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7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
1/38
P. Merle
Le concept de dmocratisation de l'institution scolaire : une
typologie et sa mise l'preuveIn: Population, 55e anne, n1, 2000 pp. 15-50.
Citer ce document / Cite this document :
Merle P. Le concept de dmocratisation de l'institution scolaire : une typologie et sa mise l'preuve. In: Population, 55e anne,
n1, 2000 pp. 15-50.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_2000_num_55_1_7096
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_pop_780http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_2000_num_55_1_7096http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_2000_num_55_1_7096http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_pop_7807/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
2/38
Rsum
Merle Pierre.- Le concept de dmocratisation de l'institution scolaire : une typologie et sa mise
l'preuve Le concept de dmocratisation de l'institution scolaire a fait l'objet d'une rflexion incomplte
eu gard aux enjeux sociaux, et notamment politique, dont le terme est investi, tout particulirement en
France. Les termes actuellement utiliss pour dfinir les modalits de la dmocratisation sont en effet
partiels. L'objet de cet article est de montrer que la dmocratisation d'une institution scolaire peut tre
apprhende travers trois modalits dsignes par les termes : dmocratisation galisatrice, uniforme
et sgrgative. L'tude de la situation de l'enseignement du premier cycle au niveau national et du
second cycle dans l'acadmie de Rennes constitue une application de la typologie prcdemment
dfinie. Selon les variables et cycles retenus, l'auteur conclut une dmocratisation uniforme ou
sgrgative de l'institution scolaire sur la priode tudie.
Abstract
Merle Pierre.- The concept of democratization of the school system: elaboration and application of a
typology The concept of democratization of the school system has not received thorough intellectual
scrutiny considering the social and especially political importance that is attached to the notion,
particularly in France. The terms currently used to define the modalities of democratization are in effect
partial. This article sets out to show that democratization of the school system can be analyzed by
applying three modalities, qualified as equalizing, uniform and segregative. The typology thus
defined is then applied in a study of the teaching of the first educational cycle at the national level and of
the second educational cycle in the Academy (education region) of Rennes. Depending on the variables
and cycles selected, the author concludes for a uniform or segregative democratization of the school
system during the period under review.
Resumen
Merle Pierre.- El concepto de democratizacin en la institucin escolar: una tipologa y su puesta en
prctica El concepto de democratizacin de la institucin escolar y de sus implicaciones sociales y
polticas han sido objeto de una reflexion incompleta, particularmente en Francia. Los trminos que seutilizan actualmente para dfinir las modalidades de democratizacin son parciales. El objetivo de este
articulo es mostrar que la democratizacin de una institucin escolar puede entenderse segn trs
modalidades, designadas con los trminos democratizacin igualadora, uniforme y segregativa. El
anlisis de la situacin de la enseanza de primer ciclo a nivel nacionl y de segundo ciclo en la
academia de Rennes constituye una aplicacin de la tipologa citada. El autor concluye que, durante el
periodo de anlisis, ha habido segregacin uniforme segregativa, dependiendo de las variables
consideradas y los ciclos estudiados.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
3/38
Le
concept
de dmocratisation
de
l institution
scolaire
:
Une typologie et sa mise l preuve
Pierre Merle*
L'institution scolaire fait l'objet de recherches rcurrentes qui abordent,
de faon plus ou
moins
centrale et avec des modalits diverses, la question
de
la
dmocratisation de l'enseignement' [\ Paralllement
ces recherches em
piriques
se sont
dveloppes
des analyses centres
sur
les indicateurs de me
sure des ingalits dans le champ scolaire(2). Ces deux objets de recherche,
en partie interdpendants,
n'ont
que partiellement
cherch caractriser
les
transformations
de
l'enseignement
franais
au
cours du
temps, avec le
projet
d'en tirer
des
claircissements
sur
les modalits de la
dmocratisation. Celles-ci
demeurent,
en quelque sorte,
sous-conceptualises
eu gard aux enjeux so
ciaux
et notamment
politique,
dont le
terme
est
investi, tout particulirement
en
France
(Cuin, 1993)(3).
A. Prost
(1986) est
l'un
des
premiers
auteurs
avoir
propos une
typologie
des formes de dmocratisation en distinguant les
dmocratisations
quantitative et
qualitative
. Le premier sens renvoie l'acception
usuelle
du terme.
Il
en
va
de la dmocratisation de l enseignement comme
de l'accs aux autres
biens
tels
que
l'automobile, les vacances, l'ordinateur
ou le
tlphone
portable : un bien se
dmocratise,
qu'il
soit ducatif
ou
non,
si
le taux d'accs ce bien s'accrot. Cette
premire
dfinition de la
dmocratisation
assimile
donc
celle-ci l'acquisition
plus
frquente
de d
iplmes (CAP, , bac, Deug, BTS, licence, etc.),
directement
lie l aug
mentat ion
des
taux
de scolarisation
par
ge.
De
ce
point
de
vue,
la
dmocratisation
est incontestable. titre d'exemples, indiquons que le
taux
de scolarisation
* IUFM
de
Bretagne
et
Universit Rennes II, Lessor.
(l)
Notamment :
Bourdieu
et Passeron (1964), Baudelot et Establet (1971), Boudon
(1973), uvrard (1979),
Cherkaoui
(1982), Prost (1986), Briand et Chapoulie (1992),
Duru
et Mingat
(1992),
Merle et
Mear (1992),
Langouet
(1994), Euriat
et
Thlot (1995),
Merle
(1996), Goux
et Maurin (1995,
1997), Duru-Bellat
et Merle
(1997),
Duru-Bellat
et Kieffer (1999),
Duru-Bellat
et Merle
(
paratre).
(2>
Notamment
: Combessie (1984), Barbut (1984),
Prvost
(1984),
Merlli
(1985),
Vallet
(1988).
(3)
II faut noter qu'en France, le terme dmocratisation est associ celui d'institution
scolaire depuis,
semble-t-il,
la fin
de
la premire guerre mondiale (F. Pcaut, 1919, cit par
Briand
et
Chapoulie, 1992, p. 408).
Population, 55 (1), 2000, 15-50
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
4/38
16
P. MERLE
18 ans
est
pass de
66,6
83,4 entre
1988-1989
et
1996-1997,
et
que
le
taux de scolarisation 20 ans est pass de
31,2
56,4
sur
la
mme
priode (MEN, 1990, p. 19; MEN, 1998, p. 23); paralllement, la
propor
tion
e bacheliers et de diplms
du
suprieur a
sensiblement augment.
Le
second
sens
du terme
-
la
dmocratisation
qualitative
-
est
centr
sur
la
diminution des
ingalits
sociales
de parcours
scolaires telle
qu'elle peut
tre
mesure,
par exemple,
travers
le
rapprochement
des trajectoires
sco
laires moyennes des enfants de cadres
et d'ouvriers(4)(5).
Ces
deux
usages
du
terme
dmocratisation permettent
d'viter une
confusion ordinaire
entre
l'avnement de la scolarisation de masse propre
la seconde moiti
du
XXe sicle et l'galisation des conditions d'accs
aux tudes
quelle que
soit
l'origine
sociale. Toutefois, la
distinction
opre
par Prost devient problmatique lorsqu'il prcise que la
dmocratisation
quantitative, i.e. l'lvation des taux de scolarisation par ge, ne supprime
pas les
ingalits
sociales;
elle
les
dplace
seulement
(1986,
p.
12).
Si
le
propos convient
la
rgion
orlanaise, et plus largement sans doute
la
priode analyse
par A. Prost, cet nonc ne peut tre
gnralis.
Dans
la perspective d'une
dfinition conceptuelle,
qui se doit de dpasser la connais
sance
istorique
d'une
situation donne,
rduire
les
modalits
de la
dmocratis
ationdes aspects quantitatif ou
qualitatif
ne recueille pas
l'adhsion
:
l'accroissement
des taux de
scolarisation par
ge -le quantitatif- ne s'oppose
pas
forcment au qualitatif,
c'est--dire la diminution des ingalits sociales
des parcours
scolaires.
Pour
cette
raison, les
modalits
de dmocratisation pro
poses
par
A. Prost ne permettent pas de nommer de faon
satisfaisante
des
situations scolaires dans lesquelles l'accroissement des taux de scolarisation
peut
se
combiner,
de
faon
variable,
avec
la
diminution ou l'augmentation
des carts
d'accs
selon
les
groupes sociaux. Mme s'il est possible, en
s'inspirant
d'A. Prost, de
distinguer
une
dmocratisation quantitative
et qua
litative d'une dmocratisation quantitative non qualitative, ces combinaisons
ne
permettent
pas toujours de
dsigner
de
faon suffisamment prcise
les
mod
alits
de
la dmocratisation
de
l'institution
ducative.
Plus
rcemment,
M.
