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LE DOSSIER ROUMAIN

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Valérie Jourdan

LE DOSSIER ROUMAIN

Thriller

Jean-Claude Gawsewitch Éditeur

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Le 25 décembre 1989, après avoir été jugéspar un tribunal militaire, Nicolae Ceausescu

et sa femme Helena ont été exécutés.Leur procès fit la une de tous les journaux télévisés

mais c’est la découverte des orphelinats roumainsqui resta à jamais gravée dans les mémoires.

Des années après la chute du dictateur,l’abandon des enfants continue.

L’urgence voudrait que l’on trouve une familleà ces milliers d’enfants, une loi va pourtant

les condamner à rester orphelins.

À moins que quarante-huit heures avant le vote,un grain de sable ne vienne enrayer la machine.

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PREMIER JOUR

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Bruxelles, vendredi 25 juin 2004

Les drapeaux flottaient devant le Parlement euro-péen. Ils semblaient veiller sur les va-et-vient constantsdes députés, journalistes et fonctionnaires qui dispa-raissaient derrière ses façades en verre.

Au quinzième étage du bâtiment, le députéespagnol José María García Márquez rédigeait unenote. Il pouvait apercevoir de son bureau la bellecathédrale San Giorgio mais faute de temps pour allers’y recueillir, il se contentait, aujourd’hui, de lacontempler de sa baie vitrée. Avec l’entrée de nou-veaux pays membres, l’Union européenne produisaitdes rapports que personne n’avait le temps deparcourir. Son staff comptait maintenant plusieurssecrétaires qui s’employaient à classer et à présenterpour les prochaines réunions les avatars de ce monstreadministratif. Concentré sur son travail, il leva àpeine la tête lorsque sa fidèle secrétaire, Anna, frappaà la porte. Elle déposa le dossier de la séance plénièredu jour qui marquait son retour dans l’hémicycle.D’autres parapheurs attendaient sur le bureau. Voilàquelques semaines, le député âgé de plus de soixante-dix ans avait subi un triple pontage qui l’avait éloignéquelque temps de ses responsabilités politiques. Affaibli,il n’en gardait pas moins une belle prestance. Ses che-veux blancs coiffés en arrière dégageaient un profil

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rappelant certains bustes de l’Antiquité. Un nez busqué,deux grands yeux noirs et une bouche rouge contras-taient avec son teint pâle. Quelques veines apparais-saient sur les tempes mais sa concentration, la rapiditéde sa repartie et son éloquence ne laissaient rienparaître de sa diminution physique. Seule une cannedont il ne se séparait plus témoignait de son état desanté.

– Voici les différents rapports qui ont été approuvésen commission des affaires étrangères et qui m’ont ététransmis pendant votre absence, dit doucement sasecrétaire en posant le parapheur sur son bureau.

– Merci Anna, répondit-il sans interrompre satâche.

Puis, il leva la tête et ouvrit machinalement le para-pheur. Son index parcourut les différentes rubriquesalphabétiques et s’arrêta à la lettre « R ». Après avoird’un coup sec tourné la page, il vit le mot « Roumanie »apparaître en haut de la feuille. Ce nom familierl’invita à lire le texte mais après quelques lignes, sonvisage changea soudain d’expression. Un mauvaispressentiment lui parcourut l’échine. Il décrocha sontéléphone mais aussitôt reposa le combiné, retira d’ungeste brusque la feuille du parapheur, saisit avec sonautre main sa canne et sortit précipitamment de lapièce sous le regard inquiet de sa secrétaire. Il sepressa vers l’ascenseur. Une chaleur envahit son dos,la transpiration gagna sa chemise. Avec un mouchoir,il s’essuya le visage. Pourquoi Luis de Arroyo de lacommission des affaires étrangères ne l’avait-il pasprévenu ? Si lui-même ne faisait pas partie de cettecommission parlementaire, il avait suivi le dossier

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après avoir été sollicité par différentes associations.Député espagnol au sein du même parti libéral queLuis de Arroyo, il s’était naturellement tourné versson collègue pour se tenir au courant de la situation.Il y avait sûrement une erreur. Quelques minutes plustard, il fit irruption dans le bureau de son compa-triote. Luis de Arroyo s’apprêtait à sortir et masquadifficilement sa surprise.

