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Dimanche XXIX du Temps Ordinaire - Année A À lʼécoute de la Parole Un piège est tendu au Christ au cours de sa dernière semaine à Jérusalem : est-il légitime de payer lʼimpôt à César ? Sa célèbre réponse est lapidaire : « rendre à César ce qui est à Cé- sar, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22). Un principe qui est illustré par la figure de Cyrus en première lecture (Is 45), et qui connaitra une postérité extraordinaire en Occident. Voir lʼexplication détaillée Méditation : Refuser les fausses alternatives En dialogue avec le monde dʼaujourdʼhui, lʼÉglise est souvent confrontée à de fausses alter- natives : nous devons apprendre à les déjouer, et à profiter des occasions polémiques pour annoncer la Bonne Nouvelle. Voir la méditation complète Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC Pour aller plus loin La page évangélique de cette semaine est une bonne occasion pour approfondir la « Doctrine Sociale de lʼEglise », qui est un complément à la proclamation de la foi pour guider les personnes et les na- tions vers le bien commun. On trouve par exemple dans le Compendium de 2004 une application di- recte de lʼévangile du jour : « Jésus refuse le pouvoir oppresseur et despotique des chefs sur les Nations (cf. Mc 10, 42) et leur prétention de se faire appeler bienfaiteurs (cf. Lc 22, 25), mais il ne conteste jamais directement les autorités de son temps. Dans la diatribe sur l'impôt à payer à César (cf. Mc 12, 13-17; Mt 22, 15- 22; Lc 20, 20-26), il affirme qu'il faut donner à Dieu ce qui est à Dieu, en condamnant implicitement toute tentative de divinisation et d'absolutisation du pouvoir temporel: seul Dieu peut tout exiger de l'homme. En même temps, le pouvoir temporel a droit à ce qui lui est dû: Jésus ne considère pas l'im- pôt à César comme injuste. » Compendium de la Doctrine Sociale de lʼÉglise, nº379 Une mise en application concrète de la doctrine sociale est proposée depuis plusieurs années par le parcours Zachée, initié par la Communauté de lʼEmmanuel. On en trouvera ici une description.

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Dimanche XXIX du Temps Ordinaire - Année A

À lʼécoute de la Parole

Un piège est tendu au Christ au cours de sa dernière semaine à Jérusalem : est-il légitime de payer lʼimpôt à César ? Sa célèbre réponse est lapidaire : « rendre à César ce qui est à Cé-sar, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22). Un principe qui est illustré par la figure de Cyrus en première lecture (Is 45), et qui connaitra une postérité extraordinaire en Occident.

Voir lʼexplication détaillée

Méditation : Refuser les fausses alternatives

En dialogue avec le monde dʼaujourdʼhui, lʼÉglise est souvent confrontée à de fausses alter-natives : nous devons apprendre à les déjouer, et à profiter des occasions polémiques pour annoncer la Bonne Nouvelle.

Voir la méditation complète

Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC

Pour aller plus loin

La page évangélique de cette semaine est une bonne occasion pour approfondir la « Doctrine Sociale de lʼEglise », qui est un complément à la proclamation de la foi pour guider les personnes et les na-tions vers le bien commun. On trouve par exemple dans le Compendium de 2004 une application di-recte de lʼévangile du jour :

« Jésus refuse le pouvoir oppresseur et despotique des chefs sur les Nations (cf. Mc 10, 42) et leur prétention de se faire appeler bienfaiteurs (cf. Lc 22, 25), mais il ne conteste jamais directement les autorités de son temps. Dans la diatribe sur l'impôt à payer à César (cf. Mc 12, 13-17; Mt 22, 15- 22; Lc 20, 20-26), il affirme qu'il faut donner à Dieu ce qui est à Dieu, en condamnant implicitement toute tentative de divinisation et d'absolutisation du pouvoir temporel: seul Dieu peut tout exiger de l'homme. En même temps, le pouvoir temporel a droit à ce qui lui est dû: Jésus ne considère pas l'im-pôt à César comme injuste. »

Compendium de la Doctrine Sociale de lʼÉglise, nº379

Une mise en application concrète de la doctrine sociale est proposée depuis plusieurs années par le parcours Zachée, initié par la Communauté de lʼEmmanuel. On en trouvera ici une description.

