clairement le rle de la mmoire dans notre vie. Vous semblezdistinguer deux formes de mmoire. M ais, en fait, n y a-t-il pas que de la mmoire, qui est le seul instrument denotre conscience, et qui nous permet de percevoir le tempset lespace? Pouvons-nous donc nous dispenser de mmoire

    ainsi que vous le proposez?

    Kr i s h n a m u r t i . Explorons cette question nouveau. Oublions ce qui a t dit jusquici, et essayons de leredcouvrir. Nous avons dit ce matin que la pense estun rsultat du pass, ce qui est vident. Que cela vous

    plaise ou non, il en est ainsi. L a pense est base sur le

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    pass. Il ne peut y avoir de pense si lon nest pas conscient, et, ainsi que je lai dit, la conscience est un processus

    qui consiste vivre une exprience et la nommer, ce quiveut dire enregistrer. C est cela que vous faites tout letemps. Si vous voyez ceci (montrant un arbre) vous lappelez arbre , vous lui donnez son nom, et vous croyez avoireu une exprience. Ce processus fait partie de la mmoire,nest-ce pas ? Et cest l une faon trs commode de passer travers lexprience. Vous croyez entrer en contact avecune chose en la nommant. Vous mappelez Hindou et vous

    croyez avoir compris tous les Hindous. Je vous appelleAmricains et je suis quitte. Ainsi, nous croyons avoircompris une chose en lui donnant un nom. Nous la nommons afin de la reconnatre, en tant quespce, en tantque ceci ou cela; mais ce nest pas la comprendre, lprouver par exprience. Nous agissons ainsi par nonchalance :il est si facile de se dbarrasser des gens en leur accolantun nom!

    Ainsi, ce processus de lexprience, qui est contacts,sensations, dsirs, prises de conscience, identifications etexpriences, ce processus qui comporte des appellations estconsidr comme tant la conscience, nest-ce pas? Une

    partie de cette conscience est veille et lautre sommeille.L esprit conscient, la conscience de tous les jours, la par tiesuprieure de lesprit est veille. Le reste sommeille, maislorsque nous dormons, la partie consciente, affleurante delesprit, est silencieuse; elle est par consquent capable derecevoir des suggestions ou des ordres, traduits en rves,qui ncessitent toutefois des interprtations. Or, la personnequi ma pos cette question dsire savoir ce que nousentendons par mmoire, quelle est sa fonction et si nouspouvons nous en dbarrasser. M ais la question est enralit : quelle est la fonction de la pense? La mmoire

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    na aucune fonction en dehors de la pense. Donc cestla fonction de la pense quil faut examiner. La pense

    peut-elle tre fragmente? E t peut-on sen dfaire?Nous disons que la pense est une raction, une rponse

    de la mmoire, ce qui est exact. Et la mmoire est unensemble dexpriences incompltes, auxquelles on a misdes noms et sur lesquelles on revient en vue de se protgersoi-mme, etc, etc... Donc, si la pense est le rsultat dela mmoire, quelle est sa fonction dans notre vie? A quelmoment nous servons-nous de la pense?... Je me demande

    si vous vous tes jamais pos ces questions. Vous vousservez de votre pense lorsque vous voulez rentrer chezvous, nest-ce pas? Vous pensez au chemin que vous prendrez. V oil une forme de pense. A quel moment votre

    pense fonctionne-t-elle? Lorsque vous tes en train devous protger; lorsque vous tes la recherche dunescurit : conomique, sociale, psychologique ; lorsque vouscherchez vous sauvegarder. En somme, la pense fonc

    tionne ds quil y a un besoin urgent de se protger. Maislorsque vous tes charitable, affectueux, lorsque vousaimez, est-ce un processus de pense? Cen est un, si vousvous servez de votre amour pour vous agrandir, pour vousenrichir, mais alors ce nest plus de lamour. La pense semet fonctionner aussitt quil y a de la peur, lorsquona le dsir de possder, lorsquil y a conflit, en dautrestermes, lorsque le moi, le soi, devient important. Car, aprs

    tout, cest moi que la pense sintresse. Lorsque le je,le moi, prdomine, la pense, en tant quauto-protection semet fonctionner. Autrement vous ne pensez pas, voustes inconscient du fonctionnement de votre pense. Cenest quau cours d un conflit que vous* tes conscient duprocessus de votre pense qui cherche pro tger ou rejeter, accepter ou nier.

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    Vous voulez savoir quel est le rle que joue la mmoiredans notre vie. Si nous comprenons que le processus de la

    pense ne commence que lorsque le moi devient importantet que le moi nest important que lorsquil dsire se sauvegarder, nous verrons que nous passons la plus grande partie de notre vie nous sauvegarder. Donc la pense joueun trs grand rle dans notre vie, parce que la plupartdentre nous sont proccups deux-mmes. La plupartdentre nous se proccupent de savoir comment se protger,comment acqurir, comment parvenir, comment accomplir,comment devenir parfaits, comment possder telle ou tellevertu, comment liminer, comment refuser, comment tredtachs, comment trouver le bonheur, comment tre plusbeaux, comment aimer, comment tre aims vous savez quel point nous nous intressons nous-mmes.

