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1 L'échec de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2007 : les causes d'une hémorragie. Par Jérôme Fourquet - Directeur Adjoint du département d'opinion publique - IFOP 1-L’OPA sarkozyenne sur la France lepéniste Nicolas Sarkozy déclarait quelques mois avant le scrutin : « Oui, je cherche à séduire les électeurs du FN. Qui pourrait m’en vouloir de récupérer ces gens dans le camp républicain ? J’irai même les chercher un par un, ça ne me gêne pas. Si le FN a progressé, c’est que nous n’avons pas fait à droite notre boulot » . Il semble bien qu’il ait réussi son entreprise. Lorsque l’on cartographie 1 la progression du score de Nicolas Sarkozy en 2007 au premier tour par rapport au total droite (Chirac, Madelin, Boutin) de 2002, on est en effet frappé par la très grande symétrie existant avec la carte d’implantation du FN comme on peut le voir ci-dessous. 1 L’ensemble des cartes cantonales ont été élaborées par Michel Bussi, Céline Colange et Jean-Paul Gosset du laboratoire MTG de l’Université de Rouen

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L'échec de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2007 : les causes d'une hémorragie. Par Jérôme Fourquet - Directeur Adjoint du département d'opinion publique - IFOP

1-L’OPA sarkozyenne sur la France lepéniste

Nicolas Sarkozy déclarait quelques mois avant le scrutin : « Oui, je cherche à séduire les électeurs du FN. Qui pourrait m’en vouloir de récupérer ces gens dans le camp républicain ? J’irai même les chercher un par un, ça ne me gêne pas. Si le FN a progressé, c’est que nous n’avons pas fait à droite notre boulot » . Il semble bien qu’il ait réussi son entreprise.

Lorsque l’on cartographie1 la progression du score de Nicolas Sarkozy en 2007 au premier tour par rapport au total droite (Chirac, Madelin, Boutin) de 2002, on est en effet frappé par la très grande symétrie existant avec la carte d’implantation du FN comme on peut le voir ci-dessous.

1 L’ensemble des cartes cantonales ont été élaborées par Michel Bussi, Céline Colange et Jean-Paul Gosset du laboratoire MTG de l’Université de Rouen

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Les gains ont été très importants dans tous les départements méditerranéens (avec 43,6 % des voix, Nicolas Sarkozy obtient ainsi son record départemental dans les Alpes-Maritimes) et notamment sur la bande côtière pour perdre ensuite en intensité dans l’arrière-pays. L’Alsace et Rhône-Alpes, deux autres place-fortes de l’extrême droite, ont également vu le score de la droite très nettement progresser. Il en va de même pour toute une série de cantons répartis le long de la Garonne où le vote Le Pen est généralement élevé. Plus au nord, les départements de la grande périphérie francilienne (Loiret, Aube, Eure-et-Loir, Oise, Seine-et-Marne, Yonne et Eure), marqués depuis depuis plus de 10 ans par une poussée de l’extrême droite, ont aussi été concernés par un basculement d’une partie non négligeable de l’électorat frontiste vers un vote Sarkozy.

Les quelques exemples suivants sont particulièrement parlants et illustrent localement les transferts massifs qui se sont opérés de Jean-Marie Le Pen vers le candidat de l’UMP, et ce, dans des contextes géographiques très différents qu’ils s’agissent des Alpes, de l’Alsace ou du pourtour méditerranéen.

Exemples de cantons où Nicolas Sarkozy a particulièrement progressé au détriment de Jean-Marie Le Pen