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À lʼécoute de la Parole

« Est-il permis, oui ou non, de payer lʼimpôt à César ? » (Mt 22,17). Le piège était presque parfait : les Pharisiens et les autorités juives de Jérusalem, après avoir entendu Jésus pro-noncer plusieurs paraboles puissantes qui remettaient en question leur autorité (Mt 21), ont décidé dʼen finir avec lui. Jésus se montre brillant orateur, séduit les foules par ses discours, formule des paraboles aussi dérangeantes que celle des « vignerons homicides » ? Ses en-nemis essaient donc de lʼentraîner sur un terrain dangereux, celui du rapport à César, pour lʼobliger à se positionner politiquement et provoquer un faux pas qui permette de le condamner.

Le Christ lancera bientôt cette invective : « Pharisien aveugle ! Purifie d'abord l'intérieur de la coupe et de l'écuelle, afin que l'extérieur aussi devienne pur ! » (Mt 23,26). Dans notre pas-sage, la question adressée à Jésus est « pure extérieurement », elle sʼouvre par une louange formelle dont la teneur est véridique : Jésus « enseigne le chemin de Dieu en vérité » ; de plus, la question est claire, lʼalternative précise entre permission ou interdiction de payer lʼimpôt.

Mais lʼévangéliste Matthieu qui, en tant quʼancien publicain, connaissait bien ces person-nages, ne laisse planer aucun doute sur la perversité intérieure qui se cache derrière leurs propos : il sʼagit de « prendre Jésus au piège » (v.15), le Christ « connaît leur perver-sité » (v.18) et les traite dʼhypocrites… Leur démarche dénote une intelligence mise au ser-vice dʼun cœur arrogant et suspicieux ; cette page dʼÉvangile est donc un avertissement à tous les « sages et avisés » qui feignent la subtilité dans la discussion, alors que lʼintérieur est malade.

Nous assistons alors à une alliance de circonstance entre deux groupes socio-religieux très différents quʼunit le même rejet du Christ : les « partisans dʼHérode », favorables à la col-laboration avec lʼoccupant romain, et les Pharisiens, dʼordinaire en retrait de la vie poli-tique, centrés sur lʼenseignement de la Loi. Les premiers nʼavaient aucun scrupule à payer lʼimpôt à César, puisquʼils participaient au pouvoir en place et en profitaient pour se remplir les poches ; les seconds éprouvaient un remords de conscience puisque la Loi ne reconnaît de souveraineté quʼau Seigneur des Armées : payer lʼimpôt serait courber lʼéchine devant une nation païenne, et faire un pas vers lʼidolâtrie. Quelques années auparavant, Juda Mac-cabée, le héros national, sʼétait rebellé contre lʼenvahisseur païen qui était décrit ainsi :

« Lysias, tuteur et parent du roi, à la tête des affaires du royaume, assembla environ 80000 hommes de pied, avec toute sa cavalerie, et se mit en marche contre les Juifs, comptant bien faire de la Ville sainte une résidence pour les Grecs, soumettre le sanctuaire à un im-pôt comme les autres lieux de culte des nations et vendre tous les ans la dignité de grand prêtre, ne tenant aucun compte de la puissance de Dieu, mais pleinement confiant dans ses myriades de fantassins, dans ses milliers de cavaliers et ses 80 éléphants. » (2Mac 11,1-4)

Nʼétait-ce pas ce que les Romains avaient accompli ? Ne fallait-il pas, au nom du Dieu vi-vant, se rebeller contre eux ? Quʼen pensait le prédicateur venu de Galilée avec ses foules remuantes, qui prétendait inaugurer un nouveau Royaume ? Un piège redoutable lui est tendu : sʼil répond « oui » à la question sur lʼimpôt, il perdra tout crédit spirituel ; sʼil répond « non », il est passible de rébellion politique. La tension dramatique à Jérusalem, à ce moment-là, ne laissait guère la place à un enseignement nuancé autorisant les « oui, mais… » ou « non, mais… » : les ennemis de Jésus veulent profiter de cette circonstance pour le forcer à prendre parti.

