2
Le Discou.rs de la Preuve en Situation Scolaire Daniéle Coquin-Viennot Université de Poitiers, France Dans la recherche présentée ici, nous voulons montrer a) en quoi les discours de preuve produits par des élèves en situation didactique institutionnelle se distinguent de ceux donnés dans des situations plus naturelles et b) quels processus conduisent à cette différenciation. Les deux situations étudiées seront repérées l’une par rapport à l’autre en fonction des valeurs prises par les paramètres contextuels définis par J. P. Bronckart (1985). Ces para- mètres sont de trois types: ceux de l’espace référentiel, ceux de l’espace de l’acte de produc- tion et ceux de l’espace de l’interaction sociale. Ce sont les valeurs qu’ils prennent qui permettent au locuteur de construire ou de mobiliser la représentation du discours qu’il juge adéquat à la situation. 1. Procédure expérimentale Des élèves de 4e (13-14 ans) travaillent en groupe de deux sur un problème de géomé- «ABC est un triangle rectangle en A; M est le milieu de AB et N celui de BC; démontre L’observation se déroule en 4 étapes: 1 / Recherche individuelle d’une solution (papier brouillon). 2/ Explication orale du premier élève qui a trouvé la solution à son compère (enregis- 3/ Rédaction individuelle de la démonstration sur une feuille de copie «comme si c’était 4/ Entretien avec l’expérimentateur sur les difficultés des démonstrations en mathéma- trie posé sous forme traditionnelle. que (MN) L(,4B)». trement + notes de l’observateur). pour le professeur)). tique et de leur rédaction. Nous nous intéressons aux productions obtenues dans les situations 2) (explication) et 3) (démonstration). Ces situations sont identiques selon l’espace référentiel; mais elles se dis- tinguent selon l’espace de l’acte de production (dialogue oralhédaction d’une copie) et selon l’espace de l’interaction sociale (l’interlocuteur est un pair/ou l’institution qui juge). En con- séquence, la représentation de la finalité poursuivie par le locuteur change: dans un cas, il s’agit pour lui de convaincre un pair de la justesse de sa solution; dans l’autre, de prouver sa compétence à une instance supérieure. Nous verrons que cette modification suffit pour que les discours produits dans les deux situations soient différents, et ce, selon plusieurs dimensions. 2. Résultats En situa.tion de démonstration, les productions sont très proches de celles qu’on obtient dans la situation 1: l’élève mobilise la représentation (déjà construite en classe) du discours qu’il juge adéquat. Celui-ci est décontextuaiisé (la figure n’est qu’un support de raisonne- ment), impersonnel et sans dynamique temporelle (Balacheff, 1985).

Le Discours de la Preuve en Situation Scolaire

  • Upload
    daniele

  • View
    214

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le Discours de la Preuve en Situation Scolaire

Le Discou.rs de la Preuve en Situation Scolaire

Daniéle Coquin-Viennot Université de Poitiers, France

Dans la recherche présentée ici, nous voulons montrer a) en quoi les discours de preuve produits par des élèves en situation didactique institutionnelle se distinguent de ceux donnés dans des situations plus naturelles et b) quels processus conduisent à cette différenciation.

Les deux situations étudiées seront repérées l’une par rapport à l’autre en fonction des valeurs prises par les paramètres contextuels définis par J. P. Bronckart (1985). Ces para- mètres sont de trois types: ceux de l’espace référentiel, ceux de l’espace de l’acte de produc- tion et ceux de l’espace de l’interaction sociale. Ce sont les valeurs qu’ils prennent qui permettent au locuteur de construire ou de mobiliser la représentation du discours qu’il juge adéquat à la situation.

1. Procédure expérimentale

Des élèves de 4e (13-14 ans) travaillent en groupe de deux sur un problème de géomé-

«ABC est un triangle rectangle en A; M est le milieu de AB et N celui de BC; démontre

L’observation se déroule en 4 étapes:

1 / Recherche individuelle d’une solution (papier brouillon). 2/ Explication orale du premier élève qui a trouvé la solution à son compère (enregis-

3/ Rédaction individuelle de la démonstration sur une feuille de copie «comme si c’était

4/ Entretien avec l’expérimentateur sur les difficultés des démonstrations en mathéma-

trie posé sous forme traditionnelle.

que (MN) L(,4B)».

trement + notes de l’observateur).

pour le professeur)).

tique et de leur rédaction.