Duru-Bellat et A. Mingat (1992) ont cherch
sparer
les effets du changement du recrutement
social
lis
l'ouverture
quantitative
de l'institution
scolaire de
ceux qui
pourraient rsulter
d'une
mod
ification dans ses modes de
fonctionnement.
Entreprise
pour
la France
sur
les panels 1962 (Girard
et Bastide, 1970),
1973
et
1980 (panels du
ministre
de
l'ducation
nationale
suivant
des
lves
entrs
en
6e
ces
deux dates), la
dmarche
prsente
l'intrt
vident de montrer
que
les dif
frenciations
sociales qui
ne
tiennent
pas
l'ouverture quantitative
de
l in
stitution scolaire
sont approximativement constantes sur les
vingt dernires
annes.
La tendance
serait
plutt,
mutatis
mutandis, une
accentuation des
(4> Sur
les
modalits diverses de
mesure
de ce rapprochement, le
lecteur peut se rfrer
aux
recherches cites dans
la note 2.
(5> Quand
il est
question des mthodes
d'investigation sociologique, le
terme qualitatif
renvoie
notamment
l'enqute par entretien. Dans l'expression dmocratisation
qualitative
et dans la suite de l'article, l'adjectif qualitatif
prend
un tout autre sens : il a pour objet de
dsigner
une
proprit sociale,
celle de l'galit
des
chances scolaires.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
5/38
CONCEPT DE
DMOCRATISATION
DE L'INSTITUTION SCOLAIRE 1 7
ingalits
sociales. La
limite
de la
dmarche, comme
le
signalent d'ailleurs
les auteurs, tient l indicateur retenu : l'accs au bac,
sans
distinction de
sries, n'a
pas
une pertinence parfaite
tant
donn la hirarchisation des
sries
gnrales,
technologiques
et
professionnelles.
Les remarques
prcdentes
montrent la ncessit de dfinir la divers
it ossible des transformations sociodmographiques de l'institution sco
laire,
en
recourant des indicateurs
de
diffrenciations qualitatives des
cursus
(tels
que le niveau de
comptences
scolaires ou la srie
de
bac)
et,
partir de ceux-ci, en
caractrisant
les
diverses
modalits de la
dmocrat
isation e l enseignement
(I).
Une telle dmarche typologique, relativement
abstraite,
ne prend
totalement
son sens
que
dans
l'analyse
concrte
des
transformations de l enseignement
secondaire
franais (II).
I.
-
Construction
des
donnes
et
typologie
des
formes
de
dmocratisation
L'objectif poursuivi
est d'laborer une
typologie
des formes
de
d
mocratisation
de
l enseignement
en fonction d'indicateurs de diffrencia
tionsualitatives des trajectoires scolaires. Une telle entreprise passe
ncessairement
par
la rsolution
pralable
d'un
certain
nombre de ques
tions
:
quelle dfinition
de la dmocratisation
recourir, quels groupes so
ciaux pertinents d'lves
faut-il
comparer,
quelles
units
d'enseignement
retenir, quels
indicateurs
statistiques utiliser?
C'est
partir de ce
cadre
d'analyse
des
donnes
que
seront
dfinies
trois
modalits
de
dmocratisat
on
e l enseignement. La dmarche se
limite la situation
de l'institution
scolaire franaise en
raison
des difficults de comparabilit des donnes
et,
surtout,
de
leur
caractre dj lacunaire
au
niveau national.
Les modalits
de construction des
donnes
Quelle
dfinition
de la
dmocratisation
de l'cole ?
Bien
que dans un certain nombre de recherches anglo-saxonnes, la
question
de
la
dmocratisation
soit
pose
partir
de
critres
varis
(sexe,
origine gographique ou
nationale), les tudes franaises se sont surtout
focalises
sur la seule
origine
sociale des lves.
Une telle
dfinition ne
va
pas de
soi
et, dans la
prsente
dmarche, l'tude des modalits de la
dmocratisation
sera
galement fonde
sur
les trajectoires
scolaires
selon
le sexe.
L'largissement de l'analyse, limit
cette seule variable
suppl
mentaire, a une
justification
simple. Le terme dmocratisation est issu du
vocabulaire
des sciences
politiques :
dmocratiser a pour
objet de ren
dre
dmocratique.
Or, si l'mergence du
citoyen, au
sens moderne du
terme, est
passe
par
l'abolition du
suffrage censitaire en
vigueur
en
France
jusqu'aux
mouvements rvolutionnaires
de 1848, la question de
l'galit
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
6/38
18 P. MERLE
formelle des droits n'a t rgle que par la reconnaissance, un sicle plus
tard, du droit de
vote des femmes. Fidle
cette tradition historique du
terme dmocratiser, l'tude des
transformations sociales
des publics
sco
laires
n'a aucune
raison
de
se
focaliser
sur
la
seule
reprsentativit
des
taux d'accs selon le groupe socioprofessionnel. Le
point
de vue adopt
consiste penser
que
l'galit
des genres,
dans
l'institution
scolaire comme
dans les autres
institutions, notamment
politiques, n acquiert toute sa s
ignific tion que si les pratiques sociales n'apportent
pas
un dmenti aux
droits formellement accords aux deux sexes. Une telle considration im
plique que
le
taux de
fminisation
des
diffrentes filires
de l'enseignement
constitue
un
des
indicateurs de la dmocratisation de l'institution scolaire(6).
Le choix de catgories sociales
agrges pertinentes
La
construction
des
donnes ncessite
aussi
de
dlimiter
des groupes
sociaux jugs
pertinents afin
de comparer
l'volution
de
leurs
places
res
pectives un niveau
d'tudes
considr.
Il
est assez usuel de limiter
l i
nvestigation
la
modification de la part des
enfants
de cadres
et
d'ouvriers
(par exemple, Boudon, 1973 ; Euriat
et
Thlot, 1995). Ce choix de mthode
tient au fait que
ces
deux groupes sont relativement homognes -
en
par
ticulier par rapport aux groupes 1 (agriculteurs) et 2 (artisans,
com
merants,
chefs
d'entreprise)- et
qu' maints gards,
ils
occupent
des
positions
opposes dans l'chelle sociale
(en termes de
revenu et
de
niveau
moyen d'annes
d'tudes
notamment).
Pour ces
raisons, une moindre
r
eprsent tion des
enfants de cadres et/ou
une
meilleure
reprsentation des
enfants
d'ouvriers
sont
censes
constituer
des
indicateurs
pertinents de
la
dmocratisation.
Cette
faon
de procder
n'est toutefois
pas
sans
poser problme. La
transformation
de
l'organisation
productive
a affaibli
continment
l'impor
tance umrique du groupe ouvrier depuis
1975
(Seys, 1996). Or,
il
serait
erron d'en
dduire
une diminution de mme ampleur des situations pro
ltaires.
Ainsi, les recherches
portant
sur
le
groupe social des
employs
ind
iquent un rapprochement des conditions de vie de cette catgorie de
celle des
ouvriers (Chenu,
1994).
Par ailleurs, les tudes portant
sur
les trs
bas
sa
laires
montrent
que
leur
part
a augment sensiblement
de
1983 1997,
de
5 10 environ, et le
mme
constat vaut pour la
proportion
des bas
salaires (Concialdi
et
Ponthieux,
1999).
Se
limiter
au
seul groupe
des
ou
vriers en tant
que reprsentant
emblmatique des situations populaires risque
donc d'entraner
un
biais de
reprsentation statistique, et le
fait de ne
retenir
que deux
catgories
extrmes aboutit
amplifier
la mesure des ingalits
de cursus. Ces remarques
incitent
prfrer des comparaisons englobant
l'ensemble
des situations
professionnelles
des
parents
des
lves
ou tu-
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
7/38
CONCEPT DE
DMOCRATISATION
DE L'INSTITUTION SCOLAIRE 1 9
diants scolariss.
Ce
type
de
construction est, par
ailleurs, plus adapt aux
comparaisons
dans le
temps
et dans l'espace.
Quelles catgories constituer? Comme l indiquent les
tables
d homo-
gamie
selon
la
profession
et
les
tables
de
mobilit
sociale (Desrosires
et
Merlli, 1988; Merlli et Prvost, 1991),
les
groupes
socioprofessionnels
5
et
6 ( employs
et
ouvriers
) entretiennent des
relations
de proximit
dans l'espace
social.
Ainsi, la catgorie ouvrire tant essentiellement mas
culine, cette
catgorie
est
voisine de celle
des employs,
groupe
social
f
minis
prs de 80 , qui
compte
assez frquemment dans ses
rangs
les
mres des lves dits enfants
d'ouvriers.
Par ailleurs, les pres emp
loys
ont
frquemment
pour conjointes
des
pouses appartenant au groupe
5
et moins souvent aux groupes
3
et 4 (cadres et
professions intellectuelles
suprieures, professions
intermdiaires).
