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1
Conférence de
Mgr BOIVINEAU
Evêque d’Annecy
Carême 2004
*******
LE CHEMINEMENT
SPIRITUEL
DE PIERRE
ET LE NOTRE
2
L’EXPERIENCE SPIRITUELLE DE PIERRE
«Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux.» Mt18, 20
Il vous est conseillé de suivre cette catéchèse en constituant un petit groupe de personnes afin que l’écoute soit suivie d’un temps de méditation, de partage et de parole, source d’enrichissement fraternel pour vous-même et pour l’Eglise.
Nous vous proposons de prévoir deux rencontres.
Chacune pourra commencer par un temps de prière : invocation à l’Esprit-Saint ou lecture d’un passage biblique.
Pour l’écoute de ce CD par exemple Luc 5, 1-11 (rencontre 1). Luc 22,54-62 et Jean 21, 15-19 (rencontre 2).
Première rencontre:
Chaque participant est invité à réagir sur le titre de la catéchèse. Que lui inspire cette affirmation ou cette interrogation ? Selon lui, qu’est-ce qui justifie ce titre, ou quelles objections peut-on lui faire ? Les réponses peuvent être notées sur un tableau ou une simple feuille de papier, visible par tous. On procède à l’écoute des plages 1 à 5, en marquant un arrêt après l’écoute de chaque plage, le temps pour l’un des participants, de redire ce qu’il a retenu, et, pour tous, d’apporter brièvement quelques réactions. A la fin de la réunion, on prend un temps pour partager ce qui a été nouveau pour chacun dans ce qu’il a entendu.
Deuxième rencontre:
Un résumé de la première rencontre est fait en introduction, dans un temps limité, pour ouvrir à l’écoute des plages 6 à 9.
On procède à l’écoute, en marquant un arrêt après chaque plage, le temps pour l’un des participants, de redire ce qu’il a retenu, et, pour tous, d’apporter brièvement quelques réactions. Penser à veiller au temps de parole pour tous et au respect de l’horaire prévu. A la fin de la réunion, on prend un temps pour partager ce qui a été nouveau pour chacun dans ce qu’il a entendu, comment chacun a trouvé à approfondir sa foi grâce à cette catéchèse et ces rencontres, et les appels qu’il perçoit.
« Le Seigneur se retournant posa son regard sur Pierre » (Luc 22,61)
Pourquoi ce thème ? La première raison, c’est que j’ai toujours été intrigué par le passage du reniement de Pierre, lorsqu'il dit « Je ne connais pas cet homme » Je me demandais comment entendre ce passage d’Évangile jusqu’à ce que je lise un texte du cardinal Martini sur le sujet.
La seconde raison, c’est que cette lecture rapide et simple de l’Evangile peut nous aider à entrer dans ces deux semaines que l’on appelait autrefois le « temps de la Passion. »
C’est l'expérience spirituelle de l’apôtre Pierre que nous allons essayer de découvrir en parcourant l’Evangile. Son expérience spirituelle peut éclairer la nôtre, diversement, selon le parcours de chacun. Ce qui saute aux yeux, c’est qu’au cœur de son expérience spirituelle il y a le Mystère de la Croix.
3
«L’APPEL DE JESUS » (Luc 1-11)
Parler de l’expérience spirituelle de Pierre, c’est essayer de la comprendre dans son
commencement, dans son origine: l’appel de Jésus. Personne ne peut suivre Jésus si le
Seigneur lui-même ne rappelle. Etre appelé, c’est une grâce, c’est un don gracieux, un
don qui s’exprime dans une demande : « Jésus monta dans une des barques qui
appartenant à Simon, et lui demanda de s’éloigner un peu du rivage. » (v. 3) Nous
savons que la pêche n'avait pas été fluctueuse, et Jésus lui dit « Avance au large, et
jetez vos filets pour prendre du poisson. » (v.4)
Nous connaissons la suite... La pêche miraculeuse manifeste l’efficacité de la Parole de
Jésus et situe Pierre en vérité devant Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, je suis un
homme pécheur. » (v.8) C’est dans cet acte de foi, dans cette reconnaissance de sa
pauvreté, que Jésus inscrit l’appel: « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes
que tu prendras. » (v.10) C’est sur sa pauvreté reconnue, pas encore acceptée, que
peut se greffer l’appel du Seigneur
II est bon de nous remettre devant l’appel du Seigneur Quand on dit que l’appel est un
don, on pense souvent que c’est un don fait à quelques uns. Non, c’est un don qui est
offert à tous Me remettre devant l’appel du Seigneur Il me demande quelque chose,
peut-être “trois fois rien”, mais c’est là qu'il m’attend.
