10
Dimanche XVII du Temps Ordinaire - Année B Foi et communion, ciments de l’Église Nous ouvrons ce dimanche le chapitre 6 de saint Jean, qui nous conduira au « discours du pain de vie » dans la synagogue de Capharnaüm. Une ascension théologique passion- nante, une invitation du Christ à croire en sa présence dans l’Eucharistie. À l’écoute de la Parole Tout commence par la multiplication des pains, commune à Marc et à Jean. Dans l’An- cien Testament, le prophète Élisée en avait accompli une, très similaire à celle de Jésus (2R 4). Voir l’explication détaillée Méditation Miracle de la multiplication des pains : Jésus prend soin de nos âmes, hier comme au- jourd’hui. Il nous nourrit de ses mystères, de son Eucharistie. Quelle que soit la dignité des ministres, l’Église reste le lieu choisi par le Christ pour se rendre présent aux hommes. L’É- glise est constituée par l’Eucharistie et son unité revêt un caractère sacré. Voir la méditation complète Pour aller plus loin La providence divine continue d’agir à travers les mains des saints et des croyants. On trouvera ici le récit d’un miracle de multiplication obtenu par le curé d’Ars en faveur des or- phelins dont il avait la charge. - Un miracle qui s’est renouvelé pour don Bosco, en 1855. - Enfin, l’exemple de ce chrétien du Vietnam, montre comment Dieu peut bâtir toute une œuvre à partir d’une pauvre contribution humaine.

LD B 17 Dimanche du Temps Ordinaire - lectio-divina-rc.frlectio-divina-rc.fr/sites/default/files/2018-07/LD B 17 Dimanche du... · proclamant saint Marc de dimanche en dimanche et

Embed Size (px)

Citation preview

  • Dimanche XVII du Temps Ordinaire - Anne B

    Foi et communion, ciments de lgliseNous ouvrons ce dimanche le chapitre 6 de saint Jean, qui nous conduira au discours

    du pain de vie dans la synagogue de Capharnam. Une ascension thologique passion-nante, une invitation du Christ croire en sa prsence dans lEucharistie.

    lcoute de la Parole

    Tout commence par la multiplication des pains, commune Marc et Jean. Dans lAn-cien Testament, le prophte lise en avait accompli une, trs similaire celle de Jsus (2R 4).

    Voir lexplication dtaille

    Mditation

    Miracle de la multiplication des pains : Jsus prend soin de nos mes, hier comme au-jourdhui. Il nous nourrit de ses mystres, de son Eucharistie. Quelle que soit la dignit des ministres, lglise reste le lieu choisi par le Christ pour se rendre prsent aux hommes. L-glise est constitue par lEucharistie et son unit revt un caractre sacr.

    Voir la mditation complte

    Pour aller plus loinLa providence divine continue dagir travers les mains des saints et des croyants. On

    trouvera ici le rcit dun miracle de multiplication obtenu par le cur dArs en faveur des or-phelins dont il avait la charge.

    - Un miracle qui sest renouvel pour don Bosco, en 1855.

    - Enfin, lexemple de ce chrtien du Vietnam, montre comment Dieu peut btir toute une uvre partir dune pauvre contribution humaine.

    http://www.compagnons-boulangers-patissiers.com/crebesc/le-petrin-de-la-providence/http://www.compagnons-boulangers-patissiers.com/crebesc/le-petrin-de-la-providence/http://voiemystique.free.fr/jean_bosco_bio_12.htmhttps://fr.aleteia.org/2016/07/07/cet-homme-est-le-pere-de-plus-de-100-enfants/

  • lcoute de la Parole

    Alors que le Temps Ordinaire de lanne liturgique scoule doucement pendant lt, en proclamant saint Marc de dimanche en dimanche et de chapitre en chapitre, nous faisons soudain un long dtour de cinq semaines par lvangile de Jean (TOB 17-21).