Ces donnes,
qui
rappellent
tout
simplement
que les parents des
lves
forment des
mnages,
plaident
pour
un
rapprochement
des
groupes
ouvriers
et
employs
dans
la
dfinition
les
catgories populaires(7).
Bien
qu'il
ne
soit
pas
le seul envisageable et soit
l'objet de dbats, ce type de
regroupement
constitue un
dcoupage
pertinent
de l'espace social pour mener des tudes empiriques
(par
exemple, Jeantheau
et Murt, 1998)(8).
Une question tout
aussi essentielle
a trait
au
nombre de catgories
sociales agrges souhaitables
pour mener bien
l'analyse. Faut-il
retenir
une partition binaire
de l'espace
social
(milieu populaire
versus moyen et
suprieur) ou ternaire
(populaire/moyen/suprieur)? Comment
choisir? Le
choix d'un
dcoupage
ternaire rend plus dlicate la
dfinition
d'une typo
logie
des
situations
de
dmocratisation
de
l enseignement. En
ayant
recours
trois
catgories
sociales agrges, il est
ncessaire
de mener trois
types
de comparaisons (catgories populaires versus
catgories
moyennes ; cat
gories populaires versus catgories suprieures ;
catgories
moyennes ver
sus catgories suprieures)
pour
lesquelles les
rsultats
ne sont pas
forcment
convergents.
La recherche
mene
par Euriat et Thlot (1995)
sur le recrutement social de quatre grandes coles (ENA, ENS,
et
X) exemplifie
ce type
de situation : les
auteurs constatent
assez souvent
une
dmocratisation de ces coles en comparant les
situations
respectives
des
milieux
suprieurs et populaires, et parviennent au rsultat inverse
en
comparant les situations des milieux suprieurs
et
moyens. Quel
est
le mou
vement
le
plus significatif?
Les
auteurs
sont
enclins
mettre en
avant
le
(7> On
trouvera
dans Chauvel (1998)
une
analyse
voisine de
la structure sociale et
une
argumentation
plus dveloppe de
cette position.
(8> Certaines
recherches
(Goux et Maurin, 1997) largissent
les
catgories populaires
aux agriculteurs. Ce choix est valid notamment
par
le destin social du groupe (les enfants
d'agriculteurs qui ne restent pas dans l'exploitation agricole deviennent assez frquemment
ouvriers). Cependant, de par le capital
possd et
leur
statut
d'indpendants, les agriculteurs
sont proches
du groupe 2
(artisans, commerants
et
chefs
d'entreprise), et ce
rapprochement
est d'autant plus
pertinent
que le nombre des petites
exploitations diminue
continment (la
pertinence
d'un
regroupement
de CSP dpend videmment de
l'poque
d'investigation).
Les
pouses
des agriculteurs (ce groupe est
trs masculin)
appartiennent aussi plus
souvent
aux
professions
intermdiaires
que les
pouses des
ouvriers. En
ce sens
galement, les enfants
d'agriculteurs,
et plus
prcisment les enfants
des familles
dont le
pre
est
agriculteur,
sont
plus proches
des catgories
moyennes
que des
catgories
populaires.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
8/38
20
P. MERLE
mouvement de dmocratisation, mais
leurs arguments
ne sont pas dcisifs
et
l'aporie de
la
mthode
n'est
pas leve. Bien
que
simplificatrice, une par
tition binaire (catgories
populaires
versus catgories moyennes et sup
rieures)
prsente
l'intrt
d'obtenir
des
rsultats
toujours
interprtables
de
faon univoque et de s'appliquer des niveaux fins
du
systme d ense
ignement - une srie, une option -,
puisque
ces
catgories sont,
hormis
quel
ques rares exceptions, reprsentes de
faon
significative quel
que
soit
le
niveau scolaire
envisag(9).
Le
champ de l'tude
Une
troisime
difficult
relative la
construction des donnes concerne
les
units d'enseignement qui
doivent
faire l'objet
de
l'analyse. Le
second
cycle
du
secondaire et l'enseignement suprieur constituent
des
catgories
administrat
ives
suelles
dont
l'intrt
est,
notamment,
de
prsenter
de
faon
gnrale
et
simplifie l'organigramme de
l'institution scolaire. Toutefois,
ces niveaux de sco
larisation
renvoient
une multitude de
sries
de bac et de filires universitaires
aux savoirs disciplinaires et aux spcificits socio-dmographiques trs
marqus, qu'il
s'agisse du
rapport
garons-filles, de l'origine sociale et scolaire
des
lves
ou
de
la dure
normale de
leur cursus. Ces
sries de
bac et
ces
filires, trs diffremment classes dans
les
hirarchies
scolaires,
offrent galement des dbouchs trs diffrents en termes de cursus sco
laires ultrieurs, de chances de
russite
dans l enseignement suprieur
et
d'insertion
professionnelle
(par exemple,
Duru
et Mingat, 1988;
Yahou
et
Raulin, 1997; Eckert, 1999). Pour toutes
ces raisons,
il
est
ncessaire
de
prendre
en
considration ces
hirarchies
scolaires
si
la
perspective
retenue
est
celle d'une analyse de l'accs aux tudes et aux diplmes comme l
ment
de classement scolaire et, in
fine,
de types
d'insertion
professionnelle.
L'importance de
ces
filires est conforte par le fait qu'elles se retrouvent,
pour
l enseignement destin aux
lves
de plus de
15 ans,
dans
la quasi-
totalit
des pays
de
l'OCDE
(OCDE-CRIE,
1995). En ce sens,
les
modalits
d'analyse
de la
dmocratisation
de l'institution scolaire
prsentes
plus
loin
valent au-del de l'espace national(10).
L'ide qui
guide notre
dmarche consiste donc
prendre en
compte
les
considrations ordinaires
des acteurs de l'institution
ducative
(profes
seurs,parents, lves) qui attachent une place
centrale
la trs
forte
hi
rarchisation
des
filires
de l'enseignement.
Les
travaux
portant sur
les
modalits
de la scolarisation
des lves ont
frquemment introduit cette
(9) Les
statistiques du ministre de l'ducation
nationale
sollicites
dans
la seconde
partie de l'article font tat d'une catgorie autres.
Cette
catgorie regroupe trois sous-
catgories aux effectifs rduits : enfants de
la
DASS et PND (professions
non
dclares),
retraits et autres inactifs.
Cette
catgorie autres regroupe des effectifs
gnrale
ment
odestes.
Ils sont toutefois d'autant plus importants qu'il s'agit de
classes
terminales
dans lesquelles les groupes
5
et
6 sont
surreprsents. Pour cette raison, cette catgorie a
t assimile aux
catgories
populaires.
Cette
modalit de classement de la catgorie au
tres est
usuelle
(Jeantheau
et Murt, 1998).
(1) La hirarchisation
des filires
existe
parfois ds
le
premier
cycle de l'enseignement
secondaire. L'exemple de
l'Allemagne est
connu :
il
existe,
dans la plupart
des Lander,
quatre
filires aprs l'cole lmentaire (Hauptschulen, Realschulen, Gymnasien, Gesamtchulen).
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
9/38
CONCEPT DE
DMOCRATISATION
DE L'INSTITUTION SCOLAIRE 2 1
dimension de l'institution ducative
(par
exemple, Bourdieu
et
Passeron,
1964; Girard et Bastide, 1970; Cherkaoui, 1982;
Bulle,
1999).
C'est
aussi
cette aune
que
s'est historiquement pose, ds le dbut du sicle, la ques
tion
de
la
dmocratisation
de
l enseignement
(Briand
et
Chapoulie, 1992).
Est-ce dire
qu'au
niveau
du collge,
caractris par
l'absence de
f
ilires la question de la dmocratisation se rduit celle des diffrences d'accs
selon
l'origine
sociale ou le
sexe?
En fait,
la cration du collge unique en
1975 n'a
pas forcment mis fin
aux
clivages qui
sparaient
les
diffrentes
sections
du collge d'enseignement
secondaire
institu en 1963.
Il
faut en
effet
viter
d'assimiler
d'emble des
modifications
d'organisation des tran
sformations effectives des
diffrences
de cursus
scolaires.
De mme, sur la der
nire dcennie,
comme
l'indiquent M.
Duru-Bellat
et A. Van Zanten (1999,
p.
44),
les carts
sociaux
dans les scolarits au
collge
ont chang
d'allure
:
des
ingalits
dans
le
fait de
rester ou
non au collge
pendant
tout
le
premier
cycle
se sont
substitues
des
ingalits plus qualitatives
de
russite
(probabilit
ingale de
redoubler) et d'orientation la sortie
du collge (accs
ou
non
un
second cycle
gnral ou technologique). Au niveau
du
collge,
en l'absence de filires, l'analyse doit
prendre
en
compte
des diffrences qual
itatives comme la
frquence
des
redoublements selon
l'origine
sociale et
les
ingalits de
comptences scolaires
telles
qu'elles
peuvent tre mesures
lors
des valuations
nationales
ralises par la
DP&D
(Direction de la program
mationt du dveloppement du ministre de l'ducation nationale).