Nous nous intéressons aux productions obtenues dans les situations 2) (explication) et 3) (démonstration). Ces situations sont identiques selon l’espace référentiel; mais elles se dis- tinguent selon l’espace de l’acte de production (dialogue oralhédaction d’une copie) et selon l’espace de l’interaction sociale (l’interlocuteur est un pair/ou l’institution qui juge). En con- séquence, la représentation de la finalité poursuivie par le locuteur change: dans un cas, il s’agit pour lui de convaincre un pair de la justesse de sa solution; dans l’autre, de prouver sa compétence à une instance supérieure. Nous verrons que cette modification suffit pour que les discours produits dans les deux situations soient différents, et ce, selon plusieurs dimensions.

2. Résultats

En situa.tion de démonstration, les productions sont très proches de celles qu’on obtient dans la situation 1: l’élève mobilise la représentation (déjà construite en classe) du discours qu’il juge adéquat. Celui-ci est décontextuaiisé (la figure n’est qu’un support de raisonne- ment), impersonnel et sans dynamique temporelle (Balacheff, 1985).

Page 2: Le Discours de la Preuve en Situation Scolaire

160 D. COQUIN-VIENNOT

En situation d’explication, le discours, proche du discours de démonstration au départ, est progressivement reconstruit en étant guidé par l’interlocuteur. Il s’ancre dans la figure («là, cette droite...))), il se personnalise («je ... tu...») et il porte les marques d’une dynarni- que d’action («tu dessines.. .).

Les données métacognitives obtenues à l’étape 4 confirment la nécessité pour l’élève que la démonstration ait la forme jugée convenable (((c’est ce qu’on doit faire»; «il faut encadrer les «alors»...»). En revanche, jamais un élève n’évoque l’idée de preuve ou de jus- tification à propos d’une «bonne démonstration)); il semble donc qu’il ne comprenne pas la fonction de cette forme exigée par l’enseignant.

La démonstration académique serait donc perçue comme un rite qui met en jeu les élé- ments utilisés dans la découverte de la solution, mais sous une forme très précise et rigide. Cette forme est sans doute une des composantes les plus importantes du rite: côté normatif, traditionnel, mais aussi légèrement obscur (un élève peut très bien accomplir le rite sans en saisir tout le sens) et surtout socialement nécessaire. Un seul élève sur les dix couples obser- vés a refusé d’accomplir le rite; après avoir parfaitement énoncé la solution oralement, il déclare au moment de rédiger: «alors ça, je ne sais pas. 11 faudrait faire une démonstration; je ne sais pas faire)).

3. Perspectives didactiques

Pour éviter cette reproduction du rituel quand l’élève apprend à démontrer, il faut le

- celles qui recréent le débat scientifique, c’est-à-dire celles où de nombreuses conjec- tures peuvent être émises sans qu’aucune n’emporte d’adhésion unanime. Plusieurs équipes y travaillent: Arsac et al, 1985; Alibert et al, 1986; N. Balacheff, 1987.

- celles (ce sont souvent les mêmes) pour lesquelles les exigences des maîtres quand aux qualités du discours répondent à des nécessités fonctionnelles plutôt qu’à des représentations idéales d’une forme stéréotypée.

placer dans de réelles situations de preuve:

Références

Alibtrt, D., Grenier, D., Legrand, M. & Richard, F., (1986). «Introduction du débat scientifique dans un cours de In année de DEUG à l’Université de Grenoble)), Rapporf ATP «Transition dans le système éducatif», Ed. IMAG Grenoble.

Arsac, G., Germain, G., Mante M. & Pichod D., (1985). La pratique du problème ouvert. IREM, Lyon.

Baiacheff, N. (1985). Processus de preuve et situation de validation. Rapport de recherche IMAG, Grenoble.

Balacheff, N. (1987). Dévolution d’un problème et construction d’une conjecture. Le cas de «La somme des angles

Bronckart, J. P. (1985). Le foncfionnement du discours. Un modèle psychologique et une méthode d’analyse. Dela-

d’un triangle)). Cahier de didactique des mathématiques n.’ 39, IREM, Paris VIL

chaux et Niestlé, Neuchâtel.