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Le décor des Pensées de Pascal: Un monde clos et ténébreux

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This article was downloaded by: [University of Glasgow]On: 21 December 2014, At: 19:02Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House,37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK

Romance QuarterlyPublication details, including instructions for authors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/vroq20

Le décor des Pensées de Pascal: Un monde clos etténébreuxStéphane Natan aa Rider UniversityPublished online: 07 Aug 2010.

To cite this article: Stéphane Natan (2006) Le décor des Pensées de Pascal: Un monde clos et ténébreux, Romance Quarterly,53:4, 305-315, DOI: 10.3200/RQTR.53.4.305-315

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Le décor des Pensées de Pascal

Un monde clos et ténébreux

Stéphane Natan

a présente étude va porter sur le décor des Pensées, décor étant enten-du en l’occurrence comme l’univers, le cadre dans lequel vit et évoluela créature pascalienne. Afin de planter son décor de tragédie, Pascalva recourir à l’image, faisant appel à diverses métaphores et compara-

isons. Si les études pascaliennes—Philippe Sellier et Michel Le Guern notam-ment—ont traité des images des Pensées, ces images demandent à être synthétiséeset mises en parallèle avec les différents topoï sur l’enfermement et la lumière.Notre article se propose donc de classer et de regrouper les différentes images quiconstruisent la toile de fond des Pensées, tout en montrant comment Pascalparvient à les renouveler, en revivifiant les clichés philosophiques (Platon,Descartes) et bibliques (la Bible, saint Augustin).

D’emblée, l’univers des Pensées se caractérise par son enferment, son obscu-rité, et par la sensation de vertige qu’il produit. Plusieurs questions se posentalors: en quoi ce cadre sert-il le projet apologétique de Pascal? En quoi permet-il de témoigner en faveur du christianisme? Pourquoi ce décor reste-t-il hermé-tique pour l’homme sans Dieu, alors qu’a contrario il est porteur de sens et depromesses pour le chrétien?

Avant de répondre à ces questions, il convient de s’intéresser à la fonction desimages dans le texte de Pascal. En effet, n’oublions pas que le décor des Pensées vase mettre en place par leur biais. Dans les Pensées, les images possèdent une fortecharge poétique, et elles représentent un véritable appel à l’imagination dulecteur,1 tout en s’inscrivant dans la droite ligne de la rhétorique de Pascal: ellesne cherchent pas à plaire, mais à convaincre, et, comme l’a indiqué PatriciaTopliss, Pascal “chooses images rather for their aptness than for their freshness—or for their beauty. [. . .] It is not the visual effect of Pascal’s images that is most

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striking: it is their suggestive power” (258–59). La rhétorique de Pascal se carac-térise ainsi par la “force,” force qui cherche à s’imposer par son “efficacité” (Sell-ier, “Imaginaire” 116).2 Dans cette optique, clarté,3 concision, sens du concret,emphase vont aller de pair.4

Poétiques et efficaces, les images des Pensées vont générer une nouvelle visiondes choses, en changeant les perspectives, en donnant naissance à un univers, à undécor revu et corrigé par l’imaginaire pascalien, perspectives en corrélation directeavec une certaine conception du monde. Cette conception du monde est on nepeut plus éloignée de l’optimisme humaniste et cartésien: en effet, Sellier décritl’univers des Pensées comme une “œuvre sans femmes, sans couleurs, sans intim-ité heureuse, [où] on n’a guère chance de découvrir la moindre pente à adoucir lesaspects angoissants du monde [. . .]: la nuit et l’aveuglement, l’abandon, le vertigeet la chute, le cachot et les chaînes, la boue et la souillure” (Sellier, “Imaginaire”118–19). L’univers de Pascal possède, dans les faits, peu en commun avec celuides apologistes traditionnels du christianisme qui voient de toutes parts dans lemonde harmonie et beauté: pour eux, ces deux caractéristiques prouvent lagrandeur de Dieu, une grandeur visible dans tous ses ouvrages (fragment 644). Serevendiquant de l’héritage de saint Augustin,5 le décor sombre des Pensées n’enconduit cependant que mieux le chrétien au Créateur: il porte les stigmates visi-bles de la chute, d’un monde qui ressent cruellement l’abandon de Dieu.6

L’ENFERMEMENT

Une des caractéristiques principales du monde des Pensées est l’enfermement,le monde devenant tour à tour prison ou hôpital de fous. Bien que Pascalemprunte ces images à Platon (Moutsopoulos 411–17), à saint Augustin7 ou àMontaigne,8 il parvient à les renouveler en leur conférant un souffle nouveau.

