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Le combat des harkisexcerpts.numilog.com/books/9782877160124.pdf · si le terme harki, volontairement péjoratif, pouvait ajou- ter encore à l'opprobre de l'assassin. Heureusement,

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  • LE COMBAT DES HARKIS

  • DU MÊME AUTEUR

    LES COMBATTANTS DU MAUVAIS CHOIX (éd. B.M.). LE BAROUDEUR (éd. Grasset et Livre de Poche). LES FUSILIERS MARINS DE LA FRANCE LIBRE (éd. Grasset). FUSILIERS MARINS ET COMMANDOS (éd. Copernic). LA PÊCHE À PIED (éd. Pen-Duick). LE GUERRIER (éd. Grasset et Livre de Poche). LE 1 RÉGIMENT DE CHASSEURS PARACHUTISTES, t. 1, (éd. Lavau-

    zelle). LE PARA (éd. Grasset) Prix Maréchal-Foch, 1983. LES BATAILLONS D'INDOCHINE. 1 R.C.P., t. 2 (éd. Lavauzelle). LE COMMANDO (éd. Grasset). ADIEU SERGENT (éd. Grasset). BÉRETS-ROUGES EN ALGÉRIE. 1 R.C.P., t. 3, (éd. Lavauzelle). MOURIR À LANG-SON (éd. Grasset). DJEBELS EN FEU (éd. Grasset). LE PÊCHEUR À PIED (éd. E.M.O.M.). LE SOUS-OFF (éd. Grasset). BÉRETS-VERTS EN ALGÉRIE (éd. Albatros). DONNEZ-MOI LA TOURMENTE (éd. Grasset). LE GRAND COURAGE (éd. Grasset). KHEOPS (éd. Grasset).

  • G E O R G E S F L E U R Y

    LE COMBAT DES HARKIS

    LES 7 VENTS ÉDITIONS

  • © Éditions Les 7 Vents. 1989. 40, rue de Vergennes

    78000 Versailles ☎ 39.51.86.73

    ISBN 2-87-716-012-2

  • Au capitaine Jean-Louis DELAYEN, qui a toujours guidé les harkis de Yatagan sur les chemins de l'Hon- neur... A tous les Musulmans qui nous sont demeurés fidèles... Malgré tout !

  • PROLOGUE

    Après la parution des Combattants du mauvais choix, au début de 1976, j'avais eu la faiblesse de penser que les harkis, ces musulmans fidèles à la France que nous avions entraînés en Algérie dans la lutte contre le F.L.N. et l'A.L.N. en leur prodiguant des promesses que le vent de l'Histoire firent vite apparaître comme intenables, pourraient trouver enfin, en France, dans leur patrie de choix, les conditions d'une existence décente.

    J'avais été conforté dans mes impressions quand Armand Jammot, le producteur des Dossiers de l'écran, leur avait consacré un volet de son émission de grande audience. Hélas, rien n'a vraiment changé en 1989 ! Leurs problèmes, ceux qui devraient être un peu les nôtres, existent encore. Ils ont même été multipliés par l 'avènement d'une descendance de plus en plus détachée des réalités de la guerre d'Algérie. Bien sûr, les barbelés des camps d'accueil ont été enlevés, les latrines de for- tune ont été détruites, les cabanes de mauvaises planches ont été remplacées dans l'arrière-pays provençal par des constructions en dur, mais l'oubli demeure, l'injustice s'accroît, les différences s'accentuent.

    On ne parle des harkis que lorsque l 'un d'eux défraie la

  • chronique. On lit alors dans les journaux : « L'ancien harki de X... tue son voisin d 'un coup de fusil ! ». Comme si le terme harki, volontairement péjoratif, pouvait ajou- ter encore à l 'opprobre de l'assassin.

