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Flore Defossemont DEA 130- Sociologie des organisations- Université Paris IX- Dauphine Directeur de mémoire : Michel Liu Le développement culturel dans un PMA. Comment et dans quelle mesure l’émergence du cinéma à Madagascar peut-elle se réaliser ? Mémoire de DEA Mention TB-Major de promotion Août 2003

Le développement culturel dans un PMA. Comment et … · indispensables pour ce sujet d’étude, à savoir : la sociologie de l’art, la sociologie de la dépendance, la notion

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Flore Defossemont

DEA 130- Sociologie des organisations- Université Paris IX- Dauphine

Directeur de mémoire : Michel Liu

Le développement culturel dans un PMA.

Comment et dans quelle mesure l’émergence du cinéma à Madagascar

peut-elle se réaliser ?

Mémoire de DEA

Mention TB-Major de promotion

Août 2003

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DEA 130. Université Paris IX-Dauphine. Flore Defossemont Comment et dans quelle mesure l’émergence du cinéma à Madagascar peut-elle se réaliser ?

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION___________________________________________________ 4

PANORAMA ET PERSPECTIVE DU CINEMA MALGACHE_________________ 7

I. L’histoire du cinéma malgache _________________________________________________________ 9

Vers une industrie florissante ? _____________________________________________________________ 9 La cassure de 1975 _____________________________________________________________________ 10 Les années 2000 ou une renaissance du cinéma à Madagascar ? __________________________________ 11

II. Le cinéma malgache, un cinéma engagé : témoignage d’une culture__________________________ 14

QUESTION INITIALE ______________________________________________ 17

REVUE DE LITTERATURE _________________________________________ 20

I. Le rôle de l’art par Howard S. Becker et Roger Bastide ___________________________________ 22

La fonction sociale de l’art par Roger Bastide (Bastide, 1945)____________________________________ 22 Le cinéma, une activité économique organisée par Howard S. Becker (Becker, 1988) _________________ 23

Mobilisation des ressources matérielles et humaines _________________________________________ 24 Mobilisation de l’action collective _______________________________________________________ 25

II. L’analyse du rapport métropoles-colonies : sociologie de la dépendance par Georges Balandier

(Balandier, 1971) ___________________________________________________________________ 29

Comment définir une situation de dépendance ?_______________________________________________ 29 La réaction de l’individu face à la dépendance ________________________________________________ 30

III. Le développement dans les pays émergents : panorama des théories des années 70 aux années

2000 ______________________________________________________________________________ 31

Développement exogène ou développement endogène par Lê Thành Khôi (Lê Thành Khôi, 1992) _______ 31 Première composante : la culture dans la notion de développement ______________________________ 31 Deuxième composante : le rôle de l’Etat et de la société civile dans la notion de développement _______ 33 Troisième composante : les objectifs du développement ______________________________________ 34

L’anthropologie appliquée : solution du développement des pays émergents selon Roger Bastide (Bastide, 1971) ________________________________________________________________________________ 35

L’acculturation ______________________________________________________________________ 35 Grille d’étude _______________________________________________________________________ 36 Comparaison entre l’acculturation planifiée dans un système socialiste et l’acculturation planifiée dans un système capitaliste____________________________________________________________________ 37

Le développement du sous-développement par André Gunder Frank (Gunder Frank, 1972) _____________ 40 Le développement selon Rostow_________________________________________________________ 40 L’approche diffusionniste selon Nash _____________________________________________________ 40 L’approche psychologique de McClelland _________________________________________________ 41

IV. Les modalités du développement : vision microscopique du développement selon Jean-Pierre Olivier

de Sardan (Olivier de Sardan, 1995)____________________________________________________ 43

L’organisation établit des logiques d’action qui influent sur la cohérence des projets __________________ 43 Le contexte de l’interaction_____________________________________________________________ 43 Les logiques inhérentes au projet ________________________________________________________ 43 Les niveaux de cohérence des projets _____________________________________________________ 44

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Les résistances_______________________________________________________________________ 44 Le lien entre la connaissance et l’action : importance du dialogue chercheurs-développeurs_____________ 45

Deux logiques professionnelles différentes_________________________________________________ 46 Quels types de collaborations peut-on envisager ? ___________________________________________ 47

SYNTHESE DE LA REVUE DE LITTERATURE _________________________ 49

PROBLEMATIQUE ________________________________________________ 54

METHODOLOGIE_________________________________________________ 57

I. Le choix du sujet ____________________________________________________________________ 57

II. Démarche inductive _________________________________________________________________ 58

Travail d’observation ___________________________________________________________________ 59 Méthode d’observation participative________________________________________________________ 59 Entretiens semi-directifs et non-directifs_____________________________________________________ 59

III. Utilisation du matériel _______________________________________________________________ 62

DEMONSTRATION ________________________________________________ 63 Projets de type 1 : Les projets des organisations internationales relayés par le gouvernement malgache ____ 65

La sauvegarde du patrimoine culturel _____________________________________________________ 65 La protection et le reversement du droit d’auteur ____________________________________________ 65 La mise en place d’un fonds de soutien pour le développement du cinéma national. _________________ 66

Projet de type 2 : Le projet privé malgache___________________________________________________ 68 Lights Productions ___________________________________________________________________ 68

Projets de type 3 : Les initiatives privées ponctuelles ___________________________________________ 69 Cannes Junior _______________________________________________________________________ 69 La Maison de l’Eau de Coco ____________________________________________________________ 70 Makibefo ___________________________________________________________________________ 71

Hypothèse I => Le développement suppose l'interdépendance entre le développement culturel, social et

économique ________________________________________________________________________ 73

Projets de type 1 : Préserver et promouvoir l’identité du pays, une finalité culturelle __________________ 74 Par la sauvegarde du patrimoine culturel __________________________________________________ 74 Par la protection du droit d’auteur________________________________________________________ 76 Par le fonds de soutien ________________________________________________________________ 78 Le manque de volonté politique afin de promouvoir la culture est un frein à son émergence___________ 78

Projet de type 2 : le cinéma de Lights Productions comme un bien de consommation __________________ 81 Les raisons de la logique à court terme ____________________________________________________ 84

Projets de type 3 : Priorité au développement social à travers l’émergence du cinéma _________________ 86 Le cinéma pour rétablir le lien social _____________________________________________________ 86 Accéder à un loisir ___________________________________________________________________ 87 Améliorer les conditions de vie de chacun _________________________________________________ 89

Conclusion : Le développement suppose l'interdépendance entre le développement culturel, social et économique tout en étant appuyé par une volonté politique ______________________________________ 95

Hypothèse II => Importance et nature des interactions entre les partenaires dans la notion du

développement _____________________________________________________________________ 99

Projets de type 1 : Une relation bilatérale bloquée ____________________________________________ 100 Manque de suivi des programmes _______________________________________________________ 100 Ecart entre le discours et la réalité ______________________________________________________ 101 Pas de réelle législation pour le fonds de soutien ___________________________________________ 104

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Projet de type 2 : Un projet basé sur l’autarcie _______________________________________________ 107 Rudesse socio-économique des pays émergents ____________________________________________ 108 Professionnalisation du secteur par la mobilisation des ressources matérielles et humaines___________ 109

Projets de type 3 : Des initiatives ponctuelles soutenues par de multiples partenaires _________________ 113 Moteur de relance du cinéma à Madagascar _______________________________________________ 113 Vers une participation malgache ________________________________________________________ 115 Partenariat basé sur la compatibilité de l’échange___________________________________________ 116

Conclusion : L’efficacité d’un partenariat grâce à des structures opérationnelles ____________________ 118

Hypothèse III=> Le développement s’appuie sur la rationalité et la cohérence des projets___________ 121

Projets de type 1 : Un mode de coopération à construire _______________________________________ 122 Manque de coordination entre les attentes et les besoins _____________________________________ 122 Le déficit de régulation du système______________________________________________________ 123 Le paradoxe de la mesure : un fonds de soutien alimenté par la diffusion cinématographique dans un pays où les salles de cinéma sont fermées ______________________________________________ 127

Projet de type 2 : Un résultat mitigé dû à des incohérences de fonctionnement ______________________ 129 La division du travail_________________________________________________________________ 131 La coordination et la coopération _______________________________________________________ 132

Projets de type 3 : Des projets auto-adaptables_______________________________________________ 134 Evolution des logiques d’action ________________________________________________________ 134 Parer aux besoins primaires et secondaires ________________________________________________ 137 La cohérence basée sur la notion de risque ________________________________________________ 137

Conclusion : Le sujet au centre de la cohérence ______________________________________________ 140

CONCLUSION GENERALE ________________________________________ 142

BIBLIOGRAPHIE ________________________________________________ 147

TABLE DES SIGLES ______________________________________________ 151

ANNEXES ______________________________________________________ 152 Annexe I : Carte de Madagascar __________________________________________________________ 153 Annexe II : Le cinéma malgache__________________________________________________________ 154 Annexe III : Le cinéma malgache, un cinéma engagé : témoignage d’une culture ____________________ 166 Annexe IV : « Le cinéma à Madagascar : un facteur de développement ? » Conclusion d’une étude sociologique _________________________________________________________________________ 177 Annexe V : Décret 2000-112 ____________________________________________________________ 179 Annexe VI : Cahier des charges pour l’exploitation de salles____________________________________ 180 Annexe VII : Décret 2000-113 ___________________________________________________________ 181

REMERCIEMENTS _______________________________________________ 182

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Introduction

Dès la fin des années soixante-dix, les relations culturelles extérieures de la France

prennent une nouvelle dimension suite au rapport de Jacques Rigaud de 1979, alors

conseiller d’Etat qui énonce que « le Président de la République veille à ce que ses

voyages à l’étranger, comme l’accueil en France de chefs d’Etat étrangers, soient

l’occasion d’un inventaire et d’une relance des échanges artistiques ».

Il faudra attendre 1983 et l’approbation du projet culturel extérieur de la France par le

Conseil des ministres, pour que soient reprises les orientations proposées par Jacques

Rigaud : c’est alors qu’une véritable réciprocité des échanges culturels se met en place.

Puis vers 1995, Jacques Rigaud utilise le terme « d’exception culturelle » qui fait

référence à la participation active de l’Etat dans la création de projets culturels. La

culture devient, alors, l’une des composantes des relations internationales aux côtés de

la politique et de l’économie : la mondialisation accroît la place de la culture dans le

système économique. D’autant plus que la demande des pays « riches » est la suivante :

il faut promouvoir la culture de chaque pays et prévoir des programmes de

développement culturel au même titre que des programmes de développement éducatif,

économique et social. Promouvoir la culture de chaque pays permettra à chacun d’eux

de garder son identité et donc de parler de diversité culturelle face à l’uniformisation des

sociétés.

Pour répondre à cette requête, le rôle des pays industrialisés est d’apporter leurs soutiens

aux pays pauvres par l'intervention d’organisations internationales et nationales. En

France, le Ministère de la Culture par sa Délégation des Affaires Internationales et le

Ministère des Affaires étrangères sont en charge de développer des échanges culturels

internationaux. Ces deux ministères consacrent l’un et l’autre des budgets significatifs

pour le développement des échanges internationaux et l’aide au développement qui se

chiffrent à près de 75 millions d’euros1.

1 : Chiffre 2000

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La France est le pays d’Europe qui dépense le plus pour l’action culturelle extérieure car

son objectif est d’élaborer des échanges interculturels avec les pays industrialisés, les

pays émergents ou encore les pays les moins avancés (PMA). Le soutien ne réside pas

seulement dans un apport financier mais aussi par la mise en place de projets s’appuyant

sur la notion de développement qui est basée sur des critères économiques,

sociologiques, historiques... Cette notion s’est transformée au fur et à mesure des

années. Si les premiers écrits sur le développement sont nés au cœur du contexte

international de la décolonisation, plus de quarante ans se sont passés et cette notion

reste encore vague et soulève de nombreuses réflexions. Considérant l’importance de ce

thème, il était intéressant d’étudier ce sujet en se focalisant sur une discipline

particulière, en activité, dans les pays les plus pauvres : le cinéma. Cette étude portera

sur l’émergence du cinéma à Madagascar et prendra comme référence les quelques

projets cinématographiques incontournables de la Grande Ile. Les annexes II et III en fin

de mémoire permettront d’avoir de plus amples précisions sur l’histoire du cinéma à

Madagascar et sur les thèmes abordés dans les films. Ce travail préalable, écrit lors d’un

voyage à Madagascar fut essentiel pour le travail de recherche qui en découle : il a

facilité la compréhension et l’intégration dans le paysage malgache. Il n’est pas inséré

dans le corps du mémoire afin de ne pas encombrer celui-ci de chiffres et dates, ce qui

altérerait sa compréhension. De cet état des lieux ne sera retiré que la substantifique

moelle.

Après cette brève introduction sur l’histoire et sur l’état des lieux actuel du cinéma à

Madagascar, la revue de littérature sera l’occasion de faire référence aux thèmes

indispensables pour ce sujet d’étude, à savoir : la sociologie de l’art, la sociologie de la

dépendance, la notion de développement culturel. Cette partie nous permettra d’analyser

l’importance de l’art au sein d’une société et nous éclairera sur les concepts du

développement « idéal ». Grâce à cet apport, nous pourrons répondre, par la suite, à la

problématique suivante « comment et à quelle condition l’émergence du cinéma à

Madagascar est-elle réalisable ? ». Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous expliquerons

précisément la méthodologie et nous donnerons des informations sur les projets étudiés.

En effet, appréhender la notion de développement n’est pas simple à cause de la

diversité des projets mis en place. Donc, cette étude se limitera aux principaux projets

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qui seront classifiés en trois catégories : les projets institutionnels, les projets privés

malgaches, les projets semi-privés étrangers. Cette classification permet de structurer

cette recherche et par conséquent d’analyser si les projets sont en conformité avec les

hypothèses développées s’appuyant sur des concepts sociologiques précis.

Le but de ce travail est de comprendre d’une part, pourquoi certains projets n’ont pas

obtenu les résultats espérés et souffrent de dysfonctionnements chroniques et d’autre

part, quels sont les ingrédients pour que des projets deviennent de véritables succès.

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Panorama et perspective du cinéma malgache

Madagascar2 est une île située à l’est de l’Afrique du Sud dont la superficie équivaut

aux superficies de la France et du Benelux réunis. La capitale est Tananarive. Ce pays

est considéré comme l’un des plus pauvres au monde malgré un avenir prometteur

jusque dans les années 75. En effet, le 16 juin 1975, Madagascar devient une

République démocratique ayant Didier Ratsiraka comme Président qui exerça une

politique d’étatisation de l’économie et se rapprocha du bloc communiste en adoptant

l’idéologie marxiste. Réélu en 1996, il appliqua une nouvelle politique visant à

promouvoir une « république humaniste et écologique » jusqu’en juin 2002, date à

laquelle Marc Ravalomanana accéda au pouvoir.

Ces quelques informations sont utiles avant d’aborder ce chapitre qui fait un retour sur

l’histoire du cinéma à Madagascar, ce qui permettra de comprendre quelle fut la place

de la diffusion et de la production cinématographiques durant les quarante années qui

ont suivi la décolonisation du 26 juin 1960. D’une industrie florissante, l’activité

cinématographique s’est effondrée pour renaître, en partie, dans les années 2000.

Cet état des lieux ne décrit que ce qui est nécessaire à la compréhension du travail ; de

plus amples informations sont données dans des annexes jointes.

Après cette brève synthèse historique, il est important de parler de la nature des films

créés et d’en dégager les principaux thèmes abordés, ce qui nous donne des références et

nous permettra de comparer les films produits actuellement avec ceux de l’époque.

Auparavant, il convient de préciser les quelques points fondamentaux qui différencient

le cinéma de la vidéo.

2 : Annexe I

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Lorsque l’on parle de développement du cinéma dans les pays pauvres, on fait référence

aux nouvelles technologies basées sur le numérique et plus rarement aux techniques

traditionnelles comme le 16 mm et le 35 mm.

En cinéma, on utilise le format 16 mm, le super 16 et le 35 mm, en vidéo on utilise un

procédé numérique. Les budgets sont moins élevés en vidéo qu’en cinéma car le tournage

en vidéo nécessite moins de personnel et moins de besoins techniques. De plus, le matériel

de tournage et de diffusion est moins coûteux en vidéo qu’en cinéma. En vidéo, le

visionnage des rushes se fait automatiquement ce qui représente un gain de temps. En

revanche, la qualité est nettement inférieure, on perd l’effet de profondeur que l’on peut

avoir sur des films en format cinématographique.

Il est également nécessaire de comprendre exactement les différentes étapes dans

l’activité cinématographique ou audiovisuelle. On parle de production qui équivaut à la

création du film, de diffusion qui équivaut à la commercialisation du film. Le producteur

traite avec un distributeur. Celui-ci diffuse le film dans son propre réseau de salles s’il en

possède un ou le loue aux exploitants qui en font la demande. Auparavant, le film a connu

un lancement publicitaire qui s’appelle la distribution (campagne d’affichage, projections

de presse). Son succès dépend de l’appréciation du public.

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I. L’histoire du cinéma malgache

Vers une industrie florissante ?

En France, l’histoire du cinéma débute avec la première projection publique payante

d’un film muet en 1895, à Madagascar elle débute dès la fin de la première guerre

mondiale. Suivra en 1929, la projection du premier film parlant en France avec « Le

chanteur de jazz ». Cette nouvelle forme d’art atteindra très rapidement, dès 1935, la

Grande Ile. A cette même époque3, en 1936, se crée à Madagascar le « Consortium

Cinématographique », société privée de diffusion du cinéma qui achetait des films, du

matériel de projection, et formait des techniciens pour l’entretien de ce matériel dans les

salles de l’île. Le cinéma était apprécié de tous. La population malgache comptait de

nombreux cinéphiles.

En ce qui concerne la production, le plus ancien documentaire anthropologique sur

Madagascar que l’on connaisse est « Svarta Horisonter » (Horizons noirs) qui aurait été

réalisé en 1935-1936 par Paul Fejos de nationalité hongroise (le réalisateur de

Fantômas). Il faudra attendre 1947 pour que soit réalisé un documentaire « la mort de

Rasalama » par le Malgache Raberojo à l’occasion de la cérémonie commémorative du

centenaire de la mort de Rasalama (premier martyr de la persécution religieuse).

Ce n’est véritablement que durant la période de la décolonisation qu’apparaît une réelle

industrie cinématographique. Notons que durant cette période, le pays, alors

indépendant, conserva des relations privilégiées avec la France. Ce qui a permis, dès

1969, aux autorités malgaches avec le soutien du gouvernement français, de créer le

Centre Malgache de Production de Films Educatifs (CMPFE qui s’appellera Cinémédia

par la suite).

Ce centre a montré un intérêt pour promouvoir un cinéma éducatif en réalisant des

documentaires qui pouvaient être une arme efficace pour le développement.

3 : Nous sommes durant la période coloniale (du 6 août 1896 au 26 juin 1960).

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C’est à cette époque que la production d’un cinéma national de fiction a pris son envol.

L’industrie cinématographique malgache naît et laisse prévoir un futur florissant. Les

aides du gouvernement français ont permis d’une part, de construire des locaux à

Androhibe et d’autre part, d’envoyer des artistes malgaches en France afin qu’ils suivent

des formations techniques et artistiques. Les films créés, à cette époque, sont devenus

des films « cultes » à Madagascar. Ils sont à la base d’une excellente industrie

cinématographique. Non seulement leur force d’expression vient de l’originalité des

thèmes, témoins d’une culture éloignée de la nôtre mais aussi du traitement de l’image,

preuve d’une grande créativité artistique.

La cassure de 1975

Dès 1975, la production cinématographique entre dans une phase de sommeil. En effet,

le nouveau gouvernement marxiste qui ne considérait pas le cinéma comme un loisir

mais comme un instrument de propagande politique changea les orientations culturelles

prises auparavant :

- Le programme français créé en 1969, pour le développement du cinéma fut arrêté et

le studio de développement qui devait être mis en place pour toute l’Afrique de l’Est

et l’océan Indien ne vit pas le jour. L’activité naissante de production de films du

Cinémédia s’effondrait.

- En ce qui concerne la diffusion, l’Etat malgache imposa ses directives au

Consortium Cinématographique, bien qu’elle soit une structure privée, par

l’intermédiaire du Cinémédia, organisme d’Etat qui contrôlait l’importation, la

production et la distribution des films. La programmation des salles de cinéma était

dorénavant axée sur la diffusion de films russes, coréens en versions originales.

Cette nouvelle politique de diffusion freinait l’ardeur du public à se rendre dans les

salles étant donné qu’il ne comprenait pas les films puisqu’ils n’étaient pas sous-titrés

en français. De 1981 à 1996, le nombre de spectateurs passe de 3 559 774 à 199 499 ce

qui entraîne une fermeture progressive des salles de province et de la capitale. Il faudra

attendre l’année 2000 pour assister à la réouverture temporaire d’une salle de cinéma

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dans la capitale à l’occasion du festival Cannes Junior, une initiative privée

subventionnée par le gouvernement français.

Les années 2000 ou une renaissance du cinéma à Madagascar ?

Etats des lieux de la production

Comme nous l’avons vu, les orientations politiques du gouvernement en place ont été

fatales à la production cinématographique. En effet, celle-ci demande des conditions

techniques précises (du matériel de tournage, un studio de développement) qui n’ont pas

pu voir le jour. Dans l’impossibilité de réaliser des films de fictions en 16 ou 35 mm à

l’exception de Raymond Rajaonarivelo qui réalisa en partenariat avec une production

française « Quand les étoiles rencontrent la mer » en 1996, la plupart des réalisateurs

malgaches se sont orientés vers la production de documentaires en vidéo. Soulignons

que certains réalisateurs malgaches se sont orientés vers la production de fictions en

vidéo comme Rakotozanany Abel qui réalisa en 1987 « Le prix de la paix » ou Solo

Ignace Randrasana qui réalisa « Liza » en 1995 ou encore François Rakotonanahary qui

réalisa « Adim-Piainana » en 1996. Cependant, ces productions sporadiques ne

laissaient pas entrevoir le redémarrage des films de fiction à Madagascar. Ce n’est

véritablement qu’à partir de février 2001, que l’on reparle enfin d’un cinéma de fiction

national grâce aux productions en vidéo d’une société Tananarivienne : Lights

Productions.

Il en est de même pour les productions étrangères. Producteurs et réalisateurs préfèrent se

tourner vers des pays comme l’Afrique du Sud où les infrastructures sont plus

accueillantes. Cependant, un jeune réalisateur Anglais, Alexander Abela s’est lancé dans

l’aventure en tournant « Makibefo » un film en 16 mm .

Etats des lieux de la diffusion

Les seules salles de la capitale qui projettent des films, quotidiennement, en 16 mm

et/ou 35 mm sont peu nombreuses et font partie d’institutions internationales comme la

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salle du Centre Culturel Français Albert Camus (CCAC) de 350 places ou la salle du

Centre Germano-Malgache (CGM) de 60 places.

Seul le CCAC diffuse en 35 mm et en 16 mm. Actuellement, le CCAC développe sa

politique culturelle en faveur de la relance du cinéma à Madagascar et propose deux

films par mois en 35 mm à raison d’une dizaine de séances chacun. Les tarifs sont peu

excessifs, donc abordables pour une bonne partie de la population.

Quant à elle, la salle du CGM est équipée d’un projecteur 16 mm. La diffusion de films

au CGM vise la promotion de la culture germanophone, elle s’adresse donc à un public

initié. Ce sont des films de réalisation allemande sous-titrés en français.

Même si le Consortium Cinématographique possède la plupart des salles de la capitale,

elles ne sont pas ouvertes en permanence. L’ouverture de ces salles de cinéma à l’heure

actuelle n’est pas envisageable même si le décret d’application n° 2000-112 (Annexe

V) permettant la réouverture des salles a été ratifié en 2000 par le gouvernement. Car ce

décret stipule que la diffusion payante de films en 35 mm nécessite que les salles soient

aux normes de sécurité (une salle de plus de 500 personnes doit posséder un parking.

Annexe VI. Article 25). Le Consortium Cinématographique Madagascar ne peut

supporter le coût des travaux.

En revanche, la diffusion de vidéo et la diffusion gratuite de films en 35 mm sont

exempts de cette réglementation. Ce qui a eu pour effet de lancer la diffusion de vidéo

ces dernières années.

Ponctuellement, le Consortium Cinématographique loue sa salle du REX, salle de 650

places, équipée de matériel cinématographique, pour le festival Cannes Junior (1

semaine par an depuis 2000), le festival malgache (1 semaine en 2001, pas de réédition

en 2002), le festival du documentaire (1 semaine en 2000 et pas de réédition depuis).

Le Consortium Cinématographique possède également la salle du Ritz, salle de 850

places qu’il loue, ponctuellement, à la société Lights Productions pour leur permettre de

diffuser leur production de films vidéo.

En province, la diffusion de films se fait par l’intermédiaire des Alliances Françaises qui

proposent quelques projections vidéo dans leurs locaux et par l’intermédiaire d’une

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ONG espagnole « La Maison de l’Eau de Coco »4. Celle-ci, après avoir réhabilité les

salles de Mahajanga, de Fianarantsoa et de Tuléar, les loue au Consortium

Cinématographique afin de proposer des projections de films en vidéo.

Il faut également souligner, qu’il existe un réseau de diffusion informel : en 2000, la

capitale comptait 70 salles non officielles où l’on projette des vidéos. C’est l’occasion

pour les populations, ne possédant pas la télévision, de se réunir et de regarder un film à

moindre coût car le prix d’entrée équivaut à 0,05 euro. Ces salles sont alimentées par les

vidéoclubs qui proposent des films provenant de cassettes piratées. Ce qui signifie qu’il

y a une réelle demande du public malgache d’assister à des projections en salles.

Actuellement, les questions relatives aux droits d’auteurs afin de limiter le piratage

(reproduction non autorisée des œuvres) et aux financements de productions nationales

grâce à la création d’un fonds de soutien (VII) sont les principales préoccupations des

professionnels malgaches pour l’émergence du cinéma à Madagascar. Nous étudierons

ces deux projets ainsi que la question concernant la sauvegarde du patrimoine culturel

abordée par le Cinémédia.

Seront également inclus dans notre étude, les projets de Lights Productions, Cannes

Junior, Makibefo, La Maison de l’Eau de Coco qui seront expliqués par la suite.

4 : ONG, implantée à Fianarantsoa qui a pour vocation la réinsertion des jeunes.

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II. Le cinéma malgache, un cinéma engagé : témoignage d’une culture

Cette première partie nous a rappelé que Madagascar aurait dû avoir un avenir

prometteur en matière de cinéma. Malheureusement l’histoire en a décidé autrement et

les prévisions faites ne se sont pas réalisées.

Avant d’entrer dans le cœur du travail, il est important de s’imprégner de la culture

malgache en réalisant une analyse sociologique des films malgaches5 que nous pouvons

retrouver plus complète dans les annexes. Ces quelques lignes ont pour vocation de faire

découvrir l’atmosphère des films de fictions réalisés à l’époque à toute personne

assoiffée de culture étrangère à la sienne. Ce chapitre nous aidera aussi à comprendre

pourquoi le septième art a véritablement sa place dans la Grande Ile.

Le style des films malgaches est engagé au détriment des films d’aventure ou des

comédies qui sont exclus du répertoire. Ces films n’ont pas vieilli, ce qui est plutôt

flatteur pour les réalisateurs. De plus, les thèmes abordés à l’époque comme les

problèmes de société sont toujours d’actualité.

A la vision de ces films, trois catégories de thèmes se dégagent : les problèmes sociaux,

les rites et coutumes, l’histoire.

En évoquant ces problèmes sociaux, comme la corruption, l’exode rural, les vols de

zébus, la pauvreté, les réalisateurs malgaches ont choisi d’être le porte-parole de la

société civile. Après la colonisation, les artistes, guidés par la pensée contemporaine de

la libération, étaient motivés par le désir de réappropriation de l’espace social. Par le

biais du film, ils ont réaffirmé leur culture en dénonçant les dysfonctionnements de la

société et en mettant en évidence les injustices pour certains et les privilèges pour

d’autres. Il fallait amener la société civile à prendre conscience de l’environnement dans

lequel elle se situait. On peut affirmer que cet objectif n’a pas été réalisé puisque

5 : L’Accident de Benoit Ramampy réalisé en 1972 Very Remby ou Le Retour de Solo Ignace Randrasana réalisé en 1973 Dahalo, Dahalo de Ramampy Benoît réalisé en 1984 Ilo Tsy Very ou Mad 47 de Solo Ignace Randrasana réalisé en 1987 Tabataba de Raymond Rajaonarivelo réalisé en 1988 Quand les étoiles rencontrent la mer de Raymond Rajaonarivelo réalisé en 1996

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quelques années plus tard, les mêmes problèmes se sont étendus et certains se sont

ajoutés comme le phénomène de paupérisation.

Les rites et coutumes que l’on voit par les scènes de Kabary6, de retournement des

morts7, de sacrifice de zébus, sont omniprésents dans les films. Si dans nos sociétés

modernes, rites et symboles ont perdu une partie de leur capacité d’intégration,

actuellement, à Madagascar, les rites ont encore une place très importante dans le

quotidien car la religion des ancêtres est pratiquée par la moitié des Malgaches et est

connue de tous. Les croyances sont permanentes dans la vie collective et sont

actuellement en recrudescence.

Comme nous l’avons vu, les films de fictions malgaches témoignent des problèmes de

sociétés, mettent en image la culture traditionnelle. Les réalisateurs puisent également

leurs sources d’inspiration dans les faits historiques.

L’histoire est un élément fondamental de l’explication d’une culture. L’engagement du

réalisateur a pour objectif, aussi bien de dénoncer les abominations historiques, mais

aussi d’institutionnaliser ces événements en faisant connaître au public des passages de

l’histoire tombés dans l’oubli.

Les quelques films sur les événements de 19478 ont un intérêt particulier à Madagascar.

Ils sont très importants car il s’avère que la population malgache est plus instruite sur

l’histoire de la Russie, de la Corée ou de la France que sur sa propre histoire. D’où

l’intérêt de la diffusion de ces films, car les événements historiques font partie du passé

et sont souvent méconnus de tous, contrairement aux problèmes sociaux et aux rites qui

sont encore d’actualité à Madagascar.

6 : Discours poétisés et proclamés lors de chaque occasion importante de la vie. 7 : Action de changer le linceul du mort, reposant dans le tombeau familial depuis un certain nombre d’années. 8 : Le peuple malgache se soulève contre les colons français et c’est en 1947 la grande insurrection qui a fait 50 000 victimes malgaches.

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Le film a une multitude de fonctions :

- C’est un réel document de travail car il permet aux anthropologues et aux

sociologues de décrypter les codes de cette culture, d’en saisir les fondements plus

scientifiquement que lors d’une participation directe où l’émotion et la rapidité des

actions ne permettent pas toujours de saisir ou de se souvenir du détail.

- Il fixe les traditions orales. Les rites participent à la reproduction de la société. Ils

sont différents selon les sociétés et se transmettent oralement. Selon les siècles, les

rites changent, évoluent et la tradition orale ne les fixe pas dans le temps. Seule

l’image a ce rôle. Et c’est la volonté des réalisateurs malgaches, puristes, de laisser

une trace de leur culture grâce aux films.

- Le film a également une valeur éducative : il retrace l’histoire du pays.

Ce n’est pas la quantité qui fait la valeur des films malgaches mais bien le sens donné

par ces quelques réalisateurs. Le film est un support pour promouvoir la culture d’un

pays, permet de sauver la mémoire d’un peuple et est un outil facilitant l’ouverture sur

le monde. Le cinéma, grâce à ses fonctions éducatives, sociologiques et historiques

participe à l’émancipation d’un pays. Il est un vecteur pour développer la diversité

culturelle de chaque pays.

Nous pouvons d’ores et déjà constater que la Grande Ile a eu un passé culturel riche en

matière de cinéma. Cette richesse artistique est entrée dans une phase de sommeil durant

quelques années pour réapparaître à l’aube du 21ème siècle.

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Question initiale

L’histoire du cinéma à Madagascar montre que dans les années 70, cette industrie

florissante promettait un bel avenir. Un véritable « village du cinéma » avait été créé à

l’extérieur de la capitale avec des auditoriums, des ateliers … Un endroit qui aurait pu

être l’équivalent des studios de Boulogne. Les artistes et techniciens, certes peu

nombreux, se formaient, créaient, étaient passionnés par leurs métiers. La grande qualité

artistique de ces films est incontestable et aurait pu permettre à Madagascar d’être l’un

des pays actuellement en vogue en matière de cinéma. Madagascar aurait peut-être pu

avoir des heures glorieuses. Pour des raisons politiques et économiques, son

développement s’est arrêté. Nous ne nous intéresserons pas à la déconstruction de cette

industrie (en souhaitant que des historiens abordent le sujet) mais à la reconstruction de

celle-ci qui a repris son envol grâce à l’événement Cannes Junior de 2000. Malgré les

nombreux discours sur l’impossibilité de développer le cinéma à Madagascar à cause du

manque d’infrastructures et du coût élevé pour la production et la diffusion de films, il

s’avère qu’il y a des projets qui travaillent en ce sens. L’émergence du cinéma existe à

Madagascar, certes à petite échelle, mais elle existe. Il faut considérer que le

développement d’un domaine d’activité dans tout pays prend du temps, ne peut être

réalisable facilement, demande un investissement de tous et doit être une réponse aux

besoins d’une population.

En effet, une étude sociologique suite au festival Cannes Junior, qui a suscité

l’engouement de la population malgache, a permis de démontrer que la population

malgache souhaitait que le cinéma fasse partie de ses loisirs et espérait vivement

l’ouverture définitive des salles de cinéma de la capitale9.

De plus, le conflit politique de 2002 qui s’est conclu sur le changement des membres du

gouvernement a fait surgir chez les Malgaches un espoir d’ouverture.

9 : Pour de plus amples informations se référer à l’annexe IV : conclusion d’une étude sociologique inclue dans un mémoire de maîtrise de l’Institut National des Sciences Comptables et d’Administration d’Entreprise, (INSCAE. Tananarive) écrit en 2001 par Géraldine Leong Sang portant sur le thème « Le cinéma : un facteur de développement à Madagascar ? »

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Le désir de création inhibé jusqu’alors, l’envie de faire revivre le cinéma, de reparler du

septième art renaît à Madagascar. A l’aube du 21ème siècle, un tournant s’amorce.

Cependant, il ne faut pas oublier que le cinéma est un art contemporain par rapport à

d’autres arts comme la littérature ou la peinture qui ont des origines lointaines et qui par

conséquent sont nettement plus insérés dans toute culture.

Est-ce à cause de sa contemporanéité que l’on se pose la question de savoir si c’est un

art mineur ou un art majeur ?

La réponse échappe à la sociologie de l’art. On sait seulement que dès le début de sa

carrière, le cinéma, appelé « le septième art », traite des thèmes aussi divers que la

criminalité ou l’érotisme. Dans certains cas, il a une valeur éducative, dans d’autres cas,

il fait rêver et parfois, il est le sujet de polémiques. Toutes ces facettes ont retenu

l’attention des chercheurs. Certains constats sont irrévocables : comme nous l’avons vu

précédemment, il a une influence primordiale sur toute société et c’est un art qui coûte

cher. On parle d’industrie du cinéma contrairement aux autres arts pour lesquels la

notion de commerce n’entre pas directement en ligne de compte même si celle-ci est

sous-jacente et inévitable. Son exécution dépend de l’importance des capitaux qu’on

met pour le produire : il faut donc que ces capitaux rapportent, par conséquent que

l’œuvre soit vendable par l’intermédiaire de structures.

Les films supposent des budgets importants et nécessitent des infrastructures dont n’est

pas dotée l’île. Malgré cela, les faits sont réels. De nombreuses conditions laissent

envisager que la Grande Ile est prête à se lancer dans le développement du cinéma en

dépit de la conjoncture complexe à contourner. Ce qui nous incite à nous poser cette

question : « Comment et à quelles conditions l’émergence du cinéma à Madagascar

peut-elle se réaliser ? »

Suite à cette question initiale, il me semblait incontestable que ce processus de création

devait être basé sur la coopération internationale qui pouvait lui apporter des

investissements humains et financiers étrangers. Le développement du cinéma dans un

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pays sous-développé fait appel aux soutiens multiples (financier, matériel, de formation)

provenant d’opérateurs extérieurs. On peut aisément le vérifier pour Madagascar.

Pratiquement aucun projet ne peut se faire sans l’aide matérielle et humaine de

personnes étrangères ou de gouvernements internationaux. Néanmoins, les films

produits par Lights Productions sont une exception qui échappe à la règle mais nous

verrons si ce projet peut perdurer sans envisager le soutien des pays industrialisés.

Comment agir pour mettre en place un système de coopération pour que le

développement d’un domaine ait lieu et que les résultats soient positifs ? Cela ne

s’envisage pas à la légère. Le processus du développement doit être pensé et doit

s’appuyer sur des bases. Pourquoi considérer que l’art est essentiel dans l’évolution

d’une société ?

La revue de littérature qui suit est l’occasion d’aborder des études sociologiques qui

traitent ces questions. Par la suite, cette base théorique nous permettra d’établir nos

hypothèses que nous validerons ce qui nous amènera à comprendre pourquoi certains

projets furent des succès et d’autres des échecs.

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Revue de littérature

La sélection des ouvrages pour la revue de littérature s’est faite ainsi. Le livre de Roger

Bastide « Anthropologie appliquée » (Bastide, 1971) est l’un des ouvrages obligatoires

lorsque l’on fait un travail de recherche sur un pays étranger. Il nous guide sur un

chemin initiatique et il permet de comprendre que le développement doit être envisagé

comme un tout. Précurseur, Roger Bastide a orienté et dirigé des chercheurs comme

Jean-Pierre Olivier de Sardan (Olivier de Sardan, 1995) dont les recherches se sont

axées sur le continent africain.

En comparaison avec les concepts de Bastide, il me semblait intéressant de lire des

auteurs étrangers tels Lê Thanh Khôi (Lê Thanh Khôi, 1992) ou André Gunder Frank

(Gunder Frank, 1972) qui ont également traité la question du développement.

Lê Thanh Khôi, d’origine vietnamienne, est professeur émérite d’éducation comparée et

d’éducation et développement à la Sorbonne. Consultant de l’Unesco, il soutient la thèse

que la vision purement économique du développement était inefficace et que la culture

peut être la clef d’un développement holiste dont l’économie ne serait qu’un aspect. De

nombreuses références aux pays d’Asie sont mentionnées dans son ouvrage. André

Gunder Frank, d’origine allemande, a pour sa part consacré l’essentiel de ses réflexions

sur l’Amérique Latine, dont la réalité ne peut selon lui être saisie qu’en remontant à son

déterminant fondamental, résultat du développement historique et de la structure

contemporaine du capitalisme mondial : la dépendance.

C’est par l’ouvrage de Georges Balandier (Balandier, 1971) qui nous explique la

dépendance en réalisant une grille de lecture que nous avons plus aisément identifié les

attitudes des pays dominés face aux pays dominants.

Un des autres volets de ce travail est la notion de l’art dans les sociétés. Ayant trouvé

peu d’ouvrages sociologiques sur le développement de l’art dans les pays du Sud, il m’a

semblé judicieux de m’intéresser à l’art dans les sociétés industrialisées en lisant les

ouvrages de Howard S. Becker (Becker, 1988) et de Roger Bastide (Bastide, 1945) qui

donnent des repères facilement transposables d’une société à une autre.

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En résumé, dans la revue de littérature, nous dégagerons tout d’abord les valeurs

sociologiques du cinéma. Puis nous aborderons les concepts de Georges Balandier sur la

sociologie de la dépendance qui permettront de comprendre pourquoi certains projets

ont pris forme très rapidement à un moment précis. Ensuite, nous chercherons à

comprendre comment la notion de développement culturel des pays les moins avancés

est appréhendée par les sociologues d’un point de vue macroscopique.

Enfin, nous verrons par quel biais envisager le changement d’un point de vue

microscopique.

Ces quelques pages ont pour intention de donner de précieux renseignements sur le rôle

de l’art dans une société et sur la façon d’appréhender au mieux le développement avant

d’aborder le travail de recherche, corps du mémoire.

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I. Le rôle de l’art par Howard S. Becker et Roger Bastide

Il est important de définir la place qu’occupe l’art dans chaque société. Le

développement artistique passe souvent au second plan n’attirant l’attention que d’une

partie restreinte de la population alors que l’art occupe un rôle majeur dans toute société

comme nous l’expliqueront Roger Bastide et Howard S. Becker.

La fonction sociale de l’art par Roger Bastide (Bastide, 1945)

Selon Roger Bastide, l’art agit sur la vie collective et réciproquement la vie collective

agit sur l’art. Le social et l’art sont étroitement liés. L’art permet de transformer le destin

des sociétés sans oublier la réciproque : le destin d’une société transforme son art.

Par conséquent, l’art est souvent l’expression d’une société : il fait passer un message.