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Le Christ dénoue facilement ce piège : il renvoie ses interlocuteurs à la source du problème et à leurs contradictions, en leur faisant considérer un objet concret et non des principes abs-traits. En faisant remarquer que le denier, qui servait de monnaie, portait lʼeffigie de César, Jésus reconnaît lʼordre socio-économique avec sa légitime autonomie ; dʼailleurs, si ses adversaires refusaient de payer lʼimpôt par souci de pureté religieuse, comment avaient-ils un denier dans la poche, alors que les rabbins les plus rigoureux interdisaient ce contact avec un objet impur, souillé par la figure de César ?

Le Catéchisme reprend cet enseignement constant du christianisme depuis saint Paul, sur la soumission aux autorités légitimes :

« La soumission à lʼautorité et la coresponsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, lʼexercice du droit de vote, la défense du pays : “Rendez à tous ce qui leur est dû : à qui lʼimpôt, lʼimpôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui lʼhonneur, lʼhonneur” (Rm 13, 7). “Les chrétiens résident dans leur propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils sʼacquittent de tous leurs devoirs de citoyens et suppor-tent toutes leurs charges comme des étrangers ... Ils obéissent aux lois établies, et leur ma-nière de vivre lʼemporte sur les lois ... Si noble est le poste que Dieu leur a assigné quʼil ne leur est pas permis de déserter” (Epître à Diognète 5, 5. 10 ; 6, 10). »1

Mais le Christ va au-delà : Il sʼadresse à des hommes et veut parler à leur conscience ; les Pères de lʼÉglise ont ainsi noté que lʼhomme, étant créé à lʼimage de Dieu, est comme une monnaie qui porte lʼeffigie divine. Un auteur anonyme écrivait ainsi :

« Lʼeffigie de Dieu nʼest pas frappée sur lʼor, mais sur le genre humain. La monnaie de César est lʼor, celle de Dieu est lʼhumanité. Donne donc ta richesse matérielle à César, mais ré-serve à Dieu lʼinnocence unique de ta conscience, où Dieu est contemplé. En effet, César a exigé que son effigie apparaisse sur chaque pièce, mais Dieu a choisi lʼhomme, quʼil a créé, pour refléter sa gloire. »2

Si lʼon rend le denier à César, la personne toute entière nʼappartient quʼà Dieu. Dʼoù lʼautre exigence, bien plus grande, de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », et donc de suivre sa conscience et de refuser lʼidolâtrie sous toutes ses formes.

En dʼautres termes, nous sommes appelés à respecter les nécessités de lʼordre social mais surtout à nous souvenir que notre personne est totalement faite pour Dieu. Si lʼeffigie frappée sur les pièces est celle dʼun homme, fût-il Empereur, elle nʼa de valeur que pour ce temps ; lʼâme humaine, marquée quant à elle du sceau de Dieu, est faite pour lʼéternité. Ce que nous devons rendre à Dieu est donc bien plus grand que ce que nous devons rendre à César. Le pape benoît XVI lʼa exprimé ainsi :

« Cette parole de Jésus [sur lʼimpôt en Mt 22] est riche de contenu anthropologique, et ne peut être réduite à son seul domaine politique. LʼÉglise ne peut donc se limiter à rappeler aux autres la juste distinction entre la sphère dʼautorité de César et celle de Dieu, entre le domaine politique et le domaine religieux. La mission de lʼÉglise, comme celle du Christ, consiste essentiellement à parler de Dieu, à faire mémoire de sa souveraineté, à rappeler à

1 Catéchisme, nº2240, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P7R.HTM 2 Anonyme, Œuvre incomplète sur Matthieu, homélie 42. 3 Benoît XVI, Messe pour la nouvelle évangélisation (16 octobre 2011), http://w2.vatican.va/content/benedict-2 Anonyme, Œuvre incomplète sur Matthieu, homélie 42.