Département Canton Le Pen 2007 Evolution Le Pen

2007/Extrême droite 2002

Sarkozy 2007 Evolution Sarkozy

2007/Droite 2002

Haute-Savoie Scionzier 14.1% -21.6 42.4% +16.9

Haute-Savoie Cluses 13.2% -19.7 39.4% +15.3

Bouches-du-Rhône Vitrolles 16.1% -18.9 31.6% +15

Bouches-du-Rhône Marignane 20.8% -18.5 35.5% +7.3

Rhône Saint-Priest 12.4% -17.9 31.3% +3.4

Haut-Rhin Saint-Amarin 18.1% -17.8 34.5% +13.1

Bas-Rhin Woerth 18% -17.2 35.5% +12.7

Haute-Savoie Bonneville 12.6% -17.2 37.4% +13.8

Alpes-Maritimes Cannes 13.1% -16.9 49% +16.6

Var Saint-Raphaël 12.8% -16.9 50.7% +16.9

Drôme Pierrelatte 18.4% -16.5 29.7% +10.6

Gard Beaucaire 21.6% -16.2 30.6% +13.8

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Si Nicolas Sarkozy a fortement bénéficié de transferts de voix qui s’étaient portées en 2002 sur le candidat du FN, il semblerait également que dans certains départements, moins nombreux certes, François Bayrou ait lui aussi profité de certains reports. On trouve la trace de ce phénomène dans certaines communes de banlieues, notamment dans l’ouest de la région parisienne (Val d’Oise, Yvelines), mais aussi et surtout en Moselle, en Savoie, dans la Loire et dans l’Ain. Il s’agit souvent de départements où la démocratie-chrétienne était historiquement forte et où Jean-Marie Le Pen avait reculé entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002, comme si localement une partie de son électorat avait été composée d’électeurs issus de la droite modérée qui n’avaient voté que très épisodiquement pour le FN avant de retrouver leur famille politique. Ces reports vers François Bayrou très localisés expliquent ainsi certaines anomalies géographiques où le recul de l’extrême droite ne correspond pas pour autant à une forte poussée de Nicolas Sarkozy. Le cas de la Moselle par exemple est frappant à cet égard alors qu’en Alsace voisine le recul de Le Pen s’accompagne de très hauts scores du candidat de l’UMP.

Exemples de cantons où le recul de Jean-Marie Le Pen a également profité à François Bayrou

Département Canton Evolution Bayrou

2002/2007

Evolution Le Pen 2007/Extrême droite 2002

Evolution Sarkozy 2007/Droite 2002

Ecart d’évolution Bayrou/ Sarkozy

Haute-Savoie Cruseilles 16.9% -11.4 10.5% +6.5

Ain Freney-Voltaire

15.7% -11 10.2% +5.5

Haute-Savoie Frangy 15.3% -12.4 8.7% +6.6

Ain Gex 15.2% -11.4 11.2% +4.1

Savoie Les Echelles 15% -11.4 7.1% +8

Loire Montbrison 14.4% -11.5 5.6% +8.8

Moselle Fénétrange 14.3% -14.2 5.2% +9

Val d’Oise Franconville 14.1% -12 8.3% +5.8

Moselle Phalsbourg 13.9% -13.6 6.1% +7.8

Yvelines Sartrouville 13.7% -11.4 6% +7.7

Val d’Oise Herblay 13.6% -11.3 9.1% +4.5

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2- L’impact du discours sur la sécurité a été déterminant L’analyse des sondages d’intentions de vote pré-électoraux indiquait déjà qu’une part importante de l’électorat lepéniste de 2002 était tentée par un vote en faveur de Nicolas Sarkozy. Sur la période allant de la mi-février au premier tour, cette proportion a oscillé entre 30 et 50 % pour s’établir à 36% au moment du scrutin soit environ 6 points. A cet égard, il est intéressant de constater que l’annonce par Nicolas Sarkozy du projet de création d’un Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, qui fut très décriée et qui était censée séduire l’électorat du FN, ne fut pas suivie par une hausse des intentions de vote en faveur du candidat UMP auprès de cette catégorie, bien au contraire. Tout se passant en fait comme si, selon la formule consacrée, « les électeurs préféraient l’original à la copie » puisque ce furent les intentions de vote en faveur de Jean-Marie Le Pen lui-même qui progressèrent alors sensiblement parmi cet électorat. La tendance s’inversa ensuite à l’occasion des affrontements de la Gare du Nord qui bénéficièrent cette fois à l’ex-Ministre de l’Intérieur comme on peut le voir ci-dessous.

Ceci démontre que les positions prises par Nicolas Sarkozy et son action dans le domaine de la lutte contre la délinquance ont constitué un des principaux leviers de ralliement d’une partie de l’électorat lepéniste de 2002. Ces électeurs, interrogés par les enquêteurs de l’Ifop à la veille du scrutin, déclaraient ainsi : « Il parle de sécurité, c’est surtout cela qui est primordial pour une personne âgée comme moi ». Retraité de 75 ans. « J’ai envie de voter pour lui car il va être plus ferme sur la

sécurité ». Ouvrière de 40 ans. « Il ne veut pas laisser en liberté les multi-récidivistes ». Retraitée de 70 ans, ou bien encore « Par rapport à la sécurité en France, je me dis qu’avec lui ça va peut être bouger ». Femme inactive de 26 ans. Les études quantitatives confirmaient d’ailleurs le fort crédit accordé en matière de lutte contre l’insécurité à Nicolas Sarkozy par les électeurs lepénistes de 2002, chez qui il arrivait même devant le candidat d’extrême droite.

40 41

36 35

3133

36

40 41

36 36

45

48

6058

65

54

5961

53 53 53

4847

4745

13-15février

22-23février

26février

8-9 mars 16-17mars

19 mars 22-23mars

26-28mars

31 mars- 2 avril

5-6 avril 12-13avril

14-16avril

17-19avril

Nicolas Sarkozy Jean-Marie Le Pen

Evolution des intentions de vote des électeurs lepénistesde 2002.