C’est dans cette perspective qu’il a une fonction sociale.

Pour Bastide, l’artiste trouve son inspiration et peut créer lorsqu’il est porté par

l’enthousiasme et la foi collective. Il n’y a pas de création individuelle sans une

préparation sociale et populaire préalable prévoyant la mise en place de dispositions

particulières pour qu’émerge cet art et qu’il soit accueilli par tous. Toute création

nécessite une aide de la société et sa reconnaissance par celle-ci. C’est alors que

l’homme prendra conscience de son pouvoir de création.

Paradoxalement, si l’artiste a besoin de la société pour créer, son art agit également sur

elle. L’œuvre d’art permet au public de s’ouvrir vers l’extérieur, permet à la sensibilité

collective de se transformer.

L’art permet au peuple de s’exprimer, à l’esprit critique de naître. Cependant, Bastide a

constaté que cette liberté d’expression semblait porter préjudice au fonctionnement

institutionnel car il est commun d’imposer, par les Etats qui se sentent démunis contre

cette dérive, une censure médiatique afin de soi-disant préserver l’ordre public contre les

facteurs de désorganisation.

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Le cinéma, une activité économique organisée par Howard S. Becker (Becker, 1988)

Selon Howard S. Becker, l’art, dans toute société, est amené à devenir une activité à part

entière : c’est le résultat d’un travail qui apporte quelque chose d’indispensable aux

individus et à la société.

De plus, l’activité artistique génère la création d’emplois : par exemple un film nécessite

toute une équipe, qui va du producteur à la coiffeuse. Plus l’équipe est grande, plus on

assiste à une spécialisation des métiers.

Cependant, le cinéma est un art jeune, donc une industrie jeune qui ne peut gérer ses

évolutions en interne et rester maître du jeu. Il doit faire appel non seulement à l’aide de

l’Etat mais également aux subventions privées comme le mécénat, le sponsoring ou la

coproduction. Donc, ce n’est pas un phénomène totalement autonome de l’activité

institutionnelle : le cinéma s’insère dans un circuit d’une économie monétaire privée

dans lequel le soutien officiel a le choix de s’inscrire ou non. L’auteur souligne que dans

un contexte d’industrie cinématographique déjà en place, on pense avant tout à la

rentabilité. L’Etat trouve son compte dans les objectifs susceptibles de mobiliser des

gens pour une action collective, et permet la production des objets et manifestations en

apportant un soutien actif. La forte participation financière de l’Etat se fait par le biais

d’aides financières directes (fonds de soutien) ou indirectes (bourses, centres de

recherche artistique).

De plus, l’Etat a le privilège de faire des lois à l’intérieur de son territoire donc en

apparence, il s’investit et joue un rôle de médiateur dans la réalisation d’œuvres d’art.

Le but de la législation sur la propriété artistique est de régulariser les activités

économiques des mondes de l’art et fournir un cadre juridique aux systèmes de

distribution. Par ce biais, on cherche à protéger légalement la réputation de l’artiste.

Il ne faut pas oublier que l’intérêt d’un gouvernement ne coïncide pas forcement avec

celui de l’artiste. Dans les pays riches, l’art atteste l’essor culturel et le niveau de

progrès d’une nation. Malgré les apparences, les œuvres d’art vont dans le sens des buts

poursuivis par l’Etat qui a des préoccupations variables et accorde une attention tout

aussi variable à l’art. Les gouvernements de certains pays limitent le développement de

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l’activité artistique de peur que l’émancipation intellectuelle générée par la liberté

créatrice, ouvrant sur la liberté de communication, ne nuise à la rigueur morale et

politique indispensable selon eux à la croissance économique.

Après avoir réalisé une œuvre, l’artiste doit la diffuser, trouver un mécanisme de

distribution qui la rende accessible aux personnes susceptibles de l’apprécier et qui en

même temps, le rembourse des efforts, de l’argent et du matériel investis et lui fournisse

les moyens matériels et financiers d’en réaliser d’autres. La diffusion permet d’amortir

les coûts investis et dégage des bénéfices qui participeront à la réalisation d’autres

œuvres. En général, la distribution de films implique une transaction marchande et fait

appel à des privés. Toutefois, notons que cette valeur marchande est fictive : elle est

évaluée selon la réputation de l’artiste. Plus le concepteur est renommé, plus l’œuvre

sera cotée.

Mobilisation des ressources matérielles et humaines

Les artistes utilisent des ressources matérielles et humaines indispensables à la création

d’un film. Ils les choisissent dans l’offre de ressources qui correspond au monde de l’art

dont ils font partie.

La plupart des étapes de travail pour la création d’un film ne peuvent s’improviser. Elles

exigent une certaine formation préalable pour la conception d’idées, l’exécution, les

activités de renfort, la critique. Il faut donc que des formateurs dispensent l’instruction

nécessaire à cet apprentissage. Becker souligne que les pays les plus pauvres ont besoin

également de formations académiques et de recherches fondamentales même si le

secteur artistique n’est pas prioritaire.

La formation a plusieurs avantages : elle permet de découvrir de nouveaux talents, elle

permet une meilleure répartition des rôles par la spécialisation des métiers et permet

d’accroître l’expérience de chacun. Faire la distinction entre les postes d’acteurs, de

réalisateurs, de producteurs participera à l’amélioration du travail de chacun.

Etablir des formations, c’est également mettre sur le marché du travail un « réservoir »

de personnes. L’offre de personnel est alors interchangeable et permet de travailler avec

différents corps de métiers.

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Pour que cette émergence perdure, il est primordial que la machine tourne en continu,

c’est-à-dire que les professionnels aient toujours un travail. Car c’est cet accroissement

de l’offre de service et de la demande de personnes qui favorise la création d’emploi.

Le degré de concentration monopolistique dans la production de certains biens, la

rentabilité des marchés étroitement ciblés et les besoins des artistes en matériel

spécialement conçu et fabriqué pour eux influent sur les ressources disponibles et par

conséquent sur les œuvres que les artistes produisent. Ceux-ci font entrer dans leurs

prévisions les caractéristiques et les conditions d’obtention des biens et personnels

disponibles. Ces considérations interviennent dans la mise à exécution du projet. Les

ressources disponibles permettent de faciliter l’exécution d’une œuvre d’art. Donc,

l’aspect définitif d’un film est l’aboutissement d’une exécution et d’un savoir-faire très

particulier associé à une situation de dépendance dans le fait de trouver des ressources

matérielles et humaines très spécifiques.

Mobilisation de l’action collective

Alors que les autres arts ne deviennent une industrie qu’après la création, le cinéma

comme la télévision, a le privilège ambigu de l’être d’emblée. Créer un film comporte

tout un ensemble de pratiques caractéristiques, qui vont des méthodes conventionnelles

de production jusqu’aux modes de diffusion, en passant par le choix des techniques et

par la diversité artistique. Une transformation radicale de l’une de ces pratiques peut

devenir le germe d’un monde nouveau et bouleverser un projet initial.

Afin d’éviter cela, les maisons de productions doivent, non seulement avoir la mainmise

sur les sources de financements, les publics et les systèmes de distribution, mais aussi

doivent structurer leurs fonctionnements en interne. Car ces organisations conceptrices

d’œuvres artistiques ont un rôle déterminant en participant à l’évolution du changement

dans un milieu artistique donné. Cependant, les changements qui ne parviennent pas à

conquérir un réseau de coopération ou à en créer un autre, restent sans lendemains. C’est

pour ceci que l’analyse de la transformation permet d’appréhender au mieux et de faire

évoluer la structure au sein des entreprises et de révéler la dynamique de l’action

collective.

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Toutefois, Becker pense que pour arriver à la finalité prévue, l’organisation, le bon

fonctionnement et les interactions entre les différents opérateurs doivent être efficaces

dès le début du travail.

Quelle est la solution pour organiser le travail artistique ?

Howard S. Becker explique comment la division du travail, le bon fonctionnement de la

coordination et la coopération, ainsi que les conventions participent directement à

l’aboutissement des projets.

La parcellisation du travail ou la division du travail est une donnée caractéristique dans

le domaine artistique, notamment pour le cinéma. Néanmoins, l’auteur pense qu’il faut

une limite à la segmentation des tâches contrairement au modèle américain. Dans ce cas,

le personnel employé pour un tournage de film est multiple et le travail est

compartimenté, ce qui favorise la création d’emploi mais rend plus difficile sa gestion

quotidienne. Car la répartition des tâches est dans une large mesure arbitraire et elle

n’est pas facile à modifier. Les personnes concernées tiennent généralement la division

du travail pour un fait acquis, un phénomène qui découle « naturellement » du matériel

utilisé et du moyen d’expression.

La réalisation repose donc sur l’exercice de certaines activités par certaines personnes au

moment voulu. L’indépendance de chacun est illusoire car la segmentation des tâches

n’exclut pas le travail en équipe. Et plus il y a d’intermédiaires, plus le travail est

difficilement gérable et nécessite une bonne coordination et une bonne coopération entre

les différents membres d’une même équipe.

Pour Becker, la coopération entre les acteurs est au centre de l’analyse. A la différence

des situations strictement conflictuelles, les diverses catégories de participants ont au

moins un intérêt, un but commun : celui de faire exister le type d’art concerné.

L’artiste se trouve alors au centre d’un réseau de coopération dont tous les acteurs

accomplissent un travail indispensable à l’aboutissement de son œuvre.

La coopération avec autrui est primordiale malgré la dépendance des artistes envers les

autres personnes qui imposent des contraintes techniques que les chefs de projets

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doivent accepter certaines fois à contrecœur. A l’inverse, une mauvaise coopération

entre les acteurs est souvent source de conflit.

Pour lutter contre les désaccords en interne, donc organiser la coopération entre certains

de ses participants, chaque monde de l’art a recours à des « conventions » connues de

tous (ou presque tous) les artistes.

Le concept de convention se substitue à des notions aussi familières que celles de

norme, de règle, de représentation collective, de coutume et d’habitude. Toutes ces

notions renvoient à des idées et des formes de pensées communes qui sous-tendent les

activités de coopération. Ce sont les conventions qui fixent les bases nécessaires au bon

fonctionnement d’une structure. Becker affirme que les conventions sont essentielles à

l’art. Elles permettent de coordonner plus facilement et plus efficacement les activités

des artistes et des personnels de renfort.

Donc, les conventions procurent à tous les participants aux mondes de l’art les bases

d’une action collective appropriée à la production des œuvres caractéristiques de ces

mondes. Par conséquent, les conventions nous permettent de parler d’organisation

sociale des mondes de l’art, de fonctionnement des mondes de l’art. Cependant, elles ne

sont ni rigides, ni immuables. Toutefois ne pas suivre ces conventions pour la création

accroît les difficultés de l’artiste et réduit la diffusion de ses œuvres.

La mobilisation de l’action collective se fait grâce à la division du travail qui améliore la

coordination, seulement si les conventions sont respectées. Ce qui permet de mettre à

jour et de limiter le conflit d’intérêt dans les organisations, de gérer des situations

d’incertitude et de risque et favorise l’organisation d’un monde de l’art (de sa division

interne en divers types de publics, de producteurs et de personnel de renfort) : c’est une

autre façon de parler de la distribution des savoirs et de leur rôle dans l’action collective.

Roger Bastide et Howard S. Becker s’intéressent à la fonction sociale et économique de

l’art.

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L’idée essentielle de ces théories est la suivante : pour que l’art prenne sa place dans la

société, il faut qu’autour de lui s’organise une structure, une équipe pour enclencher le

cycle « argent-création-argent-création » propre au marché de l’art.

L’organisation mise en place pour faire naître une œuvre permettra aux métiers

artistiques d’exister grâce à la rentabilité qui va en découler.

Becker pousse cette réflexion et aborde le mode d’organisation, particulier aux

différents domaines artistiques.

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II. L’analyse du rapport métropoles-colonies : sociologie de la dépendance par

Georges Balandier (Balandier, 1971)

La notion de dépendance explique le rapport entre les métropoles et les colonies.

Toutefois, la dépendance, terme générique, diffère selon les pays, varie en fonction des

considérations culturelles. C’est pour cela que Georges Balandier nous propose dans un

premier temps de définir la situation de dépendance dans laquelle vivent les pays

dominés et ensuite, d’analyser comment les individus tentent de réagir au mode de

dépendance que maintient la situation coloniale. Cette analyse des notions de

dépendances, de dominations et de soumissions permettra d’interpréter ou d’expliquer

les événements contemporains.

Comment définir une situation de dépendance ?

Balandier pense que la servitude est la source de tout progrès humain, social et

historique. Cependant, il nous suggère de faire la distinction entre la dépendance

négative ou passive et la dépendance positive ou active dont les résultats diffèrent.

La dépendance négative est acceptée ou recherchée en raison des avantages

psychologiques qu’elle apporte tandis que la dépendance positive paraît liée à une

situation sociale déterminée ressentie comme génératrice de désavantages et

provocatrice des réactions de dérobade, de refus ou de révolte.

La dépendance positive, détectée à l’occasion d’une situation nouvelle, conduit à une

prise de conscience, à l’aspiration, à un changement radical de la situation, à un

progrès et permet à des mouvements nationaux de révolte, comme l’intelligentsia ou le

mouvement de libération national, de prendre forme. Dans ce cas, l’emprise matérielle,

politique, administrative et idéologique provoquée par ce type de dépendance déclenche

un phénomène de libération dans une période de temps plus ou moins définie.

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La réaction de l’individu face à la dépendance

Comme nous l’avons vu, Balandier différencie la dépendance confortable à la

dépendance créatrice de désavantages et d’infériorités. Cette explication permet au

sociologue de comprendre comment une société passe de la soumission à la

revendication, comment la dépendance est imposée, puis désacralisée puis contestée en

raison des désavantages subis.

Comprendre ces différentes étapes a permis à l’auteur d’établir quatre types de réactions

face à la dépendance coloniale : l’acceptation passive (dictature de l’indifférence),

l’acceptation active (volonté de servir les buts de la société coloniale), l’opposition

passive (refus de l’existence ou refuge dans l’utopie), l’opposition active (s’attaque

directement à la dépendance, réorganisation des structures sociales).

Ces types de réactions font partie d’une grille d’analyse élaborée par l’auteur, elles sont

théoriques et changent ou s’adaptent selon les relations entre le dominant et le dominé.

L’ambiguïté des rapports fait que l’on peut se trouver dans différents types de réactions

dans un espace temporel très court. Paradoxalement, pour se sortir d’une situation de

dépendance, l’aide extérieure est nécessaire si elle se situe dans un cadre favorable et

devient donc une source de bienfait pour le pays dominé. Il est important dans un

premier temps d’analyser comment la dépendance est vécue par le peuple dominé afin

de pouvoir élaborer un plan de travail ou d’action qui s’adaptera à la demande du pays

dominé.

En raison de la situation historique dans les pays dits de « l’ancien champ » (anciennes

colonies et territoires sous mandat au nombre de vingt Etats), la notion de dépendance

est toujours sous-jacente dans tout projet de développement surtout lorsqu’il s’agit de

projets culturels qui prennent forme en majeure partie grâce aux initiatives françaises. Il

est important de comprendre qu’il existe différents types de dépendance qui conduisent

à une prise de conscience plus ou moins forte de la population dominée et voir comment

elle affirme son autonomie.

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III. Le développement dans les pays émergents : panorama des théories des années 70

aux années 2000

Les théories sur le développement ont suscité une controverse incessante. Pendant

longtemps le développement était appréhendé uniquement sous un angle économique.

De plus en plus cette vision est remise en question au profit d’une vision plus axée sur le

rôle de la culture dans la notion du développement. Nous verrons par l’analyse des

théories de différents auteurs quelles sont les préconisations proposées pour un

développement bénéfique.

Développement exogène ou développement endogène par Lê Thành Khôi (Lê Thành

Khôi, 1992)

Pour Lê Thành Khôi, le développement est :

- Economique car il améliore les capacités matérielles et intellectuelles de l’homme.

- Social car il élève le niveau de vie.

- Culturel car il dégage les capacités créatrices et contribue à l’épanouissement de

chacun.

Selon l’auteur, on ne peut pas analyser seulement le développement économique, social

ou culturel : il y a interaction entre ces trois domaines. L’un influe sur l’autre. Mais le

processus est alambiqué, voire contradictoire car les trois axes ne se développent pas au

même rythme. Afin d’appréhender au mieux le développement, il faut comprendre la

complexité des relations qui existe entre ces trois composantes : la culture, les agents

qui la véhiculent ainsi que les objectifs du développement.

Première composante : la culture dans la notion de développement

Le développement susceptible d’entraîner une série de transformations nécessite au

préalable la connaissance du milieu et la connaissance de ses contradictions. La

méconnaissance du pays conduit à l’échec des tentatives de développement. Ce qui

sous-tend qu’il n’y a pas un unique modèle de développement applicable à l’ensemble

des pays. C’est pour cette raison que l’expérience européenne du développement a été

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remise en cause car elle avait tendance à appliquer un modèle monolithique de

développement.

Si la connaissance du peuple dominé permet d’appliquer un type de développement, Lê

Thành Khôi souligne que la domination extérieure dépossède toujours un peuple d’une

partie de sa mémoire collective ou de son identité culturelle. L’auteur définit l’identité

culturelle comme un ensemble de valeurs communes partagées par l’ensemble de la

communauté. Ainsi, on peut parler d’identité culturelle dans un pays dont la population

est composée de plusieurs ethnies. L’identité culturelle change sous l’influence de

facteurs internes et externes et elle varie selon les époques. L’identité culturelle passe

par l’identification et la différenciation, c’est-à-dire qu’elle s’ouvre et en même temps,

elle doit résister à l’occidentalisation.

Pour l’auteur, plus la pénétration étrangère est brutale, plus la prise de conscience du

peuple dominé est rapide et c’est à ce moment-là que le besoin d’identité s’affirme en

tant que forme de résistance à l’agression. Mais, cette lutte ne peut s’affirmer que dans

les sociétés dotées d’une tradition écrite. Les sociétés dont la culture est basée sur

l’oralité et qui n’ont pas une longue tradition culturelle étatique sont dépossédées de leur

identité culturelle et sont dans l’incapacité de résoudre leurs problèmes. La colonisation

est alors synonyme de déculturation. C’est, selon l’auteur, le résultat de la destruction

par l’occident des pays du tiers monde et en particulier des pays colonisés d’Afrique et

cela serait l’une des causes qui expliquerait pourquoi ils ont raté le tournant de leur

développement.

Pour faire face à cette domination, les gouvernements des pays en voie de

développement tentent de revaloriser la culture (ensemble de création matérielle et non

matérielle d’un groupe humain) de leur pays en se réappropriant leurs identités et par

conséquent leur destin en utilisant la langue nationale. Seules peuvent se mobiliser,

s’organiser et lutter contre la domination étrangère les sociétés qui préservent leur

culture. L’émancipation d’un peuple dans les dominations d’ordre interne et externe ne

peut qu’être un long processus de prise de conscience, de lutte et d’éducation. C’est

pourquoi la culture y joue un très grand rôle tant comme force mobilisatrice que comme

facteur de stagnation.

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Deuxième composante : le rôle de l’Etat et de la société civile dans la notion de

développement

L’auteur critique la notion d’endogénéité et celle d’authenticité, théories du mouvement

culturaliste qui soutiennent que le développement se fait par le pays lui-même, c’est-à-

dire que l’activité propre du peuple est de chercher dans les valeurs de ses ancêtres

celles qui contribuent à son développement. Ce qui signifie que ces notions accroissent

le nationalisme et freinent l’ouverture des pays vers l’extérieur.

Selon Lê Thành Khôi, le développement culturel ne peut se faire sans l’aide des pays

industrialisés. Les Etats du tiers monde ont besoin de la science et de la technologie, des

prêts et des investissements qui viennent du nord. Seules, les techniques modernes sont

capables de faire sortir les pays pauvres du sous-développement.

Cependant, il faut former les hommes pour qu’ils maîtrisent progressivement ces

technologies importées afin qu’ils innovent eux-mêmes par la suite.

Enfin, pour comprendre la notion de développement, il faut comprendre les fins et les

moyens de la politique culturelle de l’Etat des pays en voie de développement.

Il existe une politique de développement implicite ou explicite interne et également une

politique internationale qui suivent les orientations diplomatiques de l’Etat bien que

l’écart soit considérable entre le discours des gouvernements et les faits. Le discours dit

qu’il faut institutionnaliser la participation des populations au développement, et la

réalité ne permet pas à la population de se mobiliser pour un même but.

Et paradoxalement, même si les populations ne peuvent se mobiliser, c’est la conscience

des masses qui fait la force de l’Etat. Cependant celui-ci n’est fort que lorsque les

masses sont informées, lorsqu’elles sont capables de porter des jugements sur n’importe

quelles questions et de prendre des décisions en toute connaissance de cause. C’est à ce

moment là que la société civile joue un rôle important car la propagation de ses idées, de

ses valeurs et de ses attitudes contribuent au développement, synonyme de coopération

collective et de cohésion sociale. C’est alors que le travailleur s’implique et s’identifie

davantage tout en contribuant au bon fonctionnement de la communauté.

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Troisième composante : les objectifs du développement

Selon Lê Thành Khôi, le développement doit répondre aux besoins de

l’homme qu’après avoir pris connaissance de ses valeurs et de ses aspirations.

En effet, la conception humaniste du développement met l’homme au centre de celui-

ci : le progrès doit se faire au bénéfice du peuple. Il est fondé sur un certain nombre de

règles et de valeurs en vue d’atteindre des objectifs à réaliser.

La détermination des besoins fondamentaux du peuple n’est que le premier pas dans la

planification du développement. A partir de ces revendications, il faut définir les

objectifs. Dans des conditions socio-politiques favorables, la population est plus à même

d’identifier ses besoins et d’y trouver des solutions grâce aux aides extérieures.

Celles-ci sont utiles mais elles peuvent aussi contrecarrer les initiatives locales dans les

prises de décisions. C’est pour cette raison que l’auteur conseille d’établir un dialogue

constant entre la population concernée et les cadres de l’extérieur.

Ce proverbe congolais résume la théorie de Lê Thành Khôi, « L’eau donnée par autrui

n’apaise pas la soif ». Un pays doit compter sur ses propres forces ou son capital

intellectuel tout en utilisant l’aide extérieure sans que celle-ci ne supplée à l’effort

endogène. Un pays doit trouver dans sa culture des caractéristiques qui expliquent sa

réussite comme on explique aujourd’hui celle du Japon par le confucianisme. Il s’agit

bien de parler d’intégration et d’échange de culture et non pas d’un compromis.

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L’anthropologie appliquée : solution du développement des pays émergents selon Roger

Bastide (Bastide, 1971)

Lorsque l’on parle de schéma de développement pour une société émergente, on peut

faire référence à l’œuvre de Roger Bastide qui décrit les différents paradigmes de

l’anthropologie appliquée, appelée aussi anthropologie générale et qui explique

comment surmonter et appréhender le processus d’acculturation, inévitable dans la

question du développement.

L’acculturation

L’anthropologie appliquée est la découverte des lois qui régissent l’évolution des

sociétés et de leur culture. Cette évolution se fait grâce au développement qui ne peut se

séparer de la notion d’acculturation.

Qu’est ce que l’acculturation ?

L’acculturation est un choc entre deux cultures qui amène des changements se faisant au

détriment de certains groupes qui naturellement résistent. Dans le processus

d’acculturation, n’importe quel trait culturel ne s’additionne pas à n’importe quel autre.

Il s’opère une sélection des acceptations, une passivité à certaines formes, une résistance

déterminée à d’autres, une adaptation des traits culturels à accepter, pour qu’ils puissent

former corps avec la culture triomphante, une modification par conséquent de leurs sens

et une métamorphose plus ou moins profonde.

Bien entendu, lorsque la fusion est opérée, il reste toujours des résidus purs des

anciennes civilisations en présence, des survivances du régime avant l’agrégation.

Toutefois, un art ne peut agir sur un autre par simple contact, il faut que le second soit

parvenu, en vertu de son évolution naturelle, à un état qui le rende sensible aux

influences du premier.

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Grille d’étude

Bastide conseille avant de prendre la décision d’opter pour tel type de développement

d’étudier la société selon une grille d’étude comprenant trois critères :

1. Le premier critère définit la présence ou l’absence de manipulations des réalités

culturelles et sociales. Ce qui permet de situer la société étudiée et de savoir dans

quel contexte d’acculturation elle se positionne.

Roger Bastide définit trois types d’acculturation :

- L’acculturation libre qui n’est ni dirigée ni contrôlée et qui entraîne un

changement selon la logique interne des cultures.

- L’acculturation forcée pour un seul groupe. C’est le cas de l’esclavage et du

colonialisme qui modifient à court terme la culture du groupe dominé pour le

soumettre aux intérêts du groupe dominant. L’acculturation est souvent partielle.

Elle est souvent un échec car il y a méconnaissance de la culture du dominé.

- L’acculturation planifiée (ou contrôlée) qui a la spécificité d’être contrôlée et

d’être à long terme. L’acculturation planifiée n’est pas un phénomène récent.

Elle s’applique à la demande d’un groupe qui souhaite voir évoluer son

développement économique. Dès les premiers contacts entre populations

européennes et populations indigènes, une stratégie s’élabore de la part des

groupes dominants qui veulent changer les mentalités, transformer les

comportements, réorganiser les structures sociales. La règle de l’acculturation

planifiée est basée sur la nécessité de prévoir les effets des nouveautés

introduites aussi bien sur la psyché des individus que sur la cohésion du groupe

et de tenter toujours d’orienter le changement en conservant les valeurs

traditionnelles, d’inscrire les modifications jugées bénéfiques dans l’ancienne

structure des relations humaines, de présenter les traits nouveaux en les

débarrassant autant que possible des adjonctions culturelles liées à la civilisation

qui leur a donné naissance.

Ce trait culturel pourra être accepté en tant qu’imitation ou addition et non en

tant que substitution ou remplacement.

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L’acculturation planifiée se situe dans le domaine de la science, telle que l’ont

définie Bacon et Comte : « savoir, c’est prévoir, afin de pouvoir ».

Bastide fera la distinction entre acculturation planifiée en système socialiste et

acculturation planifiée en système capitaliste. On verra que leurs modèles de

développement sont en opposition.

De ces trois types d’acculturation, Bastide relève une série de constantes similaires :

- Ce sont des individus qui entrent en contact les uns avec les autres et non des

cultures.

- L’acculturation ne se produit jamais à sens unique. Il y a interpénétration ou

entrecroisement de cultures.

- L’acculturation amène des changements qui provoquent à leur tour des effets en

chaîne différents selon les cultures. Par conséquent, pour pouvoir anticiper le

processus d’acculturation, il faut connaître la dialectique ou le raisonnement de

la société dominée. Par exemple, il est important de prendre en compte les us et

coutumes des sociétés traditionnelles afin de ne pas provoquer des impairs qui

pourraient être fatals dans une relation avec une tribu considérée comme

guerrière.

2. Le deuxième critère est d’ordre culturel et définit l’homogénéité ou l’hétérogénéité

des cultures en présence, c’est-à-dire qu’il analyse les points culturels en commun

entre les pays.

3. Enfin le troisième critère est d’ordre social et définit l’ouverture ou la fermeture des

sociétés en contact (langue, mentalité, religion).

Comparaison entre l’acculturation planifiée dans un système socialiste et l’acculturation

planifiée dans un système capitaliste

De cette grille de lecture découle deux sciences : la sociologie du développement (ou

l’anthropologie appliquée russe) qui provient de l’acculturation planifiée dans un

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système socialiste et l’anthropologie culturelle américaine (ou anthropologie

américaine) qui découle de l’acculturation planifiée dans un système capitaliste.

La sociologie du développement se situe dans une perspective macroscopique et

considère que les changements de la structure sociale entraînent des changements des

mentalités. Elle est non démocratique car elle impose par la force d’une dictature des

changements de structures qui influeront sur les cultures nationales, régionales ou

locales.

Au contraire, l’anthropologie culturelle américaine se situe dans une perspective

microscopique et considère que les changements des mentalités entraînent les

changements de la structure sociale. Elle s’oriente vers l’étude des petites communautés

qu’elle analyse en profondeur sous les aspects technologiques, économiques,

démographiques, politiques, religieux…

Elle est démocratique puisqu’elle veut que ce soit la communauté qui prenne la décision

du progrès et s’y engage collectivement. De plus, elle choisit ses leaders parmi les chefs

de villages (ce sont les plus aimés) qui peuvent ainsi avoir une influence car ils ont la

confiance de tous. Elle insiste sur le fait qu’il n’y a pas des cultures supérieures ou

inférieures.

En résumé, la sociologie du développement privilégie les faits sociaux au détriment des

contacts culturels. L’anthropologie culturelle américaine privilégie les contacts culturels

au détriment des faits sociaux.

L’anthropologie appliquée fait référence à ces deux courants de pensées qui selon

Roger Bastide sont indissociables. Il considère que la culture ne peut pas s’étudier

indépendamment du social et de tout autre facteur démographique, écologique,

ethnique qui joue un rôle dans le processus d’acculturation.

Pour penser le développement, on doit aussi bien changer la structure de l’organisation

que changer les mentalités.

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L’anthropologie appliquée se doit donc, avant d’apporter une modification à un système

culturel et social, de prévoir à l’avance la série continue des réactions en chaîne qui

s’ensuivront pour l’ensemble de ce système.

Telle cause entraînera tel effet, et selon que cet effet lui paraîtra « bon » et « utile »

« mauvais » ou nuisible », la personne en charge du développement empêchera cette

cause d’apparaître ou elle la provoquera tout en contrôlant son cours dans la mesure du

possible. Selon l’auteur, l’anthropologue est appelé à remplir, dans les pays dits en voie

de développement une tâche pratique, à substituer l’action planifiée aux contraintes de

la tradition, à faire triompher le rationalisme dans les continents qui avaient eu jusqu’ici

d’autres formes de connaissances, mythiques, religieuses ou purement empiriques, à

aider les groupes communautaires des paysans dispersés de par le monde à devenir des

groupes sociétaires par l’urbanisation, la rationalisation de l’économie traditionnelle et

surtout les programmations.

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Le développement du sous-développement par André Gunder Frank (Gunder Frank,

1972)

André Gunder Frank explique le développement en faisant référence à trois méthodes

d’analyse (Rostow, Nash, McClelland) du sous-développement qu’il rejettera pour

proposer une méthode contradictoire.

Le développement selon Rostow

L’analyse du développement selon Rostow s’adapte à chaque pays sans prendre en

considération l’histoire de celui-ci. Le développement est standard et adapte un schéma

idéal à chaque pays. Le cycle est constitué de cinq phases : la phase traditionnelle, la

phase préalable au décollage, la phase du décollage, la phase vers la maturité et enfin la

phase accédant à l’ère de la consommation de masse. Ces phases sont linéaires,

mécaniques et se construisent les unes après les autres grâce aux seules ressources du

pays qui contribuent au bon développement de celui-ci. Théorie qui, selon Gunder

Frank, est fausse car la plupart des pays se sont industrialisés grâce aux ressources

minières et agricoles des pays colonisés. En outre, il constate que plus l’impact est fort

entre colonisateur et colonisé, plus le pays colonisé a du mal à sortir du sous-

développement. D’après Rostow, le développement doit être basé sur l’assignation et la

récompense des rôles sociaux fondés sur la réalisation. Selon Gunder Frank, c’est

justement l’attribution des rôles qui maintient les pays sous-développés dans leur état,

c’est-à-dire que les détenteurs du pouvoir ont pour fonction de maintenir le sous-

développement face au système mondial.

L’approche diffusionniste selon Nash

L’approche diffusionniste selon Nash s’attache à comprendre comment les

caractéristiques typiques du développement sont diffusées des pays développés aux pays

émergents.

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Les concepts diffusionnistes expliquent que la résistance culturelle de certaines régions

techniquement arriérées à l’acceptation et à l’utilisation de techniques modernes

provient du fait qu’il y a insuffisance de la qualité de technologie diffusée.

Selon Gunder Frank, le développement est effectivement le résultat du binôme diffusion

et acculturation ; celui-ci ne dépend pas de la qualité de la technologie diffusée mais de

la structure sociale du pays « dominé ». En effet, pour appréhender au plus juste cette

question du développement, l’auteur considère que la structure du système social du

pays demandeur doit s’adapter aux changements internationaux, nationaux et locaux

dans le but d’éviter un conflit entre les sociétés émettrices et les sociétés réceptrices.

Pour l’auteur, la limite de l’approche diffusionniste réside dans le fait qu’elle ne se pose

pas les questions des causes et de la nature du sous-développement. Selon lui, il faut

observer le type d’aides et d’investissements étrangers et les conséquences qui en

découlent car celles-ci peuvent agir comme des agents perturbateurs de la moralité, de la

politique et de l’économie du pays demandeur.

L’approche diffusionniste montre de sérieuses déficiences théoriques car elle ne trouve

pas de réelles solutions aux problèmes. Elle se contente de penser qu’un pays peut sortir

du sous-développement par la simple diffusion de la technique. Le diffusionnisme

s’arrête à l’apparence et n’étudie pas le système dans son ensemble. Il nie l’interaction

entre les parties qui composent le système. Et c’est pour ces raisons que Gunder Frank

considère l’approche diffusionniste selon Nash comme fondamentalement inefficace en

tant que politique de développement économique et de changement culturel.

L’approche psychologique de McClelland

Enfin la troisième méthode explique comment ce développement est assimilé par la

population des pays émergents pour que ceux-ci puissent accéder au stade de pays

développés.

L’auteur fait référence à l’approche psychologique de McClelland qui considère que

c’est par le changement des mentalités du pays concerné que le développement pourra

être efficace et permettra de changer la structure sociale du pays. Un fort degré de

motivation individuelle ou de besoin de réalisation constitue l’alpha et l’oméga du

développement économique et du changement culturel. Il s’avèrera que cette théorie ne

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se révèlera pas opérationnelle car les populations concernées attendent passivement

l’aide d’origine extérieure sans en faire bon usage.

Les insuffisances (inexactitude empirique, inadéquation théorique, inefficacité

opérationnelle) de ces trois modes d’approche permettent à l’auteur de tirer les

conclusions suivantes :

- Le développement consiste à abandonner les caractéristiques ou normes

universellement acceptées pour s’adapter au particularisme de chaque pays en

prenant en considération la cohérence entre l’histoire et la réalité contemporaine du

sous-développement.

- Le développement doit tenir systématiquement compte de la diversité des sociétés

traditionnelles, donc rechercher ses sources de résistance, analyser sa structure dans

son ensemble afin de lui permettre de se situer entre sa base initiale et le

modernisme qui lui est proposé.

- Enfin, le développement doit aider les peuples à prendre en main la destruction de la

structure initiale ainsi que l’acceptation d’un autre système grâce aux changements

de leur mentalité.

Si la théorie du développement ne peut pas appliquer les trois mesures énoncées

précédemment, les pays dominants ne peuvent être à même de procéder à un

développement bénéfique pour le pays dominé, c’est alors que l’auteur préconise aux

peuples demandeurs de se développer par eux-mêmes.

L’idée principale de cette partie est que l’on ne peut pas appliquer un modèle unique de

développement qui « fonctionnerait » pareillement pour chaque pays. Chacun d’eux est

un cas particulier et une bonne connaissance de celui-ci (en prenant en compte les

facteurs sociaux, historiques, économiques et culturels du pays ainsi que son potentiel

humain) ne sera que meilleure pour la réussite du projet. De plus, il est impératif de

donner des outils à la société dominée afin qu’elle puisse procéder elle-même au

changement de sa structure sociale, ce qui lui permettra par la suite de profiter à bon

escient de l’aide extérieure.

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IV. Les modalités du développement : vision microscopique du développement selon

Jean-Pierre Olivier de Sardan (Olivier de Sardan, 1995)

Après avoir exposé des théories sur le développement d’un point de vue général, nous

allons aborder des études plus précises décrivant l’action des développeurs.

L’organisation établit des logiques d’action qui influent sur la cohérence des projets

Chaque dispositif a ses modes d’organisations propres et ses pesanteurs spécifiques

même s’il a des caractéristiques en commun comme la prise en considération du

contexte. Une action de développement est toujours l’occasion d’une interaction entre

des acteurs sociaux relevant de mondes différents dont les comportements sont sous-

tendus par un contexte qui doit être pris en considération et des logiques multiples, ce

qui permettra au projet d’être cohérent.

Le contexte de l’interaction

Le contexte écologique, économique, institutionnel, politique influe sur le projet, sur les

interactions. Il faut prendre en compte les facteurs extérieurs présents et passés. Ce qui

permet de ne pas être en rupture avec les modes d’interventions de l’Etat et ne pas se

substituer à lui ou le court-circuiter. Les contextes synchroniques et diachroniques ne

doivent pas être sous-estimés.

Les logiques inhérentes au projet

Lors de la conception d’un projet, Jean-Pierre Olivier de Sardan fait référence à deux

types de logiques : les logiques stratégiques basées sur des politiques de développement

et les logiques représentationnelles qui prennent en considération les cultures et

permettent de définir en quoi le projet est nécessaire pour chacun des groupes.

Les logiques ou stratégies ne peuvent être stabilisées à un seul niveau d’utilisation car

les comportements des acteurs se situent eux-mêmes à des niveaux de cohérences

multiples, variés, imbriqués. Les logiques d’actions les plus souvent rencontrées sont la

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recherche de la sécurité, l’assistancialisme et la logique d’accaparement. En général, un

projet permet d’apporter une sécurité matérielle, éducative aux peuples demandeurs et

tout projet, en principe, est basé sur les notions d’autosuffisance ou de self-reliance (le

fait de compter sur ses propres forces). Malheureusement, sur le terrain, on a plutôt des

stratégies inverses que l’on peut qualifier d’assistancialisme car elles préfèrent

maximiser les aides extérieures. Enfin, certains projets tombent dans des logiques

d’accaparement, c’est-à-dire que le projet est détourné à des usages personnels. Hormis

la recherche de la sécurité, les autres logiques sont bien souvent le résultat de projets

que l’on peut qualifier de non-cohérents.

Les niveaux de cohérence des projets

Pour connaître la valeur d’un projet, Olivier de Sardan nous incite à repérer un certain

nombre de cohérences entre le projet et la population concernée par celui-ci. C’est ce

qui contribuera à légitimer le projet. Sans oublier qu’au-delà de la cohérence unique

qu’affiche chaque projet sur le papier, il y a plusieurs niveaux de cohérence en partie

contradictoires :

- Il faut respecter la cohérence interne technique. Le projet doit être rationnel au

niveau technique, celle-ci doit être utilisée sans qu’elle ne demande de la part des

utilisateurs des mois de formation.

- Il ne faut pas négliger la dynamique propre du groupe. Le projet a sa propre logique

d’organisation, sa pesanteur, ses dysfonctionnements, sa culture d’entreprise.

- Il faut prendre en considération la congruence du projet avec la politique

économique nationale. Cependant, cette cohérence affichée est parfois en

contradiction avec le fonctionnement « réel » des administrations et services de

l’Etat.

- Il faut mettre en conformité les normes du projet avec les normes des bailleurs de

fonds car ceux-ci ont un droit de regard sur le projet.

Les résistances

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Les logiques d’actions mises en place pour un projet permet de montrer sa cohérence.

Mais rien n’est simple et malgré tout, des résistances apparaissent. Car un projet n’est

jamais accepté totalement. Les résistances sont de deux sortes : certaines mesures du

projet sont acceptées et d’autres sont refusées ; Jean-Pierre Olivier de Sardan appellera

cette réaction : le principe sélectif. Ou alors certaines mesures proposées par les agents

de développement sont adaptées par les utilisateurs potentiels et deviennent différentes

de celles invoquées par les experts, Jean-Pierre Olivier de Sardan appellera cette

réaction : le principe de détournement.

Les résistances ont des raisons d’être d’ordre stratégique ou représentationnelle. Elles

peuvent s’expliquer, se comprendre. Cela incite à développer au sein de toute institution

de développement ce que l’auteur appelle la compréhension explicative.

Paradoxalement, ce travail ne vient pas de l’institution : c’est le travail de l’enquête

sociologique et du rapport qui peut exister entre les chercheurs et les développeurs que

nous expliquerons dans le chapitre suivant.

Malgré tout, il faut considérer que les résistances ont aussi des effets positifs et que les

dérives, c’est-à-dire un écart entre ce qui est prévu et ce qui se passe, peuvent participer

à la réussite du projet. Il faut comprendre quelle place on accorde aux dérives et savoir

si elles sont véritablement nuisibles. Il faut évaluer l’ampleur, la nature et les raisons

possibles de ces dérives. Après cette analyse, une réorientation du projet, grâce au

soutien d’experts, est souhaitable.

La logique technico-scientifique et économique des concepteurs n’est pas synonyme de

triomphe, seuls les négociations invisibles et les compromis entre les groupes sont

vecteurs de succès.

Le lien entre la connaissance et l’action : importance du dialogue chercheurs-

développeurs

Les logiques professionnelles différentes entre les chercheurs et les développeurs ne

permettent pas d’interactions naturelles. Et pourtant la collaboration entre eux paraît

indispensable.