La prison

Pour l’homme sans Dieu, le monde n’est rien d’autre qu’une prison, pour nepas dire une salle de torture.

Au fragment 680, on est confronté à un monde assimilé à une antichambre dela mort: “un nombre d’hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort,dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voientleur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant l’un l’autreavec douleur et sans espérance, attendent à leur tour!” L’image ici est reprise auplatonisme: cependant, chez Platon, les chaînes étaient des chaînes d’ignorance,alors que dans une perspective chrétienne elles sont des chaînes de péché. AvecPascal, les chaînes sont plus fortes encore: elles sont indestructibles, elles sont deschaînes de mort. Pour l’homme sans Dieu, l’espoir n’est plus permis, la mort estcertaine, et aucun philosophe ne pourra venir le sauver, comme c’était le cas dans“l’allégorie de la caverne” de Platon. Pire encore, les ombres même ont disparupour laisser place à une réalité difficilement supportable: la violence de l’image—des hommes égorgés à la vue de tous—ajoute alors à la notion d’enfermement,celle de l’horreur.

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Au fragment 195, nous sommes à nouveau face à un mini-scénario faisant dumonde une prison:

Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n’ayant plus qu’uneheure pour l’apprendre, cette heure suffisant, s’il sait qu’il est donné, pour le fairerévoquer, il est contre nature qu’il emploie cette heure-là non à s’informer si l’arrêtest donné, mais à jouer au piquet.

Si la notion d’horreur physique—tout en restant implicite—disparaît visuelle-ment, la prison en revanche se rétrécit spatialement pour devenir un “cachot,”rendant ce monde plus terrible, plus obscur encore, en en faisant un lieu souter-rain. En outre, l’horreur devient ici mentale: elle est due à l’inconscience et à lafolie de l’homme qui refuse de réfléchir à une tentative de salut, ne mettant pasà profit son sursis. Du reste, au fragment 230, ce n’est plus seulement le monde,mais notre système solaire tout entier qui devient un “petit cachot,” l’épithète denature rendant plus misérable encore le cadre de l’homme.

Seul le chrétien possède une espérance d’échapper à ce cauchemar, lui qui n’estqu’un pèlerin du monde; néanmoins, le chrétien n’est pas exempte pour autantdes souffrances voulues par la condition de l’homme, comme on peut le voir aufragment 751 où le Christ s’adresse à l’élu: “Souffre les chaînes et la servitude cor-porelle, je ne te délivre que de la spirituelle à présent.” Le chrétien doit vivre sasaison en enfer: il n’est pas dispensé de l’enfermement sur le court terme, tout ensachant qu’après l’hiver viendra pour lui le printemps.9 En attendant, patiem-ment, le chrétien se doit de vivre son hiver.

En faisant du monde une prison, Pascal a mis l’accent sur l’enfermement, surla petitesse, sur la souffrance, mais également sur la responsabilité de l’homme.10

Pour que l’horreur soit complète, il ne restait plus qu’à ajouter à cet univers l’im-age de la folie, image qui va apparaître sans plus tarder.11

La folie et l’isolement

Quand le monde n’est pas à proprement parler une prison, il reste un espacefermé auquel vient s’adjoindre la notion de démence, qui se substitue à cellede crime.

Au fragment 457, le monde—vu prétendument par les plus grandsphilosophes antiques12—devient un “hôpital de fous,” une société vivant en vaseclos, placée sous le signe de l’aliénation mentale: “S’ils [Platon et Aristote] ontécrit de politique, c’était comme pour régler un hôpital de fous. Et s’ils ont faitsemblant d’en parler comme d’une grande chose, c’est qu’ils savaient que les fousà qui ils parlaient pensent être rois et empereurs. Ils entrent dans leurs principespour modérer leur folie.” La comparaison se charge d’antonymes (“fous”/“rois,”“empereurs”) qui creusent le gouffre entre le désir et la réalité, gouffre mis en évi-dence par les modalisateurs (“savaient,” “pensent”). Cette image est si vraie pourPascal que, peu à peu, il tend à transformer la comparaison en métaphore. Aufragment 786, on retrouve à nouveau l’image de la folie, notre société étantprésentée comme un produit du “dérèglement des hommes”: or, qu’est-ce que lafolie si ce n’est des règles différentes de celles de la sagesse?

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Au mieux, au fragment 229, le monde s’assimile à une île: “un homme qu’onaurait porté endormi dans une île déserte et effroyable et qui s’éveillerait sans con-naître et sans moyen d’en sortir.” Pourtant, loin d’être paradisiaque, cette île resteun espace hostile où l’homme est abandonné à lui-même, incapable de trouverune solution. S’ajoute alors à l’enfermement l’image de l’abandon—image augus-tinienne par excellence—qui semble ne devoir et ne pouvoir conduire qu’à lafolie, l’homme n’ayant que des questions sans réponse.