8 Mars : Annonce de la Création d’un Ministère de l’Immigration et de

l’Identité Nationale

27 Mars : Affrontements de la Gare du Nord

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Le candidat le plus à même de garantir la sécurité des personnes et des biens2

Nicolas Sarkozy

Ségolène Royal

François Bayrou

Jean-Marie Le Pen

Un autre candidat

Ensemble des Français 43 % 15 % 14 % 8 % 20 %

Electeurs de JM Le Pen en 2002 48 % 1 % 4 % 33 % 14 %

Sympathisants du FN 26 % 4 % 3 % 54 % 13 %

Signe de la forte attraction exercée par Nicolas Sarkozy dans cet électorat, un quart des sympathisants FN déclarés (catégorie qui dans nos enquêtes constitue le « noyau dur » idéologique de l’extrême droite et la part la plus fidélisée de l’électorat lepéniste) le plaçait devant Jean-Marie Le Pen sur ce thème pourtant central de la sécurité.

3- Les zones de résistance du FN : Jean-Marie Le Pen tient mieux dans le péri-urbain lointain Pour autant l’entreprise de captation de l’électorat lepéniste n’a pas fonctionné avec la même efficacité sur tout le territoire. Dans le Pas-de-Calais, l’Aisne, une partie des Ardennes, en Haute-Marne ou en Lorraine, Nicolas Sarkozy a certes progressé par rapport au total des voix de droite en 2002 mais moins qu’ailleurs tandis que Jean-Marie Le Pen parvenait à maintenir des scores assez importants (22,5 % à Stiring-Wendel, 23 % à Freyming-Merlebach en Moselle, 21 % à Harnes et 20% à Sallaumines dans le Pas-de-Calais ou 19 % à Saint-Dizier en Haute-Marne par exemple). Dans ces régions, la base sociologique de l’électorat FN est beaucoup plus populaire et ouvrière qu’ailleurs et n’a semble-t-il pas été aussi tentée par le vote Sarkozy qu’en région Paca ou dans le Languedoc-Roussillon. Il est intéressant de constater que ces départements du nord-est industriel en proie aux délocalisations s’étaient déjà signalées avant l’élection par une hausse du nombre de parrainages en faveur de Jean-Marie Le Pen. Cela semblerait donc indiquer que l’influence du FN s’est aujourd’hui profondément « enkystée » dans ces terres populaires et y offre une meilleure résistance qu’ailleurs.

2 Sondage Ifop pour Le Journal du Dimanche réalisé les 29 et 30 mars (soit après les affrontements de la Gare du Nord) auprès d’un échantillon national représentatif de 958 personnes.

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Les bastions frontistes de la France du Nord-Est ont bien tenu

Département Canton Le Pen 2007 Evolution Le Pen 2007/Extrême droite 2002

Aisne Sains-Richaumont 20.1 % -4.5

Aisne La Capelle 20.3 % -4.6

Vosges Brouvelieures 23.2 % -4.9

Meuse Gondrecourt-le-Château

22.4 % -5.1

Haute-Marne Poissons 21.5 % -5.2

Meurthe-et-Moselle Badonviller 18.7 % -5.6

Nord Le Cateau-Cambrésis 18.7 % -5.7

Aisne Vailly-sur-Aisne 19.1 % -5.8

Oise Formerie 21.6 % -5.9

La carte suivante rend bien compte des différents niveaux de résistance de l’électorat lepéniste entre 2002 et 2007. Elle a été établie en cartographiant l’évolution entre le score de Jean-Marie Le Pen en 2007 et le résultat de l’extrême droite en 2002 (Le Pen et Mégret), cette évolution ayant ensuite été pondérée par le résultat de ces deux candidats en 2002 afin de déboucher sur une évolution relative. En effet, ce n’est pas la même chose de reculer de 5 points dans un canton où l’on faisait 20 % et dans un où l’on était à 10 %.

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On voit alors apparaître une géographie assez particulière et en tout cas très différente de la carte traditionnelle du vote FN. Le recul relatif est particulièrement marqué en Vendée où l’on peut penser que la concurrence de Philippe de Villiers dans son fief est venue exercer une pression supplémentaire sur un électorat lepéniste local qui a de ce fait beaucoup plus souffert qu’ailleurs. Elément qui ne sautait pas aux yeux à l’observation des cartes classiques, les pertes relatives sont particulièrement sensibles en milieu urbain et notamment dans les grandes métropoles. C’est frappant pour l’agglomération parisienne qui ressort très fortement sur la carte, mais l’on retrouve ce phénomène avec une régularité parfaite partout en France : Toulouse, Bordeaux, Rennes, Metz, Lyon, Dijon, Marseille etc…Il en va de même pour des villes de taille plus moyenne y compris dans des zones de faible influence du FN comme le Grand Ouest : Laval, Lorient ou Quimper. A

l’inverse, dans les zones périphériques et rurales les plus éloignées des grandes agglomérations, le leader du FN est parvenu à maintenir une part plus significative de son capital électoral de 2002. Ce clivage urbain/rural est des plus nets dans la Somme, l’Aisne, le Nord-Pas-de-Calais ou la Seine-Maritime.