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Deux logiques professionnelles différentes

Le rapport entre développeur et chercheur permet de tenir compte des différences entre

leurs systèmes de normes, de reconnaissances, de légitimités et de contraintes. La

connaissance et l’action mobilisent des registres de légitimation quasi

incommensurables. La connaissance se construit par une lutte sans cesse renouvelée

contre l’erreur, par la critique méticuleuse, la polémique intellectuelle, la vigilance

théorique et méthodologique, la remise en cause permanente des acquis. L’action, au

contraire, est faite d’arbitrages, d’ambiguïtés, de compromis, de paris, de volontés,

d’urgences.

Le chercheur se garde d’y croire, le développeur en a besoin. Le chercheur se veut

désintéressé, le développeur revendique d’avoir les mains dans le cambouis. Le

chercheur exige du temps, le développeur n’en a pas. Le chercheur veut observer les

processus sociaux, le développeur veut les orienter ou les contrôler.

Le chercheur est confronté à une telle complexité des phénomènes sociaux qu’il doit

recourir à des rationalités multidimensionnelles, non linéaires et non déterministes. En

revanche, les développeurs se situent pour l’essentiel dans une rationalité technique où il

convient d’aboutir à des décisions.

Le chercheur développe souvent un point de vue critique et distancié par rapport aux

projets auxquels les développeurs s’identifient. Il faut trouver un champ d’observation

qui englobe aussi bien le travail des développeurs que celui des chercheurs.

Enfin, les sciences de la société d’un côté, les métiers du développement de l’autre, sont

régis par des systèmes de normes et de valeurs professionnelles de nature différente. Les

procédures de reconnaissance sociale des chercheurs sont liées à leurs publications, à

leurs relations avec leurs pairs ; ils bénéficient d’une autonomie très importante et

travaillent dans un rythme de longue durée. Du côté des développeurs, l’identité

professionnelle est plus problématique. Les critères qui règlent les carrières ne sont

guère dépendants de la qualité de la personne. Le temps alloué est faible, et la

discrimination entre ce qui relève des systèmes de contrainte et ce qui renvoie à une

marge de manœuvre semble particulièrement difficile à opérer.

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Quels types de collaborations peut-on envisager ?

Ce descriptif nous laisse présumer que la collaboration entre les deux acteurs sociaux

n’est donc pas évidente. Pour atténuer ce fossé, Jean-Pierre Olivier de Sardan propose

quatre solutions envisageables ensemble ou séparément :

- Pratiquer le décloisonnement entre les deux métiers par l’échange et l’ouverture des

domaines de compétences afin de chercher la bonne solution.

- Le chercheur ne doit pas abandonner sa logique de recherche au profit d’une logique

d’évaluation. Il n’est pas rare que les besoins des développeurs soient plus axés sur

l’évaluation que sur une recherche aboutissant à des hypothèses.

- Opter pour la recherche-action. Toutefois, il est important de faire attention à ce que

toute recherche-action se soumette simultanément aux règles de la recherche et à

celles de l’action, sous peine de n’être qu’une mauvaise recherche et une mauvaise

action. Il faut prendre en considération que la disparition des frontières est une

illusion.

La recherche-action, côté recherche, doit être participante tout en étant extrêmement

vigilante sur des conclusions trop subjectives. Répondre à un cahier des charges fixé

par d’autres sont des contraintes qui peuvent effrayer le chercheur. Il ne doit pas

pour autant renoncer à son savoir-faire.

La recherche-action, en tant qu’action, est soumise aux deux principes : celui de

sélection qui accepte ou refuse certaines mesures du projet et celui de détournement

qui adapte certaines mesures proposées lors d’un projet aux appétences personnelles

des usagers.

- Enfin l’utilisation d’un modèle « contractuel » qui définit précisément les

interactions et la collaboration à suivre.

En résumé, il faut que les chercheurs et les opérateurs s’accordent pour définir une zone

nettement circonscrite d’interactions et de collaborations, sans renoncer à leurs identités

spécifiques. Les deux parties négocient ensemble les termes de référence de la recherche

par une confrontation, sur un domaine précis, de leurs logiques respectives.

Ceci n’a donc rien de très extraordinaire ni révolutionnaire, c’est le principe même

d’une interaction entre des personnes ayant reçu une formation de haut niveau et des

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personnes ayant une véritable expérience de terrain. Il faut envisager une solution afin

de s’adapter favorablement aux exigences spécifiques de tout pays en développement.

Les projets de développement doivent être ouverts, évolutifs, auto-adaptables, souples,

capables de réagir et prendre en considération les réactions du milieu.

Les programmes de développement dans les pays émergents font l’objet de nombreuses

critiques. Ils ne donnent pas toujours entière satisfaction. Pour optimiser le rendu, les

sociologues recommandent d’améliorer l’organisation des structures et d’instaurer un

véritable dialogue ou processus de travail entre les personnes de terrains et les

décisionnaires. Alors, les revendications faites par les chefs de projets auront un

véritable impact sur la cohérence du programme et participeront à sa réussite.

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Synthèse de la revue de littérature

Suite à cette revue de littérature, l’élaboration d’une synthèse nous permettra de dégager

trois axes de réflexions qui participeront à la construction de la problématique et des

hypothèses.

La première idée aborde le thème de l’interdépendance entre le développement culturel,

social et économique.

Becker et Bastide relèvent qu’il y a un lien entre l’art et le social et entre l’art et

l’économie. L’art agit sur la vie collective et la vie collective agit sur l’art, sans oublier

que les objectifs du développement culturel doivent répondre aux besoins de la société

civile. Lê Thành Khôi ajoute que le développement doit se faire selon la politique du

pays qui est dictée, non pas comme on le croit, par l’institution (gouvernement) mais par

la société civile.

De plus, pour que l’art prenne vie, il doit faire appel à des structures dirigées par des

équipes de gens formés à différents corps de métiers. S’ils ne sont pas formés, il faudra

mettre en place des formations techniques et artistiques. Le développement culturel

s’appuie sur un circuit économique tout en le dynamisant.

Lê Thành Khôi indirectement souligne le lien qui existe entre l’art et l’identité culturelle

par cette phrase : « les cultures basées essentiellement sur l’oralité ont de grandes

chances de perdre leur identité ». Mettre en image ou mettre par écrit certains faits

consiste à préserver l’identité des pays.

Si le développement culturel, tout en s’appuyant sur un système économique déjà

existant, améliore la vie de chacun et préserve son identité, Lê Thành Khôi précise que

les interactions entre le développement économique, social et culturel existantes sont

complexes à comprendre par le fait que ces trois domaines de développement ne vont

pas à la même vitesse, qu’ils sont plus ou moins visibles et se situent dans un espace

temps différent. C’est-à-dire qu’un projet culturel peut être axé sur le social ou

l’économique sans pour autant que la relation entre les trois domaines soit linéaire.

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Le second axe de cette revue de littérature met en évidence l’importance des interactions

entre tous les partenaires (nationaux et internationaux) pour qu’il y ait développement

culturel tout en fixant des limites à ces échanges pour que ceux-ci ne rendent pas les

demandeurs dépendants.

Becker et Bastide sont persuadés que le travail d’un artiste ne peut être considéré

comme tel que s’il est vu par la société civile. L’art ne peut pas vivre en autarcie d’un

point de vue économique et social. En effet, la vente d’une œuvre permet de continuer à

travailler. Quel est l’artiste qui continue à produire sans que personne n’ait vu ses

œuvres ?

L’art a besoin de partenaires apportant des ressources matérielles, humaines ou

financières. L’organe qui permet de réguler l’action de tous ces partenaires est l’Etat par

le simple fait que c’est lui qui dicte les lois et a le pouvoir d’autoriser ou d’interdire.

Ce qui induit que l’art est loin d’être un domaine autonome. Il est dépendant du monde

extérieur (national ou international).

Cette notion de dépendance selon Balandier n’est pas forcement négative et peut même

être le moteur du changement. Il nous explique que, soit l’être humain en tire des

avantages et reste dépendant c’est ce qu’il appellera la dépendance négative, soit l’être

humain se sent désavantagé et suite à une prise de conscience, il provoquera un

changement radical de la situation : c’est ce qu’il appellera la dépendance positive qui

peut aboutir à la liberté. Ce qui revient à dire que le dominant a un impact positif, ignoré

à première vue, sur les pays dominés.

Cette réflexion soutient l’idée de Lê Thành Khôi que tout développement ne peut être

endogène et que chaque pays a besoin de l’extérieur (la technologie …). Gunder Frank

ajoute que certaines fois les dirigeants des pays en voie de développement font très

mauvais usage de cette aide extérieure, à croire qu’ils préfèrent maintenir le sous-

développement de leur pays.

Paradoxalement, dans cette relation de dépendance, Lê Thành Khôi insiste sur le fait

qu’il faut apprendre au peuple à être autonome tout en prenant en considération les

résistances des peuples dominés. Plus l’apport de l’extérieur est fort, plus la résistance

est grande. En fait, chaque peuple a une identité culturelle qui s’ouvre et en même temps

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résiste à l’extérieur. C’est ce que Bastide appellera « l’acculturation » ou le choc de

deux cultures. Malgré ce choc, pour qu’il y ait cette rencontre, il faut qu’il y ait

ouverture et adaptation entre les cultures. Cette résistance se perçoit dans la façon dont

les peuples ont besoin d’affirmer leur identité en réutilisant la langue nationale, afin de

préserver leur culture tout en abandonnant rapidement la langue officielle.

Le rapport qui existe entre autonomie et dépendance provoqué par les apports

techniques, financiers de l’extérieur est très compliqué dans la notion de

développement.

C’est pour cette raison que Roger Bastide et Lê Thành Khôi préconisent impérativement

la connaissance de la culture de l’autre. André Gunder Frank précise que le

développement doit prendre en compte l’histoire du pays. Ce sont des éléments qui

permettront lors d’un projet de développement d’utiliser tel ou tel processus. Bastide est

plus précis et établit une grille de lecture qui permet d’analyser la société dans laquelle

on va travailler. Il est impératif, selon lui de se poser les questions suivantes :

- De quels types d’acculturation s’agit-il : libre, planifiée, forcée ?

- Est-ce qu’il y a des points culturels en commun entre les deux cultures ?

- Est-ce que les cultures sont proches au niveau social (langue, mentalité, religion) ?

Tous ces éléments permettront d’opter pour une ligne de développement particulière à

chaque projet car les auteurs certifient, unanimement, qu’il n’y a pas de schéma type de

développement.

Un des axes importants relevé dans la revue de littérature aborde le thème de la

cohérence des projets.

Pour Roger Bastide, tout développement fait appel à la sociologie du développement qui

est basé sur le changement social (le changement des structures entraîne le changement

des mentalités) et à l’anthropologie culturelle qui est basée sur le changement culturel

(le changement des mentalités entraîne le changement des structures). Pour l’auteur, les

deux types de développement sont nécessaires, ils ne peuvent pas être dissociés. Pour

penser le développement, on doit tout en changeant la structure de l’organisation

changer les mentalités. Ceci dit le véritable but est d’amener une solution aux problèmes

et de ne pas seulement penser comment on va concevoir le changement.

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André Gunder Frank est d’accord avec l’idée d’une part, de changer les structures

sociales et d’autre part, de changer les mentalités. Toutefois, il préconise en premier

d’adapter la structure du système social des pays dominés avant d’utiliser les techniques

modernes. Ce qui permettra ensuite de changer les mentalités.

Prendre en compte les particularités des pays, analyser leurs structures de

fonctionnement, aider les peuples à prendre en main le changement, comprendre les

causes du sous-développement, comprendre les interactions entre les parties sont les

axes de travail du pilote en vue de trouver des solutions aux problèmes. S’il ne peut pas

remplir ces conditions alors tout développement s’avère inutile et les peuples doivent

trouver la solution par eux-mêmes.

Olivier de Sardan aborde le changement avec la notion de cohérence et de logique au

sein du projet. Chaque projet s’appuie sur des interactions entre des acteurs qui

s’appuient sur des logiques qui elles-mêmes s’appuient sur des mesures cohérentes

après avoir pris en considération le contexte passé et présent.

Il existe selon lui deux types de logiques : les logiques stratégiques basées sur des

politiques de développement et les logiques représentationnelles qui prennent en

considération les cultures et permettent de définir en quoi le projet est nécessaire pour

chacun des groupes.

Malheureusement, malgré la mise en place de logiques de développement normalement

basées sur la recherche de la sécurité, les résultats ne sont pas ceux que l’on prévoyait au

début. On rencontre souvent des logiques ou les gens sont assistés, où les gens

détournent les projets.

Ce résultat signifie qu’il n’y a pas eu de cohérence entre les mesures établies, c’est-à-

dire de synergies avec l’Etat, d’ententes avec les pourvoyeurs de fonds, de cohérences

organisationnelles et techniques dans le groupe.

Appliquer toutes ces conditions veut dire qu’il faut surmonter de nombreuses

contradictions, et malgré tout, il y a des résistances. Ce qui est normal et même positif.

Il y a aussi des dérives dont il faut analyser les conséquences. Certaines peuvent être

nuisibles, d’autres non. Même si chacun doit avoir sa place dans un processus de

coopération comme l’explique Howard S. Becker, tout ne se passe pas comme on l’a

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prévu car le développement n’est pas mécanique puisqu’il y a interactions entre des

individus.

Olivier de Sardan souligne que le dialogue entre les chercheurs et les développeurs est

important dans la réussite d’un projet. Toutefois, il est difficile d’établir une

harmonisation de leur travail. Cela provient du fait qu’ils sont dans des logiques

professionnelles différentes et complémentaires. Il n’y a pas d’interactions naturelles et

pourtant la collaboration est indispensable. Le chercheur est dans une logique non

rationnelle, non linéaire. Le développeur est dans une rationalité technique : aboutir à

des résultats. Le chercheur est autonome et le temps alloué n’est pas compté. Le

développeur n’est pas autonome et le temps est compté. Pour faciliter leurs rapports et

leurs quêtes d’un développement considéré comme juste, Olivier de Sardan envisage des

solutions comme le décloisonnement entre les deux métiers, la recherche-action dans le

but de définir une zone d’interaction et de collaboration qui les incitera à sortir de leur

domaine de compétences et à dépasser les normes de chacun des métiers.

Cet échange n’est pas évident mais il est indispensable. Les projets de développement

doivent être ouverts, évolutifs, auto-adaptables, souples, capables de réagir et prendre en

considération les réactions du milieu. Pour Becker, la réussite du projet est due à la

mobilisation, l’organisation et la coopération des acteurs ainsi que le respect des

conventions. Cela signifie que la réussite d’un projet, pour lui, tient plus à l’individu

qu’à la logique des mesures qu’il prend.

Toutes ces réflexions nous ont permis de faire ressortir des règles sur la façon d’aborder

le développement culturel, ce qui nous donne des éléments pour construire notre

argumentation et répondre à notre question initiale « comment et dans quelle mesure

l’émergence du cinéma à Madagascar est-elle réalisable ? »

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Problématique

A ce stade de la recherche, nous avons retracé l’histoire du cinéma à Madagascar. Ce

qui nous a amené à découvrir qu’après un début prometteur le cinéma a rapidement

décliné pour renaître dans les années 2000. Puis, il nous est apparu indispensable de

décrire le panorama actuel du cinéma. Il en découle que ce 21ème siècle est à l’origine

d’un changement, véritable tournant dans l’histoire du cinéma à Madagascar, ce qui

nous a incité à nous poser cette question « comment et dans quelle mesure l’émergence

du cinéma à Madagascar peut-elle se réaliser ? »

Tous les projets actuels bénéficient d’aides humaines et financières nationales ou

internationales. Est-ce que cela signifie que ces aides sont utilisées à bon escient ? Tous

ces projets participent-ils activement à l’émergence du cinéma à Madagascar ? Tous ces

projets recevant des aides sont-ils des succès ? On aurait tendance à dire que par

principe tout style d’action est bénéfique pour le secteur concerné. Et si cela n’est pas

forcement le cas, pourquoi ?

Par définition, une aide est un appui que l’on porte à quelqu’un pour faire quelque

chose. Ce n’est pas parce qu’il y a des décisions prises dans tel domaine qu’elles sont

forcement bénéfiques pour le développement de celui-ci. Toute aide n’est pas

automatiquement profitable au développement.

Et de subodorer lors du premier voyage à Madagascar que certains projets ne

fonctionnaient pas comme ils auraient dû et que d’autres projets ont pris une réelle

envolée et ont eu un impact impressionnant sur le public malgache. Ce travail permettra

de vérifier si ces hypothèses s’avèrent justes.

Avant d’expliquer la teneur des projets et pour faciliter leur étude, il est préférable de

classifier les projets. On peut dégager trois grandes catégories de projets :

1. Les projets instaurés par les organisations internationales et régulés par le

gouvernement malgache afin d’institutionnaliser l’activité cinématographique. Ces

projets que l’on appellera « projets de type 1 » prennent en compte le projet

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d’archivage, le projet du fonds de soutien, le projet de la protection des droits

d’auteur.

2. Le projet privé malgache que l’on appellera « projet de type 2 » qui concerne les

activités de Lights Productions.

3. Les projets étrangers semi-privés que l’on appellera « projets de type 3 » comme le

projet de la Maison de l’Eau de Coco en majeure partie financé par le

gouvernement espagnol, le projet de Cannes Junior financé par le gouvernement

français, enfin le projet de film Makibefo financé par des capitaux privés anglais.

Tous ces projets sont à la base d’initiatives privées et financés par des organismes

publics ou privés.

Notons que les projets de type 2 et 3 sont des actions ponctuelles tandis que les actions

de type 1 s’inscrivent plus dans un programme à long terme prévoyant un processus de

légitimation de l’activité cinématographique.

Le but de ce mémoire est de répondre à cette question : les projets de type 1, 2, 3

participent-ils à l’émergence du cinéma à Madagascar ?

Pour pouvoir argumenter, nous allons analyser chaque catégorie de projets et voir s’ils

répondent aux trois hypothèses que nous avons définies à partir des idées principales de

la revue de littérature qui sont les suivantes :

- Le développement nécessite des interactions entre le culturel, le social et

l’économique.

Nous nous poserons la question de savoir si les types de projets 1, 2, 3, sont des projets

à double finalité : ont-ils une autre finalité que le développement culturel ?

A quelles attentes répondent-ils ? Pourquoi sont-ils bénéfiques ? Pourquoi ont-ils du

sens ?

- Le développement culturel est issu d’interactions entre tous les partenaires

(nationaux et internationaux) sans toutefois que ces échanges ne rendent les

demandeurs dépendants et dépourvus de toute autonomie.

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Nous nous poserons la question de savoir si les types de projets 1, 2, 3 incluent plusieurs

partenaires et nous analyserons la relation qui s’établit entre eux. Pourquoi sont-ils dans

des situations de blocages ? Pourquoi les projets ne peuvent-ils pas évoluer ?

- Le développement doit s’appuyer sur des projets dont la logique est cohérente.

Nous nous poserons la question de savoir si les types de projets 1, 2, 3 ont une logique

particulière. Sont-ils cohérents dans un pays comme Madagascar ? Comment faire pour

que les projets s’inscrivent dans un cheminement opérationnel et par ce fait, ne se

heurtent à aucune rigidité structurelle ? La façon de mettre en place les projets est-elle

fonctionnelle ?

Toutes ces observations nous permettront de mieux appréhender le développement.

L’analyse des projets nous dira s’ils respectent les hypothèses qui apparaissent comme

les trois axes fondamentaux dans la notion du développement selon les sociologues

étudiés.

Avant de répondre en détail à cette problématique, il est maintenant temps d’exposer la

méthodologie suivie pour mener à bien ce travail.

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Méthodologie

Cette partie permettra de comprendre pourquoi j’ai choisi ce sujet et comment j’ai dirigé

mon travail sur le terrain.

I. Le choix du sujet

Lors d’un premier voyage à Madagascar en janvier 2000, j’ai assisté au festival Cannes

Junior et j’ai été touchée par l’engouement des spectateurs qui ont pu assister pour la

première fois de leur vie à une séance de cinéma en salle.

Ce moment magique chargé d’émotion m’a fait prendre conscience qu’il était important

de travailler sur ce sujet. Ce qui se révéla exact lorsque j’y suis retournée quelques

années après, durant 3 mois, de janvier à avril 2002, dans le but de rencontrer « les

acteurs de la société civile » concernés par le sujet de l’émergence du cinéma à

Madagascar. Ils m’ont aidée à réaliser ce travail en m’apportant de précieux

témoignages. La fructueuse coopération qui s’est établie entre nous a consolidé mon

intuition. Néanmoins, une série de questions me venait à l’esprit continuellement,

alimentant le doute que l’on peut avoir lors de cet exercice face aux réflexions

encourageantes des bonnes âmes attentionnées. Pourquoi faire un travail sur le

développement culturel dans un pays qui est considéré comme le dixième pays le plus

pauvre de la planète ? Les raisons sont multiples. D’une part, comme je l’ai expliqué, il

y a une réelle attente de la société civile d’accéder à ce loisir et d’autre part, j’ai évolué

dans ce domaine d’activité professionnelle durant une dizaine d’années et en connais les

rouages.

Est-ce illusoire de penser qu’à long terme cette activité artistique ne sera plus en marge

mais sera légitimée ? Est-ce illusoire de penser que le cinéma pourrait devenir un loisir

journalier et non plus un événement exceptionnel dans la Grande Ile ?

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II. Démarche inductive

Le travail de terrain ou d’observation a duré 3 mois : trop courte période pour

s’imprégner totalement d’une culture autre que la sienne mais en partie suffisante pour

faire un relevé de données et une série d’interviews.

Mon devoir se basait sur le fait d’obtenir une vision la plus proche de la réalité et sur le

fait de ne pas déformer les interprétations de mes interlocuteurs. L’observation est à la

base de deux démarches qui visent à vérifier la pertinence des idées : la démarche

inductive et la démarche déductive. Induction et déduction se mêlent étroitement dans

notre vie quotidienne et nous y avons recours tout le temps.

J’ai opté pour une démarche inductive, c’est-à-dire que je suis partie de faits particuliers

spécifiques pour aboutir à des relations de portée générale. On observe, et de cette

observation, on en tire des conclusions. Cette démarche est plus fréquemment utilisée

par les anthropologues que par les sociologues dans le sens où la nature d’un terrain

étranger ne peut être connue sans y avoir séjourné. C’est seulement après avoir pris

connaissance de l’autre que la possibilité de rattacher l’analyse perçue à certaines

théories est réalisable.

Cette méthode est différente de la méthode déductive qui applique un principe général à

des situations particulières : on affirme des faits et ensuite on va voir sur le terrain s’ils

sont vérifiés ou non.

La méthode inductive est viciée si les éléments examinés ne constituent pas un

échantillon représentatif de l’ensemble des éléments visés. Cette démarche se nourrit

d’intérêt, de curiosité pour observer la réalité sans oublier que les observations sont

affectées par la personnalité de l’observateur. Les inférences dégagées doivent être

néanmoins exactes, elles doivent être fiables, crédibles et validées. C’est dans ce

contexte qu’il est important de s’imprégner de la dialectique de la société à observer.

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Travail d’observation

Je suis arrivée à Madagascar durant un conflit politique qui a certainement donné une

teneur particulière à ce travail. Madagascar a frôlé la guerre civile. Le renversement du

pouvoir en place ne s’est pas transformé en coup d’état mais en une véritable lutte

pacifique. En prenant du recul, faire un travail de recherche dans ce contexte a été

véritablement à double tranchant : il est évident que j’aurais pu me heurter à une

résistance de la part de la population malgache étant donné que dans ce tournant

historique le gouvernement français habituellement très présent dans la Grande Ile n’a

pas répondu aux attentes de la société civile et du nouveau gouvernement. Malgré cette

situation incontrôlable qui aurait pu nuire à ce travail, il s’est avéré que le peuple

malgache s’est dévoilé sans difficulté et a été très coopératif, ce qui a facilité mon

insertion dans la culture malgache ainsi que la compréhension de leurs attentes et de

leurs désirs. Cet événement quasi unique fut l’occasion de partager des moments

privilégiés au contact d’un peuple en pleine émancipation.

Méthode d’observation participative

Il était impératif de participer à la 3ème édition de Cannes Junior prévue fin janvier 2002

car ce fut l’occasion d’assister à l’unique rencontre cinématographique de la Grande Ile.

Chaque matin, durant une semaine, des débats ont été organisés ce qui m’a permis de

rencontrer les personnes concernées par le développement du cinéma à Madagascar,

d’établir des liens avec les professionnels malgaches, d’être à l’écoute des problèmes

rencontrés et de leurs souhaits. Ne pas participer à l’événement national le plus

important de l’île en matière de cinéma alors que je fais un travail de recherche sur ce

même sujet aurait altéré ma crédibilité aux yeux des personnes interviewées.

Entretiens semi-directifs et non-directifs

Les personnes choisies pour les entretiens ont marqué le paysage audiovisuel et

cinématographique malgache durant ces quarante dernières années. Il était nécessaire de

rencontrer un panel de personnes. Les unes pouvant dans un premier temps me retracer

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l’histoire du cinéma à Madagascar et les autres, dans un deuxième temps, pouvant

m’expliquer l’expérience de leur projet à l’heure actuelle.

Voici une liste présentant la fonction des interviewés dans les organisations :

- Directrice du Cinémédia (anciennement le CMPFE) qui produisait et diffusait les

films de 1969 à 1986. Actuellement l’activité du Cinémédia est réduite au projet de

sauvegarde du patrimoine cinématographique.

- Directrice Adjointe du Consortium Cinématographique Madagascar qui possède la

plupart des salles de cinéma à Madagascar.

- Délégué Général Adjoint des Alliances Françaises qui apporte son soutien aux

événements culturels de l’île.

- Directeur du Centre Culturel Albert Camus (CCAC), qui est le seul centre culturel

français à Madagascar.

- Chargée de Projets Culturels du Centre Culturel Albert Camus (CCAC).

- Directeur de la communication de Lights Productions, société de production qui

réalise des films malgaches de fictions en vidéo.

- Délégué Général Cannes Junior, fondateur du festival Cannes Junior qui dépend du

festival de Cannes.

- Directeur de Chrysalide, la société de communication qui produit l’événement

Cannes Junior.

- Directeur de la Maison de l’Eau de Coco, ONG qui vise à réinsérer les personnes en

difficultés.

- Consultant en communication et ancien Ministre de la Culture.

- Directrice du festival du cinéma malgache.

- Directeur du festival du documentaire.

Il était également très important de confronter le point de vue des artistes malgaches

avec le point de vue des artistes européens. Dans ce but, j’ai réalisé une série

d’entretiens avec des réalisateurs malgaches de vidéo, des réalisateurs malgaches de

cinéma, des acteurs malgaches, des comédiens malgaches et des réalisateurs européens.

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Les entretiens se sont déroulés en trois temps. En voici la trame :

- J’ai commencé par un entretien semi-directif élaboré suivant un guide d’entretien

composé de quelques questions ayant une portée générale. Ces questions sont les

suivantes :

Peut-on parler d’émergence du cinéma à Madagascar actuellement ?

Quelle est la place de l’art dans la société malgache ?

Comment envisagez-vous le développement du cinéma à Madagascar dans les

prochaines années ?

- Puis j’ai abordé des questions plus précises sur la nature des projets. Ces questions

sont les suivantes :

Pouvez-vous me parler des actions menées par votre société depuis sa création ?

Comment ces actions ont-elles participé à la relance du cinéma à Madagascar ?

Avez-vous relevé des points forts et des points faibles dans les actions mises en

place ?

Quelle est la relation que vous avez établie avec les différents partenaires ?

- Puis peu à peu, ces questions ont laissé place à un entretien non-directif qui prenait

l’allure d’une conversation.

Chaque entretien m’a demandé une préparation particulière selon la personne

interviewée. Au moment où je sentais mon interlocuteur à l’aise, j’en profitais pour me

détacher de l’entretien semi-directif afin d’opter pour l’entretien non-directif et

seulement relancer la personne sur les propos émis.

Ce travail est extrêmement difficile car l’intervieweur doit être dans une position

d’écoute et sentir le moment opportun pour relancer la personne, ce qui suppose

d’enregistrer les entretiens afin d’améliorer la concentration, après avoir demandé

l’autorisation aux interviewés.

Il n’est pas rare d’avoir passé des demi-journées avec mes interviewés qui m’ont avoué

avoir oublié la situation problématique de leur pays en parlant de leur passion.

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III. Utilisation du matériel

Suite à chaque interview, a suivi directement le travail de retranscription dont j’ai

dégagé les idées principales. Chaque interview a nourri ma réflexion, a construit mon

raisonnement, a alimenté d’autres entretiens.

Ce travail fut effectué mécaniquement, quotidiennement, méthodiquement.

Cette analyse de contenu m’a permis de dégager les points faibles et les points forts de

la plupart des projets.

Parallèlement, des rencontres et des lectures ont continuellement entretenu la réflexion.

Ces trois mois ont été une véritable chasse à l’information, une écoute, une envie de

comprendre une autre culture et non comme on pourrait l’imaginer une balade dans l’île

rouge !

De retour en France, j’ai continué le travail théorique en partie commencé avant le

voyage. Ces nombreuses lectures m’ont permis de dégager des hypothèses confortant

l’analyse préalablement établie.

Et puis vient le moment de commencer le travail de rédaction après avoir pris

intentionnellement un peu de recul par rapport au sujet.

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Démonstration

Reprenons les principales idées exposées jusqu’à présent avant d’aborder les hypothèses

:

- Actuellement, un des axes de la politique culturelle française est de promouvoir la

diversité culturelle de tout pays en vue de développer son identité pour faire face à

l’unicité et l’uniformisation créées par la mondialisation.

- Bien que l’activité cinématographique ait été en déclin, il semblait intéressant de

réaliser un travail sur l’émergence du cinéma à Madagascar car les projets en cours

laissent envisager une reprise de ce secteur culturel qui est soutenu par la population

malgache désireuse d’accéder à un loisir qui lui a été si longtemps interdit.

- Cette étude porte sur différents projets. Pour pouvoir travailler plus aisément, une

classification des projets a été établie en prenant comme critère la provenance des

aides. Il en résulte trois types de famille : les projets des organisations

internationales relayés par le gouvernement malgache, les projets privés malgaches

et enfin les projets étrangers dont les sources de financements sont semi-publiques.

- Du travail de terrain est issu une série d’interviews qui a permis d’analyser la

situation du développement dans ce cas précis.

- Du travail théorique sont issues trois pistes de recherches qui donnent naissance aux

hypothèses de la problématique.

Ce travail nous permettra de comprendre pourquoi certains projets dynamisent ou sont

un frein au développement du cinéma à Madagascar après les avoir traités au travers de

ces 3 hypothèses :

- Le développement suppose une interdépendance entre le développement culturel,

social et économique.

- Le développement culturel est issu d’interactions entre tous les partenaires sans

toutefois que ces échanges ne rendent les demandeurs dépendants et dépourvus de

toute autonomie.

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- Le développement doit s’appuyer sur des projets ayant une logique cohérente.

La confrontation entre les paradigmes sociologiques et les témoignages des

interlocuteurs malgaches (que l’on trouvera en italique dans le travail) nous permettra de

vérifier le bien-fondé théorique.

Mais avant, décrivons les projets que nous allons étudier.

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Projets de type 1 : Les projets des organisations internationales relayés par le

gouvernement malgache

La sauvegarde du patrimoine culturel

Dès 1969, le Centre Malgache de Production de Films Educatifs (appelé Cinémédia en

1986), société nationale, produisait et diffusait des films dans les salles louées au

Consortium Cinématographique. A l’époque, le public était au rendez-vous, ce qui

assurait une certaine rentabilité. Les dirigeants du Cinémédia voulaient investir les

bénéfices que faisait la société dans la construction d’une salle pour ne plus dépendre du

Consortium Cinématographique et devenir enfin propriétaire. L’Etat n’a pas approuvé

cette idée. En 1996, le Consortium Cinématographique ne voulant plus diffuser de films,

suite aux désaccords avec le Cinémédia, interrompt ses activités. N’ayant plus aucune

activité lucrative, le Cinémédia licencia quasiment tout son personnel (il ne garda

qu’une personne) et dut déménager dans des locaux plus petits. Cette structure possédait

un fonds de ressources important (environ 4 000 heures de films malgaches et étrangers)

qui ne fut ni entretenu, ni archivé faute de personnel et de moyens financiers. A cette

époque, une des priorités internationales fut la mise en place d’un plan d’action afin de

sauvegarder le patrimoine culturel pour que chaque pays conserve des documents sur sa

culture dans le but de faire ressortir la diversité culturelle du monde entier. En 1995, le

programme pour Madagascar prévoyait de sauver le patrimoine cinématographique en

péril. Plus concrètement, le Cinémédia a dû remplir un formulaire dans lequel les

dirigeants devaient faire un état des lieux de leurs besoins ainsi qu’un budget

prévisionnel. Hélas, ces initiatives prises concernant l’archivage des films détenus par le

Cinémédia n’ont pas abouti.

La protection et le reversement du droit d’auteur

Le droit d’auteur consiste en la reconnaissance du droit exclusif de l’auteur à disposer

de son œuvre, à titre gratuit ou onéreux, et de l’exploiter selon son libre arbitre, en

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exerçant les prérogatives morales que lui reconnaît la loi. Les droits des créateurs

d’œuvres littéraires et artistiques (par exemple les livres et autres œuvres écrites, les

compositions musicales, les peintures, les sculptures, les programmes informatiques et

les films cinématographiques) sont protégés par le droit d’auteur pour une durée

minimale de cinquante ans après le décès de l’auteur.

En matière de droit d’auteur, Madagascar est signataire des principales conventions

(Berne, Paris, OMPI, OMC). La société de gestion collective de droits d’auteurs qui

gère la perception et la distribution des bénéfices tirés de leur exploitation économique

et réalisés par de tierces personnes (reproduction et communication publique) quand

ladite exploitation ne peut être gérée de façon individuelle par le titulaire en raison de sa

complexité et de son étendue, s’appelle l’Office Malgache du Droit d’Auteurs (OMDA).

Sa date de création, selon les dirigeants, daterait de 1995. Cependant il m’a été

formellement confirmé par des expatriés français que cette société aurait été créée

auparavant.

L’OMDA a été créée à la fois pour assurer la défense du droit d’auteur et pour répondre

aux nécessités pratiques des usagers. Il s’avère que la rétribution financière dont a droit

chaque artiste lors de chaque diffusion de son œuvre n’est pas versée. En résumé, les

règles de droit dictées par l’OMPI sur la protection des œuvres cinématographiques, ne

sont pas appliquées.

La mise en place d’un fonds de soutien pour le développement du cinéma national.

A l’exemple du Centre National du Cinéma (CNC) en France, le fonds de soutien

malgache au développement cinématographique national a été créé en début d’année

2001 après la ratification du décret 2000-113. Cette initiative du gouvernement

malgache a vu le jour suite au festival Cannes Junior où une table ronde était consacrée

aux outils de relance du cinéma national. Le fonds est un établissement public à

caractère administratif, placé sous la tutelle technique du Ministère de l’Information, de

la Communication et de la Culture (MICC) et sous la tutelle financière du Ministère du

Budget et de celui chargé des Finances.

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Ce budget provient de subventions allouées par l’Etat10, des droits de tournages11

prélevés sur des productions étrangères ainsi que du droit d’agrément sur les

exploitations cinématographiques (5% du prix des tickets d’entrée doivent être reversés

au fonds). En tant qu’outil d’aide et de relance cinématographique, le fonds finance

jusqu’à hauteur de 30 % tout projet de création et de production d’œuvres

cinématographiques ainsi que toute activité de développement de l’industrie

cinématographique sur le territoire national. Depuis sa création, le fonds n’a encore fait

l’objet d’aucune sollicitation.

10 : 7000 euros, chiffre 2001 11 : 17 000 euros, chiffre 2001

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Projet de type 2 : Le projet privé malgache

Lights Productions

Lights Productions est une société privée malgache créée en 1997-1998. Cette entreprise

individuelle exerçait une activité de vente de marchandises générales. A partir de 2000,

l’entreprise se transforma en S.A.R.L, et ses activités se diversifièrent. Elle s’orienta en

partie vers des montages de publicité et des tournages de clips. Puis les dirigeants ont

utilisé les marges bénéficiaires pour se lancer dans leur passion : la production de films

de fiction. Et en février 2001, cette entreprise de 25 salariés produit son premier film en

vidéo « Raharaha 254 ».

Un an après, la société a déjà tourné 10 films12 : « Raharaha 254 », « Vato Mandoro »,

« Ainga I », « Ainga II », « Kenda », « Ralaitavin-Dravad », « Ambala Masoandro »,

« Ody Aina », « Inspecteur Setra », « Ady Saritaka ».

Deux ans après, la société comptabilise 18 films (se sont rajoutés : « Soalandy », « Izaho

Irery » « Mananjiry » « Misitery Mbinina » « Boky Mainty » « Tsimbadika 00 » « Tsy

Azoko » « Mitonatonana ») et prépare une série intitulée « Sangodimpanina » de 150

épisodes dont le tournage devrait se terminer fin avril 2003 pour ensuite être diffusée

par la télévision nationale (TVM). Les films sont en malgache.

12 : Les films sont en langue malgache, cependant voici la traduction des titres : « Raharaha 254 » ou « Affaire 254 », « Vato Mandoro » ou « Pierre brûlante », « Ainga I » ou « Départ I », « Ainga II » ou « Départ II », « Ody Aina » ou « Remède de la vie », « Ady Saritaka » ou « Conflit et désordre », « Soalandy » ou « Belle soie », « Izaho Irery » ou « Moi seul », « Boky Mainty » ou « Livre noir », « Sangodimpanina » ou « Etourdissement ».

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Projets de type 3 : Les initiatives privées ponctuelles

Cannes Junior

Cannes Junior, festival cinématographique qui existe à Madagascar depuis 2000,

est considéré comme l’événement majeur cinématographique de la Grande Ile.

C’est une initiative privée française soutenue financièrement par le Ministère des

Affaires étrangères français.

La manifestation se déroule en trois temps :

- Un jeu concours

Deux cents collégiens malgaches de quatrième, sélectionnés par le ministère de

l’enseignement secondaire et de l’éducation, visionnent un film et écrivent une

critique à l’issue de la projection. Un jury, composé de professeurs malgaches,

présélectionne 20 candidats (copies corrigées par l’association malgache des

professeurs de français). Un second jury indépendant procède à la sélection finale

des lauréats de ce concours et nomme les membres choisis comme « jury Cannes

Junior Antananarivo » suite à un entretien oral avec un jury français et malgache

qui évalue la capacité des candidats à défendre leurs opinions, leurs goûts et leurs

intérêts pour le cinéma. La composition de ce jury (environ 5 personnes) est

dévoilée lors de la soirée inaugurale du festival.

- Le festival international du film

Une sélection internationale de quatorze films dont six en compétition est

proposée gratuitement au public au cinéma Rex et au cinéma du Centre Culturel

Albert Camus. Ce ne sont pas des films destinés spécialement au jeune public. On

compte 23 séances. Le jury attribuera le grand prix du festival, le prix spécial du

jury et la mention spéciale du jury lors de la soirée de clôture.

Des tables rondes réunissant des professionnels du cinéma malgache et européen

se déroulent tous les matins durant la période du festival. De nombreux thèmes y

sont abordés permettant d’avoir une véritable réflexion sur la relance du cinéma à

Madagascar. Ces tables rondes sont ouvertes au public.

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- Le festival de Cannes Junior en France

En mai, les membres du jury et un accompagnateur malgache sont invités au

festival Cannes Junior (qui dépend du Festival International du Film de Cannes)

en tant que jury officiel de Cannes Junior et participeront à l’ensemble des

manifestations et à la vie de cette édition.

Chaque année, cette manifestation se déroule également sur le même schéma dans

d’autres pays. Citons les principaux : l’Algérie, le Liban, la Turquie, la Slovaquie, l’Ile

Maurice, l’Italie.

L’espoir du délégué général est que l’organisation du festival soit relayée par les

institutions locales dans le but que cet événement ne soit pas à la base d’initiatives

françaises et que tous les pays s’approprient un à un cette manifestation.

La Maison de l’Eau de Coco

« La Casa del Agua de Coco » est une ONG espagnole créée en 1994. Son siège est à

Grenade. Elle a ouvert récemment une délégation à Madrid. Son objectif principal est de

réinsérer dans la société les familles les plus pauvres afin qu’elles retrouvent dignité et

qualité de vie. Elle a commencé son action au Cambodge à Battambang, puis s’est

développée à Madagascar dans la ville de Fianarantsoa en 1996 et enfin au Brésil à

Salvador de Bahia en 2001.

Après 10 mois de formation (hygiène, santé), les familles sont logées dans des maisons

traditionnelles qui deviendront leur propriété après l’avoir remboursée durant 5 ans

grâce au travail (artisanat, bâtiment) procuré par l’ONG.

