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Dimanche XXVII du Temps Ordinaire - Année A À lʼécoute de la Parole Une vigne choyée par son propriétaire qui ne donne pas de fruit et se retrouve abandonnée : tel est le drame du peuple dʼIsraël selon Isaïe (Is 5). Jésus reprend cette image dans la parabole des « vignerons homicides » : Il est le Fils venu chercher les fruits de la vigne, mais haï par les vignerons (Mt 21). Voir l’explication détaillée Méditation : le Fils sʼest fait vigne… Le scandale de ces vignerons infidèles nous renvoie à notre ingratitude et à notre propre pé- ché ; mais Jésus vient « se faire vigne » : Il est celui qui nous porte et nous incorpore à lui pour produire du fruit… Voir la méditation complète Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC Pour aller plus loin Puisque lʼévangile du jour nous propose la métaphore de la vigne, on pourra découvrir – ou redécouvrir – la spiritualité de ces grands vignerons (aux sens propre et figuré) que furent les Cisterciens, par exemple lʼOrdre Cistercien de la Stricte Observance, présentés ici : www.ocso.org/qui-sommes-nous/our-spirit/?lang=fr On pourra aussi sʼinspirer dʼun excellent article dʼun historien, Jean-Baptiste Noé, publié ici : www.jbnoe.fr/la-vigne-et-la-Bible

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Dimanche XXVII du Temps Ordinaire - Année A

À lʼécoute de la Parole

Une vigne choyée par son propriétaire qui ne donne pas de fruit et se retrouve abandonnée : tel est le drame du peuple dʼIsraël selon Isaïe (Is 5).

Jésus reprend cette image dans la parabole des « vignerons homicides » : Il est le Fils venu chercher les fruits de la vigne, mais haï par les vignerons (Mt 21).

Voir  l’explication  détaillée  

Méditation : le Fils sʼest fait vigne…

Le scandale de ces vignerons infidèles nous renvoie à notre ingratitude et à notre propre pé-ché ; mais Jésus vient « se faire vigne » : Il est celui qui nous porte et nous incorpore à lui pour produire du fruit…

Voir  la  méditation  complète  

Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC

Pour aller plus loin

Puisque lʼévangile du jour nous propose la métaphore de la vigne, on pourra découvrir – ou redécouvrir – la spiritualité de ces grands vignerons (aux sens propre et figuré) que furent les Cisterciens, par exemple lʼOrdre Cistercien de la Stricte Observance, présentés ici : www.ocso.org/qui-sommes-nous/our-spirit/?lang=fr

On pourra aussi sʼinspirer dʼun excellent article dʼun historien, Jean-Baptiste Noé, publié ici : www.jbnoe.fr/la-vigne-et-la-Bible

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À lʼécoute de la Parole

« La vigne du Seigneur de lʼunivers, cʼest la maison dʼIsraël » (Is 5,7) : toute la liturgie de la Parole, ce dimanche, est dominée par la grande métaphore de la vigne. Le prophète Isaïe nous présente le contentieux entre Dieu et son peuple à travers lʼaventure dʼune vigne choyée par son propriétaire, puis abandonnée (Is 5) ; le psalmiste supplie Dieu pour la vigne (Ps 80) ; Jésus, enfin, nous raconte une parabole dʼune portée extraordinaire, où toute lʼhistoire du Salut est concentrée : celle des « vignerons homicides » (Mt 21).

La vigne remplit une place particulière dans la Bible. Melchisédech apporte à Abraham du vin, un produit inconnu des nomades. La vigne et le vin sont alors symbole dʼunion spirituelle et de réjouissance. Dans le Cantique des Cantiques la vigne exprime la consommation de lʼamour de Dieu pour son peuple. Lors de lʼentrée en Terre Sainte, les messagers envoyés par Moïse rapportent dʼEshkol une grappe de taille démesurée qui symbolise lʼaccomplissement de la promesse de Dieu. Il nʼest donc pas étonnant que le premier signe accompli par Jésus en Jean 2 soit la transformation de lʼeau en vin, annonce de la plénitude des temps et du salut dans le Christ

Commençons donc par cette belle description de la vigne et de sa valeur naturelle :