Je suis indigne, comme Pierre. C’est vrai. Mais il me faut renoncer à me laisser écraser
par la conscience de mes faiblesses et de mon péché. C’est un sentiment trop humain.
C’est un retour sur soi qui exprime la déception : je ne corresponds pas à la belle image
que j’aimerais donner de moi-même.
C’est la que le Seigneur m’appelle. C’est lui qui prend l’initiative, toute l'initiative.
L’appel, c’est un signe de confiance, qui se greffe non pas sur l’affirmation de notre
vertu, mais bien sur l’humble aveu de notre faiblesse. Et, lorsque nous considèrerons la
fin de l'Evangile, nous constaterons combien ceci est vrai.
« TES PENSÉES NE SONT PAS CELLES DE DIEU » (MATTHIEU 16,23)
Pierre suit Jésus sur les chemins de Palestine et progressivement se dessine son rôle
particulier au sein du groupe des Douze. La confession de Césarée de Philippe est, sur
ce parcours, à la fois comme un sommet et un tournant.
Jésus s’informe auprès de ses disciples «Le Fils de l’homme, qui est-II, d’après ce que
disent les hommes ? Ils répondirent:
pour les uns, il est Jean Baptiste, pour d’autres Elie, pour d’autres encore l’un des
prophètes. Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je? Prenant la parole, Simon-
Pierre déclara “Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant! » (Matthieu 16, 13-16)
4
Pierre est satisfait de lui-même, un peu fier même. C’est lui qui, au nom des Douze,
vient de mettre en pleine lumière l’identité de Jésus:
« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Le voilà désormais installé à la tête du groupe
des Douze c’est à ce moment pr4cis que nous trouvons, dans !‘Evangile de Matthieu, la
parole de Jésus à Pierre: “Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.”
(Matthieu 16,18)
Il est facile d’imaginer la souffrance de Pierre et son humiliation lorsque, aussitôt
après, Jésus tempère son enthousiasme et lui défend d’en parler. Pire encore, voilà que
Jésus annonce ses souffrances, sa passion et sa croix! « A partir de ce moment, Jésus le
Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir
beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le
troisième jour ressusciter.» (v.21)
Matthieu et Marc nous rapportent alors l’altercation entre Pierre et Jésus. Pierre, en
effet, se fait un devoir de mettre Jésus en garde et lui fait des reproches: « Dieu t’en
garde, Seigneur, cela ne t’arrivera pas. » (Matthieu 16,22) Autrement dit: “Non! Cela
n’est pas pour toi!” Pour tout résultat, son intervention irrite vivement Jésus.
Pierre est décontenancé par l’annonce de la Croix. Pierre ne comprend pas son Maître.
Il ne peut pas admettre que celui qu’il vient de déclarer comme le Christ, le Messie,
aille vers la Croix. Il ne peut admettre que Dieu soit mis en échec. En effet, Pierre est
plein d’estime et d’affection pour Jésus. Et c’est au nom de cette estime et de cette
affection qu’il veut à tout prix lui éviter la Passion et la Croix.