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tous, en particulier aux chrétiens qui ont égaré leur identité, le droit de Dieu sur ce qui lui ap-partient, cʼest-à-dire notre vie. »3

Or, le pouvoir humain a toujours tendance à exiger une soumission qui dépasse sa propre compétence. Le Catéchisme cite ainsi notre passage pour défendre les droits de la cons-cience :

« Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de lʼordre moral, aux droits fondamen-taux des personnes ou aux enseignements de lʼÉvangile. Le refus dʼobéissance aux autori-tés civiles, lorsque leurs exigences sont contraires à celles de la conscience droite, trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté poli-tique. "Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu" (Mt 22, 21). "Il faut obéir à Dieu plutôt quʼaux hommes" (Ac 5, 29).

Entre les deux ordres, civil et religieux, le Christ veut donc établir une claire distinc-tion mais aussi une hiérarchie ; la doctrine sociale de lʼÉglise, au cours des siècles, explo-rera patiemment ce thème épineux, synthétisé par le Concile dans lʼexpression de « Juste autonomie des réalités terrestres ».4

La liturgie de ce dimanche évoque dʼailleurs la dépendance du temporel envers le spirituel en choisissant, comme première lecture, le passage dʼIsaïe 45 où Cyrus est qualifié de Messie : « ainsi parle le Seigneur à son Messie, à Cyrus… » Nous sommes alors à la fin de lʼExil : le peuple dʼIsraël, déporté à Babylone, voit se lever un nouveau pouvoir, celui des Perses, en la personne de Cyrus. Sa trajectoire de conquérant fut fulgurante, libérant en peu dʼannées toutes les villes de Mésopotamie du joug de Babylone pour constituer un nouvel Empire (539 av JC). Cʼest à ces conquêtes quʼIsaïe se réfère par lʼexpression « soumettre les nations et désarmer les rois, ouvrir les portes à deux battants » (v.1), avec la fascination quʼexerce une conquête irrésistible : « aucune porte ne restera fermée ».

Prisonnier à Babylone, Israël accueille donc avec joie ce Cyrus libérateur qui va bientôt lui permettre de rentrer à Jérusalem – cʼest lʼédit de Cyrus, que mentionne le livre dʼEsdras au chapitre 1. Le Prophète Isaïe aide le peuple à y voir la main du Seigneur : cʼest le Dieu dʼIsraël qui dirige les événements en faveur de son Peuple. Le pape Benoît XVI expliquait ainsi cette lecture et sa relation avec la Nouvelle Evangélisation :

« Cette lecture [Is 45] nous explique le sens théologique de lʼhistoire: les tournants histo-riques, la succession des grandes puissances sont sous la domination suprême de Dieu; au-cun pouvoir terrestre ne peut prendre sa place. La théologie de lʼhistoire est un aspect impor-tant, essentiel de la nouvelle évangélisation, car les hommes de notre temps, après la pé-riode néfaste des empires totalitaires du XXe siècle, ont besoin de retrouver un regard dʼensemble sur le monde et sur le temps, un regard véritablement libre, pacifique, le regard

3 Benoît XVI, Messe pour la nouvelle évangélisation (16 octobre 2011), http://w2.vatican.va/content/benedict-

xvi/fr/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20111016_nuova-evang.html 4 Cf. Concile Vatican II, Gaudium et Spes, nº36,

http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651207_gaudium-et-spes_fr.html : « Si, par autonomie des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que lʼhomme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser, une telle exigence dʼautonomie est pleinement légitime : non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. Cʼest en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur ordonnance et leurs lois et leurs valeurs propres, que lʼhomme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser. […] Mais si, par « autonomie du temporel», on veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que lʼhomme peut en disposer sans référence au Créateur, la fausseté de tels propos ne peut échapper à quiconque reconnaît Dieu. En effet, la créature sans Créateur sʼévanouit. »

