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LE 2 e REP A SARAJEVO I En haut. Sur l'un des postes de contrôle face à la piste d'aviation, des légionnaires du 2e REP assistent, aux premières loges, à un échange d'artillerie et d'armes de petit calibre entre des Bosniaques et des Serbes, Quotidiennement, des affrontements se font entendre au-dessus de la tête des képis blancs. Au centre. Sous l'oeil des légionnaires en position dans les VAB sur les points de contrôle, un Hercules C-130 américain décolle de l'aéroport après avoir apporté son tonnage d'aide humanitaire. En bas. Sur son tourelleau de VAB armé d'une 12,7 mm, un béret vertarborant pour la première fois le casque bleu inspecte les mouvements des combattants dans les ruines de Butmir, face à l'aéroport.

Le 2REP a Sarajevo,RAIDS N°83,1993.ápr

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LE 2e REP ASARAJEVO

I

En haut. Sur l'un des postes de contrôle face à la piste d'aviation, deslégionnaires du 2e REP assistent, aux premières loges, à un échanged'artillerie et d'armes de petit calibre entre des Bosniaques et des Serbes,Quotidiennement, des affrontements se font entendre au-dessus de la tête desképis blancs.

Au centre. Sous l'œil des légionnaires en position dans les VAB sur les pointsde contrôle, un Hercules C-130 américain décolle de l'aéroport après avoirapporté son tonnage d'aide humanitaire.

En bas. Sur son tourelleau de VAB armé d'une 12,7 mm, un béret vert—arborant pour la première fois le casque bleu — inspecte les mouvements descombattants dans les ruines de Butmir, face à l'aéroport.

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Mi-février, aéroport deSarajevo. Derrière la vitreblindée, calé dans les sacsde sable, l'adjudant du2e REP Henri repose sesjumelles. Le soir tombe surla piste d'aviation. En face,Dobrinja, le quartierbosniaque encerclé par lesSerbes, est éclairée par lesderniers rayons d'un soleilhivernal. « C'esf l'heure, Ilsvont commencer ! »

Texte et photos :Yves DEBAY

Du poste d'observation situé sur le toit platd'un des bâtiments techniques de l'aéroport,la vue est imprenable. Dobrinja, dont seul ungros pâté de maisons est occupé par lesSerbes — on peut d'ailleurs parfois les voircourir entre les ruines face à l'aéroport —, estle quartier martyr des Bosniaques. A gauche,un peu en retrait, c'est le quartier d'Ilidza, l'unedes principales bases de feu des Serbes.

26 Comme presque tous les soirs avant le cou-

cher de soleil, le « cirque », pour reprendrel'expression des légionnaires, commence : tra-çantes des Douchka 1, tritubes M-55 de20 mm et quelquefois de Praga 2, associésaux obus de mortiers et d'artillerie.

La cible des « snipers »Une nouvelle fois, les Serbes écrasent

Dobrinja. Cependant, de temps à autre, unmortier de 81 mm fait entendre sa réponse.Et des pièces du même calibre servies par lesBosniaques ouvrent parfois le feu à partir deButmir, de l'autre côté des pistes de l'aéro-port, afin de soulager les défenseurs deDobrinja et de matraquer les bases de feuserbes. Toute cette ferraille se croise au-des-sus des casques bleus. Les légionnaires dela 1re compagnie du 2e REP sont aux pre-mières loges et comptent les coups. L'adju-dant Henri, un solide Antillais, s'assure que lepersonnel de garde sur les postes d'observa-tion de la Légion note bien les départs et lesarrivées. Les tirs n'empêchent cependant pasle travail et, sur le parking, des légionnairesentretiennent les véhicules VAB et VBL héri-tés du RICM qui a ici précédé la Légion. Lesblindés peints en blanc et frappés du sigle« UN » 3 sont souvent pris pour cibles par lessnipers et touchés par les éclats qui laissentd'impressionnantes cicatrices sur les blin-dages. Tous les hommes au travail portent lenouveau casque français Spectra et le giletpare-éclats. Soudain, un obus de mortier de120 mm tombe juste derrière le périmètre de

A gauche. Des éléments de la 3e compagnie du17*RGP de Montauban font exploser des armes etdes munitions prises sur la zone de l'aéroport.