Au fragment 460, si l’homme rejoint enfin la terre, cette dernière reste plusque jamais terrible: “Malheureuse la terre de malédiction que ces trois fleuves defeu embrasent plutôt qu’ils n’arrosent! Heureux ceux qui, étant sur ces fleuves,non pas plongés, non pas entraînés, mais immobilement affermis sur cesfleuves.”13 L’image de cette terre qui brûle ne fait que rappeler le feu de l’enfer,enfer qui incarne le summum de l’enfermement. Au total, cette aliénation estd’autant plus affreuse que pour l’homme sans Dieu rien ne la justifie et qu’aucunespoir ne lui est permis, étant dans des “misères sans ressources” (fragments 662,681), comme le souligne Brombert: “man is subject to the trembling and the fearof discovering that he is ‘abandoned’ to himself, [. . .] and discovering daily thathe has awakened on a ‘terrifying and deserted island’ without the slightest meansor hope of setting himself free” (232).

Jamais ne sont décrits, dans les Pensées, un extérieur, un ailleurs, et le topos dulocus amœnus est totalement absent: pour le prisonnier ou pour le fou, la lumièrereste inexistante, et si pour l’habitant de l’île s’ouvre devant lui l’infini maritime,la terre ferme reste invisible, fût-ce dans un horizon lointain. Sur l’image de l’en-fermement va alors venir se greffer celle de l’obscurité qui va aggraver plus encorel’image négative du monde.

L’OBSCURITÉ

Pour Platon, dans “l’allégorie de la caverne,” la lumière perçue par lephilosophe—lumière qui représente la connaissance—le conduit à s’élever, àsortir de sa condition de prisonnier. Pascal, lui, reprend l’image de la lumièredans un sens biblique: la lumière ne réside plus dans l’homme, mais elle est l’a-panage de Dieu et du Christ. Aussi, pour Pascal, existe-t-il, au fragment 792,une différence incommensurable entre la lumière philosophique et la lumièredivine: “Cette même lumière qui découvre les vérités surnaturelles les décou-vre sans erreur, au lieu que la lumière qui, etc.”14 Si, au siècle suivant, on par-lera de “la philosophie des lumières” pour désigner le triomphe du rational-isme, on observe déjà chez Pascal la métaphore des lumières renvoyant à laraison: le sens reste cependant péjoratif, comme l’indiquent d’une part l’em-ploi du pluriel (qui lui donne un sens tout relatif )15 et d’autre part sa qualifi-cation (“faibles lumières” [fragment 111]). Pour Pascal, la lumière,16 la vraie,ne peut émaner de l’homme, et seule la lumière de Dieu est une lumière sus-ceptible d’éclairer nos doutes: en effet, l’homme qui possède une lumièrephilosophique reste immergé dans le noir, cette lumière ne lui permettant pasd’atteindre le bonheur.17

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Au vu de ces considérations, on ne sera guère surpris de constater que lemonde pascalien de l’homme sans Dieu se trouve plongé dans l’obscurité, privéde lumière.

Le monde dans les ténèbres

L’absence de lumière est caractéristique de l’univers des Pensées: l’hommesans Dieu est “sans lumière” (fragment 229), dans les “ténèbres,”18 et il netrouve par conséquent de toutes parts “qu’obscurité et confusion” (fragment36), “qu’obscurité et ténèbres” (fragment 644), “des ténèbres impénétrables”(fragment 19), “des obscurités impénétrables” (fragment 681). Dans “l’allé-gorie de la caverne,” les hommes possédaient au moins des ombres: ici plusrien, comme le souligne l’épithète de nature impénétrable. Il faut cependantpréciser que si ces ténèbres sont opaques, c’est du fait de l’homme sans Dieu,qui refuse obstinément d’ouvrir les yeux: dans le cas contraire, il verrait unclair-obscur du monde.