    Heureusement, le mot harki apparaît aussi de temps en temps en bien à la une des quotidiens. On s'aperçoit alors qu'un homme clochardisé par des années de lutte inégale contre la malchance a trouvé dans sa misère extrême le grand courage de sauver d 'une mort certaine un bébé abandonné en le réchauffant contre sa crasse au cœur d'une nuit d'hiver. On applaudit quand le fils d 'un harki brille sur les pistes d'athlétisme. On crie « Vive la France ! » lorsqu'un autre devient vice-champion olym- pique de boxe à Séoul. Et on fait mine de découvrir un génie alors que le brillant rejeton d'un ancien combat- tant du Constantinois qui avait échappé de justesse aux règlements de comptes de l'Algérie indépendante de 1963, se classe premier sur plus de cinq cents candidats au concours d'entrée à l'École normale supérieure. On critique donc, on maudit parfois, on plaint, on applaudit très rarement, on félicite chichement mais, dès que les feux de l'actualité s'éteignent, on retrouve l'oubli ouaté. Et les harkis demeurent seuls, peut-être un peu plus iso- lés encore qu'avant l 'événement qui les avait exhumés des grisailles de leur quotidien de vaincus de l'Histoire.

    Je me souviens d'avoir présenté en 1975 un projet de livre sur les harkis chez Robert Laffont... Sourires encou- rageants, petite note en coin de page du synopsis :

    « Attention : connaît R.L. ! » puis, rapide, la réponse négative.

    Curieux, j'avais alors essayé de connaître les raisons de cette fin de non-recevoir. On m'avait avoué qu'une tête pensante (Max Gallo, qui fut un temps porte-parole du gouvernement Pierre Mauroy) avait tranché tout net en affirmant que les harkis ne représentaient pas, je le cite : « Une réalité historique... ».

  • Têtu, je décidai d'écrire tout de même Les combattants du mauvais choix, et je le publiai en témoignage de la réa- lité que je connaissais. Si, maintenant riche de l'expé- rience de dix-neuf autres livres édités depuis, j'ai décidé, treize ans après sa parution, de le remodeler tout en lui conservant son caractère de livre-témoin, c'est unique- ment parce que les harkis sont toujours dans la gêne extrême.

    Le racisme actuel, que je déplore profondément, est né des erreurs de plusieurs gouvernements qui, de droite ou de gauche, n'ont pas su prévoir la fin des années glo- rieuses de l'Industrie. Ceux qui le pratiquent, peut-être poussés par la précarité croissante de leur vie profes- sionnelle, englobent dans leur xénophobie aveugle ceux-là même qui devraient être les accueillis préféren- tiels de notre société, ces combattants du mauvais choix qui vieillissent si mal loin de leur terre natale, et leurs enfants qui ne comprennent pas toujours leurs engage- ments fatals.

    Le bachaga Boualem est mort. Une page de l'histoire de l'Algérie a été tournée avec sa disparition. D'autres membres de l'élite algérienne continuent le combat pour obtenir la reconnaissance de tous les Français musul- mans. Le bachaga Si Ali Benhamida est de ceux-là. Je le rencontre parfois, chez lui, près de Montpellier. Il espère toujours des solutions miracle mais, ne voyant rien venir, il doit se résoudre, à l'approche de chaque échéance électorale, à négocier les voix de ses fidèles pour obtenir quelques promesses qui ne seront pas tenues. C'est, bien sûr, la droite qui se penche avec le plus d'insistance en ces moments-là sur les problèmes de nos déracinés. Et, paradoxe, on peut alors voir ceux qui vocifèrent « Les Arabes dehors ! » faire mine de s'intéresser aux harkis qui ne sont plus dupes et n'arborent plus aussi volontiers les décorations gagnées dans les djebels en feu. Seule, et c'est peut-être un encouragement sérieux de par la jeu-

  • nesse de ses cadres, l'association Jeune Pied-Noir, mène un combat permanent pour ces déracinés.