Les
pre
mires comme les
secondes
constituent
des
indicateurs pertinents de
l'insertion et de la russite scolaires prsentes et
ultrieures.
Autre faon de
dire
que
l'accs un niveau
d'tudes
ne prend totalement son sens que s'il
est
associ
un
certain
niveau
de
comptences
scolaires
(Duru-Bellat
et
Merle,
1997), et que l'analyse des modalits
de dmocratisation du
collge
ne
peut faire
l'conomie de telles
variables
qualitatives.
La
mesure
statistique de la
dmocratisation
de l'enseignement
Enfin, le
dernier problme
relatif
la constitution
des
donnes
concerne
la
mesure
des
carts
de
cursus
scolaires
entre groupes sociaux. Il existe
sur
cette
question
une
littrature
abondante (cf. note 2). Un problme largement
dbattu
a
t
de savoir si les
diffrences
des
taux
d'accs un
niveau
donn
de
scolarisation
constituaient
une
mesure plus
pertinente
des
ingalits
de cursus
que
les
rapports
des
taux.
Ces
deux
types
de
mesure prsentent
l'inconvnient
de donner des rsultats ventuellement
contradictoires
et d'tre sensibles au
n
iveau
des taux de
scolarisation
de chaque groupe social. Dans une
priode
d aug
mentation diffrencie de taux de
scolarisation par
groupes sociaux initialement
trs disperss, ces indicateurs sont
donc d'un
usage dlicat0 1}. C'est pour
cette
(ll) La
rflexion
a pris
initialement
appui
sur
les donnes suivantes :
soit
un
taux d'accs
l'enseignement long passant de 37 % 62 % pour
les
enfants
des
professions
librales, cadres
et personnels
de
direction, et un
taux
passant de 1% 10% pour les enfants d'ouvriers
semi-qualifis et non qualifis, l'ingalit des
chances
a-t-elle augment ou
diminu ?
(Boudon,
1973; Combessie, 1984). La comparaison des coefficients multiplicateurs
(62/37=1,7
et
10/1
= 10) permet de
conclure une
diminution des ingalits
alors
que
la comparaison
des
diffrences
des
taux
d'accs
aboutit
une
conclusion
inverse
:
(62
-
37) >
(10-
1).
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
10/38
22 P. MERLE
raison
qu'une partie
des
tudes a recours au calcul
de
Vodds ratio, qui est
le
rapport
des chances d'tre scolaris
plutt
que non scolaris aux
deux
dates
de la comparaison. En comparant des
proportions
leur
complmentaire,
Yodds
ratio prend
en
compte
le
fait
que
les
proportions
sur
lesquelles
sont
tablies les comparaisons
sont comprises entre
0
et 100 , alors que les
indicateurs usuels sont plus
ou moins sensibles aux
effets de
plafond
selon les proportions compares (Vallet, 1988)(12).
Cette faon
de procder
n'est pas la
seule
possible.
Dans le
cadre
de comparaisons
moyen
et
long
termes, la mesure statistique de la
dmocratisation
de l enseignement
prend
gnralement en compte
la transformation
de
la structure
de la
po
pulation active
(ou celle des
jeunes gens) quand
celle-ci
est d'une
forte
amplitude.
Certains
auteurs (par exemple Euriat et
Thlot,
1995) ont
ainsi
fond leurs comparaisons des ingalits des chances scolaires sur la part
des
enfants
de
chaque
groupe social dans l'institution scolaire relativement
leur
part
dans
la
population
active,
de
faon
prendre
en
compte
les
transformations de la structure sociale. C'est une
dmarche
de ce type qui
inspire
principalement le calcul des
indicateurs
prsents dans la seconde
partie.
Une typologie des formes
de
dmocratisation
En centrant l'analyse sur les diffrences qualitatives des cursus sco
laires
selon
l'origine sociale, il
est
possible
de
dfinir des types
de
dmo-
cratisation(13).
Ces types reposent sur des
indicateurs
diffrents pour le
collge
et
le
lyce. Pour
le
collge,
les
indicateurs qualitatifs
utiliss
sont
notamment
la
frquence des
redoublements
et le
niveau de comptences
scolaires.
Pour le
lyce,
l'analyse
se
fonde sur
les
diffrences
sociales de
recrutement selon les sries de bac. Ces deux approches sont convergentes :
l'accs socialement diffrenci aux
diffrentes
sries
traduit, pour
une
grande
part,
l'effet
des
modalits de scolarisation
au
collge telles
qu'elles
peuvent
tre apprhendes par les
indicateurs qualitatifs
prcits.
Les
types de dmocratisation prsents sont envisags dans
le
cadre
d'une augmentation
continue des taux de
scolarisation
par ge
qui
carac
trise la situation franaise jusqu'en 1995. L'tude prcise aussi les modal
its
spcifiques
de
la
dmocratisation
lorsque
les
taux
globaux
de
scolarisation
par
ge sont
stables ou dcroissants(14).
Les
indicateurs
proposs
ultrieurement
sont censs
tre suffisamment
reprsentat
ifses
diffrences
qualitatives de cursus. Il
aurait
t possible d'insrer d'autres indicateurs
tels que
la rpartition sociale
des lves selon le choix
des
options
(langue vivante I ,
latin,
russe, etc.) pour autant que
les donnes ad hoc
soient
disponibles.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
11/38
CONCEPT
DE DMOCRATISATIONDE L'INSTITUTION
SCOLAIRE
23
Trois
types
de dmocratisation (taux
de scolarisation
par ge croissants)
Un premier cas de figure correspond l'observation simultane d'une
augmentation gnrale des taux de
scolarisation
par
ge
et
d'une
diminution
des
carts
de
taux
d'accs
selon l'origine
sociale
dans
les
diffrentes
sries
de
terminale. Dans cette situation, la croissance de la part des catgories
populaires est plus rapide dans les filires fermes socialement (i.e. les
filires bourgeoises
telles
que la terminale scientifique) que dans
les
filires les plus ouvertes socialement (les plus populaires )(I5).
Il
s'agit
d'une
situation
que
l'on peut
qualifier
de
dmocratisation
galisatrice : il
existe
une galisation des
conditions sociales d'accs aux
diffrentes
sries
de
bac. L'expression
dmocratisation galisatrice
s'applique
aussi
au niveau
du
collge.
ce
niveau, marqu
par l'absence formelle
de
filires et une
scolarisation
proche
de 100 d'une classe d'ges, une diminution des carts
de
taux
d'accs
selon l'origine
sociale
n'a pas
la
mme signification
que
celle qui
pourrait
tre observe
entre
les
filires
des
lyces.
Dans le
cas
du
collge, un mouvement
de dmocratisation galisatrice est
l'uvre
si
les diffrences qualitatives des cursus scolaires (frquence des
redouble
ments, iveau de comptences
scolaires) diminuent.
Le second type de dmocratisation
correspond
une situation inverse
de la prcdente : l'accroissement des taux de scolarisation
par
ge est as
soci
une
augmentation des carts sociaux d'accs dans les
diffrentes
filires considres. Les
milieux
populaires
peuvent
en
effet
amliorer leur
position
dans
toutes
les sries,
mais
une telle observation peut laisser dans
l'ombre
une partie
de l'essentiel : les catgories
populaires
amliorent-elles
leur position dans
les
filires
bourgeoises
un rythme
plus
lev,
ou
moins
lev, que
dans
les
filires populaires ?
Dans
le
cas d'une
croissance
moins
leve, la dynamique des transformations sociodmographiques
est quali
fie e dmocratisation sgrgative : les sries de
bac
connaissent
une
sorte
de mouvement de
spcialisation
sociale. La part
des
catgories
populaires
est,
globalement
et dans
chaque
filire, croissante,
mais
cette croissance
est beaucoup plus vive dans les filires populaires, si bien que les carts
sociaux de recrutement
augmentent
de
faon
relative. La dmocratisation
sgrgative
peut tre de type relatif ou absolu (cf. infra). Ces
deux
premiers
types de
dmocratisation,
galisatrice et sgrgative, renvoient donc l h
omognis ation sociale ou non des diffrentes sries de bac. De nouveau,
cette
expression
convient au
niveau
du
collge.
L'augmentation
gnrale
de
la
scolarisation peut
en
effet accrotre
la
comptition
entre
les
groupes
sociaux, mme en l'absence de filires : lorsque l'entre en 6e
n'est
plus
un
lment distinctif, celui-ci peut tre recherch dans
le
choix de l t
ablissement de l'option, voire de la classe considrs comme les meilleurs
et les plus profitables. Ces stratgies scolaires distinctives, qui voluent
dans le temps, ne
peuvent
tre mesures facilement de
faon
diachronique ;
(15>
Dans la
suite
du
texte,
on
emploiera
l'expression
filires
bourgeoises pour viter
la
priphrase
filires scolarisant principalement les lves
d'origine moyenne
ou suprieure.