Pour l’heure, étant dans l’obscurité, l’homme sans Dieu ne peut que faire le con-stat d’un échec, ne peut que crier sa consternation. Au fragment 38, l’athée avouel’étendue de son égarement à l’apologiste: “Que dois-je faire? Je ne vois partoutqu’obscurités.” Au fragment 682, il pousse à nouveau un cri de détresse: “Je regardede toutes parts, et je ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui nesoit matière de doute et d’inquiétude.” Au fragment 277, l’athée admet plus parti-culièrement son manque de lumière dans le domaine métaphysique, c’est-à-diredans tout ce qui a rapport à Dieu: “Mais nous n’avons nulle lumière.” Il demandeà l’apologiste une explication, ne comprenant pas que la nature puisse révéler Dieuaux chrétiens; pour lui, l’univers reste tragiquement “muet” (fragment 229). Cesilence, loin d’être simplement silencieux, est terrible, il porte en lui une hostilité,et il représente un danger d’autant plus grand que l’homme ne peut en expliquerle pourquoi. Même, le soleil, “cette éclatante lumière mise comme une lampe éter-nelle pour éclairer 1’univers” (fragment 230), ne fait qu’éclairer au sens propre lapetitesse de l’homme, ne fait que rendre plus grand encore l’abîme qui le sépare del’infini, sans rien lui apprendre de sa finalité.

La lumière semble avoir déserté le monde, alors qu’elle est plus que jamaisnécessaire: la vérité est “obscurcie” (fragment 617), tant et si bien que la con-naissance de l’homme aussi est “obscurcie” (fragment 151). L’homme ne peut dèslors percevoir les éléments primordiaux à son bonheur: le nœud de notre condi-tion est “caché” (fragment 164), Dieu est un dieu “caché,”19 le sens biblique est“caché” (fragments 291, 296, 738), “obscurci” (fragment 291), “voilé” (fragment291), et il existe “un voile” sur la Bible (fragment 711).20 Ces termes montrentnéanmoins que la vérité n’est pas introuvable. Dans les faits, ce manque de clarté,d’évidence marque l’état d’un homme dont Dieu s’est détourné:21 dans l’hommesans Dieu, la “lumière s’est éteinte” (fragment 644), pour lui seul est possible, aumieux, le clair-obscur du monde (fragment 141), et ses prétentions s’en trouventnécessairement limitées: au fragment 39, l’athée—ayant pris toute la mesure del’obscurité qui l’entoure—ne cherche plus la lumière, mais “quelque lumière.” Le

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manque de clarté devient alors une force du christianisme, étant donné que, selonsa doctrine, dans le monde d’après la chute ne peut régner que le clair-obscur,22

comme l’affirme le fragment 260: “Qu’on ne nous reproche donc plus le manquede clarté, puisque nous en faisons profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités,et sans cela on ne serait pas aheurté à Jésus-Christ. Et c’est un des desseins formelsdes prophètes. Excaeca.” Au fragment 266, le clair-obscur, dans une perspectivechrétienne, devient la condition sine qua non d’existence du libre arbitre: “Laclarté parfaite servirait à l’esprit et nuirait à la volonté.” À l’opposé, une obscu-rité totale ferait de Dieu un Dieu mauvais qui induirait en erreur.23

Dans l’univers pascalien, hors de Jésus-Christ, il n’existe “aucune lumière”absolue capable de satisfaire l’homme (fragment 690), qui reste alors immergédans les ténèbres.24 Le chrétien, en revanche, par le choix du Christ, voit lesténèbres céder le pas à la lumière.

Une lumière particulière

Alors que le monde de l’homme sans Dieu est un monde caractérisé par l’ob-scurité, ou dans le meilleur des cas par un clair-obscur, le monde du chrétien parle feu de la grâce va s’éclairer, la religion chrétienne lui offrant de “célesteslumières” (fragment 240).

Le chrétien parvient à trouver la vérité, et son monde est un monde éclairé. Eneffet, pour les élus, les apôtres “ont levé le sceau,” et Jésus-Christ “a rompu levoile et a découvert l’esprit” de la Bible (fragment 291). Les seuls hommes, dansl’ensemble des Pensées, à bénéficier de la lumière—métaphore de la vérité—sontles chrétiens auxquels Dieu donne “la lumière” (fragments 38, 124) pourappréhender sa vérité, auxquels il fournit “une autre lumière supérieure” poursaisir la nécessité des grandeurs d’établissement (fragment 124), ou pour com-prendre sa double nature (fragments 155, 506).25 Cette lumière se transformemême en “feu,” au fragment 742, lors de la rencontre entre la créature et le Créa-teur, lors de cette expérience incomparable que constitue la conversion.26 Pour lechrétien, cette lumière est une véritable bénédiction, comme Pascal le souligne aufragment 348: “Qu’on est heureux d’avoir cette lumière dans cette obscurité!”Toutefois, pour le chrétien aussi, la pleine lumière n’apparaîtra qu’à la fin dumonde (fragment 460).