    Deux motivations semblent avoir pouss les auteurs de la rforme liturgique, dans les annes soixante, ce choix tonnant. Il y a dabord la grandeur et la force du long chapitre 6 de saint Jean, la Pque du Pain de vie, qui mrite bien une place particulire dans nos cl-brations; mais elle serait difficile trouver pendant les temps forts o Jean est proclam (par exemple en carme). Il y a aussi la brivet de lvangile de Marc: si Matthieu et Luc fournissent sans aucun problme la trentaine de passages pour les dimanches du temps or-dinaire, ce serait plus difficile de les demander au deuxime vangile Heureuse solution: nous interrompons notre lecture continue de Marc en arrivant la premire multiplication des pains (Mc 6), pour passer au rcit trs similaire de Jn 6. Ce chapitre opre une ascension progressive vers le discours du Pain de vie dans la synagogue de Capharnam, et nous lui consacrons cinq dimanches. Puis nous reprenons Marc o nous lavions laiss, au chapitre 7 (dimanche 22 du TOB). Ce choix est dautant plus pertinent que le thme de la nourriture imprgne les chapitres Mc 6-8: un peu de thologie johannique vient les clairer

    La premire lecture: miracle dlise (2R 4)Lvangile de ce dimanche rapporte la multiplication des pains par Jsus (Jn 6, Mc 6), et

    la premire lecture nous rappelle que des miracles similaires avaient dj t accomplis sous lAncienne Alliance.

    Surgit ainsi la figure dlise, Dieu est salut (, elisha), dont le nom est construit partir de la mme racine (, yasha, sauver) que Jsus, Isae et Josu. Cest dire si J-sus, en multipliant les pains pour les pauvres en dtresse, sinscrit dans la ligne des grands hommes de lAncien Testament. Lexgte Paul Beauchamp nous dresse un portrait rapide de ltonnant prophte lise:

    lise avait dabord t laboureur et, tout dun coup, lie avait jet sur lui son manteau pour en faire son disciple [1R 19]. lie emport au ciel se dfera une seconde fois de ce manteau [2R 2]. lise le ramasse. Il lemporte avec une double part de lesprit de son matre, cest--dire deux fois la part dhritage accorde aux autres disciples. Ceux-ci taient fort nombreux. Pendant la seconde moiti du IXme sicle, lise prolonge limage dlie avec moins de majest. Il y a de tout, en vrac, dans les pages qui le concernent. Il y a des vues sur lhistoire de la nation. Il y a aussi une collection de souvenirs des disciples, re-cueillis par la mmoire populaire et comprenant de nombreux miracles.1

    La liturgie choisit un passage emprunt la section des miracles dlise du Deuxime Livre des Rois (2R 4-6): lhuile de la veuve qui coule profusion, la rsurrection du fils de la Shunamite, la marmite empoisonne, la multiplication des pains, la gurison du lpreux Naaman, la hache perdue et retrouve

    Au-del de laspect folklorique de ces rcits, leur fonction de prparation la Nouvelle Alliance est videnteet le lecteur averti des vangiles synoptiques, en suivant Jsus dans la premire tape de sa vie publique, reconnat immdiatement la figure dlise (et dlie) en arrire-plan. Luc le souligne: Il y avait aussi beaucoup de lpreux en Isral au temps du prophte lise ; et aucun d'eux ne fut purifi, mais bien Naaman, le Syrien (Lc 4,27). La

    Paul Beauchamp, Cinquante portraits bibliques, Seuil 2000, lise le disciple, p. 171.1

  • foule ne sy trompe pas, comme nous lentendons dans lvangile du jour: Cest vraiment lui le Prophte annonc (Jn 6,14).

    Le rcit de la multiplication des pains par lise est trs pur. Rappelons simplement la disposition de la Loi qui consacrait aux prtres les prmices de la rcolte (Lv 23) ; cest pourquoi Ben Sira exhortait ainsi son jeune lve: De toutes tes forces aime celui qui t'a cr et ne dlaisse pas ses ministres. Crains le Seigneur et honore le prtre et donne-lui sa part comme il t'est prescrit prmices, sacrifice de rparation, offrande des paules, sacrifice de sanctification et prmices des choses saintes. (Sir 7,30-31).

    lise nest certes pas prtre, mais sa vocation spciale comme successeur dlie avec le don de lEsprit (2R 2) a fait de lui un homme de Dieu (v.42). De mme pour Jsus, qui nest pas lvite mais bien homme envoy par Dieu, manifest par lEsprit lors de son baptme au Jourdain.

