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UNIVERSITE DE FRIBOURG D. DREYER Faculté des Sciences économiques et 2007 sociales (semestre automne) LE DROIT DE LA CONCURRENCE TABLE DES MATIERES § 1 LA PLACE ET LE ROLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE Première Partie L’accès au marché Chapitre 1 LE MARCHE § 2 ZONES DE LIBRE ECHANGE ET MARCHE INTERIEUR § 3 LA REGLEMENTATION DU MARCHE Chapitre 2 LA CREATION DUN MARCHE INTEGRE § 4 LE MARCHE INTERIEUR EUROPEEN § 5 LE MARCHE INTERIEUR SUISSE

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UNIVERSITE DE FRIBOURG D. DREYER Faculté des Sciences économiques et 2007 sociales (semestre automne)

LE DROIT DE LA CONCURRENCE

TABLE DES MATIERES

§ 1 LA PLACE ET LE ROLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Première Partie

L’accès au marché

Chapitre 1

LE MARCHE

§ 2 ZONES DE LIBRE ECHANGE ET MARCHE INTERIEUR § 3 LA REGLEMENTATION DU MARCHE

Chapitre 2

LA CREATION D’UN MARCHE INTEGRE

§ 4 LE MARCHE INTERIEUR EUROPEEN § 5 LE MARCHE INTERIEUR SUISSE

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- 2 -

Deuxième Partie

L’exercice de la concurrence et la protection du marché

Chapitre 3

CHAMP D'APPLICATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE

§ 6 CHAMP D'APPLICATION MATERIEL, PERSONNEL ET GEOGRAPHIQUE

Chapitre 4

LES ENTRAVES A LA CONCURRENCE

§ 7 LES ENTENTES § 8 LES POSITIONS DOMINANTES § 9 LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS

Chapitre 5

APPLICATION DU DROIT

§ 10 DROIT ADMINISTRATIF § 11 DROIT CIVIL

* * * * *

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UNIVERSITE DE FRIBOURG D. DREYER Faculté des Sciences économiques et 2007 sociales (semestre automne)

LE DROIT DE LA CONCURRENCE

DOCUMENTS DE TRAVAIL 1. Constitution fédérale suisse : art. 27, 94-104

1.1. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT 1947)

1.2. Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (Annexe 2 Accord OMC 1994)

1.3. Accord OMC sur les marchés publics

2. Droit suisse 2.1. Loi fédérale sur le marché intérieur

2.2. Loi fédérale sur les obstacles techniques au commerce

2.3. Loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence

2.3.1. Ordonnance sur les sanctions en cas de restrictions illicites à la concurrence (OS LCart ) du 12 mars 2004

2.3.2. Ordonnance sur le contrôle des concentrations d’entreprises du 17 juin 1996

2.3.3. Communication sur l’appréciation des accords verticaux

2.3.4. Communication sur les accords verticaux dans le domaine de la distribution automobile

3. Droit européen 3.1. Extraits du Traité instituant la Communauté européenne (TCE)

3.2. Règlement CE n°1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux art. 81 et 82 du traité

3.3. Règlement CE n°139-2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle

3.4. Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (97/C 372/03)

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LE DROIT DE LA CONCURRENCE

1 L’évolution des économies suisse, européenne et mondiale au cours des quinze dernières années a accentué le rôle de la concurrence dans le fonctionnement des marchés :

- La création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994 a accéléré et

fortement augmenté les échanges internationaux ;

- La mise en place d’un véritable marché intérieur européen (de 15 Etats en 1992, de 27 Etats en 2007 dans l’Union européenne et 3 Etats dans l’Espace Economique Européen et des Accords bilatéraux avec la Suisse !) a permis aux entreprises européennes de travailler et d’organiser leurs activités à une autre échelle ;

- Dans ce contexte, la Suisse a d’abord pris conscience de son décalage (refus de l’Espace

économique européen en 1992) et, depuis, essaie de se repositionner (adhésion à l’ONU, accords bilatéraux avec l’Union européenne, réforme du droit économique interne).

2 Au cours de cette période, à tous les échelons (OMC, Union européenne, Suisse), on s’est

préoccupé du fonctionnement de la concurrence et de sa réglementation. La première tâche du législateur est de favoriser les échanges et de permettre l’accès au marché (1ère Partie). Le cadre dans lequel la concurrence peut s’exercer étant fixé, il s’agira ensuite d’examiner comment elle risque d’être entravée ou éliminée ou encore accaparée (2e Partie). Ces sujets seront traités en droit suisse et en droit européen car ils se présentent d’une manière assez comparable même si c’est à une échelle très différente. Préalablement, il convient de rappeler la place et le rôle du droit de la concurrence (§ 1).

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§ 1 LA PLACE ET LE ROLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Textes législatifs : art. 27, 94-97, 100-103, Cst. féd (RS 101); art. 3 let. g, 81 et 82, 92 TUE. Vous trouverez les textes légaux suisses sur le site internet http://www.admin.ch/ch/f/rs/rs.html en insérant le numéro du Recueil systématique du droit fédéral (RS) indiqué entre parenthèse après chaque texte légal dans le champ de recherche.

Bibliographie : P. TERCIER, Introduction générale, in Commentaire Romand, Concurrence, Bâle 2002, 1 ss; J. DEISS, Les aspects économiques du nouveau droit de la concurrence, in CR Concurrence, Bâle 2002, 71 ss ; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002 ; G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004. Vous pouvez connaître la disponibilité en bibliothèque des ouvrages cités ci-dessus en consultant le site internet www.rero.ch.

3 Le droit de la concurrence est une branche de ce que certains appellent le droit

économique, (G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004 ; J.-PH. COLSON, Droit public économique, 3e éd., Paris 2001), et d’autres le droit du marché, (C. LUCAS DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002). Cette manière assez différente de « classer » cette branche du droit n’est pas surprenante ; elle met en évidence les aspects administratifs (rapports entre l’Etat et les administrés, en l’occurrence, les entreprises) ou les aspects de droit privé (rapports des entreprises entre elles).