    Ainsi, nous nous consumons dans le processus de lapense. Nous sommes le processus de la pense. Nousne sommes pas spars de la pense. E t la pense est mmoire. Elle exprime notre dsir de devenir quelque chose

    de plus que ce que nous sommes. Lorsquexiste en nouscette aspiration de devenir le plus, ou le moins, le positifou le ngatif, le processus de la pense doit forcmententrer en jeu. Mais ce processus na pas lieu dexisterlorsque nous nous livrons la constatation de ce qui est.Un fait nexige pas un processus de pense. Mais si vousvoulez viter un fait, le processus de la pense commence.Si jaccepte le fait que je suis ce que je suis, la pense

    nest pas; cest autre chose qui se produit; un tout autreprocessus, qui nest pas celui de la pense, entre en existence. Mais tant quexiste le dsir du plus ou du moins,il faut quil y ait pense, il faut quil y ait le processusde la mmoire. Aprs tout, si vous voulez devenir riche,ou puissant, ou populaire, ou saint, si vous voulez devenir

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    quelque chose, il vous faut de la mmoire. Il vous fautconstamment penser ce que vous voulez devenir; lesprit

    saiguise cet effet.Et quel est le rle de ce devenir dans votre vie? Il estcertain que tan t que nous voulons tre quelque chose,il y a conflit. Tant que notre dsir, notre aspiration, notre

    poursuite, nous poussent tre le plus ou le moins le positif ou le ngatif il y a ncessairement lutte,antagonisme. Mais il est extrmement ardu, extrmementdifficile de ne pas tre le plus ou le moins. Verbalementvous pouvez rejeter votre moi et dire : Je ne suis personne , mais se comporter ainsi cest vivre un simpleniveau verbal, qui na pas de valeur; cest tre cervel.Voil pourquoi il nous faut comprendre le processus dela pense qui est la conscience : cest--dire tout le pro

    blme du Temps, de hier, de dem ain. L homme qui estpris dans lhier ne peut jamais comprendre ce qui estintemporel. Et la plupart dentre nous sont pris dans lefilet du temps. Notre pense est foncirement prise au filetdu temps. E lle est le filet du temps. E t cest avecce processus duqu , cultiv, aiguis, rendu peran tet subtil que nous voulons dcouvrir le transcendant.

    Nous allons chez un instructeur, puis, chez un autre,nous allons dun Matre un autre. Notre esprit saiguise leur contact, et, de ce fait, espre trouver ce qui estau del. Mais la pense ne peut jamais trouver ce quiest au del, car la pense est le rsultat du Temps, et

    ce qui appartient au connu ne peut pas recevoir linconnu. Par consquent, lhomme qui est emptr dans leconnu nest jamais cratif. Il peut avoir des moments decration. Cela peut arriver quelques peintres, musiciensou crivains; mais ils se laissent prendre par le connu

    par la clbrit, largent, par cent autres choses et

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    sont alors perclus. E t voil pourquoi ceux qui essaient dese comprendre non pas de se trouver , ce qui est

    une erreur, car trouver est impossible doivent cesserde chercher. Tout ce que vous pouvez faire, cest vouscomprendre vous-mmes, comprendre les enchevtrements,lextraordinaire subtilit de votre pense et de votre tre.Cela ne peut tre compris que dans nos rapports, qui sontaction. Et cette action est nie lorsque nos rapports sont

    bass su r une ide, car ces rapports ne sont alors qu uneactivit et non de laction. L activit ne fait qu mousser

    lesprit et le cur; ce nest que laction qui rend lespritvif et le cur subtil, de telle faon quils soient rceptifs,sensitifs. Voil pourquoi il est important de se connatresoi-mme avant dtre des chercheurs. Si vous cherchez,vous trouverez, mais ce ne sera pas la vrit. Cette frnsie,cette peur, cette anxit darriver, de chercher, de trouver,doit cesser; et alors, avec la connaissance de soi, toujourslargie et approfondie, survient un sens de la ralit qui

    ne peut pas tre invit. Il entre en existence, et ce nestqualors que survient la flicit crative.

    17 juillet 1949.

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    I l l

    AMEDI et dimanche derniers, nous avons parl de lim-

    portance de la connaissance de soi; car, ainsi que jelai expliqu, je ne vois pas comment nous pourrions avoirune base pour une pense juste sans connaissance de soi, nicomment une action collective ou individuelle quelque vaste que serait son champ, pourrait tre harmonieuseet vraie, si lon ne se comprend pas soi-mme. Si lon nese connat pas soi-mme, on na aucune possibilit derellement dcouvrir ce qui est vrai, ce qui est valable, ceque sont les valeurs relles dans nos vies. Sans connaissance de soi, nous ne pouvons pas aller au del des illusions, des projections de nos esprits. La connaissance desoi implique non seulement nos rapports mutuels en acte,mais aussi nos rapports avec la socit. Il ne peut existerde socit complte, harmonieuse, sans cette connaissance.Il est donc rellement trs important que lon se connaissesoi-mme aussi pleinement et compltement que possible.Mais, peut-on connatre intgralement (non partiellementle processus total de soi-mme? Car si lon ne se connat

    pas, on na pas de base pour penser, on se laisse prendredans des illusions politiques, religieuses, sociales : ellessont sans limite, sans fin. Est-il possible de se connatre?et comment y parvient-on? Q uels sont les moyens, les voies,les processus, de la connaissance de soi?