– José María ! Vous avez l’air d’aller beaucoupmieux, lui lança le député.

– Vous n’avez pas à laisser faire ça ! se contenta-t-il de répondre en lui mettant la feuille sous les yeux.

Arroyo termina de ranger ses papiers sans dire unmot. García Márquez n’avait plus devant lui son col-lègue si disponible, si prompt à le tenir au courant,mais un petit homme pressé qui détournait la tête.Comment avait-il pu le trahir ? La colère le prit à lagorge et dans d’autres circonstances, à une autreépoque, il aurait pu se jeter sur lui et tenter de l’étran-gler. Mais son éducation, l’estime qu’il gardait encorepour l’humanité rendaient un tel geste tout simple-ment impossible.

– Il ne fallait pas vous causer la moindre fatiguenerveuse, répondit Arroyo qui savait déjà qu’il nepourrait se défiler plus longtemps.

– Pourquoi n’avez-vous rien dit ? reprit José MaríaGarcía Márquez en appuyant ses deux mains sur lebureau de son confrère, laissant tomber sa canne.

Luis de Arroyo baissa les yeux. Ce n’était passeulement sa petite taille qui lui donnait cet air vainmais aussi son allure apprêtée avec sa veste ajustée, sacravate jaune sur une chemise bleue, sa chevalière

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trop voyante, sa coupe de cheveux impeccable et sonodeur d’après-rasage.

– Les réformes devaient être revues, reprit JoséMaría García Márquez.

– Le temps pressait. Cet amendement a été longue-ment discuté et approuvé il y a quinze jours, par lacommission des affaires étrangères, tenta d’expliquerArroyo.

– Le rapport remis au département de politiqueintérieure a montré une situation catastrophique etjugé les résolutions de cet amendement irrecevables,réussit à dire d’une voix tremblante José María.

– L’expertise n’a pas été jugée suffisamment perti-nente pour empêcher l’entrée de la Roumanie dansl’Union européenne.

– Suffisamment pertinente ? balbutia José MaríaGarcía Márquez. Vous connaissez les conséquencesde cet amendement !

– Ce ne sont que des réformes, souligna Luis deArroyo.

– Des réformes ! Des milliers d’enfants vont encrever !

Le mot fit lever les yeux de Luis de Arroyo. JoséMaría García Márquez détourna le regard. Le ton desa voix avait changé, comme s’il se parlait à lui-même.

– La solitude, la misère, la peur, la violence, voilàce qu’ils vont connaître chaque jour de leur vie sansque personne puisse les en soustraire.

– Vous dramatisez. Plus vite la Roumanie sera dansl’Union européenne, plus vite elle décidera ce qu’elledoit faire ou non. C’est juste une question de temps,dit Arroyo en montant d’un ton.

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– Vous croyez que ces enfants ont du temps devanteux ? Cela fait maintenant quatre ans qu’ils attendent !

José María fut subitement pris d’une quinte detoux et se laissa tomber sur une chaise. Luis de Arroyose tenait maintenant debout, son cartable à la main.

– La Roumanie sera dans l’Europe l’année pro-chaine. Elle décidera ce qu’elle voudra ensuite.

– Non, elle ne touchera pas à cette réforme, vousle savez très bien ! répondit José María qui mainte-nant avait repris son souffle.

– Dois-je vous rappeler que vous ne faites paspartie de cette commission et que vous ne possédezpas tous les éléments pour juger la situation avecimpartialité, tenta Luis de Arroyo pour sortir digne-ment de cette entrevue.

– En effet, je ne connais pas les détails de ce qu’ilsvous ont promis pour que vous acceptiez un telaccord.

Luis de Arroyo se raidit et regarda sa montre.– Nous avons besoin de l’entrée de la Roumanie

dans l’Union européenne, coupa Arroyo qui compritque José María ne lâcherait pas le morceau comme ça.

– Besoin pour qui ? reprit José María.– Pour l’Europe, lança Luis, pris de court.– Pour l’Europe ou pour de nombreuses sociétés

de lobbying qui vous harcèlent pour enfin avoir accèsà un marché de milliards de dollars ! s’emporta JoséMaría.