Aussi, quelle n’est pas sa déception lorsque Jésus lui répond:« Passe derrière moi,
Satan ! Tu es un obstacle sur ma route, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais
celles des hommes. » (Ml 16, 23)
Pierre a parlé avec toute la générosité de son cœur. Il a parlé pour le bien de Jésus et
de ses compagnons. Et il est traité de Satan ! Confondu, il se tait, tout en se
demandant: " Mais qui est donc ce Jésus ?" L’épisode de la Transfiguration, qui suit
immédiatement, ne fait que confirmer ce décalage entre la volonté de Jésus et la
générosité de Pierre. Le voilà encore qui veut prendre ses dispositions à la place du
Maître, et qui s’écrie : « Maître, II est heureux que nous soyons ici! Dressons donc trois
tentes: une pour toi, une pour Moïse, et une pour Elle. » (Matthieu, 17,4) Et Luc
d’ajouter, soulignant l’innocence de Pierre: « II ne savait pas ce qu’il disait. » (Luc 9,33)
Le Cardinal Martini, commentant cet épisode, écrit: “Remarquez sa générosité : les
tentes sont destinées à Jésus, Moïse et Elle. Les Apôtres, eux, dormiront à la belle
étoile” Quoi qu’il en soit, Pierre a le sentiment d’être au cœur de la situation. Il est un
peu sûr de lui, comme si c’était son affaire!
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Il y a peut-être bien en nous quelque chose de la psychologie de Pierre, il se sent
investi du Royaume, capable de grandes œuvres, capable d’y travailler à la manière de
Jésus, voire un peu plus et un peu mieux que lui... C’est lui qui conduit les opérations.
Cette attitude nous colle peut-être bien à la peau, - plus que nous le croyons - quand
nous regardons nos œuvres, notre Eglise, quand nous nous identifions à nos tâches
apostoliques et que, précisément, nous les considérons comme nôtres et non comme
l’affaire du Seigneur. N’y a-t-il pas des domaines que nous considérons volontiers
comme “notre” affaire, notre propriété? Ne pensons-nous pas intérieurement,
quelquefois: “heureusement que je suis là I”
Nous sommes là au cœur de l’expérience spirituelle de Pierre, au cœur de ce
retournement qu’il lui faut vivre. Il faut qu'il renonce à s’appuyer sur ce qu’il fait pour
le Seigneur, pour accueillir et pour s’appuyer d’abord sur ce que le Seigneur fait pour
lui, Pour le dire d’une autre manière : la générosité, c’est bien, mais la générosité n’est
pas forcément bien orientée.
«LA SUFFISANCE DE PIERRE » (Luc 22, 31-34)
Si nous allons maintenant au Cénacle, le soir du Jeudi Saint, au cours de la dernière
Cène (Luc 22,31-34), nous sommes les témoins d’un nouveau dialogue entre Jésus et
Pierre, où le nom de l’apôtre est répété deux fois (comme celui de Marthe, en Luc
10,41):
« Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment.
(1) Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras
revenu, affermis tes frères. Pierre lui dit “Seigneur, avec toi je suis prêt à aller en prison
et à la mort.” Jésus reprit:
“Je te le déclare, Pierre: le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que, par trois fois, tu
aies affirmé que tu ne me connais pas. »
Il est tout à fait indiqué de nous mettre à la place de Pierre, interpellé avec tristesse et
tant d’amour: “Simon, Simon,...” Pierre est l’objet du reproche aimant de Jésus. Jésus
semble lui dire ceci: Pierre, tu ne comprends pas la situation, ce qui se trame. Tu es
tellement rempli de toi, tellement sûr de toi et de tout ce que tu crois pouvoir faire
pour moi, que tu en viens presque à te considérer comme mon bienfaiteur, mon
sauveur ! Moi, j’ai prié pour toi, car tu as grand besoin de ma prière, ta foi est en
danger. J’ai prié pour toi, pour que tu puisses à ton tour aider les autres, mais
seulement quand tu seras revenu de ton égarement.