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    Je pense que pour trouver les voies, on doit daborddcouvrir les obstacles. En tudiant ce que nous consid

    rons comme important dans la vie, ce que nous avonsaccept, les valeurs, les exemples, les croyances, en examinant les choses innombrables auxquelles nous tenons, peut-tre dcouvrirons-nous la dmarche de notre pense, ce quinous permettra de nous connatre nous-mmes. En com

    prenant les choses que nous acceptons, en les mettant endoute, en les pntrant, le dveloppement mme de cetexamen nous rvlera nos penses, nos ractions et nos

    rponses travers lesquelles nous nous connatrons telsque nous sommes. Il est bien certain que ce moyen est leseul que nous ayons pour dcouvrir notre faon de penseret nos ractions : il nous faut tudier, examiner fond lesvaleurs, les critriums, les croyances que nous avons accepts pendant des gnrations. En regardant au del de cesvaleurs, nous saurons comment nous y rpondons, quellessont nos ractions pa r rapport elles et nous pourrons ainsi,

    peut-tre, mettre nu la dmarche de notre pense. E ndautres termes, se connatre cest tudier les rponses, lesractions que nous avons dans nos relations avec le monde.On ne peut pas se connatre dans lisolement. Ce fait estvident. On peut se retirer sur une montagne, dans unecave, ou poursuivre quelque illusion sur les bords dunfleuve, mais si lon sisole il ny a plus de contact : lisolement est une mort. Ce nest que dans nos rapports que nous

    pouvons nous connatre tels que nous sommes. E n tudiantles choses que nous avons acceptes, en y pntrant profondment, non superficiellement, peut-tre pourrons-nousnous comprendre nous-mmes.

    Parmi les choses que nous acceptons avec le plus dempressement et que nous trouvons tout fa it naturelles, sontles croyances. Je ne mattaque pas elles : ce que nous

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    essayons de faire ce soir cest de comprendre pourquoinous acceptons les croyances. Et si nous pouvons com

    prendre nos motifs, les causes de notre acceptation, peut-tre pourrons-nous, non seulement comprendre pourquoinous avons besoin de croyances, mais aussi nous en librer.En effet, chacun peut voir comment les croyances politiques et religieuses et nationales, et toutes les autresformes de croyances sparent les hommes, crent desconflits, de la confusion, des antagonismes (ce qui est unfait vident) et pourtant, nous ne voulons pas y renoncer.

    Il y a une croyance hindoue, une croyance chrtienne,bouddhiste, d innombrables croyances sectaires et nationales, des idologies politiques, toutes luttant les unescontre les autres, et cherchant se convertir lune lautre.Chacun peut constater que les croyances sparent leshommes en crant lintolrance; mais est-il possible devivre sans croyances? On ne peut trouver la rponse cette question quen studiant soi-mme, dans les rapportsque lon entretient avec ses propres croyances. Il ne sagit

    pas de changer de croyance, de substituer lune lautre,mais d tre entirement libre de toutes les croyances,de faon aborder la vie dans la nouveaut de chaqueinstant. Cest cela la vrit, aprs tout : avoir la capacit d aborder tout neuf, d instant en instant, sans lesconditionnements, les ractions du pass, de sorte quilny ait pas deffet cumulatif qui agisse comme barrireentre nous et ce qui est.

    Il est bien vident que la plupart dentre nous acceptentou adoptent des croyances, tout dabord, par peur. Noussentons que si nous nen avions pas, nous serions perdus.Alors nous faisons de la croyance un modle pour notreconduite, une image imiter, conformment laquellenous dirigeons nos vies. N ous pensons aussi que la croyance

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    sert de base une action collective; mais est-elle ncessaire laction? En dautres termes, la croyance tant une

    ide, est-ce que lidation est ncessaire laction? L ideprcde-t-e lle laction ou est-ce le contraire? Srement, ily a dabord laction qui est agrable ou douloureuse et,conformment elle, nous construisons diffrentes thories.L action, invariablement, se produit d abord , nest-ce pas?Et, lorsquil y a de la peur, lorsquil y a le dsir de croireen vue dagir, lidation intervient.

    Si vous y rflchissez, vous verrez quune des raisons

    qua le dsir daccepter une croyance est la peur. Car, sinous navions pas de croyances, que nous arriverait-il?N e serions-nous pas trs effrays de ce qui pourrait arriver?Si nous navions aucun modle de conduite, bas sur unecroyance il importe peu que ce soit D ieu, le communisme, le socialisme, limprialisme ou en quelconque formule religieuse, ou un dogme, qui nous conditionne nous nous sentirions compltement gars, nest-ce pas? Et

    cette acceptation dune croyance, nest-elle pas le camouflage dune peur de la peur de n tre rien, d tre vide?Aprs tout, un rcipient nest utile que lorsquil est vide;et un esprit rempli de croyances, avec ses dogmes, sesaffirmations, ses citations, est strile, il nest que rptitif.Et la fuite devant cette peur, cette peur du vide, de lasolitude, de la stagnation, cette peur de ne pas arriver,de ne pas parvenir, de ne pas accomplir, de ne pas tre

    quelque chose, de ne pas devenir quelque chose estcertainement une des raisons pour lesquelles nous acceptons des croyances avec tant de fbrilit et davidit. Et,

    par lacceptation d une croyance, nous comprenons-nousnous-mmes? A u contraire, une croyance, religieuse ou

    politique, nous em pche de nous connatre. E lle agitcomme un cran travers lequel nous nous regardons.