Il s’arrêta un instant et s’épongea le front.– Une aide supplémentaire de plusieurs millions a

été accordée à la Roumanie sur ce problème, secontenta de dire Arroyo en se dirigeant vers la sortie.

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– Faut-il encore qu’elle arrive jusqu’à eux ! répon-dit García Márquez dans un souffle court.

– Je crois que depuis le début, vous vous êtes laisséinfluencer par certaines associations qui défendentleurs propres intérêts aux dépens de ceux des enfants…Vous avez fini par en faire une affaire personnelle… Jedois y aller… Nous en reparlerons lorsque vous irezmieux, conclut Luis de Arroyo.

Tout à coup, une lassitude semblait vaincre lacolère de Márquez pour faire place aux remords età l’impuissance. Chaque matin, chaque jour,jusqu’à la fin de sa vie, ces images l’accompagne-raient pour l’interpeller : « Tu n’as rien fait poureux. » Il se revoyait aller défendre leur cause auprèsdu gouvernement roumain après avoir rencontrédes délégations de la Protection de l’enfance dansces orphelinats où ces enfants l’avaient bouleversé.Où était-il, qu’avait-il fait ou que n’avait-il pas faitpour qu’on en soit arrivé là ? Trop d’images luirevenaient en mémoire. Trop d’images d’enfantsmalades, déficients par manque de soins, laissésdans des maternités ou dans des centres pour han-dicapés. Que leur restait-il aujourd’hui, sinon lachance de s’en sortir miraculeusement ? Aucuneinfirmière, ni pédiatre, ne pourrait leur venir enaide. Non, ils avaient besoin seulement d’un père,d’une mère, de personnes qui s’occupent d’eux. Plustard, ils viendraient grossir les effectifs des hospices,sombrant petit à petit dans la solitude, la maladie,l’infirmité. Il connaissait l’urgence de la situation etfut pris d’un sentiment de gâchis devant la bataillequ’il s’apprêtait à perdre.

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Luis de Arroyo le regardait avec impatience. Lecoup sec de la fermeture de son cartable sortit brus-quement García Márquez de sa rêverie. Il fixa alorsLuis de Arroyo avec intensité et lui saisit le brasvigoureusement.

– Je ne laisserai jamais faire ça sans rien dire !s’exclama García Márquez, les députés décideront enconnaissance de cause, conclut-il en le fixant.

– Il est trop tard ! répondit Luis de Arroyo en sedégageant.

José María s’agrippa au costume de Luis deArroyo.

– J’en sais beaucoup plus sur vous que vous ne lepensez.

Sa voix tout à coup faiblit. Il comprenait que cequ’il avait toujours défendu, la concertation, le débat,le compromis, n’avait plus sa place ici.

– Avant le vote du Parlement, je vais demander laparole. Et je vais leur dire ce qui se trame, il est tempsque tout le monde sache… J’ai eu tort de vous faireconfiance. J’ai été beaucoup trop naïf. Mais commevous le dites, il est trop tard pour trouver un compro-mis. Dans quelques minutes, tout le monde sauraquelle a été votre conduite et celle de votre complice.Je dirai tout ce que je sais !

Luis de Arroyo s’extirpa des mains de son collègueet se dirigea à grands pas vers l’ascenseur. Par chance,celui-ci venait de s’arrêter à l’étage. Laissant passerune femme, il entra et appuya nerveusement sur lebouton du rez-de-chaussée. À son grand soulage-ment, la porte se ferma avant l’arrivée de José María.Face à cet outrage, le vieil homme décida de prendre