1.1 LES FONDEMENTS DU DROIT DE LA CONCURRENCE

4 En Suisse, le droit de la concurrence a ses racines dans la Constitution fédérale qui, d’une part, donne à l’Etat la mission de protéger la concurrence économique (art. 94 Cst) et, d’autre part, protégeait depuis 1874 la liberté économique – aussi appelée liberté du commerce et de l’industrie :

5 Art. 94 Principes de l’ordre économique 1 La Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté

économique.

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2 Ils veillent à sauvegarder les intérêts de l’économie nationale et contribuent, avec le secteur de l’économie privée, à la prospérité et à la sécurité économique de la population. 3 Dans les limites de leurs compétences respectives, ils veillent à créer un environnement favorable au secteur de l’économie privée. 4 Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens des cantons.

6 Art. 96 : Politique en matière de concurrence 1 La Confédération légifère afin de lutter contre les conséquences sociales et

économiques dommageables des cartels et des autres formes de limitation de la concurrence.

7 A noter que la garantie de la propriété, également prévue par la Constitution (art. 26 Cst.), et un pouvoir judiciaire capable de fonctionner en toute indépendance sont également reconnus comme des piliers nécessaires pour le bon fonctionnement d’une économie libérale.

8 La liberté contractuelle et les mécanismes prévus par le droit privé des contrats permettent d’organiser l’activité économique. Cette liberté contractuelle n’est toutefois pas sans limite :

9 - l’Etat intervient et impose des règles protectrices chaque fois que l’expérience montre qu’une des parties au contrat n’est pas en position de négocier avec une véritable marge de manœuvre : protection du locataire dans le droit du bail ; protection du travailleur dans le contrat de travail ; protection de l’emprunteur dans la loi sur le petit crédit.

10 - Si les entreprises utilisent les règles contractuelles pour empêcher le fonctionnement du marché (accord sur les prix, sur les territoires, interdiction de revendre à certains acteurs économiques), l’Etat intervient pour faire constater la nullité de ces clauses contractuelles.

11 En droit européen, les fondements du droit de la concurrence se trouvent

déjà dans le Traité de Rome signé en 1957 (art. 3 ch. 1 let g TCE; art. 81 et 82 TCE ; cf. ci-dessous § 7 et 8).

12 D’une manière caractéristique, l’Union européenne s’est d’abord donnée pour but la mise en

place d’un marché intérieur « caractérisé par l’abolition, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux » (art. 3 ch. 1 let. c TCE). Ensuite, l’Union a voulu que soit instauré et maintenu « un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur » (let. g).

Ainsi, en dehors du système juridique américain, l’Union européenne est la principale entité

économique qui a, à la fois adopté des règles juridiques relatives à l’accès au marché et à l’exercice de la concurrence, et qui a aussi mis en place les instruments de mise en œuvre et d’application effective de ces règles (cf. ci-dessous, § 10 et 11).

13 Ces dispositions ont été :

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14 - complétées par de nombreux règlements adoptés par le Conseil et par la

Commission ; soit par exemple le règlement du Conseil sur l’application de l’art. 81 TCE qui prohibe les ententes (R n° 19/65/CEE modifié par le R n° 1215/1999/CE ou le R n° 1400/2002 de la Commission concernant l’application de l’art. 81 par. 3 TCE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.

En droit européen, un règlement est l’équivalent d’une loi en ce sens qu’il contient des règles

qui doivent être appliquées telles que définies alors qu’une directive indique un but à atteindre en laissant aux Etats membres le choix des moyens pour atteindre ce but.

Les autorités européennes adoptent aussi des communications pour expliquer leur manière

d’appliquer certains textes. Par exemple, la Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence a pour objet d’expliquer la manière dont la Commission applique le concept de marché de produit ou de marché géographique en cause (cf. Communication 97/C 372/03).

15 - interprétées, c’est-à-dire appliquées, par la Cour de Justice des Commu-

nautés européennes (CJCE). La Cour de justice a été amenée à répondre à de nombreuses questions d’application du traité

grâce au mécanisme du recours préjudiciel prévu par le traité. Si la Cour de justice avait été une instance de recours n’intervenant qu’après épuisement des voies de recours nationales, il est probable que les justiciables n’y auraient pas eu souvent recours. Par la voie du recours préjudiciel, l’instance nationale saisie – même la première instance – peut soumettre un grief à la Cour de justice dès que ce grief soulève une question d’interprétation du traité (p. ex. mesure d’effet équivalent ou entente illicite). Il est en effet inutile que les différentes instances nationales se prononcent sur l’interprétation du traité alors que de toute façon c’est la Cour de justice qui aura le dernier mot sur ce point !

1.2 LE ROLE DE L’ETAT 1.2.1 Le rôle traditionnel

16 L’Etat, au XXe siècle, est toujours intervenu de multiples manières dans l’activité économique nationale :

17 - l’Etat acteur économique : l’Etat se croyait obligé d’exercer lui-même certaines activités jugées indispensables pour assurer l’indépendance du pays (armement, télécommunications, p. ex) ;

18 - politique conjoncturelle : par le biais de la politique monétaire, les gouvernements exerçaient une influence sur l’économie ;

19 - politique structurelle : en protégeant ou avantageant certaines industries, les gouvernements modifiaient les règles du jeu.

1.2.2 L’évolution du rôle de l’Etat

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20 Au cours des vingt dernières années, le rôle de l’Etat a été fortement modifié :

21 - marchés publics : lorsque l’Etat investit, construit, achète des biens ou des services, il doit, dès que le marché atteint un certain seuil financier, respecter la réglementation nationale, européenne ou de l’OMC ;

22 - politique monétaire : celle-ci n’est plus dans les mains des gouvernements, mais de la banque nationale (pour la Suisse) ou de la Banque Centrale Européenne (BCE) pour l’Union Européenne ;

23 - politique structurelle : elle n’est admissible que pour autant que ses effets ne sont pas qualifiés affecter la concurrence (problématique des aides d’Etat prohibées par les art. 87 ss TCE ; en Suisse, la Commission de la concurrence (Comco) est invitée de par la loi à se déterminer sur les projets législatifs qui pourraient affecter ou fausser la concurrence (art. 45 LCart.) :

Art. 45 Recommandations aux autorités

1 La commission observe de façon suivie la situation de la concurrence.

2 Elle peut adresser aux autorités des recommandations visant à promouvoir une concurrence efficace, notamment en ce qui concerne l’élaboration et l’application des prescriptions de droit économique.