Ci-dessus. Lors d'une liaison entre l'aéroport etSarajevo, les VAB du 2e REP font leur jonction avecdes BTR-70 des forces ukrainiennes.

sécurité. Un panache de fumée couvre lesmaisons dévastées situées à peine à cin-quante mètres des légionnaires au travail.« Ceux qui n'ont rien à faire ici, à l'abri », hur-le le colonel Poulet présent sur les lieux 4. Lechef de corps du 2e REP y a effectué unegrande partie de sa brillante carrière.

Visage taillé à coups de serpe, fines lunettescerclées, sec et cassant, le colonel Poulet estl'archétype de l'officier parachutiste. Seslégionnaires l'adorent et voient en lui un vraichef. « A 19 heures, les tirs diminuent d'inten-sité, c'est l'heure du repas », dit un légionnaireavec un épouvantable accent gallois. Ainsi vala vie sur l'aéroport de Sarajevo.

La rançon de la gloireDans le cadre de la relève de la 9e DIMa

par la 11e DP, le 2e REP a pris la place desmarsouins du RICM sur l'aéroport de Saraje-

1. Mitrailleuse lourde Degtiarev de 12,7 mm montée engénéral sur la tourelle du T-55.2. Le Praga, ou M-53/-59, est un automoteur antiaériend'origine tchèque armé de deux canons automatiquesde 30 mm.3. United Nations, Nations unies en français.4. Exactement à cet endroit, une semaine après notrevisite, un légionnaire sera tué et deux autres blesséspar un obus de mortier bosniaque tiré de Butmir.

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SARAJEVOZones contrôlées par :Forces françaisesde l'ONUArmée serbe

"ï Forces armées bosniaques

Chars T-55 et artillerielourde disposésautour de la capitalebosniaque

Points de contrôle :I Forces françaises

0 de l'ONUArmée serbeForces années bosniaques

Infographie © PLST

FORCES EN PRESENCEDANS LA ZONE DEL'AEROPORT DE SARAJEVO

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En haut. Dans un VAB, un légionnaire du2e REP armé d'un FR-F2. Ce jour-là, les « béretsbleus légionnaires » ont pour missiond'escorter un véhicule de l'ONU chargé d'unconteneur de vivres. Même si les belligérantssont prévenus, un accrochage est toujourspossible, comme le passé a su le montrer.

En bas. Les VAB du 2e REP sont arrivés sansproblème à Butmir. Cependant, la tension resteprégnante, car le danger peut surgir n 'importeoù et n'importe quand. Et le sigle de l'ONU surun véhicule blanc attire davantage les coupsqu'il ne les éloigne.

vo à partir du 20 janvier. Des éléments pré-curseurs de la CEA et de la CCS étaientd'ailleurs sur place à Noël. La mission est« simple » : assurer la protection de l'aéroportet, deux fois par semaine, escorter un convoide vivres sur les villages et quartiers de But-mir et Dobrinja. C'est la première fois dansson histoire que le REP troque le béret vertde la Légion pour le béret bleu, et commel'affirme le caporal-chef Schmitt de la 4e com-pagnie : « Cela fait tout drôle de se trouver iciavec cette couleur de couvre-chef. »

A l'état-major, le colonel Poulet, secondépar le colonel Monk-Kufoed et le commandantGarmer, doivent non seulement s'occuper desquestions tactiques et logistiques propres àun régiment engagé à 1 500 kilomètres de sabase, mais ils doivent également faire face àune invasion de journalistes. Tous veulent voiret filmer le prestigieux 2e REP à Sarajevo.C'est la rançon de la gloire. La 1re compagnie— spécialisée dans le combat en localité —a élu domicile dans l'un des bâtiments tech-niques de l'aéroport. L'adjudant Henri dira :« La Colo et nous, c'est toute une histoire,mais je dois avouer que la relève s'est pas-sée sans problème... En janvier, un jeune lieu-tenant du RICM m'a remis les lieux dans unétat impeccable. La seule chose qu'ils ont lais-sée sur le mur de la popote, c'est un granddessin représentant La dernière cartouche àBazeilles. On fera mieux avec un superbeCamerone. »