Cette logique à l’œuvre est cohérente avec un mouvement déjà observé en 2002 qui montrait une diffusion et une progression du vote FN dans le grand péri-urbain s’accompagnant d’un recul du même vote dans le cœur des grandes agglomérations. Si l’on reprend les travaux que nous avions menés avec Loïc Ravenel3, on s’aperçoit que le vote Le Pen est toujours assez sensiblement indexé sur le « gradient d’urbanité ». Par « gradient d’urbanité », nous entendons la distance séparant la commune étudiée à l’agglomération de plus de 200 000 habitants la plus proche. Le graphique ci-dessous a été réalisé par Loïc Ravenel de l’Université de Besançon et il représente l’écart à la moyenne du score de Jean-Marie Le Pen en 1995, 2002 et 2007 en fonction

3 « Vote et gradient d’urbanité : les nouveaux territoires de l’élection présidentielles de 2002 ». L. Ravenel, P.Buléon, J.Fourquet in Espace, Populations et Sociétés, 2003-3.

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de la distance aux aires urbaines. On s’aperçoit que la « trajectoire » du vote répond pour les trois élections à la même logique mais que les phénomènes se sont déplacés dans le temps et l’espace. En 1995, le candidat du FN obtenait un score identique à la moyenne dans le cœur des grandes agglomérations puis atteignait son maximum à 25 km pour décliner ensuite. En 2002, le scénario se reproduisit, mais Jean-Marie Le Pen obtint déjà moins que sa moyenne dans les grandes villes pour voir son score ensuite grimper très rapidement et plafonner non plus à 25 km mais à 35 km des grands centres urbains puis décliner dans le rural profond mais moins fortement qu’en 1995 en dépit pourtant d’une sérieuse concurrence de CPNT.

Les zones de fort vote FN s’éloignent des grandes agglomérations

En 2007, la trajectoire selon le gradient d’urbanité est globalement identique mais les mouvements amorcés en 2002 s’accentuent comme si la captation par Nicolas Sarkozy d’une part des voix lepénistes s’était concentrée sur le segment le moins fidélisé et le plus friable : l’électorat urbain. Le candidat du FN accuse désormais un retard de 2 points par rapport à sa moyenne nationale dans les grandes agglomérations et il ne l’atteint qu’à partir de 15 km. Le « haut de la vague » se déplace encore vers la périphérie lointaine puisque le score maximum est désormais enregistré dans un rayon de 35 à 45 km (contre 25 km en 2002…). Autre nouveauté, le niveau du vote FN tient relativement bien ensuite dans le « rural profond » puisqu’il faut attendre 90 km (contre 65 km en 2002 et 55 km en 1995) pour que son score passe en dessous de sa moyenne nationale.

Cette mutation géographique et le déplacement des zones de haute pression du vote FN suivent en fait le front de la péri-urbanisation, qui sous l’effet de la hausse des prix du foncier à la périphérie des grandes agglomérations, poussent toujours plus loin les foyers modestes souhaitant accéder à la propriété. Ce que l’on observe au niveau spatial renvoie donc en fait aussi à des phénomènes sociologiques. Les catégories populaires et les ouvriers sont aujourd’hui plus nombreux dans les campagnes et le péri-urbain lointain que dans les villes et leurs banlieues. Ces territoires éloignés des grands centres urbains sont devenus des zones de

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relégation subies (via l’effet du prix du foncier) ou choisies pour reprendre l’analyse de Jacques Le Goff qui évoque les stratégies résidentielles et le souhait de « se retrouver entre soi » caractéristique des espaces pavillonnaires et des lotissements.

Le calcul des corrélations réalisé au niveau cantonal va dans le même sens. Le coefficient de corrélation entre l’évolution relative du score de Jean-Marie Le Pen4 et la proportion de cadres supérieurs dans le canton s’établit en effet à –0,53. Ce qui signifie que la baisse relative du score du FN a été d’autant plus forte que la proportion de cadres était élevé dans la population locale. Et il se trouve que plus on s’approche du cœur des grandes agglomérations et plus ce type de population est représenté.

4- Electeurs fidèles et électeurs perdus : des profils et des motivations différentes L’analyse à partir de cumul des sondages d’intentions de vote réalisés par l’Ifop dans la dernière période de la campagne confirme que le basculement d’une partie de l’électorat frontiste en direction de Nicolas Sarkozy s’est opéré selon une ligne de fracture sociologique.