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l’escalier de service. Cinq étages, et il serait en bas. Ilreprit son souffle. C’était une habitude lorsque, il y adix ans, il en faisait son sport quotidien et les montaitquatre à quatre. Mais aujourd’hui, il les descendait ense tenant à la rampe. Il s’arrêta un instant pours’éponger le front. Chaque marche lui rappelait la rai-deur de son corps. Un pincement aigu lui arriva auxpoumons. Sa respiration se bloqua et il attendit quel’alerte passe. Pour trois marches descendues, untemps d’arrêt de quelques minutes lui était nécessaireou peut-être plus. Il n’aurait su en mesurer la durée.Il n’avait pas le temps de regarder sa montre. Maislorsqu’il reprit sa descente, son cœur ne répondaitplus. La pompe devait fatiguer. Il caressa sa chemisemouillée à la hauteur de sa poitrine, s’attendant peut-être à voir du sang sur ses mains jaillir tel un geysermais ce n’était que sa sueur. Tout semblait normal,tout irait bien, il le fallait. Il se concentra sur sesjambes, accompagnant mentalement l’articulation deses genoux, la tension que lui demandaient les faiblesmuscles de ses cuisses, décomposant le mouvementpour ne pas penser à l’inéluctable. Sa respirationrésonnait dans l’escalier vide. Isolé du reste dumonde, il n’avait plus que deux étages avantd’atteindre l’hémicycle mais tout à coup, il se sentitfaiblir. D’où venait cette pression sur son corps ? Unemain le poussait vers le bas. Il luttait tentant de seretourner pour comprendre ce qui lui arrivait mais ilfinit par s’effondrer avant d’apercevoir le visage deson agresseur. Aucun son ne sortit de sa bouche. Enquelques secondes, tout avait basculé dans l’horreur.Avant de fermer les paupières, il crut entendre les

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cloches de l’église San Giorgio. Douze coups retenti-rent une dernière fois dans ses poumons. Un faiblesourire vint effacer les crispations de douleur de sonvisage.

Ses yeux semblaient scruter l’assemblée. Face àl’hémicycle, Deborah Mendhelson s’arrêta sur leregard de Luis de Arroyo et fut satisfaite d’y voir cequ’elle cherchait : un signe rassurant. Le députéespagnol s’efforça de baisser lentement les paupièresmalgré les palpitations de son cœur. Il n’osait seretourner. De quoi avait-il peur maintenant ? Dansquelques instants, la députée anglaise allait prendrela parole et le vote serait prononcé. Le Parlementeuropéen validerait le dernier rapport de DeborahMendhelson en charge du dossier de la Roumanie etclôturerait quatre années de négociations pour sonentrée dans l’Union européenne. Les dés étaientjetés. Plus personne ne pourra contester les conclu-sions du rapport. Il reprit son souffle. Le Conseil del’Europe attendait le dernier vote du Parlement pourdonner un avis favorable à l’entrée de la Roumaniedans l’Europe. Luis de Arroyo se disait qu’il avait faitson job. Il était arrivé à tous les convaincre, sauf un !Il repensait à García Márquez. Il n’avait rien com-pris. Plus que quelques minutes avant que cette étapedécisive ne lui ouvre les portes d’un autre monde,celui des affaires où il avait maintenant une place. Ilessaya de se détendre, respira lentement mais unesourde angoisse lui tordait l’estomac. Immobile, ilobserva Deborah Mendhelson, si stoïque dans ce

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moment crucial face aux députés européens. Devanttant de maîtrise, il finit par se calmer. DeborahMendhelson continuait de balayer du regardl’amphithéâtre. De tous côtés, elle guettait les portesd’entrée laissées ouvertes pour les retardataires. Maisc’est avec soulagement qu’elle réalisa que la saisonparlementaire était finie, que les rangs ressemblaientà des bancs d’école désertés à l’heure où les électionseuropéennes avaient chambardé une partie del’hémicycle. Les nouveaux se préparaient à arriver etles anciens faisaient leurs cartons. Les députés euro-péens ne seraient qu’une poignée à voter. Elle sedétendit devant ce qui lui paraissait comme untiming parfait pour présenter son dernier rapport surla Roumanie.

Elle regarda une dernière fois Luis de Arroyo et setourna en souriant vers son voisin de droite, le prési-dent, Goering Shroeder, un Allemand moustachu etbedonnant aux allures de père tranquille qui menaitla vie dure aux pays en voie d’intégration. Shroederapprouvait les positions de la députée anglaise sur lestrafics d’enfants et la protection des minorités. Ilvoyait en elle un rempart contre le laxisme et la cor-ruption des administrations. Goering Shroeder avaitsoutenu le projet de Mendhelson auprès de la Banquede développement de l’Union européenne et lui avaitdonné carte blanche pour organiser et mettre en placeun nouveau système de la protection de l’enfance enRoumanie. L’abandon n’était plus une fatalité, lesenfants abandonnés roumains pouvaient vivre etgrandir dans leur pays sans être la proie de trafi-quants, de parents adoptifs en mal d’enfant, d’asso-

