2
23 OptionBio | mardi 24 septembre 2013 | n° 495 hémoglobine | pratique Le dosage des hémoglobines glyquées Le dosage de l’hémoglobine A1c est un atout considérable dans la prise en charge des patients diabétiques. La connaissance du mécanisme de glycation de l’hémoglobine et des principes de dosage des techniques utilisées est indispensable au biologiste pour assurer une interprétation des résultats pleinement utile au clinicien. Stéphane Moutereau de l’hôpital Henri-Mondor nous rapporte ici son expérience du dosage enzymatique de l’HbA1c et de ses caractéristiques. La glycation des protéines La glycation touche toutes les protéines et cor- respond à une fixation irréversible de sucre. Non enzymatique, elle est directement fonction du temps d’exposition et du niveau de la glycémie. Le glucose n’est pas le seul à se fixer mais il est le principal ose impliqué. Mécanisme de glycation Il s’agit de la fixation de glucose, fructose ou aldéhyde sur une fonction amine N-terminale. Les différentes étapes de la glycation L’étape initiale de fixation (sucre + protéine) forme de manière réversible des bases de Schiff. Leurs réarrangements (clivage, auto-oxydation) conduisent à des composés plus stables dits pro- duits d’Amadori. L’établissement de liaisons croisées entre ces produits, avec cyclisation, donne des produits de glycation avancée ou AGE (Advanced glycosylation end products). La glycation se produit d’autant plus aisément que le site de fixation du sucre réducteur à NH2 est libre d’accès ; s’il est présent au niveau d’une poche par exemple, la glycation sera relative- ment faible. C’est la raison pour laquelle le site le plus fréquemment glyqué sur l’hémoglobine est la valine en 1 de la chaîne bêta. Cependant, différentes lysines des chaînes alpha et bêta, ainsi que la valine en alpha peuvent également être glyquées. La modification de pH liée à la glycation sur le NH2 terminal de la chaîne bêta conduit à l’HbA1c. La stabilisation du réarrangement induit demande plusieurs jours, et plus la protéine vit longtemps, plus sa forme glyquée vit longtemps également. Différents facteurs impactent les vitesses de réar- rangement d’Amadori. Impacts de la glycation Le degré de glycation de l’hémoglobine est direc- tement fonction de la durée de l’hyperglycémie, la demi-vie de l’hémoglobine, le pH, la tempéra- ture… On considère ainsi que la concentration en HbA1c est l’historique de la glycémie des 120 jours précédents. Elle traduit bien l’impré- gnation glycémique chronique, indépendante du stress. À titre d’exemple, la glycation de l’albu- mine existe également (10 des 50 lysines de l’albumine sont glyquées in vivo) mais présente une durée de vie plus courte. La glycation de l’Hb sert au dépistage et au suivi du diabète, son taux étant directement propor- tionnel aux complications diabétiques. Cependant c’est la glycation de protéines comme les lipo- protéines ou le cristallin qui est responsable des effets pathologiques. L’insuline et son récepteur, les protéines du plasma et de la myéline, le fibri- nogène, le collagène sont d’autant concernées par ce mécanisme de glycation. Nomenclature des hémoglobines glyquées Les hémoglobines normales sont constituées d’un hème, de 2 chaînes alpha et 2 chaînes non alpha, à savoir 2 chaînes bêta pour l’HbA, 2 chaînes delta pour l’HbA2 et 2 chaînes gamma pour l’HbF. Les hémoglobines HbA1a, HbA1b et HbA1c résultent d’une modification post-traductionnelle. L’HbA0, composant principal de l’HbA, est glyquée sur des sites qui n’entraînent pas de modification de son pHi. Les différents produits de glycation de l’HbA1 sur l’extrémité N-terminale des chaînes bêta s’accompagnent d’une modification de leur pHi : il s’agit des HbA1a1, HbA1a2, HbA1b, HbA1c et HbA1d. Avant de donner la fonction cétoamine stable caractéristique de l’HbA1c, il se forme une fonc- tion aldimine (base de Schiff) conduisant à une Hb pré-A1c, labile et minoritaire, qui ne doit pas être évaluée en même temps que l’HbA1c. Les méthodes de dosage Il est fondamental de savoir ce que dosent les différentes techniques disponibles au laboratoire. La méthode utilisant l’affinité du glucose pour l’acide phényl-boronique est la plus © Scott Camazine/Visuals Unlimited / BSIP | hémoglobine glyquée.