24 De plus, la création du marché unique européen, à fin 1992, et les règles du

GATT sur le commerce international ont changé les dimensions du terrain sur lequel s’exerce la concurrence. Pour cette raison, les règles du droit de la concurrence ont été harmonisées dans la Communauté européenne et les règles suisses adaptées à celle du droit européen.

25 Il est intéressant de constater que, dans toute une série de domaines économiques particuliers, le

régime juridique adopté spécialement vise aussi à garantir une certaine égalité entre les opérateurs pour garantir l’exercice de la concurrence :

- législation sur les télécommunications ; - législation dans le domaine de l’énergie électrique et du gaz ; - législation sur les bourses.

26 L’évolution a également été marquée dans l’application des règles du droit de la concurrence :

- les administrations chargées d’appliquer ces règles ont crû en personnel

et en compétences (ce domaine exige une coopération étroite de juristes et d’économistes) ; à l’échelle européenne, un réseau de coopération a été mis en place entre la Commission européenne et les autorités de la concurrence des Etats membres ;

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- les pouvoirs d’enquête sont devenus si incisifs que l’on en vient à

invoquer pour les entreprises les droits fondamentaux que seules les personnes physiques avaient l’habitude d’invoquer ;

- les sanctions, en particulier financières, que peuvent subir les

contrevenants deviennent vraiment dissuasives.

27 Cette évolution se caractérise par le fait que l’Etat n’agit plus directement comme acteur économique, mais indirectement comme définisseur des règles du jeu et garant de leur respect :

- l’Etat fixe les règles d’accès au terrain de jeu (libre échange

économique), délimite le terrain (marché intérieur) ; - l’Etat fixe les règles du jeu (l’existence et l’exercice de la concurrence

doivent être garantis – LCart. – et l’exercice de la concurrence ne doit pas se faire à l’aide de méthodes déloyales (indications fallacieuses, tromperies, publicité mensongère, p. ex. ; cf. LCD).

1.3 LE DROIT DE LA CONCURRENCE

28 Par l’adoption des règles du droit de la concurrence et leur application, l’Etat veille à ce que les acteurs économiques n’empêchent, ni n’entravent d’une façon excessive l’exercice de la concurrence. Cela signifie :

- favoriser l’établissement (l’existence) du marché et son accès (y compris

de l’extérieur du pays) ; - garantir l’existence d’une concurrence efficace et loyale sur le marché ; - empêcher la constitution de positions de puissance / domination sur le

marché.

29 De plus, l’Etat doit également veiller à ne pas lui-même entraver la concurrence par sa propre activité :

- ne pas fausser le marché par des aides étatiques (subventions, aides aux

entreprises en détresse); - respecter la concurrence lorsqu'il est acteur économique (sauf situations

exceptionnelles); autrement dit : -- les exigences de la concurrence s'imposent également aux entreprises

étatiques qui exercent une activité économique;

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-- les principes de la concurrence doivent être respectés dans l'attribution des marchés publics.

30 Le droit de la concurrence n’existe que si le législateur (volonté politique)

adopte des règles juridiques. En Suisse, le droit de la concurrence a pris de l’importance en plusieurs étapes :

- 1962 : adoption de la première loi sur les cartels et organisations

analogues ; les cartels restaient présumés licites aussi longtemps que des conséquences nuisibles d’ordre économique et social n’étaient pas établies par l’autorité.

- 1985 : la présomption de licéité subsiste. - 1995 : la présomption est renversée pour les accords sur les prix, les

quantités ou sur les marchés géographiques. - 2004 : la Comco obtient le droit d’infliger une sanction lorsqu’elle

constate un comportement illicite.

31 Cette évolution législative dénote une évolution de la politique de la concurrence en Suisse :

32 Dans la première loi suisse sur les cartels, la Commission, lorsqu’elle

achevait une enquête sur un secteur économique, devait se contenter d’adresser aux entreprises concernées une recommandation de mettre fin à la pratique visée. Si les entreprises ne suivaient pas la recommandation, la Commission ne pouvait que demander au Département fédéral de l’économie de prendre une décision dans le sens de la recommandation.

En comparaison, en application des dispositions de la LCart de 2004, la

Commission a pris une décision à l’encontre de Swisscom au printemps 2007 accompagnée d’une sanction de plus de 300 MCHF !

33 La mise en place d’autorités indépendantes et le développement des règles de

procédures ont favorisé un développement autonome du droit de la concurrence :

34 - autonomie par rapport aux autorités politiques ; à titre d’exemple :

-- prise de contrôle d’ENDESA en Espagne par la société italienne Enel -- tentative avortée d’intervention de la Banque centrale hollandaise dans

l’offre publique d’achat sur ABN Amro.

35 - autonomie par rapport à la science économique ; la concurrence est certes d’abord un concept économique qui vise la compétition entre les acteurs économiques sur un marché donné ; dans les mains des pouvoirs publics chargés d’appliquer le droit de la concurrence, la concurrence

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devient un outil qu’ils ont adapté au but qu’ils poursuivent : rechercher un équilibre concurrentiel ; non pas une concurrence théorique ou parfaite, mais une concurrence praticable sur un marché donné et compte tenu des éventuels autres facteurs que le législateur a également demandé de prendre en considération.

36 Exemples : -- Un accord affectant de manière notable la concurrence (art. 5 LCart.)

peut être justifié (motif d’efficacité économique) s’il a pour but d’améliorer la compétitivité des petites et moyennes entreprises (art. 6 al. 1 let. e LCart).

-- Un accord contraire à l’art. 5 LCart. peut être autorisé par le Conseil

fédéral s’il est nécessaire à la sauvegarde d’intérêts publics prépondérants (art. 8 LCart.).

37 L’Etat veut protéger la concurrence car l’effet supposé ce celle-ci est

l’efficacité des mécanismes économiques. La concurrence n’est donc pas recherchée pour elle-même mais comme instrument permettant d’atteindre l’efficacité. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de protéger la concurrence contre les atteintes qui peuvent être apportées à son fonctionnement. C’est la notion de concurrence efficace (wirksamer Wettbewerb).