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ciations d’adoption lucratives. Ainsi, Mendhelsonallait être la seule à pouvoir répondre de la résolu-tion de son rapport qui ferait autant d’effet sur sescollègues que le mollusque bivalve évoqué il y aquelques semaines lors de la réglementation de lapêche en mer Méditerranée. Cette résolution tenaiten une phrase : « La Roumanie ne pourra intégrerl’Union européenne que si elle s’engage à adopter lesréformes de son système de santé et de sa protectionde l’enfance. » Quoi de plus banal ? Visiblementrien d’inquiétant, au contraire, un amendementplutôt prometteur dans un pays connu pour sesmouroirs pour enfants. À moins que derrière cettevolonté bienfaitrice, la réalité ne soit tout autre,mais le dernier en date qui avait une idée sur laquestion gisait dans une marre de sang à quelquesmètres de l’hémicycle.

Après quelques minutes consacrées à d’autressujets, Mendhelson prit la parole. Elle mit ses lunetteset lut, sans ciller, le court texte.

– La Roumanie doit mettre en place les réformessur la protection de l’enfance qui s’imposent. Ellesseront une condition sine qua non à son entrée dansl’Union européenne…

Elle insista sur le mot « sine qua non » en détachantles syllabes. Un rictus vint terminer sa tirade et figerson visage. Il était déjà tard, entendez que l’heure dudéjeuner pour certains et l’heure de l’apéritif pourd’autres avait déjà sonné depuis longtemps. Elleregarda autour d’elle, guettant le moindre signe detête, la moindre intervention. Luis de Arroyo retintson souffle. Il n’y eut aucun commentaire. Le vote se

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fit à main levée. On compta deux cent cinquantedéputés qui votèrent oui, cinq abstentions et… cinqcent trente absents. La partie était jouée. Ce n’étaitpas seulement son pouvoir au sein de l’hémicyclequ’elle savourait mais l’impact que ce vote du Parle-ment européen induirait sur la politique du gouver-nement roumain. Le Premier ministre ne pouvaitplus reculer. Le message était clair. Le vote du Parle-ment s’imposait comme un ordre qu’il était difficilede contourner. Mendhelson sortit après la séance.D’habitude si loquace, Mendhelson, ce jour-là, étaitpressée, saluant à peine Luis de Arroyo qui se glissaavec elle dans l’ascenseur. Ils restèrent silencieuxjusqu’à l’étage où se trouvaient leurs bureaux.

– Je crois que notre mission va enfin trouver le suc-cès qu’elle mérite, commença le député espagnol unefois seul avec Mendhelson.

Mendhelson lui sourit sans se donner la peine derépondre.

– Tenez-moi au courant, dit-il pour contrebalan-cer le mépris manifeste de sa collègue.

– J’ai beaucoup à faire avant le vote de lundi, secontenta-t-elle de lâcher avant de se diriger vers sonbureau.

Il lui semblait tout à coup pris d’une prémonition.Il aurait voulu lui parler de sa rencontre avec GarcíaMárquez, mais pour quoi faire ?

Le portable du député Mendhelson sonna. Elleattendit d’être seule avant de décrocher. Elle redou-tait cet appel et s’y était préparée.

– Il n’y a eu aucun problème, se contenta-t-elle dedire en reconnaissant la provenance du coup de fil.

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– Ce n’est pas à Bruxelles qu’il y a un problèmemais à Bucarest, s’entendit-elle répondre, un peu sur-prise par le ton. Le Parlement roumain n’aura pas letemps de voter ces lois avant la décision du Conseilde l’Europe, continuait une voix grave.

– Lundi prochain, ça sera fait, rétorqua-t-elle avecune voix autoritaire qui ne laissait aucun doute sur leschances de son succès.

– Voilà des mois que le gouvernement roumaindoit voter cette loi. Il fallait abandonner la partie pen-dant qu’il en était encore temps ! Nous aurions recti-fié le tir plus tard, continua-t-il de dire.