Le dosage des hémoglobines glyquées

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le dosage des hémoglobines glyquées

23OptionBio | mardi 24 septembre 2013 | n° 495

hémoglobine | pratique

Le dosage des hémoglobines glyquées

Le dosage de l’hémoglobine A1c est un atout considérable dans la prise en charge des patients diabétiques. La connaissance du mécanisme de glycation de l’hémoglobine et des principes de dosage des techniques utilisées est indispensable au biologiste pour assurer une interprétation des résultats pleinement utile au clinicien. Stéphane Moutereau de l’hôpital Henri-Mondor nous rapporte ici son expérience du dosage enzymatique de l’HbA1c et de ses caractéristiques.

La glycation des protéinesLa glycation touche toutes les protéines et cor-respond à une fixation irréversible de sucre. Non enzymatique, elle est directement fonction du temps d’exposition et du niveau de la glycémie. Le glucose n’est pas le seul à se fixer mais il est le principal ose impliqué.

Mécanisme de glycationIl s’agit de la fixation de glucose, fructose ou aldéhyde sur une fonction amine N-terminale.Les différentes étapes de la glycation

L’étape initiale de fixation (sucre + protéine) forme de manière réversible des bases de Schiff.

Leurs réarrangements (clivage, auto-oxydation) conduisent à des composés plus stables dits pro-duits d’Amadori.

L’établissement de liaisons croisées entre ces produits, avec cyclisation, donne des produits de glycation avancée ou AGE (Advanced glycosylation end products).

La glycation se produit d’autant plus aisément que le site de fixation du sucre réducteur à NH2 est libre d’accès ; s’il est présent au niveau d’une poche par exemple, la glycation sera relative-ment faible. C’est la raison pour laquelle le site le plus fréquemment glyqué sur l’hémoglobine est la valine en 1 de la chaîne bêta. Cependant, différentes lysines des chaînes alpha et bêta, ainsi que la valine en alpha peuvent également être glyquées. La modification de pH liée à la glycation sur le NH2 terminal de la chaîne bêta conduit à l’HbA1c.La stabilisation du réarrangement induit demande plusieurs jours, et plus la protéine vit longtemps, plus sa forme glyquée vit longtemps également. Différents facteurs impactent les vitesses de réar-rangement d’Amadori.

Impacts de la glycationLe degré de glycation de l’hémoglobine est direc-tement fonction de la durée de l’hyperglycémie,

la demi-vie de l’hémoglobine, le pH, la tempéra-ture… On considère ainsi que la concentration en HbA1c est l’historique de la glycémie des 120 jours précédents. Elle traduit bien l’impré-gnation glycémique chronique, indépendante du stress. À titre d’exemple, la glycation de l’albu-mine existe également (10 des 50 lysines de l’albumine sont glyquées in vivo) mais présente une durée de vie plus courte.La glycation de l’Hb sert au dépistage et au suivi du diabète, son taux étant directement propor-tionnel aux complications diabétiques. Cependant c’est la glycation de protéines comme les lipo-protéines ou le cristallin qui est responsable des effets pathologiques. L’insuline et son récepteur, les protéines du plasma et de la myéline, le fibri-nogène, le collagène sont d’autant concernées par ce mécanisme de glycation.

Nomenclature des hémoglobines glyquéesLes hémoglobines normales sont constituées d’un hème, de 2 chaînes alpha et 2 chaînes non alpha, à savoir 2 chaînes bêta pour l’HbA, 2 chaînes delta pour l’HbA2 et 2 chaînes gamma pour l’HbF. Les hémoglobines HbA1a, HbA1b et HbA1c résultent d’une modification post-traductionnelle.L’HbA0, composant principal de l’HbA, est glyquée sur des sites qui n’entraînent pas de modification de son pHi. Les différents produits de glycation de l’HbA1 sur l’extrémité N-terminale des chaînes bêta s’accompagnent d’une modification de leur pHi : il s’agit des HbA1a1, HbA1a2, HbA1b, HbA1c et HbA1d.Avant de donner la fonction cétoamine stable caractéristique de l’HbA1c, il se forme une fonc-tion aldimine (base de Schiff) conduisant à une Hb pré-A1c, labile et minoritaire, qui ne doit pas être évaluée en même temps que l’HbA1c.

Les méthodes de dosageIl est fondamental de savoir ce que dosent les différentes techniques disponibles au laboratoire.La méthode utilisant l’affinité du glucose pour l’acide phényl-boronique est la plus ©

Sco

tt C

amaz

ine/

Vis

uals

Unl

imite

d /

BS

IP

| hémoglobine glyquée.

