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Le concept et la tragédie de la culture -1911 Georg Simmel En tant qu’esprit, le sujet connaît d’innombrables tragédies nées de la profonde contradiction formelle née entre la vie subjective qui est sans repos, mais limitée dans le temps, et ses contenus qui, une fois crées, sont immuables mais intemporels. C’est au sein de ce dualisme que réside l’idée de civilisation. A sa base, une réalité intime : l’âme en route vers soi. Aucune âme n’est jamais exclusivement ce qu’elle est dans l’instant, elle est davantage, il y a, préformé en elle, un stage plus élevé et achevé , irréel et cependant de quelque manière présent. La culture, c’est le chemin qui va de l’unité close à l’unité déployée, en passant par le déploiement de la multiplicité. C’est une évolution qui existe dans la personnalité en germe, pour ainsi dire esquissé en elle à titre de projet idéal. L’art et la morale, la science et les objets finalisés, la religion et le droit, la technique et les normes sociales, sont autant de stations par lesquelles doit passer le sujet pour gagner cette valeur spécifique qu’on appelle sa culture. La culture naît de la rencontre de deux éléments qui ne la contiennent ni l’un ni l’autre : l’âme subjective et les créations de l’esprit objectif. Le bonheur que toute œuvre, grande ou minime, procure à son créateur, comporte toujours, -outre la libération des tensions internes, la démonstration de la force subjective et le contentement d’avoir rempli une exigence- vraisemblablement quelque satisfaction objective, du simple fait que cette œuvre existe et que l’univers des objets précieux à quelque titre est désormais plus riche de cette pièce là. La valeur spécifique de la culture est inaccessible au sujet si le chemin pour l’atteindre ne passe pas par des réalités objectivement spirituelles ; celles ci, à leur tour, ne sont valeurs culturelles que dans la mesure où elles font passer à travers elles mêmes ce chemin de l’âme en route de soi à soi, c’est à dire de ce que l’on peut appeler son état de nature à son état de culture. La culture est synthèse.

Le Concept Et La Tragédie de La Culture -1911

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Page 1: Le Concept Et La Tragédie de La Culture -1911

Le concept et la tragédie de la culture -1911

Georg Simmel

En tant qu’esprit, le sujet connaît d’innombrables tragédies nées de la profondecontradiction formelle née entre la vie subjective qui est sans repos, mais limitéedans le temps, et ses contenus qui, une fois crées, sont immuables maisintemporels.

C’est au sein de ce dualisme que réside l’idée de civilisation.A sa base, une réalité intime : l’âme en route vers soi. Aucune âme n’est jamaisexclusivement ce qu’elle est dans l’instant, elle est davantage, il y a, préformé enelle, un stage plus élevé et achevé , irréel et cependant de quelque manière présent.

La culture, c’est le chemin qui va de l’unité close à l’unité déployée, en passant par ledéploiement de la multiplicité. C’est une évolution qui existe dans la personnalité engerme, pour ainsi dire esquissé en elle à titre de projet idéal.

L’art et la morale, la science et les objets finalisés, la religion et le droit, la techniqueet les normes sociales, sont autant de stations par lesquelles doit passer le sujetpour gagner cette valeur spécifique qu’on appelle sa culture.

La culture naît de la rencontre de deux éléments qui ne la contiennent ni l’un nil’autre : l’âme subjective et les créations de l’esprit objectif.

Le bonheur que toute œuvre, grande ou minime, procure à son créateur, comportetoujours, -outre la libération des tensions internes, la démonstration de la forcesubjective et le contentement d’avoir rempli une exigence- vraisemblablementquelque satisfaction objective, du simple fait que cette œuvre existe et que l’universdes objets précieux à quelque titre est désormais plus riche de cette pièce là.

La valeur spécifique de la culture est inaccessible au sujet si le chemin pourl’atteindre ne passe pas par des réalités objectivement spirituelles ; celles ci, à leurtour, ne sont valeurs culturelles que dans la mesure où elles font passer à traverselles mêmes ce chemin de l’âme en route de soi à soi, c’est à dire de ce que l’onpeut appeler son état de nature à son état de culture.

La culture est synthèse.