Le monde de l’obscurité et le monde de la lumière ne sont pas hermétique-ment clos, la miséricorde divine laissant à la volonté humaine sa part de respon-sabilité, ainsi que l’atteste la phrase des fragments 182 et 274: “Il y a assez delumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d’obscurité pour ceux quiont une disposition contraire.” Dieu donne “par grâce assez de lumière” auxhommes qui le souhaitent pour pouvoir revenir vers lui (fragment 700).L’homme possède encore un “peu de lumière” pour pouvoir reconnaître la véritéde la religion, s’il le souhaite vraiment (fragment 690). Du reste, la “lumièrenaturelle” des sages leur a permis de saisir “que s’il y a une véritable religion surla terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre” (fragment690). La lumière humaine—à savoir la raison—ne peut que mettre sur la piste

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du christianisme: ainsi, “les plus anciens législateurs grecs et romains” ont eu“quelque lumière” pour comprendre que la loi juive était emplie de perfection, aupoint d’y emprunter leurs principales lois (fragment 691).

Au total, au fragment 268, on retrouve bien le clair-obscur pour l’ensemble deshommes: “Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour leshumilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pourles condamner et les rendre inexcusables.” On constate pourtant que ce clair-obscur voulu par Dieu ne possède pas la même valeur pour tous: il sauve les uns,et il condamne les autres, tout en justifiant l’attitude de Dieu. En règle générale,comme on l’observe au fragment 472, le chrétien se trouve dans la clarté et l’athéedans l’obscurité, la grâce permettant au premier de voir, et l’endurcissement ducœur du second l’aveuglant: “Tout tourne en bien pour les élus. Jusqu’aux obscu-rités de l’Écriture, car ils les honorent à cause des clartés divines. Et tout tourneen mal pour les autres, jusqu’aux clartés, car ils les blasphèment, à cause desobscurités qu’ils n’entendent pas.” La lumière absolue reste alors plus que jamaislumière de la grâce, reste restrictive aux élus.

Après avoir supporté un monde synonyme d’enfermement, d’obscurité,l’homme sans Dieu va devoir affronter le vertige de l’infini.27

LE VERTIGE DE L’INFINI

Pour peu que l’homme emprisonné, dans la pénombre, ouvre les yeux, dans unéclair de lucidité, il deviendra aussitôt la proie au vertige que suscite l’infini, étantalors confronté à un abîme.28

Tandis que traditionnellement dans les apologies du christianisme l’image del’abîme renvoie aux abîmes de l’enfer, il n’en est nulle part question dans les Pen-sées. En revanche, l’abîme sert à véhiculer la finitude de l’homme, son ignorancequi se perd dans “l’abîme” de la théorie du péché originel (fragment 164), dans“l’abîme” de l’infiniment petit (fragment 230), dans les “deux abîmes de l’infiniet du néant” (fragment 230), l’abîme contribuant à brouiller notre vision, servantà nous donner le vertige, nous rappelant notre petitesse. D’ailleurs, cette sensa-tion de vertige n’épargne personne, pas même, au fragment 78, “le plus grandphilosophe du monde.”29 Ainsi même si parfois l’aveuglement de la prétentionhumaine peut faire temporairement oublier à l’homme sa finitude, la réalitéreprend rapidement ses droits, comme on peut le constater au fragment 230 oùl’homme, dans un accès de démesure, voulant construire une tour infinie, seretrouve, à nouveau, dans les faits face à l’abîme qu’il venait d’oublier: “Nousbrûlons du désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constantepour y édifier une tour qui s’élève à l’infini, mais tout notre fondement craque etla terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.”30 Nous retrouvons en l’occurrence deux allu-sions très nettes à des passages bibliques: la tour de Babel31 et le fou qui bâtit samaison sur le sable.32 Par ces échos, Pascal veut nous montrer à quel point les réc-its des Écritures sont plus importants que de simples récits historiques ou anec-dotiques. Ils sont bien souvent des figures qui possèdent une valeur allégorique:33

la tour de Babel est la figure de l’orgueil humain,34 de l’homme bas et mis-

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érable—du fou qui bâtit sa maison sur le sable—qui se croit capable de s’élever,35

par ses seules forces.36 Par ailleurs, l’image de Pascal est aussi influencée par leshéros maudits de l’Antiquité (Sisyphe, Tantale), l’homme construisant sansrelâche une tour qui ne fait que s’effondrer: dans la Bible, au moins, les hommes,ayant compris la leçon, ne s’avisent plus de recommencer.

Quelque effrayant que soit cet abîme, l’homme ne doit pas chercher à en faireabstraction. En effet, c’est la prise de conscience de cet abîme qui permet au chré-tien, au fragment 751, de s’en sortir: “Je vois mon abîme d’orgueil, de curiosité,de concupiscence.” Si l’abîme de la connaissance est visible pour tout un chacun,l’abîme de la concupiscence, lui, ne le devient que par l’opération de la grâce. Cedernier une fois perçu, le chrétien réalise alors que Dieu seul peut combler “legouffre infini” (fragment 181) qu’il ressent, gouffre qui le rend nécessairementmalheureux.