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    Et pouvons-nous nous regarder sans croyances? Si nousretirons ces nombreuses croyances que nous avons, reste-t-il

    encore quelque chose regarder? Lorsque nous navonspas de croyances avec lesquelles lesprit sest identifi,lesprit sans identifications est capable de se regarder telquil est, et cest le commencement de la connaissance desoi. Si lon a peur, si Ton a en soi une peur camoufle etsi en comprenant les croyances, on se trouve face faceavec la peur, sans lcran de la croyance, nest-il pas possible de se librer de cette raction de la peur? De savoir

    que lon a peur et de demeurer l, sans svader? E treavec ce qui est l, est certainement plus rempli de sens,plus valable , que fuir ce qui est, au moyen d une croyance.

    Ainsi, nous commenons voir quil y a diffrentesformes dvasions hors de nous-mmes, de notre vide, denotre pauvret d tre des vasions telles que le savoir,les amusements, les drogues, les habitudes, les distractions,savantes ou stupides, habiles ou maladroites. Nous en

    sommes entours, nous sommes ces vasions. E t silesprit peut voir la signification de ces choses auxquellesil est retenu, peut-tre serons-nous face face avec ce quenous sommes, quoi que nous soyons. Je pense que dslinstant o nous pouvons faire cela, il se produit une relletransformation. Car alors, il nest pas question de peur :la peur nexiste que par rapport quelque chose. Lorsquily a vous, et autre chose avec quoi vous tes en relation etlorsque vous naimez pas cette chose et que vous essayezde l viter, il y a de la peur. M ais lorsque vous tes cette chose, il nest pas question de lviter. Un fait nengendre la peur que lorsque nous lui prsentons une ractionmotionnelle. Lorsquun fait est approch tel quil est, ilny a pas de peur. Lorsque ce que nous appelons peurnest plus nomm, mais regard seulement, sans quaucun

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    croyances nest pas calme, il est stagnant. Mais celui quicomprend ses rapports avec les valeurs qui lentourent

    qui nimpose pas des valeurs, mais qui comprend ce quiest un tel esprit devient calme, est calme. Celanest pas une question de devenir. Ce nest qualors, videmment, que lesprit est capable de percevoir ce qui estrel, de moment en moment. La ralit nest pas un terme,une fin, le rsultat dune action accumulative. La ralitne peut tre perue que dinstant en instant, et elle ne peuttre perue que lorsquil ny a pas deffet accumulatif du

    pass sur linstant, sur le maintenant.J ai reu beaucoup de questions et rpondrai quelques-unes dentre elles.

    Q u e s t i o n . Pourquoi parlez-vous?

    Kr i s HNAMURTI. Je crois quil est trs intressantque je rponde cette question, et aussi que vous yrpondiez. Il ne sagit pas seulement de savoir pourquoi je pa rle , mais pourquoi vous coutez : srieuse

    ment si je parlais pour mexprimer moi-mme je serais entrain de vous exploiter. Si parler est pour moi une ncessit en vue de me sentir flatt, gocentrique, affirmatif,agressif, etc..., je dois me servir de vous; alors vous etmoi navons aucune relation, car vous tes une ncessit

    pour mon gotisme. J ai besoin de vous, pour me soutenir,menfler, pour me sentir riche, libre, applaudi, pour que

    beaucoup de personnes viennent mcouter. A lo rs je mesers de vous, un homme utilise un autre homme et il ny al aucune relation entre vous et moi, parce que vous mtesutile. Lorsque je me sers de vous, quel rapport ai-je avecvous? Aucun. Et si je parle parce que jai diverses sriesdides que je veux vous transmettre, les ides deviennent

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    trs importantes. Or, je ne crois pas que des ides pro-duisent jamais un changement fondamental, radical, une

    rvolution dans la vie. Des ides ne peuvent jamais treneuves. Elles ne peuvent jamais engendrer une transformation, une ncessit crative, car les ides ne sont que larponse, la raction dun pass prolong, modifi, ou transform, qui est encore du pass. Si je parle parce que jeveux que vous changiez, ou que vous acceptiez ma faonparticulire de penser, ou que vous apparteniez mongroupe, ou deveniez mes disciples, vous, en tant quindi

    vidus, tes des non-entits, car je ne moccupe que devous transformer selon un certain point de vue. Alors vous ntes pas importants, c est le modle qui estimportant.

    Donc, pourquoi est-ce que je parle? Si ce nest pouraucune de ces raisons, pourquoi est-ce que je parle? Nousrpondrons cela tout lheure. Car, la question estaussi : pourquoi coutez-vous? Cela nest-il pas important galement? Si vous coutez pour acqurir quelquesnouvelles ides, ou une nouvelle faon de considrer lavie, vous serez dus, car je ne vous donnerai aucuneide nouvelle. Si vous coutez pour prouver quelquechose que jai vcu, moi, vous ne faites quimiter en esprant capturer quelque chose que vous croyez que je possde. Les choses relles de la vie ne peuvent certes pastre vcues par procuration. Ou, peut-tre tes-vous endifficult, dans le chagrin, dans la douleur, et vous venez

    ici pour savoir comment sortir de vos innombrables conflits.L encore, je crains de ne pouvoir vous aider. Tout ceque je puis faire moi c est mettre le doigt sur vos

    propres difficults, et nous pouvons ensuite en parle r lesuns avec les autres, mais cest vous quil appartient devoir. Il est donc trs important que vous dcouvriez par