    Lvangile: multiplication des pains (Jn 6)Le rcit de la multiplication des pains est importants dans les quatre vangiles. Marc et

    Matthieu nous racontent mme deux multiplications, lune chez les Juifs, lautre chez les paens. Il est frappant de constater les nombreux points communs entre le rcit de Jean (Jn 6), celui du Livre des Rois (2R 4), et celui de Marc (Mc 6). Ils nous serviront pour la mdita-tion:

    - La situation de manque : Elise opre le miracle au moment o le pays vit une grave famine. Jsus multiplie les pains alors que la foule, qui est venue de loin et la suivi toute la journe, se retrouve sans nourriture. Il faut ce manque, ce besoin, pour que Dieu agisse:Heureux les affams, ils seront rassasis

    - La compassion. Le miracle nat de la rencontre entre la pauvret de lhomme et le regard misricordieux de Dieu, qui voit ce manque et le ressent douloureusement. Jsus et Elise sont saisis de compassion pour la foule des pauvres: Donne-le tous ces gens pour quils mangent (2R 4,43), ordonne Elise alors que les pr-mices lui reviennent de droit. De mme Jean et Marc soulignent le regard apitoy de Jsus sur les pauvres gens (Jn 6,5; Mc 6,34);

    - La mdiation dune gnrosit et dune foi humaine. En pleine famine, lhomme de Baal-Shalisha apporte Elise vingt pains dorge et du grain frais. Un geste qui tmoigne dune grande confiance et dune admirable pit. Invit par Elise distri-buer ces pains, il sexcute. Cest son serviteur qui doute. Dans lvangile, Philippe souligne labsurdit, vue humaine, de la demande de Jsus. Mais Andr, qui fait la mme analyse, propose tout de mme les cinq pains et les deux poissons, et le jeune garon accepte de sen dpartir. Jsus ne peut rien sans notre gnrosit et notre foi

    - Les ministres. Tous deux sappuient sur des ministres pour nourrir les foules au lieu doprer directement le miracle : un homme quelconque, celui qui avait offert les prmices dans le cas dlise; les Douze pour Jsus: pour susciter la compassion, pour faire grandir la foi, parce que Dieu veut, par ses ministres, que lhomme partage son uvre, pour peu peu partager sa vie.

    - La surabondance. Pour mieux faire clater le miracle, la disproportion entre les moyens et le rsultat est souligne: vingt pains dorge pour cent personnes pour lise, cinq pains et deux poissons, pour cinq mille hommes pour Jsus, sans compter ce qui reste, tant dans le rcit de Marc que celui de Jean : un dtail qui constitue un gage dhistoricit,mais surtout une logique arithmtique trs loigne de

  • la ntre. Dieu peut partir de rien pour faire beaucoup et il ne donne pas juste ce quil faut. Il donne toujours profusion. La mesure de lamour cest daimer sans me-sure, dira Saint-Augustin. Il reste douze paniers, chez Jean comme chez Marc, le chiffre de la plnitude.

    Voici comment Saint-Augustin interprtait ces chiffres:

    Lorsque le Seigneur oprait ces miracles, il parlait l'intelligence, non-seulement de vive voix, mais encore par ses actes. Les cinq pains signifiaient pour lui les cinq livres de la loi de Mose ; car cette loi est l'Evangile, ce que l'orge est au froment. Il y a dans ces livres de profonds mystres concernant le Christ ; aussi le Christ disait-il lui-mme : Si vous croyiez Mose, vous me croiriez aussi, car il a parl de moi dans ses crits (Jn 5,46). Mais de mme que dans forge la moelle est cache sous la paille, ainsi le Christ est voil sous les mystres de la loi. Quand on expose ces mystres qui reclent le Pain de vie, ils semblent se dilater : ainsi se multipliaient les cinq pains quand on les rompait. Ne vous ai-je pas rompu le pain moi-mme en vous faisant ces observations ? Les cinq mille hommes dsignent le peuple soumis aux cinq livres de la loi ; les douze corbeilles sont les douze aptres remplis aussi des dbris de cette mme loi. Quant aux deux poissons, ils figurent ou les deux pr-ceptes de l'amour de Dieu et du prochain, ou les Juifs et les Gentils, ou les deux fonctions sacres de l'empire et du sacerdoce. Exposer ces mystres, c'est rompre le pain ; les com-prendre, c'est le manger. 2