Les images relatives au monde ont esquissé un espace hermétique de par sonessence mais aussi de par l’ignorance de l’homme. Somme toute, pour l’hommesans Dieu, le monde offre une vision insoutenable, vision d’un monde livré à lui-même: l’enfer se confond avec ce dernier,37 à cette différence près que le monde nepossède aucune explication motivée quant à son état négatif. Par la “violence desimages” (Sellier, “Imaginaire” 127), par la thématique du mouvement, du doute, del’obscurité, les Pensées véhiculent un contenu baroque (Fourcade-Guillaume121–31). Néanmoins pour en recourir à des thèmes baroques,38 Pascal n’en est paspour autant un auteur baroque tant ses images, ses métaphores s’inscrivent danscette rhétorique de l’efficacité qui rejette l’ornementation.39 Aussi, Michel LeGuern, note qu’ “on a pu voir dans ces images dynamiques et changeantes [de lastabilité et de la chute] la marque du style baroque; mais, chez Pascal, le plaisir dela métaphore ne compte guère, par rapport à son efficacité” (“Les images” 51). Aufinal, les images des Pensées de par leur force nous ont permis d’accéder à l’imagi-naire de Pascal, à sa conception du monde, à un univers porteur de multiples influ-ences (bibliques, augustiniennes, philosophiques notamment) avec pour souci con-stant de dire la vérité (entendue comme la vérité de Pascal), sans chercher à toutprix une originalité mal venue ou purement esthétisante:40 les topoï ne sont pasrejetés pour leur statut, mais ils sont revisités dans le but déclaré de rendre leurvaleur de vérité expressive au possible. Aussi l’univers des Pensées est-il un universparlant, un univers susceptible de donner à voir, à ressentir, à vivre, le tragique, l’in-certain de l’homme et du monde, d’un monde qui vit dans la privation et ledélaissement de Dieu, un monde dans lequel seul le Chrétien possède un espoir.

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NOTES

1. Michel Le Guern définit l’image comme “un élément concret que l’écrivain cueilleà l’extérieur du sujet qu’il traite et dont il se sert pour éclairer son propos ou pour attein-dre la sensibilité du lecteur par l’intermédiaire de l’imagination” (L’image 3).

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2. Sellier voit dans cette rhétorique du flectere une rhétorique que Pascal auraitempruntée à la Bible, une “imitation rhétorique de Jésus-Christ” (“Rhétorique” 381).

3. La clarté est une qualité incontournable pour tout le XVIIe siècle qui choisit de setourner vers l’atticisme cicéronien, c’est-à-dire “la clarté, l’absence d’ornement et le deco-rum” (Fumaroli, L’âge 54), pour rejeter l’asianisme et ses “recherches de sonorités et denouveauté formelle” (216).

4. Marc Fumaroli souligne que chez Pascal “l’invention va de pair avec la trouvaille dela forme, dans une rapidité conjuguée avec la justesse (judicium), avec la netteté et le relief(nitor)” (“Pascal” 369).

5. Sellier note que “toute une part de la pensée de saint Augustin apparaît, dans l’évo-lution du christianisme, comme obsédée par le mystère du mal, centrée sur le Péché orig-inel: les hommes sont déchus d’un état féerique et forment désormais une masse de boue,vouée à la perdition” (“Pascal” 42).

6. Sellier souligne que “la Chute n’est pas seulement un événement du passé, mais[qu’]elle est inscrite en chacun d’entre nous” (“Pascal” 43).

7. Sellier précise que “tout en demeurant cohérentes avec la théologie augustinienne dela Chute, ces hantises [le cachot et les liens] se présentent, par leur insistance et leur puissance,comme une singularité pascalienne” (“Pascal” 44). Voir également Sellier, “Abandonné” 70.

8. Victor Brombert écrit, “Montaigne’s caveau is that of ignorance; the cachot of Pas-cal symbolizes man’s fall and punishment. It marks a tragic imprisonment” (231).

9. Brombert souligne que “the prison cell can easily be turned into a monastic cell”(236).

10. Si le chrétien sait qu’il est en prison suite au péché originel, l’homme sans Dieu n’encomprend pas le pourquoi, son emprisonnement n’en étant que plus dur à supporter.