1.4 LA CONCURRENCE ET LA PROPRIETE INTELLECTUELLE 1.4.1 Nécessité d’une protection

38 Tout en recherchant les effets du fonctionnement efficace du marché, l'Etat reconnaît généralement aussi la nécessité de protéger les efforts consentis par le chercheur pour le développement d'un produit; d'où la protection accordée par :

- la loi sur les brevets d'invention (LBI); - la loi sur les modèles et dessins industriels (LMDI); - la loi sur les marques et les indications de provenance (LPM). 1.4.2 Protection internationale de la propriété industrielle ou intellectuelle

A. En général

39 Dans les pays industriels, le besoin d'une protection internationale des droits de propriété industrielle a été ressenti très tôt et concrétisé à la fin du XIXème siècle déjà dans un traité intitulé «Convention de l'Union de Paris» (CUP),

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signé en 1883 et modifié à plusieurs reprises depuis lors (1925, 1934, 1958, 1967).

40 Cette convention a été complétée par de nombreux traités ou accords inter-

nationaux dans le but de faciliter l'enregistrement dans des pays étrangers de marques, de modèles ou dessins industriels, de brevets; de même, d'autres accords protègent les appellations d'origine et les indications de provenance. (L'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle - OMPI - a été instituée, avec siège à Genève, dans le but de coordonner ces efforts).

41 L'importance accordée aux droits de la propriété industrielle par les pays

industrialisés a été soulignée dans la révision des accords du GATT, puisque l'accord du 15 avril 1994 instituant l’OMC comprend une annexe 1C intitulée : « Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ».

42 Depuis quelques années, en particulier depuis la réunion ministérielle de

Doha en 2001, la question de l’étendue de la protection des droits de la propriété intellectuelle fait l’objet d’un débat nourri. C’est en particulier le cas dans les relations avec les pays les plus démunis et dans le domaine de la santé publique. Dans quelles circonstances et à quelles conditions une licence obligatoire peut-elle être imposée au titulaire du brevet ?

B. Le conflit avec les règles du marché

43 Les principes de la propriété intellectuelle entrent en conflit avec les règles du marché unique pour la raison suivante :

- le système du brevet ou de la marque donne la faculté au titulaire du droit

de propriété intellectuelle d’accorder une licence à un tiers, c’est-à-dire un droit exclusif d’utiliser le brevet ou la marque ; ce droit est généralement accordé pour une durée donnée et un territoire donné ;

- en accordant des licences dans différentes parties du marché européen, le

titulaire peut ainsi fixer des conditions (notamment de prix !) pour l’usage du droit de propriété intellectuelle ; en faisant cela, le titulaire du brevet ou de la marque peut ainsi cloisonner le territoire européen. En effet, les règles contractuelles prévues dans le contrat de licence et l’appareil judiciaire donnent au titulaire de la licence les moyens de faire respecter l’engagement pris par le preneur de licence. Or, cet effet est précisément celui que l’on a voulu éviter en créant le marché unique.

44 Cette problématique a provoqué le débat sur l’épuisement national ou

international des droits de la propriété intellectuelle : - La question est d’abord de savoir si le titulaire du droit (brevet ou marque)

peut encore contrôler l’usage du produit au-delà de la première mise sur le marché effectuée par le licencié.

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- On parle « d’épuisement » pour signifier que lorsque le titulaire du droit a

accordé une licence (sur le brevet ou la marque) et que le licencié utilise son droit conformément au contrat de licence, le titulaire n’a plus de contrôle possible sur le produit : il a « épuisé » son droit par l’octroi de la licence.

- Mais cet « épuisement » n’a-t-il d’effet que pour le pays objet de la licence

(épuisement national) ou a-t-il un effet au-delà de ce territoire (épuisement international) ? Si le titulaire du droit constate que son produit, légalement mis sur le marché dans la zone A (pour le territoire de laquelle la licence a été octroyée), est mis en vente dans la zone B, peut-il obtenir des mesures judiciaires pour mettre fin à ces ventes dans la zone B ?

* * * * *

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1ère partie

L’ACCES AU MARCHE

45 La concurrence implique l’existence d’un marché sur lequel elle puisse s’exercer. La notion de marché a évolué avec l’extension géographique des marchés (Chapitre 1). La possibilité d’accéder au marché constitue un élément essentiel de son bon fonctionnement (Chapitre 2).

Chapitre 1

LE MARCHE

46 Les échanges commerciaux ont été favorisés par l’abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires (§ 2). Depuis 1992, l’Union européenne poursuit la mise en place d’un marché intérieur (§ 3), dont le modèle a inspiré le législateur suisse (§ 4).

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§ 2 ZONES DE LIBRE ECHANGE ET MARCHE INTERIEUR

Textes législatifs : Accord OMC (RS 0.632.20) ; Convention du 04.01.1960 instituant l’association européenne de Libre-Echange (AELE) (RS 0.632.31); l'Accord de libre échange entre la Suisse et la CEE de 1972 (RS 0.632.401); l'Accord de l'OMC du 15.4.1994 relatif aux obstacles techniques au commerce (RO 1995, p. 2252 ss) ; art. 25 ss TUE ; Loi fédérale du 06.10.1995 sur le marché intérieur (LMI) (RS 943.02), FF 1995 IV 552 ss; Loi fédérale du 06.10.1995 sur les entraves techniques au commerce (LETC) (RS 943.02), FF 1995 IV 539 ss; TUE, art. 30 ss. Bibliographie : Message du Conseil fédéral du 23.11.1994, FF 1995 I 1193; E. SCHEIDEGGER, Schweiz-EG 92 : Mehr Wettbewerb durch den Binnenmarkt, Coire/Zurich 1992; B. MERKT, Harmonisation internationale et entraide administrative internationale en droit de la concurrence, Berne 2000; C.L. DE LEYSSAC/G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002, p. 51 ss; D. DREYER/B. DUBEY, Effets de la libre circulation des personnes sur l’exercice des activités soumises à autorisation, in L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, Zurich, 1998, p. 859 ss; D. DREYER/B. DUBEY, Réglementation professionnelle et marché intérieur, Bâle 2003.