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que le Concile Vatican II a transmis dans ses documents et que mes prédécesseurs, le ser-viteur de Dieu Paul VI et le bienheureux Jean-Paul II, ont illustré à travers leur magistère. »5

Cyrus est ainsi un monarque païen, qui est qualifié de « messie du Seigneur », cʼest-à-dire oint pour une mission spécifique, libérer Israël : « Il lʼa pris par la main » (v.1). Son succès ne manifeste pas la grandeur des dieux païens, parce quʼils nʼexistent pas : « Je suis le Sei-gneur, il nʼen est pas dʼautre : hors moi, pas de Dieu » (v.5). Le Seigneur, dans la souverai-neté de sa Providence, suscite donc la puissance de Cyrus en faveur dʼIsraël et pour se glo-rifier lui-même ; saint Paul reprendra cette vision de lʼhistoire : « Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui exis-tent sont constituées par Dieu » (Ro 13,1).

Cette origine divine du pouvoir de Cyrus doit aussi le mettre en garde contre un pos-sible abus : tout monarque nʼest, en définitive, quʼun « administrateur » de biens qui lui sont confiés pour un temps. Un grand spirituel du XIXe siècle, dom Columba Marmion, a exprimé ainsi une conviction commune au christianisme, que lʼactualité politique, dans plusieurs pays, rend prophétique :

« Dès lors que Dieu n'est plus avec l'homme qui commande, la puissance de celui-ci n'est que force brutale. Le prince ou l'assemblée qui prétend réglementer les mœurs d'un pays à l'encontre de Dieu, n'a donc droit qu'à la révolte et au mépris de tous les gens de cœur ; donner le nom sacré de loi à ces tyranniques élucubrations, est une profanation indigne d'un chrétien comme de tout homme libre. »6

Entre les ordres civil et religieux, il nʼy a donc pas seulement distinction, mais hiérarchie et dépendance du premier envers le second, puisque lʼhistoire humaine est dans les mains de Dieu. Dans le passage dʼIsaïe, les nations sont censées le reconnaître : « pour que lʼon sache, de lʼorient à lʼoccident, quʼil nʼy a rien en dehors de moi » (v.6). Elles doivent donc offrir leur hommage au Seigneur, et cʼest lʼinvitation du Psaume 96 : « Rendez au Sei-gneur, familles des peuples, rendez au Seigneur la gloire et la puissance, rendez au Sei-gneur la gloire de son nom. Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis. » (Ps 96,7-8)

Que toutes les nations viennent glorifier le Seigneur en lui offrant lʼhommage de la foi et du culte, cʼest bien ce que le Christ voulait indiquer lorsquʼIl demandait à ses interlocuteurs : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu »…

5 Benoît XVI, Messe pour la nouvelle évangélisation (16 octobre 2011), http://w2.vatican.va/content/benedict-

xvi/fr/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20111016_nuova-evang.html 6 Dom Guéranger, Lʼannée liturgique, p. 525, http://www.abbaye-saint-

benoit.ch/gueranger/anneliturgique/pentecote/pentecote02/021.htm

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Le denier de César (Rubens)

Méditation : Refuser les fausses alternatives et témoigner du Christ

La question piégée qui fut adressée au Christ, lors de ses derniers jours à Jérusalem, doit nous servir dʼavertissement : les ennemis du Christ et de lʼÉglise cherchent sans cesse à nous présenter de fausses alternatives. Leur intention est alors simplement de nous prendre en défaut et de discréditer la foi chrétienne. Nous nʼavons pas à nous laisser entraî-ner sur ce terrain.

Apprenons donc de lʼattitude de Jésus en cette occasion, lui qui nous dit par ailleurs : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez-vous donc pru-dents comme les serpents et candides comme les colombes. » (Mt 10,16).