    Tous ceux qui ont accompli le plerinage en Terre Sainte peuvent facilement se repr-senter le cadre gographique du miracle de Jsus: au dbut, Il gravit la montagne, une petite colline aux abords du lac comme celle des Batitudes. Dailleurs Jean prcise quil sy assoit avec ses disciples (v.3), ce qui nest pas sans rappeler les Batitudes chez Matthieu (cf. Mt 5). Lorsque le petit groupe se dplace de lautre ct de la mer de Galile (Jn 6,1), il sagit dun trajet semblable celui qui relie Tibriade Capharnam. Le sanctuaire bndictin de Tabga, ct de la primaut de Pierre, nous indique o tait probablement cet endroit o il y avait beaucoup dherbe (v.10), pour que les gens si nombreux puissent stendre et se rassasier: encore aujourdhui, cette zone est irrigue par plusieurs sources, et trs verdoyante. Enfin, lorsque Jsus se retire dans la montagne, lui seul (v.15), nous pouvons penser au mont Arbel qui domine cette rive du lac par son escarpement.

    En outre, lvangliste Jean sme discrtement des dtails qui lui serviront pour la grande construction thologique de ce chapitre. Tout dabord, les foules suivent Jsus parce quelle avait vu les signes quil accomplissait sur les malades (Jn 6,2). Ensuite, elles ragissent la vue du signe que Jsus avait accompli (v.14). Tout lenjeu de ce chapitre consistera en un passage: depuis le miracle du pain multipli, jusqu la foi au Pain eucharistique. Le signe introduit au mystre, comme Cana: Tel fut le premier des signes de Jsus, il l'accomplit Cana de Galile et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. (Jn 2,11).

    Par ailleurs, plusieurs lments voquent la fois la figure de Mose et linstitution de lEucharistie. La Pque, la fte des Juifs, tait proche (v.4) : cette fte institue par Mose, dont un lment tait le pain azyme (cf. Ex 12), a-t-elle une relation avec le Pain de vie? La discussion qui vient butera sur ce point (cf. v.31-32) lorsque Jsus se prsentera comme la nouvelle manne et le pain descendu du ciel. Lautorit que la foule attribue Jsus (il sassit ils allaient lenlever pour faire de lui un roi) rappelle celle du Lgislateur. Dautant plus que Jsus va ensuite marcher sur les eaux (Jn 6, 16 sq.), comme sil sortait dgypte, et sattribuer le Nom divin (cf. Ex 3,14).

    Saint Augustin, Sermon CXXX, disponible ici : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/sermons/serm130.htm 2

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/sermons/serm130.htm

  • Surtout, lensemble de lpisode annonce lEucharistie. Jean est le seul vangliste ne pas relater linstitution de lEucharistie avant la Passion de Jsus. On estime dordinaire que cest parce quil a choisi den dvelopper le mystre dans le chapitre 6 de son vangile.

    Dans lextrait de ce jour, les gestes de Jsus lors de la multiplication ne sont pas sans rappeler la clbration liturgiquede leucharistie : Il fait asseoir la foule comme pour un repas formel ou lors de la dernire Cne, puis Il prit les pains et, aprs avoir rendu grce [], il les distribua aux convives (v.11). La mme squence de gestes (pren-dre les offrandes / bnir ou rendre grce / les donner) se retrouve dans le rcit de Marc (Mc 6,41), et cest naturellement que la premire communaut chrtienne la rpte lors la clbration du Jour du Seigneur. La mme charge est confie aux disciples de rcolter pr-cieusement la nourriture intarissable qui nourrira dsormais lglise jusqu la fin des temps. Cest avec une grande motion que nous pouvons lire cette description trs ancienne (vers lan 155) de la messe primitive, sous la plume de saint Justin :

    Quand les prires sont termines, nous nous donnons un baiser les uns aux autres. Ensuite, on apporte celui qui prside les frres du pain et une coupe deau et de vin m-langs. Il les prend et fait monter louange et gloire vers le Pre de lunivers, par le nom du Fils et du Saint-Esprit et il rend grce (en grec :eucharistian) longuement de ce que nous avons t jugs dignes de ces dons. Quand il a termin les prires et les actions de grce, tout le peuple prsent pousse une acclamation en disant: Amen. 3

    Multiplication des pains (IVe sicle)