2.1 LES ZONES DE LIBRE ECHANGE

47 A la fin des années 50, la Suisse chercha sa place dans le concert des Etats européens qui développaient et favorisaient les échanges économiques.

48 Etant donné que la CEE - malgré son appellation - n'avait pas que des buts

économiques, il n'était pas question pour la Suisse d'en faire partie. Elle se contenta donc :

- de participer à l'AELE dès 1960; - de signer un accord de libre échange avec la CEE en 1972; - de participer activement aux divers «rounds» de négociations du GATT

(devenu OMC en 1995). 2.1.1 L'Association européenne de libre échange

49 En réponse à la création de la CEE (qui ne comprenait à l'origine que la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg), d'autres pays européens (la Suisse, l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, la Finlande, l'Islande et l'Irlande) constituèrent en 1960 la Convention instituant l’association européenne de Libre-Echange (AELE).

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Actuellement, seuls la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse en font encore partie (mais la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein ont signé avec l’Union européenne le Traité de l’Espace économique européen). Les objectifs décrits à l'art. 2 de la Convention AELE sont notamment :

- de favoriser, dans la zone de libre échange (l'ensemble des pays membres

de la Convention), l'expansion du commerce en éliminant progressivement les obstacles qui l'entravent;

- d'assurer aux échanges entre Etats membres des conditions de concurrence

équitable.

Art. 2 Objectifs

Les objectifs de l’Association sont:

(a) de favoriser le renforcement continu et équilibré des relations économiques et commerciales entre les Etats membres, dans des conditions de concurrence loyales et dans le respect de règles équivalentes sur le territoire des Etats membres de l’Association;

(b) le libre-échange des marchandises; (c) la libéralisation progressive de la circulation des personnes; (d) la libéralisation progressive du commerce des services et des

investissements; (e) de garantir une concurrence loyale pour les échanges commerciaux

entre les Etats membres; (f) d’ouvrir les marchés publics des Etats membres; (g) d’assurer une protection appropriée des droits de propriété

intellectuelle conformément aux normes internationales les plus élevées.

50 Le démantèlement des droits de douane (obstacles tarifaires) à l'intérieur de

l'AELE, a été réussi progressivement du 1er juillet 1960 au 31 décembre 1966.

51 Quant à la concurrence, la Convention de l'AELE comporte plusieurs articles

qui s'y rapportent : - aides gouvernementales (art. 13); - achats publics (art. 14); - pratiques commerciales restrictives (art. 15); - établissement (art. 16); - dumping (art. 17).

52 L'objectif semble bien d'éviter que les avantages du libre échange (élimination des droits de douane et des restrictions quantitatives) ne soient réduits à néant par des mesures gouvernementales ou privées.

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53 En réalité, après avoir aboli les barrières douanières, les membres de l'AELE

ne se sont que tardivement occupés des barrières non tarifaires (en fait, ce n'est qu'à l'initiative du Président de la Commission européenne, J. Delors, qu'en 1988 s'ouvrirent des discussions sur la création de l'Espace Economique Européen).

54 De plus, l'AELE n'établit pas un système de concurrence mais se contente

d'assurer le jeu du libre-échange. La Convention ne prévoit aucune institution qui serait chargée de veiller à son application; la violation des règles relatives à la concurrence (art. 13 à 17) ne peut être sanctionnée que par une décision du Conseil des ministres (prise à la majorité). De telles décisions n'ont été que très rarement prises, ce qui démontre l'importance toute relative que les Etats membres de l'AELE attribuent au droit de la concurrence.

2.1.2 L'Accord de libre-échange entre la Suisse et la CEE (ALE)

55 En raison de l'accroissement des échanges internationaux et du dévelop-pement de l'AELE et de la CEE, leurs pays membres ressentirent le besoin, à la fin des années 60, de faciliter les échanges de marchandises entre les deux zones. Ce fut la signature des accords de libre-échange entre la CEE et les divers Etats membres de l'AELE (et qui ont le même contenu).

56 Ces accords - celui qui fut signé par la Suisse date de 1972 - comprennent

une clause relative à la concurrence, l'art. 23, dont le texte est très semblable aux art. 81/82 du Traité CEE. Pourtant, cet article n'a pratiquement pas eu d'impact sur les relations entre la Suisse et la CEE car la Suisse - comme les autres pays de l'AELE - ne considère pas cette disposition comme étant d'application directe. Cela signifie qu'en cas de différend, c'est un comité mixte - institué par le Traité - qui doit être saisi. Composé de représentants des parties au Traité, ce comité cherche, en cas de difficulté, des solutions selon une méthode politique plutôt que juridictionnelle.

57 La portée (déjà faible) de cet Accord a été encore réduite par l'entrée en

vigueur des Accords bilatéraux (cf. 4 ci-dessous).

2.1.3 Autres organisations de libre-échange

58 A noter que des organisations de libre-échange ont été mises sur pied sur d’autres continents :

59 - Amérique du Nord

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15

The North American Free Trade Agreement (NAFTA) a été signé en 1992 entre les USA, le Canada et Mexico, qui vise le libre commerce des marchandises et des services, ainsi que la protection des investissements.

60 - Amérique du Sud

En 1960, plusieurs pays signèrent un accord de libre échanges

(suppression des droits de douane), transformé en 1980 en un traité d’intégration : Associación Latino-americana de Integración, ALADI.

En 1991, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay décidèrent la

création d’un marché commun sud-américain : MERCOSUR (en espagnol), MERCOSUL (en portugais). En 2004, d’autres pays s’y joignirent : Bolivie, Chili, Pérou, Colombie et Equateur.

61 - Amérique Centrale et Caraïbes : Le Belize, Costa Rica, le Salvador, Guatemala, le Honduras, le Nicaragua

et Panama ont d’abord constitué le Marché Commun d’Amérique Centrale (MCCA), devenu depuis le Système d’intégration de l’Amérique Centrale (SICA).

Les pays des Caraïbes ont formé le Carabbean Common Market.

62 - Asie Dès 1967, plusieurs pays du sud-est asiatique signèrent l’AFTA : Asian

Free Trade Area.