Page 2: Le dosage des hémoglobines glyquées

24 OptionBio | mardi 24 septembre 2013 | n° 495

pratique | hémoglobine

« historique » et dose l’ensemble des hémoglo-bines glyquées.Les méthodes utilisant les variations de charge mettent en évidence l’HbA0, HbA1a, HbA1b et l’HbA1c. Il s’agit des techniques par électropho-rèse, ou le plus souvent par chromatographie sur résine échangeuse d’ions.Les méthodes utilisant le caractère immuno-logique de l’HbA1c, par immuno-turbidimétrie ou immuno-inhibition, donnent des résultats variables selon les épitopes reconnus.Les méthodes utilisant la reconnaissance enzymatique d’un site spécifique de l’Hb glyquée sont une autre alternative au dosage de l’HbA1c.Les résultats sont fonction de la glycémie, de la durée de vie des globules rouges, de la concen-tration en hémoglobine, de la méthode de dosage selon si elle reconnaît ou pas les variants, des interférences (immunoglobinopathies…).Indépendamment de la méthode de dosage, l’interprétation du résultat d’HbA1c doit tenir compte des éventuelles interférences physiopa-thologiques comme la présence d’hémoglobino-pathies, d’anémies, d’hémorragies, etc.

La méthode enzymatiqueIl s’agit de la technique HbA1cnetFS commercia-lisée par Diasys®. Elle se mesure à partir d’un hémolysat, avec pesage de l’hémoglobine totale et de l’hémoglobine glyquée puis calcul du ratio et utilisation d’un modèle mathématique de standardisation.

Un prétraitement sur l’hémolysat permet un dosage de l’Hb totale (en g/dl) par mesure d’ab-sorbance à 570 nm.

Une peptidase spécifique agit ensuite sur l’extrémité N terminale de HbA1c, libérant des dipeptides fructosyl.

Le FPOX (fructosyl-peptide oxydase) clive ces derniers et libère une quantité d’H202 directement proportionnelle à la quantité de dipeptides, donc d’HbA1c.

La concentration de peroxyde d’oxygène est alors mesurée par colorimétrie, en présence de chromogène et de peroxydase, et permet d’expri-mer la concentration en g/dl d’HbA1c.À partir de ces 2 dosages, l’HbA1c est finalement exprimée en % par rapport à l'Hb totale. Cette technique est adaptée sur différents automates comme Hitachi ou Cobas.

L’expérience du laboratoire du CH Henri-MondorAprès quelques difficultés initiales liées à la pré-paration de l’hémolysat, la répétabilité, testée sur des échantillons de patients, a présenté des résul-tats conformes aux données fournisseur.La reproductibilité a été testée sur les 2 contrôles internes qualité fournis par Diasys®, et donne également des résultats conformes aux données fournisseur.Les premiers dosages réalisés en parallèle par cette technique et par technique BioRad (pic HbA1c) sur les patients « tout venant » présentent une corrélation satisfaisante.

Interprétation des résultats par méthode enzymatiqueCe test reconnaît spécifiquement le peptide gly-qué (glucose-Val-His), cela signifie qu’il mesure l’HbA1c mais également les éventuels variants porteurs de cette séquence.Pour les patients porteurs d’HbS, l’impact sera différent selon leur statut hétéro ou homozygote. En effet, pour un patient hétérozygote, la durée de vie de l’HbS est similaire à la durée de vie de

l’Hb normale, le rapport entre (HbA1c + HbS1c) et (Hb totale dont HbS) est donc globalement inchangé par rapport à un patient non porteur d’HbS. En revanche, si le patient est homo-zygote, la durée de vie plus courte de l’HbS aura un impact sur la valeur de ce rapport. Si l’exis-tence de cette HbS est connue, l’interprétation du résultat pourra en tenir compte ; s’il n’est pas connu, il sera plus difficile d’interpréter pleine-ment le taux d’HbA1c.Si un patient est porteur d’HbF, la glycation ne sera pas mesurée dans la mesure où elle ne se produit pas sur l’enchaînement d’acides aminés reconnu par la peptidase.

En conclusionCette technique, standardisée et facilement automatisable, ouvre sur une manière nouvelle d’évaluer les hémoglobines glyquées. Quelle que soit la technique utilisée, et compte tenu des nombreuses sources de variation des résultats, le biologiste doit garder présent à l’esprit que c’est le patient qui reste son propre témoin : il est donc nécessaire d’identifier la présence de variants, mais aussi la présence d’hémolyse chronique, de transfusion récente, ou toute autre cause susceptible d’impacter tant la valeur d’Hb glyquée que son rapport à l’Hb totale. |

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’inté-rêts en relation avec cet article.

ROSE-MARIE LEBLANCConsultant biologiste, Bordeaux

[email protected]

SourceD’après une communication de S. Moutereau (CHU Henri-Mondor, Créteil). 41e colloque CNBH, Toulouse, octobre 2012.