11. Lane M. Heller nous indique que “le vieux thème de la folie du monde (Cicérondisait: ‘Le monde est rempli de fous’ [Fam., ix, 22, 4]), thème cher aux humanistes de laRenaissance, trouve maints échos au XVIIe siècle” (297).

12. En fait, Pascal partage pleinement ce point de vue, qui sert ses desseins.13. Sellier remarque que “le chrétien ne s’engloutit pas dans les eaux de la concupis-

cence, il ne prétend pas s’élever au-dessus des eaux. Il se tient à la surface des eaux, ten-dant la main à Celui qui avant lui marcha sur la mer” (“L’ascension” 125).

14. Claire Gaudiani détaille cette différence: “In Cartesian terms, la lumière naturelle isthe lamp that lights the road through the world. In Pascal’s works, light is the sanctuary lampthat we discover when we have left the world to seek the true grandeur de l’homme. [. . .] ForDescartes, this [the essential goal of life] is knowledge. For Pascal, it is God” (188).

15. Le fragment 132 parle de “nos lumières,” “nos lumières naturelles” (fragment 141),“les lumières naturelles” (fragment 680), et les “lumières du sens commun” (fragment428). En revanche, le fragment 747 fait de la lumière, “sa lumière” en parlant de Dieu.

16. Dominique Descotes écrit: “La lumière n’est pas seulement chez Pascal objet deréflexion scientifique. Elle est aussi présente de manière insistante dans la pensée et l’œu-vre du théologien” (173).

17. L’absence de lumière a des conséquences terribles: “il n’y a point . . . de bonheurpour ceux qui n’en n’ont aucune lumière [de l’espérance d’une autre vie]!” (fragment 681).

18. Fragments 35, 182, 681. L’homme dans les ténèbres est une image biblique(plusieurs citations bibliques dans les Pensées en font mention).

19. Fragments 13, 182, 260, 274, 275, 291, 607, 644, 681, 690, 785. L’image du Dieucaché est empruntée à Isaïe, comme le stipule la citation du fragment 260, Dieu est “unDieu véritablement caché”.

20. L’image du voile est pareillement reprise à Isaïe, L (cité au fragment 718); à Isaïe,VIII (cité au fragment 735); à Isaïe, XXIX (également cité au fragment 735).

21. La Sagesse divine rappelle, au fragment 182, qu’avant la chute l’homme vivait dansla lumière: “J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait. Je l’ai rempli de lumière et d’intelli-

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gence. Je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyait alors lamajesté de Dieu. Il n’était pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité etdans les misères qui l’affligent.” L’obscurité serait alors la conséquence directe du péché.

22. Le Guern identifie le clair-obscur comme une image janséniste (L’image 77). Voiraussi Sellier, Pascal 19–105.

23. La Bible recèle de “clartés” qui méritent qu’on révère les obscurités (fragment 250):en effet, elle possède “des clartés admirables,” alors qu’a contrario le Coran a des “clartés[. . .] ridicules” (fragment 251). Au fragment 340, “Jésus-Christ a dit les choses grandessi simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement néanmoins qu’on voitbien ce qu’il en pensait. Cette clarté jointe à cette naïveté est admirable.”

24. Dominique Descotes nous indique que “la première partie de l’Apologie montrequ’en effet, l’homme a beau scruter sa propre nature et ce qui l’environne, même avec lesecours des philosophes, il n’aperçoit partout que confusion et obscurité” (174).

25. Descotes nous précise le sens de cette lumière: “La vision, comme faculté actived’inspection du monde, représente [. . .] l’aptitude de l’homme à faire le bien que luidonne la grâce suffisante; la lumière, qui provient du soleil et sans laquelle l’œil demeureaveugle, représente la grâce de Dieu qui rend efficace la capacité de l’homme d’accomplirles commandements de Dieu” (174).

26. Ce feu n’est pas sans rappeler l’image de Moïse face au buisson ardent (Exode3.1–6).

27. Sellier souligne l’importance de cette image pour Pascal: “Un premier champ sym-bolique—le vertige et le gouffre—peu présent chez Augustin, devient obsédant chez Pas-cal” (“Pascal” 50). On retrouve la même idée dans un autre article de Sellier: “La constel-lation la plus étincelante, la hantise centrale de cette œuvre—hantise si sensible dans lesPensées—semble la verticalité, avec les dynamismes qui lui correspondent: l’ascension, levertige, la chute” (“L’ascension” 116).

28. Comme le souligne si justement Le Guern, “l’image de l’abîme doit être rangée aupremier rang des images dominantes de Pascal” (L’image 183).

29. Comme l’écrit Graeme Hunter, “we are finite beings with an irrepressible need forthe infinite: thus, only when lost in that infinity are we found; only while we exert our-selves to seek it are we at rest; our only harbour is the open sea” (98).