Les aides financières que reçoit cette organisation sont injectées en majeure partie pour

la coopération qui reste relativement différente selon les pays. En effet, l’ONG adapte sa

politique de développement en prenant en considération le contexte socio-économique.

Si le développement social est à l’ordre du jour pour chacun des pays, un des volets du

développement à Madagascar comprend le développement culturel avec la réhabilitation

des salles de cinéma, alors que la politique de développement au Brésil est axée sur le

domaine sanitaire avec le projet de construire un hôpital.

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A Madagascar l’action de la Maison de l’Eau de Coco a permit d’ouvrir les salles de

cinéma de Fianarantsoa, de Tuléar et de Mahajanga (capitales provinciales). L’ouverture

des trois autres salles de l’île est en projet. Non seulement les salles ont été réhabilitées

mais la Maison de l’Eau de Coco prévoit des projections ponctuelles de vidéo, gratuites

pour les plus pauvres ainsi que des projections régulières payantes pour les populations

des villes de province.

Des programmations scolaires sont également prévues, elles sont suivies de débats, ce

qui incite les jeunes à s’ouvrir et s’affranchir sur des sujets alors inconnus, à prendre

position lors de discussions.

Diffuser des films par le biais de la vidéo est une première étape beaucoup plus

accessible financièrement qu’une diffusion en 35 mm.

Makibefo

Le film « Makibefo », est l’adaptation de Macbeth de William Shakespeare. C’est un

long métrage, tourné en super 16 mm, réalisé grâce à des subventions privées anglaises.

L’idée de ce film date d’octobre 1998 et trois semaines plus tard, l’équipe de tournage

composée initialement de deux personnes, un réalisateur anglais, également initiateur du

projet et un ingénieur du son débarquent sur l’île avec leurs équipements et se dirige à

Faux Cap, un petit village de pêcheur, au sud de Madagascar. Les acteurs ont été

recrutés dans le vivier local, c’est-à-dire au sein des trois familles de pêcheurs de Faux

Cap qui sont issues de l’ethnie « Antandroys ». Le village est isolé, sans électricité ni

téléphone et les habitants n’ont jamais vu ni films, ni télévision. Mais cependant ils ont

bien voulu participer à l’aventure. La règle du jeu était de partir du canevas de Macbeth,

d’improviser et de recréer la pièce devant la caméra. Dans un premier temps, il a fallu

former les pêcheurs au travail d’acteur car pour cette occasion, ils ont abandonné

provisoirement leur métier pour devenir des comédiens et se laisser diriger par le

réalisateur. En contrepartie, ils ont reçu un salaire journalier équivalent à ce qu’ils

auraient gagné avec leur métier. De plus, les droits d’auteurs sont reversés à une

association, créée pour l’occasion, pour acheter du matériel de pêche plus performant.

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Le tournage a duré 6 semaines en dehors de la période de formation des acteurs et des

techniciens recrutés pour renforcer l’équipe de tournage. Le montage du film, fait en

Angleterre, a duré 2 ans et sa première sortie en salle a eu lieu en France, en octobre

2001. Le film a été également diffusé dans toute l’île où il a remporté un franc succès.

Une dizaine de projections a regroupé près de 6000 spectateurs.

Fort de cette expérience, l’initiateur du projet prévoit de la renouveler au travers

d’autres actions.

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Hypothèse I => Le développement suppose l'interdépendance entre le développement

culturel, social et économique

Après une première analyse effectuée sous forme de tableau, nous pouvons déjà

constater que les projets de développement du cinéma à Madagascar ont soit une finalité

culturelle, soit une finalité économique, soit une finalité sociale. Nous allons démontrer

que notre hypothèse est en partie validée car l’émergence du cinéma à Madagascar

s’appuie sur l’interdépendance entre le développement culturel, social et économique.

Toutefois certains dysfonctionnements laissent envisager qu’il manque des éléments

pour que ce schéma soit totalement performant.

Nous détaillerons dans cette partie les observations faites dans le tableau ci-joint.

Hypothèse 1 : Le développement suppose l'interdépendance entre le développement

culturel, social et économique

Faits Aspects négatifs

Projets de type 1

Finalité essentiellement culturelle

Analyse � Conformité avec le droit international

� Promouvoir l’identité malgache.

� Pas de respect des règles en vigueur � Structures fantômes � L’Etat applique une logique de censure

Résultats � Engendre la démotivation des acteurs

Projet de type 2

Finalité essentiellement économique

Analyse � Le cinéma est un bien de consommation

� Rentabilité � Faire du cinéma coûte que coûte

� Problème structurel � Manque de professionnalisme

Résultats � Donne de l’espoir aux citoyens

Projets de type 3

Finalité essentiellement sociale

Analyse � Plusieurs finalités � Relance du lien social � Projet citoyen � Le développement s’appuie sur

des structures � Le développement s’appuie sur

des expériences

Résultats � Réponse à des besoins sociaux

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Projets de type 1 : Préserver et promouvoir l’identité du pays, une finalité culturelle

Rappelons que les projets de type 1 existent grâce aux initiatives des institutions

internationales et sont relayés par le gouvernement malgache à l’exception du fonds de

soutien qui est une initiative du gouvernement malgache en prenant comme modèle le

mécanisme du fonds de soutien français. Les projets de type 1 ont été mis en place pour

préserver l’identité culturelle du pays, ils ont donc une finalité principalement culturelle.

Par la sauvegarde du patrimoine culturel

C’est en puisant dans le patrimoine que les peuples trouvent les repères de leur identité

et la source de leur inspiration. Le patrimoine mondial matériel agit comme un stimulus

pour la mémoire de chacun. Il cristallise dans ses manifestations la spécificité d'une

culture ainsi que sa vocation à l'universel.

Actuellement, le Cinémédia emploie une personne qui se bat pour avoir du personnel

afin de parer au plus urgent : l’archivage et la conservation des films. En effet, selon

elle, « nous avons entre 3000 et 4000 bobines répertoriées de 20 à 25 minutes chacune,

de films en 35 mm et 16 mm. Il reste environ le même nombre de bobines à répertorier

ce qui demande deux ans de travail pour une personne seule. Le problème est que je

vais prendre ma retraite d’ici quelques mois. Les archives se détériorent de jour en

jour en raison du taux d’hygrométrie élevé qui nécessiterait des soins particuliers, hélas

les bobines sont entreposées à même le ciment, car suite à la cessation des activités et

au changement de locaux, rien n’a été mis en place alors les films sont entreposés pêle-

mêle à même le sol »

La directrice du Cinémédia, sachant qu’elle ne pourrait pas supporter seule la charge de

travail afin de sauvegarder le patrimoine cinématographique avant son départ, a fait

appel aux projets de sauvegarde du patrimoine culturel en péril mis en œuvre par une

organisation internationale. La procédure était la suivante : après avoir rempli l’estimatif

demandé, elle l’a envoyé pour validation à un des membres du gouvernement qui l’a

retourné à l’organisation internationale afin qu’elle démarre le programme. Suite à cette

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action, rien ne s’est débloqué et ce projet n’a pas abouti. Il s’avère que la directrice du

Cinémédia n’est pas réellement certaine qu’il n’y ait pas eu une interruption dans la

procédure.

On pourrait se poser la question de savoir si les raisons principales de cet échec ne

viendraient pas du fait qu’il n’y ait pas de rentabilité économique immédiate pour le

gouvernement malgache et du fait que ce programme aurait un coût que le

gouvernement ne pourrait pas supporter. Ce raisonnement n’apparaît dans aucun

entretien. De plus, ces projets sont financés par des fonds internationaux et par

conséquent ne font pas appel au budget national.

Il ressort des entretiens que c’est plutôt une prise de position politique. Rappelons qu’en

1969, le Centre Malgache de Production de Films Educatifs (appelé Cinémédia par la

suite), structure de production et de diffusion nationale, comptait 50 personnes. Alors

rentable à cette époque, le but du centre était non seulement d’avoir une activité

cinématographique par la production et la diffusion de films mais aussi d’être un centre

de ressources accessible à tous. Les bénéfices auraient pu permettre d’investir dans un

lieu de diffusion qui aurait rendu autonome cette organisation vis-à-vis du Consortium

Cinématographique qui possédait les salles de cinéma. Non seulement le gouvernement

a refusé d’investir dans une salle de cinéma mais a fait en sorte que le budget versé se

volatilise : « du jour au lendemain le budget a disparu ». Il apparaît nettement que le

gouvernement a participé activement à l’effondrement de cette structure.

Lors des entretiens, ma question fut la suivante : « pourquoi n’avez vous pas essayé de

recontacter cette organisation ? » La réponse fut « attendons des jours meilleurs et le

changement du gouvernement, même si le gouvernement n’est pas officiellement opposé

à la culture, il faut considérer que le développement culturel n’a jamais été une priorité

politique depuis 1975 »

Et d’ajouter « quiconque n’avance pas recule », ce qui signifie que plus on attend pour

mettre en place ce programme de sauvegarde du patrimoine, plus les films se détériorent

et plus l’enthousiasme s’éteint.

Quelles sont les raisons qui poussent le gouvernement à agir ainsi ?

Il en résulte que la démotivation est tellement grande qu’on a plus l’impression qu’il

faut tourner la page et que l’espoir ne pourra revenir que grâce à l’action d’un nouveau

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gouvernement qui sera à même d’envisager plus concrètement le développement

culturel.

Par la protection du droit d’auteur

La protection des droits d’auteurs est fondamentale pour le développement des

industries culturelles. Le rôle du droit d'auteur étant mal compris dans nombre de pays,

les organisations internationales encouragent les gouvernements à adopter des mesures

propres à favoriser la créativité et à accroître la production des œuvres littéraires,

scientifiques, musicales et artistiques nationales, dans le but de réduire la dépendance

vis-à-vis des savoir-faire étrangers. Un premier pas dans cette direction consiste à leur

prêter concours dans l’élaboration de législations et de politiques d’application

appropriées et à les inciter à adhérer aux diverses conventions internationales relatives à

la protection du droit d’auteur et des droits voisins. Concrètement, la protection de la

propriété intellectuelle sert à protéger les œuvres artistiques, permet la recherche de

nouveaux talents, respecte le travail des auteurs, assure la rémunération de la création,

permet la production de nouvelles œuvres, contribue à protéger l'emploi, favorise la

création et évite qu’elle ne se perde.

Si dans un premier temps, la finalité est culturelle car elle incite à la création, dans un

second temps, elle est également économique. Du fait de la mondialisation rapide de

l'économie, les pays tant industriels qu'en développement estiment de plus en plus que la

protection de la propriété intellectuelle constitue un élément essentiel du développement

économique et de la prospérité. Toutefois, tous les pays ne cherchent pas à renforcer

leurs réglementations dans ce domaine, et celles-ci varient considérablement d'un pays à

un autre.

Comme nous l’avons vu, Madagascar est signataire des conventions visant au respect du

droit d’auteur et a ouvert une structure qui gère le droit des auteurs. Cependant elle est

considérée comme « une structure fantôme » aux yeux de la population malgache. Lors

des tables rondes durant le festival cinématographique, les réponses aux questions

posées aux dirigeants n’ont pas donné les précieux renseignements attendus. Il n’est pas

rare d’entendre « je suis allé me renseigner pour déposer mon script mais on m’a dit

que ce n’était pas là et on n’a pas pu me donner plus d’informations ». La question que

se posent les artistes est de savoir comment faire pour que leurs œuvres soient

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protégées. Qui pourrait leur venir en aide ? Cette structure est nationale et l’on sait que

le gouvernement est considéré comme le champion du piratage : « il faut dire la vérité

telle qu’elle est : le premier responsable de la législature (qui se termine) du Ministère

de la Culture et de la Communication avait une station radio et une télévision qui

étaient championnes du piratage. A partir de là, comment ce département peut

s’occuper des problèmes de droit alors que le premier responsable à titre privé est le

premier pirate de la place ? Donc ça c’est un grand problème. » Et d’ajouter, « le grand

chantier qui va devoir se faire est le respect du droit, il faut que les règles soient

claires à quelques niveaux que cela soit. »

Il est courant pour les artistes de renom de fuir leur pays d’origine pour exercer leur art

dans un pays où ils sont certains de défendre leurs droits. Il en va de même pour les

grands laboratoires pharmaceutiques qui n'envisagent pas d'investir à Madagascar (qui

possède une flore et une faune d'une grande richesse) tant que le droit de la propriété

intellectuelle n'y est pas respecté.

Par conséquent, la corruption, le piratage a été un frein pour les investisseurs étrangers.

Alors pour se faire une raison, certains pensent que tant qu’il n’y a pas de véritable

économie du cinéma dans l’île, le droit ne pourra pas être respecté et ils se disent

« qu’en France, l’organisation est rôdée, ce qui lui permet d’être légale ».

Toutefois, soulignons que les institutions étrangères implantées sur le territoire

malgache reversent les droits d’auteurs et demandent la kyrielle

d’autorisations (l’autorisation du Ministère de l’Intérieur, l’autorisation de la commune

urbaine de Tananarive, l’approbation du Ministère de l’Information, de la

Communication et de la Culture) pour diffuser des films afin de vérifier s’ils sont « de

bonnes mœurs ».

Dans un pays comme Madagascar, la faiblesse du système ne permet pas au droit

d’auteur d’avoir une finalité économique qui aiderait à bâtir un cadre favorisant la

production d’œuvres tant que le secteur n’est pas légitimé.

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Par le fonds de soutien

Le fonds de soutien a pour but d’appuyer financièrement (à hauteur de 30 % du budget

total) les initiatives locales de réalisateurs de cinéma même si le projet bénéficie déjà du

soutien d’autres partenaires qu’ils soient publics ou privés.

La gestion des fonds revient aux représentants de différents ministères mais aussi à un

représentant de l’association des créateurs de l’audiovisuel. Cette mesure a été établie

dans le but de développer la production nationale. C’est une politique conventionnelle

visant à développer la coopération entre l’Etat et les structures de productions, afin de

faire du secteur cinéma-audiovisuel un véritable pôle de développement culturel et

économique local.

Selon les dirigeants, le fonds n’a pas fait l’objet de sollicitations et pourtant il

semblerait que des demandes aient été faites. De toute façon, les professionnels

malgaches considèrent qu’il est préférable de n’avoir aucun lien avec l’institution

nationale car ils la tiennent responsable du déclin du cinéma dans la Grande Ile. Ils ne

peuvent pas se persuader que le gouvernement puisse revenir sur ses décisions et soit

enfin prêt à soutenir le domaine artistique : « je fais comme si l’Etat n’existait pas,

d’ailleurs il n’existe pas dans ce domaine-là, donc moi je fais toujours comme si l’Etat

n’existait pas. C’est tout. Ce n’est pas la peine de réfléchir. »

Le manque de volonté politique afin de promouvoir la culture est un frein à son émergence

Que pouvons-nous dire à travers ces exemples ? Il apparaît clairement que le

gouvernement malgache est en conformité avec les demandes des organisations

internationales qui ont fixé des règles afin de promouvoir la diversité culturelle. A

priori, ce n’est pas un problème structurel puisque des organismes institutionnels ont été

mis en place.

Ces projets devraient permettre de promouvoir la culture du pays, mais les résultats

envisagés ne se produisent pas.

Est-ce que l’Etat malgache suit ce modèle décrit par Roger Bastide : « un Etat a les

moyens de contrecarrer l’émancipation de son peuple. En effet, l’art permet au peuple

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de s’exprimer, à l’esprit critique de naître et pour limiter cette dérive il est commun

d’imposer par les Etats une censure médiatique afin de soi-disant préserver l’ordre

public contre les facteurs de désorganisation. » ?

Référons-nous à la Charte de la Révolution Socialiste Malagasy tous azimuts du 26 août

1975, « l’information qu’elle soit écrite, parlée ou audiovisuelle, doit donc aider à la

réalisation des objectifs fondamentaux de la révolution tels qu’ils ont été définis. C’est

un moyen privilégié d’éducation du peuple, d’organisation des masses, de diffusion des

idées. A ce titre, elle doit stimuler l’esprit révolutionnaire, le civisme, le dynamisme de

la population, propager et expliquer les lois et directives du pouvoir révolutionnaire

parmi le public, inciter le peuple à appliquer les mesures prises par les autorités dans

l’intérêt des masses. L’information audiovisuelle est aussi délicate à manier car les

spectateurs interprètent subjectivement, donc différemment ce qu’ils voient. D’où

l’importance particulière que revêt ce moyen d’information, télévision, théâtre, cinéma,

parce qu’il sollicite tous les sens et peut avoir un caractère décisif dans la mesure où son

objectif est mis en relief de façon convaincante. C’est la raison pour laquelle le pouvoir

révolutionnaire a cru bon de nationaliser immédiatement la production, l’importation et

la distribution de films cinématographiques. »

A cette époque, le Ministère de la Culture s’intitulait « le Ministère de l’Idéologie »

Tout porte à croire que l’Etat impose son monopole, non pas comme on pourrait le lire

en sortant de l’ombre et en créant une société d’édition de disques, ou même une société

pour produire des films cinématographiques mais bien en considérant que le cinéma

n’est pas un loisir mais un outil de propagande politique ne servant qu’à diffuser des

films orientés. Par ce fait, la politique culturelle de l’Etat a activement participé au

déclin du cinéma qui a suivi. Cependant, comme il a été dit lors des entretiens « nous ne

sommes plus dans une période de révolution socialiste, alors pourquoi rien n’a bougé

depuis 1975, pourquoi ces textes sont-ils encore d’actualité ? »

Il appartient à l’Etat de légitimer ce secteur d’activité afin de pouvoir préserver ou

promouvoir son identité culturelle.

Comme nous l’avons vu dans la revue de littérature, le développement culturel doit

s’appuyer sur un circuit existant. Pour l’instant, le point commun entre ces trois projets

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est qu’il n’y a pas une réelle volonté institutionnelle de légitimer le domaine artistique,

de promouvoir ce domaine d’activité même si la création du fonds de soutien pourrait

nous faire penser le contraire. Certains professionnels ont relevé que cette initiative était

positive : « on ne peut pas dire que l’Etat applique une censure, car il est à l’origine du

fonds de soutien ». On expliquera par la suite pourquoi cette initiative n’a eu aucun

impact sur l’émergence du cinéma à Madagascar.

Dans ce contexte, les projets n’ont pas eu l’impact prévu en raison d’une conviction

politique qui n’a pas dit clairement qu’elle optait pour la censure mais qui a fait tout

comme. L’émancipation d’un peuple passe par le biais artistique ; dans un régime

totalitaire ce biais est banni.

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Projet de type 2 : le cinéma de Lights Productions comme un bien de consommation

Dans les pays industrialisés, l’industrie cinématographique s’appuie sur deux logiques

économiques.

La stratégie des producteurs se distribue entre deux limites qui ne sont, en fait, jamais

atteintes. La première limite est la subordination totale et cynique à la demande et la

deuxième limite est l’indépendance absolue à l’égard du marché et de ses exigences.

A un pôle, la logique économique qui fait des biens culturels un commerce comme les

autres, confère une priorité à la diffusion, au succès immédiat et temporaire et se

contente de s’ajuster à la demande du public.

A l’autre pôle, l’économie de l’art pur (anti-économique) qui, fondée sur la

reconnaissance obligée des valeurs de désintéressement et sur la dénégation du

commercial et du profit, privilégie la production et ses exigences. Cette production ne

reconnaît d’autres demandes que celles qu’elle peut produire elle-même. A long terme,

elle est capable d’assurer des profits économiques.

D’un coté, on a des entreprises à cycle de production court visant à minimiser les

risques par un ajustement anticipé à la demande et de l’autre côté, des entreprises à cycle

de production long fondé sur l’acceptation du risque inhérent aux investissements

culturels.

Le cinéma malgache de la première génération privilégiait le domaine artistique tout en

parlant de thèmes d’actualité comme nous l’avons vu dans le chapitre « perspectives et

panorama du cinéma ». Actuellement, la situation est différente.

Le projet de type 2 se situe dans une logique économique qui fait des biens culturels un

commerce avec la particularité que cette stratégie n’est pas réellement adaptée aux

conditions sociales et économiques de la Grande Ile.

Pour assurer une production nationale de films de fiction en vidéo équivalente à une

dizaine de films par an, les dirigeants de ce projet ont opté pour une stratégie qui est la

suivante : « dans un premier temps, il s’agit d’amener le public malgache dans les

salles obscures pour qu’il revive ou pour qu’il découvre la magie du septième art. Pour

ce faire, le but était de réaliser des films accessibles à tous les publics, cela exclut les

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films historiques, les films sur la culture traditionnelle et les films que l’on pourrait

considérer comme films d’auteurs. L’objectif était de répondre à la demande du public

fervent amateur de films d’arts martiaux venus d’Asie et des Etats-Unis. Cette

mobilisation du public permettrait à la société de rentabiliser ses films et d’être

totalement autonome financièrement. »

En 2002, un an après le début de cette initiative, il s’avère que les films de Lights

Productions n’ont pas été rentabilisés. Le coût moyen d’un film est de 13 000 euros qui

n’a pas réussi à être amorti malgré les nombreuses séances et les prix oscillant entre

0,42 et 0,85 euros, ce qui équivaut au prix de location d’une cassette vidéo pour la

journée. Effectivement, la société civile curieuse de voir des films malgaches s’est

déplacée lors des diffusions en salle mais en aucun cas, ce public ne s’est fidélisé. En

effet, la jeunesse malgache a été enthousiaste de voir des films nationaux en langue

malgache mais il semblerait qu’elle soit peu satisfaite sur le rendu des films car elle a

l’habitude de voir de nombreuses productions américaines et asiatiques du même style

sur le petit écran.

Puis dans un deuxième temps, l’objectif était « de s’ouvrir à l’étranger dans une

période de un an et pourquoi pas de concurrencer les films américains »

Le cinéma, en général, n’est pas un produit commercial sauf aux Etats-Unis où la

conception des films américains relève d’une stratégie de marketing utilisée dans le

domaine commercial. La majeure partie des films est rentabilisée dès sa sortie nationale

en salle. Néanmoins, il faut garder en mémoire que certains films ont été déficitaires13.

Les films « à succès » privilégient le thème (grands événements historiques) et les effets

spéciaux. Produire ce type de films nécessite des budgets faramineux.

Lors des interviews avec les dirigeants de la SARL, il s’est avéré que les objectifs

initialement prévus, n’étaient pas atteints. Les espoirs d’un développement rapide et

autonome du cinéma à Madagascar s’effondraient.

Etant conscients que « leurs films devaient être aussi professionnels que les films

étrangers », il leur semblait souhaitable de mettre en place des formations pour les

techniciens et pour les acteurs, acteurs rencontrés et qui étaient en accord avec cette

prise de position. La question qu’ils se posaient était de trouver le moyen de mettre en

13 : « Water World » de Kevin Costner.

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place des formations sans l’aide du gouvernement. Comment pouvoir concurrencer ces

films lorsque les conditions financières, techniques et humaines sont précaires, alors que

l’on parle à l’issue de chaque colloque de former les gens aux techniques, à l’écriture du

film de fiction et au métier d’acteur ?

Ils m’ont avoué aussi s’être lancés dans la production de films « les yeux fermés, sans

aucune réflexion ». Mais c’était pour eux l’occasion de faire revivre le cinéma si

longtemps abandonné. Ils savaient que la réflexion ou un plan d’action totalement

cohérent ne les inciterait pas à prendre ce type de décisions et leur envie de produire des

films était telle qu’ils devaient coûte que coûte tenter l’expérience.

Aux yeux de tous, leur initiative est respectable même si elle s’avoue être en partie un

échec. Toutefois, il transparaît qu’elle a su donner un souffle incontestable au

redémarrage du cinéma à Madagascar. Leur volonté d’investir dans la production a été

le déclic qui a redonné de l’espoir au public et aux professionnels malgaches. Lors des

entretiens, les dirigeants de la société m’ont dit qu’ils envisageaient de se repositionner

sur le marché cinématographique en abandonnant l’idée d’obtenir une rentabilité

immédiate : « la qualité va être privilégiée sur la quantité ». Toutefois, ils se posaient la

question de savoir si cela pouvait être envisageable tant que le secteur n’était pas

légitimé par l’institution malgache. Comment faire pour sortir de cette précarité ?

Comment faire pour que les professionnels du cinéma puissent suivre des

formations techniques, artistiques et administratives ?

A la lecture des derniers articles de presse datant d’avril 2003, il semblerait que la

société n’ait pas encore changé de stratégie. Néanmoins, les objectifs de fidéliser le

public et d’assurer une rentabilité à court terme sont réalisés. Les films sont projetés en

salle sur des périodes plus longues ce qui permet d’amortir les coûts de production.

De plus, les dirigeants s’orientent vers la production de téléfilms qui seront diffusés par

la télévision nationale malgache (TVM), ce qui garantit un partenariat économique

solide. En ce qui concerne le souhait de réaliser un cinéma plus professionnel permettant

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de s’ouvrir sur l’extérieur, aucune mesure n’a été prise. Cette prise de position a été

abandonnée provisoirement.

Les raisons de la logique à court terme

Pourquoi les dirigeants du projet de type 2 ont mis en place une stratégie de

développement à court terme qui se base sur une rentabilité immédiate, alors

qu’idéologiquement ils préfèreraient être dans un circuit privilégiant l’artistique ?

D’un point de vue organisationnel, la structure n’est pas encore assez stable pour

envisager un développement sur du long terme. En voici les différentes raisons :

- Les dirigeants doivent faire face à de nombreux dysfonctionnements qui altèrent la

qualité de leur travail : ils m’ont avoué passer une partie de leur temps à « faire la

police » avec leurs employés qui avaient pris l’habitude de ne pas respecter les

clauses de leurs contrats de travail.

- Le montage d’une production nécessite une réactivité constante (une journée de

tournage coûte cher) pour parer à toutes sortes de problèmes. Le manque de

professionnalisme dont nous avons parlé est pallié par l’utilisation du « système D »,

ce qui bien évidemment modifie le rendu final. Plus un tournage est préparé en

amont (le rôle du directeur de production), plus le tournage se passera dans de

bonnes conditions ce qui évitera aux techniciens et acteurs d’être stressés et ce qui

leur permettra de se concentrer sur la tâche du moment. En effet, d’une mauvaise

préparation découle de mauvaises conditions de tournage et souvent un corps de

métiers qui doit attendre ou dépanner ses collègues.

Un autre facteur en relation avec la culture identitaire entre en jeu dans le choix de cette

stratégie. A Madagascar, on ne fait pas de prévisions à long terme en raison des

conditions politiques et économiques du pays. Il est impossible de faire des projets à

long terme dans la mesure où on ne sait pas si on va pouvoir manger les jours suivants.

Dans l’immédiat, cette prise de position ne répond pas exactement aux attentes de la

société civile, ni à celles des professionnels malgaches. Mais tous considèrent qu’ils ne

peuvent pas faire autrement. Il y a un affrontement entre faire de l’art et faire de l’argent.

Ils opteront pour faire de l’argent car pour faire de l’art il faut mettre en place des

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structures opérationnelles. Car tous savent que le secteur du cinéma, pour devenir

autonome et s’exporter, doit impérativement se professionnaliser : « le cinéma malgache

a besoin d’une école » Mais mettre en place des formations ou faire appel à des jeunes

européens professionnels du cinéma est inabordable (rappelons que le smic malgache

équivaut à 35 euros en 2003). L’ouverture d’une école de cinéma à Madagascar doit

faire partie d’un dispositif institutionnel national ou étranger et ne peut être à l’initiative

d’une société privée.

En résumé, le plus important pour les dirigeants est que le secteur soit rentable : « si

cela marche, cela peut nous rapporter beaucoup ».

Dans ce cas, le film apparaît comme un bien de consommation courant et ne s’inscrit

pas dans une économie culturelle à long terme. L’artistique est condamné à être relégué

au second plan. Avant tout, il est primordial de faire des films à la façon américaine ou

asiatique. On ne peut pas parler d’une véritable émergence d’un cinéma « artistique »

national tant que le circuit économique du cinéma n’est pas légitimé (respect du droit

d’auteur, formation…). Une fois le circuit légitimé, un développement du cinéma stable

pourra être envisageable grâce à une économie s’inscrivant dans du long terme. Alors

seulement, le développement du cinéma ne se fera plus à l’instinct ni dans la fragilité

d’un système mais deviendra un réel domaine d’activité. Mais en attendant, les actions

de la société de production ne renforcent-elles pas la précarité sociale des professionnels

malgaches ? Car cette société fait appel à de jeunes talents qui ne recevront aucune

formation et qui se prendront à rêver, à devenir des stars nationales… ou internationales.

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Projets de type 3 : Priorité au développement social à travers l’émergence du cinéma

Nous avons vu la finalité culturelle des projets de type 1 ainsi que la finalité

économique du projet de type 2. Maintenant, étudions la finalité des projets de type 3.

Lors des entretiens, cette finalité est clairement définie : elle est sociale et se base sur

des concepts originaux.

Ces trois projets ont en commun d’améliorer les conditions de vie de la population

malgache grâce à la diffusion cinématographique qui participe non seulement à la

relance du lien social mais aussi permet à la population d’accéder à un loisir oublié

depuis des années.

Le cinéma pour rétablir le lien social

Le cinéma dans la ville, c’est à la fois une salle dans l’architecture urbaine et une culture

dans la cité. Il est non seulement une ouverture culturelle mais aussi citoyenne. La salle

de cinéma comme un des lieux de convergence essentiel du lien social, peut construire

de la sociabilité, tout en ponctuant à sa manière le temps libre de la collectivité. La

relance du lien social ne peut se faire que grâce à la notion « d’espace/temps ». C’est-à-

dire que le lien social se construit ou se détruit par rapport à un lieu qui évolue au cours

des années.

A Madagascar, selon les professionnels du cinéma « les grandes salles pourraient faire

l’aubaine des exploitants car elles se situent dans les centres-villes donc sont facilement

accessibles pour la population qui ne dispose pas, en général, de moyens de

locomotion ». Cette implantation participe fortement à resserrer le lien social de la

population malgache en apportant une réelle « vie de quartier ».

En effet, les cinémas de la capitale et de province appartiennent directement à l’espace

de la ville contrairement aux nouvelles utopies architecturales et urbaines à fortes

connotations politiques des pays industrialisés qui délocalisent les salles en périphérie

des villes. Prenons l’exemple de la France où les salles des centres-villes ont été

divisées en une multitude de petites salles. Puis dans les années 90, la demande était

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telle que des multiplexes se sont construits à l’extérieur des centres villes. Les petites

salles des centres-villes sont devenues les lieux de diffusion pour le cinéma art et essai,

attirant une population restreinte. On peut considérer, dans le cas présent, que cette

politique d’urbanisation est une entrave au maintien du lien social de toute une société.

La délocalisation des salles accentue la fracture sociale.

Dans de nombreux pays, le grand écran a joué un rôle de décompresseur social car c’est

un produit de divertissement. Le cinéma a besoin d’une grille de décryptage beaucoup

plus abordable que les autres arts. C’est un loisir intelligible pour tous contrairement à la

danse contemporaine, le jazz ou le théâtre.

Par son accessibilité, le cinéma est un vecteur contre l’exclusion car il est apprécié aussi

bien par les érudits que par les spectateurs de films grands publics. En conséquence, il

n’existerait aucune forme de mépris entre les différentes catégories sociales ce qui n’est

pas le cas pour les autres arts. Cette continuité sociale semblerait donc justifier qu’on

qualifie le cinéma d’« art populaire ».

Le cinéma participe à l’émancipation d’un peuple. Cet art, par les messages qu’il fait

passer, facilite le dialogue, permet la confrontation d’idées, exalte l’émotion.

Dans tous les pays du globe, on parle « cinéma » aussi bien dans la salle que dans la

ville. Néanmoins, il faut souligner qu’à Madagascar, la critique artistique n’est guère

utilisée : est-ce le poids politique de ces « 25 années noires » qui a fait oublier au peuple

sa liberté d’expression ?

Par cette émancipation, le peuple retrouve son identité, ce qui facilite l’échange culturel

entre les différentes communautés et par conséquent ravive le lien social.

Accéder à un loisir

Les personnes interviewées sont unanimes à dire « qu’à Madagascar, durant les années

70, le cinéma a été le loisir principal, que ce soit en ville ou en zone rurale, où il visait

à limiter la saignée de la campagne vers les villes ». En effet, pour un pays qui tirait

l’essentiel de ses ressources de l’agriculture, l’exode rurale a été un grave fléau à

combattre. C’est toujours une question d’actualité puisque la politique de

décentralisation mise en place dernièrement vise au développement des zones rurales.

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Le cinéma est considéré comme un loisir. Les loisirs regroupent des activités que l’on

distingue des tâches domestiques, des obligations physiologiques ou du travail.

Auparavant, le mot loisir évoquait une vacuité mal utilisée.

A Madagascar, le droit du travail des salariés fixe des semaines de 40 heures et 3

semaines de congés par an. Le temps s’ordonne autour du travail ce qui signifie que les

moments consacrés aux loisirs sont plus réduits que dans un pays industrialisé. De plus,

le cinéma s’adresse à une catégorie restreinte de la population sauf lors du festival

Cannes Junior où les places sont gratuites. La population la plus pauvre consacre ses

dépenses à l’achat de produits de base. Rappelons que le smic à Madagascar est de 35

euros. Le tarif d’un billet de cinéma variant entre 0,15 et 0,75 euro, il est donc

pratiquement impossible financièrement pour ces familles d'endosser le coût du ticket.

Même si ce loisir n’est pas accessible à tous, il participe, néanmoins, à la vie collective

de la cité. Il forme un espace commun indispensable dans toute société. La salle de

cinéma a un enjeu essentiel dans une société où les loisirs émergent progressivement.

La société civile est en attente de voir des films sur grand écran, et paradoxalement, il

faut avouer qu’à l’heure actuelle, la démarche de sortir pour aller au cinéma n’est pas

entrée encore dans les mœurs car la population de province est casanière. Le cinéma

n’est pas encore considéré comme un loisir à part entière. En général, « seules les deux

premières projections d’un film sont complètes » m’a t-on avoué lors d’un entretien.

La sortie au cinéma est le résultat d’un apprentissage. Les gens doivent apprendre à

jouir de loisirs. Contrairement aux pays industrialisés où le temps de repos a augmenté

durant ces dernières années, dans les pays du Sud, les conditions précaires de vie

n’autorisent guère à prendre du temps pour soi.

Il y a eu également des essais de cinéma itinérant. Les résultats escomptés n’ont pas été

réalisés : le public n’était pas au rendez-vous. Les professionnels malgaches sont

conscients que réintroduire le cinéma comme loisir prendra du temps : « lorsque le

cinéma sera revitalisé et deviendra véritablement une expérience de vie pour tout

malgache, il sera temps d’une part, de promouvoir le cinéma dans les campagnes en

faisant des projections itinérantes et d’autre part, d’envisager de diffuser des films en

format 35 mm dans les cinémas de province ». Ceci a un coût qui devra être supporté

par un budget plus conséquent que celui d’aujourd’hui.

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A long terme, l’émergence du septième art permettra de rétablir le lien social qui était si

présent dans les années 70.

Améliorer les conditions de vie de chacun

Si chacun des projets participe à la relance du lien social, chacun a également sa

spécificité. Nous verrons que le projet Cannes Junior est citoyen, que celui de la Maison

de l’Eau de Coco est humanitaire et enfin le projet Makibefo est socio-économique.

La légitimité des sociétés démocratiques est fondée sur le principe de la citoyenneté.

Tout citoyen dispose des même droits, doit remplir les mêmes obligations et obéir aux

même lois quels que soient sa race, son sexe, son appartenance à une collectivité

historique particulière, sa religion, ses caractéristiques économiques et sociales. Les

libertés publiques sont de deux ordres : celles de la personne (liberté d’opinion, liberté

de conscience, liberté religieuse) et celles de communication (liberté de conscience,

liberté d’opinion, liberté d’information). Le festival Cannes Junior a un rôle de

citoyenneté dans l’espace malgache : cet événement a été un moteur décisif pour

réintégrer la liberté de diffusion cinématographique qui n’existait plus depuis 1996 (date

de la dernière fermeture de salle de cinéma). Ceci a été souligné par le Ministre de

l’Information, de la Culture et de la Communication, lors du discours d’ouverture du

festival : « après quelques années de pénombre, la capitale va rallumer ses projecteurs

pour réveiller un public boudé par le grand écran. » Notons dans ce propos que ce n’est

pas le public qui a déserté les salles mais bien le fait qu’on ne lui a plus permis

d’accéder à ce loisir.

En proposant une semaine de diffusion gratuite de films, le festival a réactivé l’envie au

peuple malgache de s’exprimer à travers le septième art. Il a reconnu le statut des

personnes et leurs droits à ne pas être seulement des membres participant à une vie

collective basée sur le travail mais aussi des membres participant à une vie collective

basée sur le loisir. Les états démocratiques permettent à la population la plus pauvre

d’accéder à la culture en proposant des spectacles populaires gratuits ou peu onéreux.

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La France préserve la valeur citoyenne de la culture sur son territoire14 et à l’étranger par

son réseau d’établissements culturels, ce qui est vérifié lors du bilan d’évaluation du

festival, festival qui a incité les autorités nationales à légitimer le cinéma. Suite à cet

événement, le gouvernement malgache a ratifié les décrets 2000-112 et 2000-113. Le

décret n° 2000-112 fixe les principes généraux sur l’exploitation des œuvres

cinématographiques à Madagascar ; le décret 2000-113 fixe les principes généraux sur

la production et portant création et fonctionnement du fonds de soutien au

développement de la création et de la production cinématographique nationale : il s’agit

d’un premier pas vers la démocratisation de cette activité culturelle.

Le projet de la « Maison de l’Eau de Coco », à vocation humanitaire, est basé sur ce que

l’on appelle « l’économie solidaire » et prend sa place entre le marché et l’Etat. Cette

ONG, dirigée par des membres de la société civile, décharge l’Etat malgache des tâches

d’intérêt général en appliquant une méthode efficace et transparente. Elle développe des

actions dans des domaines variés tels que le logement, le crédit coopératif, la santé,

l’éducation.

Quel est l’objectif principal de cette ONG ?

Tout d’abord, cette organisation accueille les familles de la rue et leur délivre les

premiers soins, puis ensuite leur donne accès à l’éducation et au logement dans le but de

les réintégrer professionnellement.

14 : Prenons l’exemple de la France où il est fréquent de pouvoir assister à des événements culturels gratuits comme les journées du patrimoine, le printemps des musées, des festivals de rue ou encore de nombreuses expositions artistiques. En effet, l’Etat français participe financièrement au développement culturel national et protège son secteur culturel contre la logique ultra libérale qui ne prend en compte que les investisseurs au mépris des créateurs et des Etats. Souvenons-nous de la prise de position française en 1998 contre l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) dicté par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) prévoyant de libéraliser les investissements. Ce qui signifiait que toute usine étrangère, s’installant sur le territoire national aurait pu bénéficier de subventions françaises. Soumises aux seules règles de caractère commercial comme n’importe quel autre secteur d’activités, les sociétés de productions cinématographiques ou audiovisuelles auraient pu être rapidement remplacées par d’autres productions fortement financées du fait de leurs situations de monopoles ou de leurs implantations multinationales. C’est pourquoi certains négociateurs considéraient que des mesures d’action positive étaient nécessaires pour maintenir et développer une production nationale viable qui puisse refléter les expressions culturelles locales et éviter une standardisation des goûts et des comportements sociaux. Pour préserver son « exception culturelle » terme employé par Jacques Rigaud pour désigner l’institutionnalisation de la culture (la culture a un véritable statut de longue date au sein de l’Etat français, terme repris durant les débats concernant l’AMI qui signifie que certains Etats se réservent le droit de maintenir, en dehors de l’accord mondial du commerce des services et des marchandises, certains biens comme les produits cinématographiques et audiovisuels), la France formule une clause d’exception basée sur un système de quotas : « aucune disposition du présent accord ne peut être interprétée comme empêchant une partie contractante de prendre toute mesure pour réglementer l’investissement d’entreprises étrangères et les conditions d’activité de ces entreprises, dans le cadre de politiques visant à préserver et promouvoir la diversité culturelle et linguistique sur son territoire. »

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« Ce projet humanitaire est né en 1997 dans le sud de l’île. Le premier travail fut de

trouver une maison pour commencer à travailler. La maison, construite de quatre murs

et d’un toit en tôles ondulées, relativement rustique, a permis d’accueillir les premières

familles les plus défavorisées. On leur donna pour commencer de la nourriture, une

assistance sanitaire et beaucoup d’amour. Cette première étape passée, on leur a

proposé un travail en échange d’un logement qui deviendra leur propriété après

quelques années de travail. »

Parallèlement, d’autres actions sont menées comme la prévention contre la prostitution

guettant les adolescents, la formation des femmes en prison, la création d’un centre de

formation pour les enfants de la rue et la construction d’infrastructures routières.

Les activités qui s’y déroulent, se centrent principalement sur les enfants et les femmes

qui forment le moteur principal de la famille.