    S. Justin, Apologie 1, 65, cit par le Catchisme, n1345, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P3V.HTM 3

    http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P3V.HTMhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Multiplication_Pio_Christiano_Inv31499.jpg

  • Mditation: Foi et communion, ciments de lglise

    Contemplons la scne de la multiplication des pains: cest le coucher du soleil sur le lac de Tibriade et cette partie du peuple dIsral que sont les pauvres (anawim) ressent las-situde et fatigue. Jsus prouve de la compassion pour eux et se refuse les renvoyer sans nourriture alors quil se fait tard. Le peuple, Jsus: une relation particulire, puisque le Christ est venu donner sa vie pour lui et que le peuple, en retour, attend toute sa vie de lui. Une relation qui continue aujourdhui : la scne vanglique de Jean 6 symbolise la vie de lglise, nourrie par le Christ travers ses ministres. Jsus, les disciples, le peuple : cest bien la ralit de lglise comme nous la vivons depuis son institution par le Christ il y a deux millnaires.

    Faim et FoiComme nous lavons vu, deux dispositions dme prsident au miracle de ce jour : la

    faim et la foi. Sans elles, le Christ ne peut agir, car il ne force jamais la porte de nos curs.

    Le Bon Pasteur quest Jsus prend soin de ses brebis, inlassablement, tendrement. Les brebis le suivent avec une confiance aveugle, quitte se retrouver sans rien manger. Une belle manifestation de lamour divin pour les mes dhier et daujourdhui, pour les pauvres de tous les temps. Le psaume 63 rsume cet tat desprit:

    Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche ds l'aube : mon me a soif de toi ; aprs toi languit ma chair, terre aride, altre, sans eau. (Ps 63,2)

    Les textes de ce dimanche nous invitent nous interroger sur cette faim. Ces paroles du psaume sappliquent-elles nous? Sommes-nous habits par cette faim de Dieu, ce dsir du Christ ? Dans nos socits occidentales de sur-consommation et de confort, o fleu-rissent les sollicitations de toutes parts, nous creusons souvent de toutes autres faims que celle de Dieu. Mme les croyants qui dsirent Dieu sont habits en parallle par dautres d-sirs. Les foules qui suivaient Jsus en Galile acceptaient de marcher longtemps pour le re-trouver. Elles pouvaient dormir dehors, renoncer leur repas, supporter la chaleur. Et nous, quoi renonons-nous pour le Christ? Quelle place lui faisons-nous dans nos journes et sur nos temps de loisirs? Contrairement nos frres dAfrique et dAsie qui doivent souvent vivre cette ralit, en Europe et en Amrique du Nord, nous avons du mal creuser le manque. Lincapacit de nos socits jener en tmoigne. Nous sommes travaills par tant dautres faims qui nous puisent : russite, enrichissement, acquisition de confort en tous domaines, conformit des modle sociaux, respectabilit. La lutte pour nous en dgager peut nous sembler crasante, comme le notait le cardinal Newman:

    La vraie raison pour laquelle on ne veut pas venir cette Eucharistie est qu'on ne dsire pas mener une vie chrtienne ; on ne dsire pas promettre de mener une vie chrti-enne ; on se doute que ce sacrement y oblige, qu'il oblige vivre d'une faon beaucoup plus stricte et plus srieuse qu'on ne le fait pour l'instant Il y a dans la plupart des cas une rpugnance s'engager se charger du joug du Christ ; une rpugnance renoncer pour de bon au service du pch ; un reste d'amour de ses aises, de la volont propre, du refus de l'effort, des habitudes sensuelles, de la bonne opinion de gens qu'on ne respecte pas ; enfin, on doute de pouvoir tenir les bonnes rsolutions, car on n'est pas trop sr de leur sincrit. Voil pourquoi on ne veut pas venir au Christ-Eucharistie pour avoir la vie ; on sait qu'Il ne se livre pas si on ne consent pas se donner lui. 4

    Cardinal John-Henry Newman (1801-1890), in Le mystre de l'glise. 4

  • Sans nous dsesprer, nous pouvons, ce dimanche, prendre la rsolution de travailler lun de ces points, de renoncer lune de ces faims, pour creuser en nous le dsir du seul pain qui rassasie.