L'« empreinte » de laLégion

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Comme d'habitude, la Légion s'estinstallée et a marqué les lieux de son« empreinte ». Chaque légionnaire a son lit etson armoire et, faute de pouvoir faire du crosssur les pistes trop exposées, une belle sallede musculation a été aménagée entre les bacssouples d'essence. Ici, on peut prendre unedouche chaude, ce qui est impossible en vil-le, et la table du colonel Poulet est réputéecomme la meilleure de la région.

Elle attire d'ailleurs des tas d'« Onutiles »,qui n'ont rien à voir avec le REP. Pourtant, lasituation est des plus sérieuses. Tous saventque si les Serbes le veulent vraiment, ils peu-vent interrompre le pont aérien et se rendremaîtres de l'aéroport ouvert par le voyage deMitterrand en juin dernier. L'équivalent d'unescadron de T-55 est d'ailleurs embossé àquelques dizaines de mètres de l'extrémitéest de la piste. Les Serbes considèrent l'aéro-port comme leur territoire et y tolèrent seule-ment l'implantation de l'ONU. La position estcependant vitale, non seulement pour assu-rer la continuité du pont aérien et donc la sur-vie de la ville, mais également comme basede repli au cas où les choses tourneraient malet où les forces de l'ONU devraient envisager

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En haut. Dans Sarajevo, cet élément VAB établitune liaison radio avec le PC du REP situé surl'aéroport. C'est la première fois que les képisblancs portent le casque bleu, avec ceux quisont aujourd'hui déployés au Cambodge.Notons qu'ils portent ici le nouveau casqueSpectra.En bas. Sur l'un des points de contrôle avancésface à Ilidza — un quartier serbe qui filtre laroute pour l'aéroport —, un VBL du 2e REP.

un départ de Sarajevo. L'aéroport n'est gar-dé que par deux compagnies, le 1re qui couvrele sud face à Butmir, et la 4e qui fait face àDobrinja. C'est peu, d'autant que les légion-naires ne disposent apparemment pas d'armeslourdes. Les fusils de précision Barret5 — unearme idéale contre les snipers —, les Milan etles mortiers de 120 mm sont restés à Calvi,ainsi que l'Apilas, l'arme la plus performanteque possède le REP. Heureusement, plusieursVAB équipés de canons de 20 mm ont étéprêtés par les régiments d'artillerie Pluton quidisposent de ce véhicule pour la sûreté rap-prochée des missiles.

Le commandant Garmer affirmera : « Lesbelligérants voient tout ce que nous faisonsici, il n'y a pas de secret, puisqu'ils sont autour.A quoi nous serviraient des mortiers de120 mm, si nous ne pouvons stocker les muni-tions ? Le premier avion qui nous en appor-terait se ferait immédiatement remarquer. »Et plus d'un légionnaire nous dira : « S'il fautfaire Camerone, nous le ferons, mais ils paie-ront très cher notre peau ! » Les cadres et latroupe déploient des trésors de diplomatiedurant leurs missions humanitaires. Tel le capi-taine de Pompignan qui tous les deux joursassure une mission sur Butmir.

Des trésors dediplomatie

Deux VAB de la 1re compagnie escortentun camion chargé d'un conteneur de vivres.Rappelons que Butmir est une position bos-niaque coincée entre Ilidza et Lukavidza, deuxpoints forts serbes. Pour y arriver, il faut pas-ser deux postes de contrôle serbes et préve-nir leur QG que des véhicules de l'ONU s'yrendent. Cela évite simplement de recevoirune série d'obus sur la tête, car les Serbesinterrompent, en théorie, les tirs lorsque lesRepmen sont en mission, et surtout si l'un descadres de la Légion a discuté avec eux autourd'une slibovitch.