Pour ou contre lʼoccupation romaine ? Jésus a refusé de décider, Il a voulu rester en-dehors des querelles politiques, mais nous a aussi donné un critère sûr pour discerner ce qui doit être fait dans lʼordre temporel. Sa mission était purement spirituelle, et il nʼa pas permis que la polémique détourne le sens profond de sa Passion. François Mauriac lʼexprime ainsi :

« Vingt années plus tôt, au moment de lʼannexion à lʼEmpire, un autre Galiléen nommé Ju-das, lʼavait tranchée [la question du tribut] par le refus et avait été massacré, lui et ses parti-sans. Si Jésus eut recours au mot fameux : “Rends à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”, cʼest que dans le drame du calvaire, agencé de toute éternité, il ne convenait pas que les Romains eussent un autre rôle que celui de bourreau. Israël se servira dʼeux pour immoler sa victime, mais la victime lui appartient dʼabord. Rome, en la personne de Pi-late, nʼa rien trouvé à reprendre dans Jésus. »7

7 François Mauriac, Vie de Jésus, Flammarion 1936, p. 202.

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Le Christ a déjoué le traquenard, parce quʼil a immédiatement saisi la fausseté de lʼalternative qui lui était présentée. Dom Columba Marmion décrit ainsi lʼenjeu de la con-troverse, et lʼimportance de son dénouement pour lʼhistoire de lʼÉglise :

« Si la réponse du Sauveur était négative, il encourait la colère du prince ; s'il se prononçait pour l'affirmative, il perdait tout crédit dans l'esprit du peuple. Avec sa divine prudence, Jésus déconcerta leurs menées. Les deux partis, si étrangement alliés par la passion, se refusèrent à comprendre l'oracle qui pouvait les unir dans la vérité, et retournèrent bientôt sans doute à leurs querelles. Mais la coalition formée contre le juste était rompue ; l'effort de l'erreur, comme toujours, avait tourné contre elle ; et la parole qu'elle avait suscitée, passant des lèvres de l'Époux à celles de l'Épouse, ne devait plus cesser de retentir en ce monde, où elle forme la base du droit social au sein des nations. »8

Aujourdʼhui, comme le Christ hier, le chrétien est assailli de fausses alternatives quʼil doit apprendre à déjouer pour annoncer lʼÉvangile en prenant de la hauteur. Par exemple, le courant de pensée des Lumières et le relativisme qui en a découlé veulent, de-puis plusieurs siècles, rabaisser le christianisme à un phénomène secondaire de lʼhistoire. Dans la conversation, nous sommes donc souvent mis devant une fausse alternative par des interlocuteurs insistants : « Est-ce que toutes les religions se valent, oui ou non ? » La mentalité dominante nous oblige quasiment à répondre « oui », pour ne pas paraître intolé-rant, et à étouffer la vérité. Mais en répondant « oui », nous nous délégitimons nous-mêmes : pourquoi être chrétien si toutes les religions se valent ?

Si nous avons le courage de répondre « non », nous sommes souvent isolés dans un dis-cours autoréférentiel qui ne convainc pas grand monde. Dans les débats publics et les mé-dias, il nʼy a guère de place pour une argumentation qui suive une ligne : « non, mais… » Quelle attitude adopter ?

Comme le Christ, nous pourrions demander à nos interlocuteurs de nous indiquer concrète-ment de quelle religion ils veulent parler, pour reconnaître sans difficulté les parcelles de véri-té qui sʼy trouvent ; puis réaffirmer que Dieu ne sʼest révélé en plénitude que dans le Christ : cʼest ainsi que lʼon « rend à Dieu ce qui est à Dieu », puisquʼil sʼagit de reconnaître son ac-tion dans lʼhistoire.

Dʼautres questions nous sont souvent posées comme celles-ci :

- Le dimanche, quʼest-ce qui le plus important, aller à la messe ou rendre service en famille ?

- Dieu est-il tout-puissant, oui ou non ? Si oui, pourquoi le mal est-il si présent ? - Vous dites que la venue du Christ est un événement central, mais est-ce que le

monde a vraiment changé depuis ? - Si Dieu est amour pourquoi condamner les formes alternatives de mariage moderne ?