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    vous-mmes pourquoi vous venez ici couter. Car si vousavez un but, une intention, et moi une autre, nous ne

    nous rencontrerons jamais. Sil en est ainsi, il ny a aucunerelation entre vous et moi, il ny a pas de communion.Vous voulez aller au nord, je veux aller au sud, donc nousnous manquerons. Mais, certes, telle nest pas lintentionde ces runions. Ce que nous tentons de faire, cest entre

    prendre un voyage ensemble et vivre, prouver ensemble,au fur et mesure que nous allons. Ce que je fais nest pasenseigner, ce que vous faites nest pas couter, mais nousexplorons, si cest possible, ensemble, afin que vous nesoyez pas seulement le matre mais aussi le disciple dansla dcouverte et la comprhension. Alors, il ny a pas dedivision entre le haut et le bas, entre celui qui sait etlignorant, entre celui qui a atteint et celui qui est encoresur la voie de la ralisation. De telles divisions dformentles rapports entre les personnes, et si lon ne comprend

    pas ces rapports, on ne peut pas comprendre la ralit.Je vous ai dit pourquoi je parle. Peut-tre penserez-

    vous que jai besoin de vous pour me dcouvrir moi-mme,mais vous seriez dans lerreur. Jai quelque chose dire,que vous pouvez prendre ou laisser. Ce nest pas de moique vous pourrez acqurir quoique ce soit. Je nagis quecomme un miroir dans lequel vous vous voyez vous-mmes.Vous pouvez ne pas aimer ce miroir, et le rejeter. Maissil vous arrive vraiment de regarder dedans, faites-le clairement, sans motion, sans le voile de la sentimentalit.

    Et il est important, nest-ce pas, de savoir pourquoi vousvenez mcouter. Si vous ne venez ici que pour vous distraire une aprs-midi au lieu daller au cinma, cela naabsolument aucune valeur. Si vous venez pour vous livrer des argumentations, ou pour vous emparer de nouvellesides en vue de les utiliser, pour des confrences, pour des

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    livres que vous crirez, pour des discussions, cela aussiest sans valeur. Mais si vous venez pour rellement vous

    dcouvrir vous-mmes au cours de nos relations mutuelles ce qui pourrait vous aider dans vos relations avec dautres alors cela a un sens, c est valable et ces runions neseront pas semblables tan t d autres auxquelles vous assistez. Celles-ci ne sont pas organises pour que vous mcou-tiez, mais pour que vous puissiez vous examiner dans lemiroir que j essaie de dcrire. V ous n tes pas tenus d accepter ce que je dis, ce serait absurde. Mais si vous regardez

    le miroir, sans passion, comme vous couteriez de la musiqueou comme, assis sous un arbre, vous observeriez les ombresdun soir, sans condamnation, sans aucune sorte de justification si simplement vous regard ez cetteconscience mme de ce qui est, produit quelque chosed extraord inaire, lorsquil ny a pas d e rsistance. E t cestcela que nous essayons de faire chacune de ces causeries.Ainsi, la vraie libert survient, mais non par leffort :

    leffort ne peut jamais engendrer la libert. L effort nepeut que provoquer des substitutions, des refoulements oudes sublimations; mais rien de tout cela nest la libert.La libert ne se produit que lorsquil ny a plus deffort

    pour tre quelque chose. A lo rs, la vrit de ce qui est , agit; et cest la libert.

    QUESTION. Y a-t-il une diffrence entre mon intention de vous couter et le fait de passer dun instructeur un autre?

    Kr i s h n a m u r t i . N est-ce pas vous quil appartient de le savoir? Pourquoi passez-vous dun instructeur lautre, dune organisation lautre, dune croyance lau tre? O u pourquoi tes-vous si confin dans les croyances

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    propres votre r lig ion? Pourquoi faites-vous cela? Cetteaffreuse agitation, ce dsir de trouver, existent non seu

    lement en Amrique, mais partout dans le monde. Pourquoi? Pensez-vous quen cherchant la vrit, vous latrouverez? Mais avant de chercher, ne faut-il pas tenirlinstrument de la recherche ? Il faut tre capable dechercher, et non pas seulement de sen aller la recherche.Pour chercher, pour avoir la capacit de chercher, il vousfaut vous comprendre, cest vident. Comment pouvez-vous chercher sans dabord vous comprendre, sans savoir

    que chercher, ni qui cherche? Des Hindo usviennent dans ce pays et dballent leur marchandise: cesyoguis, ces swamis, vous savez bien. Et vous, vous allezjusquen Asie pour prcher, pour convertir. Pourquoi?Ce monde serait heureux, sil ny avait ni instructeurs, nidisciples.

    En ralit, que cherchons-nous? Sommes-nous, peut-tre, dgots de tout, lasss de toute une catgorie decrmonies religieuses, de dogmes, de rituels, et allons-nous chercher ailleurs quelque chose de neuf, de plusexcitant des mots sanscrits, des hommes porteurs de

    barbes, habills de toges, et tout le reste? Est-ce cela laraison? Ou voulons-nous trouver un refuge, une vasion,dans le Bouddhisme ou lHindouisme, ou dans quelqueautre croyance religieuse organise? Ou sommes-nous la recherche dun plaisir? Il 'est trs difficile de se rendrecompte, dtre conscient de ce quon est en train de cher

    cher rellement; en effet, nous varions de priode enpriode, et lorsquenfin nous sommes blass, fatigus,malheureux, nous voulons quelque chose dultime, de durable, de final, d absolu. Bien rares sont les personnes cohrentes dans leur recherche, ou plutt dans leurs enqutes.La plupart dentre nous veulent des distractions. Si nous

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    sommes des intellectuels, nous voulons des distractionsintellectuelles, etc., etc...