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Remarquez la délicatesse de Jésus, dans ce dialogue avec Simon! On peut comprendre
ainsi: ‘Regarde, Pierre, tu es au bord du précipice. Tu crois me venir en aide et porter
ma croix, alors que tu es prêt à t’enfuir. (2)’
Pierre a cette très belle réponse: « Seigneur, avec toi je suis prêt à aller en prison et à la
mort! » (v. 33)
Pourtant, Pierre se trompe. Pourquoi? Jésus vient de lui dire. « J’ai prié pour toi. » Au
lieu de prendre conscience de sa pauvreté et de sa fragilité. Pierre en tire un motif de
satisfaction personnelle. Il n’a pas saisi l’allusion à son retournement, au danger pour sa
foi, lia seulement remarqué la charge qui lui revient d’affermir ses frères. Au fond, il ne
sent pas le besoin de la prière du Seigneur, parce qu’il est sûr d’y arriver tout seul !
C’est cette suffisance que nous retrouvons quelques versets plus loin quand, après que
Jésus ait de nouveau évoqué le tragique de la situation, les apôtres lui disent: «
Seigneur, voici deux épées I » Autrement dit: Voici deux épées, nous sommes prêts à
mourir, mais pour te défendre, Seigneur. Nous voulons te défendre, te montrer de quoi
nous sommes capables pour Toi! Et Jésus de répondre : « Cela suffit! » Non pour
approuver, mais pour couper court.
Vous remarquez, dans cette suffisance de Pierre, l’inversion complète de ce qu’est
l’Evangile ! Ce n’est plus Jésus qui nous sauve, mais bien plutôt nous qui avons
conscience de le sauver! Plus question, à cet instant, de l’Evangile de l’initiative divine!
C’est plutôt l’Evangile de notre bravoure pour agir en faveur de Dieu ! (3)
En voyant luire les deux épées, Pierre sent renaître en lui l’homme qui veut faire
quelque chose pour son Seigneur. Au fond, Pierre a de la peine à accepter que Jésus
soit plus généreux que lui, que Jésus se fasse son serviteur et que lui, Pierre, doive se
laisser conduire.
« POURQUOI DORMEZ-VOUS ? »
Jésus prie. Jésus agonise Jésus sue du sang. Une question se pose alors:
Où est Pierre ? Pourquoi n’est-il pas là ?
Nous pouvons nous poser la question pour nous-mêmes. Nous nous serions sans aucun
doute comportés comme lui. Pour ma part, je crois que l’angoisse de Jésus m’aurait
épouvanté. Je n’aurais pas pu supporter de le voir dans un tel état d’abattement. Je me
serais sûrement esquivé.
Pierre a peur de l’angoisse de Jésus; il est incapable de trouver les mots qui sonnent
juste : il reste à l’écart, esquive la scène qu'il ne peut pas encaisser, et il se laisse aller
au sommeil de la tristesse: « Après cette prière, Jésus se leva et rejoignit ses disciples
qu’il trouva endormis à force de tristesse. » (Luc 22,45)
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Nous savons tous par expérience qu'il est difficile de supporter la douleur d’un être
cher quand nous sommes impuissants à lui venir en aide. Nous le supportons encore
tant que nous pouvons nous sentir utiles. Mais lorsque la souffrance nous révèle notre
incapacité et notre insuffisance à faire face, nous d’être le jouet de sentiments et
d’émotions que nous ne pouvons plus dominer.
Pierre ne peut pas porter — affronter--l’angoisse de Jésus. Ceci pour deux raisons, me
semble-t-il. Tout d’abord pour un motif tout humain, qui est à la mesure de son
affection pour Jésus. Mais également parce que l’agonie met en pleine lumière son
erreur: elle lui manifeste l’idée fausse qu’il a de Dieu, du salut. Il perd toutes ses
sécurités.
Pierre était sincère lorsqu'il affirmait son désir d’être avec Jésus jusqu’en prison, jusqu’à
la croix,... mais à condition d’affronter cette situation vaillamment, l’épée à la main /
Confronté à la tentation de Jésus, à l’agonie de Jésus, à son humiliation, Pierre est
bouleversé, désemparé. Il ne sait plus où il en est ! Le dernier rempart pour sa sécurité,
nous le voyons tomber au verset 46:
« Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation, »
Jésus sait combien la foi de ses apôtres est fragile. Il sait qu’ils vont être plus
déstabilisés encore. Alors, il les exhorte: PRIEZ, c’est-à-dire Mettez-vous dans une vraie
situation de Mendiants de Dieu. Jésus les appelle à entrer dans sa propre attitude, dans
sa propre prière
“Père, de moi-même je n ‘y arriverai pas si Toi tu ne m’en donnes la force. Je voudrais
ne pas boire ce calice!...” Lui, Jésus, prie, II clame humblement la vérité de sa faiblesse
humaine. Cette faiblesse-là, les disciples ne l’acceptent pas, parce qu’ils ne la
comprennent pas.