L'emploi de ce terme
est une
simple commodit de langage.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
12/38
24 P.
MERLE
on se limitera aux effets
qu'elles
sont susceptibles de
produire en
termes
de
diffrences
de
comptences
scolaires(16).
Enfin, un troisime
type de
dmocratisation renvoie une
situation
i
ntermd i ire
et
correspond
une
sorte
de statu
quo
des
positions
de
chaque
catgorie sociale. Dans ce cas de figure, l'largissement de
l'accs
au
second
degr ne
modifie
pas, l'intrieur de chaque
filire,
les
parts respectives
de
chaque
groupe
social.
L'expression dmocratisation uniforme, propose
dans un cadre
d'analyse
diffrent par D. Goux et . Maurin (1995), a l'intrt
de spcifier cette situation scolaire concrte. Rappelons que
ces
auteurs,
partir
de l tude de
l'volution des niveaux
relatifs de diplme de plusieurs
gnrations
(Enqutes sur la formation et la qualification
professionnelle
de 1970
1993), montrent
que les
lves
poursuivent
en moyenne leurs
tudes plus
longtemps,
obtiennent des diplmes plus levs, mais
que
cette
volution concerne de
faon
peu prs identique
tous
les milieux sociaux
(bien
qu'il
existe
quelques
dviations
par
rapport
ce
modle
standard).
L'analyse de Goux et Maurin, qui conclut une
dmocratisation
uniforme,
est d'un
intrt
indiscutable ; elle
ne clt
cependant pas le
dbat relatif au
type de
dmocratisation qui caractriserait
l'institution
scolaire,
et tout par
ticul irement
au niveau
du
second degr,
parce
que les
auteurs
utilisent
une nomenclature
agrge
des diplmes en quatre ou six
degrs
avec, au
mieux,
deux niveaux pour l'enseignement
suprieur (bac
et
bac
plus deux ans)
qui ne
permet
pas
une tude
fine de
la dynamique
du
recrutement
social
par
sries
de
bac
ou filires
universitaires.
On peut par exemple
faire l'hypothse
qu'un diplme d'ingnieur a plus de valeur scolaire et professionnelle qu'un
DEA
en
sciences
humaines(17). Autrement
dit,
les analyses globales
laissent
chapper
d'ventuelles dynamiques
sociales
internes,
qu'elles
soient
sgrgat
ives
u galisatrices, alors mme
que
les
voies
empruntes
chaque
niveau
d'tudes sont statistiquement lies aux carrires scolaires
ultrieures
et aux
modalits
de
l'insertion professionnelle.
Finalement,
pour
rendre
compte
de
toutes
les situations relatives
la
dmocratisation de
l'institution
scolaire,
il est
ncessaire de
distinguer
les dmocratisations galisatrice,
uniforme et
sgrgative.
Ces trois modal
its de dmocratisation
ne
sont
pas
forcment
exclusives
les unes des
autres,
puisque les
analyses n'ont
de sens
que
rapportes
des niveaux
de scolarit
donns.
Une dmocratisation
galisatrice peut
spcifier la s
ituation
du
collge,
le
second cycle
ou l'enseignement suprieur
se
carac-
*16' On sait
que
la
scolarisation
dans les meilleures
classes permet des
progressions
scolaires un peu plus rapides et, surtout,
qu'une
telle organisation
entrane
l'existence de
classes
de
niveaux
moyen
et faible qui limite le rythme
d'acquisition
des lves en difficult
(Duru-Bellat
et Mingat, 1997).
(17) II serait galement peu pertinent de considrer comme identique en termes de
dmocratisation de l'enseignement la scolarisation
dans une
filire telle que les IEP, filire trs
reconnue
de
l'enseignement
suprieur,
et
une
scolarisation dans
une
filire AES, relativement
dvalorise. Or,
dans
la premire,
88,2
% des tudiants sont d'origine moyenne et suprieure
(IEP
de Rennes) et dans la seconde (universit Rennes II), seulement 43,1% ont
cette
mme
origine
sociale
(Merle,
1997).
Ces carts de recrutement social de filires plus ou moins valo
rises expliquent
en
grande partie
la diffrence
de
niveau
d'insertion professionnelle
selon
l or
igine
sociale
niveau
de
diplme
dit
quivalent
(MEN,
1998, p. 29).
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
13/38
CONCEPT DE
DMOCRATISATION
DE L'INSTITUTION SCOLAIRE
25
trisant
par
une dmocratisation sgrgative. Seules
des
recherches syst
matiques sur
ces
diffrents
niveaux d'enseignement
peuvent permettre
de
nommer
prcisment les transformations passes
et
en cours.
Il
ne
faut
toutefois
pas
s'interdire
une
synthse
des
rsultats
obtenus
des
niveaux
diffrents de scolarit. Le schma qui suit constitue une
reprsentation
sim
plifie
des
trois types de
dmocratisation ainsi
dfinis (figure
1).
Modalits
de la
dmocratisation
taux de scolarisation
par ge constants ou dcroissants
La stabilisation des taux de scolarisation
par
ge, voire
leur
diminut
ion,e constitue pas
un
cas de figure atypique ou peu vraisemblable : la
situation dans le
second
degr
l'indique
manifestement. Le taux de bachel
iers
en
effet
augment de faon exponentielle depuis le dbut
du
sicle
(Mear
et
Merle,
1991);
il
a
atteint
un
maximum
en
1995
(62,9 ),
avant
de
dcrotre et
de stagner
depuis
cette
date.
En
1999, 61,1
% d'une gn
ration
est titulaire
du
bac (Saboulin, 1999).
S'il
est
dlicat
de prdire
l av
nement
d'un nouveau
rgime
de dmographie scolaire, la rcente baisse
du taux de bacheliers dans
une
gnration
et
la moindre propension
des
bacheliers gnraux
et technologiques
poursuivre
des
tudes
aprs le bac
(Couet, 1998)
sont
autant
d'indices de comportements
scolaires
nouveaux
et
de
l'actualit
de
l'hypothse d'une stabilit des taux
de
scolarisation.
En dehors de ce contexte propre la
fin
des annes quatre-vingt-dix, une
partie trs rduite
des formations
de l'enseignement suprieur scolarise,
de
puis
longtemps
dj, une part trs
stable d'une
gnration, peine sup
rieure
0,1
%,
comme
en
tmoigne
la
situation
des
quatre
grandes
coles
ENA, ENS,
et
X (Euriat et Thlot, 1995).
taux de scolarisation constant, la dmocratisation de l'enseignement,
si elle a lieu, implique
par
dfinition une augmentation de la part des catgories
populaires
au niveau
de
scolarit considr. Dans cette
situation de stabilit
des taux de scolarisation, la dmocratisation sgrgative se ralise de faon
spcifique :
l'augmentation
de la part des
catgories
populaires s'observe seu
lement
dans les
filires
populaires;
paralllement, leur
part baisse dans les
filires
fermes, si bien que celles-ci s'embourgeoisent
encore
davantage.
Dans
l'hypothse de taux globaux de scolarisation par ge constants, un
mouvement
de
dmocratisation sgrgative est
en effet ncessairement absolu : la dmoc
ratisation
des
filires
populaires
a pour contrepartie
inluctable
l'embourgeoi
sement
es
autres filires. Ce n'est gnralement
pas
le
cas
avec
des
taux de
scolarisation
croissants, puisque
toutes
les filires peuvent se
dmocratiser
s
imu l t a n ment
mme si
ventuellement
seules les filires les plus ouvertes so
cialement
se
dmocratisent sensiblement. Il est donc
possible de
distinguer
une dmocratisation sgrgative relative - les filires les plus populaires s'ouvrent
plus
rapidement
que les filires fermes
-
d'une
dmocratisation
sgrgative
absolue dans laquelle
le mouvement
de proltarisation des
filires
populaires
se
double
inluctablement d'un
mouvement
d'embourgeoisement
des filires
fermes. Jusqu'en 1995,
l'existence
de taux de scolarisation
croissants
a
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
14/38
26
P. MERLE
Une dmocratisation galisatrice les carts sociaux de recrutement
intersries
se rduisent
Pourcentage d lves d origine
populaire
Ent,
Pourcentage d lves d origine
populaire
Ent2
TS
Une dmocratisation
uniforme
:
les
carts
sociaux
de
recrutement
intersries sont
stables
Pourcentage d lves d origine
populaire
Ent,
Pourcentage
d lves d origine
populaire
Ent2
Une dmocratisation sgrgative de type absolu : les carts sociaux de recrutement
intersries
augmentent
Pourcentage
d lves
d origine populaire
Pourcentage d lves
d origine populaire
Ent,
TS 006 00
Figure 1.
- Reprsentation schmatique des trois types
de dmocratisation
taux
de scolarisation croissants
N.B.