« Peu de cultures dépendent autant que la vigne, à la fois du travail attentif et ingénieux de lʼhomme, et du rythme des saisons. La Palestine, terre de vignobles, enseigne à Israël à goûter les fruits de la terre, à mettre tout son cœur à une tâche prometteuse, mais aussi à tout attendre de la générosité divine. Dʼautre part, la vigne, si précieuse, a quelque chose de mystérieux. Elle ne vaut que par son fruit. Son bois est sans valeur (cf. Ez 15), et ses sar-ments stériles ne sont bons que pour le feu (Jn 15) ; mais son fruit réjouit “dieux et hommes” (Jg 9,13) ; la vigne cache donc un mystère plus profond : si elle apporte la joie au cœur de lʼhomme (Ps 104), il est une vigne dont le fruit est la joie de Dieu… »1

Isaïe, le grand poète dʼIsraël, a perçu profondément cette joie du Seigneur, son attention amoureuse vis-à-vis dʼIsraël ; il lʼexprime avec force : « la vigne magnifique, chantez-la ! Moi, le Seigneur, j'en suis le gardien, de temps en temps, je l'irrigue ; pour qu'on ne lui fasse pas de mal, nuit et jour je la garde » (Is 27,2-3). Dans la première lecture (Is 5), Isaïe sʼidentifie avec « lʼami du bien-aimé », cʼest-à-dire lʼhomme de Dieu, qui devrait chanter la joie de lʼépoux se réjouissant face à lʼépouse ; mais bien vite son chant devient amer et se change en une plainte douloureuse. Lʼépouse nʼest pas fidèle, la vigne ne produit que de mauvais fruits, et le courroux divin a toute la force dʼun amour trompé.

Lʼaccusation est très claire : « Dieu attendait de son peuple le droit, et voici le crime ; il en at-tendait la justice, et voici les cris » (Is 5,7). Le châtiment va donc sʼabattre sur le peuple : la vigne sera abandonnée, dévastée par les bêtes, condamnée à mourir de soif. Toutes les vi-cissitudes du peuple dʼIsraël entrent dans cette description : le joug de Babylone, la destruction du Temple, lʼExil humiliant, les guerres dévastatrices, la pauvreté et la faim qui ne cessent dʼaffliger le peuple pourtant élu par le Seigneur.

Isaïe exprimait le « point de vue divin », lʼamour déçu de Dieu, pour expliquer lʼorigine de tant de calamités ; le psalmiste nous offre quant à lui le « point de vue humain », sous forme dʼune longue complainte (Ps 80), celle du peuple pécheur, abandonné par son Dieu:

1 Article Vigne dans Vocabulaire de théologie biblique, Xavier Léon-Dufour (ed.). 2 Catéchisme, nº755, qui cite Lumen Gentium, nº6 : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P21.HTM 3 Missel romain, Prière eucharistique IV. 4 François Mauriac, Vie de Jésus, Flammarion 1936, p. 201.

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- Il se souvient des hauts faits du Seigneur : lʼExode, la conquête de la Terre Sainte, le Royaume de David… la vigne est alors parvenue à la splendeur de sa maturité : « Elle étendait ses sarments jusquʼà la mer » (v.12) ;

- Les puissances étrangères lʼont pourtant conquise, lʼexploitent sans retenue, et la condamnent à lʼhumiliante pauvreté : « Tous les passants y grappillent en che-min » (v.13) ;

- Le psalmiste ne désespère pas : Dieu demeure le Seigneur dʼIsraël, et nʼabandonnera pas sa vigne ; il le supplie dʼintervenir de nouveau : « Visite cette vigne, protège-la » (v.15) ;

- En contrepartie, le peuple sʼengage à la fidélité : « jamais plus nous nʼirons loin de toi » (v.19) ; il proclame ce cri de foi si beau et si poignant : « Que ton visage sʼéclaire, et nous serons sauvés ! » (v.20).

Avec cet arrière-fond biblique, lʼauditoire de Jésus a parfaitement saisi le sens de son dis-cours lorsquʼil commence le récit de sa parabole par « Un homme était propriétaire dʼun do-maine… ». Mais il change subtilement la présentation dʼIsaïe : lʼaccent nʼest plus mis sur la vigne, mais sur les vignerons ; implicitement, il se fait donc lʼavocat du peuple. La vigne nʼest pas en bonne santé. Mais la faute en revient aux vignerons : cʼest leur comportement qui est dénoncé par la parabole. Tout le contexte de ce chapitre 21 de Matthieu est celui dʼun affrontement entre les autorités du peuple et Jésus : après la parabole des « ouvriers de la onzième heure », et celle des « deux fils », cette parabole des « vignerons homicides » cons-titue le dévoilement le plus cru du drame qui se noue à Jérusalem. Personne ne sʼy trompe : « Les grands prêtres et les Pharisiens, en entendant ses paraboles, comprirent bien qu'il les visait. » (v.45).