Profil des deux segments de l’électorat lepéniste de 2002 selon leur comportement en 2007

Comme le montre le graphique ci-dessus, les employés et ouvriers5 ne constituent « que » 44% des électeurs lepénistes de 2002 ayant basculé en faveur de Nicolas Sarkozy, les cadres et les

4 Évolution relative qui correspond, rappelons-le, au score de Le Pen en 2007 moins le total Le Pen et Mégret de 2002, le tout ramené sur ce score de l’extrême droite en 2002 5 Les retraités ont été recodés selon leur ancienne profession, détail qui n’est pas neutre dans la mesure où les anciens ouvriers et employés pèsent d’un poids non négligeable dans l’électorat frontiste

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professions intermédiaires représentant plus d’un tiers de ces ralliés, leur donnant ainsi un profil assez équilibré sociologiquement. A l’inverse, l’électorat resté fidèle à Jean-Marie Le Pen apparaît beaucoup plus populaire : 59% d’ouvriers et d’employés contre 23% seulement de cadres et professions intermédiaires. La stratégie de conquête du Ministre de l’Intérieur a donc diversement fonctionné selon les segments de l’électorat frontiste. Le discours sur la remise en ordre du pays, sur le travail et l’autorité a semble t-il mieux été reçu par les électeurs lepénistes les mieux insérés socialement alors que la base ouvrière et populaire du FN, en attente d’une plus grande radicalité et sensible à la thématique anti-establisment, a été moins séduite.

On constate également que les électrices lepénistes de 2002 ont plus basculé que les hommes vers Nicolas Sarkozy.

Les électeurs lepénistes davantage fidèles que les électrices à leur leader

Ce nouveau clivage conforte l’hypothèse d’une captation par Nicolas Sarkozy au premier tour de la fraction de l’électorat lepéniste la moins « dure ». L’analyse des verbatims recueillis auprès de cette cible des lepénistes de 2002 ayant basculé grâce à des questions ouvertes est assez instructive de ce point de vue. Si l’on reconnaît que les deux hommes abordent les mêmes thèmes et s’attaquent aux mêmes problèmes, Nicolas Sarkozy est cependant perçu comme plus modéré que Jean-Marie Le Pen dans ses propos, mais également dans ses propositions. Ce dernier est parfois décrit comme raciste ou xénophobe par ses électeurs qui déclarent avoir voté pour lui en 2002.

• « Sarkozy prend en main les mêmes problèmes que Le Pen mais propose des solutions plus souples.»

• « Je trouve que Sarkozy est plus modéré dans ses propos et l’autre est plus explosif.»

• « Le Pen est un peu trop facho, radical et intégriste : il a des points de vue trop radicaux, il est trop raciste. »

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Voter pour le candidat de l’UMP semble alors moins dangereux à une majorité de personnes qui ont l’impression de prendre moins de risques qu’en votant pour Jean-Marie Le Pen, ce qu’ils avaient pourtant fait en 2002.

• « Jean-Marie Le Pen est pour moi sans concession, trop extrême et il est farouchement convaincu et c’est dangereux. »

• « Parce qu’il est plus modéré et que Jean-Marie Le Pen est plus dangereux. »

Parallèlement à cette première distinction entre deux positionnements plus ou moins radicaux, Nicolas Sarkozy jouit, auprès de ces lepénistes de 2002 ralliés, d’une image plus crédible et plus « présidentiable » que lui confère son expérience au sein du gouvernement. Ce sentiment, largement partagé, se décline sur trois éléments. Le président de l’UMP possède une capacité à rassurer et passe pour plus sérieux, plus ancré dans le réel que Jean-Marie Le Pen, qui est parfois vu comme un extrémiste convaincu, prompt aux dérapages verbaux, mais aussi décalé des réalités du terrain. Au fond, on doute des compétences de ce dernier et de sa capacité à réellement diriger un pays.

• « Sarkozy semble un peu plus proche de la réalité. »

• « Jean-Marie Le Pen m’a refroidi avec ses dires sur le four crématoire. »

• « M. Sarkozy est plus sérieux et plus fiable que M. Le Pen. »

• « C’est une personne qui par ses propos nous a toujours rendus méfiants, on ne sait pas où on va. »

• « Sarkozy est plus rassurant que Jean-Marie le Pen. »

• « Il s’y connaît mieux en politique et cerne mieux les problèmes de la France. »

Deuxième élément favorable au président de l’UMP : son champ de compétences et de propositions n’est pas limité au seul thème de l’immigration. Nicolas Sarkozy bénéficie ainsi d’une certaine crédibilité sur des sujets plus larges (économie, Europe, éducation) que Jean-Marie Le Pen qui reste polarisé sur l’immigration.

• « Parce que Sarkozy a plus de bonnes idées, c’est-à-dire qu’il a des idées sur l’immigration mais aussi sur la carte scolaire par exemple. »

• « Le Pen n’a pas de vision économique : il est trop cantonné à des problématiques d’immigration, tout le contraire de Nicolas Sarkozy qui est plus ouvert vers l’Europe. »

En outre, troisième élément, les responsabilités occupées au sein de différents ministères et l’expérience du terrain accumulée dans ses fonctions lui donnent une image plus sérieuse, plus responsable et plus à même d’affronter les difficultés du pouvoir, ce qui tend à rassurer sur ses compétences.

• « Nicolas fait du bon boulot depuis qu’il est là, en revanche Jean-Marie Le Pen n’a pas l’étoffe d’un président mais je suis d’accord avec ses idées »

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• « Nicolas Sarkozy a fait plus ses preuves que Le Pen »

Enfin, l’âge est également une donnée régulièrement citée : à travers la différence d’âge entre les deux candidats, Nicolas Sarkozy représente une forme de dynamisme souvent associée à une capacité de faire bouger les choses.