Les axes de ce projet prévoient d’améliorer la qualité de la vie et favoriser une meilleure

protection des enfants des pays en développement.

Ce projet est basé sur le développement social par la réinsertion des familles de la rue et

aussi sur le développement culturel. En effet, le deuxième objectif de l’ONG est la

participation directe à la restructuration de l’espace culturel des villes grâce à la

réhabilitation des salles de cinéma permettant leur ouverture après vingt ans de

fermeture et grâce à l’installation de bibliothèques mobiles permettant la sensibilisation

à la lecture.

Le concept du dirigeant de l’ONG est de faire du cinéma un loisir pour tous par le biais

de services culturels assurant des projections de films, de documentaires, de dessins

animés. La décentralisation régionale, mise en place par cette ONG, permet d’atteindre

enfin une grande masse de la population de province. Plutôt que de se concentrer

seulement à Tananarive, le développement du cinéma s’étend peu à peu à l’ensemble du

pays favorisant la montée économique, sociale, humaine de toutes les régions car les

bénéfices permettent ensuite de financer d’autres projets sociaux.

Pour pallier la fracture sociale, la culture est incontestablement une des ressources

participant à l’élimination des dérives et du malaise de l’être humain, liés à toutes

sociétés.

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C’est pour cette raison que le travail de cette ONG est intéressant car il s’appuie sur

deux axes menés de front : le développement social et le développement culturel.

« Makibefo » présente une nouvelle forme d’aide humanitaire. Basée sur un projet

culturel ponctuel, elle prévoit une action sociale à long terme. Rappelons que le

fondateur du projet, également réalisateur, a formé des pêcheurs au métier de comédien

afin de tourner son film. En contrepartie, il leur versa un salaire qui représentait

l’équivalent de ce que les villageois auraient gagné en mer. Il faut savoir que l’ethnie

Antandroy (sud-est de Madagascar) est la plus pauvre du pays, pays qui vit déjà dans la

précarité absolue. La première motivation des villageois était la perspective de gagner

de l’argent sans prendre de risques. On a reproché à l’initiateur du projet d’exploiter les

pêcheurs. A cette accusation, il a répondu « qu’il était important de ne pas casser

l’économie de cette région en versant des salaires démesurés. » Alors, il lui semblait

plus judicieux de créer une coopérative de pêcheurs, alimentée par les droits du film,

versés par les diffuseurs, servant à acheter du matériel de pêche plus performant. Ce

projet a amélioré les conditions de travail du village de pêcheurs en apportant une aide

économique par le biais du cinéma.

La motivation de l’équipe était de diriger un projet du début jusqu’à la fin, donc de gérer

toutes les étapes de la création d’un film : formation des acteurs, régie générale,

tournage, logistique, production, diffusion. Cette polyvalence amortit considérablement

les coûts de production et permet de réaliser des films avec des petits budgets. Les

motivations des deux groupes sont respectées, chacun y trouve son compte, ce qui

participe au bon fonctionnement et au succès du projet.

Le réalisateur, lors des entretiens, a déclaré que « cette aventure les avait séduit ».

Devenir des comédiens a transformé le statut des acteurs principaux au sein du village.

Maintenant, le comédien qui a eu le rôle principal se fait appeler Makibefo par tout le

village. Durant le festival, il a reçu en main propre la mention spéciale du jury : il est

devenu le bienfaiteur du village. Ce fut l’occasion pour les villageois de vivre une

expérience qui leur a permis d’améliorer leurs conditions de vie et qui a marqué les

esprits. Ce fut également l’occasion pour les personnes présentes lors du festival de

vivre un moment magique chargé d’émotion.

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Le film a été également projeté en province. Comme l’a souligné le réalisateur « la

première diffusion mondiale a eu lieu à Faux Cap ! ». Le film a été ovationné par le

public malgache, venu en grand nombre à cette occasion. « Je savais que le public

malgache était fervent de cinéma grand public car la projection (piratée) du film

Titanic a été un véritable succès et a été appréciée de tous. J’appréhendais la réaction

du public face à mon film qui est considéré comme un film d’auteur et qui n’est pas

forcement accessible pour toutes les catégories sociales. Les gens riaient, chantaient.

C’était extraordinaire pour eux de voir des images de leur pays. »

Suite à cette aventure malgache, le comédien principal accompagné du réalisateur s’est

envolé sur la croisette (pour le festival de Cannes) à la découverte d’un autre pays, d’une

autre culture, expérience inoubliable pour cet homme qui ne connaissait que son village

et la capitale. On se pose toujours la question de savoir dans la notion de développement

s’il est très opportun de faire découvrir d’autres conditions de vie à des peuples isolés

qui à priori n’en n’ont pas réellement besoin.

Qui ne rêve pas de devenir une star ?

L’impression que j’ai eu en voyant cet homme lors du festival est qu’il semblait fier de

ce qu’il avait réalisé et semblait comblé que son talent soit reconnu. Hélas, notre

échange lors du festival s’est arrêté à une poignée de main étant donné qu’il ne parle que

l’antandroy15 et que nous n’avions pas de traducteur ! Lors du tournage, le réalisateur

avait un traducteur (antandroy-français) qui ne l’a pas accompagné dans son périple

jusqu’à la capitale.

Le lien qui s’est construit entre eux deux dépasse la simple notion de relations

professionnelles. C’est incontestablement plus qu’une simple expérience de

développement social mais avant tout une grande leçon d’humilité basée sur l’amitié.

Suite à cette aventure, l’objectif du réalisateur était de mener d’autres projets similaires

associant culture et développement socio-économique.

15 : Depuis 1999, la pemière langue officielle à Madagascar est le français, la deuxième langue officielle est le malgache. Cependant, le gouvernement malagache considère que le malgache est la langue nationale. En province, de nombreux dialectes sont également parlés.

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Ces trois initiatives pour le développement du cinéma à Madagascar sont un exemple de

réussite car ils permettent à cet art de prendre naissance tout en ayant des actions

bénéfiques sur le développement économique et social de la Grande Ile. Ce sont des

exemples parfaits d’interactions culturelles, sociales et économiques guidées par des

politiques gouvernementales étrangères.

Les aides ne sont pas seulement financières, elles sont humaines. Elles répondent aux

besoins de la société civile. Ces projets s’appuient sur des structures existantes et sur

l’expérience des initiateurs qui savent que chacune des actions demande un suivi

quotidien. Entre la conception du projet et sa réalisation, la notion de temps est

extrêmement importante et change souvent les données. La conception du projet se fait à

un temps 0, sa réalisation se fait à un temps 1. Les initiateurs doivent s’adapter à des

objectifs qui évoluent. La performance des projets dépend directement des actions et des

réponses qu’ils peuvent apporter.

Cependant l’adaptation des initiateurs des projets doit être habile dans la mesure où ce

qui était initialement prévu ne peut pas toujours être viable dans la réalité. La possibilité

d’orienter un choix, de prendre des décisions qui vont s’avérer positives pour le projet

ne sont possibles que grâce à une organisation « légère » et peu administrative.

Le développement suit un chemin escarpé, non linéaire. Les résultats se font sentir à

court terme et à long terme. La promotion d’une identité est immédiate tandis que le

développement social et économique demande du temps, se construit pas à pas.

Etre comédien ou aller au cinéma apporte une satisfaction instantanée, améliorer la

citoyenneté prend du temps et les retombées sont parfois très lentes. Ceci explique la

difficulté attachée à la notion de développement.

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Conclusion : Le développement suppose l'interdépendance entre le développement

culturel, social et économique tout en étant appuyé par une volonté politique

Dans les projets de type 1, pour promouvoir son identité culturelle et faire valoir la

diversité culturelle, l’Etat malgache possède le cadre d’action. Le pays est en conformité

avec les demandes des organisations internationales. Il possède les structures relais.

Malgré tout, les accords réglementaires ne sont pas respectés. Pour que ce secteur soit

opérationnel et légitimé, le règlement devra être le même pour tous et respecté par tous.

Alors les structures ne seront plus des structures fantômes mais bien des structures

participant à l’émergence du cinéma.

Dans le projet de type 2, le cinéma apparaît comme un bien de consommation qu’il faut

rentabiliser immédiatement. On n’est pas dans une stratégie à long terme mais à court

terme tant que l’institution ne s’engagera pas dans ce secteur. Elle seule peut permettre à

ce secteur de devenir professionnel tant au niveau organisationnel qu’au niveau

artistique. Par ce biais, l’art pourra prendre vie.

Dans la revue de littérature, les auteurs soulignent que le développement culturel doit

s’appuyer sur un circuit économique tout en le dynamisant et que celui-ci doit être

supporté par l’Etat. L’art doit s’appuyer sur un système déjà en place. L’économie de

l’art à long terme doit être institutionnalisée sinon c’est un bien de consommation. Cela

s’explique par le fait que la majorité des artistes ne créent pas pour vendre mais pour

s’exprimer. Dans la plupart des cas, sont reconnus ceux qui sont aidés par la structure

institutionnelle et ceux qui répondent aux attentes du public. Cette théorie semble se

vérifier au travers de ces projets : il est trop tôt pour mettre en place « une économie du

cinéma » à Madagascar tant que l’Etat malgache n’a pas décidé de promouvoir ce

domaine artistique, ce qui freine considérablement l’émergence du cinéma. Les artistes

seuls ne peuvent mettre en place des structures de production, de formation.

L’échec de ces deux projets ne réside pas dans le fait que Madagascar est l’un des pays

les plus pauvres au monde si l’on se réfère au classement de la Conférence des Nations

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Unies sur le Commerce et le Développement16 (CNUCED). Celle-ci place Madagascar

comme l’un des 49 pays les moins avancés du globe (PMA), alors que dans les années

60-70 c’était un pays en plein développement avec un avenir prometteur. Ces résultats

résident dans le fait que le gouvernement applique une politique de censure et n’a pas

une réelle volonté de faire émerger le secteur culturel : « Quand le président Ratsiraka

est arrivé au pouvoir, il y a eu des réductions de salaire des fonctionnaires. A titre

d’exemple, en 1970 le salaire d’un professeur était le même que maintenant (200 euros)

sauf que la vie a augmenté donc le pouvoir d’achat des ménages s’est totalement

effondré.

Durant la IIème République (1975 à 1991), nous avons vécu la pénurie. Les produits

alimentaires (lait, riz) et les produits d’hygiène (savon, dentifrice, shampooing) se

faisaient rares. Madagascar était le premier producteur de riz et pourtant il y avait

pénurie car toutes les récoltes partaient à l’exportation. Cela faisait des bénéfices pour

le gouvernement.

Le marché noir s’est développé par le personnel d’Air Madagascar qui vendait les

produits de première nécessité extrêmement chers. Nous n’avions pas les moyens de

nous les acheter, alors on s’arrangeait avec les quelques expatriés qui restaient dans le

pays, ils travaillaient dans les écoles françaises.

Comme ils retournaient en France chaque été, ils revenaient avec des conteneurs pleins.

Alors, ils nous vendaient ces produits mais à des prix raisonnables.

Si on voulait quitter le pays, ce n’était pas possible. Seul le Conseil Suprême de la

Révolution (CSR) donnait l’autorisation d’aller à l’étranger. Ce qui signifiait que seuls

les proches du gouvernement pouvaient s’exiler, fuir la répression.

Avant l’arrivée au pouvoir de Ratsiraka, on vivait bien : on pouvait se permettre de

voyager, d’accéder aux loisirs, d’être des bourgeois, d’envisager un futur prometteur

car les entreprises dirigées par des vazahas (étrangers) nous garantissaient des salaires

corrects.

16 : La CNUCED pour effectuer son classement prend en compte trois critères : PIB par habitant, la part des industries manufacturières dans le PIB et le taux d’alphabétisation. Sur 49 PMA, 34 sont en Afrique.

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A l’arrivée du président Ratsiraka, ils ont été expulsés, on ne leur a pas laissé de temps

pour se préparer, la plupart des gens sont partis avec seulement une valise. Toutes les

activités économiques et artistiques se sont effondrées. D’un état stable, nous sommes

passés dans le sous-développement le plus total en entraînant l’effondrement de

l’intelligentsia malgache et par conséquent de l’activité culturelle »

Ce témoignage insiste sur le fait que Madagascar ne doit sa situation actuelle qu’au

président Ratsiraka qui exerça durant 25 ans une politique totalitaire. Le fait de dire,

comme on l’entend souvent, que les pays doivent leur sous-développement à la

colonisation n’est pas clairement exprimé par la population malgache, ce qui n’exclut

pas l’idée que la colonisation a eu quand même quelques effets négatifs sur la situation

actuelle car il ne faut pas oublier que Didier Ratsiraka est un « produit de la

colonisation »17. Ce témoignage nous permet de nous rendre compte de la régression

sociale, économique du pays, facteurs qui doivent être pris en compte lors de la

constitution de projets. Toutefois, en dépit de ces conditions précaires, les Malgaches

sont plutôt optimistes malgré une forte démotivation des participants à ces projets. Ils

souhaitent revivre « des jours meilleurs » et espèrent vivement que le pays sorte de son

isolement géographique, économique et social pour s’ouvrir au monde par le biais des

médias, de la communication, de la culture.

Lorsque le développement culturel se base sur une finalité culturelle ou économique les

résultats sont mitigés. En revanche, il se réalise dans la mesure où les projets sont axés

sur le développement social, ce qui a été démontré dans la revue de littérature : les

objectifs du développement culturel sont de répondre aux besoins de la société civile.

Ce qui revient à dire que la culture permet à un peuple de retrouver sa dignité ou son

identité culturelle.

Les projets de type 3 sont basés en priorité sur une finalité sociale. Leur force vient du

fait qu’ils répondent non pas aux attentes de la société civile mais répondent aux besoins

de celle-ci. De plus, ces projets sont autonomes, indépendants de l’institution malgache

et par conséquent ne sont pas freinés par celui-ci. Il convient de souligner également que

17 : Didier Ratsiraka est le fils d'un anonyme fonctionnaire de l'administration coloniale Il passa son baccalauréat au lycée de Montgeron dans l’Essonne (dans les années cinquante). Puis, il enchaîna math élém, math sup et math spé à Henri IV avant d'entrer à l'Ecole navale de Brest.

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ces projets s’inscrivent dans un cadre politique étranger qui favorise les échanges

culturels.

Si cette première hypothèse est validée, c’est-à-dire si le développement suppose

l'interdépendance entre le développement culturel, social et économique, nous pouvons

néanmoins ajouter que dans un système économique global tout projet ne peut atteindre

ses buts que s’ils sont appuyés par une réelle volonté politique qui, dans le cas présent,

serait de participer à l’émergence du cinéma.

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Hypothèse II => Importance et nature des interactions entre les partenaires dans la

notion du développement

Nous avons vu dans la revue de littérature que le développement culturel ne peut avoir

lieu sans la présence de différents partenaires. Toutefois, la nature des échanges qui peut

se passer entre eux doit inclure la notion d’indépendance et non celle de domination.

Nous verrons dans cette partie l’implication des partenaires et nous constaterons que le

manque de partenaires a un impact sur les résultats des projets. Nous détaillerons dans

cette partie les observations faites dans le tableau ci-joint.

Hypothèse 2 : Importance et nature des interactions entre les partenaires

dans la notion du développement

Projets de type 1

Type d’interactions

Relation bilatérale

Constats � Etat est dans une logique de censure � Incompréhension du concept de droit � Application mais non-respect des demandes des organisations

internationales � Manque d’infrastructures pour les partenaires � Manque de coopération entre les partenaires

Projet de type 2

Type d’interactions

Autarcie

Constats � Pas de définition des rôles � Rudesse socio-économique du pays � Manque de professionnalisme � Manque de structures � Un système en souffrance � Possibilité de développement à court terme mais pas envisageable à long

terme Projets de type 3

Type d’interactions

Multiples partenaires

Constats � Intégration de tous les partenaires dans les projets � Compatibilité de l’échange � Participation malgache � Réseaux d’échanges

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Projets de type 1 : Une relation bilatérale bloquée

Dans les projets de type 1, on a vu qu’il y avait une relation bilatérale entre les

organisations internationales et le gouvernement malgache. On verra comment celle-ci

s’organise.

Manque de suivi des programmes

En 1969, le premier Président malgache, Tsirana s’est aperçu que 87 % des Malgaches

étaient des paysans analphabètes. En vue de continuer le développement économique

amorcé dans l’île, il fallait que ces personnes accèdent à l’éducation. Tsirana voulait

employer l’image comme arme pour aller de l’avant. « Il avait une vision moderne et

était considéré comme un précurseur par la population » m’a t-on dit lors de mon

enquête. Afin de mettre en marche ces projets, il a visité des maisons de production en

France. A son retour, il a demandé à la coopération française de soutenir son projet qui

consistait à tourner des films éducatifs et à les diffuser par l’intermédiaire de

l’animation rurale présente en province et extrêmement bien structurée pour sillonner

les villages les plus reculés de Madagascar.

Cette structure sillonnait déjà toute l’île avec des bibliothèques ambulantes. Pourquoi ne

sillonnerait-elle pas l’île avec des films ?

Le gouvernement français a accordé des aides financières pour la construction de locaux

et a permis à deux équipes de jeunes bacheliers de suivre une formation en France à

l’ORTF. Cette vingtaine de jeunes ont été les initiateurs du cinéma à Madagascar dès

leur retour de France. L’actuelle directrice du Cinémédia faisait partie de cette équipe :

« je suis partie le 6 janvier 1970 à Maisons-Laffitte ». Quelques trente ans après, il

semblerait qu’elle se souvienne des événements comme si c’était hier. Est-ce là le signe

de la passion ?

« Non seulement nous avions l’aide de la coopération française mais nous étions aussi

en partenariat avec tous les ministères. Le CMPFE (anciennement Cinémédia) était à

la disposition des ministères de la santé, de l’agriculture… Nous réalisions des films

éducatifs abordant des thèmes variés : l’emploi de la charrue, comment construire un

puits, comment construire des latrines … »

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Une fois le film réalisé, il était diffusé dans les villes de province après des films

comiques ou des films documentaires. Le public attendait avec impatience ce moment.

« Les résultats positifs de ce partenariat nous a permis, peu à peu, de commencer à

produire des films de fictions. Que pouvions- nous souhaiter de mieux ? »

Tous ont participé à la construction de l’édifice et quelques années plus tard ils

participaient à son effondrement promulgué par l’Etat laissant amertume et rancœur

dans la conscience collective face à ce gâchis. Hélas, on assiste à la fin du partenariat

entre les institutions internationales et nationales entraînant la fin de l’activité du

Cinémédia. Du grand multiplexe construit après la décolonisation à Androhibe, il ne

reste plus qu’un hangar. Je rappelle que des 50 personnes embauchées dès le début du

vaste programme de 1969 pour le développement du cinéma à Madagascar, il ne reste

plus qu’une personne salariée.

Comme nous l’avions vu, en 1996, il y a eu l’espoir de relancer une partie des activités

du Cinémédia par le programme de sauvegarde du patrimoine en péril. Mais comme le

gouvernement n’a pas donné suite, l’espoir s’est rapidement envolé. Le gouvernement

n’a pas joué son rôle d’accompagnateur mais a bloqué le projet. Dans son interview, la

dirigeante du Cinémédia est « d’accord pour travailler à la sauvegarde du patrimoine

cinématographique mais elle n’envisage pas de s’investir dans ce projet sans la

participation de l’Etat ».

Les demandes de personnel, de financements sont restés sans réponse. L’élaboration de

ce dossier n’a pu avoir lieu sans l’acceptation et le soutien du gouvernement dont

dépend le Cinémédia, structure nationale.

Ecart entre le discours et la réalité

Nous avons vu, lors de la première hypothèse, que le respect du droit d’auteur a

normalement une finalité culturelle avant d’avoir une finalité économique mais que

celui-ci n’est pas appliqué à Madagascar. Et pourtant le pays possède, sur le papier, une

loi sur la propriété intellectuelle ainsi qu'un organisme public chargé de la protection des

droits des artistes conformément au droit international. Ce qui nous permet de dire que

Madagascar est en conformité avec les demandes internationales.

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Cependant, il n'en existe pas moins une certaine incompréhension du concept des droits

de propriété intellectuelle et de l'obligation correspondante d'obtenir une autorisation et

de verser un paiement pour l'exploitation de droits couvrant les œuvres musicales et les

films. Lors de mes interviews, la question relative au respect du droit d’auteur

provoquait soit une attitude plutôt agressive de la part de mes interlocuteurs soit une

attitude d’hébétement « Qu’est ce que le droit d’auteur ? »

Voici une série de réponses usuellement formulées en réponse à la question « pourquoi

selon vous, le droit d’auteur n’est pas respecté à Madagascar ? » :

- « Nous ne sommes pas au courant de l'obligation qu’ont les stations de télévisions

de payer des droits d'auteurs, et nous ne savons pas comment ces droits doivent être

réglés.

- Si le paiement du droit d'auteur était exigé lors de la projection publique des

vidéocassettes piratées dans les cinémas informels, ces projections risqueraient de

cesser, et les enfants seraient alors livrés à eux-mêmes dans la rue.

- Nous sommes impuissants pour remédier à cette situation.

- Les choses sont compliquées par la fréquence des remaniements ministériels, qui

entrave l'adoption des mesures législatives nécessaires pour assurer le strict respect

de la loi en question.

- Le pays doit faire face à toute une série de problèmes urgents. Le respect de cette loi

passe au second plan laissant la priorité aux problèmes les plus pressants tels que

l'enseignement et la mise en place d'une infrastructure de base comme les routes, le

réseau téléphonique et l'électrification des zones rurales. »

Il apparaît clairement que la société civile, appartenant à des structures publiques ou

privées, n’a pas compris le contenu des actions, le processus d’application demandé afin

de protéger les œuvres artistiques.

Paradoxalement, m’arrêtant chez un loueur de vidéo (qui ne possède que des cassettes

piratées), j’ai essayé d’obtenir au marché noir une cassette des films de fictions produits

par la société privée malgache Lights Productions, on m’a bien fait comprendre que ma

demande était complètement illégale et qu’il ne pouvait pas me fournir le bien car il

était très surveillé ! A Madagascar, on ne pirate pas les films nationaux !

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De plus, en 2000, la Délégation Générale des Alliances Françaises applique une

politique de « transparence du réseau » en demandant aux trente Alliances Françaises

implantées sur le territoire malgache la remise en ordre des contrats en vue d’être

contrôlés par l’inspection du travail, le respect du nombre d’heures (56h par semaine

maximum), l’application de la grille officielle pour les salaires (une majoration de 30%

pour le travail de nuit), la révision des statuts, l’obligation de contracter une assurance

pour les locaux, la mise à jour du cahier journalier à la fin de chaque trimestre et enfin le

respect des lois, notamment pour l’arrêt du piratage des cassettes respectant le règlement

malgache.

A première vue, il semblerait que le gouvernement malgache soit dans l’incapacité de

respecter et faire respecter la législation sur la propriété intellectuelle car les violations,

tant dans le secteur public que dans le secteur privé, sont quotidiennes et non

exceptionnelles ; il est courant à Madagascar de voir sur le petit écran des films qui

viennent juste de sortir en salle en Europe ou aux Etats-Unis alors que la législation

prévoit une période minimum de un an entre la diffusion en salles et la diffusion sur une

chaîne de télévision. Ce n’est pas comme on pourrait le penser lié à un déficit

d’informations car ces témoignages permettent de dire que ce n’est pas un sujet inconnu

de tous, bien au contraire, c’est une préoccupation quotidienne pour de nombreuses

structures comme le prouve ce communiqué de presse du 15 mai 2001 : « M.

Betsimifira, Ministre de l’Information, de la Culture et de la Communication de

Madagascar, a félicité l’OMPI d’avoir, sous l’impulsion de M. Kamil Idris, son

directeur général, formulé un plan d’action adapté aux besoins particuliers des PMA.

Face au défi de la mondialisation, a-t-il dit, il est important de faire en sorte que la

propriété intellectuelle devienne un authentique instrument de développement humain

durable. Dans l’économie moderne fondée sur le savoir, il importe d’élaborer des

stratégies économiques et financières novatrices qui permettent l’exploitation des

opportunités nouvelles de production et d’investissement. Reconnaissant l’utilité des

activités de coopération technique de l’OMPI pour promouvoir les systèmes de

propriété intellectuelle dans les PMA, M. Betsimifira a souligné l’importance d’une

volonté politique à l’échelon national et d’un climat international propice : leur

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absence compromettrait tout effort de développement. Relatant l’expérience de

Madagascar, le ministre a dit que son pays avait reconnu le caractère irréversible de la

mondialisation économique et de la révolution dans les communications et avait décidé,

dans le cadre des efforts déployés pour éradiquer la pauvreté, d’incorporer la propriété

intellectuelle dans un programme destiné à accroître la crédibilité du monde de

l’entreprise et à stimuler la créativité en vue de renforcer les systèmes d’éducation, de

formation et de recherche. »

Est-ce un problème lié à la structure malgache ou alors à un manque structurel des

institutions internationales ?

D’où provient le dysfonctionnement ? A quoi est-il lié ?

Il est courant de dire qu’une question de mentalité favorise la corruption ou alors que le

dysfonctionnement provient de la jeunesse des structures malgaches s’occupant du droit

d’auteur. Je ne chercherai pas l’explication dans ces affirmations mais plutôt dans la

question de l’efficacité du mode opératoire des structures internationales qui sera

expliquée dans l’hypothèse suivante.

Pas de réelle législation pour le fonds de soutien

Maintenant, essayons de comprendre pourquoi le fonds de soutien n’a fait l’objet

d’aucune demande et pourquoi les partenaires étrangers ne se précipitent pas pour

tourner dans la Grande Ile.

Par son manque d’infrastructures, Madagascar se trouve fortement concurrencé par

l’Afrique du Sud qui possède du matériel et des équipes performantes facilitant la

réalisation des films. Ce fut le cas pour le film « Monsieur N » réalisé par Antoine de

Caunes retraçant l’exil de Napoléon Bonaparte dans l’île de Ste Hélène. Le film ne fut

pas réalisé dans l’île de Ste Hélène mais en Afrique du Sud, ce qui a demandé au chef

décorateur de recréer un décor fictif de grande envergure pour le tournage, nécessitant

des moyens matériels et humains qu’il n’aurait pas pu se procurer à Madagascar.

Cependant, « Michael Kael contre la World News Company » réalisé par Christophe

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Smith a été tourné dans l’île rouge. Selon, un des assistants-réalisateurs de nationalité

malgache « ils ont dû tout emporter de la France même les pompes à bicyclette. Tout,

tout, tout, tout, tout, tout. Quand la production est arrivée, quand les gens sont arrivés,

l’accessoiriste, il avait tout, on n’a rien eu à chercher ici, sauf la bouffe. » Ce mode de

fonctionnement entraîne des coûts de tournage démesurément importants qui ne peuvent

être supportés que par certaines productions.

Le fait qu’il y ait peu de tournage de production étrangère dans l’île vient également du

fait que les lois ne sont pas clairement établies. Voilà comment les droits pour

l’autorisation de tournage sont fixés : « il y a eu une grande production tournée à

Madagascar de 10 millions d’euros. C’est le film Michael Kael contre la World News

Company. Afin d’être en règle et travaillant pour le producteur, je suis allé au ministère

pour demander le papier d’autorisation de tournage et le ministère m’a demandé :

c’est quoi le papier que vous voulez qu’on vous donne ?

On a trouvé le papier. Au début, on a vu République Démocratique de Madagascar.

Voilà la loi. Et bien cette loi ne prévoit rien du tout. Il n’y avait rien d’autre.

Ils nous ont dit :

- Il faut donner du fric et on vous donne l’autorisation.

- Et le fric, on le donne à qui ?

- Ben personne. Vous donnez le fric. Voyons 60 milliards de francs malgaches, on

peut peut-être prendre 300 millions18

ou 200 millions dedans.

- Si vous prenez 200 millions, ils ne vont pas venir. C’est simple, ils vont aller en

Afrique du Sud ou à Maurice ou au Kenya. Ils ne vont pas venir ici. »

Nous avons vu que le fonds de soutien est alimenté par des subventions de l’état, un

pourcentage sur les prix des billets, un droit de tournage payé par les productions

étrangères pour tourner à Madagascar. Si les professionnels ont considéré cette aide

comme un soutien du gouvernement, ils se sont aperçus très rapidement que le

gouvernement aurait dû pour attirer les productions étrangères, non pas créer un fonds

de soutien mais améliorer les infrastructures et surtout officialiser les tarifs ou taxes

prélevées sur les budgets cinématographiques pour l’autorisation de tournage. Car aucun

18 : équivaut à 45 000 euros.

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article du décret ne fait référence au montant ou pourcentage fixé pour les productions

étrangères afin d’obtenir le droit de tournage.

Le caractère approximatif des lois limite les partenariats. C’est pour cette raison qu’il y

a très peu de tournages de fiction mais beaucoup plus de tournages de documentaires sur

la culture malgache. Alors que ce projet est mis en place pour la relance du cinéma et

devrait permettre aux professionnels d’avoir un soutien financier afin de réaliser leurs

films dans des conditions plus « normales », il s’avère que cette aide obtient l’effet

inverse.

Ces 3 exemples illustrent parfaitement le manque de coopération entre les différents

partenaires. Le gouvernement repose sur une conception centralisée du pouvoir qui

étouffe sa fonction démocratique. Et pourtant la pluralité d’acteurs (association, ONG,

société civile) concernés par l’émergence du cinéma sont prêts à s’investir et à profiter

légalement d’un pouvoir qui pourrait être distribué entre tous, permettant d’accéder à

une démocratie participative, intelligente et collective. Il pourrait être un organe

régulateur et suivre en permanence son action encadrée par des règles formelles. Mais

au contraire, le mode de gouvernement n’intègre pas l’idée d’interactions positives entre

l’Etat et les partenaires extérieurs. Cette résistance issue de la dépendance à la

corruption ou de l’indépendance par rapport au droit a pour effet de bloquer toute

nouvelle action en faveur du développement du cinéma à Madagascar.

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Projet de type 2 : Un projet basé sur l’autarcie

Le projet de type 2 fait office de réponse aux initiatives françaises servant à promouvoir

le cinéma à Madagascar. Comme nous l’avons vu, le premier déclencheur fut le festival

Cannes Junior en 2000, première étape du long processus de développement. Cette

initiative étrangère très appréciée par la société civile malgache a permis de susciter

l’envie de créer une industrie nationale par les professionnels malgaches : « nous aussi

on veut faire des films malgaches, en langue malgache et avec des Malgaches. Les

Malgaches doivent se dire qu’ils peuvent faire des films ».

Même si l’implication du gouvernement français a été très appréciée, elle a été ressentie

comme une sorte de dépendance. Une fois de plus, les projets proviennent d’opérateurs

extérieurs. Dépendance qui peut aboutir à un progrès comme le souligne Balandier en

utilisant le terme de dépendance positive car de cet événement est issu une sorte de

révolte « intellectuelle » qui a décidé certaines personnes à monter leurs projets

personnels et devenir de véritables acteurs du développement du cinéma. Créer des

films devait être la résultante d’un engagement national, alors il n’était pas question de

travailler avec des partenaires étrangers, il fallait créer des projets nationaux,

indépendants. C’était la seule façon de promouvoir la culture malgache. Même si ces

films font appel à des registres différents : policier, comédie, romantisme et arts

martiaux, le traitement des films fait référence à la culture contemporaine malgache. En

voici quelques exemples :

- Les problèmes de société comme le mariage, les divorces, le vol, la corruption, la

migration urbaine sont omniprésents.

- Certains biens sont coûteux (médicaments) et demandent l’aide financière d’un

proche. Celui-ci sera remboursé avec des intérêts.

- Toute femme malgache doit se marier. En général, ce sont des mariages d’intérêts

décidés par les parents. Rares sont les femmes indépendantes et célibataires.

Les scénarii, les traitements de l’image sont différents des films de premières

générations qui sont plus considérés comme des films d’auteurs tandis que les films

actuels sont des films plus populaires car les thèmes sont plus superficiels et les scénarii

moins travaillés.

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Tout ce qui précède la réalisation de l’œuvre d’art suppose l’existence d’un ordre social

capable de garantir une certaine stabilité à l’action de personnes qui travaillent dans le

domaine artistique. Ils doivent suivre une règle du jeu nécessitant des impératifs

d’organisations pour le bon déroulement de leurs activités.

Les artistes utilisent des ressources matérielles et humaines indispensables à la création

d’un film. Ils les choisissent dans l’offre de ressources qui correspond au monde de l’art

dont ils font partie.

A Madagascar, pour envisager de réaliser une œuvre cinématographique, les artistes se

demandent où et comment ils vont se procurer les ressources.

Y a-t-il des gens formés au travail dont j’ai besoin ? Pourrai-je me procurer le matériel

technique ?

Ce qui signifie que fonctionner en autarcie provoque de nombreuses difficultés pour le

bien-fondé du projet lié à la rudesse économique de la Grande Ile, à la précarité sociale

des professionnels du spectacle, au manque de formation.

Lors des différents entretiens, les témoignages des professionnels du cinéma reflètent

leur inquiétude sur le devenir de la production cinématographique nationale qui leur

semble bloqué.

Rudesse socio-économique des pays émergents

Il faut considérer que la plupart des gens qui montent des projets artistiques ne peuvent

s’y consacrer entièrement. Les tournages de Lights Productions se réalisent en 15 jours

car mobiliser des acteurs durant des semaines entières est impossible. La rémunération

des activités artistiques ne leur permet pas de vivre au quotidien. En effet, en dehors des

périodes de tournage, ils ne bénéficient ni de couverture sociale ni d’indemnités comme

nous avons en France. Pour parer à cela, une grande partie du personnel est obligée de

cumuler plusieurs emplois. Les projets de tournage sont rapidement mis en œuvre ce

qui entraîne des pertes de qualités dans le résultat final. Lorsque dans des pays

industrialisés les projets artistiques doivent être pensés, à Madagascar, la pratique est

différente : on agit sans trop réfléchir, on s’aperçoit trop tard des erreurs et on tente de

les corriger au cours du projet artistique suivant. Selon les témoignages des dirigeants de

Lights Productions, « le plus important actuellement pour les professionnels du cinéma,

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est de réaliser tant bien que mal des films ». Il est primordial de sortir du contexte de

ces vingt dernières années. Il faut produire à tout prix et opter pour une démarche à

court terme. Le contexte socio-économique de la Grande Ile ne permet pas à la

population d’avoir une visibilité des projets à long terme. La société malgache assume le

jour présent, et ne sait pas de quoi est fait le futur. Le plus important pour sortir de la

crise est d’agir. Lorsque la situation économique sera stabilisée, la réflexion permettra

d’appréhender au mieux les problèmes d’organisation et par conséquent de se structurer.

Professionnalisation du secteur par la mobilisation des ressources matérielles et humaines

Chacun a une expérience plus ou moins approfondie grâce à un apprentissage qui s’est

fait sur le terrain lors de la venue de productions étrangères. Celles-ci avaient besoin de

personnel local pour la figuration ou pour la régie technique, ce qui a permis aux

passionnés de cinéma d’acquérir quelques bases. Rares sont les personnes qui ont suivi

de réelles formations d’acteurs, de réalisateurs, de scénaristes, de producteurs.

Néanmoins, cette faible expérience permet de résoudre de nombreux problèmes de

logistique. Il faut parer au plus pressé : trouver des moyens de communication qui ne

sont pas toujours mis à disposition des équipes (téléphone, fax, imprimante,

photocopieuse), savoir réparer les moyens de transports qui sont peu performants,

chaotiques et épuisants (les voitures sont fatiguées), tourner avec des moyens techniques

insuffisants (les groupes électrogènes, les onduleurs sont rares, de plus il n’y a pas

d’électricité partout ou alors les hausses de tension font sauter les lampes), comprendre les

demandes administratives complexes.

Tourner un film est un épuisant parcours du combattant.

Outre les problèmes de logistique, lors des interviews, les réalisateurs avouent avoir

besoin d’une solide formation car ils sentent que pour progresser, il leur faut des bases

techniques qu’ils ne possèdent pas : « la connaissance du matériel de prises de vues, des

différentes pellicules aurait un impact direct sur le rendu des films ». Les acteurs

souhaitent pouvoir suivre des stages dirigés par des personnes renommées, ce qui leur

permettrait d’améliorer considérablement leur jeu : « j’ai commencé dans le milieu

artistique comme interprète de pièces de théâtre à la radio, alors maintenant on me

demande depuis 2001 de jouer devant une caméra, certaine fois je n’arrive pas en

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même temps à me concentrer sur mon texte et à utiliser l’espace ». Il en est de même

pour le personnel administratif. Gérer un budget de tournage est très spécifique, les

budgets sont serrés et il est impossible de multiplier les erreurs qui sont coûteuses.

Il est prévu que les films soient sous-titrés car pour l’instant ils sont en langue malgache.

L’essai effectué n’a pas été concluant car il est difficile de trouver de bons traducteurs.

Tous les corps de métiers sont en demande de formation.

Ce manque devient une entrave à l’amélioration de projets : « notre démarche devra

être de plus en plus artistique » même si chacun a des compétences.

La conclusion des dirigeants de ce projet fut la suivante : « l’un des freins à

l’émergence du cinéma à Madagascar est le manque de professionnalisation du

personnel. Dans un premier temps, il était nécessaire de se lancer dans la création de

films « tête baissée ». Au bout d’un an d’expérience, le manque de formation se fait

sentir, ce qui a un impact sur la qualité et la diversité créatrice de nos films. La

formation ne peut que déboucher sur la professionnalisation du secteur. Pour que l’on

parle de professionnels du spectacle, ceux-ci doivent vivre de leur art, pour ceci ils

doivent se former, ce qui leur permet ensuite de réaliser des œuvres et de les exposer au

public. »

La difficulté de réaliser un film réside dans le fait que cela demande de nombreuses

compétences techniques et artistiques.

Il leur apparaissait clairement qu’ils devaient bénéficier de ressources matérielles,

humaines et financières plus importantes provenant d’opérateurs extérieurs.

Les ressources matérielles dont dispose la Grande Ile ne facilite pas la création de films

car elles sont limitées pour le matériel et précaires en ce qui concerne la logistique.

Encore faut-il savoir quel matériel est utilisable et dans quelles conditions ?

La formation, elle, a plusieurs avantages : elle permet de découvrir de nouveaux talents

et permet une meilleure répartition des rôles par la spécialisation des métiers. Faire la

distinction entre les postes d’acteurs, de réalisateurs, de producteurs participera à

l’amélioration du travail de chacun.

Etablir des formations, c’est également mettre sur le marché du travail un « réservoir »

de personnes. L’offre de personnel est alors interchangeable et permet de travailler avec

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différentes personnes donc, par conséquent, d’avoir une diversité au niveau créatif. Pour

que cette émergence perdure, il est primordial que « la machine tourne en continu »,

c’est-à-dire que les professionnels aient toujours un travail. Un accroissement de l’offre

de service et de la demande de personnels favorise la création d’emploi.

Qui peut mettre en place des formations ?

Actuellement l’enseignement supérieur doté de six universités et d’une dizaine

d’institutions réparties dans les six provinces malgaches ne dispense pas ce genre de

formation.

Rencontrant un réalisateur formé dans les années 70, je lui ai posé cette question : « est-

ce que vous pourriez à votre tour mettre en place des formations ? »

Sa réponse a été la suivante : « il y a eu tellement d’évolutions techniques depuis toutes

ces années que je ne me sens pas opérationnel pour dispenser des formations. »

Comment permettre aux professionnels du cinéma de se former ?

Qui pourrait prendre en charge ces formations sinon les pays étrangers ?

Malheureusement, on parle souvent de la passivité malgache sans prendre en

considération les facteurs socio-économiques avec lesquels vit la population. Les projets

autonomes commencent à se développer mais manquent de structures, de fondations et

ne peuvent pas progresser seuls. La relation qui s’établit entre les professionnels du

cinéma n’est pas basée sur une relation de confiance. Chacun doute de l’autre. Il est

important psychologiquement pour la population d’avoir le soutien du gouvernement

malgache et d’opérateurs étrangers afin que les professionnels du cinéma conservent

leur vitalité et leur croyance. Ils sont à la recherche d’un second souffle, d’un souffle

étranger qui leur permettra d’innover, de créer, d’être de plus en plus performants.

Car pour l’instant, créer en autarcie provoque un sentiment d’isolement. En d’autres

termes, les aides privées ne suffisent pas à prévoir des projets à long terme. L’action de

cette société a été primordiale pour la naissance des événements, mais ne suffit pas pour

pérenniser les activités culturelles : « nous avons fait en sorte que le cinéma redémarre,

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et maintenant nous avons besoin du soutien des pays extérieurs pour permettre au

cinéma de devenir une industrie comme il en existe dans d’autres pays en voie de

développement. »

Le développement du monde artistique n’est que le reflet du monde social, un monde

social qui a besoin de la connaissance et de l’aide extérieure. Il est impossible de prévoir

l’émergence du cinéma à long terme basé sur un développement endogène.