– Jamais ! Il fallait surtout maintenir la pression,lâcha-t-elle froidement.

Elle avait eu raison d’inscrire ces résolutions et deles porter en plénière. Plus personne ne pouvait semettre en travers de son chemin.

– Qu’est-ce qui vous a pris de prendre une telle ini-tiative ? Vous ne semblez pas avoir mesuré le risqueen imposant ces lois comme une condition à leurentrée… Dois-je vous rappeler que dans dix jours, leConseil de l’Europe donnera son avis ? Nos amisattendent l’intégration de la Roumanie dansl’Europe, plusieurs milliards de dollars sont en jeu. Jevous rappelle que nous leur avons promis que leConseil de l’Europe donnerait un avis favorable avantl’été. Si l’entrée de la Roumanie devait souffrir d’undélai supplémentaire, nous aurions à rendre descomptes, à justifier notre échec et…

– Ces lois seront votées lundi, le couperet esttombé aujourd’hui, à l’heure qu’il est, le Premierministre roumain sait déjà qu’il ne peut plus

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reculer… Il présentera ces lois lundi, au Parlementroumain.

– Vous n’êtes pas sans savoir qu’il perd à vue d’œilson influence auprès de sa majorité.

Mendhelson savait déjà tout cela mais elle gardaitespoir dans la force de persuasion du Premierministre, Ion Pana.

– Je vous ai aidée à être là où vous êtes, reprenaitson interlocuteur. Si ma contrepartie n’arrive pas entemps et en heure, il se peut que quelques journa-listes avides de scandale contestent votre compétencepolitique et la justifient par un certain aveuglementpersonnel.

Comment osaient-ils ? Après l’avoir courtisée pen-dant quatre ans, ils étaient prêts à l’abandonner sur lebord du chemin. Elle se rappelait de leur premièreentrevue où les compliments fusaient, où ils avaientété très clairs sur les moyens qu’ils mettraient à sa dis-position pour lui faciliter sa mission. Son pouvoir,qu’elle mesurait à leur panique soudaine devantl’échéance inéluctable, la renvoyait, tout à coup, àune attitude digne et ferme.

– Ion Pana sait ce qu’il doit faire.– Je voudrais vous croire.Qu’est-ce que les petits fonctionnaires de Bruxelles

ou les lobbys arrogants grouillant comme de la ver-mine pouvaient comprendre aux enjeux d’un paysqu’ils ne connaissaient que d’après des images éculées.Elle raccrocha. Elle savait que tout allait se jouer dansles prochains jours, Ion Pana baissait dans les son-dages, certes, mais c’était un homme qui avait du res-sort. Elle le mettrait en avant lors de la conférence de

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presse, et surtout elle avait l’appui de l’homme le pluspuissant de Roumanie, Paul Petrescu. C’est lui quitirait les ficelles. Cet ancien footballeur, aujourd’huimilliardaire, l’avait soutenue dans ces réformes. Sabotte secrète, c’était lui.

Le ciel annonçait de l’orage. L’humidité était pal-pable et malgré la température atteignant les vingt-cinq degrés, le garde forestier remonta le col de saveste. Devant lui, Ion Pana s’arrêtait au moindrebruit de feuille. Son regard alors transperçait la forêt.La fatigue commençait à creuser ses traits. La dernièretrace remontait à plusieurs kilomètres. La bête leuravait échappé une fois de plus. Ion Pana se massa lanuque, reprenant peu à peu conscience de la présencede son guide. Il se retourna et lui fit un léger signe detête. Sans un mot, le garde forestier comprit que lajournée était finie. Il devait avant cela signaler leurposition pour que le service de sécurité se prépare àaccueillir le Premier ministre roumain. Le garde sortitson mouchoir, s’essuya le visage, appuya à deuxreprises sur son biper et reprit le chemin sans uneparole. Cela faisait maintenant une semaine qu’ils tra-çaient l’ours, une bête estimée à plus de deux centcinquante kilos et mesurant environ deux mètres. Ilsl’avaient aperçue avant qu’elle ne leur échappe. IonPana gardait en mémoire le regard de la bête aumoment de charger. Le temps de mettre son fusil àl’épaule, elle s’était faufilée comme une danseuse dansles broussailles se confondant avec la couleur desarbres. Il aurait dû être prêt et ressassait ce moment.