    Comme je l'écrivais en 1975, les musulmans des années 1954-1962 n'avaient pas le choix : ils devaient se battre contre la France, ou essayer de vivre encore avec elle. Plus de vingt-cinq ans après la perte de nos départe- ments d'Afrique du Nord, nous ne pouvons que plaindre ceux qui, trompés par nos promesses, avaient choisi le camp de notre défaite. Ceux-là, qui avaient cru le plus fort en la mère patrie, ont en effet le plus souffert de la guerre d'Algérie. Ce sont eux qui ont le plus de mal à se débarrasser du passé. Certaines bonnes âmes m'avaient reproché le titre de mon livre. Ils trouvaient alors que « combattants du mauvais choix » sonnait mal. Peut-être le ressentaient-ils comme trop lourd de remords ? Mais je persiste, puisque le plus véhément peut-être de nos anciens harkis, mon ami Brahim Sadouni, qui est allé présenter la détresse de ses frères en audience papale après une longue marche du souvenir en été 1987, l'a souvent repris dans son livre Français sans patrie.

    «Tu ne jugeras point! », il ne faut qu'essayer de comprendre les raisons de l'engagement des harkis en décortiquant leur guerre, si brutaux puissent en être les actes. Il faut reconnaître le courage extrême de la majo- rité de ces hommes qui, même dans les pires moments de la fin des combats, ont tenu à demeurer des Français à part entière, comme l'avait ouvertement espéré le géné- ral de Gaulle en 1958.

    Français malgré tout... Dieu seul, et quelques hommes aussi, savent ce que ce « tout » contient de haine et de rage de vaincre le combattant frère que l'on croyait égaré mais qui a fini par avoir raison devant l'Histoire.

    La haine des combattants musulmans, ceux qui se déchiraient furieusement dans les villes et les djebels, était telle qu'elle les a poussés aux limites de l'horreur. Elle dépassait l'entendement des appelés venus de Nor-

  • mandie ou d'Auvergne pour se battre sur une terre qui, au fond, ne leur appartenait pas tant que ça.

    J'ai voulu revivre encore les enthousiasmes des pre- miers engagements de nos harkis, revoir comment trop d'entre eux sont morts, retrouver les promesses des ral- liements de katibas rebelles et, une dernière fois, parta- ger leurs maigres victoires en espérant que vienne enfin pour tous le temps du pardon absolu, et qu'ils soient chez eux en France, comme en Algérie.

  • 1

    A l'assaut du maquis rouge

    La France, au cours des conquêtes de son Empire colo- nial, a toujours employé des unités formées en majorité de soldats indigènes. Tant que l'Empire tint ses pro- messes de fidélité à l'Administration métropolitaine, il n'y eut pas trop de problèmes avec ces guerriers mais, au fur et à mesure des libérations des peuples colonisés, les abandons de milliers de ces meilleurs serviteurs à la vin- dicte parfois naturelle des libérateurs, ne sont pas à por- ter au crédit de gloire de la France.

    L'Indochine fut un cruel exemple qui ne servit pas à grand-chose à ceux qui supportèrent, dès 1955, les lourdes responsabilités de la guerre en Algérie. Les mêmes erreurs dramatiques furent commises, avec d'au- tant plus d'évidence qu'elles le furent cette fois tout près de la Métropole. S'il était bien sûr impensable de tenir à l'écart de la bataille les soldats musulmans, il eût été plus juste, dès la fin de 1959 tout du moins, de ne plus leur laisser croire que la France demeurerait, toujours et mal- gré tout, de l'autre côté de la Méditerranée. Ils auraient alors eu le temps de choisir une nouvelle voie et, puisque la « Paix des braves » avait été proposée par le général de Gaulle, ils auraient sans doute pu y participer.