Les disciples se laissent aller au sommeil. C’est quand même un peu surprenant, dans
ce climat ! Dans de telles circonstances, nous serions plutôt surexcités, incapables de
dormir. Matthieu écrit “leurs yeux étaient appesantis.” L’expression traduit un état
d’aveuglement intérieur; de pensées confuses qui enténèbrent l’esprit. Ils sont
dépassés par les événements.
On comprend d’autant mieux alors l’invitation à prier. La prière devrait conduire les
apôtres à découvrir et à reconnaître leur misère, le besoin qu’ils ont d’être sauvés. On
le constate au moment de l’arrestation, au jardin de Gethsémani. (v.47) Ily a la foule,
Judas s’avance l’émotion est à son comble ! Que fait Pierre ? II veut sauver Jésus. Il
recourt à son épée. Le Maître ne doit pas mourir ! A nous de le défendre, en hommes
valeureux. Il fui est impossible d’accepter son arrestation. Pierre aurait pu admettre à la
rigueur d’être arrêté, lui, mais pas Jésus.
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C’est le comble du comble lorsque Jésus le désavoue publiquement:
«Laissez faire, restez-en là I » (Luc 22,51) « Rengaine ton glaive I » (Matthieu 26, 52) En
plus, Jésus guérit le serviteur du Grand Prêtre. Il se laisse arrêter. Il se laisse vaincre. On
comprend alors le désarroi intérieur, le drame de Pierre. Pierre ne comprend plus rien
et se demande pourquoi le Seigneur les avait appelés à le suivre, s’il choisissait
maintenant de mourir ? Autrement dit, Pierre ne sait plus qui il est, quel est son rôle. Il
a perdu son identité.
Pierre butte aussi sur le scandale qui se révèle dans l’écart insupportable qu’il y a entre
l’idée qu’il se fait de Dieu et l’identité de ce Dieu qui se révèle dans la nuit. Pierre est
sûr de son idée de Dieu, alors qu’il est dans l’erreur : personne, en effet, n’a découvert
Dieu s’il n’a pas connu le Crucifié.
Et c’est le doute qui s’insinue. Qui est-il ? Est-II vraiment le Messie ? Comment Dieu
peut-il se manifester dans un homme si pauvre ? Jésus humilié, réduit à une loque
humaine. li ne reste plus rien de leurs projets, de leurs certitudes.
SE LAISSER AIMER
Toutefois Pierre est sincèrement bon. li ne veut pas abandonner son Maître. Il le suit
parce qu’il l’aime, tout bafoué et humilié qu’il soit! li espère peut-être encore lui être
utile. Enfin, il le suit “de loin,” et cette distance n’est certainement pas que
géographique!
Jésus arrive chez le grand prêtre. Pierre se dissimule dans la foule. Une servante le voit
assis près du feu, le dévisage et lui dit: « Celui-là aussi était avec lui. »
Une belle expression que cet « Avec Lui » C’est la même que celle que Pierre avait
utilisée : « Avec toi, je suis prêt à aller en prison... » Mais finie en disant: « Je ne le
connais pas. » (v.57)
Elle est vraie cette réponse. Effectivement Pierre ne comprend plus cet homme. Je ne
sais plus quoi dire de lui. Je ne sais plus vraiment qui il peut être. Il est devenu pour
moi un mystère. Je ne sais plus où II veut en venir. C’est la confusion mêlée de peur.
Alors, un autre l’accuse: « Toi aussi, tu en fais partie. » La première fois c’était sa
relation à Jésus qui était mise en question. Cette fois-ci, c’est sa relation aux disciples.