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Chaque jour, aux aurores, ils repartaient dans la pro-fondeur de la forêt. Ils repéraient la moindre griffureaux arbres, analysaient les cadavres d’animaux et ten-taient d’observer la trace des pattes que l’animal lais-sait au sol. Le garde savait que Ion Pana ne lâcheraitpas prise. Il dirigeait la célèbre association de chas-seurs où se retrouvaient toutes les huiles du mondepolitique et financier. Pour l’heure, son guide ressen-tit un soulagement à l’arrêt de la journée. L’atmos-phère était de plus en plus lourde et l’épaisse brumede chaleur rendait difficile la descente. Il avait pourmission de ne pas perdre son chasseur de marque etfixait le Stetson aux larges bords de Ion Pana qui luiavait valu par la presse étrangère, le surnom de« Cow-boy des Carpates » en raison de ses annéesd’études aux États-Unis dans les années soixante-dix,alors qu’aucun visa n’était attribué aux citoyens deson pays. À la chute de la dictature, revenu depuispeu dans le sérail, il prônait l’ouverture sans que per-sonne ne soit dupe de ses relations passées. Dissidentde la dernière heure, son beau-père avait été unancien ministre du dictateur Ceausescu, commel’actuel président, ancien leader des Jeunesses com-munistes, celui-là même qui lui avait mis le pied àl’étrier pour assurer sa succession.

Laissant le mystère de la forêt noire derrière eux, ilsarrivèrent bientôt à hauteur du gîte. Mais leur silencefut tout à coup troublé par des slogans scandés par ungroupe en délire. Le mot « MEURTRIER ! » résonnadans leurs oreilles avant de découvrir sur une des ban-deroles un ours gisant à terre, recouvert de sang,accompagné de l’inscription « ASSASSIN » écrite en

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lettres rouges. Ion Pana se retrouva en face d’unevingtaine de personnes retenues par quelques agentsde sécurité. Mais, il eut à peine le temps de rentrerdans le refuge qu’un flash puissant l’aveugla. Aussitôtses gardes du corps se précipitèrent pour démasquerl’intrus mais les manifestants redoublaient de zèle.Depuis l’ouverture des frontières, de nombreusesassociations de défense des animaux venaient harcelerles chasseurs d’ours. Ion Pana était spécialement visé,Premier ministre et candidat à la prochaine électionprésidentielle, il devenait la cible favorite de ceuxqu’il appelait « ces idéologues sans couilles ». Maisc’était la première fois qu’ils venaient le narguerd’aussi près. À quatre mois de l’élection présiden-tielle, sa cote de popularité ne cessait de chuter dansles sondages. Il ordonna qu’on retrouve le cliché maisles manifestants s’étaient déjà dispersés. Il avait pour-tant interdit toute photo de lui sans son accord. Sonphysique de bûcheron avec sa mâchoire carnassière,ses cheveux en brosse et ses mains gigantesques faisaitle miel des caricaturistes. Il en avait déjà soupé desdessins de lui en montreur d’ours de foire avec sonfouet et au bout d’une chaîne, la tête d’un desministres du gouvernement ou même de l’actuel pré-sident qui ne supportait plus son arrogance et qui nes’en cachait pas. Ion Pana avait dans une déclarationofficielle annoncé qu’il avait arrêté la chasse pour cal-mer les critiques et voilà qu’à des milliers de kilo-mètres du moindre village, on venait le démasqueravec un appareil photo. Il laissa exploser sa colère àl’intérieur du refuge. Celui-ci était une ancienne mai-son de paysan, rudimentaire, vieille de plus d’un