  • Mai 1956. Bien qu'admettant tous le principe que : « Le sort définitif de l'Algérie ne sera, en aucun cas, déterminé unilatéralement... », comme l'a précisé Guy Mollet lors de l'installation de son nouveau gouvernement le 1 février, les hommes politiques de gauche ne parlent pas encore d'Algérie algérienne mais, tout au contraire, comme François Mitterrand, le Garde des Sceaux d'un cabinet qui vient de recevoir de l'Assemblée Nationale (455 voix pour, 76 contre) les pouvoirs spéciaux que son chef réclamait en Afrique du Nord : « D'une seule grande nation, des Flandres au Congo... ». Des extrémistes, sur- tout quelques communistes algériens et des chrétiens progressistes, choisissent pourtant ouvertement le camp de la rébellion. Certains d'entre eux vont bien au-delà des mots et, lorsque le P.C.A. est dissous en septembre 1956, ils engagent les armes dans les maquis pendant que d'autres choisissent le combat de l'ombre et participent à la terreur dans les villes, tel Fernand Yveton, le poseur de bombes d'Alger. L'un d'eux, l'aspirant Maillot, un ancien militant algérois des jeunesses communistes, reçoit le 4 avril 1956 l'ordre de convoyer de Miliana à Alger un stock d'armes légères chargées dans un G.M.C. Guer- roudj, un dirigeant de l'ex-parti communiste algérien per- suade facilement Maillot de détourner les armes de Miliana au profit de la rébellion. Le camion mal protégé est à Alger à la mi-journée après un voyage sans histoires. L'aspirant choisit l'heure du casse-croûte pour agir. Il invite le chauffeur du camion à rendre visite à ses parents et, abandonnant son escorte confiante au rituel du repas, il mène les armes dans la forêt de Baïnem, à l'est d'Alger. Des maquisards de Guerroudj sont au rendez-vous. Le chauffeur est assommé et ligoté. Son chef l'abandonne au bord de la route. Le camion est rapidement vidé de son chargement, les rebelles disparaissent dans la forêt. Les têtes du parti communiste, Hadj Ali et le docteur Had- jérès sont bien décidés à user des cent vingt et une

  • mitraillettes, soixante-quatorze revolvers, dix pistolets automatiques et soixante-trois fusils de chasse neufs, ainsi que des munitions qu'ils ont volées en quantité suf- fisante pour alimenter généreusement tout cet arsenal afin de faire bon poids dans leurs tractations avec Ben Youssef Ben Khedda, l 'homme du F.L.N. désigné pour négocier l 'entrée des communistes algériens dans le mouvement insurrectionnel.

    Les discussions s'engagent à Alger, au domicile d'Éliane et Jacques Gautron, deux chrétiens progres- sistes. Le F.L.N. voit d 'un très mauvais œil l 'implantation récente de quelques embryons de « maquis rouges », une centaine d'hommes en tout, dans les secteurs de Rovigo, Ténès et Duperré, et dans les monts de l'Ouarsenis. Les communistes ne contrôlent plus les masses ouvrières, car la toute-puissante Union générale des travailleurs algériens est bien noyautée par les hommes du F.L.N. Le docteur Hadjérès est obligé de céder. Les membres du P.C.A. ne pourront rallier (tout comme les militants du M.N.A. de Messali Hadj), qu'individuellement les rangs de la rébellion.

    Les armes détournées par Maillot devront être remises en majeure partie à Ouamrane, un responsable de l'A.L.N. de la région de Rovigo. Les communistes s'exé- cutent de mauvaise grâce, ils ne donnent pas tout leur trésor de guerre aux djounouds de la Willaya 4. Leurs armes servent le 18 mai 1956 à une embuscade montée de mains de maître par le colonel Ouamrane, le « Lion Kabyle », dont les hommes massacrent vingt et un appe- lés dans les gorges de Palestro. La réussite militaire de l'action est indéniable, mais les horribles mutilations per- pétrées ensuite par la population poussée à l 'horreur par les réguliers de l'A.L.N. ne servent pas la popularité des rebelles.