• « Il est plus jeune que Jean-Marie. »

• « Sarkozy est plus capable, plus jeune. »

• « M. Le Pen arrive à un certain âge. »

A l’inverse, lorsqu’on interroge ses électeurs resté fidèles, Jean-Marie le Pen est choisi car il est intimement associé à différents thèmes, notamment la préférence nationale, l’immigration (qui reviennent comme un leitmotiv dans les propos de ces interviewés) et dans une moindre mesure l’insécurité. La préférence nationale est en effet revendiquée haut et fort, et ce dans tous les domaines, par ces électeurs fidèles et constitue ainsi une véritable « marque de fabrique » de ce segment de l’électorat.

• « Il faut favoriser les familles françaises en priorité. »

• « La France aux Français point et puis voilà. »

• « Mon slogan est : la France aux Français. »

• « Parce qu’il y a un principe qui m’intéresse beaucoup : la préférence nationale. »

• « Il aime les Français en priorité sur l’emploi, sur l’éducation. »

Cette préférence est parfois perçue comme un véritable amour de son pays et de certaines valeurs françaises. Est également mise en avant une réelle volonté de voir la France respectée et défendue.

• « Il est plus national, il respecte plus notre drapeau. »

• « Dans ses arguments il défend la France. »

• « Jean-Marie défend les Français dans l’Europe. »

• « Car je suis française et souhaite que l’on respecte la France et les Français. »

Le deuxième point, sur lequel Jean-Marie Le Pen est jugé plus efficace, porte sur la lutte contre l’immigration. Une volonté de limiter fortement les flux migratoires est exprimée régulièrement, une majorité d’électeurs fidèles apportant alors plus de crédit au candidat du Front National, perçu comme plus ferme et plus radical, qu’à Nicolas Sarkozy, parfois accusé de « rester dans le discours », d’être trop timoré, voire laxiste sur le sujet.

• « Je préfère Jean-Marie Le Pen à M. Sarkozy qui favorise trop les immigrés par rapport aux propres français. »

• « On va pas faire de cas par cas pour les étrangers en situation irrégulière mais tous les renvoyer chez eux par exemple. »

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• « Le Pen lui dit stop à l’immigration non contrôlée et Sarkozy ne dit pas stop mais que ce soit contrôlé beaucoup plus sévèrement. »

• « Parce que ses idées au niveau de la politique nationale sont beaucoup plus fermes, notamment au niveau de l’immigration. »

• « Dernièrement Nicolas Sarkozy est allé dire à Bouteflika que ses ressortissants pouvaient continuer à venir en France. »

• « Pour que Le Pen enlève tous les Algériens qui sont chez nous et qu’ils retournent dans leur pays. »

Second sujet sur lequel le candidat du FN paraît plus ferme que Nicolas Sarkozy : l’insécurité. Ce dernier pâtit partiellement du bilan du gouvernement dont il fait partie, une partie des lepénistes fidélisés ayant l’impression que les résultats en terme d’insécurité ne sont pas suffisants, des doutes sur ses capacités à résoudre ce problème sont alors exprimés.

• « Par rapport aux banlieues et aux crimes et aux délits. »

• « Parce que j’en ai marre de l’insécurité qui n’est pas résolue et je ne pense pas que Nicolas Sarkozy puisse la résoudre. »

• « Pour en finir avec le problème de la sécurité : rien n’est fait pour le moment, on ne voit pas le résultat. »

On notera pour autant que les insuffisances en matière d’insécurité sont nettement moins souvent abordées que celles concernant la question de la gestion des flux migratoires dans l’électorat lepéniste demeuré fidèle.

D’une certaine manière, Jean-Marie Le Pen est vu comme plus authentique, plus légitime à traiter des grands problèmes cités, notamment en raison de la constance et de l’antériorité de son discours à ces sujets.

• « Parce que la ligne de conduite de Le Pen a toujours été la même alors que celle de Sarkozy ne l’est pas, Sarkozy a repris les idées de Le Pen concernant l’immigration et la sécurité. »

• « Eh bien parce que Le Pen parle vrai depuis plus de 20 ans et Sarkozy promet beaucoup de choses mais ne fait rien, comme les autres. »

• « Pour sa crédibilité, l’authenticité du dialogue sur ces sujets. »

Nicolas Sarkozy est également critiqué sur ses propres résultats : son bilan, notamment en tant que Ministre de l’Intérieur, semble jouer auprès des frontistes fidèles contre lui et contre sa crédibilité à résoudre les problèmes auxquels il prétend vouloir s’attaquer.