Le peuple élu nʼa cessé dʼêtre rebelle et ne produit pas de bons fruits, certes, mais Jésus est précisément allé à la rencontre des pécheurs, les tirant de leur profonde misère morale. En effet, le Christ ne sʼen tient pas à une dénonciation prophétique dans le Temple, à la manière de Jérémie (cf. Jr 7) ; il sʼinsère lui-même explicitement dans la parabole qui met en scène toute lʼhistoire du Salut : « Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ʻIls res-pecteront mon filsʼ » (v.37). Pourrait-on imaginer une présentation plus émouvante de lʼIncarnation ?

Soulignons combien le comportement des vignerons, dans la parabole, est irrationnel : croyaient-ils vraiment « recevoir la vigne en héritage » ? Comme Adam et Eve au jardin dʼEden, ils décident de couper le lieu de dépendance avec Dieu, de devenir les seuls proprié-taires dʼune existence quʼils ne tiennent pas dʼeux-mêmes. Le mal les a aveuglés, et leur crime apparaît dans toute sa laideur, comme les frères de Joseph qui se disaient entre eux, sans autre logique que la haine : « Voilà l'homme aux songes qui arrive ! Maintenant, venez, tuons-le et jetons-le dans n'importe quelle citerne ; nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré. Nous allons voir ce qu'il adviendra de ses songes ! » (Gn 37,19-20) ; on se souvient également du crime de Jézabel et Achab pour sʼapproprier de la vigne de Nabot (1R 21). Fé-rocité du cœur humain, enfermé dans les ténèbres, qui ne supporte pas la bonté divine et veut étouffer la lumière.

Comme pour Joseph, cʼest précisément le crime qui conduira, à lʼinsu des criminels, au triomphe du Juste et au salut de la multitude. Jésus nʼexplique pas seulement sa Pas-sion, mais il anticipe aussi sa Résurrection en citant le Psaume 118. Il dit donc clairement à ses adversaires, les « bâtisseurs » ou les « vignerons », quʼils vont le rejeter comme on mé-prise une pierre de peu de valeur, qui ne sʼinsère pas dans leur projet tout humain de gloire éphémère ; mais il deviendra, par lʼœuvre de son Père, la « pierre dʼangle », cʼest-à-dire la pierre qui est située au sommet de lʼœuvre et la soutient toute entière (ou celle qui en est le fondement, selon une autre interprétation).

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Matthieu insiste alors sur cette transition délicate dans lʼhistoire du Salut, quʼil a lui-même vécue à la première personne : le passage dʼIsraël, la vigne des prophètes, à lʼÉglise, la vigne des apôtres. « Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire son fruit » (v.43). Le Catéchisme reprend la métaphore de la vigne pour expliquer le mystère de lʼÉglise :

« LʼÉglise est le terrain de culture, le champ de Dieu (1 Co 3, 9). Dans ce champ croît lʼantique olivier dont les patriarches furent la racine sainte et en lequel sʼopère et sʼopérera la réconciliation entre Juifs et Gentils (cf. Rm 11, 13-26). Elle fut plantée par le Vigneron cé-leste comme une vigne choisie (cf. Mt 21, 33-43 par. ; cf. Is 5, 1-7). La Vigne véritable, cʼest le Christ : cʼest lui qui donne vie et fécondité aux rameaux que nous sommes : par lʼÉglise nous demeurons en lui, sans qui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15, 1-5). »2

La liturgie nous offre, dans la 4e prière eucharistique, une très belle présentation de ce mys-tère de lʼhistoire du Salut, où Dieu le Père se penche avec amour sur sa vigne :

« Dans ta miséricorde [Père très saint], tu es venu en aide à tous les hommes pour quʼils te cherchent et puissent te trouver. Tu as multiplié les alliances avec eux, et tu les as formés, par les prophètes, dans lʼespérance du salut.

Tu as tellement aimé le monde, Père très saint, que tu nous as envoyé ton propre Fils, lors-que les temps furent accomplis, pour quʼil soit notre Sauveur. […] Pour accomplir le dessein de ton amour, il sʼest livré lui-même à la mort, et, par sa résurrection, il a détruit la mort et renouvelé la vie… »3

Le Christ, la vigne véritable

2 Catéchisme, nº755, qui cite Lumen Gentium, nº6 : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P21.HTM 3 Missel romain, Prière eucharistique IV.