    Est-il possible, en toute probit et authenticit, de comprendre par soi-mme ce que lon veut vraiment : nonpas ce que lon devra it avoir, ni ce que lon croit que lon devrait avoir, mais dcouvrir par soi-mme, lintrieur de soi-mme, ce que lon veut, en fait, ce quelon cherche si dsesprment? Et peut-on trouver, lorsquelon cherche? Certes, nous trouvons ce que nous cherchons;mais aussitt, ce que nous avons obtenu svanouit, se

    transforme en cendres. Donc, avant de partir la recherche, avant de recueillir ce que nous dsirons, il est important, nest-ce pas, de savoir qui est le chercheur et cequil cherche; car si le chercheur ne se comprend pas lui-mme, ce quil trouve nest que lauto-projection de sonillusion. E t sil est vrai q uil puisse vivre heureux danscette illusion le reste de sa vie, ce 6era toujours uneillusion.

    Donc, avant que vous ne cherchiez, avant que vous nepassiez d instructeur en instructeur, d organisation en organisation, de croyance en croyance, il est important desavoir qui est la personne qui cherche, et ce quelle cherche il ne sagit pas d aller vaguement de boutique en

    boutique avec lespoir de trouver le vtement quil faut.Ce qui est important, primordial, cest de vous connatre,non de vous en aller la dcouverte: ce qui ne veut pasdire quil vous faille devenir introvertis et viter touteaction. Ce serait dailleurs impossible, car vous ne pouvezvous connatre que dans vos relations mutuelles, non danslisolement. Donc, quelle diffrence y a-t-il entre votreintention de venir mcouter, et le fait daller chez unautre instructeur? Aucune, si vous ne venez que pourobtenir quelque chose pou r tre pacifis, rconforts.

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    pour recevoir de nouvelles ides, pour vous faire inscrire telle association, pour dmissionner de telle autre, ou

    Dieu sait quoi. Il ny a, ici, certes, aucun refuge, aucuneorganisation. Ici vous et moi, essayons de voir exactementce qui est , si nous le pouvons de nous voir nous-mmes tels que nous sommes ce qui est extrmementdifficile, parce que nous sommes si russ : vous connaissezles innombrables tours que nous nous jouons nous-mmes.Ici, nous essayons de nous mettre compltement nu etde nous voir tels que nous sommes. Cest cette dnudation

    qui engendre la sagesse; et cest cette sagesse qui donnele bonheur. Mais si votre intention est de trouver un rconfort, quelque chose qui vous cachera vous-mmes, quelque chose qui vous offrira une vasion, vous aurez certainement beaucoup de faons de vous satisfaire pa r lareligion, la politique, les distractions, les connaissances :vous connaissez toute la gamme. E t je ne vois pas comment une forme quelconque daccoutumance, de distraction,ou dvasion, quelle quagrable ou inconfortable quellesoit, laquelle vous vous empresseriez de vous ajuster

    parce quelle vous promettera it une rcompense la fin,pourrait engendrer cette connaissance de soi qui est siessentielle et qui seule confre une paix crative.

    QUESTION. N otr e esprit ne connat que le connu.Q u est-ce qui, en nous, nous pousse trouver l'inconnu,

    la ralit, Dieu?

    Kr i s h n a m URTI. Vraim ent, votre esprit aspire-t-il linconnu? Y a-t-il en nous une aspiration vers linconnu,la ralit, Dieu? Je vous prie dy penser srieusement.Cela nest pas une question thorique : essayons de dcou

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    la facult de penser. L esprit doit se connatre en tan t queconnu, car il na pas dalternative : on ne peut pas penser

    ce que lon ne connat pas ; on ne peu t penser q u ceque lon connat dj.N otre difficu lt est d viter que lesprit sapprofondisse

    dans le connu. A cet effet, il doit se comprendre lui-mmeet voir comment tout son mouvement mane du pass et

    projette la pense travers le prsent, dans le fu tur. C estun continuel mouvement du connu ; et ce mouvement peut-il

    parvenir une fin? Il ne le peut que lorsque le mcanisme

    de son propre processus est compris, lorsque lesprit apntr le sens de ses oeuvres, de ses voies, de ses buts, deses poursuites, d e ses exigences non seulement de sesdsirs fleur de conscience, mais de ses aspirations profondes. Cette tche est trs ardue, et ce nest pas au coursd une runion ou d une confrence, ou en lisant un livreque vous laccomplirez. A u contraire, cette ralisationexige une constante attention, la constante perception dechaque mouvement de la pense non seulement lorsquon est veill mais aussi pendant le sommeil. Cela doittre un processus total et non un processus partiel, spora-dique.

    E t aussi, il faut que lintention soit correcte, c est--dire que cesse la superstition qui nous fait croire que,intrieurement, nous voulons tous linconnu. C est une illusion de croire que nous sommes tous la recherche deDieu nous ne le sommes pas. L a lumire ne se cherche pas. Il y aura la lumire lorsque les tnbres neseront plus, et au moyen des tnbres, on ne peut pastrouver la lumire. Tout ce que nous pouvons faire, cestcarter les barrires qui crent les tnbres; et cette limination dp end de Fintention . Si vous liminez afinde voir la lumire vous nliminez rien du tout, vous ne

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    faites que substituer le mot lumire au mot tnbres. Mmelespoir de dpasser les tnbres est une vasion.