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siècle où il n’y avait ni eau ni électricité. Les agentsde sécurité avec oreillettes et talkies-walkies contras-taient avec la simplicité du décor. Une table, quelqueschaises, une cheminée où mijotait le ragoût, Ion Panaaimait se retrouver dans ces ambiances rustres où ilmangeait avec les doigts, buvait plus que de raison,chantait lorsque la chasse avait été bonne. Maisl’ambiance aujourd’hui était à l’orage. Il somma sonéquipe de lui dire la façon dont « cette bande d’idéa-listes primaires » était apparue juste au moment deson arrivée mais ses gardes du corps n’avaient rien vu,« Rien vu ! ». Il savait d’où la menace provenait. Ellese resserrait comme un étau, l’oppressait et à cettepensée soudaine, il déboutonna sa chemise pour res-pirer. Marcher sur ses plates-bandes jusqu’à le retrou-ver dans son domaine, sur son terrain de chasse !Cette provocation avait un visage, celui de sonministre de l’Intérieur qui venait de remporter triom-phalement l’élection de la capitale, Bucarest. Mêmeson entourage l’avait mis en garde contre cet ambi-tieux, ce retors. Il serra son fusil et tout à coup, jetason arme contre le mur. Le coup partit, tout lemonde se coucha à plat ventre. De la poussière tombad’une des poutres du plafond. Il était resté debout,insensible à la détonation, les gardes du corps se pré-cipitèrent pour voir s’il n’était pas blessé. Constatantqu’il n’avait rien, ils en profitèrent pour lui annoncertimidement que le photographe amateur avait dis-paru. Personne ne bougeait dans la pièce lorsqu’unportable se mit à sonner. Son garde du corpsl’informa de l’appel mais Ion Pana n’arrivait pas à secalmer.

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– Je rappellerai !– Votre directeur de cabinet, insista son garde du

corps.Ion Pana prit l’écouteur. À l’autre bout du fil,

Catalin Liceanu.– J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, dit-il.Ce qu’il pouvait l’agacer à essayer de le ménager

comme un gamin à qui on apprend qu’il sera pen-sionnaire l’année suivante.

– Allez au fait, lâcha Ion Pana.– Mendhelson a fait voter au Parlement européen

ce matin, une résolution concernant le vote desréformes…

Si Catalin Liceanu, le bras droit de Ion Pana, ne sedonnait pas la peine de préciser de quelles réformes ils’agissait, c’est parce qu’elles avaient été au centre despréoccupations du député européen depuis mainte-nant quatre ans.

– … Elle l’a imposée comme une condition àl’entrée de la Roumanie dans l’Union européenneavant que le Conseil de l’Europe ne rende son avisdéfinitif, reprit Catalin Liceanu.

– Le Conseil doit donner sa décision dans dixjours, lâcha, glacial, Ion Pana que cette ultime mise àpied répugnait au plus haut point.

– Elle veut que le vote passe lundi au Parlement…– C’est impossible ! explosa Ion Pana.Catalin Liceanu reprit sa respiration avant de

lâcher l’information.– Elle va l’annoncer à la conférence de presse de cet

après-midi.

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– Qu’est-ce que vous racontez ! répondit le Premierministre roumain. Jamais on ne pourra programmer levote pour lundi !

– Il est à l’ordre du jour depuis six mois, rappelatranquillement Catalin Liceanu…

Ion Pana le savait aussi bien que lui. Une crispa-tion soudaine lui couvrait le visage. Il essayait calme-ment de réfléchir à ce qui venait de lui tomber sur latête. Est-ce l’humiliation de se faire imposer une nou-velle directive par cette hystérique de l’Union euro-péenne ou la perspective d’un échec au Parlement quile rendait furieux ? La garce !

– Si vous ne faites pas voter cette loi, Mendhelsonn’hésitera pas à suspendre les négociations d’adhé-sion… Les journalistes sont déchaînés. Les correspon-dants attendent devant le Sofitel pour la conférencede presse. Ils savent que la décision favorable àl’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne vase jouer dans les jours à venir…

– Et la bonne nouvelle ? tenta Ion Pana pourreprendre ses esprits.

– Ce vote vous mettra sur le devant de la scène,reprit Catalin Liceanu. Vous devez saisir cetteopportunité.

Ion Pana essayait de digérer la claque que Mendhelsonlui avait infligée.

Il se raidit devant ce qu’il ne voulait pas entendredepuis ces années de négociations où la protection del’enfance était devenue pour le député européen unleitmotiv. Il pensait qu’elle se lasserait et que ses pro-messes suffiraient à la faire patienter, mais dix joursavant la décision du Conseil de l’Europe, elle avait