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Annales de pathologie (2009) 29S, S67—S68 SYMPOSIUM / Transition épithélio-mésenchymateuse en cancérologie Le cancer anaplasique de la thyroïde : un exemple de transition épithélio-mésenchymateuse ? Bernard Caillou , Gabriel Malouf Département d’anatomie-pathologique, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif cedex, France Accepté pour publication le 28 juillet 2009 Disponible sur Internet le 8 octobre 2009 Le cancer anaplasique de la thyroïde a longtemps été considéré comme un sarcome. De nos jours, il continue toujours à poser des difficultés pour le diagnostic différentiel avec un sarcome, le plus souvent rhabdomyosarcome ou angiosarcome. En effet, les cel- lules du cancer anaplasique de la thyroïde sont caractérisées par une perte des marqueurs de différenciation cellulaire thyroïdienne (thyroglobuline, symporteur de sodium-iodure, thyroperoxidase et récepteur de la TSH) et un phénotype « mésenchymateux ». Ce n’est souvent que par la localisation thyroïdienne et l’histoire clinique que l’on est amené à poser le diagnostic. En effet, la prolifération anaplasique progresse de fac ¸on quasi- « explosive » dans le cou du patient. Elle envahit très rapidement l’espace extrathyroïdien musculaire, trachéal et laryngé, voire œsophagien. Le décès survient rapidement, souvent par hémorragie carotidienne. Cette rapidité évolutive et l’extension locale associées à des métastases conduisent au décès avec une médiane de survie des patients entre quatre et sept mois à partir du moment où le diagnostic est posé [4,5]. L’origine épithéliale folliculaire des cellules malignes du cancer anaplasique de la thy- roïde n’a été admise que petit à petit en observant les pièces opératoires exceptionnelles de thyroïdectomie. En effet, les rares pièces opératoires examinées ainsi que certaines biopsies ont montré qu’il existait pratiquement toujours au centre de la masse tumorale anaplasique une tumeur thyroïdienne bien différenciée, de type papillaire ou folliculaire [3,12]. Par ailleurs, on remarquait le plus souvent une transition de type épidermoïde entre la tumeur papillaire bien différenciée et la zone anaplasique [10]. On était donc en présence d’une prolifération maligne présentant des caractères de transformation pro- gressive à partir de cellules manifestement épithéliales vers des cellules isolées fusiformes ou géantes évoquant en premier lieu des cellules malignes mésenchymateuses. Symposium présenté le lundi 16 novembre 2009, de 14 h 30 à 16 h 30 dans la salle 101. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Caillou). 0242-6498/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2009.07.036

Le cancer anaplasique de la thyroïde : un exemple de transition épithélio-mésenchymateuse ?

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Page 1: Le cancer anaplasique de la thyroïde : un exemple de transition épithélio-mésenchymateuse ?

Annales de pathologie (2009) 29S, S67—S68

SYMPOSIUM / Transition épithélio-mésenchymateuse en cancérologie

Le cancer anaplasique de la thyroïde : un exemplede transition épithélio-mésenchymateuse ?�

Bernard Caillou ∗, Gabriel Malouf

Département d’anatomie-pathologique, institut Gustave-Roussy, 39,rue Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif cedex, France

Accepté pour publication le 28 juillet 2009Disponible sur Internet le 8 octobre 2009

Le cancer anaplasique de la thyroïde a longtemps été considéré comme un sarcome.De nos jours, il continue toujours à poser des difficultés pour le diagnostic différentielavec un sarcome, le plus souvent rhabdomyosarcome ou angiosarcome. En effet, les cel-lules du cancer anaplasique de la thyroïde sont caractérisées par une perte des marqueursde différenciation cellulaire thyroïdienne (thyroglobuline, symporteur de sodium-iodure,thyroperoxidase et récepteur de la TSH) et un phénotype « mésenchymateux ». Ce n’estsouvent que par la localisation thyroïdienne et l’histoire clinique que l’on est amenéà poser le diagnostic. En effet, la prolifération anaplasique progresse de facon quasi-« explosive » dans le cou du patient. Elle envahit très rapidement l’espace extrathyroïdienmusculaire, trachéal et laryngé, voire œsophagien. Le décès survient rapidement, souventpar hémorragie carotidienne. Cette rapidité évolutive et l’extension locale associées à desmétastases conduisent au décès avec une médiane de survie des patients entre quatre etsept mois à partir du moment où le diagnostic est posé [4,5].