30. Hannah Arendt définit la philosophie comme une quête de la vérité: “Con-ceptuellement, nous pouvons appeler vérité ce que l’on ne peut pas changer;métaphoriquement, elle est le sol sur lequel nous nous tenons et le ciel qui s’étend au-dessus de nous” (336). Le problème est que, pour Pascal, le sol sur lequel nous nous tenonsressemble davantage aux sables mouvants qu’à la terre ferme à laquelle songe HannahArendt: il n’existe pas d’ “assiette ferme” (fragment 230).

31. Sellier nous rappelle que “la volonté d’élever des constructions, c’est-à-dire d’op-poser la hauteur et la dureté de la pierre aux flux du périssable, apparaît à Pascal commeune obsession générale des hommes” (“L’ascension” 118).

32. En ce qui concerne la tour de Babel, voir Genèse 11.1–9. Pour le fou sur le sable,voir Matthieu 7.26. On rencontre également cette image au fragment 808: “On dirige savue en haut, mais on s’appuie sur le sable. Et la terre fondra, et on tombera en regardantle ciel.”Comme l’indique Sellier, “la terre révèle [. . .] l’un de ses aspects les plus terrifiants: l’in-

consistance. Tout est fluent dans cet univers. À l’inconstance de l’homme correspond l’in-consistance du monde. [. . .] La terre pascalienne est l’élément de l’éphémère, du périss-able. Sables mouvants et non pas roc” (“L’ascension” 121–22).

33. Pascal définit les figures comme des réalités qui contiennent en germe ce qu’ellesont à préfigurer.

34. Pour Pascal, les constructeurs modernes de la tour de Babel sont les philosophes, etsi jadis la main de Dieu a dû l’anéantir, les théories des philosophes n’ont besoin que d’êtreconfrontées les unes aux autres pour se détruire.

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35. L’image de l’élévation de l’âme est reprise à Platon et à saint Augustin.36. Or, dans les Pensées, seul l’homme ayant la grâce, connaissant Jésus-Christ et sa mis-

ère, “est élevé” (fragments 164, 291, 440, 460, 750).37. C’est précisément ce que conteste Voltaire (142).38. Pour ce qui est des Pensées, Jean Mesnard parle de “la persistance d’un baroque dis-

cipliné” (78), et Sellier de “la persistance d’un sentiment baroque de la vie” (“Pascal” 52).39. En rupture avec les contraintes, le baroque cherche à mettre en avant l'imagination,

la fantaisie, l'invention et la recherche des contrastes. Le baroque entend éblouir et sur-prendre par l'abondance des moyens esthétiques mis en œuvre.

40. Le Guern écrit: “C’est parce que le style de Pascal est entièrement orienté vers l’ef-ficacité qu’il possède une telle force, et c’est vraisemblablement parce que ses images necherchaient pas à plaire qu’elles continuent aujourd’hui encore à nous paraître si belles”(L’image 247).

OEUVRES CITÉS

Arendt, Hannah. La crise de la culture. Paris: Gallimard, 1989.Brombert, Victor. “Pascal’s Happy Dungeon.” Yale French Studies 38 (1967): 230–42.Descotes, Dominique. “Pascal et la lumière.” Le siècle des lumières 1600–1715. Paris: ENS,

1997. 165–81.Fourcade-Guillaume, Pierre. “Quelques aspects du baroque dans les fragments pour

l’apologie de Pascal.” Revue internationale 6 (1973): 121–31.Fumaroli, Marc. L’âge de l’éloquence. Genève: Droz, 2002.———. “Pascal et la tradition rhétorique gallicane.” Méthodes chez Pascal. Paris: PU de

France, 1979. 359–70.Gaudiani, Claire. “Light Metaphors in Pascal.” Papers on French Seventeenth-Century Lit-

erature 10.18 (1983): 177–97.Heller, Lane M. “La folie dans l’Apologie pascalienne.” Méthodes chez Pascal. Paris: PU de

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national Journal for Philosophy of Religion 47 (2000): 87–99.Le Guern, Michel. L’image dans l’œuvre de Pascal. Paris: Armand Colin, 1969.———. “Les images de Pascal.” Versants 18 (1990): 37–51.Mesnard, Jean. “Baroque, science et religion chez Pascal.” Revue internationale 7 (1974):

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Pensées.” Littératures Classiques 20 (1994): 67–79.———. “L’ascension et la chute.” Chroniques de Port-Royal 21 (1972): 116–26.———. “Imaginaire et rhétorique dans les Pensées.” Pascal: thématique des Pensées. Éd.

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