    Cest aussi la foi en sa puissance que le Christ vient qumander en ce dimanche. Il sagit dun appel un aspect trs particulier de la foi : o pourrions-nous acheter du pain pour quils aient manger?, nous demande-t-il

    Philippe fait une rponse correcte humainement, mais spirituellement incomplte: nulle part. Il faudrait le salaire de deux cents journes. Andr a-t-il pressenti quelque chose? insiste sur la triste ralit des moyens humains : il ny a que cinq pains et deux poissons mais il les prsente tout de mme au Christ avec lassentiment de leur propritaire. Et nous? face luvre de Dieu, est-ce que nous nous dcourageons en nous contentant dun rai-sonnement humain, ou est-ce que nous passons la logique divine en nous souvenant de la phrase de Gabriel lheure o le pain de vie vient sincarner en Marie: car rien nest im-possible Dieu (Lc 1,37).

    Rien. Ni la prosprit tonnante de nos initiatives charitables, ni la gurison, ni la conver-sion des curs, ni linstauration de la paix, ni la rconciliation l o rgne la discorde, ni la vie l o rgnent les tnbres de la mort. Rien. Si nous croyons cela, alors Dieu peut, sur notre foi, et moyennant notre concours, faire des miracles. Beaucoup de saints en ont fait lexprience. Il y a srement aujourdhui des domaines de notre vie o nous refusons cette logique, o nous ne prsentons pas nos pains et nos poissons, car quest-ce que cela pour tant de monde? Le Seigneur nous invite renoncer nos doutes et voir grand : non pas pour nous-mmes et par nos propres forces mais pour le Royaume et par la puis-sance de Dieu. Que ce soit pour les uvres de misricorde corporelles ou spirituelles, Jsus continue multiplier les pains aujourdhui. Le croyons-nous?

    Vie en gliseNous avons dj soulign combien la scne de la multiplication des pains nous renvoie

    lEucharistie. Le Christ continue de nourrir les mes par son Corps, de sicle en sicle, et ce don de lui-mme tait prfigur par ce miracle. Cest ce que nous explique dom Guranger:

    Sous la figure de ces pains matriels multiplis par la puissance de Jsus, notre foi doit dcouvrir ce Pain de vie descendu du ciel, qui donne la vie au monde (Jn 6,35). La Pque est proche, dit notre Evangile; et sous peu de jours le Sauveur nous dira lui-mme : J'ai dsir d'un extrme dsir manger avec vous cette Pque (Lc 22,15). Avant de passer de ce monde son Pre, il veut rassasier cette foule qui s'est attache ses pas, et pour cela il se dispose faire appel toute sa puissance. Vous admirez avec raison ce pouvoir crateur qui cinq pains et deux poissons suffisent pour nourrir cinq mille hommes, en sorte qu'aprs le festin il reste encore de quoi remplir douze corbeilles. Un prodige si clatant suffit sans doute dmontrer la mission de Jsus ; n'y voyez cependant qu'un essai de sa puissance, qu'une figure de ce qu'il s'apprte faire, non plus une ou deux fois, mais tousles jours, jus-qu' laconsommation des sicles ; non plus en faveur de cinq mille personnes, mais pour la multitude innombrable de ses fidles. Comptez sur la surface de la terre les millions de chr-tiens qui prendront place au banquet pascal ; celui que nous avons vu natre enBethlehem, laMaison du pain, va lui-mme leur servir d'aliment ; et cette nourriture divine ne s'puisera pas. Vous serez rassasis comme vos pres l'ont t ; et les gnrations qui vous suivront seront appeles comme vous venirgoter combien le Seigneur est doux(Ps 33,9). 5

    Le chapitre 6 de Jean illumine la vie de lglise deux titres. Comme lieu du sacrifice eucharistique, et plus gnralement comme assemble sainte runie autour du Christ.