63 - Afrique Plusieurs traités ont été signés : -- Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (1975) -- Marché Commun des Etats de l’Est et du Sud de l’Afrique (COMESA). 2.1.4 L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

64 En avril 1994, les pays membres du GATT ont signé un accord instituant l'Organisation Mondiale du Commerce qui complète l'accord du GATT de 1947 et donne un nouvel élan à cette organisation.

A. Les tarifs douaniers

65 Tout comme les deux organisations régionales que sont la CEE et l'AELE, l'OMC a d'abord pour but d'abaisser les barrières douanières et tarifaires

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16

afin de favoriser le libre échange (avec cette différence que cet accord a une portée quasi planétaire).

B. Les barrières non tarifaires

66 L'accord ne se contente pas d'abaisser les droits de douane. Il comprend divers chapitres qui ont pour but d'ouvrir l'accès aux marchés ou d'éviter que la concurrence ne soit faussée :

67 - Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Annexe 1A

de l'Accord) : il définit ce qu'est une subvention des pouvoirs publics et indique les cas dans lesquels ces subventions sont prohibées.

68 - Accord sur les obstacles techniques au commerce (cf. ci-dessous 2.3.1.)

69 - Accord sur les marchés publics (cf. ci-dessous 2.3.2.)

70 - Droits anti-dumping et droits compensateurs : l'Accord GATT de 1947

comprenait déjà des règles relatives à la possibilité reconnue à un pays d'imposer des droits de douane pour s'opposer à des pratiques de dumping. Ces dispositions sont maintenues dans l'Accord OMC et surtout leur contrôle est mieux assuré par les règles sur les différends entre les pays membres.

C. Règles et procédures régissant le règlement des différends

71 L'une des caractéristiques de l'Accord de 1994 est qu'il institue des structures permanentes beaucoup plus développées.

a) Présentation du problème

72 Le GATT avait pour but, à l’origine, d’éliminer les obstacles tarifaires (droits de douane) au commerce international. Cependant, les acteurs du commerce international le savent, les échanges commerciaux subissent aussi des entraves en raison de pratiques commerciales restrictives dues aux organes étatiques ou aux entreprises elles-mêmes (ou association d’entreprises). Ces pratiques commerciales restrictives peuvent avoir des effets sur la concurrence internationale. Le GATT en avait conscience dès ses origines puisqu’une charte fut négociée à La Havane, en 1947/48, sur ces questions de concurrence ; cependant, cette charte n’a pas pu entrer en vigueur suite à son rejet par le Sénat américain. Quant à l’art. XXIX du GATT, il est resté dépourvu de force juridique à ce jour. Il n’existe donc pas encore, dans l’OMC, de réglementation générale de la concurrence relative aux pratiques commerciales restrictives d’origine privée.

73 Même si les Etats membres de l’OMC n’ont pu à ce jour se mettre

d’accord sur des règles spécifiques relatives à la concurrence, ils ont

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néanmoins instauré un règlement des conflits portant sur la violation des dispositions des accords.

b) Le règlement des conflits

74 Jusqu’à l’accord de Marrakech (1994), les différends entre Etats ne pouvaient être réglés que par des négociations. L’institution de l’OMC, décidée à Marrakech, a marqué l’évolution de la politique du compromis vers un véritable système juridictionnel, soit l’annexe 2 de l’Accord OMC, intitulé « Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends ».

75 La procédure débute par une consultation (art. XXII) : un Etat, dont les

entreprises sont entravées dans l’exercice de la concurrence internationale, va demander à l’OMC d’ouvrir une procédure de consultation avec l’Etat qui a pris des mesures entravant la concurrence ou dont les entreprises sont la cause de l’entrave.

76 Si cette procédure de consultation n’aboutit pas à un accord, l’Etat dont les

entreprises sont entravées peut demander que l’Organe de règlement des différends soit saisi. Celui-ci va alors mettre sur pied un groupe spécial devant lequel les Etats concernés vont faire valoir leur point de vue : demande, réponse, réplique, duplique. A l’issue de la procédure, le groupe spécial établit un rapport qui est transmis à l’ORD qui approuve formellement sauf si :

- il y a consensus au sein de l’ORD contre le rapport - un membre OMC déclare faire recours dans les 60 jours à l’Organe

d’appel (ODA).

77 Lorsque le groupe spécial ou, le cas échéant, l’ODA conclut qu’une mesure est incompatible avec les accords OMC, il est recommandé au membre concerné de rendre la mesure conforme à l’accord visé. L’ORD surveille la mise en œuvre de la décision et autorise, le cas échéant, l’adoption de mesures de compensation ou la suspension de concessions (art. 22 Memorandum d’accord).

A titre d’exemples :

78 - En 1997, les Etats-Unis ont contesté devant les instances OMC la compatibilité du régime communautaire d’importation des bananes avec le droit GATT/OMC.

79 - En 1996, les Etats-Unis ont invoqué que le Japon avait violé les règles

OMC en adoptant ou maintenant des lois, règlements, prescriptions ou mesures touchant la distribution et la vente sur le marché japonais de pellicules et papiers photographiques destinés aux consommateurs.

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18

2.2 DE LA ZONE DE LIBRE-ECHANGE AU MARCHE INTERIEUR

80 La création d'une zone de libre échange vise des buts beaucoup plus limités que celle d'un marché intérieur (cf. § 4 et 5 ci-dessous).

81 Les pays qui établissent une zone de libre échange conservent leur

souveraineté ce qui permet - volontairement ou involontairement - de créer ou de maintenir des barrières non tarifaires aux échanges.

82 La création d'un marché intérieur implique des mesures qui dépassent

l'abolition des droits de douane et qui permettent : - la libre circulation des personnes (y.c. liberté d'établissement); - la libre circulation des marchandises (qui n'est possible que si, le cas

échéant, les contrôles de qualité ou certificats du lieu de provenance sont reconnus);

- la libre prestation des services (qui, pour les professions soumises à

autorisation, requiert la reconnaissance des diplômes); - la libre circulation des capitaux. 2.3 OBSTACLES TECHNIQUES ET MARCHES PUBLICS

83 En plus de ces libertés, il est nécessaire pour la création d'un marché intérieur d'éliminer les obstacles techniques et ouvrir l'accès aux marchés publics.