    Maillot a rejoint le maquis rouge de Duperré pour se mettre aux ordres de René Laban, un vétéran des bri-

  • gades internationales d'Espagne qui connaît la guerre à fond. L'unité est, malgré les accords d'avril, tout à fait indépendante du F.L.N. et de l'A.L.N. Elle est forte d'une trentaine d'hommes et, outre la venue de Maillot, elle a reçu le renfort d'Abdelhamid Gherab, un sous-lieutenant de réserve qui a déserté à Alger trois jours après Maillot.

    Les communistes ne passent pas facilement inaperçus dans ce secteur de l'Ouarsenis où la rébellion n'a jusque-là pas donné de grands signes de vie. Les hommes du bachaga Boualem, qui demeure le maître incontesté de la région des Beni-Boudouane, n'ont pas de mal à les détecter. Les maquisards de Laban sont épiés, suivis, et signalés jour après jour aux autorités militaires. Quatre fidèles du bachaga sont assassinés, sans doute par des agents du F.L.N. soucieux d'attirer un peu plus l'attention des forces de l'ordre sur les communistes qui sont tout naturellement désignés comme les coupables des meurtres.

    Une opération est montée. Des appelés du 504 régi- ment du Train ratissent le djebel Deraga sur les traces d'une mule lourdement chargée qui a été signalée par un harki. Le bouclage se referme au-dessus du barrage d'Oued Fodda. Les harkis du bachaga s'installent en cor- don serré sur les crêtes, des gendarmes mobiles lancent la dernière fouille avec les tringlots et des musulmans d'un groupe de protection rurale rameutés d'Orléans- ville. Laban est pris au piège. Il refuse la reddition et accepte le combat inégal, des rafales éclatent, des explo- sions de grenades devancent un assaut imparable, un à un les communistes tombent sous les balles françaises.

    Les harkis du bachaga ne font pas de quartiers. Laban meurt courageusement. Les cadavres regroupés sont vite fouillés par les gendarmes mobiles. L'aspirant Maillot est mort habillé à la musulmane. Il portait deux cartes d'identité, une au nom de Paul Amar, et la seconde à celui de Djebour Smaïn. La victoire du bachaga est totale

  • lorsqu'un homme de la dernière fouille découvre une trentaine de mitraillettes dans une cache. Les armes portent les matricules de celles qui ont été dérobées à Alger et refusées au F.L.N. par le docteur Hadjérès. Le maquis rouge a vécu.

  • 2

    « Yatagan », premier commando musulman

    En 1956, la frontière algéro-marocaine est encore informelle et très perméable. Elle serpente en méandres de barbelés. Son barrage, pas encore électrifié, quitte le bord de mer en longeant le djebel Adjeroud. La plage dorée de Saïdia, un paradis qui n'est plus français depuis déjà longtemps, s'étend à l'infini vers l'ouest. Après cinq kilomètres vers le sud, la frontière indécise bifurque vers l'est en longeant l'oued Kiss jusqu'à Martimprey, un gros bourg maintenant marocain. Les gens du F.L.N. sont chez eux dans cette petite ville sans caractère. D'un poste de fusiliers marins planté au-dessus du Rass-el-Aïoun à la cote 410 et baptisé Alazetta, les guetteurs peuvent voir les soldats de l'A.L.N. défiler sans se cacher dans ses petites rues tracées au cordeau. Les marins du capitaine de vais- seau Ponchardier ont construit tout au long de la fragile frontière une douzaine de petits postes semblables à Ala- zetta pour empêcher le passage des katibas formées et instruites au Maroc.

    Une zone interdite, désertée de toute vie humaine, s'étend sur une bande de deux à cinq kilomètres de large entre la frontière réelle et la ligne des postes de fusiliers marins. Des appelés, encadrés par des anciens d'Indo-

  • chine, vivent à la dure dans les postes de Tiza, Les Per- dreaux, Alazetta, Signal, Méchour, Gabriel, et Bab-el- Assa, le P.C. de leur 3e bataillon de la demi-brigade de fusiliers marins. Leurs sections sortent à tour de rôle pour ratisser le terrain et tendre des embuscades. Les commandos de la Marine, les hommes au béret vert de Jaubert, Trepel, de Montfort, et de Penfentenyo viennent parfois les renforcer lorsque des renseignements annoncent un passage en force de l'A.L.N.