    Ainsi il nous fau t considrer, non pas ce qui nous pousse,mais pourquoi existent en nous une telle confusion, desconflits, des luttes, des antagonismes toutes ces stupidits de notre existence. Lorsque celles-ci ne sont plus, lalumire est , nous navons pas la chercher. Lorsquela stupidit a disparu, il y a intelligence. Mais la personnestupide qui essaye de devenir intelligente, est encore stu

    pide. Il est vident que la stupidit ne peut jamais tretransforme en sagesse. Lorsque cesse la stupidit, il y asagesse, intelligence, tandis que lhomme stupide qui essaiede devenir intelligent ny parvient videmment jamais.Pour savoir ce quest la stupidit, il faut lexaminer, non

    pas superficiellement, mais pleinement, compltement, profondment; il faut la pntrer dans toutes ses couchessuperposes; et lorsquil y a cessation de cette stupidit,il y a sagesse.

    Il est donc important de savoir, non pas sil y a quelquechose de plus, quelque chose de plus grand que le connu;mais ce qui, en nous, engendre la confusion, les guerres,les diffrences de classes, le snobisme, la poursuite de laclbrit, laccumulation de connaissances, lvasion parla musique, p ar lart, p ar mille moyens. Il est importantde voir ces vasions telles quelles sont, et de revenir nous-mmes tels que nous sommes. De l, nous pouvonsalors aller de lavant, car llimination du connu est rela

    tivement facile. Lorsque lesprit est silencieux, lorsquil nese projette plus dans le futur, dans le lendemain, dsirantquelque chose; lorsque lesprit est rellement tranquille,

    profondment en paix, linconnu entre en existence, nousnavons pas le chercher.Nous ne pouvons pas linviter.Ce que lon peut inviter ne peut tre que ce que l on con

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    nat. Vous ne pouvez pas inviter un hte inconnu, vousne pouvez inviter que celui que vous connaissez dj.

    Mais vous ne connaissez pas linconnu. Dieu, la ralit le nom importe peu doit venir, e t ne peut venir quelorsque le champ est adquat, lorsque le sol est labour.M ais si vous labourez afin que cela vienne vous nelaurez pas.

    Ainsi notre problme nest pas la recherche de linconnaissable, mais la comprhension du processus accumulatifde lesprit qui est toujours compos du connu. Et cest l

    une tche ardue, elle exige de lattention, une constantelucidit, dans laquelle il ny a aucune ide de distraction,d identification ou de condam nation ; il sagit d tre avec ce qui est . A lors seulement l esprit peu t treimmobile. Aucune dose de mditation, de discipline, nepeut calmer lesprit, dans le vrai sens de ce mot. Cenest que lorsque cessent les brises que le lac devient calme.O n ne peut pas rendre le lac calme. N otre tche nestpas de poursuivre linconnaissable, mais de comprendrela confusion, lagitation, la misre en nous-mmes ; et alorscette chose, obscurment, entre en existence en laquelle ily a de la joie.

    23 juillet 1949.

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    nimplique certainement pas une simplicit de ltre. Carle monde, tel quil est notre poque, tend nous imposer

    de plus en plus de choses, aussi bien intrieurement quextrieurement. Chaque jour la vie augmente en complexit.Et, pour nous en vader, nous essayons de renoncer auxobjets, de nous dtacher de nos autos, de nos maisons,des organisations, des cinmas, et des innombrabes faitset situations qui nous sont violemment imposs. Nouscroyons que la simplicit consiste se retirer de cetteconfusion. Un grand nombre de saints, un grand nombre

    dinstructeurs ont renonc au monde; mais il me semblequun tel renoncement, pratiqu par lun ou lautre dentrenous, ne rsoudrait pas le problme. Une simplicit fondamentale, relle, ne peut prendre naissance quintrieurem ent; et de l on arrive lexpression extrieure. Comment tre simple? Voil le problme, car la simplicitrend lindividu de plus en plus sensitif. Un esprit sensible,un cur sensible, sont essentiels, car ils sont alors capables

    de percevoir, de recevoir, avec vivacit.On ne peut tre intrieurement simple quen comprenant les innombrables entraves, attachements, peurs, danslesquels on est pris. M ais la p lupa rt d entre nous aiment tre retenus par des personnes, des possessions ou desides. Nous aimons tre des prisonniers. Intrieurementnous sommes des prisonniers, bien que nous puissionsassumer lapparence de la simplicit. Nous sommes pri

    sonniers de nos dsirs, de nos besoins, de nos idaux, denos innombrables justifications. Mais la simplicit ne peutpas tre trouve si lon n est pas libre intrieurement. Donccest l quelle doit commencer et non par les apparences.