84 Il est intéressant de constater que, dans ces deux domaines, il y a convergence

des préoccupations aux trois niveaux : suisse, européen et mondial. 2.3.1 Les obstacles techniques A. La législation suisse

85 La Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC) a été adoptée en 1995, après l'adoption des accords de l'OMC et alors que la Suisse avait entamé la négociation des accords bilatéraux avec l'Union européenne et préparait sa propre législation sur le marché intérieur.

a) But de la loi

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19

86 Cette loi a pour but de faciliter les échanges sur le marché intérieur, ainsi que les activités d'importation et d'exportation.

87 Les entraves techniques au commerce sont définies comme les entraves

aux échanges internationaux de produits qui résultent : - de la divergence des prescriptions et des normes techniques; - de l'application divergente de ces prescriptions ou normes; - de la non-reconnaissance des essais, enregistrements ou homologations

effectuées à l'étranger. b) Méthode du législateur

88 Afin de ne pas entraver le commerce, les prescriptions techniques devront dorénavant :

- être compatibles avec celles des principaux partenaires commerciaux de

la Suisse; - être si possible simples et transparentes.

89 Des dérogations à ces principes ne sont admissibles que si : - les prescriptions sont nécessaires pour protéger des intérêts publics

prépondérants; - les prescriptions ne constituent ni un moyen de discrimination

arbitraire, ni une restriction déguisée aux échanges (art. 4 LETC). B. Les accords internationaux

90 La législation suisse a été adoptée non seulement dans le but de contribuer à la réalisation du marché intérieur suisse mais aussi afin de respecter les engagements pris par la Suisse dans des traités internationaux et faciliter ainsi l'accès au marché helvétique.

91 Ces traités ou accords sont :

- la Convention de l'AELE de 1960 (RS 0.632.31); - l'Accord de libre échange entre la Suisse et la CEE de 1972

(RS 0.632.401); - l'Accord de l'OMC du 15.4.1994 relatif aux obstacles techniques au

commerce (RO 1995, p. 2252 ss).

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(A noter qu'en 1988 déjà, les pays membres de l'AELE ont passé une convention sur la reconnaissance mutuelle des résultats d'essais et des preuves de conformité).

- l'Accord bilatéral de 2002 entre la Suisse et l'Union européenne sur les

obstacles techniques.

2.3.2 Les marchés publics

A. Principes

92 L'importance économique des "marchés publics" n'est plus à démontrer. Le risque est grand que l'autorité adjudicatrice, en l'absence de règles à suivre, n'accorde le "marché" à une entreprise qui n'offre pas la meilleure offre possible pour l'adjudicateur. C'est afin d'éviter des distorsions dans le processus d'adjudication que des règles de procédure ont été adoptées :

- publication de l'appel d'offres - critères de choix - annonce de la décision d'adjudication.

93 Ces règles élargissent considérablement le cercle des offreurs potentiels et donc améliore le fonctionnement de la concurrence. D'un autre côté, la procédure est parfois compliquée, ce qui engendre des coûts, et peut être longue (recours !).

94 Il importe de définir le champ d'application de ces règles. Dans chaque

situation concrète, il faut examiner les points suivants: - Qui est l’adjudicateur du contrat ? Quelles sont les entités considérées

comme des «pouvoirs publics» ? - Quel est l’objet du contrat ? S’agit-il de la construction d’un immeuble ?

S’agit-il d’une prestation de service ? - Quelle est la valeur du contrat ? Comment se calcule la valeur du contrat ?

95 Les réponses à ces questions diront si la procédure prévue par la législation sur les marchés publics doit être suivie, et le cas échéant, laquelle.

B. OMC

96 Des valeurs plancher ont été définies dans l'Accord de l'OMC sur les marchés publics (à noter que cet accord - Annexe 4 de l'Accord de Marrakech - n'a pas été signé par tous les pays membres de l'OMC mais par 24 Etats membres).

97 L'accord ne s'applique qu'aux marchés dont la valeur est supérieure à :

- pour les constructions : 9,575 millions de francs (5 millions DTS); - pour les biens et services :

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-- administration fédérale : fr. 263'000.- -- Poste ou CFF : fr. 806'000.- -- Swisscom : fr. 1'209'000.-.

2.3.3 Relations Suisse - Union européenne

98 Les marchés publics font l'objet de l'un des sept accords bilatéraux signés entre la Suisse et l'Union européenne (cf. 4.5.1). Les valeurs plancher sont les mêmes que celles de l'accord OMC.

2.3.4 Relations intercantonales

99 Les pouvoirs publics cantonaux et communaux sont tenus par les

engagements des accords OMC et de l'accord bilatéral entre la Suisse et l'Union européenne.

100 Les cantons ont fixé des seuils inférieurs dans l'Accord intercantonal sur les

marchés publics (AIMP).

* * * * *

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22

§ 3 LA REGLEMENTATION DU MARCHE

Textes législatifs : art. 94-97, 100-103, Cst. féd. (RS 101); art 6 CC ; Loi fédérale du 06.10. 1995 sur les cartels (LCart) (RS 251) ; Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD) (RS 241).

Bibliographie : P. TERCIER, Introduction générale, in Commentaire Romand, Concurrence, Bâle 2002, 1 ss; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002 ; G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004 ; M. HERDEGEN, Internationales Wirtschaftsrecht, 6e éd., Munich 2007 ; R. RHINOW / G. SCHMID / G. BIAGGINI, Oeffentliches Wirtschaftsrecht, Bâle 1998.

3.1 L’INTERVENTION ETATIQUE

101 De tout temps, l’Etat a règlementé l’activité économique. C’est la problématique de l’étendue de la liberté économique – garantie par la Constitution fédérale – et de l’intérêt public justifiant les limites apportées à son exercice. A juste titre, les entrepreneurs ont lutté pour réduire l’inter-vention de l'Etat et obtenir une plus grande marge de manœuvre. Tout en réduisant l’appareil législatif et règlementaire visant l’activité économique de l’entrepreneur, l’Etat s’est préoccupé du fonctionnement du marché lui-même.