: On considre un
systme ducatif
rduit
deux
types de classes
terminales
:
les
terminales
scientifiques (TS) et
les terminales professionnelles
(TP). La dmocratisation de
ce
niveau
d'tude peut s'oprer selon
les
trois modalits ci-desssus. De ti t2 la
dmocratisation est assure, selon la modalit considre, par l'augmentation du
taux
de
scolarisation
en TS
ou
en
TP.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
15/38
CONCEPT
DE DMOCRATISATIONDE L'INSTITUTION SCOLAIRE 27
pu occulter la
dynamique des transformations sociodmographiques
: les
analyses fines, en
mettant
en vidence une dmocratisation de telle ou telle
filire ferme
au
niveau de l enseignement secondaire
et suprieur,
ont pu
conclure une
dmocratisation
globale de
l enseignement,
alors
mme
qu'une
logique
sgrgative pouvait
tre
l'uvre,
de
faon relative, d'une
filire l'autre.
IL -
La
situation de l'enseignement
secondaire
de 1985 1995 :
quelle dmocratisation?
Priode, cycles d'tude, mthode
Le
choix
de
la
priode d'investigation
s'est
port
sur
la dcennie
1985-1995 marque par une croissance continue et
soutenue
de la popul
ation
scolarise
aussi bien dans le premier
que
dans le second cycle de
l enseignement secondaire. Ainsi,
dans le premier cycle, la comparaison
des cursus scolaires des lves entrs en 6e en
1980
et
en
1989
indique
que le
pourcentage d'entre eux qui
ont accompli un cycle complet au col
lge
est
pass de 71 94 (Coffic, 1996). Dans
le
second cycle,
sur
la priode
1985-1995, le taux
de bacheliers
au sein
d'une gnration est
pass de
30,0 62,9 . Cette
priode
constitue
donc
un moment
dcisif
de la
massification
de l enseignement secondaire.
Prendre
en
compte
des
annes plus rcentes
au cours
desquelles le taux de bacheliers d'une g
nration
est
rest
approximativement
constant aurait abouti
modifier
sen
siblement le contexte sociodmographique de l tude et fait courir le
risque
de ne
pas
mesurer les
effets propres
de l'allongement
de
la
scolarit
sur
le
recrutement
social des diffrentes
sries de baccalaurat.
Les
donnes
complmentaires prsentes plus
loin,
portant
sur la
priode
1995-2000,
confirment la situation
spcifique
des
annes
1985-1995 et
l'intrt du
d
coupage ralis. Le choix de cette priode s'impose donc
pour
sa spcificit
dmographique
mise
en vidence
par plusieurs
auteurs
(Prost,
1998; Chauvel,
1998). Finalement,
l'institution ducative,
sur
une
priode trs
courte, a
fait
plus
que
doubler sa production de bacheliers (de 30 d'une gnration
en
1985
63 en 1995) et ralis en seulement dix annes le chemin par
couru
en
quatre-vingt-cinq ans
depuis
le
dbut
du
sicle
(environ
1
%
des
sortants
de l'institution scolaire taient
bacheliers
en 1900). Le
choix
de
cette
priode
se justifie
pour
deux autres raisons. La
premire
relve
de
la politique scolaire : la loi de
programmation
de l'enseignement technique
et
professionnel de 1985
a prvu la cration
d'un nouveau diplme (le
bac
professionnel)
et la
gnralisation
de la scolarisation dans le
second
degr,
avec
l'objectif de 80 % d'une classe d'ges
atteignant le
niveau du
baccal
aurat.
Il s'agit
d'une rupture essentielle,
et fixer le
dbut de la priode
d'tude
1985
permet de saisir pleinement l'effet de cette
modification
de
l'offre ducative sur les formes de la
dmocratisation.
La seconde
raison
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
16/38
28 P. MERLE
est technique : la
nomenclature
des CSP a t modifie
en
1982,
et
la
com
paraison des recrutements sociaux des
sries de
bac
avant
et aprs 1984-
1985, anne de mise en uvre de la nouvelle
nomenclature,
est
entache
d'imprcisions(18).
L'tude
porte
sur
les
premier et
second
cycles
de l enseignement
se
condaire.
Elle s'appuie sur
les panels
des
lves
entrs
en 6e en 1980 et
1989 qui fournissent
des
informations centrales (origine
sociale, frquence
des
redoublements, rapport garons-filles, etc.)
sur
les
lves
scolariss
dans le premier cycle
au
cours des priodes 1980-1984
et
1989-1993 ; l ana
lyse est complte
par
quelques donnes issues des tests de comptences
scolaires. Pour le
second
cycle,
tant
donn le nombre trs important de
sries
de baccalaurat,
l investigation est centre sur les sries S, L,
ES,
STT, STI et professionnelles,
qui
reprsentent
respectivement
93,2 et 92, 4
%
des
effectifs de l'ensemble
des terminales
en
1984-1985 et 1994-1995.
En
raison
de l'importance
des
effectifs
scolariss
en
,
ceux-ci
ont
t
pris
en
compte
afin de comparer la
transformation
du recrutement social de
cette
formation
professionnelle
courte
celle des classes
terminales.
Pour
le
second
cycle, faute de
disposer
des statistiques nationales
d
tailles sur la
priode
considre, les effectifs tudis
sont
ceux de l'acadmie
de
Rennes.
Sans
pouvoir
considrer
qu'il
s'agisse
d'un chantillon
strictement
reprsentatif,
rien
ne permet de penser
que
la rgion Bretagne, qui
accueille
environ 3
%
de l'ensemble des lves de terminale, se
diffrencie
significative-
ment de l'ensemble du
territoire
national quant l'volution du recrutement
social
de chaque srie de
bac.
Depuis
la mise en place
de
la carte scolaire et
la premire
explosion des
effectifs
scolariss
dans les
annes
soixante, la go
graphie
de
l'cole
se
caractrise
en
effet
par
un
rapprochement
des
offres
de
formation et des taux
de scolarisation (MEN,
1995). Sur
la priode tu
die, l'augmentation
des effectifs des classes
de
terminale est
de
48,1
% en
Bretagne
et
de
46,9 au niveau
national
(Casabianca, 1990; Robin, 1996),
soit une progression globale trs voisine(19).
Enfin, une des difficults classiques dj voque,
lie aux
transfo
rmations du
recrutement
social de
l'institution
ducative,
tient
la
modifi
cation
de la
structure socioprofessionnelle
de
la population
active.
Pour
cette
raison, l'analyse repose,
d'une
part, sur la comparaison de l'origine
*18)
On
sait
par
ailleurs que la dclaration d'une
profession
fait l'objet d'une incertitude
forte
(Merlli,
1983
;
Desrosires
et
Thvenot,
1988)
et
on
peut
penser
que
l'allongement
des priodes de comparaison aboutit
augmenter les imprcisions
des
dclarations, en
raison
du changement des significations associes ordinairement aux noms des professions. Sur
les
dclarations des professions,
il
faut
indiquer
aussi que
dans les
enqutes
FQP
sollicites,
les
biais de dclaration de la profession ne sont vraisemblablement pas
les
mmes que
dans les
statistiques du
ministre de l'ducation
nationale, qui
se
fondent
sur
les
dclarations des
lves
ou des parents
: celles-ci
sont
soumises un travail
de
figuration face au matre
et l'administration scolaire (Merle, 1994).
ce
sujet,
voir
aussi les Notes
de
recherche
de
C. Souli
et de
D. Merlli
prsentes
dans
ce mme
numro.
(19>
Une
des
limites
de l'approche tient au fait que
malgr
l'homognisation des taux
de
scolarisation et des offres de formation,
subsistent
des diffrences
de
dveloppement des
sries
technologiques,
professionnelles et gnrales. Il faut noter enfin que l'existence
d'un
enseignement
priv important dans la rgion Bretagne est
susceptible de crer
des spcificits
locales bien qu'aucune donne statistique facilement disponible ne
permette de
les
connatre
prcisment
sur la
priode tudie.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
17/38
CONCEPT
DE DMOCRATISATIONDE L'INSTITUTION SCOLAIRE 29
sociale des lves
de
telle ou telle srie l'origine sociale
de
l'ensemble
des
jeunes
(ce
qui permet de
savoir, par exemple, si la terminale S s'est
dmocratise)
et,
d'autre part, sur une comparaison synoptique des diff
rentes
sries. Cette dmarche
permet
de dterminer, compte tenu
des
tran
sformations
de
la
structure
sociale,
comment
le
recrutement
social
de
chaque
srie a t affect par la massification de
l'enseignement.
Une telle m
thodologie de comparaison
intersries
a dj t mise en
uvre
d'autres
niveaux d'enseignement (Bourdieu
et
Passeron, 1964;
Baudelot et
Establet,
1971
; Euriat
et
Thlot,
1995).