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Méditation : le Fils sʼest fait vigne…

Dieu qui prend soin de son peuple comme un propriétaire se dépense sans compter pour sa vigne : cette image nous inspire aujourdʼhui. Cette parabole vient dénoncer le péché présent dans notre cœur puis nous révéler la place inattendue du Fils : il se fait lui-même vigne.

Replaçons la parabole des « vignerons homicides » dans son contexte historique : dans le Temple de Jérusalem, alors quʼil ne lui reste que quelques jours à vivre, Jésus sʼadresse di-rectement à ceux qui veulent le tuer. Il ne craint pas le conflit, ne cherche pas à lʼéviter : bien au contraire, il en parle ouvertement, comme pour regarder en face la violence qui rôde au-tour de lui, et la dénoncer aux assistants. Il montre ainsi à ses disciples quʼil va volontaire-ment au-devant de sa Passion. Il voudrait cependant une dernière fois la désarmer, cette violence qui va se déchaîner comme une bête féroce : il la force à venir en plein jour et la décrit sans détour. « Ils se saisirent du fils, le jetèrent hors de la vigne et le tuè-rent. » François Mauriac a bien saisi la force de cette parole pour lʼauditoire de Jésus :

« Une prophétie à si brève échéance aurait dû toucher leurs cœurs : cʼest le Fils bien-aimé qui, en ce moment même, sʼadresse aux vignerons homicides ; la croix existe déjà quelque part, dans quelque magasin où les gibets sont en réserve. Judas fixe le chiffre de trente de-niers ; Pilate lit un rapport sur le tumulte que cause parmi le peuple un guérisseur nazaréen. Et cependant cet aventurier fourbu, sur qui la Synagogue a lʼœil, et qui nʼira plus loin mainte-nant, interpelle les renards spécialisés dans les Ecritures et leur met de force le museau dans le texte : “Jetant les regards sur eux, Jésus dit : Quʼest-ce donc que cette parole de lʼEcriture : la pierre quʼont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue le sommet de lʼangle ? Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ; et celui sur qui elle tombera sera écrasé.”»ʼ4

Comme les auditeurs de Jésus, nous sommes scandalisés par ces vignerons homicides. Dans le Temple, une voix sʼest élevée pour répondre à la question rhétorique de Jésus, « ces misérables, il les fera périr misérablement… » Une voix anonyme qui ressemble bien à la voix de notre conscience, qui dénonce le mal et en montre les consé-quences ultimes. Écoutons cette voix : elle nous renvoie à nos propres refus, à nos rebel-lions contre Dieu qui devraient nous scandaliser et nous conduire à une profonde contrition. Il y a dʼabord un péché commun à notre époque, décrit par le pape Benoît XVI dans son expli-cation de la parabole :

« Les vignerons ne veulent pas avoir de propriétaire - et ces vignerons constituent égale-ment pour nous un miroir. Nous les hommes, auxquels la création est pour ainsi dire confiée en gestion, nous l'usurpons. Nous voulons en être les propriétaires au premier chef et tous seuls. Nous voulons posséder le monde et notre propre vie de manière illimitée. Dieu est pour nous une entrave. Ou bien on le réduit à une simple phrase pieuse ou bien il est nié to-talement, mis au ban de la vie publique, au point de perdre toute signification. La tolérance, qui admet pour ainsi dire Dieu comme une opinion privée, mais lui refuse le domaine public, la réalité du monde et de notre vie, n'est pas tolérance, mais hypocrisie. Mais là où l'homme se fait le seul propriétaire du monde et propriétaire de lui-même, la justice ne peut pas exis-ter. Là, ne peut dominer que l'arbitraire du pouvoir et des intérêts. Bien sûr, l'on peut chasser le Fils hors de la vigne et le tuer, pour goûter de manière égoïste, tous seuls, les fruits de la terre. Mais alors, la vigne se transforme bien vite en un terrain inculte détruit par les san-gliers, comme nous dit le Psaume responsorial (cf. Ps 79, 14). »5

4 François Mauriac, Vie de Jésus, Flammarion 1936, p. 201. 5 Benoît XVI, Homélie du 2 octobre 2005, https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2005/documents/hf_ben-

xvi_hom_20051002_opening-synod-bishops.html.