    Dom Guranger, Lanne liturgique, dimanche IV de Carme, p. 365.5

  • Sainte, non par elle-mme, mais par Celui qui se tient au milieu delle pour lenseigner et la nourrir. Rassembles des quatre coins de la rgion par leur commune confiance en Jsus, les foules de Galile se trouvent runies pour entendre une parole unique et leur communion culmine dans le partage dun mme pain. Leur unit vient de cette parole reue et de ce pain. LEucharistie constitue lglise. Voici ce quen disait Benoit XVI dans une exhortation apostolique de 2007:

    L'Eucharistie est le Christ qui se donne nous, en nous difiant continuellement comme son corps. Par consquent, dans la relation circulaire suggestive entre l'Eucharistie qui difie l'glise et l'glise elle-mme qui fait l'Eucharistie, la causalit premire est celle qui est exprime dans la premire formule : l'glise peut clbrer et adorer le mystre du Christ prsent dans l'Eucharistie justement parce que le Christ lui-mme s'est donn en premier elle dans le Sacrifice de la croix. La possibilit, pour l'glise, de faire l'Eucharistie est compltement enracine dans l'offrande que le Christ lui a faite de lui-mme. Nous dcou-vrons ici aussi un aspect convaincant de la formule de saint Jean: Il nous a aims le pre-mier (1 Jn4, 19). Ainsi, dans chaque clbration, nous confessons nous aussi le primat du don du Christ. L'influence causale de l'Eucharistie l'origine de l'glise rvle en dfinitive l'antriorit non seulement chronologique mais galement ontologique du fait qu'il nous a aims le premier . Il est pour l'ternit celui qui nous aime le premier. 6

    La vie du Christ est donne en nourriture, qui nous unit son Corps : lunit de lglise est ainsi sacre et les divisions sont proscrire tout prix. Cest lobjet de la deuxime lec-ture:

    Ayez soin de garder lunit dans lEsprit par le lien de la paix () Il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule fois, un seul baptme, un seul Dieu et pre de tous. (Ep 4,3-5)

    Lunit de lglise nest pas une simple camaraderie, cest une ralit mystique ne de la Croix. Cest pourquoi lorsquapparaissent des dsaccords qui doivent, bien sr, sexprimer ils ne doivent pas donner lieu des divisions et des affrontements. Nous devons toujours nous souvenir avec respect de Celui qui nous unit. Je vous exhorte vous conduire dune manire digne de votre vocation, nous dit Paul.

    Les ministres du ChristLes propos de Paul nous montrent que les premires communauts, comme les ntres,

    vivaient des moments de tension ; il devait tre difficile de vivre en paix lorsque Pierre et Paul sopposaient publiquement : Mais quand Cphas vint Antioche, je lui rsistai en face, parce qu'il tait dans son tort. (Gal 2,11).

    Si lon se place du point de vue des foules, les nombreux dfauts des aptres apparais-saient aux yeux de tous. Ils peuvent parfois faire cran entre Jsus et les foules, rendant plus difficile son accs. Lpisode o des Grecs veulent voir Jsus et doivent passer par Phi-lippe, puis Andr (Jn 12), celui des petits enfants dont les disciples trouvent la prsence d-place (Mt 19), nous laissent imaginer cette ralit. Sans compter le contre-tmoignage de la trahison de Judas, du reniement de Pierre et de la dsertion des autres lheure dcisive. Lors de la multiplication des pains, peut-tre certaines personnes ont-elles ressenti de la r-pugnance obir aux aptres, recevoir le pain deux et non directement de Jsus, constater quils emportaient le surplus de pain comme sils lavaient gagn Encore au-jourdhui, limportance des ministres dans la vie de lglise nest pas du got de tous; sans

    Benot XVI, Exhortation Sacramentume Caritatis, n14, 6 http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/apost_exhortations/documents/hf_ben-xvi_exh_20070222_sacramentum-cari-

    tatis.html#Eucharistie_et_%C3%89glise

    http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/apost_exhortations/documents/hf_ben-xvi_exh_20070222_sacramentum-caritatis.html%23Eucharistie_et_%25C3%2589glisehttp://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/apost_exhortations/documents/hf_ben-xvi_exh_20070222_sacramentum-caritatis.html%23Eucharistie_et_%25C3%2589glise

  • parler des scandales, leurs simples dfauts font grincer bien des dents coutons alors ce conseil du pre de Lubac, forg par lexprience personnelle:

    Il se peut que bien des choses, dans le contexte humain de lglise, nous doivent. Il se peut aussi que nous y soyons, sans quil y ait de notre faute, profondment incompris. Il se peut que, dans son sein mme, nous ayons subir perscution. Le cas nest pas inou, quoiquil faille viter de nous lappliquer prsomptueusement. La patience et le silence ai-mant vaudront alors mieux que tout; nous naurons point craindre le jugement de ceux qui ne voient pas le cur et nous penserons que jamais lglise ne nous donne mieux Jsus-Christ que dans ces occasions quelle nous offre dtre configurs sa Passion. Nous conti-nuerons de servir par notre tmoignage la Foi quelle ne cesse pas de prcher. Lpreuve sera peut-tre plus lourde, si elle ne vient pas de la malice de quelques hommes, mais dune situation qui peut paratre inextricable: car il ne suffit point alors pour la surmonter dun par-don gnreux ni dun oubli de sa propre personne. Soyons cependant heureux, devant le Pre qui voit dans le secret, de participer de la sorte cette Veritatis unitas que nous implo-rons pour tous au jour du Vendredi Saint. Soyons heureux, si nous achetons alors au prix de lefficace nos accents lorsque nous aurons soutenir quelque frre branl, lui disant avec saint Jean Chrysostome : Ne te spare point de lglise ! Aucune puissance na sa force. Ton esprance, cest lglise. Ton salut, cest lglise. Ton refuge, cest lglise. Elle est plus haute que le ciel et plus large que la terre. Elle ne vieillit jamais: sa vigueur est ternelle. 7

    Lattitude pdagogique de Jsus lgard de ses ministres, continue de sappliquer aux agents pastoraux de lglise. Il confiait ainsi un jour la mystique mexicaine Concepcin Cabrera:

    Les prtres ont un rle trs dlicat jouer dans les mes, cest pourquoi ils ont encore plus besoin que quiconque dabngation, de matrise de soi, de douceur, de charit et dautres vertus nombreuses. Quils noublient pas que je suis toujours l pour les aider, quil leur faut tre aimables sans sabaisser, doux tout en gardant de lnergie, attirants, tout en gardant leurs distances, patients dans la mesure du possible, et prudents toujours. 8

    Ne prenons pas prtexte de limperfection parfois scandaleuse- de lglise pour cher-cher ailleurs ce pain que le Christ veut nous donner malgr lindignit de ses ministres. Cest un pige. Le Christ a voulu lglise et la voulue sainte et immacule. Commenons par nous rformer nous-mmes et lglise sera meilleure. Si nous sommes ministres du Christ, es-sayons chaque jour dtre ce parfait ami que Jsus voyait en Saint Claude La Colom-bire. Si nous sommes consacrs ou lacs, travaillons notre saintet et offrons notre vie, nos souffrances et nos difficults pour la sanctification des ministres. coutons le Christ r-ver tout haut dans ses confidences Concepcin, et puisons-y un amour renouvel pour notre glise telle quelle est, telle quelle peut devenir:

    Le jour o mes prtres seront transforms en moi, ce jour-l le peuple me reconnatra dans ses bergers et il lui deviendra plus ais de grandir dans la foi et dans la charit. Tous me verront alors et mobiront travers eux. Tel est le secret de lunit. Chaque prtre me verra dans lautre prtre, dune manire visible et concrte. De mme que dans chaque hos-tie consacre je suis rellement prsent tandis que disparaissent les espces du pain, de mme mes prtres qui sont les hosties du ciboire de mon Cur deviendront tous gaux, tous purs et diviniss, remplis de lEsprit Saint, ne formant plus quun seul corps, comme moi, qui, multipli par lEucharistie, reste un en vertu du principe de lunit de la Trinit. Comme elle est belle, lunit des hosties en une seule substance tandis que les espces

    Card. Henri de Lubac, Mditation sur lglise, Cerf 2006, p.184.7

    Conchita Cabrera de Armida, A ceux que jaime plus que tout : confidences de Jsus aux prtres, Tqui 2008, p.98.8

  • disparaissent en moi! Cest cette unit-l qui doit tre celle de mes prtres. Ils ne formeront plus quune seule substance tandis que la crature en eux disparatra dans le Crateur lors de leur transformation en moi. Oui, je serai alors en eux bien vivant, bien rel, agissant, travers eux extrieurement tout en tant en eux lintrieur pour convertir et sauver! 9

    Conchita Cabrera de Armida, A ceux que jaime plus que tout : confidences de Jsus aux prtres, Tqui 2008, p.176.9