Ce n’est que par le biais de partenaires étrangers que les professionnels malgaches

pourront appréhender un plan d’action susceptible de combler les déficiences du

système en vigueur.

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Projets de type 3 : Des initiatives ponctuelles soutenues par de multiples partenaires

Comme nous allons le voir, les projets de type 3 ont vu le jour grâce à des initiatives

personnelles et cependant mettent en relation une pluralité d’acteurs. Ce sont tous des

projets à faibles budgets soutenus par des organisations privées ou publiques étrangères.

Moteur de relance du cinéma à Madagascar

Le concept du festival Cannes Junior est simple. Structuré autour d’un événement

prestigieux ouvert à la société civile, il reçoit une couverture médiatique importante. De

nombreux articles de presse, des émissions de radio et de télévision lui on fait gagner sa

popularité. Non seulement la société civile peut durant une semaine assister à des

projections gratuites mais elle peut également participer à des rencontres organisées par

l’équipe du festival. Celles-ci se déroulent à la fin des projections entre les invités du

festival et le public. Ce panel d’invités est, soit en relation directe avec les films

programmés durant le festival (réalisateurs malgaches, réalisateurs étrangers ayant

tourné à Madagascar, réalisateurs africains, équipe du film « le peuple migrateur »,

équipe du film « Himalaya »), soit ce sont des personnes influentes dans le monde

cinématographique (comme Bernard Giraudeau) qui sont présentes pour partager leur

expérience. Ces échanges démystifient l’inaccessibilité de ce monde et permettent à cet

événement de marque d’établir des liens entre tous.

Ensuite, les tables rondes dirigées par les professionnels et ouvertes à tous abordent des

thèmes actuels qui incitent à la réflexion et tentent d’apporter des solutions afin de

promouvoir le cinéma à Madagascar. Les thèmes abordés sont les suivants :

- Les outils institutionnels d’aide à la relance du cinéma à Madagascar.

- La nouvelle production malgache : vidéo ou cinéma ?

- Copie illégale, exploitation illicite, plagiat : droits d’auteurs, voisins et associés et

propriété intellectuelle.

- Les perspectives du cinéma européen et les aides européennes et françaises à la

production du cinéma Sud.

- Quelles structures de production et de diffusion pour un cinéma à Madagascar ?

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- Le cinéma malgache peut-il exister, si oui, comment ? Revue des obstacles

économiques, culturels et problèmes de formations inhérents à la question.

- Cinéma : illusion ou réalité. La convergence entre le cinéma et la vidéo, le rôle du

comédien et l’importance d’une critique cinématographique.

Ces lieux de discussions font office de laboratoires de recherche et sont à l’origine de

prises de décisions conséquentes. La force de cet événement réside dans le fait que ce

n’est pas seulement un endroit où l’on parle mais c’est aussi un endroit où l’on se fixe

des objectifs d’année en année. Les concepteurs du projet appliquent le principe de la

recherche-action évoquée dans la revue de littérature. De ce travail découlent des

réflexions qui amélioreront l’action suivante : suite à la première édition du festival,

deux décrets ont été ratifiés par le gouvernement malgache (2000-112 autorisant

l’ouverture des salles, 2000-113 créant un fonds de soutien pour le développement du

cinéma national). Lors des conclusions du troisième festival, le délégué général du

festival a émis le souhait que les professionnels malgaches s’associent pour que leurs

attentes soient entendues par le gouvernement : « j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de

richesse, de passion mais tout cela est un peu éparpillé. Ce qui serait intéressant, c’est

que vous puissiez vous réunir sous une association du cinéma malgache. C’est à vous de

trouver le nom. Il faut pour cela une structure, un endroit où vous puissiez vous

retrouver, discuter, parler de vos besoins, de vos envies, de vos projets et de voir quelles

connections existent entre vous. Cela vous permettra de mieux vous faire entendre par

rapport aux autorités. C’est à vous de créer une base afin que cette base soit entendue

par les autorités. »

De l’enregistrement des tables rondes, un compte-rendu est réalisé et mis à disposition

du public. La constitution de cet outil permet d’une part, de constater les progrès réalisés

et d’autre part, sert de base pour les actions à mettre en place durant l’année en vue du

festival suivant. A l’origine, cet événement n’avait pas la certitude d’être renouvelé.

Mais il s’est avéré que la forte participation des institutions et des partenaires privés

permet d’envisager une pérennisation du festival grâce à la reconduction du budget par

le Ministère des Affaires étrangères français (40 000 euros pour l’année 2002) ainsi que

le renouvellement de l’aide des sponsors tel Air France, Antaris (filiale d’Orange) et

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Hilton. De plus, les partenaires privés malgaches et étrangers (MICC, Ministère de

l’Enseignement Secondaire et de l’Education de Base, Association malgache des

professeurs de français, Projet partenariat pour l’école à Madagascar) réitèrent leurs

soutiens. Tous ces partenaires participent directement au succès de ce projet.

Vers une participation malgache

En 2001, le budget de « La Maison de l’Eau de Coco » s’élevait à environ 554 000 euros

comprenant 60 % du budget alimenté par des subventions publiques étrangères, 30 % du

budget alimenté par des subventions privées malgaches et enfin 10 % du budget

provenant des activités de l’ONG (vente de l’artisanat confectionné par le travail des

familles qui se réinsèrent, recettes des séances de cinéma).

Ce qui signifie que les actions de cette structure ont vu le jour, en partie, grâce à l’aide

financière des partenaires étrangers. Toutefois cette structure travaille sur le terrain avec

du personnel malgache. A Madagascar, l’équipe compte 90 personnes : 70 à

Fianarantsoa, 12 à Tuléar et 8 à Mahajanga.

Comme nous l’avons vu, elle a une fonction socio-culturelle en incluant des actions

ponctuelles comme la réhabilitation des salles de cinéma.

Elle sollicite différents opérateurs malgaches. Elle a demandé l’autorisation du

propriétaire des salles de cinéma de Madagascar afin de réhabiliter et d’ouvrir ces lieux

sans que celui-ci ne participe financièrement à l’opération. Elle organise des partenariats

avec les collèges publics des trois villes de provinces pour offrir gratuitement la

projection de films pour les enfants, ce qui leur permet d’avoir des opportunités de

réaliser des activités culturelles loin de leur collège. Son mode de fonctionnement est

relativement simple. Les financements étrangers sont injectés directement à Madagascar

au profit du peuple malgache.

A long terme, les dirigeants de l’ONG souhaitent que les fonds ne proviennent plus que

des opérateurs privés et plus particulièrement des opérateurs privés malgaches. Ce qui

permettra à cette structure d’avoir une marge de manœuvre plus ample afin d’être

totalement autonome dans le choix de ses projets par rapport aux bailleurs.

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Partenariat basé sur la compatibilité de l’échange

Le projet « Makibefo » est beaucoup plus autonome contrairement aux autres projets qui

sont financés par des subventions publiques et qui doivent mettre en relation une

multiplicité de partenaires afin que l’investissement soit socialement rentable et

efficace. Le réalisateur a décroché une subvention pour réaliser un film. La priorité pour

les mécènes est le rendu final et non l’action par elle-même.

En revanche, le réalisateur, lui, a le soucis, pour la réalisation du film, de s’intégrer dans

le paysage malgache. Avant toute chose, il a dû prendre en compte le fait que les

interactions « projet-milieu » s’opèrent dans un contexte écologique, économique,

culturel et institutionnel qui influe très largement sur les effets de cette interaction. De

plus, comme je l’ai déjà souligné, pour la réalisation du projet, la compréhension du

mode de fonctionnement des habitants de Faux Cap (petit village dans le sud de

Madagascar) était primordiale.

Ce projet de développement apparaît ainsi comme un enjeu où chacun joue avec des

cartes différentes et des règles différentes. On peut dire aussi que c’est un système de

ressources et d’opportunités que chacun tente de s’approprier à sa manière. Dans cette

relation sociale la notion de pouvoir est toujours présente mais non conflictuelle car les

intérêts de chacun sont privilégiés. Les enjeux sont respectés, ce qui garantit le succès

de l’action et participe au développement du cinéma à Madagascar contrairement à de

nombreux projets qui privilégient l’enrichissement personnel de l’initiateur. Le

leitmotiv du réalisateur, en allant dans ce pays, se basait sur la découverte d’un pays

lointain : « si je suis allé tourner à Madagascar, c’est avant tout pour rencontrer des

hommes d’une autre culture. Cet échange m’a beaucoup apporté, et j’ai envie de

continuer dans ce sens. Je souhaite créer un projet, amener des gens qui ont de

l’expérience à Madagascar pour qu’ils puissent former une équipe.»

On peut également croire que les pêcheurs ont eu un grand respect pour cette équipe de

tournage : « je sais que l’on a été surveillé continuellement, ils observaient tous nos

déplacements et en même temps ils nous protégeaient contre les autres villageois car ils

savaient que nous avions de l’argent dans les caisses »

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Cette action de développement a été l’occasion d’une interaction entre des acteurs

sociaux relevant de mondes différents, dont les comportements sont sous-tendus par des

logiques multiples. C’est grâce à cette compatibilité de l’échange que le projet a été un

véritable succès.

Dans les projets de type 3, on est loin d’une politique colonialiste où la notion de

dépendance est palpable mais on observe une relation basée sur un processus

d’échanges. Les initiateurs des projets, après avoir pris connaissance de l’environnement

dans lequel ils vont travailler, guident pas à pas la population vers la voie de

l’autonomie. Chaque partenaire joue un rôle important en s’impliquant pleinement dans

le projet. Cette aide provenant de l’extérieur est acceptée par la population et devient le

support pour d’autres projets. Toutefois, il n’est pas vérifié que la population sache

comment en tirer le meilleur usage afin de prendre son envol.

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Conclusion : L’efficacité d’un partenariat grâce à des structures opérationnelles

Comme l’a expliqué R. Bastide, l’art est souvent l’expression d’une société. Témoigner

de la culture malgache par le biais d’images ou redonner vie au cinéma peut être une

façon de se positionner par rapport à la mondialisation qui privilégie les partenariats

économiques nationaux, internationaux en raison de la libération du système

économique. Cependant, l’idée que la mondialisation exerce des pressions

supplémentaires sur les pays en développement qui voient souvent se réduire encore la

maîtrise qu’ils pouvaient avoir de leur propre économie est démentie par l’Unesco.

En effet, dans son rapport annuel 2001, l’Unesco explique que la plupart des problèmes

qui entravent le développement économique des pays pauvres ne vient pas de la

mondialisation de l’économie en elle-même ou d’un comportement égoïste des nations

les plus riches, mais qu’il faut chercher la source dans ces pays eux-mêmes, dans les

formes de gouvernement autoritaires, la corruption, les conflits, les réglementations

tatillonnes et le faible niveau d’émancipation des femmes. Et d’ajouter qu’il est très

difficile de se libérer des circonstances qui prennent généralement la forme d’un cercle

vicieux de misère et de dénuement. Si nous avons vu que dans les projets de type 1, le

gouvernement malgache s’était mis en conformité avec les demandes des organisations

internationales en créant des organes de perceptions des droits, nous avons vu également

qu’il n’applique pas les règles. Ce partenariat existe mais n’est pas probant : il est

soumis à la corruption.

Quant à lui, le projet de type 2 ne fait pas fi des aides extérieures. Dans un premier

temps, le plus important pour les initiateurs était de se prouver qu’ils étaient capables de

réaliser seul leur production. Cette autarcie les a plongés très rapidement dans une

situation de blocage due au manque de ressources et au manque de professionnalisation

du secteur. Il apparaît que le développement du cinéma ne peut pleinement se réaliser

sans la mobilisation de l’Etat, dont le rôle serait basé sur la considération de l’intérêt

public.

Les projets de types 3 s’appuient sur la participation de multiples partenaires. En

premier lieu, leurs actions sont considérées comme ponctuelles sans pour autant évincer

l’idée d’une probable continuité qui pourrait se réaliser suite à la réussite des actions

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préalablement menées. De plus, ce partenariat est un véritable échange dans la mesure

où il prend en considération les attentes de chacun.

On parle de renouveau du cinéma à Madagascar : le cinéma sortirait de son état

léthargique grâce à des projets divers et variés. Cependant, le résultat n’est pas

totalement satisfaisant. Il y a inégalité entre les résultats suivant les types d’aides.

Comme nous l’avons vu dans la revue de littérature, tout partenariat est en principe

bénéfique car il permet d’établir une base d’échange nourrissant la réflexion. En effet,

on peut considérer qu’il n’existe aucune culture pure. Les cultures sont à la fois ouvertes

et fermées. Ouvertes par leur capacité à intégrer des éléments venus d’ailleurs. Fermées

dans la mesure où elles veulent sauvegarder le fondement de leur identité propre. Des

interactions entre les différentes cultures, une richesse s’extrait. Encore faut-il qu’il y ait

partenariat ! Car on s’aperçoit que les résultats mitigés proviennent d’un mode de

fonctionnement autonome, non volontaire, par manque de soutien du gouvernement. Il

semble important de considérer que les ressources en provenance de l’extérieur ne

peuvent qu’aider à déclencher les indispensables mutations intérieures.

Il est vital dans les pays les moins avancés d’orienter les investissements vers les

ressources humaines, de mettre en œuvre les formules de soutien actives et d’engager

des réformes structurelles au niveau de l’état et de la société civile, en prenant en

compte que le principal défi consiste précisément à faire en sorte que la mondialisation

puisse bénéficier à tous en évitant que la fracture sociale s’agrandisse. Les auteurs

précisent également que les pays d’accueil doivent faire bon usage de cette aide et que

les pays dominants doivent apprendre au peuple à être autonome. Apprendre à être

indépendant passe par la dépendance, par la connaissance et le savoir. Pour qu’il y ait

apprentissage, il faut des formateurs. A l’heure actuelle, pour parler d’émergence du

cinéma à Madagascar, il est urgent de mettre en place des formations techniques,

artistiques qui révèleront les professionnels malgaches.

Comme nous l’avons vu dans l’hypothèse précédente, le secteur doit être légitimé, ce

qui lui permettra de se professionnaliser. Avant cette étape, il est nécessaire de partir de

la base et de mettre en place des structures de formations. Ces différentes étapes ne sont

pas clairement énoncées dans la revue de littérature car les projets dont les auteurs font

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référence, s’appuient déjà sur des structures sociales et économiques existantes et

organisées.

Dans un cas comme Madagascar, les structures sont en place mais ne sont pas

opérationnelles ce qui détruit la logique de partenariats si on se réfère aux projets de

type 1 et 2.

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Hypothèse III=> Le développement s’appuie sur la rationalité et la cohérence des projets

Après avoir validé nos deux premières hypothèses et démontré que le développement

nécessitait des interactions entre un système économique, social et culturel tout en

incluant la participation de multiples partenaires. Nous avons étudié l’orientation des

projets, ce qui nous a permis de comprendre que la réussite d’un projet dépend de sa

finalité. Dans les pays en voie de développement, le projet avant d’avoir une finalité

culturelle ou économique doit opter pour une intention sociale tout en se rattachant à un

circuit économique en place. Ensuite nous avons observé la relation existante entre le

projet et ses partenaires, ce qui nous a permis de mesurer l’autonomie du groupe par

rapport à l’extérieur, c’est-à-dire voir comment le groupe respecte les règles et prend des

initiatives.

Nous allons maintenant procéder à une analyse plus approfondie des projets à partir des

observations faites dans le tableau ci-joint. En effet, certains n’ont pas l’impact prévu en

raison d’incohérences notoires. Au contraire, d’autres ont des résultats positifs grâce à

leurs logiques d’actions implacables.

Hypothèse 3 : Le développement s’appuie sur la rationalité et la cohérence des

projets

Projets de type 1 Constats : � Pas de suivi des projets � Pas de respect des lois � Incohérence du projet � Etat est dans une logique de censure

Projet de type 2 Constats : � Mauvaise division du travail � Manque de coopération et de coordination

Projets de type 3 Constats : � Evolution des projets � Accompagnement des projets � Structure légère � Personnalité des individus � Satisfaction des besoins primaires puis des besoins secondaires � Prise de risques � Tactique de contournement

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Projets de type 1 : Un mode de coopération à construire

Manque de coordination entre les attentes et les besoins

Afin de mettre en place le projet de sauvegarde du patrimoine, il a été demandé par les

organisations internationales d’établir un devis prévisionnel dans le but d’estimer les

besoins à cet effet. Cette demande est apparue incohérente pour la dirigeante du

Cinémédia car il lui était impossible d’estimer le montant : « comment voulez-vous que

l’on estime le montant des travaux à réaliser pour que les archives vivent ? »

En effet, d’un point de vue technique, il s’avère difficile d’estimer le montant de

l’investissement. La solution idéale est le stockage des films dans des lieux adaptés au

climat de la Grande Ile, ce qui signifie que les bobines ne doivent pas être entreposées à

même le sol et subir les aléas climatiques d’un pays tropical (le taux d’hygrométrie

élevé et d’incessantes pluies tropicales) comme c’est le cas à l’heure actuelle. Les films

doivent être protégés de l’humidité pour éviter que les couleurs ne se détériorent.

De plus, le but de la conservation des archives est de permettre au grand public d’y

accéder. Pour ceci, il faut transférer les films originaux en 35 ou 16 mm en copies

numériques.

Il est donc impossible de chiffrer ces besoins « à la louche ». Il faut faire appel à des

architectes professionnels pour une étude préalable. Financièrement, cette étude

préalable ne peut être prise en charge par le Cinémédia : « nous n’avons pas le budget

suffisant pour faire appel à des personnes qualifiées qui pourraient établir un véritable

devis.»

Résumons la situation : nous avons une organisation qui propose de mettre en place une

action et nous avons une autre organisation qui ne peut pas répondre à cette demande.

En effet, sachant que cette organisation, même en étant nationale, ne peut avoir le

soutien du gouvernement malgache, il lui faut, dans ce cas précis, impérativement des

interlocuteurs extérieurs. C’est ce qu’a souligné la personne concernée : « j’aurais

souhaité obtenir véritablement le soutien de cette organisation face au gouvernement

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malgache et pouvoir travailler avec des interlocuteurs ou des conseillers présents sur le

terrain ce qui aurait permis la poursuite du projet.»

Comme nous l’avons vu dans les théories du développement, le peuple « dominé » doit

être accompagné lors de projets. L’interaction entre les chercheurs et les décideurs est

primordiale. Dans ce cas présent, il existe véritablement un fossé entre la demande des

pays riches et les actions qu’ils mettent en place pour satisfaire cette demande. Ne pas

prendre en compte certaines réalités accentuent le manque de coordination entre les

partenaires et accroît la démotivation des acteurs.

Si les pays riches considèrent que la diversité culturelle doit conduire au dialogue entre

les pays et à l’ouverture vers le monde extérieur, ceci ne peut avoir lieu qu’en

sensibilisant les décideurs et les citoyens à la confrontation des idées et au

rapprochement des interventions, base de la coopération.

Le déficit de régulation du système

Loin d’être une simple adaptation technique à la « société de l’information », l’évolution

du droit de la propriété intellectuelle est un enjeu politique. Comme nous l’avons vu,

Madagascar a répondu à la demande des institutions internationales, en se mettant en

conformité avec les lois mais celles-ci ne sont pas respectées, ce qui ne favorise pas le

développement de l’industrie cinématographique et les bonnes relations avec la société

civile.

Nous allons expliquer comment les organisations internationales se structurent et

contribuent à la mise en place de politiques internationales développant le respect du

droit de la propriété intellectuelle dans la Grande Ile, ce qui nous permettra de trouver

une explication sur le déficit de régulation lié au projet.

Pour cela rappelons brièvement quelques éléments intéressants sur l’historique de la

mise en fonction des différents organes qui font respecter le droit d’auteur.

En France, à la fin du XVIIIème siècle, la situation des auteurs étaient extrêmement

précaire. Tout-puissants, les comédiens français utilisaient à leur gré les œuvres des

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auteurs en les payant mal. Après quatorze ans de lutte, les auteurs obtiennent une

première loi, adoptée le 13 janvier 1791 et ratifiée le 19 janvier 1791 par Louis XVI.

Puis suivra la création d’un Bureau de Perception des droits d’auteurs deux mois plus

tard.

Grâce à cette loi, pour la première fois au monde, le droit d'auteur est reconnu.

Vers 1841, Lamartine propose une loi internationale qui étend dans le monde entier la

protection dont jouissent déjà les auteurs français : « cet acquis français doit dépasser

nos frontières ». C’est alors que naîtra la convention de Paris19 en 1883 (signée par

Madagascar le 21 décembre 1963) pour la protection de la propriété industrielle, premier

instrument international majeur conçu pour aider les habitants d'un pays donné à obtenir

que leurs créations intellectuelles soient protégées dans d'autres pays par des titres de

propriétés industrielles tels que les brevets d'invention, les marques, les dessins ou les

modèles industriels. Suivra en 1886, la Convention de Berne20 (signée par Madagascar

le 1er janvier 1966) protégeant les œuvres littéraires et artistiques. L'objet de cette

convention était d'aider les ressortissants des Etats membres à obtenir la protection

internationale de leur droit d'exercer un contrôle sur l'utilisation de leurs œuvres

originales et de percevoir une rémunération à cet égard, qu'il s'agisse de romans, de

nouvelles, de poèmes, de pièces de théâtre, de chansons, d'opéras, de comédies

musicales, de sonates, de dessins, de peintures, de sculptures et d'œuvres d'architecture.

La perception des droits se faisait par des Bureaux internationaux chargés également

d'assurer les tâches administratives. En 1893, ces deux petits bureaux ont été réunis pour

former une organisation internationale appelée Bureaux Internationaux Réunis pour la

protection de la Propriété Intellectuelle (plus connue sous le sigle BIRPI). De cette petite

organisation naîtra en 1970 l'actuelle Organisation Mondiale de la Propriété

Intellectuelle (Madagascar a été signataire le 22 décembre 1989 de la convention de

l’OMPI de 1967 modifiée en 1979. 41 pays sur les 49 pays les moins avancés (PMA)

sont membres de l’OMPI).

19 : Cette convention sera modifiée en 1979. 20 : Cette convention sera modifiée en 1979.

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En 1974, l'OMPI est devenue une institution spécialisée du système des Nations Unies,

avec pour mandat d'administrer les questions de propriété intellectuelle reconnues par

les Etats membres des Nations Unies.

Parallèlement, en 1947, le traité du GATT (General Agreement on Trade and Tariffs ou

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) est signé par 23 pays

(Madagascar signera le 30 septembre 1963 cet accord, à cette époque 58 pays en sont

déjà signataires), et a pour objectif de réglementer le commerce international afin qu’il

fonctionne harmonieusement. Le 15 avril 1994, lors d’une réunion, les 128 pays

contractants décident d’abandonner la forme institutionnelle du GATT au profit d’une

Organisation Mondiale du Commerce (en 2003, l’OMC compte 146 membres) car il a

été souligné que cet accord montrait des limites démocratiques résumées dans ce slogan

« le GATT à la carte ». La réglementation concernant le commerce des marchandises a

été conservée. Les principales différences entre les deux organisations sont :

� La création d’un conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC)

� La création d’un conseil du commerce des services

� La création d’un organe de règlements des différends (ORD) qui est une sorte de

tribunal international entre les états membres.

En résumé, la différence entre les deux organisations est que l’OMC s’ouvre aux

services, réglemente les droits de propriété intellectuelle et se dote d’un tribunal pour

régler les conflits.

L’OMPI et l’OMC, étant préoccupés par des intérêts communs, signent en 1996 un

accord de coopération visant à aider le Conseil à mettre en œuvre l'Accord sur les

ADPIC, tout en fixant des délais pour que les Etats membres de l’OMC puissent

adapter leur législation aux principes de l’OMPI : jusqu’au 1er janvier 2000 pour les

pays en développement et ceux en transition et jusqu’au 1er janvier 2006 pour les pays

les moins avancés dont fait partie Madagascar. Un des principes de cet accord est de

mettre en œuvre le droit de la propriété intellectuelle pour favoriser le développement

économique, social et culturel du pays. Enfin, l'une des principales tâches de l'OMPI

consiste à promouvoir chez ses Etats membres le développement progressif et

l'harmonisation des législations, des normes et des pratiques en matière de propriété

intellectuelle. Encourager, au niveau international, la constitution d'un corps commun de

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principes et de règles régissant la propriété intellectuelle exige des consultations

approfondies avec les Etats et les autres groupes intéressés. Les activités de

développement du droit de la propriété intellectuelle à l'OMPI sont le reflet des deux

principales composantes de la propriété intellectuelle. Elles comprennent d'une part, le

développement du droit de la propriété industrielle et d'autre part, le développement du

droit d'auteur. Au travers de son programme de coopération pour le développement et de

son programme de coopération avec les pays en transition, l'OMPI fournit une assistance

juridique et technique destinée à aider les pays bénéficiaires à renforcer leur législation

et leur système de propriété intellectuelle.

En résumé, les organisations internationales instaurent un processus que le

gouvernement malgache doit faire appliquer à ses partenaires privés et publics. Cette

relation ne fonctionne pas. Nous avons vu que les Etats membres peuvent déposer des

plaintes contre un autre pays qui ne respecte pas le droit international. Les conflits sont

réglés par un tribunal (ORD) dont le fonctionnement est le sujet de discussions : il est

peu transparent, et actuellement seul les Etats membres peuvent déposer une plainte, les

personnes privées (ONG …) ne sont pas encore autorisées à demander l’ouverture d’une

procédure de contentieux. De plus, suite à un entretien avec un des membres du service

de la concurrence de l’OMC, ce tribunal a été pris d’assaut et a fait l’objet de

nombreuses demandes qui sont lentement traitées vue la petitesse de la structure. Ce qui

signifie que le système est engorgé par l’affluence des demandes.

L’OMC et l’OMPI ne devraient-ils pas se doter d’un outil plus structuré, plus

compartimenté, plus opérationnel afin que soit respecté le droit international ?

Cet exemple nous explique que les relations entre les différents partenaires doivent être

régulés par un organe de contrôle afin que l’Etat malgache joue le rôle institutionnel

attendu par la société civile. Car pour l’instant l’aide extérieure ne sert pas à améliorer

l’éventuelle structuration du domaine artistique afin que celui-ci se professionnalise. De

plus, le fait de fixer un délai afin de permettre aux PMA de se mettre en conformité avec

les demandes internationales n’est pas adapté au cas présent car nous avons vu que de

nombreuses initiatives ont eu lieu dans la Grande Ile suite aux requêtes des institutions

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internationales. Le gouvernement n’a émis aucune opposition pour l’ouverture de la

société de perception du droit des auteurs (OMDA). Il ne manque plus qu’un organe

chargé de faire respecter le droit, ce droit même qui est au cœur des relations

internationales. Depuis la fin de la guerre froide, on considère que la communauté

internationale a le pouvoir d’établir et de faire respecter la démocratie au sein de ses

états membres grâce au droit. Il s’avère que la notion de régulation (processus qui

consiste à suivre en permanence l’action dans le cadre de règles formelles qui encadre

de manière simple cette action) existe dans notre pays mais n’existe pas dans un pays

comme Madagascar. Si l’on prend l’exemple du respect du droit d’auteur, ne serait-ce

pas utopique de penser que l’on va respecter la loi car elle existe tout en sachant qu’il

n’existe aucun dispositif afin de « punir » les coupables ? Alors pourquoi ne pas

enfreindre les lois si ce n’est pas si grave ?

De plus, la généralisation des équipements de reproduction et, plus récemment, les

progrès de la technologie digitale ont contribué à l’augmentation du piratage au

détriment des ventes réalisées par les industries culturelles et, par conséquent, des droits

que perçoivent les créateurs sur lesdites ventes. Tous les secteurs sont touchés par le

piratage : l’édition, l’industrie phonographique et audiovisuelle et les producteurs de

programmes informatiques. Pourquoi ne pas enfreindre la loi lorsque le piratage est un

délit de droit commun à Madagascar alors que c’est un délit de droit pénal dans d’autre

pays ?

Cependant, pour essayer d’assainir la situation, l’OMDA se défend en disant « mettre

un frein à l’anarchie en contrôlant le cahier des charges et en contrôlant les

autorisations d’exploitation des chaînes télévisuelles. »

Le paradoxe de la mesure : un fonds de soutien alimenté par la diffusion cinématographique

dans un pays où les salles de cinéma sont fermées

Nous avons vu que le fonds de soutien a été créé pour relancer le cinéma national.

Cependant, depuis sa création, il n’a encore fait l’objet d’aucune sollicitation des

professionnels malgaches qui le considèrent comme un établissement « fantôme » et

d’une totale incohérence. De plus, le budget du fonds de soutien est si maigre qu’il ne

peut en aucun cas aider une production cinématographique locale. Rappelons que le

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fonds de soutien est alimenté par des droits de tournage des productions étrangères et

par des taxes prélevées sur les tickets d’entrées. Nous avons vu que peu de productions

étrangères se risquent à tourner à Madagascar en raison du manque d’infrastructures.

Mais la principale incohérence réside dans le fait que le fonds est alimenté grâce aux

taxes prélevées sur les tickets d’entrées. Comment alimenter ce fonds alors que l’on sait

qu’à Madagascar les salles de cinéma sont fermées ? Paradoxalement, le décret 2000-

112 autorisant l’ouverture des salles a été ratifié, mais aucune salle n’a fait l’objet de

réouverture définitive car pour obtenir l’agrément d’autorisation d’exploitation, les

gérants de ces salles doivent se mettre en conformité avec des textes drastiques.

L’article n° 25 du cahier des charges sur l’agrément d’exploitation commerciale de films

stipule que, pour toute salle de plus de 500 places diffusant des films en format

professionnel (35 mm), un parking doit être mis à disposition du public. Sachant que les

cinémas se trouvent en centre-ville (et font plus de 500 places), il est quasiment

impossible de concevoir un parking près des salles et encore moins de financer des

travaux pour la construction de parkings souterrains. Lors de mon enquête, il m’a été

dit : « nous ne pouvons pas mettre aux normes nos salles de cinéma car le coût de

l’aménagement d’un parking ne peut pas être supporté par un privé. »

Néanmoins, le décret autorise l’ouverture ponctuelle des salles, lorsque les diffusions se

font à but non lucratif ou lorsque ce sont des diffusions en vidéo.

Seuls le Ritz et le Rex à Tananarive ouvrent leurs salles ponctuellement pour le festival

du cinéma malgache, pour le festival Cannes Junior et pour les diffusions de Lights

Productions. Dans la mesure où les places sont gratuites lors des festivals, le fonds de

soutien ne reçoit aucune entrée d’argent. Les diffusions de Lights Productions sont peu

nombreuses et ne permettent donc pas au fonds de soutien d’être alimenté suffisamment

pour apporter une aide lors d’un tournage cinématographique national.

Les professionnels malgaches s’accordent à dire que cette aide n’est pas adaptée à la

situation économique et culturelle de la Grande Ile. Ils leur semblent que les lois mises

en place sont plus une réponse à la demande des pays riches et une façon de prouver que

Madagascar est sur la scène politique internationale en adhérant aux projets des pays

industrialisés. En effet, le fonds de soutien a été mis en place suite au festival Cannes

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Junior qui a sollicité la participation du gouvernement malgache pour promouvoir le

cinéma.

En résumé, le ministère de la culture malgache s’investit dans la production de films qui

ne pourront pas être diffusés.

Produire sans avoir la possibilité de diffusion est un total paradoxe qui ne permet pas de

parler d’une réelle volonté du pouvoir public de favoriser une politique de relance pour

l’industrie cinématographique.

Ces exemples montrent combien ces projets sont marqués par des mesures incohérentes

qui ne permettent pas d’avoir les résultats escomptés.

Ces aides ne sont pas adaptées aux demandes des professionnels malgaches dont le

principal besoin est d’être en relation avec des interlocuteurs afin d’assurer le suivi des

programmes. En globalité, les professionnels malgaches se détournent complètement de

ces projets et préfèrent s’investir dans des projets privés car ils prétendent que le

gouvernement n’apporte pas de solution aux problèmes liés à la professionnalisation du

secteur.

Dans la revue de littérature, nous avons vu que tout développement doit procéder à un

changement structurel qui influe sur le changement social et vice versa, un changement

social peut permettre de changer la structure. Dans ce cas, le déficit structurel dont

souffrent ces projets ne permet pas d’imaginer un éventuel changement de mentalités.

En réalité, ces projets favorisent la notion de désordre au lieu de construire un équilibre

social.

Projet de type 2 : Un résultat mitigé dû à des incohérences de fonctionnement

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Le but initial des professionnels du cinéma était de voir renaître le cinéma à

Madagascar. Les dirigeants du projet de type 2 ont su catalyser les énergies de chacun,

ce qui a permis de poser la première pierre de l’édifice. Même si cette initiative était

basée sur « le phénomène de croyance », décrit par Norbert Alter, qui signifie dans ce

cas « je réalise des films car je crois que c’est nécessaire pour la société », le système

souffre d’incohérences notoires que nous allons expliquer et qui permettront de

comprendre pourquoi le résultat obtenu n’est pas celui attendu.

Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, il existe quelques incohérences

intrinsèques au discours et à la stratégie de diffusion qui ont été corrigées, et par

conséquent, ne sont pas de véritables obstacles au projet :

- Le fait de vouloir rivaliser avec le cinéma américain utilisé à l’origine du projet

comme moteur d’action relevait d’un concept utopique.

- Après avoir projeté les nouvelles productions dans la capitale, les dirigeants ont

décidé de projeter leurs films en province. Ils m’ont dit avoir manqué de stratégie

pour cette action : « nous avons fait une mauvaise communication sur les horaires

des séances ce qui n’a pas permis de fidéliser le public. Et nous n’avons pas

organisé ces événements à la bonne époque. A Madagascar, économiser une partie

du salaire n’est pas entré dans les us et coutumes de la population. Il est donc

préférable d’organiser des événements après la saison des récoltes, au moment où

la société civile a un peu de pouvoir d’achat et peut se permettre de s’offrir des

loisirs. »

En revanche, lors des entretiens, il m’a été souligné par les interviewés certaines

incohérences organisationnelles considérées comme beaucoup plus problématiques tels

la division du travail et le manque de coordination que nous allons étudier.

Alors que les autres arts ne deviennent une industrie qu’après la création, le cinéma

comme la télévision, ont le privilège ambigu de l’être d’emblée. Créer un film comporte

tout un ensemble de pratiques caractéristiques, qui vont des méthodes conventionnelles

de production jusqu’aux modes de diffusion, en passant par le choix des techniques et

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par la diversité artistique, une transformation radicale de l’une de ces pratiques peut

devenir le germe d’un monde nouveau.

Les organisations doivent, non seulement avoir la mainmise sur les sources de

financements, les publics et les systèmes de distribution mais aussi doivent structurer

leurs fonctionnements en interne.

Comment organiser le travail artistique pour permettre aux gens d’en vivre ?

Nous verrons comment le manque de cohérence dans la division du travail, dans la

coordination et la coopération enrayent l’aboutissement des projets.

La division du travail

Le manque d’organisation dont souffrent les professionnels malgaches est un fait réel. Il

s’explique donc comme nous l’avons vu par la rudesse des conditions économiques du

pays (précarité sociale, multiples activités), bien que les professionnels soient

rémunérés, mais aussi par une très mauvaise définition des rôles de chacun. Au sein

d’un groupe, les tâches ne sont pas réellement définies entre tous. Toutefois, chacun

participe à l’évolution du projet. Il n’est pas rare de voir des acteurs qui passent souvent

de l’autre côté de la caméra tout en continuant d’exercer leur métier quand cela est

possible, pour pallier le manque de budget. Certains réalisateurs ont une formation de

base comme metteur en scène de théâtre, ce qui n’est pas en soi le même métier.

Beaucoup de cinéastes sont aussi producteurs. Lors de l’enquête, il apparaît nettement

que cette polyvalence peut être aussi un frein au bon déroulement du projet car chacun

amène son point de vue et ne peut se mettre d’accord sur les choix proposés : « c’est

vrai tout le monde s’occupe de tout et fait tout. On ne sait plus qui doit faire quoi. On

n’arrive à aucun résultat. En ce qui me concerne, j’ai du mal à faire des compromis. »

Une même personne peut avoir des fonctions administratives et créatives, ce qui n’est en

principe pas compatible. Les enjeux des uns et des autres deviennent différents. Au lieu

de s’unir et trouver des accords, chacun reste sur ses positions. Ne pas définir le rôle de

chacun dans une équipe est non seulement un problème de réduction de coût mais

surtout un problème de formation. De plus, certaines personnes n’arrivent pas à savoir

s’ils sont plus créatifs ou artistiques. Enfin la relation qui s’établit dans une équipe n’est

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pas une relation basée sur la confiance car on soupçonne souvent l’autre de n’être pas

assez professionnel.

Comme l’a souligné Becker, la parcellisation du travail ou la division du travail est une

donnée caractéristique dans le domaine artistique, notamment pour la production de

films. Néanmoins, il faut une limite à la segmentation des tâches sinon on adopte le

modèle américain. Dans ce cas, le personnel employé pour un tournage de films est

multiple, le travail est compartimenté ce qui est favorable pour la création d’emploi

mais qui est plus difficile dans sa gestion quotidienne.

La réalisation d’un film repose donc, sur l’exercice de certaines activités par certaines

personnes au moment voulu. Une mauvaise répartition des rôles est un frein à

l’émergence d’un secteur.

La coordination et la coopération

Comme nous l’avons vu, la division du travail ne signifie pas que chacun est

indépendant dans la réalisation de ses objectifs. L’autonomie est illusoire et n’exclut

nullement le travail en équipe. Celui-ci s’avère plus difficilement gérable : plus il y a

d’intermédiaires et plus la coordination entres les différents membres d’une même

équipe est souhaitable. La coopération entre les acteurs est au centre de l’analyse, les

diverses catégories de participants ont au moins un intérêt, un but commun : celui de

faire exister le type d’art concerné.

L’artiste se trouve alors au centre d’un réseau de coopération dont tous les acteurs

accomplissent un travail indispensable à l’aboutissement de l’œuvre.

La coopération d’autrui est primordiale malgré la dépendance des artistes envers les

autres personnes qui imposent des contraintes techniques que les chefs de projets

doivent accepter certaines fois à contrecœur.

En Europe, une mauvaise répartition des rôles au sein d’entreprises donne lieu en

majeure partie à des conflits ou à des luttes internes. A Madagascar, le schéma est

différent. La prise de position des individus ne se fait pas par le biais du conflit mais par

le désengagement. Pour ainsi dire, le conflit n’existe pas. Lorsqu’il y a divergence

d’opinions, il y a désengagement des personnes dans un laps de temps très court. Une

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mauvaise coopération entre les acteurs est souvent source de désengagement : « il y a eu

une association du cinéma à Madagascar qui comptait 35 personnes, mais très vite ses

activités se sont effondrées. Les gens n’étaient pas d’accord entre eux. De 35 adhérents

nous sommes passés à 6 adhérents. L’association n’a plus d’activité à l’heure

actuelle. »

Pour Becker, chacun doit avoir un rôle précis, ce qui permet de mobiliser l’action

collective qui participera à la réussite du projet. Comme il a été signalé précédemment,

la division du travail n’est pas une notion pleinement établie à Madagascar, ce qui rend

difficile la coordination entre les membres du projet. Cette incohérence ne permet pas de

gérer des situations d’incertitude et de risque, et provoque un certain déséquilibre au

sein de l’organisation. Un projet doit s’appuyer sur la construction d’accords, sur la

coopération obligée entre les acteurs, sur l’équilibre de l’ensemble du système social.

Dans ce cas précis, seul le changement de mentalité au sein de l’organisation pourra

apporter un changement structurel, ce qui permettra d’atténuer les dysfonctionnements

en interne et permettra au projet d’évoluer. Ce qui soutient le point de vue de Becker :

« les changements qui ne parviennent pas à conquérir un réseau de coopération ou à en

créer un autre, restent sans lendemains. »

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Projets de type 3 : Des projets auto-adaptables

Les projets de type 3 ont incontestablement favorisé le développement du cinéma à

Madagascar. Les organisateurs ont pensé, réfléchi à un modèle de fonctionnement qui

pouvait s’adapter dans un pays comme Madagascar.

Evolution des logiques d’action

« La forme de censure la plus totale consiste à détruire les œuvres qui dérangent le

gouvernement (Becker, Les mondes de l’art, 1988 : 201). La plupart du temps, la

censure n’est pas aussi impitoyable ni aussi totale. Elle intervient au stade de la

distribution plutôt qu’à celui de la création ou de la conservation des œuvres. L’Etat en

interdit la vente, l’exposition ou la représentation dans les lieux habituels. Etant donné

que les mondes de l’art ont tous des circuits de distribution (qui passent ou non par des

intermédiaires), la censure consiste à refuser à l’artiste l’accès à ces dispositifs

institutionnels (Becker, Les mondes de l’art, 1988 : 202). Les censeurs qui veulent

dissuader les gens de participer à des activités artistiques contestataires peuvent ainsi se

contenter de quelques actions ponctuelles qui pèseront sur les décisions des

artistes (Becker, Les mondes de l’art, 1988 : 205). »

Dans sa démarche, le festival Cannes Junior contourne l’idéologie étatique proche de la

notion de censure. Il ambitionne le développement du cinéma sur la Grande Ile. Il ne

donne pas seulement à voir mais participe activement à l’émergence du cinéma à

Madagascar en proposant des rencontres qui ont permis d’être la base de l’évolution qui

en a suivi.