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Mais la parabole nous interpelle aussi individuellement. Si Jésus est mort « pour nos pé-chés », cʼest que nous nous comportons comme ces vignerons infidèles. Aussi sommes-nous invités à nous interroger :

En tant que simple fidèle, ai-je conscience que le sacerdoce commun des baptisés me cons-titue prêtre, prophète et roi, et que le salut de mes frères passe par moi ? Suis-je un témoin du Christ ? Est-ce que jʼaide les autres à découvrir lʼamour de Dieu et à réformer leur vie ? Lorsque le Seigneur mʼenvoie des messagers pour mʼappeler à la conversion, est-ce que je les accueille avec humilité ou bien est-ce que je les jette dehors ?

Si je suis en charge du peuple de Dieu, est-ce que jʼai le souci de la vigne du Seigneur, que mes brebis se convertissent et quʼelles grandissent en sainteté ? Ou bien ai-je tendance à esquiver les difficultés, à les accompagner sans exigence, ou encore sans douceur et sans amour ?

Le Seigneur vient chercher des fruits spirituels sur sa vigne, quelle est notre ré-ponse ? Saint Bernard exprimait ainsi le gémissement dʼun pasteur qui mesure les ravages causés par ses défauts :

« Que de fois, ô ma vigne, vous a-t-on pillée par mille ruses et mille stratagèmes, lors même que je veillais avec plus de soin pour vous garder ? Combien de grappes de bonnes œuvres la colère a-t-elle fait couler ? Combien l'orgueil en a-t-il emporté ? Combien la vaine gloire en a-t-elle gâté ? Quels ravages n'ont pas causé en moi les charmes de la gourmandise, la tié-deur de l'âme, la faiblesse et la timidité de l'esprit, au milieu des orages qui s'élevaient en moi ? Voilà en quel état je me trouvais, et cependant on n'a pas laissé de m'établir pour gar-der les vignes, sans considérer ni ce que je faisais ni ce que j'avais fait de la mienne, et sans écouter les avertissements du Maître, qui a dit : “Comment celui qui ne sait pas gouverner sa maison, pourra-t-il avoir soin de l'Église de Dieu ?” (1 Tim 3, 5) ? »6

En réalité, la venue du Christ opère un changement majeur que Jésus laisse entrevoir en ci-tant le Psaume 118 sur la « pierre angulaire ». Les vignerons dʼIsraël étaient tous ceux qui exerçaient des responsabilités envers le peuple ; ils devaient rapporter à Dieu les fruits de justice.

Les serviteurs envoyés par Dieu étaient les prophètes, venus leur rappeler ce devoir. Mais un jour vint le Fils ; et ce Fils accomplit le prodige non seulement de recueillir de bons fruits sur la vigne, mais de devenir la vigne elle-même. Plus encore, il sʼoffre pour nous greffer à lui : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments » (Jn 15,5), dit Jésus dans lʼévangile de Jean. Il nous assure, si nous lui restons unis, de porter un fruit abondant : « celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit ». Et dans le même temps, il nous avertit : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire… »

Cʼest précisément le meurtre du Fils, et son rétablissement par le Père, qui a permis ce changement inouï : désormais, Dieu nʼest pas seulement propriétaire de la vigne, mais il sʼest uni à cette vigne par son Fils. Les « fruits de la vigne » surgissent de lʼamour trini-taire, de cette réponse éternelle du Fils à son Père : lʼEsprit nous transforme en sar-ments dans la vigne quʼest Jésus. Le pape Benoît lʼexprimait ainsi :

« De la mort du Fils surgit la vie, un nouvel édifice se forme, une nouvelle vigne. Lui, qui à Cana changea l'eau en vin, a transformé son sang dans le vin du véritable amour et trans-forme ainsi le vin en son sang. Dans le Cénacle, il a anticipé sa mort et l'a transformée en

6 Saint Bernard, Sermons sur le Cantique, traduction Charpentier (Vivès, 1866), XXX, 6.

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don de soi, en un acte d'amour radical. Son sang est don, il est amour, et pour cette raison, il est le vin véritable que le Créateur attendait. De cette manière, le Christ lui-même est deve-nu la vigne et cette vigne porte toujours du bon fruit : la présence de son amour pour nous, qui est indestructible. »7

Cʼest pourquoi notre rôle dans lʼÉglise nʼest plus celui de « vignerons salariés », qui de-vraient remettre des fruits à un maître lointain et exigeant. Il consiste plutôt à sʼimmerger dans le mystère du Christ qui produit lui-même le bon vin quʼest lʼamour. Nous ne sommes plus serviteurs mais amis (Jn 15, 15).