A Butmir, dans ce faubourg bosniaque deSarajevo, l'arrivée des blindés blancs pro-voque bien sûr la joie. Les enfants s'aggluti-nent autour des VAB. Chaque section de com-bat conserve dans une grande caisse ce queles légionnaires n'ont pas consommé de leursrations. Le contenu est distribué à chaquevoyage en plus des vivres officiels. De touttemps, entre les hommes au béret vert et lesenfants, il y a eu un courant de sympathie.Les uns font la guerre en professionnels et lesautres en victimes innocentes.

Autre mission — et moins humanitaire —,les patrouilles de nuit dans le périmètre del'aéroport. Ce secteur tenu par la FORPRO-NU est un des seuls par lesquels les habitantsde Sarajevo peuvent espérer quitter la villeassiégée. Chaque nuit, une moyenne de

5. Le Barret est un fusil de précision en calibre 12,7 mmcapable d'atteindre une cible à très grande distance.Voir RAIDS n° 66. 29

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En haut. Devant les entrepôts de l'aéroport, untireur d'élite du REP va s'installer pour de longuesheures de garde. Tout autour, les belligérantspeuvent observer les faits et gestes des casquesbleus français.

En bas. L'un des VBL en position autour de lapiste attribuée au 2e REP durant sa présence enBosnie.

quatre cents personnes tentent de fuir Dobrin-ja pour Butmir. Il existe même des passeursprofessionnels qui se font payer. Dans l'autresens, les Bosniaques essaient de faire pas-ser des munitions à la garnison de Sarajevo.Aussi, toutes les nuits, des VAB équipés decaméra Mira patrouillent. Plus de 95 % desfugitifs sont pris et ramenés sur leur base dedépart. Une mission ingrate, mais nécessai-re. Le commandant Garmer le confirmera :« Les légionnaires détestent faire ce boulotde chien de garde, mais ils n'ont pas le choix.Tbufe la crédibilité de l'ONU est enjeu. Si nousn'arrêtons pas nous-mêmes ces hommes etces femmes qui veulent fuir Sarajevo, lesSerbes s'en chargeront et s'en serviront deprétexte pour occuper à nouveau l'aéroport,arguant que notre secteur est une passoire. »

Une mission ingrateTous les soirs, certains des malheureux qui

tentent le passage se font prendre dans lestirs croisés et meurent sur la piste. Un tout jeu-ne légionnaire polonais de la 1re compagniefait ainsi connaissance avec la dure réalité :« Pas beau à voir ! Le dernier que j'ai décou-vert n'avait plus de tête, une balle de 14,5l'avait emportée. » Chaque semaine, une équi-pe de la 3e compagnie du 17e RGP fait sau-ter l'armement léger et les munitions 6 récu-pérés sur les passeurs.

Au poste d'observation Delta situé près dela piste, le sergent Pinto s'énerve, mais enbon légionnaire, garde son sang-froid. Il seconfie à un autre sergent d'origine chyprioteturc : « Ces guignols m'..., c'est la dixième bal-le ce matin dans les sacs de sable. Cet imbé-cile de sniper s'amuse. Il ignore sans douteque nous savons où il se trouve, quand il estrelevé et où il dort. Aussi, quand nous enaurons l'ordre, nous le descendrons en moinsde trois secondes. »

Le sang-froid de laLégion

« C'est ce qui fait la différence entre deslégionnaires-paras et ce genre d'ivrogne dégui-sé en soldat. Allez, apporte-moi un jus, et rem-place le Polonais à la 12,7 du VAB. » Un capo-ral vietnamien obéit... Une nouvelle balle frap-pe avec un bruit mat un sac de sable aumoment où l'un des C-130 de l'USAF inverseses moteurs. « Encore deux heures degarde ! », dit le sergent portugais. Ainsi va lavie sur l'aéroport de Sarajevo. a

Cet article est dédié aux douze soldats fran-çais de l'ONU tombés sur la terre de l'ex-You-goslavie.

6. Les légionnaires récupèrent aussi des grenades, desobus de mortiers et même quelques lance-roquettesM-70 de 66 mm.