Comme les autres ont pris la fuite, il répond: «» (v.58)
Pierre, qui a perdu le sens de la relation avec le Seigneur, perd maintenant le sens de la
relation à la communauté des frères : il renie le premier comme il renie les autres.
9
Une heure plus tard, un autre insiste: « C’est sûr: celui-là était avec lui, et d’ailleurs il
est Galiléen. » Mais Pierre dit:« Homme, je ne sais pas ce que tu dis. » (v.59-60) Pierre
dévoile ici le fond de son être. (4)
La vérité de Pierre éclate au grand jour. Il n’a plus à cacher sa pauvreté. Au point où il
en est, il ne se comprend plus lui-même. La situation lui a complètement échappé. Son
embarras est tel qu’il ne sait plus ni ce qu’il doit faire, ni ce qu’on attend de lui. Il
n’éprouve plus qu’une seule angoisse: c’est l’instinct de sauver sa peau, de ne se
compromettre à aucun prix.
Même le chant du coq ne l’ébranle pas. C’est la révélation du péché, une révélation
froide, cinglante, accusatrice, et l’apôtre n’en comprend pas le sens. « A l’instant
même, comme II parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son
regard sur Pierre ; et Pierre se rappela la parole que le Seigneur lui avait dite: “Avant
que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. ‘ Il sortit et pleura
amèrement. » (v. 60-62)
C’est le regard de Jésus qui touche Pierre et qui le blesse, au moment même où il lui
offre son pardon. Non seulement Jésus accorde son pardon à Pierre, mais il l’appelle à
une vie nouvelle. Pierre dans ses larmes, est devenu un autre homme. lisait maintenant
ce qu’est l’Amour.
Ce n’est pas le chant du coq, mais le regard de Jésus qui révèle à Pierre la profondeur
de sa trahison. Le pardon précède la conversion. Pierre passe du sentiment de
culpabilité à la conscience d’être pécheur; mais pécheur aimé, il passe de l’humiliation
à l’humilité.
Confronté à la bonté - à la charité - du Seigneur, Pierre comprend que le Seigneur
l’aime et lui demande de se laisser aimer. Les écailles sont tombées des yeux de Pierre.
il se rend compte que -bien que généreux - il a toujours refusé de se laisser aimer.
Toujours le même refus de se laisser sauver par Jésus.
Comme il est difficile de se laisser aimer vraiment ! Nous voudrions toujours avoir
notre part de mérite, alors qu’en réalité nous sommes en permanence en dette: c’est
Dieu qui est premier, il nous sauve tout entier; parce qu’il nous aime.
Il y a là quelque chose de très important pour tout cheminement spirituel. Nous
sommes toujours tentés de faire des efforts, de les accumuler; pour être dignes d’être
aimés : nous voulons en quelque sorte arriver à faire notre toilette nous-mêmes, pour
être présentables devant Dieu.
Nous connaissons notre faiblesse, nos faiblesses. Elles blessent inconsciemment
l'image que nous avons de nous-mêmes Nous pensons spontanément que la sainteté
est à chercher dans la direction opposée au péché, dans la direction opposée à la
10
faiblesse. La sainteté ne nous attend pas au-delà de notre faiblesse, mais à intérieur de
celle-ci Echapper à la faiblesse, ce serait échapper à la puissance de Dieu qui n’est à
l’œuvre que dans celle-ci. « Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la
faiblesse» (2 Co 12,10) C’est uniquement dans notre faiblesse que nous sommes
vulnérables à l’amour de Dieu et à sa puissance.
Au fond, quand on relit l’histoire de Pierre, on se rend compte que, par générosité
même, il a tout fait pour échapper à la faiblesse. S'il fallait mourir; il était prêt... à
condition de mourir en héros ! il a fallu sa chute pour qu’il accède à l’admission de sa
faiblesse. Il lui a fallu accepter le regard de Jésus comme une révélation, et se laisser
aimer non pas malgré sa faiblesse, mais dans sa faiblesse même.