• « Car Sarkozy cela fait plusieurs années qu’il est au pouvoir et on voit son incompétence. »

• « Sarkozy était Premier ministre et je n’ai rien vu changer. »

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• « Comme Sarkozy parle beaucoup et ne fait pas grand chose, avec Le Pen j’ai l’impression que cela bougerait un peu plus. »

• « Sarkozy fait des déclarations qui marquent mais il n’y a pas grand chose. »

Parallèlement un « ras-le-bol » assez prononcé à l’égard des différents gouvernements de droite, comme de gauche est exprimé par les électeurs fidèles à Le Pen. Le candidat du Front National est ainsi vu comme une réelle alternative et la possibilité d’un réel changement face à des candidats qui jusqu'à présent se sont contentés d’aligner les promesses sans jamais les respecter. Le fait de n’avoir jamais été au pouvoir joue alors ici en sa faveur.

• « Parce qu’au cours de toutes les autres élections successives on a eu affaire à des distributeurs de promesses gratuites que personne n’a honorées et Le Pen lui les honorera. »

• « A chaque élection on a eu la droite, on a eu la gauche, il faut essayer Jean-Marie le Pen pour que ça avance. »

• « Pour le changement, une autre politique. »

• « Question de racisme, je souhaite qu’il y ait du nettoyage dans notre pays. »

Dans la même optique, le « vote Le Pen » apparaît comme un vote contestataire, un message fort à faire passer aux hommes politiques « traditionnels », notamment ceux qui seront au pouvoir à la suite des élections.

• « Tout simplement pour essayer de faire réagir les politiques. »

• « Pour exprimer un mécontentement, pour que celui qui sera élu au deuxième tour prenne conscience de l’importance des tâches qui l’attendent et que les projets électoraux ne restent pas de belles paroles. »

• « C’est pour faire peur, pour pousser à réagir celui qui sera élu au deuxième tour. »

• « Je vote Le Pen parce que c’est un vote sanction, parce que je ne fais plus confiance aux autres partis principaux donc je vote le Front National pour les sanctionner. »

5-En dépit d’un recul au niveau national, de nouveaux électeurs dans certains territoires. Ces motivations et cette aspiration à une certaine radicalité ne sont pas l’apanage des seuls électeurs « historiques » de Jean-Marie Le Pen. En 2002, Pascal Perrineau avait parlé de « gémellité sociologique » entre l’électorat du FN et celui de CPNT. Nous avions également montré que c’est dans les fiefs de CPNT que Jean-Marie Le Pen avait le plus progressé entre les deux tours en 2002, une partie de l’électorat « chasseurs » se reportant sur lui après avoir voté Saint-Josse au premier tour, ce qui avait contribué à l’époque à freiner la poussée du vote FN dans les campagnes au premier tour. A l’analyse des cartes, il semble bien qu’en 2007 une fraction de l’électorat CPNT ayant abonné son candidat naturel se soit retrouvée sur Jean-Marie Le Pen. On s’aperçoit en effet que le leader de l’extrême droite, bien qu’en recul au niveau

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national, parvient à progresser dans certains bastions du vote « chasseurs » comme la Baie de Somme, la Corse ou des cantons pyrénéens.

Une meilleure résistance dans certains fiefs de CPNT

Dans d’autres zones de forte implantation de CPNT où les pertes de ce mouvement ont été particulièrement sévères entre 2002 et 2007, on s’aperçoit comme le montre le tableau ci-dessus que le recul du FN y a été très modéré. Ceci peut s’expliquer par deux facteurs cumulatifs. Il s’agit à chaque fois de territoires très ruraux et excentrés, or on a vu que les transferts en faveur de Nicolas Sarkozy y avaient été moindre qu’ailleurs. A cela s’ajoute le fait qu’une partie de l’électorat CPNT de 2002 a basculé cette année sur Le Pen ce qui est venu localement amortir le recul de ce candidat voire exceptionnellement le faire progresser quand les transferts ont été très importants. On notera à ce propos que le coefficient de corrélation entre l’évolution du vote Le Pen entre 2002 et 2007 et le vote CPNT s’établit à -0.52 ce qui indique bien que plus CPNT a reculé et moins le FN a baissé.

Département Canton Le Pen 2007

Evolution Le Pen 2007/extrême droite

2002

Evolution CPNT

2007/2002

Haute-Corse Le Haut-Nebbio 11.2 % + 3.9 -12.6

Somme Rue 17.5 % + 1.9 -25.8

Somme Nouvion 15.9 % + 1.5 -20.9

Corse du Sud Les Deux-Sévi 13.2 % + 1.3 -12.7

Somme Friville-Escarbotin 14.3 % + 1 -11

Pyrénées-Orientales Prats-de-Mollo 9.8 % + 0.2 -11.2

Pas-de-Calais Campagne-lès-Hesdin 12.5 % 0 -13.3

Landes Mugron 5.2 % -1 -10

Gironde Pellegrue 14.7 % -1.4 -8.5

Ariège Quérigut 7.4 % -1.7 -8.2

Pyrénées-Atlantiques

Sauveterre de Béarn 7.3 % -1.8 -15.8

Gard Sumène 13.1 % -1.8 -12.3

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Il semblerait qu’un phénomène assez semblable se soit produit dans un autre type d’espace politique marqué cette fois par une présence forte ancienne du PC et de l’extrême gauche. Cela n’a pas concerné bien entendu tous les fiefs de la gauche de la gauche mais dans certains d’entre eux on a pu observer, comme le montrent les quelques exemples présentés ci-dessous, que le recul conséquent du PC et de l’extrême gauche, sous l’effet du vote utile en faveur de Royal principalement, ne s’était accompagné que d’une très légère baisse du vote Le Pen.