De toute façon, la foi ne se décrète pas, on lʼa ou on ne lʼa pas…

Lorsque je suis confronté à ce type de questions, quelle est ma réaction ? Est-ce que je me sens personnellement agressé, est-ce que jʼai simplement envie dʼen découdre et de laisser mon adversaire sans voix ? Ou bien est-ce que je souhaite rendre témoignage au Seigneur qui mʼaime ? Ai-je plus soif de reconnaissance sociale que dʼétendre le règne de Dieu par amour pour lui et pour mes frères ?

8 Dom Guéranger, Lʼannée liturgique, p. 523, http://www.abbaye-saint-

benoit.ch/gueranger/anneliturgique/pentecote/pentecote02/021.htm

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Dans lʼexemple de ce jour, Jésus a dʼabord démasqué lʼhypocrisie, et je peux le faire moi aussi en trouvant les mots adéquats. Par exemple : « Vous posez-vous vraiment la question et souhaitez-vous entendre ma réponse ou bien lʼavez-vous déjà résolue ? » Si la mauvaise volonté persiste, je peux – comme Jésus devant Pilate – laisser sans réponse une fausse demande (quʼest-ce que la vérité ?), et prier pour mon interlocuteur. Si, en revanche je per-çois une ouverture, je peux développer ma pensée.

La Nouvelle Evangélisation, qui nous pousse au dialogue avec notre monde, exige de nous clairvoyance intellectuelle et fermeté pour ne pas accepter les fausses alternatives. Il faut savoir saisir les opportunités dʼannoncer Jésus-Christ en réfutant les lieux communs de lʼesprit du monde.

Pour ceux dʼentre nous qui ne sont pas formés aux techniques du débat, il est parfois difficile de trouver les bonnes réponses. Dans ce cas, il est bon de se rappeler que ce nʼest pas tant mes arguments qui peuvent toucher mes frères que mon propre témoignage de vie avec le Christ. Ce témoignage est toujours possible : « je nʼai pas de réponse immé-diate à votre question mais jʼaime le Christ qui est venu personnellement à ma rencontre, et qui mʼaime ». Une telle réponse laisse toujours lʼauditeur dans une grande perplexité quand il nʼouvre pas un chemin. Pensons à lʼaveugle-né du chapitre 9 de Jean, pris dans un débat théologique qui le dépasse de très loin, et qui répond : « S'il est un pécheur, je n'en sais rien. Je sais une chose : c'est que j'étais aveugle et maintenant je vois.» (Jn 9,25). Cʼest ce quʼécrivait déjà Paul VI :

« Pour lʼÉglise, le témoignage dʼune vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre mais également donnée au prochain avec un zèle sans limite, est le premier moyen dʼévangélisation. “Lʼhomme contemporain écoute plus vo-lontiers les témoins que les maîtres — disions-Nous récemment à un groupe de laïcs — ou sʼil écoute les maîtres, cʼest parce quʼils sont des témoins.” »9

Écoutons enfin la prière dʼun grand témoin spirituel de notre temps, le cardinal Newman : lui aussi pressé par les polémiques et porté à témoigner du Christ au-delà de toutes les fausses alternatives que propose le monde moderne, il sʼabandonnait ainsi à la confiance en Dieu :

« Ô Adonaï, ô conducteur dʼIsraël, toi qui guidas Joseph comme le berger sa brebis, ô Em-manuel, ô Sapience, je me donne à toi. Je te fais totalement confiance. Tu es plus sage que moi, tu as plus dʼamour pour moi que je nʼen ai moi-même. Daigne à travers moi accomplir tes desseins, quels quʼils soient. Je suis né pour te servir, être à toi, être ton instrument. Laisse-moi être ton instrument aveugle. Je ne demande pas à voir. Je ne demande pas à connaître. Je demande simplement à servir. »10

9 Paul VI, Evangelii Nuntiandi, nº41, http://w2.vatican.va/content/paul-vi/fr/apost_exhortations/documents/hf_p-

vi_exh_19751208_evangelii-nuntiandi.html 10 John Henry Newman, Méditations sur la Doctrine Chrétienne, Ad Solem 2000, p. 29, disponible ici :

http://www.newmanfriendsinternational.org/french/?p=146