Pour le dire autrement : les Prophètes exhortaient à la vertu pour se rapprocher de Dieu, mais les apôtres baptisent au nom de la Trinité, incorporant de nouveaux membres dans cette vigne immense quʼest lʼÉglise. Elle sʼétend, animée par lʼEsprit, comme le Corps mystique du Christ qui introduit toute lʼhumanité dans la filiation au Père. Cʼest ce qui rendait la confiance à saint Bernard, en détournant ses regards de ses défauts pour les fixer sur la beauté de lʼÉglise, œuvre de Dieu :

« C'est lui qui la rend féconde, c'est lui qui la taille et qui la façonne, afin qu'elle rapporte plus de fruit. Car comment pourrait-il abandonner une vigne qu'il a plantée de ses propres mains ? Certes, elle ne saurait être négligée, la vigne dont les apôtres sont les pampres, le Sei-gneur le ceps et son Père le vigneron. Plantée dans la foi, elle jette ses racines dans la cha-rité, elle est labourée comme avec le sarcloir de la discipline, fumée avec les larmes de la pénitence, arrosée par les discours des prédicateurs ; voilà comment elle donne du vin en abondance, mais un vin qui cause la joie, non la débauche, un vin qui est plein de douceur et exempt de toute impureté. Ce vin est celui qui réjouit le cœur de l'homme et dont les anges boivent avec plaisir. Car ils ressentent de la joie à la conversion et à la pénitence des pé-cheurs, parce qu'ils sont altérés du salut des hommes. Les larmes des pénitents sont leur vin, parce que dans ces larmes ils trouvent l'odeur de la vie, la saveur de la grâce, le goût du pardon, la joie de la réconciliation, la santé de lʼinnocence recouvrée et la douceur d'une conscience sereine. »8

Ce mystère de la vigne, nous en célébrons le sommet à la Messe. LʼEucharistie est comme une nouvelle floraison de cette vigne qui est le Christ « total » : à la fois glo-rieux au Ciel, et présent sur terre dans ses membres. Le Père suscite cette réponse dʼamour de lʼÉglise et cʼest le Christ qui la réalise par son mystère pascal rendu présent sur lʼautel et auquel nous sommes invités à communier. LʼEsprit anime cette offrande comme la sève dans les sarments. Notre vie en est profondément renouvelée, comme lʼexpliquait le pape Benoît :

« Dans la sainte Eucharistie, il nous attire tous à lui depuis la croix (Jn 12, 32) et nous fait devenir des sarments de la vigne qu'Il est lui-même. Si nous demeurons unis à lui, alors nous porterons du fruit nous aussi, alors, nous aussi, nous ne produirons plus le vinaigre de l'autosuffisance, du mécontentement de Dieu et de sa création, mais le bon vin de la joie de Dieu et de l'amour envers le prochain. »9

Nous pouvons reprendre cette belle prière de saint Jean-Paul II pour les vocations, ces « vignerons » dont le Christ a besoin aujourdʼhui :

7 Benoît XVI, Homélie du 2 octobre 2005, https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2005/documents/hf_ben-

xvi_hom_20051002_opening-synod-bishops.html. 8 Saint Bernard, Sermons sur le Cantique, traduction Charpentier (Vivès, 1866), XXX, 3. 9 Benoît XVI, Homélie du 2 octobre 2005, https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2005/documents/hf_ben-

xvi_hom_20051002_opening-synod-bishops.html.

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« Père Saint, regarde notre humanité que voici ; elle fait ses premiers pas sur la route du troisième millénaire. Sa vie est encore fortement marquée par la haine, la violence, lʼoppression, mais la faim de justice, de vérité et de grâce trouve encore de lʼespace dans le cœur de tant de personnes qui attendent celui qui portera le salut, réalisé par toi grâce à ton Fils Jésus.

Le monde a besoin de hérauts courageux de lʼÉvangile, de serviteurs généreux de lʼhumanité souffrante. Envoie à ton Église, nous tʼen prions, de saints prêtres pour quʼils sanctifient ton peuple avec les instruments de ta grâce. Envoie de nombreuses âmes consacrées, pour quʼelles manifestent ta sainteté au milieu du monde.

Envoie dans ta vigne de saints ouvriers, pour quʼils travaillent avec lʼardeur de la charité et que, poussés par ton Esprit Saint, ils portent le salut du Christ jusquʼaux extrémités de la terre. Amen. »10

10 Jean Paul II, Message pour la journée des vocations, 2002, https://w2.vatican.va/content/john-paul-

ii/fr/messages/vocations/documents/hf_jp-ii_mes_20011123_xxxix-voc-2002.html.