    Nous avons vu hier aprs-midi comment on peut trelibr des croyances. Il se produit une extraordinairelibert, lorsque lon comprend tout le processus des

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    croyances, et pourquoi lesprit sattache lune delles.E t en cette libert, il y a simplicit, mais qui exige de

    lintelligence, et pour tre intelligent, on doit tre conscientdes entraves intrieures. Etre conscient, cest tre constamment sur le qui-vive, ne pas tre tabli dans une ornire,dans un moule particulier de pense ou daction. Car,aprs tout, ce que lon est, intrieurement, affecte lextrieur. La socit, ou toute forme daction, est la projectionde nous-mmes. E t si nous ne nous transformons pas intrieurement, nous borner des lgislations a trs peu de

    valeur : ces actions peuvent provoquer certaines rformes,certains rajustements, mais ce que lon est intrieurement,finit toujours par dominer lextrieur. Si lon est avide,ambitieux, la poursuite dun idal, cette complexit finit

    par bouleverser, renverser la socit la plus soigneusementconstruite.

    Il nous faut donc commencer en nous-mmes, non parexclusion en rejetant lextrieur. Au contraire, on ne parvient au monde intrieur quen comprenant lextrieur : endcouvrant les effets sociaux des conflits, des luttes, desdouleurs. Au fur et mesure que nous explorons ces effets,nous parvenons, naturellement, aux tats psychologiquesqui les produisent. L expression apparen te nest qu uneindication de notre tat psychique. Mais pour comprendrecelui-ci, il faut lapprocher du dehors, travers ses effets.E t, en com prenant le monde intrieur non par exclusion, non en rejetant lextrieur, mais en le comprenant, cequi nous permet, pour ainsi dire, de rencontrer lepsychique nous verrons quau fur et mesure que nousexplorons les complexits de notre tre, nous devenonsde plus en plus sensitifs, plus libres. C est cette simplicitintrieure qui est si essentielle, puisquelle engendre la sensibilit. Un esprit qui nest pas sensitif, qui nest pas sur

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    le qui-vive, qui nest pas lucide, est incapable de rceptivit, daction crative. Voil pourquoi le conformisme, en

    tant que moyen de nous rendre simples, mousse en ralitlesprit et le cur, les rend insensibles. Toute forme autoritaire de contrainte, impose par un gouvernement, par nous-mmes, par lide dune perfection atteindre, etc. etc...tout conformisme a pour consquence linsensibilit et unmanque de simplicit intrieure. Le conformisme peut vousdonner lapparence de la simplicit, que possdent tantde personnes religieuses. Elles sexercent diffrentes dis

    ciplines, adhrent des organisations, mditent dune faonparticulire, et ainsi de suite, mais en dpit des rsultatsapparents, ces conformismes nengendrent pas la simplicit. Aucune contrainte daucune sorte ne peut lengendrer. Au contraire, plus vous refoulez, transfrez, sublimez, moins vous tes simples, tandis que plus vous comprenez les processus des refoulem ents, des transferts, dessublimations, plus est grande votre possibilit de le devenir.

    Nos problmes environnants sociaux, politiques,religieux sont si complexes que nous ne pouvons lesrsoudre quen devenan t simples et non en devenant extraordinairement rudits et habiles. Car une personne simplevoit plus directement, a une exprience plus directe quela personne complexe. Et nos esprits sont si encombrsdune infinie connaissance de faits, de ce que dautresont dit, que nous sommes devenus incapables dtre simpleset davoir une exprience directe. Ces problmes exigentune nouvelle approche; et ils ne peuvent tre ainsi approchs que lorsquon est simple, intrieurement, rellementsimple. Cette simplicit ne vient que par la connaissancede soi, par la comprhension de nous-mmes, du comportement de notre penser et de notre sentir, des mouvementsde nos penses et de nos ractions, de comment nous nous

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    conformons, par peur, lopinion publique, ce que dautres ont dit, ce que le Bouddha, le Christ, les grands

    saints ont dit tout cela indique que notre manire d treest de nous conformer, dtre labri, dtre en scurit.Et lorsque lon cherche la scurit, on est manifestementdans un tat de crainte, et par consquent, il ny a pasde simplicit.

    Si lon nest pas simple, on ne peut pas tre sensible :aux arbres, aux oiseaux, aux montagnes, au vent, toutce qui se passe autour de nous, dans le monde. On ne

    peut pas tre sensible aux messages intrieurs des choses.La plupart dentre nous vivent superficiellement, fleurde conscience; l, nous essayons dtre rflchis ou intelligents, ce qui est synonyme dtre religieux; l, nousessayons de rendre plus simples nos esprits, par la contrainte, par des disciplines. Mais la simplicit nest pascela. Lorsque nous forons les couches superficielles denotre esprit tre simples, une telle contrainte ne fait

    quendurcir lesprit, ne le rend pas souple, clair, rapide.Etre simples dans le processus total de notre conscienceest extrmement ardu. Il faut que ne demeure aucunerserve intrieure, il faut une grande intensit dans lexploration, dans linvestigation du processus de notre tre, cequi veut dire capter chaque message intrieur, entendrechaque suggestion, tre conscient de nos craintes, de nosespoirs, les rechercher attentivement, les suivre la trace,et en tre libres de plus en plus de plus en plus. Alorsseulement, lorsque lesprit et le cur sont rellement simples, non durcis, sommes-nous capables de rsoudre lesnombreux problmes qui nous affrontent.

    Les connaissances ne rsoudront pas nos problmes.Vous pouvez savoir, par exemple, que la rincarnationexiste, quil y a une continuit aprs la mort. Je veux dire

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    quil se pourrait que vous le sachiez, ou que vous en ayezla conviction, je ne dis pas que vous le sachiez. Mais cela

    ne rsout pas l