Jean-Marie Le Pen a maintenu ses positions dans certains cantons où la gauche de la gauche était en recul sensible

Département Canton Le Pen 2007 Evolution Le Pen

2007/Extrême droite 2002

Extrême gauche et PC 2002

Evolution extrême gauche

et PC 2002/2007

Pas-de-Calais Auchel 17.5 % -1.3 28.9 % -8.2

Pas-de-Calais Bruay-la-Buissière

16.9 % -1.4 22.2 % -7.2

Aisne Sissonne 18.8 % -1.6 19.5 % -7.7

Pas-de-Calais Outreau 18.7 % -1.7 22.5 % -7.2

Dordogne Nontron 10 % -2.1 19.4 % -7

Haute-Vienne Châteauponsac 10.8 % -2.3 19.1 % -6.2

Nord Trélon 18 % -2.4 22.9 % -7.3

Somme Nesle 19 % -2.4 21.4 % -7.5

Allier Lurcy-Lévis 11.7 % -2.7 25.2 % -7

Le fait que ces cantons, situés dans le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie ou les fiefs communistes historiques du Massif Central, comptent une part importante d’ouvriers ou d’anciens ouvriers dans leur population a sans doute joué puisque dans ce type d’espace d’une manière générale, le recul du FN avait été moins fort qu’ailleurs. Pour autant, au regard des chiffres, il n’est pas impossible qu’une fraction de l’électorat d’extrême gauche ou communiste n’ait pas bifurqué vers le vote utile mais vers un vote frontiste dans ces territoires en déclin et/ou frappés par la crise et les difficultés.

Enfin, à l’analyse de la carte on voit apparaître une dernière zone où le FN a bien résisté. Il s’agit de la « Chiraquie », cette grande Corrèze élargie où Jacques Chirac disposa à chacune des élections précédentes d’un vote d’amitié locale important. Une partie de cette clientèle électorale « personnelle » s’est trouvée en déshérence en l’absence de Jacques Chirac et Nicolas

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Sarkozy n’a pas été en mesure de la récupérer dans son intégralité. Les électeurs ainsi libérés se sont répartis sur différents candidats6 qui ont tous progressé en Corrèze et dans les cantons limitrophes. C’est assez net pour François Bayrou et Ségolène Royal, mais Jean-Marie Le Pen en a lui aussi semble t-il profité puisqu’il ne recule que très faiblement dans ces territoires voire y progresse très légèrement.

Une absence d’érosion du FN au sein de la « Chiraquie »

Département Canton Le Pen 2007

Sarkozy 2007

Chirac 2002

Evolution Sarkozy/Droite 2002

Evolution Le Pen

2007/Extrêmedroite 2002

Corrèze Corrèze 6.9 % 29.5 % 44 % -17.7 + 1.07

Corrèze Bort-les-Orgues 9 % 30.8 % 43.6 % -15.5 + 0.4

Corrèze Sornac 5.8 % 28.3 % 37.5 % -10.8 -0.6

Corrèze Egletons 6.8 % 30.7 % 36.5 % -8.2 -0.6

Cantal Salers 8.5 % 39 % 40.5 % -5.3 -0.8

Cantal Pleaux 9.3 % 32.2 % 37.1 % -7.2 -0.9

Puy de Dôme Tauves 8.3 % 30.1 % 30.4 % -5 -2.6

Conclusion : Le second tour de l’élection présidentielle a confirmé la forte attraction exercée par Nicolas Sarkozy sur l’électorat frontiste en dépit de l’appel à l’abstention lancé par Jean-Marie Le Pen. On peut penser que les législatives, traditionnellement marquées par une moindre mobilisation de l’électorat FN et une certaine propension au vote utile, devraient également se traduire par une nouvelle contre-performance pour le parti de Jean-Marie Le Pen. Pour autant, il convient de rester prudent sur l’avenir de ce courant politique qui a su rebondir après la période noire de la scission mégrétiste. Le cantonnement de l’extrême droite à des scores modestes passe aujourd’hui par le maintien, tant dans les actes que dans le discours, d’une ligne politique de droite ferme et décomplexée par un Nicolas Sarkozy, désormais pleinement en charge du pouvoir.

Jérôme Fourquet

Mai 2007

6 Cette dispersion sur différents candidats de sensibilités politiques diverses illustre bien rétrospectivement que le sur-vote régulier en faveur de Jacques Chirac dans ces territoires agrégeait des votes assez hétéroclites