Les modalits
de
la dmocratisation
de l'enseignement
secondaire
La
situation du
premier
cycle
Les
modalits de la dmocratisation du collge sont tudies, d'une
part, en fonction du rapport
garons-filles
et,
d'autre
part, en fonction de
l'origine sociale. Au collge, la
massification
de la
scolarisation
a
modifi
le devenir scolaire des lves des deux sexes dans le sens
d'une
rduction
des diffrences de cursus (Coffic, 1996). L'indicateur le plus gnral en
est
la
probabilit
pour
les
lves des
deux
sexes
de
raliser un cycle
comp
let au collge.
Alors
que la diffrence selon le
sexe tait sensible
pour
les
collgiens
scolariss en 6e en 1980 (respectivement 64
des
garons
et
78
des filles
ralisaient
un
cycle complet), cette diffrence s'est att
nue
pour
les lves
inscrits
en 6e en
1989 (respectivement
91
%
des
gar
ons
et
96
des
filles).
cette
aune,
il
est
clair qu'un mouvement
de
dmocratisation galisatrice caractrise les annes
collge
: les carts de sco
larit
selon le
sexe se
sont rduits sensiblement. Encore
qu'un tel constat repose
sur
un indicateur partiel de la dmocratisation
des
destins
scolaires
selon le
sexe
:
il
serait
par exemple souhaitable de connatre
l'volution
des
diffrences
de
comptences scolaires
des garons et des filles. Or, sur ce point, les donnes
totalement appropries
font
dfaut. On sait cependant
que
la moindre
sous-
reprsentation
des garons au
collge
a t acquise au
prix
de redoublements
plus frquents au cours de leur scolarit (respectivement 29 et 36 des
garons entrs en
6e
en 1980 et en 1989) alors que le taux de redoublements
a
baiss
trs
lgrement
pour les
filles
sur
la mme
priode
(de
31
30 ).
Eu
gard cet
indicateur
qualitatif des
diffrences
de
scolarisation,
dont on
connat
l'importance lors
des
dcisions d'orientation
en
fin
de 3e
et pour
la
scolarit aprs le
bac, l'existence d'un
mouvement
de
dmocratisation
gali
satrice selon le sexe reste
dmontrer.
Si
l'on
considre aussi
que
les diff
rences de taux de redoublements constituent une approximation, mme
grossire, des diffrences de
comptences
scolaires, un
mouvement
de
dmoc
ratisation
galisatrice
selon le sexe semble finalement incertain.
Qu'en est-il du type de
dmocratisation selon
l'origine sociale
au
niveau
du
premier
cycle de
l'enseignement secondaire?
Une
premire approche,
tout
fait
classique, consiste
se rfrer
aux carts
sociaux
des cursus
scolaires.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
18/38
30
P. MERLE
Sur cette question,
les donnes statistiques sont bien connues : la
proportion
d'enfants d'ouvriers ralisant un cursus complet au
collge
est passe
de
58
%
parmi les lves
entrs
en 6e en 1980 91 parmi ceux entrs en 6e en
1989 (Coffic, 1996). Comme,
par
ailleurs, les proportions
des enfants
de
cadres ralisant
des
cursus
complets
au
collge
sont
restes
quasi
stables
sur la
priode (respectivement
96 et 99 ), un
mouvement
de dmocrat
isation galisatrice semble
acquis.
De nouveau, une telle conclusion est
discutable
pour
deux raisons.
La
premire,
classique, tient
au
fait
que
la construction statistique
est une reprsentation
et
une activit sociale
que
le sociologue ne peut
considrer
sans
rserve
et investigations complmentaires ventuelles
(Briand, Chapoulie
et
Peretz,
1979). Or, les
donnes tires
des panels
1980
et
1989 relatives aux cursus scolaires selon
l'origine sociale ne
portent
pas
sur des
organisations
scolaires vritablement
comparables. Au
cours
des
annes
quatre-vingt, l'orientation
en
fin
de
5e
a t
progressivement
supprime et, partir de la rentre 1986-1987, des 4e
et
3e technologiques
ont t mises en place. Ces
transformations
organisationnelles ont affect
les parcours scolaires des collgiens : parmi les
entrants
en
6e
en 1989,
11 sont passs
par
des classes de 4e
et
3e
technologiques.
Or,
il s'agit
trs majoritairement d'un public d'origine populaire auparavant scolaris
dans les classes prprofessionnelles de niveau
(CPPN) et
les prparations
au CAP en trois ans.
De telles
prcisions limitent
sensiblement
la pertinence
des
donnes
statistiques
relatives
la dmocratisation des cursus scolaires
au cours
du
premier cycle, puisque les parcours
effectivement
raliss par
les
lves des
panels 1980
et
1989
ont,
de fait, t diffrents.
Les
donnes
relatives au rapprochement
social
des
trajectoires
sco
laires
des lves
ont
une
signification discutable
pour une
seconde
raison
qui est une consquence de la premire. La cration des 4e et 3e
techno
logiques implique en effet d'tablir des comparaisons des cursus scolaires
partir d'indicateurs qualitatifs, en considrant
que
l'accs aux biens du
catifs
n'est davantage
dmocratique que si les carts de comptences
entre
lves diminuent (Duru-Bellat et
Merle,
1997). Il faut ds lors
solliciter
les valuations
de
comptences ralises par la DP&D. Ainsi dfini, le
type
de dmocratisation qui caractrise
l'institution
scolaire
devient un
ob
jet de
recherche
mme
lorsque tous
les
lves
sont
scolariss. Autrement
dit,
pour tre certain de
l'existence d'une dmocratisation
galisatrice au
collge,
il ne
suffit
pas
de
montrer
que
les
carts
sociaux
de
cursus
se
rduisent formellement et que le niveau moyen de
scolarisation
monte
- ce
qui
est acquis (Baudelot et Establet, 1988) -, il faut aussi montrer
que
les carts de
comptences scolaires
entre les groupes sociaux diminuent.
Or,
les donnes disponibles indiquent
que
les
performances
des lves n'ayant
pas dpass le niveau de la classe de 5e ont
lgrement
baiss
au
cours des
quinze dernires annes (MEN, 1997)(20), et les donnes complmentaires re-
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
19/38
CONCEPT
DE
DMOCRATISATION
DE L'INSTITUTION SCOLAIRE 3 1
latives
l'origine
sociale
des non-diplms indiquent qu'il
s'agit massive
ment
'enfants d'origine populaire. Cela incite penser que, pour le
pre
mier cycle, l'hypothse d'une
dmocratisation
galisatrice n'est pas
rel-lement
valide
si
celle-ci
est
apprhende
en
termes
de
rapprochement
des
compt
ences
scolaires
selon l'origine
sociale'2
4
Une telle analyse
est
conforte
par
les valuations nationales ralises
en
CM2
ou en 6e. Celles-ci prsentent
essentiellement les scores moyens
des
lves,
et l tude
diachronique
de la dispersion des scores selon l'origine
sociale n'a pas, notre connaissance, fait l'objet
d'investigations
systmat
iques.
Quand
de telles mesures sont ralises, mme partiellement, elles
incitent douter
du caractre galisateur de
la
scolarisation
au niveau
du
premier
degr (Serra
et
Thaurel-Richard,
1994; Baktavatsalou et
Pons,
1998).
Les valuations
ralises en
fin
de 3e en 1985, 1990 et 1995 n'ont
pas fait l'objet
quant
elles d'exploitations
dtailles
qui permettraient de
savoir
si
les
carts
de
comptences
selon
l'origine
sociale
ont
diminu
sur
les priodes tudies(22).
On
sait
toutefois que
les carts de comptences
entre les
lves
de 3e
gnrale et
ceux de
3e technologique
sont sensibles,
au
dtriment de ces
derniers
(Dessus et al., 1996a), et
que le
dveloppement
des
3e
technologiques a entran une augmentation
de
la dispersion des
comptences
entre
collgiens.
Il
est aussi possible
de
montrer que l'hypo
thse
d'une dmocratisation
galisatrice du premier cycle est
peu
probable
en se
rfrant la situation des lves la fin
de l'cole lmentaire,
telle
qu'elle
peut tre apprhende partir des valuations ralises en
classe
de 6e : les
valuations
nationales menes
ce
niveau montrent
que
les carts
de comptences entre
enfants
de cadres
et d'ouvriers
ont
plutt
tendance
crotre
(tableau
1).
Il
faut noter
que
ces estimations
des
comptences
des lves
soulvent
des
problmes
mthodologiques
qui imposent d'interprter
avec
prudence
les donnes recueillies.