Les objectifs de Cannes Junior, les plus communément reconnus sont :

- Favoriser les contacts entre professionnels par l’intermédiaire des tables rondes.

- Encourager les initiatives personnelles.

- Susciter le désir de voir des films.

Cependant en fond d’écran, apparaît nettement le désir d’assainir le paysage

audiovisuel de la Grande Ile et d’inciter le gouvernement à édicter un décret concernant

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l’ouverture des salles de cinéma et par conséquent d’abolir cette censure non dite.

L’autonomie acquise grâce à l’indépendance financière et technique du festival

encouragea les membres de l’institution malgache à participer à cet événement

prestigieux et à entamer une réflexion constructive. En théorie, les décrets qui ont vu le

jour suite au premier festival auraient pu voir le jour sans festival. En fait, cet

événement a été un support de contournement aux obstacles, un moyen habile pour faire

valoir une revendication. Il est toujours plus judicieux de flatter son interlocuteur

lorsqu’on souhaite obtenir sa participation que de lui faire remarquer ses erreurs et de lui

imposer un changement ! Les initiateurs du projet ont osé, très habilement et très

intelligemment, contourner les principes non-démocratiques établis depuis de si longues

années. En endossant le rôle « d’innovateur », terme cher à Norbert Alter, ils ont reçu

l’approbation, le respect, le soutien de professionnels du cinéma malgaches.

La force de cet événement réside dans le fait qu’une évaluation est réalisée à la fin de

chaque cycle.

La deuxième édition de Cannes Junior a permis de constater :

- Que les textes de loi pour la réouverture des salles ont été ratifiés mais ne sont pas

appliqués.

- Que les opérateurs culturels privés à Madagascar sont en conformité avec les normes

françaises, internationales ou malgaches en matière de droit d’auteur, droit de diffusion

et d’exploitation mais les lois ne sont pas appliquées.

La troisième édition de Cannes junior a permis de constater que cet événement a été le

tremplin ou un événement moteur pour la diffusion et la production du cinéma à

Madagascar. En effet, des résultats se font sentir sur la production locale malgré son

coût élevé grâce aux initiatives de Lights Productions. Cannes Junior a fait revivre la

créativité et l’ambition du personnel de la société malgache pour produire des films.

Quelques professionnels ont enfin retrouvé l’énergie et la confiance en eux, perdues

depuis des années.

En revanche, elle a permis de souligner à nouveau que les salles n’ont toujours pas été

réouvertes malgré un texte de loi ratifié depuis l’année 2000 qui autorisait l’ouverture

des salles de cinéma de la Grande Ile sous certaines conditions.

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Suite à ces observations, les organisateurs du festival suggèrent aux professionnels

malgaches de s’organiser en une association : l’autonomie des acteurs doit s’inscrire

dans un cadre formel pour lutter contre le cadre informel généré par le gouvernement

malgache.

Lors des interviews, il m’a été signalé que « même si la troisième édition du festival a

été un véritable succès auprès de la société civile, nous avons relevé un certain

désengagement des professionnels malgaches quant à leurs participations aux tables

rondes ou à leur implication dans la vie culturelle malgache. Est-ce que cette

démobilisation est liée aux événements politiques ou est-ce que pour la quatrième

édition du festival, nous devons envisager un mode de fonctionnement différent qui

prévoirait un suivi des opérations durant l’année avec des rendez-vous moins

sporadiques ? »

Analysons la méthode utilisée qui rend ce projet cohérent.

Le véritable succès de ce projet tient dans le fait que cette organisation se considère

comme un système ouvert, soumis à des contraintes. La démarche prend en compte la

complexité de la situation due à la variété des individus et des entités organisationnelles,

due à la variété des intérêts multiples et divergents de chacun tout en ayant une vision

globale de la situation.

Prendre en considération cette diversité nécessite une réadaptation des objectifs selon le

contexte extérieur, ce qui est possible seulement si d’emblée on ne cherche pas à

accéder à une finalité mais à des buts intermédiaires fixés lors d’évaluations. Le projet

évolue en fonction de la demande et dépasse les intentions prévues du début. Des

ajustements quotidiens ou de nouvelles orientations sont nécessaires afin de répondre au

mieux à la problématique posée (l’émergence du cinéma) et aux enjeux concrets pour

les usagers dans leur vie de travail.

Dans ce projet, la clef de sa réussite réside dans le fait d’associer le travail de terrain

avec celui de réflexion comme nous l’a décrit Jean-Pierre Olivier de Sardan en faisant

l’apologie du binôme développeurs/chercheurs.

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Toutefois, des changements par rapport au sujet initial sont acceptés dans la mesure où

les acteurs perçoivent qu’ils ont quelque chose à gagner et qu’ils pensent maîtriser

suffisamment les leviers et les conséquences d’une nouvelle orientation.

Parer aux besoins primaires et secondaires

A.H.Maslow bâtit une théorie selon laquelle les besoins, dont la satisfaction est

indispensable à la vie de l’homme, engendrent les motivations qui poussent l’homme à

agir. Selon lui, les besoins sont hiérarchisés : un besoin supérieur ne peut être satisfait

avant la satisfaction des besoins inférieurs. Aller au cinéma n’est pas un besoin primaire

à Madagascar mais le deviendra certainement à long terme car la demande du public

d’accéder aux loisirs est forte. Nous avons vu que les 15 000 billets pour le festival

Cannes Junior sont distribués en une heure et que la salle de cinéma est le symbole d’un

espace de liberté redécouvert, en contradiction avec l’ordre des autorités détruisant

sournoisement la vie dans ces salles de cinéma pour en faire des salles obscures.

Comme nous l’avons vu, le projet de « La Maison de l’Eau de Coco » a une finalité

sociale ponctuée d’actions favorisant le développement culturel. C’est dans cette double

démarche que repose la réussite du projet. Il s’adresse aux plus démunis et leur permet

de se réinsérer dans la vie sociale tout en ne négligeant pas le reste de la population et en

leur proposant d’accéder aux loisirs qui sont quasiment inexistants dans les villes de

province.

Le souhait de l’initiateur est de prendre en considération l’environnement et de

s’organiser en fonction de celui-ci tout en s’adaptant à une prodigieuse variété de

situations spatiales, sociales et techniques.

La cohérence basée sur la notion de risque

Pour réaliser le film « Makibefo », le réalisateur a formé les pêcheurs au travail

d’acteurs et en contrepartie, ils ont reçu un salaire journalier équivalent à ce qu’ils

auraient gagné pour une journée de pêche. Le réalisateur a préféré ne pas verser de

salaires élevés qui auraient pu avoir des conséquences assez catastrophiques sur

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l’équilibre économique régional mais, rappelons-nous, il a trouvé plus judicieux de

soutenir le village sur du long terme en achetant des équipements de pêche plus

modernes financés par une coopérative de pêcheurs dont la caisse serait alimentée par le

versement des droits du film. Cette action a pour but d’améliorer les conditions de

travail de chacun et de participer au développement économique et social du village.

Toutefois, ce projet est basé sur ses propres croyances car à l’origine de l’aventure, il ne

pouvait être certain du résultat du projet. En effet, seules les diffusions de son film lui

permettront de créer la coopérative de pêcheur. Ne connaissant pas l’issue de son projet,

il prend des décisions en situation de fortes incertitudes et de risques. Il suppose que son

film va être diffusé mais rien ne lui permet de croire qu’il le sera. Par ce fait, le concept

de son projet est considéré comme non rationnel car il ne connaît pas les résultats des

processus mis en œuvre.

Dans le domaine culturel, la création ne représente pas une action étroitement guidée par

l’intérêt économique puisqu’on ne connaît pas les retours. Elle est au service d’un

objectif plus général : celui du plaisir, de la reconnaissance sociale et de l’autonomie du

créateur. La création fait appel à des logiques cohérentes basées sur des faits non

rationnels qui font appel aux croyances. Et ce sont ces croyances ou cette passion qui

agréent la réussite du projet et légitiment sa cohérence.

En privilégiant l’interaction entre les décideurs et les exécutants, en mettant en valeur

l’enjeu de chacun, en assurant une certaine cohérence dans le fonctionnement

économique régional, en obtenant la crédibilité nécessaire aux yeux des financeurs et de

la population civile, il a éliminé le risque pris au début de son projet et pourra

renouveler une opération de ce style car il obtiendra plus rapidement l’aval de ses

partenaires sans que ceux-ci aient à douter de lui.

Ces projets ont en commun qu’ils sont ouverts, évolutifs, auto-adaptables aussi bien

d’un point de vue structurel que d’un point de vue des mentalités. En effet les

organisations sont légères donc peu bureaucratiques et les personnes à l’origine des

projets sont des gens qui ont l’habitude de voyager, d’être à la rencontre et d’écouter les

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autres. Ces projets ont un véritable impact : non seulement, ils apportent des

financements mais aussi des compétences artistiques et techniques.

Le succès de ces projets provient du fait qu’ils sont non seulement cohérents dans leurs

logiques d’actions et se basent sur une pratique de l’apprentissage, mais aussi réside

dans la personnalité des initiateurs.

En effet, malgré la ponctualité des actions, la notion d’apprentissage et le suivi des

projets ne sont pas négligés. La demande des gens des pays émergents est de savoir

comment gagner leur indépendance. Les initiateurs de ces projets ont compris le

message et les guident pas à pas vers la voie de l’autonomie afin qu’ils puissent prendre

leur envol. En matière de développement du cinéma, beaucoup de critères entrent en jeu

(artistique, commercial, technique) ce qui ne permet pas à la population locale de

prendre le relais dans un laps de temps réduit. Il est important de considérer que des

projets de même envergure, initiés par la population locale seront le fruit de nombreuses

années d’échanges avec des pays industrialisés.

Il faut également souligner que ces projets sont souvent à l’origine d’idées qualifiées de

folles, osées, insensées, irréalisables. En effet, la conviction de l’initiateur permet au

projet de prendre forme, lui permet d’aller jusqu’au bout de ses motivations. Ces atouts

participent au succès des actions. La réalisation d’un projet provient « d’individus hors

normes ».

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Conclusion : Le sujet au centre de la cohérence

Comme le souligne Olivier de Sardan, l’organisation établit des logiques d’actions qui

influent sur la cohérence des projets : chaque projet s’appuie sur des interactions entre

des acteurs qui s’appuient sur des logiques qui elles-mêmes s’appuient sur des mesures

cohérentes après avoir pris en considération le contexte présent et passé.

L’auteur définit des actions logiques comme des opérations qui sont logiquement unies

à leur but, non seulement par rapport au sujet qui accomplit ces opérations, mais encore

pour ceux qui ont des connaissances plus étendues.

Chaque projet a donc sa propre logique d’organisation par rapport à une finalité et un

contexte donné.

Les logiques d’actions sont de deux types : ce sont soit des logiques collectives, soit des

logiques d’acteurs.

Dans les projets de type 1, les logiques sont collectives : elles se définissent par un

capital, un passé, une proposition commune acceptée en groupe.

Cependant le manque de suivi, le manque de coopération, l’incrédibilité des projets par

la population malgache, le non-respect des lois ne permettent pas aux projets de prendre

forme. Nous avons vu dans la revue de littérature que pour procéder à un développement

culturel qui aura des retombées positives, il faut une grande complicité entre les

initiateurs et la population concernée. Dans ces cas développés antérieurement, on

s’aperçoit que le lien ne se fait pas, les efforts des deux parties n’ont pas lieu, ce qui

provoque une répercussion sur la mobilisation collective qui, de ce fait, est pratiquement

inexistante. Les projets ne répondent pas à une demande réelle et n’ont pas d’objectifs

cohérents. Il s’avère également que les organisations ont un mode de fonctionnement

inadapté à la réalité du pays. Les failles du système de ces organisations dénaturent le

partenariat qui en théorie devrait être plutôt positif.

Les projets de type 2 et 3 sont gérés par des logiques d’acteurs. Dans des logiques

d’acteurs, il y a négociation des acteurs les uns avec les autres, mise en commun, accord

et finalement rationalité commune mais partielle dans un jeu collectif. Chacun essaie

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d’imposer sa rationalité à l’autre. Chaque groupe d’acteurs de l’entreprise se verra

définir un modèle de relations se structurant dans la confrontation aux autres.

En ce qui concerne le projet de type 2, les résultats mitigés proviennent essentiellement

d’une incohérence majeure liée au manque de formation du personnel qui a des

conséquences sur la stabilité de l’entreprise donc sur son fonctionnement. Ce constat a

été décrit par les auteurs de la revue de littérature.

Les logiques d’acteurs appliquées lors des projets de type 3 permettent aux projets d’être

évolutifs, ouverts, souples, auto-adaptables, capables de réagir et prendre en compte les

réactions du milieu. Chacun joue un rôle et participe à l’organisation interne du groupe.

Toutefois, l’organisation est un phénomène autonome obéissant à ses propres règles de

fonctionnement. Cependant, dans ces exemples la bureaucratie non excessive a le

privilège de rendre ces projets plus efficaces.

Tout projet invoque une cohérence qui lui est propre et qui le légitime souvent par

opposition à des projets antérieurs ou voisins. Mais cette nécessaire prétention de la

cohérence d’un projet doit se faire par rapport à la société civile, aux partenaires

financiers et à l’environnement. De plus, contrairement aux théories classiques de

l’organisation qui n’ont pas réellement réfléchi sur le comportement humain et qui

conçoivent les organisations comme une simple mécanique dans lesquelles les individus

sont passifs, la sociologie du développement étudiée dans la revue de littérature

considère que les mentalités jouent un rôle dans l’organisation. A cette époque, les

auteurs parlent de l’individu comme acteur. Nous avons pu constater que la réussite des

projets de type 3 vient du fait que les dirigeants ayant leurs propres aspirations prennent

des initiatives individuelles et originales. Dans cette démonstration, nous sommes plus

proche de la sociologie contemporaine qui place l’individu au centre de l’organisation

comme sujet et non plus comme acteur.

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Conclusion générale

La notion de développement apparaît à la fin des années cinquante avec l’amorce de la

décolonisation. A cette époque, les économistes observèrent que la relation qui

s’exerçait entre les pays industrialisés et les pays en développement était fondée sur une

domination ne permettant pas à long terme d’endiguer le sous-développement. La

solution qu’ils proposèrent alors était de rompre avec ce schéma et d’opter pour un

changement qui impliquerait des mesures protectionnistes.

L’échec de ces stratégies interventionnistes laissa la place dans les années quatre-vingt

aux approches libérales qui prônaient la libéralisation économique comme moteur de

développement en optant pour un désengagement progressif de l’Etat. Elles mettaient en

avant les avantages liés à chacun des pays : il fallait se spécialiser dans un domaine

plutôt que chercher à développer l’intégralité des secteurs. Si cette libéralisation

économique semble être un succès pour certains, elle a, pour d’autres pays, généré des

inégalités importantes et des échecs. Néanmoins, on s’est aperçu que la réussite de

certains pays (les nouveaux pays industrialisés asiatiques) provenaient de leur aptitude à

préserver leur agriculture, de l’utilisation à bon escient des capitaux étrangers, de

l’intégration des nouvelles technologies au sein de leur société, de la formation de leur

main d’œuvre et de l’accroissement des investissements dans le domaine de la

recherche.

Dans les années quatre-vingt-dix, l’inégalité des résultats a permis de suggérer que le

développement ne pouvait être uniforme, programmé et finalisé et que la croissance

économique ne suffisait pas pour qu’un pays sorte du sous-développement. En effet,

d’autres facteurs étaient déterminants pour caractériser le développement d’un pays

comme la notion de culture (éducation, santé, environnement) qui en serait même la

clef. De plus, il était impératif de mettre en place des structures adaptées aux contextes

économiques et sociaux de chaque pays.

Puis, dans les années quatre-vingt-quinze, on s’est rendu compte que le patrimoine

culturel de chaque pays était un facteur de développement au même titre que la culture.

Aujourd’hui, le discours politique privilégie le dialogue et les échanges culturels pour

rapprocher les peuples, pour endiguer les écarts créés par la mondialisation. Cette

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coopération ou cette solidarité internationale doit soutenir les productions culturelles

autonomes. La création d’échanges artistiques est un moyen de lutte contre l’unicité,

l’uniformisation, la logique financière et consumériste de notre système globalisé. Les

politiques luttent pour soutenir la diversité culturelle.

Il semblerait que les différentes théories sociologiques étudiées, en particulier celles de

Bastide et de Gunder Frank, soient visionnaires. Ecrites dans les années soixante-dix,

elles n’ont été reconnues que dans les années quatre-vingt-dix par les économistes.

Toutefois, il s’avère que les événements politiques de la décennie passée ont bousculé la

vision du monde, ce qui nous incite à apporter des précisions à nos hypothèses :

� Le développement suppose l’interdépendance entre le développement économique,

social et culturel.

Les résultats des projets de type 1 et 2 ne sont pas probants car ceux-ci s’appuient

sur un système économique gangrené par la corruption. En effet, dans ces exemples,

la fonction spécifique de l’Etat comme organe régulateur permettant d’assainir le

système par le respect des règles formelles nécessaires à toute action n’est pas

appliquée. En revanche, le succès des projets de type 3 provient de l’autonomie

qu’ils ont par rapport au système économique malgache du fait de leur action

ponctuelle et du fait que ce sont des projets à finalités sociale et économique

intéressant le gouvernement malgache. Chacun des projets a plusieurs objectifs. Ils

répondent aux besoins de la société civile, besoins sociaux, culturels et

économiques : ils permettent aux personnes démunies de se réintégrer dans la

société, ils permettent à la société civile d’accéder aux loisirs…

L’analyse de ces projets permet d’ajouter à cette hypothèse que le développement

suppose également une volonté politique non pas bilatérale mais globale, c’est-à-

dire une volonté politique qui analyse le contexte mondial et qui permet à chacun

des pays de ne pas s’isoler du reste du monde tout en gardant son authenticité.

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� Le développement suppose des interactions entre les partenaires

On constate que les projets de type 1 et 2 évoluent en autarcie (ou avec peu de

partenaires) ce qui provoque des dysfonctionnements engendrant l’échec de ceux-ci.

L’organisation ne peut vivre sans individus et paradoxalement elle est là pour

coordonner les efforts humains et maintenir l’efficacité par rapport à l’objectif

défini. L’organisation doit être en même temps formelle (c’est-à-dire qu’elle doit

posséder et appliquer des règles), informelle (c’est-à-dire qu’elle doit permettre

l’interaction entre les partenaires) et idéologique (c’est-à-dire qu’elle doit s’appuyer

sur des idées et des croyances). Nous avons constaté par ces exemples que le

manque de coordination entre les partenaires vient essentiellement du fait que les

structures ne sont pas opérationnelles. Pour que ce secteur fonctionne, il faut partir

de la base : dans un premier temps, respecter les règles et dans un deuxième temps,

mettre en place des formations. Ce secteur, étape par étape, doit se professionnaliser

pour exister.

Nous avons validé cette hypothèse, néanmoins nous pouvons ajouter qu’il est

impératif pour mener à bien un projet de partir de la base, ce qui consiste à créer des

structures qui soient opérationnelles. Les projets des auteurs étudiés s’appuient sur

des systèmes économique et social déjà en place et respectés. Dans le cas de

l’émergence du cinéma à Madagascar, nous sommes à l’origine d’un mouvement.

Seuls les projets de type 3 fonctionnent : les différents partenaires prennent en

considération cette situation en remédiant au manque de formation, en respectant

l’environnement économique et social de Madagascar.

� Le développement s’appuie sur la rationalité et la cohérence des projets.

Nous avons vu que les incohérences mentionnées pour les projets de type 1 et 2 ne

permettent pas à ceux-ci d’avoir des résultats positifs. En revanche, pour les projets

de type 3, c’est grâce à cette cohérence que les projets ont l’impact prévu. En effet,

tout projet doit faire face à un ensemble plus ou moins important de

dysfonctionnements. Seule l’action individuelle permettra de rétablir rationalité et

cohérence afin d’atténuer les dysfonctionnements. Si nous avons validé cette

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hypothèse nous pouvons ajouter que c’est l’individu en tant que sujet au centre du

projet qui en fait sa force.

En effet, le développement culturel suppose ces trois conditions : un projet ayant

plusieurs finalités, un projet faisant participer plusieurs partenaires et un projet construit

sur une logique cohérente.

Cependant, nous sommes allés plus loin dans la réflexion en soulignant que le

développement nécessitait une volonté politique dans un contexte global, que les

structures déjà en place devaient devenir opérationnelles et qu’il fallait prendre en

considération l’individu non pas comme acteur mais comme sujet. Les théories étudiées

excluent l’aspect macroscopique du développement, c’est-à-dire qu’elles omettent de

prendre en compte l’évolution du monde dans son ensemble. De plus, elles mettent

l’accent sur les mentalités et non sur l’action individuelle. Ces théories expliquent la

notion de développement d’une façon mécanique alors que les auteurs sont les premiers

à soutenir que tout développement est propre à chaque pays. Et d’ajouter à chacun…..

Hélas, il est encore trop tôt pour affirmer que la culture est l’un des facteurs pour

endiguer le sous-développement.

Nous savons que c’est un facteur de rapprochement entre les êtres humains, qu’elle

permet de lutter contre le repli, contre la ségrégation, qu’elle vise une meilleure

cohésion sociale…Ne trouve-t-on pas dans la culture les caractéristiques qui répondent

à la définition du développement : « atteindre un état de modernité et répondre aux

besoins des êtres humains » ?

Toutefois, tant que l’Etat malgache ne participera pas activement au respect des artistes

et ne luttera pas contre la corruption, on ne pourra pas parler d’une industrie

cinématographique à Madagascar même si certains projets ponctuels fonctionnent et

permettent au cinéma de prendre vie.

L'Etat a vocation à intervenir dans le domaine de la culture, en apportant son soutien et

en assainissant une situation chaotique. Ensuite, il lui appartient d’opter pour une

participation totale ou partielle. Mais soulignons que la culture ne peut pas provenir de

l'Etat seulement, elle est avant tout le reflet de la vitalité d'une société. C’est pour cela

que le dialogue entre Etat et société civile devra s’établir.

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Cependant, avant de déchiffrer la culture des autres, il faut avoir compris sa culture. Le

fait de pouvoir comparer des cultures permet d’analyser les différentes cultures. Nous

voudrions que les sociétés traditionnelles aient la même évolution que nos sociétés

modernes. Si les pays riches ont trouvé leurs identités culturelles et sont prêts à s’ouvrir

à d’autres cultures, nous devons comprendre qu’il n’en est pas de même pour les pays

pauvres. En occident les révolutions techniques, sociales, scientifiques ont pris des

siècles. Dans un pays comme Madagascar, internet, le téléphone fixe, les portables, les

hypermarchés, les cybers café … sont arrivés en masse, sans être compris, sans être

ingérés tout en côtoyant les porteurs d’eau ou les pousseurs de charrettes. Les nouvelles

technologies essaient de s’implanter en force dans les sociétés traditionnelles, alors que

le développement doit recommencer à la base dans un ordre précis par des formations,

par la communication, par la compréhension des besoins de l’autre…

… pour que l’émergence du cinéma à Madagascar ne soit pas qu’une utopie passagère…

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Bibliographie

Sources

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coopération du Ministère des Affaires étrangères)

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Unesco « Rapport mondial sur la culture 2000 » in http://www.unesco.org,

novembre 2001. Organisation Mondiale du Commerce « Examens des politiques commerciales : Madagascar » in http://www.wto.org, novembre 2001.

Le site de l’ONG « La Maison de l’Eau de Coco » in http://www.lacasadelaguadecoco.org, avril 2003.

Ouvrages

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en sciences sociales. Paris : Editions Dunod. 291 p.

LÊ THANH KHÔI. 1992. Culture, créativité et développement. Paris : Editions l’Harmattan. 224 p.

SANCHEZ, Juan Carlos ; DESJEUX, Dominique. 1983. La culture clé du

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WARNIER, Jean-Pierre. 1999. La mondialisation de la culture. Paris : Editions La Découverte. 128 p. Livres sur Madagascar AYER, Gérard. 2001. L’avenir de Madagascar. Idées-forces pour un vrai

changement. Madagascar : Editions série questions actuelles. 123 p. MAURO, Didier ; RAHOLIARISOA. 2000. Madagascar. L’île essentielle. Anako Editions. 320 p.

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MAURO, Didier ; RAHOLIARISOA. 2000. Madagascar. Parole d’ancêtre

Merina. Anako Editions. 160 p. RAISON-JOURDE, Françoise. 1991. Bible et pouvoir au 19

ème siècle. Editions

Kartala. 848 p. VIG, Lars. 1977. Croyances et mœurs des Malgaches. Fascicule 1. Edité par Otto Chr. Dahl. 68 p. VIG, Lars. 1977. Croyances et mœurs des Malgaches. Fascicule 2. Edité par Otto Chr. Dahl. 80 p. Dictionnaires Madagascar in L’état du monde. Annuaire économique géopolitique mondial 2001. Edition de La Découverte. 2001.

Les cinémas d’Afrique. Editions Karthala. 2000. Cdrom

« Madagascar » in Encyclopédie Microsoft Encarta (2000) [CD-ROM]. Microsoft Corporation.

Colloques

Colloque organisé par ADRC (agence pour le développement régional du cinéma). Le cinéma dans la cité. 2001. Paris : Editions du Félin. 240 p.

Mémoires

Leong Sang, Géraldine, Le cinéma à Madagascar : un facteur de développement ?

Mémoire de l’Institut national des sciences comptables et d’administration d’entreprises. Tananarive. 2001. 50 p.

Revues, Articles

Revues Le Débat, numéro 105. Ronald Inglehart, Choc des civilisations ou modernisation

culturelle. 1999.

Cahier du CITE, octobre 1994. L’âme malgache.

Politique Africaine, numéro 86. Madagascar, les urnes et la rue. 2002.

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Rapports Cannes Junior

Rapport Cannes Junior 2000 écrit par Baovola Fidison. Rapport Cannes Junior 2001 écrit par Géraldine Leong Sang. Rapport Cannes Junior 2002 écrit par Géraldine Leong Sang.

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Table des sigles

AMI Accord multilatéral sur l'investissement

CCAC : Centre culturel français Albert Camus

CGM : Centre germano-malgache

CMPFE : Centre malgache de production de films éducatifs

CNC : Centre national du cinéma

CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le

Développement

MICC : Ministère de l’information, de la communication et de la culture

OMC : Office malgache du cinéma

OMC : Organisation mondiale du commerce

OMDA : Office malgache de droits d’auteurs

OMPI : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

PMA : Pays les moins avancés

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Annexes

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Annexe I : Carte de Madagascar

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Annexe II : Le cinéma malgache

De la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’en 1975

Dès la fin de la première guerre mondiale21, le cinéma muet était diffusé dans les salles

Excelsior, Gallieni, et Universel de la capitale malgache. Comme partout ailleurs dans le

monde, le cinéma muet et notamment Charlot faisait fureur. En 1936, se crée à

Madagascar « le Consortium Cinématographique » société de diffusion du cinéma qui,

non seulement achetait des films, du matériel de projection, des bandes adhésives, des

lampes mais aussi formait des techniciens pour l’entretien de ce matériel. Vers les

années 1935-1940, les premiers cinémas tenus par des Malgaches (couple Rabenja) tels

le Valiton (1937) et l’Eden (1939) projetaient les premiers films parlants22. Les

spectateurs étaient issus de la classe supérieure : colons français, classes aisées de

l’administration, élite malgache. Le cinéma était réservé à des adultes, c’était non pas un

lieu de divertissement mais un lieu où l’on se montrait. Les années 50 voyaient

l’ouverture par le Consortium Cinématographique, de la grande salle du REX (849

places) et l’inauguration de Métro (200 places) en 1948 avec le film « le troisième

homme ». Le prix du ticket de cinéma était de 0,015 euro. On assiste durant ces années à

une véritable ouverture au niveau du public qui est composé d’intellectuels et de

passionnés de cinéma, de culture. Des années 60 aux années 70, le choix du Consortium

Cinématographique est de diffuser dans ses salles des superproductions américaines et

françaises23 (des westerns, des films romantiques). La politique d’action était à la

rentabilité. Dans les années 70, la diffusion en plein air est apparue, on assiste à la

démocratisation du cinéma, il devient cinéma populaire et les séances sont attendues par

tous.

21 : En France, la première séance publique payante se fit au grand Café en 1895. 22 : 1929 est la date de la première diffusion du cinéma parlant en France avec « Le chanteur de jazz ». 23 : Il n’y avait pas de sous-titrage en malgache car la population parlait français.

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En 1975, on comptait une cinquantaine de salles sur tout le territoire. Le Consortium

Cinématographique était propriétaire de 10 salles, toutes équipées de projecteurs 35

mm : 5 dans la capitale et 1 dans chaque province. Les autres salles appartenaient aux

sociétés : Anjary, Omnium Malagasy, Spectacles et Publicités.

Le Consortium Cinématographique gérait la diffusion dans toutes les salles de l’île et

des Mascareignes (ancien nom de l’archipel de l’océan Indien) ainsi que l’entretien, il

employait une centaine de personnes. Il importait jusqu’à 350 films par an. Il y avait

même des doubles programmations pour faire tourner le stock et rentabiliser rapidement

les diffusions. Les westerns, karaté, black cinéma, films religieux totalisaient 60% des

programmes.

Si la diffusion date des années 1920, la production est plus récente. Le cinéma malgache

est né du documentaire. Le plus ancien, « la mort de Rasalama », a été réalisé en 1947

par Raberojo à l’occasion de la cérémonie commémorative du centenaire de la mort de

Rasalama (premier martyr de la persécution religieuse).

A partir de 1969, les autorités ont montré un intérêt certain à promouvoir le cinéma qui

pouvait être une arme efficace pour le développement de la population malgache

composée de 90 % de paysans.

Dans le sens de cette politique, le Centre Malgache de Production de Films Educatifs

(CMPFE) a été créé en 1969, afin de réaliser des films éducatifs et des documentaires de

courts et moyens métrages. L’étroite collaboration avec l’animation rurale a permis la

projection de 21 films éducatifs et documentaires dans les villages les plus reculés de

l’île.

Si quelques films furent réalisés durant la période coloniale, comme

« Itoerambolafotsy » et « Général Labigorne » (1958), la production d’un cinéma

national de fiction a fait ses premiers pas pendant les années post-indépendance. Le

véritable envol du cinéma malgache se situe autour des années 70 avec « Saribao » de

Hugues Raharimanantsoa, film qui retrace la mésaventure d’un brave paysan monté en

ville pour vendre du charbon (1970), « Lalao Fahiny » de Nairo Rahamefa en 1971,

« Tranon-Kala » un court métrage de Richard Claude Ratovonarivo réalisé la même

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année (un condamné à mort se rappelle quelques images de sa vie avant son exécution).

En 1972, le film « L’Accident » de Benoit Ramampy (aidé par les institutions

françaises : prêt d’une caméra venant de Paris durant 2 mois de tournage par le CCAC)

obtient, par la suite, le prix du meilleur court métrage au Fespaco à Ouagadougou

(Burkina-Faso).

Enfin, sont produits en 1973 « Very Remby » ou « Le Retour » de Solo Ignace

Randrasana, sur la migration saisonnière, « Rovi-damba Ririnina » de Jeannot Rarojo,

sur le problème du retour à la terre et « Asakasaka » de Limby Maharivo, un fait social

qui décrit la vie d’une jeune fille mise enceinte par un étudiant sans ressources ; elle sera

contrainte d’avorter et en mourra.

A cette époque, la plupart des réalisateurs se sont formés à Madagascar « sur le tas »,

puis se sont ensuite perfectionnés en France dans des écoles renommées. Le CMPFE a

mis en place des formations pour les techniciens durant les années 60-75.

Les films ont bénéficié des aides de la Coopération française, du Ministère de

l’Information, de la Communication et de la Culture malgache, de Sorex, de l’ONCIC,

et des investisseurs locaux ou étrangers privés sollicités par les réalisateurs. Vers les

années 70, le Consortium cinématographique commença à attribuer des subventions à

des réalisateurs.

Ce bel élan de création fut pourtant stoppé net par la révolution socialiste qui considéra

le cinéma non pas comme un vecteur de rêve mais plutôt comme un vulgaire instrument

de propagande politique.

Cassure du 16 juin 1975

L’instauration en 1975 d’un régime « révolutionnaire », placé sous l’autorité de Didier

Ratsiraka, va bouleverser le fonctionnement du secteur de l’audiovisuel. Selon la Charte

de la Révolution Socialiste Malagasy, « l’information qu’elle soit écrite, parlée ou

audiovisuelle, doit donc aider à la réalisation des objectifs fondamentaux de la

révolution tels qu’ils ont été définis. C’est un moyen privilégié d’éducation du peuple,

d’organisation des masses, de diffusion des idées. A ce titre, elle doit stimuler l’esprit

révolutionnaire, le civisme, le dynamisme de la population, propager et expliquer les

lois et directives du pouvoir révolutionnaire parmi le public, inciter le peuple à

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appliquer les mesures prises par les autorités dans l’intérêt des masses. L’information

audiovisuelle est aussi délicate à manier car les spectateurs interprètent subjectivement,

donc différemment, ce qu’ils voient.

D’où l’importance particulière que revêt ce moyen d’information, télévision, théâtre,

cinéma, parce qu’il sollicite tous les sens et peut avoir un caractère décisif dans la

mesure où son objectif est mis en relief de façon convaincante. C’est la raison pour

laquelle le pouvoir révolutionnaire a cru bon de nationaliser immédiatement la

production, l’importation et la distribution de films cinématographiques. Il est

également souligné qu’un effort tout particulier sera fourni pour sortir de l’ombre, pour

créer une société d’édition de disques, pour produire des films cinématographiques 24».

De plus, le Ministère de la Culture se dénommera le Ministère de l’Idéologie ! Cette

Charte à double sens, privilégie le monopole d’Etat qui sera exercé par l’Office

Malgache du Cinéma (OMC) remplaçant, en 1978, le CMPFE (l’OMC deviendra

Cinémédia une société anonyme sous tutelle de l’Etat en 1986). L’OMC impose ses

directives à des sociétés privées comme le Consortium Cinématographique qui

distribuait une grande partie des films à Madagascar et dont l’activité était totalement

rentable. En 1975, Le Consortium Cinématographique devient le Consortium

Cinématographique Madagascar (séparation juridique avec le Consortium

Cinématographique qui gérait toutes les salles de l’océan Indien) et resta une société

privée mais avec une activité nationalisée. L’OMC se consacra seulement à la diffusion

des films, mit de côté la production qui commençait à prendre naissance à Madagascar.

Le Consortium Cinématographique Madagascar devait sous l’ordre de l’OMC diffuser

des films de propagande politique venu d’Union Soviétique, de Corée ou de Cuba.

L’OMC avait l’entière liberté du choix et du contrôle des films importés.

De 1978 à 1992, les importations totales ont été de 1094 films seulement. Les taxes

prélevées par l’Etat pour la diffusion deviennent de plus en plus chères, ce qui a une

répercussion directe sur le prix du billet qui passe de 0,025 à 0,165 euro. De plus, les

programmations imposées ne satisfont guère les attentes du public qui déserte les salles.

Les films russes ou coréens, sous-titrés en Français ou en version originale, écartaient la

jeunesse qui en pleine malgachisation ne comprenait que les films dans la langue

24 : « Charte de la révolution Socialiste Malagasy tous azimuts » du 26 août 1975.

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nationale. De ce fait, les goûts du public s’orientaient vers les quelques films d’actions

dont la compréhension ne nécessitait pas la lecture du sous-titrage en français et vers les

vidéoclubs clandestins qui ont fait leur apparition en 1985 pour connaître un succès sans

précédent en 1986.

De 1981 à 1996, le nombre de spectateurs à Madagascar passe de 3 559 744 à 199 499.

A partir de 1989, les salles ferment progressivement leurs portes et deviennent des

entrepôts, des annexes d’hôtel. Dans la capitale, il ne restait plus que le Ritz et le Rex

qui proposaient deux séances : 14h et 16h30 plus une troisième, à 18h30 le samedi et le

dimanche. La séance de 20h a définitivement disparu du fait de la raréfaction des

transports et d’une délinquance en progression. En province, les salles de Fianarantsoa,

Mahajanga et Tuléar ferment également.

1992 est la dernière année où le Cinémédia importe encore des films.

En juin 1996, le public déserte les salles définitivement et toutes les salles de la capitale

ferment leur porte.

A partir de cette date, on parlera de « salles obscures ». A cette époque, un texte de loi

sera mis en place pour la libéralisation des salles, qui ne sera jamais signé.

Dès 1975, comme la production cinématographique entre dans une phase de sommeil,

les techniciens formés aux techniques cinématographiques se tournent vers les chaînes

de télévisions locales et optent pour le format vidéo afin de réaliser en majeure partie

des documentaires et des clips. Quelques films de fictions ont été réalisés en vidéo :

« Le prix de la paix » réalisé par Rakotozanany Abel en 1987, « Liza » réalisé par Solo

Ignace Randrasana en 1995 et « Adim-Piainana » réalisé par Rakotonanahary François

en 1996.

La production cinématographique ne compte que 4 films.

« Dahalo, Dahalo » (voleur de zébu) le film de Ramampy Benoît sera réalisé en 1983,

mais n’a pu être projeté sur les écrans de la Grande Ile qu’en 1990. Ce film fut censuré

car il montrait de façon trop réaliste le problème de l’insécurité rurale.

Le film « Ilo Tsy Very » ou « La graisse ne se perd pas » réalisé en 1985 par Solo Ignace

Randrasana, chronique historique sur la rébellion contre la colonisation française, une

coproduction algéro-malgache qui a fait le meilleur score : 127 977 spectateurs entre

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1987 et 1989. En revanche, le coût de la production n’a pu être amorti. Le réalisateur

retravaille actuellement le montage car à l’époque il n’a pas eu entièrement le droit de

regard sur le montage.

Le réalisateur Raymond Rajaonarivelo, lui, a décidé de s’exiler en France. Il réalisera

« Tabataba » en 1988, film marquant sur les événements de 1947 qui recevra le prix

spécial du jury au festival de Cannes, ainsi que « Le jardin des corps » en 1994, un court

métrage sur l’œuvre du sculpteur Ousmane Sow et « Quand les étoiles rencontrent la

mer » en 1996.

Même si les quelques films de réalisation malgache ont tous parcouru le circuit national

entre 1971 et 1989 durant 18 à 20 mois, (un circuit difficile à cause du coût élevé des

transports et de la censure), ils sont pour la plupart inconnus d’un grand pourcentage de

la population malgache.

Les années 2000 ou une renaissance du cinéma à Madagascar

Voyons ce qu’il en est de la diffusion et de la production du cinéma et de la vidéo à

Madagascar à l’heure actuelle.

Il convient de préciser les différences entre le cinéma et la vidéo.

Les budgets sont moins élevés en vidéo qu’en cinéma25 car le tournage en vidéo est plus

« léger » donc nécessite moins de personnel et moins de technique. De plus, le matériel de

tournage et de diffusion est moins coûteux en vidéo qu’en cinéma.

En cinéma, on utilise le format26 16 mm, le super 16 et le 35 mm, en vidéo on utilise un

procédé numérique. Actuellement, un film commercial se présente la plupart du temps en

35 mm. L’utilisation du 35 mm est l’apanage d’une élite.

Le tournage en 16 mm s’utilise et permet de réduire les coûts par rapport au 35 mm. Le

transfert (gonflage) du super 16 mm au 35 mm a été longtemps réservé aux documents

d’un intérêt exceptionnel. Cependant, les jeunes réalisateurs (occidentaux) souhaitent voir

25 : En 1980, le coût moyen d’un film français s’élève à 1 million d’euro. Aujourd’hui le coût moyen d’un film français est de 4,5 millions d’euros et le coût moyen d’un film africain se situe entre 450 et 900 mille euros. Source : Olivier Barlet. Les cinémas d’Afrique noire. 26 : Le congrès international des producteurs et distributeurs adopte en 1909 le 35 mm, mettant fin à la multiplicité de formats et d’appareils de projection sur le marché. Le format 16 mm est né au USA en 1923 et ne parvient à acquérir ses lettres de noblesse qu’à l’avènement de la télévision. Le nouveau journalisme audiovisuel avait besoin d’une matière première économique et d’un matériel léger.

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se généraliser ce procédé. Malheureusement le gonflage du super 16 mm en 35 mm

provoque la perte de la lisibilité de l’image.