C’est le regard de Jésus qui éveille en Pierre le souvenir de la parole de Jésus. En clair;
c’est le regard de Jésus qui ouvre les yeux de Pierre. Pierre accède à la connaissance de
Jésus en même temps que de lui-même. Le voile se déchire et Pierre est habité par ce
sentiment: voilà l’homme que je n’ai pas compris ! J’étais prêt à mourir pour lui, et c’est
lui qui meurt pour moi ! Je prétendais mourir pour Jésus, et il faut que je le laisse
mourir pour moi; il faut que j’accepte qu'il meure pour moi!
Pierre comprend maintenant la parole de Jésus au moment du lavement des pieds « Si
je ne te lave pas les pieds~ tu n’auras pas de part avec moi. » (Jean 13,8) C’est-à-dire: Si
tu ne reconnais pas que tu as besoin d’être servi, si tu ne reconnais pas que tu as
besoin d’être aimé, si tu ne reconnais pas que tu as besoin d’être sauvé, tu n’auras pas
de part avec moi.
Et, à ce moment-là, Pierre entre dans la connaissance du Mystère de Dieu.
« M'AIMES-TU ?» (Jean 21)
Un beau matin, au lendemain de la résurrection, les apôtres sont sur le lac, et
quelqu’un, sur le rivage, a allumé un feu. On ignore qui il est. Le mot qui désigne ce feu,
c’est le même que celui qui le désignait chez le grand-prêtre Caïphe: il nous rappelle
immédiatement l’épisode du reniement.
Jésus va poser trois fois la question: «Pierre, m’aimes-tu ? » ou « M’aimes-tu plus que
ceux-ci ? »
Et Pierre répond: « Tu sais que je t’aime» La troisième fois, il va répondre:
« Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime. » (5)
En français, nous n’avons que le mot « aimer » pour dire deux choses différentes, pour
traduire deux verbes grecs différents : AYAPAV ET PHILEIN. Le premier a un sens très
fort, celui que l'on retrouve dans le SHEMA ISRAËL (Ecoute Israël): « Tu aimeras le
11
Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur,... » (Dt 6,4) et dans les deux premières questions
de Jésus.
Le seconde un sens plus faible. Il signifie : J’ai beaucoup d’estime toi. C’est celui que
Pierre utilise dans ses réponses : comme pour suggérer qu’après l’expérience du
reniement, il lui faut être modeste dans l’affirmation de son attachement à Jésus. Jésus
l’emploie à son tour dans sa troisième question, comme pour se mettre au niveau de
Pierre.
Par trois fois, Pierre s’en remet à la connaissance que Jésus a de lui. Il ne dit pas . « Je
t’aime », mais « TU SAIS que je t’aime. » Pierre, bien sûr, est peiné que Jésus fasse ainsi
allusion à son triple reniement, mais il sent aussi que Jésus lui renouvelle sa confiance,
(6) et que Jésus le rejoint dans sa faiblesse même, dans sa pauvreté, dans son humilité.
Jésus a une manière bien à lui de pardonner: il met en responsabilité. Cela nous
rappelle l’épisode de l’enfant prodigue qui est devenu, après le pardon, le fils qu’il
n’avait jamais été. Ici, Pierre est devenu le disciple qu’il n’a jamais été : quand Jésus lui
dit de nouveau “suis-moi,” ces paroles ont un sens beaucoup plus fort que la première
fois, Pierre n’a pas envie de se comparer. Il dit simplement « Seigneur, tu sais tout, tu
sais bien que je t’aime I »
Pierre ne cherche pas à évaluer lui-même son amour: il se laisse aimer.
Ce retournement dit bien ce qu’est l’expérience spirituelle de Pierre : de la bouche, et
du cœur, de cet apôtre impulsif qui a renié trois fois, sort par trois fois un acte d’amour
tout confiant et tout pauvre : voilà sa véritable solidité. De ce cœur dont sont sortis la
peur et la lâcheté, sort maintenant l’expression d’un amour non mérité mais reçu.