Un des
problmes essentiels
tient au
fait
que
les
tests ont
ventuellement
une
sensibilit
variable dans le temps, si bien
que
l'augmentation de la dispersion des performances
entre
lves peut certes
provenir
d'carts
de
comptences
plus accentus, mais aussi du manque
de fiabilit
de
l'instrument de mesure(23). Cependant, l'accroissement des
carts de comptences
scolaires selon l'origine
sociale
l'entre
en
6e est
(2I>
Les
donnes publies
par
le
ministre
relatives
l'volution
des
carts
de
com
ptences
des
conscrits peuvent parfois sembler contradictoires, notamment si
on
compare
celles
relatives
aux
rapports interdciles
qui suggrent
une
rduction
des
carts et celles
relatives aux
niveaux
scolaires (de NSI
NS9).
Les donnes dtailles
sont
les plus per
tinentes
notamment
parce
que
le rapport interdcile
(D9/D1) masque
le niveau effectif
des
comptences
scolaires
propres
aux situations extrmes, tout particulirement pour
les
NSI
et NS2.
(22)
En
fin de
3e, les
comparaisons
de
performances entre les
10% des lves
les
plus
faibles et
les
10%
les
plus forts indiquent selon
les
disciplines
tantt une baisse des carts
de performances, tantt
un
maintien, tantt
une
hausse des carts (MEN,
1997).
Par
ailleurs,
les
valuations
en classe de 2nde ne sont pas
utilisables
pour connatre la dispersion
des
comptences
des lves en fin
de
3e
puisqu'elles ne concernent que les lves admis en 2nde
gnrale ou
technologique.
(23> Sur
les problmes
soulevs
par les
comparaisons temporelles des valuations
sco
laires,
on
peut
notamment
consulter
Dessus
et
al.
(1996a).
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
20/38
32 P.
MERLE
Tableau 1. - Russite aux items de franais et de
mathmatiques
l'entre en 6e selon l'origine sociale en 1994 et 1997
% de russite aux
items
Enfants de cadres
suprieurs
et
assimils
(1)
Enfants d'ouvriers (2)
cart (l)-(2) (en points)
Rapport (l)/(2)
1994
Franais
73,2
60,0
+
13,2
1,22
Maths
70,5
58,2
+
12,3
1,21
1997
Franais
72,1
55,5
+ 16,6
1,30
Maths
65,2
49,1
+ 16,1
1,33
Lecture :
les
enfants
de
cadres
suprieurs
et
assimils
d'une
part,
et
les
enfants d'ouvriers
d'autre part, ont russi respectivement
73,2
et 60 des items
au test
de comptences
en
franais en
1994, soit
un
cart moyen
de russite de
13,2 points
en 1994
(16,6
points en
1997).
Source:
Repres
et
Rfrences statistiques,
1995
(p.
127)
et
1998
(p.
123).
probable. En effet, sur
la
priode tudie, l'cole lmentaire a accueilli
avec
constance
la
presque
totalit des lves
-
bien que ceux
qui sont
sco
lariss dans l'enseignement non ordinaire
soient
de moins en moins
nombreux
-
alors
que le
collge
a accueilli
de nouveaux
lves dont le
niveau scolaire trs faible les excluait antrieurement de l entre en 6e.
Or, il
n'y
a gure
de raisons de
penser que le collge,
en
accueillant un
public
nouveau
et difficile, a
fait
mieux, l o l'cole
lmentaire
n'a
que moyennement russi (Serra et
Thaurel-Richard,
1994; Baktavatsalou
et
Pons,
1998)
face
des
difficults
d'apprentissage
familires
et
spcifi
ques
une
petite
minorit
d'lves.
Autrement
dit, l'absence de dmocrat
isation galisatrice de l'cole lmentaire
claire en partie la situation
du
collge.
Il
faut ce sujet avoir en mmoire
que
les tudes anglo-saxonnes
sur
l'efficacit de l enseignement (school effectiveness studies) montrent
qu'un
des facteurs dterminants des progrs des lves est, ceteris
paribus,
leur niveau initial (Merle, 1998a, b). Autrement
dit,
si les carts de
com
ptences
scolaires
se sont accrus en
dbut
de 6e
sur
la priode considre,
la
probabilit
est grande pour
que ces
carts
se
soient
galement
accrus
en
fin de 3e. Les pratiques pdagogiques n'ont en effet
pas
connu de transfo
rmations
notables sur
la priode : la sgrgation scolaire
est
grosso
modo
stable
ou
en
augmentation
modre
(Trancart,
1998)
et
le recours, de faon
peu
prs
constante,
des
classes
de
niveau tend
augmenter les
carts
de
per
formances des plus forts
et
des plus faibles (Duru-Bellat
et
Mingat, 1997)(24).
(24> Le
fait que
les donnes prsentes dans le tableau 1 portent
sur la priode
1994-
1997,
en
raison de l'absence de
donnes dtailles
comparables publies
par le
ministre sur
les
annes
antrieures, ne
nous parat pas affaiblir l'analyse tant
donn
qu'il n'existe pas
de ruptures pdagogiques ou organisationnelles susceptibles d'introduire sur ce point
une dif
frence
entre
les priodes 1985-1994 et 1994-1997.
Les innovations
pdagogiques rcentes
favorables l'quit, par
exemple
les tudes diriges (DEP,
1996), auraient plutt
d tendre
diminuer,
sur
la priode
1994-1997,
les
carts de comptences
entre les catgories
extrmes.
7/21/2019 Le Concept de Dmocratisation de l'Institution Scolaire
21/38
CONCEPT DE
DMOCRATISATION
DE L'INSTITUTION SCOLAIRE
3 3
Finalement, le mouvement de dmocratisation galisatrice mis en vidence
par le
rapprochement des cursus
scolaires selon
l'origine sociale
ayant une
s
ignific t ion
incertaine, il
faut
plutt
conclure
une dmocratisation uniforme ou
sgrgative en
prenant
en compte un indicateur
plus qualitatif des
scolarits
tel
que
le
niveau
des
comptences scolaires.
L'analyse
des
modalits
de
la
dmoc
ratisation dans
le second cycle permet
de complter
cette
premire
approche.
La situation du second cycle
Au
niveau de l'enseignement
secondaire,
deux sources peuvent
tre
sol
licites pour
connatre
la place des lves des
deux
sexes : la statistique des
prsents
au
baccalaurat (Laulh
et
Raulin, 1998)
et
la comparaison
des
cursus
scolaires des lves
tels
qu'ils
sont connus grce aux panels
des
inscrits en 6e en 1980 et 1989 (Coffic, 1996). Ces deux sources montrent
- ce rsultat est
classique
-
que la reprsentation de chaque
sexe est trs
ingale
selon
le
type
de
baccalaurat.
Les
filles
sont
majoritaires
dans
les
sries gnrales
(58 en 1997); elles
sont
peine plus
nombreuses
que
les
garons
dans les sries technologiques, et minoritaires dans les sries
professionnelles. Cette
diffrenciation
majeure
se dcline en ingalits de
reprsentation
plus marques
l'intrieur
de ces
trois grands
types de
sries,
avec des
oppositions
bien
connues
au sein des terminales
gnrales (la
sec
tion L accueille en
1998 81,5
de filles et la terminale S
seulement
41,7 ),
entre les
terminales
STT (sciences
et
technologies
tertiaires)
qui
sont essentiellement fminines,
et
les terminales STI
(sciences et techno
logies
industrielles)
et professionnelles
majorit masculine.
Comment
la
forte
croissance
du
nombre
de
bacheliers
au
cours
des
quinze
dernires
annes a-t-elle
modifi
ces rapports garons-filles? Les
deux sources statistiques prcites sont concordantes : l'cart de reprsen
tationes deux sexes dans
chaque
srie est
plutt
marqu
par la
stabilit.
La surreprsentation des
filles
dans
les sries
littraires et tertiaires de
meure
tout autant que leur sous-reprsentation dans les sries scientifiques
et
industrielles.
Cette situation caractrise une dmocratisation uniforme :
le
nombre de
filles et
de garons qui
accdent aux classes terminales a
augment, sans
modification sensible de
la
rpartition
des lves selon le
sexe.
Toutefois, partir de
donnes
limites l'accs la srie scientifique,
l'hypothse
d'une
dmocratisation
sgrgative
peut tre avance, bien
qu'elle
ne
puisse
tre
suffisamment
valide.
Ainsi,
parmi
les
lves
entrs
en 6e en 1980, 12 des filles et 14 des garons sont parvenus en lre
scientifique;
ces pourcentages
sont respectivement de 17 et 22
pour
les lves du panel de 1989 (Coffic, 1998). Le rapport des taux d'accs
comme
l'cart des taux d'accs
indiquent
une
augmentation
des
ingalits
selon le sexe(25). Indicateur plus
gnral d'une
dmocratisation
sgrgative,
la place des filles dans le second cycle
professionnel
a
dcru
sur la
priode
(25) Le
rapport
des taux d'accs des garons celui des filles passe de
1,17
pour le
panel 1980
1,29
pour le panel 1989; l'cart des taux d'accs des garons et des filles passe
respectivement de
2
points
5 points.
7/21/2019 Le Concept de