L’origine épithéliale folliculaire des cellules malignes du cancer anaplasique de la thy-roïde n’a été admise que petit à petit en observant les pièces opératoires exceptionnellesde thyroïdectomie. En effet, les rares pièces opératoires examinées ainsi que certainesbiopsies ont montré qu’il existait pratiquement toujours au centre de la masse tumoraleanaplasique une tumeur thyroïdienne bien différenciée, de type papillaire ou folliculaire[3,12]. Par ailleurs, on remarquait le plus souvent une transition de type épidermoïdeentre la tumeur papillaire bien différenciée et la zone anaplasique [10]. On était doncen présence d’une prolifération maligne présentant des caractères de transformation pro-gressive à partir de cellules manifestement épithéliales vers des cellules isolées fusiformesou géantes évoquant en premier lieu des cellules malignes mésenchymateuses.

� Symposium présenté le lundi 16 novembre 2009, de 14 h 30 à 16 h 30 dans la salle 101.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (B. Caillou).

0242-6498/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2009.07.036

Page 2: Le cancer anaplasique de la thyroïde : un exemple de transition épithélio-mésenchymateuse ?

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L’immunohistochimie a confirmé cette transforma-ion avec la démonstration de trois points-clés de ceue l’on appelle aujourd’hui la transition épithélio-ésenchymateuse :la disparition progressive mais complète de molécules dejonction intercellulaire comme l’E-cadherine ;la disparition progressive mais complète des filamentsintermédiaires de type kératine ;l’apparition progressive mais complète de filamentsintermédiaires de type mésenchymateux comme lavimentine.

Cette « métamorphose » permet aux cellules d’acquérires potentialités de cellules conjonctives (fibroblastes), enarticulier la possibilité de migration à distance de la tumeurrimitive. Il paraît alors important de situer cette transi-ion épithélio-mésenchymateuse dans un contexte générale tumeur à fort potentiel invasif en interaction avece microenvironnement. Ainsi, un dialogue de signalisa-ion s’instaure entre les cellules cancéreuses présentant lerogramme de transition épithélio-mésenchymateuse, lesellules du stroma et les cellules du tissu normal avoisinanta tumeur.

À titre d’exemple, la mise en évidence récente auein de la majorité des cancers anaplasiques de la thy-oïde de très nombreux macrophages étroitement associésux cellules tumorales, les Tumor associated macrophagesTAM) constitue un nouveau paradigme dans la compréhen-ion de l’invasion des cellules malignes [1,2,9]. En effet,

’augmentation de la densité des macrophages intratumo-aux passe de 27 % dans les cancers de la thyroïde bienifférenciés à près de 95 % dans les cancers anaplasiques etlle revêt une valeur pronostique [11]. Ainsi, il est actuel-ement admis que ces macrophages intratumoraux sont desacrophages de type II qui, loin de défendre l’organisme

ontre la tumeur, aident au contraire les cellules tumo-ales à proliférer et à envahir les tissus normaux [2,8].es macrophages intratumoraux auraient en outre la pro-riété de déstabiliser les jonctions adhérentes des cellulespithéliales et ainsi de favoriser la transition épithélio-ésenchymateuse [6]. Les études récentes suggèrent que

es macrophages intratumoraux sont reprogrammés pournduire une suppression immunitaire des défenses de l’hôten situ, par le relargage de cytokines et d’autres médiateursumoraux.

Si le cancer anaplasique de la thyroïde peuttre vu comme un exemple de transition épithélio-ésenchymateuse, il n’en demeure pas moins que cearadigme n’explique pas les différenciations intermé-iaires (épidermoïdes ou autres) observées, d’une part,t l’irréversibilité de cette transformation, d’autreart. En effet, nous ne disposons pas de preuveorphologique de transition mais plutôt de transfor-ation, la transition évoquant davantage un processustransitoire ».

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B. Caillou, G. Malouf

Cette vue des choses est donc vraisemblablement uneimplification de phénomènes multiples et complexes. Quee soit à l’état normal, hyperplasique ou tumoral, lesellules thyroïdiennes présentent comme dans les autresrganes une très grande plasticité dans leur phénotype.ette plasticité est bien mise en évidence actuellementar les nombreuses études sur les cellules souches, sug-érant que leur morphotype est semblable aux cellulesésenchymateuses [7]. Les études fondamentales sont très

ombreuses, difficiles à intégrer pour une tumeur donnée etuelquefois contradictoires. Elles ont cependant l’intérêt derovoquer un questionnement pour le pathologiste qui, poure moment du moins, reste seul au moment du diagnostic.

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