Quant à la responsabilité qui lui est confiée, elle n’est pas la “récompense” d’une
qualité exceptionnelle ou d’une vertu particulière, dont Pierre pourrait se prévaloir.
Celui qui reçoit mission de “paître” le troupeau, c’est celui qui a trahi. Pierre sait
maintenant que sa charge ne fera jamais de lui qu’un humble serviteur. Celui qui a pu
expérimenter un tel jaillissement d’amour et de miséricorde, sera aussi le premier et le
meilleur témoin de l’amour.
La parole de Jésus prend maintenant toute sa force : « Toi donc, quand tu seras revenu,
affermis tes frères. »(Luc 22,32) Nous voici renvoyés au point de départ: l’appel de
Jésus ne se greffe pas sur la vertu, mais sur la fragilité reconnue et acceptée. f7,)
" Ce n’est pas nous qui avons aime Dieu, c est lui le premier qui nous a aimés.” (1 Jean
4,10)
Je vais, pour terminer, vous lire quelques lignes d’une confirmante.
Dans l’expérience que peut vivre un adolescent ou une adolescente, il peut y avoir
quelque chose de l’expérience spirituelle. Elle écrit ceci:
12
« Aujourd’hui, je suis âgée de quinze ans et la vie a fait que je suis devenue vulnérable.
L’adolescence et le reste, comme vous devez le savoir, n’arrangent pas tout. Je suis
vulnérable, c’est vrai, mais la seule chose qui me rend forte, est ma croyance en Dieu.
En presque dix ans de « café », j’ai appris à mieux connaître Dieu et la vie de Jésus. Si je
demande la confirmation de mon baptême, c’est ma façon de remercier Dieu de me
protéger à sa manière, et de recevoir sa protection, à la mienne. Je souhaite aussi dire
merci au Seigneur de m’avoir accueillie dans sa grande maison qui est l’Eglise, avec mes
défauts et mes qualités. »
L’expérience qui est celle de Pierre, peut être l’expérience de chacun de nous, et la
lumière que nous apporte Pierre nous aide à avancer vers Pâques.
NOTES
(1) Jésus annonce, dans le style du Livre de Job, l’épreuve que sera pour les disciples l’épreuve de la
Passion.
(2) C’est une autre version du “plus tard tu comprendras,” que Jésus répondra à Pierre, lorsque ce
dernier refuse que Jésus lui lave les pieds. (Jean 13,7)
(3) Dans les religions païennes, l’homme fait quelque chose pour Dieu, afin que Dieu lui soit favorable.
En christianisme, au contraire, c’est parce que n’est que réponse à l’initiative divine, li y a toujours en
nous un païen qui dort, qui se réveille, et qui a besoin de se convertir...
(4) Luc emploie la même expression que celle du récit de la Transfiguration, à propos des trois tentes:
“Il ne savait pas ce qu’il disait.” (Luc 9,34)
(5) La question de Jésus n’est pas sans rapport avec la prétention de Pierre:
“Même si tous viennent à tomber à cause de toi, MOI, je ne tomberai pas!”(Matthieu 26, 33). Trois
fois la même question de Jésus, ce qui “répond” au triple reniement (rappelé par le feu de braise)
(6) Il ne faut pas perdre de vue que cette scène au bord du lac est liée à celle de la pêche
miraculeuse, celle de l’appel qui a fondé la confiance entre Pierre et Jésus.
(7) Ce n’est qu’au prix d’une purification profonde que les Apôtres en sont venus à reconnaître la
divinité de Jésus. Ce que les Apôtres espéraient, c’était une manifestation de la puissance de Dieu,
une manifestation triomphale. Ils n’ont donc pu reconnaître en la croix de Jésus la révélation qu’au
prix d’une purification radicale de leur idée de Dieu. ils ont dû accepter de voir profondément
remodelée leur conception du salut. Leur expérience doit devenir la nôtre. Nous avons un peu oublié
la mort du Christ. Nous avons dissociés le fait que Dieu se révélait à nous en Jésus Christ, du fait qu’il
le faisait précisément dans la mort de Jésus