    La zone contrôlée par les marins depuis juillet 1956 s'étend sur soixante kilomètres de bords de mer escarpés et sur quarante vers le Sud montagneux. Ponchardier n'est pas un chef a faire les choses à moitié. Après une opération d'envergure (Zoulou) montée avec deux régi- ments d'infanterie coloniale et le 5e étranger de Tlemcen, il ne lui a fallu que quelques mois pour ramener un calme relatif dans sa zone de contrôle. Fin 1956, les rebelles se terrent comme des rats dans des grottes et des caches en espérant le renfort de leurs amis demeurés dans leurs camps d'instruction marocains.

    La réussite des marins est exemplaire. Mais il lui manque quelque chose : le lien avec les populations pro- tégées de la marque du F.L.N. Il existe bien quelques uni- tés de musulmans des groupes mobiles de protection rurale, mais âgés pour la plupart et mal armés, ces sol- dats tranquilles répugnent à grenouiller dans les douars. Ponchardier, riche de ses expériences indochinoises décide, avec son second le capitaine de frégate de Joy- bert, de confier au capitaine Delayen, un redoutable baroudeur qui fut en Extrême-Orient l'un des pionniers des opérations commando, la mission de créer de toutes pièces une unité de musulmans fidèles et de transfuges du F.L.N.

    Les autorités civiles de l'Oranie, le préfet socialiste Lambert en tête, voient l'expérience d'un très bon œil. Robert Lacoste, le ministre résident en Algérie, donne

  • son feu vert. L'opération de recrutement est lancée. Tout va très vite, le commando, baptisé « Yatagan », est admi- nistrativement créé le 1 janvier 1957. Delayen a choisi comme campement et base arrière les gourbis abandon- nés de Béraoun, un douar abandonné depuis l'opération Zoulou.

    Les vingt et un premiers soldats de l'unité pionnière en Algérie, des volontaires de la famille du bachaga Si Ali Benhamida, viennent tous des douars des M'Sirda Tatha. Ils ne se sont pas engagés pour jouer les maçons et les charpentiers. Ils veulent tout de suite se lancer sur les traces des djoundouds de l'A.L.N. Delayen les exhorte à la patience en leur faisant subir un petit stage commando sous les ordres de ses gradés fusiliers marins, tous anciens d'Indochine. Le capitaine de la Coloniale, déta- ché de son régiment d'origine, le R.I.C.M., s'est bien entouré. Il a choisi comme second Albert Basset, un maître fusilier sec comme un coup de trique et blond qui a fait ses preuves en Indochine et au cours des premiers engagements de la D.B.F.M. sur les djebels Zachri et Fil- laoussène, en dessus du gros bourg de Nedromah lové près de la route de Tlemcen, à quinze kilomètres de Nemours où se tient le P.C. de Ponchardier.

    Les premiers gradés du commando, Hudelille, Pru- dhomme, Abjean, Abot et Martinez, leur interprète, se sont installés tant bien que mal dans les mechtas de Béraoun où ils vivent comme les ralliés.

    - Nous ne pouvions plus demeurer neutres dans notre village, leur explique l'un d'eux, l'armée régulière n'est pas faite pour nous... C'est pour cela que nous sommes venus avec votre capitaine : pour nous battre librement !

    Ponchardier suit chaque jour l'évolution de l'unité de supplétifs. Delayen est de plus en plus confiant.

    - Je sais bien que je n'ai pas la crème de la région dans mes groupes, avoue-t-il, mais ces anciens contrebandiers connaissent le moindre recoin du djebel...