Un format vidéo peut se kinescoper (transférer) pour obtenir du 35 mm. Le coût de

pellicule est nettement inférieur au 35 mm. De plus, le visionnage des rushes se fait

automatiquement. En revanche, la qualité est nettement inférieure, on perd l’effet de

profondeur que l’on peut avoir sur du 35 mm.

Il est également nécessaire de comprendre exactement les différentes étapes dans

l’activité cinématographique ou audiovisuelle. On parle de production qui équivaut à la

création du film, de diffusion qui équivaut à la commercialisation du film. Le producteur

traite avec un distributeur. Celui-ci diffuse le film dans son propre réseau de salles s’il en

possède un ou le loue aux exploitants qui en font la demande. Auparavant, le film a connu

un lancement publicitaire qui s’appelle la distribution (campagne d’affichage, projections

de presse). Son succès dépend de l’appréciation du public.

Dans les pays industrialisés, pour produire un film et le distribuer, les producteurs font

appel à l’Etat, à des organismes privés (banques) ou à des co-productions (TV) pour

prendre en charge les coûts élevés. Ces circuits d’aide sont anciens et organisés,

contrairement à Madagascar où les aides aux financements font seulement l’objet de

discussions, débats et controverses.

Etats des lieux de la diffusion

Les salles de la capitale qui projettent des films quotidiennement en 16 mm et/ou 35 mm

sont peu nombreuses et font partie d’institutions internationales comme la salle du

Centre Culturel Français Albert Camus (CCAC) de 350 places ou la salle du Centre

Germano-Malgache (CGM) de 60 places.

Seul le CCAC diffuse en 35 mm et en 16 mm. Actuellement, le CCAC développe sa

politique culturelle en faveur de la relance du cinéma à Madagascar et propose deux

films par mois en 35 mm à raison d’une dizaine de séances chacun. Les tarifs sont peu

excessifs, donc abordables pour une bonne partie de la population.

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La salle du Centre Germano-Malgache est équipée d’un projecteur 16 mm. La diffusion

de films au CGM vise la promotion de la culture germanophone, elle s’adresse donc à

un public initié. Ce sont des films de réalisation allemande sous-titrés en français.

Comme nous l’avons vu, le Consortium Cinématographique Madagascar est propriétaire

de 10 salles qu’il loue pour des événements ponctuels comme le festival Cannes Junior,

le festival malgache, le festival du documentaire et pour la diffusion des films de Lights

Productions. Ces événements culturels populaires bénéficient d’une large couverture

dans les médias et exercent un impact important sur le public.

Les projections pour Cannes Junior qui ont eu lieu pendant 1 semaine durant 3 années

consécutives (de 2000 à 20002) et pour le Festival malgache (23 au 28 octobre 2001) se

déroulent au REX, salle équipée de matériel cinématographique et ayant une jauge de

650 places.

Le festival du documentaire a eu lieu en juin 2000 durant 1 semaine au Centre

d’Information Technique et Economique (CITE) et au CCAC. La salle du CITE a été

aménagée pour l’occasion. Le matériel vidéo a été prêté par l’Alliance Française de

Tananarive. L’édition 2001 n’a pas eu lieu mais une reprise en 2002 est à l’étude.

Les films de Lights Productions sont diffusés dans la salle RITZ, salle de 850 places.

Les projections se font en vidéo.

Les initiatives de relances proviennent d’opérateurs étrangers ainsi que d’associations

malgaches (association Sazy Vazo pour le festival malgache et association Gasary pour

le festival du documentaire).

Un décret d’application permettant la réouverture des salles a été adopté en 2000 par le

gouvernement. Actuellement, ce décret a été ratifié mais n’est toujours pas appliqué.

En province, la diffusion de films se fait grâce aux Alliances Françaises ou grâce à une

ONG « La Maison de l’Eau de Coco » qui a réhabilité les salles de Mahajanga, de

Fianarantsoa et de Tuléar qu’elle loue au Consortium Cinématographique Madagascar.

Les projections de fictions se font en vidéo car les salles ne sont pas équipées de

projecteurs 35 mm ou 16 mm.

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A Madagascar, la production vidéo (court-métrage ou documentaire) se fait

essentiellement pour être diffusée par la télévision. D’après l’annuaire statistique de

l’UNESCO de 1999, il y a 12 postes de télévision à Madagascar pour mille personnes et

plus de 724 000 postes de télévision dans la capitale, à elle seule. Le paysage

audiovisuel se compose d’une chaîne nationale (TVM), de six chaînes privées (MaTV,

TVPlus, Record, RTA, MBS et Ravinala27) et de trois télévisions à péages (Telviziona

Fialambola, Canal Satellite, Parabole Madagascar) qui proposent aux téléspectateurs un

nombre de chaînes variable dont TV5, RTL 9, MCM, Canal +, Horizons, Cinéfaz, selon

le bouquet choisi.

Il faut souligner d’une part, que l’orientation politique des chaînes de télévisions est très

importante et est connue de tous et d’autre part, que la diffusion des films n’entre pas

dans un cadre législatif strict. Il n’est pas rare de voir des films étrangers sur le petit

écran avant leurs sorties officielles en salles ce qui signifie que le versement des droits

d’auteurs à l’Office Malgache des Droits d’Auteurs (OMDA) n’est pas effectué.

Il faut également souligner que la capitale comptait en 2000, 70 salles non officielles où

l’on projette des vidéos. Les prix d’entrée varie entre 0,04 et 0,05 euro. Ces salles sont

alimentées par les vidéoclubs. Les loueurs de cassettes, nombreux dans la capitale et

essentiellement d’origine indienne, proposent des locations à très bas prix. L’adhésion

varie de 6 à 8,5 euros pour l’année et la location d’un film est de 0,5 euro pour la

journée. Les thèmes prisés sont les arts martiaux, la violence … La faille d’une carence

de textes fiscaux, douaniers et juridiques laisse la place à la démocratisation de ce

produit de consommation. Le contrôle de la contrebande n’existe pas. Toutes les

cassettes sont piratées.

27 : TVPlus, Record, RTA orientation Ratsiraka. MBS et Ravinala : orientation Marc Ravalomanana

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En revanche, il est impossible de trouver des productions nationales piratées car si des

producteurs américains ou européens ne peuvent pas vérifier la légalité de ces locations,

l’ OMDA a le pouvoir de représailles dans le cas présent !

Etat des lieux de la production cinématographique

La production cinématographique est très restreinte à l’heure actuelle à Madagascar. Les

quelques réalisateurs malgaches se sont orientés vers la production vidéo de

documentaires. Cependant, il y a les inconditionnels du cinéma qui sont en préparation

de projets. Raymond Rajaonarivelo est en préparation d’un long-métrage qui sera produit

par une société française.

Ignace-solo Randrasana travaille sur plusieurs projets :

- Le remontage de « Ilo Tsy Very » qui s’effectue à La Réunion.

- Un film sur Jean Laborde (pacifique conquérant de Madagascar de 1831 à 1878.

Conseiller de la reine Ranavalo)

- Un documentaire fiction sur le sida

On peut citer également le prix Kieslowski décerné à Madagascar en 2000 et en 2001

afin de relancer le cinéma à Madagascar. Cette initiative vient de Kieslowski, cinéaste

polonais. Il a réalisé une trentaine de films dont la trilogie « bleu, blanc, rouge » qui lui a

permis d’accéder à une renommée internationale en 1992. Le cinéaste fait écrire une

nouvelle trilogie en trois scénarii sur des thèmes précis qu’il désirait confier à trois

jeunes réalisateurs européens. Il décède en 1996. Pour faire perdurer le souhait du

réalisateur, MK 2, la Cinq et Nada (en accord avec les ayants droit) ont créé le prix

Kieslowski décerné aux lauréats d’un concours de scénarii et de courts-métrages sur

trois thèmes imposés qui a permis chaque année à trois jeunes réalisateurs de produire

leurs scénarii mais aussi et surtout de les diffuser sur une chaîne de télévision et

également dans l’ensemble des salles MK 2 (52 salles en France) à Paris.

Suite à l’entrée de MK 2 dans le capital de la RTA à Madagascar, ce concours est mis en

place dès 2000 dans la Grande Ile. La première année, de jeunes réalisateurs ont travaillé

sur les thèmes de l’éducation, de la culture et de l’intégration sociale. La seconde année,

ils ont travaillé sur les thèmes de l’homme, de la femme et de l’enfant.

Cette année le prix n’a pas eu lieu.

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Etat des lieux de la production vidéo

De nombreux films documentaires ont été réalisés sur Madagascar par des réalisateurs

de toutes nationalités (européens, japonais). Le plus ancien « Svarta Horisonter »

(Horizons noirs) aurait été réalisé en 1935-1936 par Paul Fejos, de nationalité hongroise,

qui fut également le réalisateur de Fantômas. Il fait partie des documentaires

anthropologiques.

Parmi les documentaires les plus connus, nous pouvons citer ceux-ci :

« La Sodina » de Camille Marchand, documentaire sur Rakoto Frah qui était le grand

maître de la flûte malgache et de son vivant une légende à Madagascar.

« Madagascar, la parole poème, chronique de l’opéra paysan » (1996) de Didier Mauro,

documentaire expliquant les us et coutumes de l’Hira Gasy, spectacle traditionnel

malgache.

« L’île rouge, refrain de la mémoire, 3 chants des hautes terres centrales » (1990) de

Jean-Michel Carré et François Chouquet. Le film porte sur les trois aspects de la vie

malgache : la naissance avec la circoncision, la vie avec l’exhortation et la mort avec

l’exhumation.

Nous pouvons citer quelques documentaires récents conçus par des réalisateurs

malgaches comme :

« Ratsimananga » (2001) de Vero Rabakoliarifetra, retraçant le parcours de l’unique

savant malgache du 20ème siècle.

« Couleur Maholos » (2001) de Rafidy Randriamamonjy, rencontre entre l’esthétique

malgache traditionnelle et l’art contemporain dans l’œuvre de Richard Razafindrakoto.

« Le clou de girofle de Madagascar » (2001) de Simonette Rasoampananina,

documentaire de ce bel arbre de 15 mètres de haut trop souvent négligé.

Comme je l’ai cité dans l’historique sur le cinéma à Madagascar, il existe quelques films

de fictions tournés en vidéo comme « Le prix de la paix » réalisé par Rakotozanany Abel

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en 1987, « Liza » réalisé par Solo Ignace Randrasana en 1995 et « Adim-Piainana »

réalisé par Rakotonanahary François en 1996. Ces productions sporadiques ne laissaient

pas entrevoir le redémarrage des films de fiction à Madagascar. Ce n’est véritablement

qu’à partir de février 2001 que l’on reparle enfin d’un cinéma national de fiction.

En février 2001, la société Lights Productions produit son premier film en vidéo

« Raharaha 254 ».

Un an après, la société a déjà tourné 10 films : « Raharaha 254 », « Vato Mandoro »,

« Ainga I», « Ainga II», « Kenda », « Ralaitavin-Dravad », « Ambala Masoandro »,

« Ody Aina », « Inspecteur Setra », « Ady Saritaka ».

Deux ans après, la société comptabilise 18 films (se sont rajoutés : « Soalandy », « Izaho

Irery » « Mananjiry » « Misitery Mbinina » « Boky Mainty » « Tsimbadika 00 » « Tsy

Azoko » « Mitonatonana ») et prépare une série intitulée « Sangodimpanina » de 150

épisodes dont le tournage devrait se terminer fin avril 2003. Cette série sera diffusée par

la chaîne nationale TVM.

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Annexe III : Le cinéma malgache, un cinéma engagé : témoignage d’une culture

L’analyse des documents d’archives

Les films malgaches existants sont des films « cultes ». Ils sont à la base d’une

excellente industrie cinématographique. Non seulement leur force d’expression vient de

l’originalité des thèmes, témoins d’une culture éloignée de la nôtre mais aussi du

traitement de l’image, preuve d’une grande créativité artistique.

Pour cette étude, on va s’intéresser à quelques uns des films de fictions réalisés par des

artistes malgaches. En voici la liste :

- « L’Accident » de Benoit Ramampy réalisé en 1972

- « Very Remby » ou « Le Retour » de Solo Ignace Randrasana réalisé en 1973

- « Dahalo, Dahalo » de Ramampy Benoît réalisé en 1984

- « Ilo Tsy Very » ou « Mad 47 » de Solo Ignace Randrasana réalisé en 1987

- « Tabataba » de Raymond Rajaonarivelo réalisé en 1988

- « Quand les étoiles rencontrent la mer » de Raymond Rajaonarivelo réalisé en 1996

Il est très difficile de pouvoir visionner certains films des années 70. Seul Cinémédia à

Madagascar possède une matrice qui est très fragile. De plus, le matériel de diffusion

que possède Cinémédia est obsolète. Une demande de financement est lancée auprès du

ministère de la culture pour créer des archives de ces films en vidéo.

La plupart des films furent visionnés en France à la médiathèque du service de la

coopération en France (AUDECAM), archives du Ministère des Affaires étrangères qui

à l’époque a apporté sa contribution financière pour leur réalisation.

On peut remarquer d’emblée que les quelques films nationaux de cette époque sont très

engagés et permettent de promouvoir la culture malgache. Les films d’aventures ou les

comédies ne font pas partie du répertoire. Les thèmes qui ressortent des différents films

sont les suivants : le thème de la pauvreté, de la corruption, de l’éducation, des mœurs et

coutumes, historique, des problèmes de sociétés, du changement culturel et social, la

relation entre tradition et modernité, de la dialectique, de la guerre, de la libération …

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On les classera en trois catégories : les problèmes de sociétés, les rites, l’histoire.

Il faut souligner que ces films ont le grand privilège de ne pas être démodés : les sujets

traités à l’époque sont d’actualité.

Les films n’ont donc pas vieilli, ce qui artistiquement est plutôt flatteur pour les

réalisateurs. En revanche, l’île rouge actuelle n’a guère évolué si on la compare à ce

qu’elle était dans les années 70.

L’analyse sociologique des quelques films permet de mettre en valeur la culture sociale,

identitaire et historique. Le travail suivant, exécuté après entretiens avec les réalisateurs,

est subjectif et ne se concentre que sur les thèmes les plus importants.

Mise en valeur des problèmes de société

Corruption, exode rural

A leur manière, chacun des réalisateurs fait une critique de la société. Les grands thèmes

évoqués sont la corruption, les problèmes politiques et sociaux (exode rural, vol de

zébu, pauvreté, éducation). Par le biais du film, ils mettent en valeur les conflits sociaux

qui peuvent être différents selon les régions, et les catégories socioprofessionnelles. On

s’aperçoit que non seulement les problèmes de l’époque n’ont pas changé mais qu’il y a

recrudescence. Donc, revoir ces films permet aux chercheurs de comparer la situation

passée avec la situation actuelle et d’analyser les principales transformations. On

s’aperçoit, comme l’a exprimé Touraine, que « la société n’est pas une donnée et ne peut

être réduite par son fonctionnement, elle est toujours renouvelée de conflits qui

opposent les acteurs ». En évoquant les problèmes sociaux, les réalisateurs malgaches

ont choisi d’être les porte-parole de la société civile. Après la colonisation, les artistes,

guidés par la pensée contemporaine de la libération, étaient motivés par le désir de

réappropriation de l’espace social. Ils ont réaffirmé leur culture en dénonçant les

dysfonctionnements de la société en en mettant en évidence les injustices et les

privilèges.

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Dans le film « L’accident »28 de Ramampy Benoît, considéré comme le véritable

premier film de fiction malgache, le thème de la corruption est omniprésent. La

corruption ou déviance est une transgression des règles sociales, c’est-à-dire qu’il y a

inadéquation entre des valeurs et des normes. Dans le film, le jeune homme, sous

l’emprise de l’alcool, provoquera un accident et la mort d’un enfant. Il sera en principe

arrêté afin d’être jugé. Dans le cas présent, il sera libéré grâce aux relations de ses

parents qui transgresseront la loi. La déviance s’explique par un dysfonctionnement

social. La valeur morale de ces gens est de contourner le fonctionnement initialement

prévu par les régulations étatiques.

Nous avons aussi un exemple dans l’autre film de Benoît Ramampy « Dahalo,

Dahalo… »29 ou « Il était une fois le Moyen Ouest ». Dans ce film, le réalisateur

dénonce l’action de la justice qui ne traite pas les affaires courantes comme il se devrait.

Un chef Dahalo a été fait prisonnier par les villageois, ils vont le juger eux-mêmes

puisque la justice ne l’a pas inculpé lors de sa première arrestation.

28 : « L’accident » a été réalisé en 1972. Il a été tourné en 35 mm, est en noir et blanc et dure 35 minutes. C’est une production française. Synopsis : Sur la route, dans la campagne d’Ivato, près de la capitale, un jeune homme aisé renverse avec sa voiture de sport un enfant de paysan. Ce jeune homme non seulement roulait trop vite mais était ivre. Il est emmené au poste de police. Les relations qu’entretient son père avec des membres du gouvernement lui permettent de sortir très rapidement. L’enfant est conduit à l’hôpital où il se fera soigner. Le père de famille réussit à avoir un rendez-vous avec la mère de l’enfant afin de la dédommager pour cet incident. Il lui propose une grosse somme d’argent. Celle-ci refuse. L’enfant succombe à ses blessures peu après l’accident. C’était lui qui travaillait aux champs et nourrissait ses proches : sa mort laisse sa famille sans ressources. La dernière scène nous montre le départ du jeune homme pour la France pour fuir « ce monde malgache ». 29 : « Dahalo, Dahalo… » a été réalisé en 1984. Dahalo signifie voleur de zébu. Il a été tourné en 16 mm et dure 75 minutes. C’est une production française. Synopsis : Dahalo est le nom donné aux bandes de pillards qui sillonnent les campagnes, en pays Bara à Madagascar. Devant la recrudescence de la violence et des vols, les habitants ont décidé de se faire justice eux-mêmes car la justice officielle est inexistante. Sous l’ordre du président, les gendarmes vont tenter de récupérer un chef Dahalo fait prisonnier par des villageois pour le remettre aux mains de la justice officielle malgré son incompétence. On s’apercevra que le chef Dahalo n’est autre que le frère du président et c’est pour cela qu’il empêche le village de faire lui-même sa justice. Le peuple s’oppose au président et décide malgré tout d’exécuter le Dahalo. Celui-ci réussit à s’enfuir mais se fait tuer par l’adjudant.

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Ce film a fait l’objet d’une censure30, ce qui paraît illogique car il n’est pas provocateur.

En effet, le réalisateur n’insiste pas sur les dysfonctionnements de la justice mais bien

sur un problème de société qui a commencé dès la seconde République et est encore

d’actualité de nos jours. Ce film a été réalisé pour dénoncer cet acte de vandalisme ou ce

problème de société et non pour dénoncer la corruption même si le réalisateur était au

courant de cette déviance. Le texte de fin en est la preuve : « Une centaine de Dahalo

malgré l’armée populaire, les gendarmes, la police, ne décroît pas. Ces actes découlent

d’une crise profonde et s’ils ont pris de l’ampleur, cela démontre que la répression

militaire n’est pas à la hauteur. Une des solutions passe par une refonte sociale : plus de

solidarité entre les Fokonolona31, élargissement de leurs responsabilités avec l’appui des

forces armées devant ramener le calme dans les campagnes afin que la paysannerie

puisse entamer une lutte bien plus importante, celle de la production. »

Un autre problème de société est l’exode rural traité dans le film « Le retour »32

d’Ignace-solo Randrasana. Une famille part de la capitale pour migrer dans le Moyen-

Est des Hauts Plateaux où tout est encore possible pour celui qui veut cultiver la terre.

Avant d’avoir un domaine agricole exploitable, le couple doit acheter le terrain,

construire sa maison sans cesser de travailler pour que ses lopins de terres soient

cultivables et rentables. Les enfants doivent faire des kilomètres pour aller à l’école car

les exploitations agricoles étaient isolées des villages environnants.

30 : En voici la raison : quelqu’un de haut placé dans le gouvernement avait trouvé un marché pour vendre des zébus sur pied à l’île Maurice. Ce marché passait par divers intermédiaires : colonel, commandant, général, capitaine, adjudant chef …ce qui signifiait que des commissions étaient prélevées à chaque transaction. L’adjudant chef devait trouver des zébus pour un prix dérisoire, ce qui s’avérait impossible. Pour réaliser le marché, la seule solution était de commanditer des voleurs. Pour ceci, la justice ne pouvait pas fonctionner normalement puisque les Dahalo travaillaient sous l’ordre de l’armée malgache. Et c’est aussi certainement pour cela que le film a été censuré, il n’a pas dénoncé totalement l’action du gouvernement mais a sollicité le public à la réflexion. 31 : Communauté malgache. 32 : « Le Retour » a été réalisé en 1973. Il a été tourné en 16 mm et dure 90 min. C’est une production malgache : Production Tana film. Les interprètes : troupe Voninavoko. Synopsis : Un jeune couple installé à Tananarive doit économiser de l’argent dans le but de célébrer le retournement des morts, demandé par la famille. Une fois la fête passée, le jeune couple ne reviendra pas dans la capitale mais migrera vers les Hauts Plateaux pour cultiver la terre. La vie rurale ne conviendra pas à la jeune épouse qui quitte son mari et son enfant pour retourner à Tananarive, après avoir rencontré un autre homme. Hélas, elle oubliera la tranquillité de sa vie passée pour se prostituer afin de subvenir aux besoins de son nouveau compagnon alcoolique.

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Le réalisateur dénonce l’action du gouvernement qui envoyait des gens dans le désert

des Hauts Plateaux afin de cultiver la terre en leur cachant les conditions de vie

précaire. On chassait des familles entières prétextant la pauvreté urbaine pour les

envoyer dans la pauvreté rurale.

L’obligation de s’adapter aux nécessités de cette nouvelle vie qui devait passer par une

forme d’acculturation et d’intégration sociale ne convenait pas aux femmes qui

regrettaient leur vie urbaine. Le résultat du déracinement des familles était source de

conflit au sein du couple, voire de séparation entre les époux dans « Le Retour ».

Le thème est également abordé dans « Dahalo, Dahalo » : la femme du chef de

gendarmerie, ne sachant que faire pour occuper ses journées, sombre dans l’alcool.

Actuellement, le thème de la migration existe encore. Même si l’économie demeure

essentiellement agricole, la population des villes augmente de manière cyclique : chaque

crise économique dans les campagnes provoque un afflux de paysans dans les villes où

la structure citadine leur permettra de subvenir à leur besoin en travaillant pour un

salaire équivalent à 35 euros en moyenne. Les paysans vont migrer vers les autres

centres urbains importants tels Toamasina, Mahajanga, Toliary et Antsiranana (ex

Diego-Suarez) qui ne dépassent guère 200 000 habitants ou la capitale Antananarivo (1

million d’habitants).

Le thème de l’exode rural est également très proche de la politique en vigueur. En 2001,

6 provinces autonomes se sont constituées. Dans son livre « L’avenir de Madagascar.

Idées-forces pour un vrai changement », l’économiste Gérard Ayer considère que créer

des provinces autonomes est une erreur. La prééminence des six villes-sièges creusera

encore un peu plus l’écart existant entre centres urbains et zones rurales. Il faudrait

mieux appliquer une décentralisation régionale en mettant en place des infrastructures

adéquates en province afin que le milieu rural ne soit pas, comme l’a dénoncé

Ignace-Solo Randrasana, une zone jugée « difficile ».

Les réalisateurs, en dénonçant ces problèmes, incitent la société civile à prendre

conscience de l’environnement dans lequel elle se situe. On peut affirmer que cet

objectif n’a pas été réalisé puisque quelques années plus tard, les mêmes problèmes se

sont étendus et certains se sont ajoutés, comme le phénomène de paupérisation.

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Les rites définis par les croyances

Légende, kabary, retournement des morts, sacrifice du zébu

A Madagascar, la religion dominante est la religion des ancêtres, elle est pratiquée par

52 % de la population contre 41 % pour la religion catholique (chrétiens et protestants)

et 7 % pour la religion musulmane. Si la religion traditionnelle malgache n’est pratiquée

que par la moitié des Malgaches, elle est connue de tous.

Elle représente des similitudes avec les religions orientales comme l’hindouisme.

On respecte le dieu (Zahanary) qui a créé le monde et les ancêtres (Razana) qui, par la

mort, accèdent à une vie supérieure et apportent sagesse et protection aux vivants. Seuls

les ancêtres permettent d’entrer en contact avec ce Dieu.

Les trois forces chez les Malgaches sont : l’âme, le corps, le cœur. L’âme dicte le corps

qui à son tour, dicte le cœur. Par l’âme, l’homme entre en contact avec les ancêtres. De

ces croyances proviennent les rites. Dans les films de fictions malgaches, on peut en

noter une multitude. Certains sont primordiaux. Le réalisateur Raymond Rajaonarivelo

dans son film « Quand les étoiles rencontrent la mer »33 a basé son synopsis sur une

croyance : l’enfant né lors d’une éclipse de soleil serait doté de pouvoirs de destructions

extraordinaires et provoquerait la mort de tout le village. Selon la coutume malgache,

l’enfant devra subir l’épreuve du parc à bœufs où il sera déposé durant une nuit. La

nature décidera de lui laisser ou de lui ôter la vie. Par la mort, il deviendra le fils de

l’homme. Par la vie, il sera le fils des ancêtres. L’enfant ne sera que l’émanation des

ancêtres et le dépositaire de la loi des volontés de ceux-ci.

Durant toute sa vie, sa relation avec le surnaturel et le réel lui rappellera qu’il est né un

jour néfaste (alakaosy), à un moment où le soleil était en désaccord avec la lune. Le rite

du parc à bœufs répond à un besoin de sécurité, de conjuration de risque. Comme ce

sont les ancêtres qui vont décider de la vie de l’enfant, le village sera apaisé.

33 : « Quand les étoiles rencontrent la mer » a été réalisé en 1996. Il a été tourné en 35 mm et dure 90 minutes. C’est une production française. Synopsis : Dans un petit village malgache, un enfant vient au monde au cours d’une éclipse. Conformément à la tradition qui veut qu’un tel enfant soit doté d’une incroyable force destructrice, son père lui fait subir l’épreuve du parc à bœufs. Le nouveau-né doit passer la nuit au milieu du parc, c’est-à-dire mourir piétiné ou vivre au petit matin et redevenir un homme comme tous les autres. Miraculeusement épargné, Kapila survivra boiteux. Emmené loin du village par sa mère adoptive, Kapila va subir la violence et la misère de

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Au sens strict du terme, le rite est un acte symbolique, verbal et/ou gestuel, par lequel

l’homme tente de communiquer avec des êtres ou des puissances de nature extensible.

C’est un ensemble ordonné de gestes et de paroles stéréotypées. Le Discours ou Kabary

en est l’exemple. Ce sont des discours moralisateurs que chacun de nous doit écouter

attentivement, c’est en quelque sorte un apprentissage de la vie dicté par les ancêtres.

Celui qui s’apprête à parler doit passer par une sorte de rite de purification : il confesse

son indignité vis à vis des auditeurs : il va manier un instrument qui le dépasse et qui

par là, met l’orateur au dessus de l’assemblée. Chacun des réalisateurs a tourné une

scène de Kabary. Ce discours poétisé est proclamé lors de chaque occasion importante

de la vie. Il est présent dans « Le retour » d’Ignace-Solo Randrasana, film axé sur la

célébration du retournement des morts ou Famadihana (changement du linceul du mort).

Le rite du Famadihana s’apparente à une cérémonie. Ce n’est pas la famille qui décide

de la date de cet événement mais les esprits : « les ancêtres sont apparus à ta mère, ils

ont froid, c’est le grand jour ». Si on ne connaît pas un peu la culture malgache,

l’annonce du père à son fils n’est pas compréhensible. Au contraire, pour les initiés,

cette phrase symbolique est pleine de sens. Le retournement des morts est l’un des rites

les plus pratiqués dans l’île. C’est une coutume des Merina (Ethnie des Hauts

Plateaux). La date n’est pas déterminée, elle varie entre 2 ans et 10 ans. Les familles

malgaches, en milieu rural, ne sont pas des familles restreintes comme en Europe mais

au contraire des familles nombreuses. Il n'est pas rare d’avoir 9 frères et sœurs. Les plus

âgés travaillent dans les villes et envoient de l’argent pour que la famille puisse vivre.

Ce jeune couple devra travailler dur pendant quatre mois et économiser34 pour que la

cérémonie ait lieu.

La cérémonie est codifiée, répétée et réalisée en vue d’obtenir un effet déterminé.

Conduit par un astrologue, le cortège composé des membres du village prend la

direction du tombeau. Le rituel commence par l’exhumation du corps, qui est ensuite

lavé et enveloppé dans un nouveau linceul. Les membres de la famille défilent ensuite

devant l’invité d’honneur pour lui parler, l’embrasser, lui chanter une chanson et danser.

la ville. Quand son seul ami meurt, Kapila, ayant appris ses origines maudites, décide de partir à la recherche de son père. 34 : En 1970, la cérémonie coûtait l’équivalent de 3,5 euros.

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La cérémonie des morts réunit tout le village. Chacun des participants a une place bien

précise en fonction de son statut social.

La danse matérialise les cercles symbolisant les trois stades de l’évolution spirituelle : un

cercle large, celui du village, de la foule ou du corps, définit le domaine de la nature

physique et des sens, lieu de l’hésitation et de la peur ; un second cercle plus restreint

représente les intermédiaires, domaine de l’esprit critique et des croyances, lieu de la

recherche spirituelle ; un troisième cercle proche du centre symbolise le monde spirituel

des initiés, des masques, de la liberté, de l’unité. Suite à ces danses, on sacrifie un zébu qui

possède l’une des symboliques les plus importantes du pays. Il signifie la richesse. Dans

« Le retour », cet acte est la représentation concrète de la réalité abstraite : c’est une

offrande aux ancêtres. En général, le sacrifice du zébu a pour objet de demander la

bénédiction des ancêtres pour que la région soit assurée d’une meilleure saison des

pluies, gage d’une récolte abondante. Cette occasion de réjouissances collectives peut

durer jusqu’à trois jours.

Le Joro Hasarabe (sacrifice du zébu) est omniprésent dans les films. Dans « Tabataba »35

film de Raymond Rajaonarivelo, ce sacrifice permettra d’éloigner le mauvais sort du

village. Les paysans après une offensive sanglante contre les colons français sacrifieront

un zébu. Cet acte, que l’on pourrait considérer comme une fête de victoire, les protègera

contre la rébellion française.

Les rites participent à la reproduction de la société. Ils sont différents selon les sociétés

et se transmettent par oral. Selon les siècles, les rites changent, évoluent car la tradition

orale ne les fixe pas dans le temps. Seule l’image a ce rôle. Et c’est la volonté des

réalisateurs malgaches, puristes, de laisser une trace de leur culture grâce aux films. On

peut s’apercevoir que les rites décrits sont similaires quelques années plus tard.

35 : « Tabataba » a été réalisé en 1988. Il a été tourné en 35mm et dure 90 min. C’est une production franco-malgache. Synopsis : Tabataba évoque pour les malgaches un vent qui traverse la forêt chargé de pollens toxiques et apporte la folie dans les villages. Fin 1946, dans un petit village isolé dans les vallées profondes du pays Tanala, à l’est de Madagascar, l’arrivée d’un citadin vient soudain interrompre la tranquillité du quotidien. L’homme apporte des idées nouvelles sur l’indépendance. Le parti indépendantiste MDRM est créé tandis que la division apparaît parmi les villageois. Les uns espèrent des élections démocratiques, les autres croient au pouvoir des armes. Dès lors le village se prépare. A quoi ? Personne ne sait au juste mais l’insurrection couve.

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Si dans nos sociétés modernes, rites et symboles ont perdu une partie de leur capacité

d’intégration, actuellement, à Madagascar, les rites ont encore une place très importante

dans le quotidien. Ils sont permanents dans la vie collective.

Il n’est pas rare de passer quelques années à travailler dans le but de rendre hommage aux

ancêtres. Les croyances, donnant naissance aux rites, sont actuellement en recrudescence.

En période d’instabilité sociale, le seul espoir du peuple est de demander conseil aux

ancêtres.

Mémoire de l’histoire

Nationalisme naturel, nationalisme militaire

Comme nous l’avons vu, les films de fictions malgaches mettent en valeur les

problèmes de sociétés, mettent en image la culture traditionnelle. Les réalisateurs

puisent également leurs sources d’inspiration dans les faits historiques.

L’histoire est un élément fondamental de l’explication d’une culture. L’engagement du

réalisateur a pour objectif aussi bien de dénoncer les abominations historiques mais

aussi de laisser ces événements en mémoire.

Les films sur les événements de 1947 ont un intérêt particulier à Madagascar. Ils sont

très importants car la population vivant la « malgachisation » est plus instruite sur

l’histoire de la Russie et de la Corée que sur sa propre histoire. D’où l’intérêt de la

diffusion de ces films, car les événements historiques font partie du passé contrairement

aux problèmes sociaux et aux rites qui sont encore d’actualité à Madagascar.

Cependant, il faut être lucide : le réalisateur ne restitue jamais le passé tout entier, il a sa

propre interprétation des réalités et ne peut être totalement objectif.

En retraçant certains événements historiques, les réalisateurs participent à maintenir le

nationalisme.

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L’interprétation de l’histoire dépend de la place et du rôle de l’individu dans les divers

groupes auxquels il appartient. On verra comment illustrer ce propos en comparant

« Tabataba » le film de Raymond Rajaonarivelo et « Ilo Tsy Very » 36 ou « Mad 47 » le

film de Ignace-solo Randrasana. Toutefois, il faut souligner que certaines scènes dans le

film « Ilo Tsy Very » ont été censurées car elles allaient contre les idées du

gouvernement. Le réalisateur, qui n’a pas eu de droit de regard sur le montage de son

film, est actuellement en remontage afin d’exprimer librement ses idées. Toutes les

dernières scènes qui font plutôt la promotion touristique de Madagascar, en décalage

total avec le reste du film, seront coupées lors du nouveau montage. De plus, Ratsiraka

apparaît comme le libérateur de Madagascar de la colonisation alors qu’il a pris le

pouvoir 15 ans après !

Ces deux films parlent de l’insurrection de 1947 : événement marquant dans l’histoire

malgache.

« Tabataba » fait référence au courant nationaliste du XIXème porté sur la tradition,

l’histoire et la nature tandis que « Ilo Tsy Very » fait référence au nationalisme

militariste et cocardier.

Raymond Rajaonarivelo exprime cette attitude nationaliste naturaliste tout au long du

film par les images, le son, et de nombreuses maximes. L’eau joue un rôle essentiel : par le

courant du fleuve, des tracts du parti opposant arrivent jusqu’au village et annoncent la

rébellion, ce fleuve sert de moyen de communication ; les hommes qui partent en guerre

s’arrêtent devant la chute d’eau pour des incantations et demandent la protection des

ancêtres. Des chants d’oiseaux, de grillons, le son de l’eau, de l’orage font également

référence à la nature. La vue optimiste du peuple malgache sur la guerre est traduite par

« une petite poussée sur l’arbre suffit pour l’abattre », autre référence à la nature. La phrase

« il fallait écouter la feuille, la cascade. Les bois coupés ne sont pas de la même longueur,

36 : « Ilo Tsy Very » a été réalisé en 1987. Il a été tourné en 35mm et dure 90 min. C’est une production algérienne et malgache. Synopsis : le fascisme défait, la France fête sa victoire et panse ses blessures. Mais les peuples des colonies réclament leur émancipation. Partout c’est l’appel de la liberté. Le peuple malgache se soulève et c’est en 1947 la grande insurrection qui sera noyée dans le sang, répression sauvage, aveugle où l’on dénombre des milliers de victimes. Un enfant, Koto, à l’âge des rêves et de l’innocence, a survécu au désastre et retrace les souffrances du peuple malgache.

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comme la richesse des hommes », touche finale à la fin de « Tabataba » s’inscrivant sur

l’écran, signifie que le mal amène la faim, la douleur, la destruction et la mort.

Par opposition, Ignace-solo Randrasana « Ilo Tsy Very » utilise des images ayant une

symbolique historique et militaire comme le portrait d’Hitler pour proclamer que la

France est en danger et que 72 000 Malgaches vont être déportés. Des plans des archives

des bombardements de la première et de la seconde guerre mondiale permettent

d’accentuer le fait que Madagascar, colonie française, s’est impliquée dans les deux

guerres mondiales.

La scène où l’on découvre des corps morts dans des wagons est extrêmement riche de

sens. Le réalisateur fait un parallèle entre la déportation des juifs en 1944 et

l’extermination des Malgaches lors de l’insurrection de 1947 par l’utilisation de plans

déjà connus comme dans le film « Soha ».

Il fait appel à notre mémoire, et ce plan de quelques secondes est l’un des plus

émouvants du film. Dans ce cas, le réalisateur a fait le choix de ne pas composer de

plans lui-même. L’utilisation de ces images symboliques renforce le fait que le peuple

malgache a vécu, lui aussi des événements aussi tragiques que ceux qui sont entrés dans

l’histoire de France, et connus de tous. Subitement, on réalise que le peuple malgache a

vécu les mêmes horreurs que les juifs. Mais cet événement est resté dans l’oubli total.

Dans ce film, l’utilisation ponctuelle d’images symboliques permet de renforcer le

nationalisme que le réalisateur veut exprimer. Ce qui n’est pas en opposition avec

l’originalité du film et sa puissance créative.

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Annexe IV : « Le cinéma à Madagascar : un facteur de développement ? »

Conclusion d’une étude sociologique

Le mémoire de maîtrise de l’Institut National des Sciences Comptables et

d’Administration d’Entreprise, (INSCAE, école de grand renom à Tananarive) écrit en

2001 par Géraldine Leong Sang, porte sur le thème « Le cinéma : un facteur de

développement à Madagascar ? ». Un questionnaire a été proposé à 75 personnes de

différentes catégories sociales (Population A, Population B) et de différentes tranches

d’âge (moins de 19 ans, 20-54 ans, 55 ans et plus). Toutes ces personnes habitent la

capitale Antananarivo ou sa périphérie.

La population A désigne 80% des tananariviens avec les caractéristiques suivantes :

faible alphabétisation, source de revenu provenant de l’agriculture, de l’élevage, de

l’artisanat, de la mécanique, vivant en banlieue tananarivienne, besoins de première

nécessité ponctuellement ou partiellement satisfaits. C’est une population non aisée.

La population B désigne 20 % des tananariviens avec les caractéristiques suivantes :

classes moyennes et aisées, vivant en milieu urbain, niveau de formation élevée,

activités professionnelles dans les secteurs secondaire et tertiaire.

On peut en tirer quelques conclusions :

Connaissance du cinéma

- 58,5 % des personnes interrogées de la population A connaît le cinéma,

41,5 % des personnes interrogées de la population A ne connaît pas le cinéma, on

remarque que la population jeune est la plus concernée ce qui s’explique par le fait

que le cinéma a été censuré à partir des années 75.

- 100 % des personnes interrogées de la population B connaît le cinéma.

Appréciation du cinéma

- 93 % des personnes interrogées de la population A apprécie le cinéma, 7 % des

personnes interrogées de la population A n’apprécie pas le cinéma.

- 100 % des personnes interrogées de la population B apprécie le cinéma.

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Motivation pour aller au cinéma

- 83,5 % des personnes interrogées de la population A sont motivées pour aller au

cinéma, 16,5 % des personnes interrogées de la population A ne sont pas motivées

pour aller au cinéma.

- 100 % des personnes interrogées de la population B sont motivées pour aller au

cinéma.

Coût maximum d’un billet de cinéma

- 0,2 euro pour la population A

- 2,85 euros pour la population B

Pour référence le smic mensuel équivaut à 35 euros (mois de mai 2003).

Choix des films

- La population A préfère les films de karaté.

- La population B préfère les films d’actions (films américains).

Emplacement des cinémas

La population A et B préfèrent que les cinémas soient dans le centre ville.

Soulignons que cette étude est la seule réalisée à Madagascar, donc la seule utilisable.

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Annexe V : Décret 2000-112

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Annexe VI : Cahier des charges pour l’exploitation de salles

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Annexe VII : Décret 2000-113

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Remerciements

Pour m’avoir soutenue dans ce travail, je tenais à remercier de nombreuses personnes de

toutes nationalités malgaches, françaises, anglaises et espagnoles qui ont très gentiment

coopéré en m’accordant leur temps, me racontant leurs projets, leurs désirs, leurs

histoires, leurs doutes, leurs réussites mais aussi leurs échecs…

Merci aux personnes qui m’ont accueillie à Tananarive.

Merci à Corsair qui m’a fait voler jusqu’à la Grande Ile.

Merci aux personnes qui ont relu mon travail.

Merci aux personnes qui ont participé indirectement et m’ont réconfortée dans les

moments de doute !

Merci au directeur du Centre Culturel Albert Camus (1997-2001) de Tananarive pour sa

participation à la soutenance du mémoire.

Et enfin un grand merci à tous les enseignants du DEA et plus particulièrement à Mr

Michel Liu, directeur du mémoire.

Merci de m’avoir fait confiance dans cette aventure.