  • Sadouni fixe surtout son lieutenant pendant le dis- cours.

    - Ceux, poursuit l'officier supérieur, qui préféreraient partir en France doivent s'inscrire à la S.A.S.

    L'ancien mécanicien de Bouzina hoche la tête grave- ment.

    - Mon père ne voudra jamais que je quitte le pays... Je n'ai pas encore l'âge d'agir selon ma propre volonté... Je suis condamné à rester ici...

    Le colonel récite sa leçon avec application. - Le F.L.N. s'est engagé à respecter dignement ceux

    qui quitteront l'uniforme et voudront vivre tranquille- ment chez eux...

    Sadouni ne peut s'empêcher de faire la moue. - Oui, poursuit l'officier très raide, et la France vous

    offre sa garantie totale en s'engageant à ce qu'aucun harki ne souffre de représailles... Nos deux pays se doivent d'effacer cette guerre...

    Brahim se souvient en vrac d'autres promesses non tenues : « Je vous ai compris... L'Algérie sera toujours française... Une seule France de Dunkerque à Taman- rasset ! ».

    Décidé à oublier il plonge dans la fête, se gave de méchoui et de bière. Puis, dès le lendemain, il rend son arme et son uniforme aux Français pour regagner le 18 mai 1962 son village natal.

    L'Armée française quitte peu à peu le secteur d'Arris. Les anciens harkis restent seuls face à leurs ennemis et, malgré les promesses renouvelées des dirigeants du F.L.N., dès que les élections du 6 juillet ont entériné à jamais l'indépendance de l'Algérie, l'heure de la basse vengeance sonne pour eux, comme pour tous les harkis d'Algérie.

    - Brahim, s'entend alors proposer Sadouni par le sous- lieutenant Maurice, un de ses anciens chefs, tu n'es plus en sécurité chez toi... Viens avec moi, je t'emmène en France...

  • L'ancien harki refuse. Un peu partout en Algérie, des officiers et des sous-

    officiers, parfois même des appelés, font de pareilles pro- positions à leurs frères de guerre. Mais ces gestes ne représentent pas grand-chose dans le fatras des ordres contradictoires qui interdisent bientôt d'aider au rapa- triement les anciens supplétifs enrôlés à coups de pro- messes caduques.

    Les S.A.S. n'existent plus. Elles sont devenues des Centres d'aides administratifs trop vite débordés d'appels au secours. Les musulmans fidèles ne sont pas des Fran- çais à part entière, comme l'avait crié si fort le général de Gaulle en 1958. Même avant que l'indépendance de l'Al- gérie ne soit proclamée, ils étaient considérés comme des Algériens avant la lettre. Donc, s'ils tiennent à vouloir quitter leur pays, ils doivent maintenant en faire la demande taxée aux tribunaux civils.

    Des officiers réagissent heureusement. Quatre cen- taines de harkis menacés d'extermination sont réunis sous la protection des armes françaises à Palestro. Les fusiliers marins de la D.B.F.M. rassemblent à Mers-el- Kébir plus de cinq cents harkis résignés au grand adieu. Quelques officiers des S.A.S. fondent l'A.A.A.A., l'Associa- tion des Anciens des affaires algériennes au mois de mai 1962. Malgré tous leurs efforts, ils ne rapatrieront que quelques centaines de harkis.

    Un ordre, daté du 12 mai 1962, tombe du Rocher-Noir. La note sèche met un terme aux actions généreuses des anciens des S.A.S.

    «Le ministre d'État chargé des Affaires algériennes a appelé l'attention du haut-commisaire sur certaines initia- tives prises en Algérie pour organiser l'émigration et l'ins- tallation en Métropole de familles musulmanes désireuses de quitter le territoire algérien. Dans la conjoncture actuelle on ne peut laisser à une autorité quelconque l'ini- tiative de mesures de ce genre qui ne peuvent relever que de décisions prises à l'échelon du gouvernement.

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