3.2 LES DIVERS TYPES D’INTERVENTION

102 L’Etat peut intervenir de diverses manières. Il peut :

- fixer des règles quant au contenu de certains contrats (cf. 3.2.1) ;

- fixer des règles générales de protection du consommateur (cf. 3.2.2) ;

- fixer des règles quant au fonctionnement du marché (cf. 3.2.3).

3.2.1 La réglementation des relations contractuelles

103 Notre système économique repose sur le postulat de la liberté individuelle et de l’autonomie de la volonté.

104 Cependant, le Code des obligations contient déjà, à l’art. 21 CO, une règle

qui protège la partie qui, en raison de sa gêne, de sa légèreté ou de son inexpérience aurait signé un contrat dont les prestations sont disproportionnées.

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105 Dans des domaines particuliers du droit, le législateur a adopté des règles

spéciales protégeant la partie qui n’est pas en position de négocier le contrat dans des conditions usuelles :

106 a) Contrat de bail (art. 253 à 274 g CO, bail à loyer)

Depuis plus de trente ans, le législateur suisse a adopté des règles

particulières concernant la fixation du loyer ou la résiliation du contrat. Par exemple :

- le Chapitre II (art. 269 ss CO) est intitulé : « Protection contre les

loyers abusifs ou d’autres prétentions abusives du bailleur en matière de baux d’habitation et de loyers commerciaux » ;

- le Chapitre III (art. 271 ss CO) est intitulé : « Protection contre les

congés concernant les baux d’habitations et de locaux commerciaux ».

107 b) Contrat de travail (art. 319 à 362 CO) Dans ce contrat, le législateur a imposé des règles auxquelles il ne peut

être dérogé au détriment du travailleur (la liste en est donnée à l’art. 362 CO), et d’autres auxquelles il ne peut être dérogé ni au détriment du travailleur, ni au détriment de l’employeur (cf. la liste de l’art. 361 CO).

108 c) Les émissions d’actions ou d’obligations par souscription publiques

Les émissions d’actions par souscription publique sont réglées par la loi

fédérale sur les bourses et les valeurs mobilières (LBVM) et celles d’obligations par souscription publique par les art. 1156 ss CO dont l’al. 2 renvoie par analogie à la LBVM (RS 952.03).

109 d) Le contrat d’assurance

Cette branche économique est régie, dans ses relations avec ses clients,

par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (RS 221.229.1). 3.2.2 Le drroit de la consommation

110 Alors que les consommateurs représentent une partie essentielle du marché, le législateur (du moins en Suisse), à l’exception des situations citées ci-dessus, s’y est peu intéressé. Pourtant, il est nécessaire de traiter certains aspects tels que :

111 - L’information du consommateur : c’est la question d’une part des

conditions générales et, d’autre part, de l’étiquetage des produits.

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112 - La formation du contrat : en 1990, le législateur a adopté les art. 40a à 40f CO sur le droit de révoquer certains contrats (RO 1991 846).

113 - Le crédit à la consommation : en 2001, le législateur a adopté la loi

fédérale sur le crédit à la consommation.

114 - La sécurité des produits : la réglementation suisse est disséminée dans les différents domaines du droit.

3.2.3 Le fonctionnement du marché A. La concurrence déloyale a) Droit suisse

115 Paradoxalement, le législateur suisse s’est d’abord préoccupé de la manière d’exercer la concurrence avant même de se préoccuper que le marché existe et que la concurrence y fonctionne.

116 La première loi suisse sur la concurrence déloyale (LCD) a été adoptée

en 1943, soit vingt et un ans avant la première loi sur les cartels (LCart.). On lit souvent que la LCD protège les concurrents alors que la loi sur les cartels protège la concurrence. Une telle formule simplificatrice ne correspond pas à la réalité. En effet, selon l’art. 1er LCD (révisée en 1986), cette loi « vise à garantir, dans l’intérêt de toutes les parties concernées, une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée ». Cette expression d’une concurrence qui n’est pas faussée figure à l’art. 3 ch. 1 let. g TCE, comme fondement du droit européen de la concurrence.

117 Il est cependant exact que le droit de la concurrence au sens étroit

concerne la garantie de la possibilité d’exercer la concurrence, alors que la législation contre la concurrence déloyale se rapporte à la manière d’exercer la concurrence. Ainsi, selon l’art. 2 LCD « est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients. » L’art. 3 LCD donne ensuite une liste exemplative de ce genre de comportements : dénigrement d’autrui, indications inexactes ou fallacieuses, mesures de nature à faire naître une confusion avec les marchandises ou les prestations d’autrui, ventes en dessous du prix coûtant, etc.

118 L’action en concurrence déloyale sera toujours introduite par un

concurrent à l’encontre d’un autre opérateur sur le marché. Elle n’est jamais engagée par une autorité administrative (et les dispositions pénales sont rarement invoquées). Pourtant, en protégeant les concurrents contre des pratiques déloyales c’est aussi le fonctionnement du marché qui est indirectement protégé.

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119 La plupart des systèmes juridiques connaissent des dispositions légales

relatives à la concurrence déloyale. La Convention d’Union de Paris, de 1883, faisait déjà référence aux « usages honnêtes et loyaux du commerce ».

b) Droit communautaire

120 Jusqu’en 2005, le droit communautaire ne s’est pas préoccupé de la concurrence déloyale, laissant ce domaine aux pays membres. Le 11 mai 2005, la Commission a adopté la Directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales. Par cette Directive, la Commission vise deux buts :

- satisfaire les impératifs du marché intérieur et la libre circulation que

celui-ci implique ; - protéger les consommateurs, en particulier dans les échanges

transfrontaliers (pratiques trompeuses et pratiques agressives).

121 La Commission insiste sur un renforcement de la coopération entre les Etats membres et entre les « professionnels » pour lutter de façon uniforme contre les pratiques commerciales déloyales.

B. La protection de la concurrence

122 Alors que les règles relatives à la concurrence déloyale protègent d’abord le concurrent, le droit de la concurrence proprement dit vise l’existence même de la concurrence sur le marché et son exercice (cf. 2e Partie, ci-dessous).

C. La loi suisse sur la surveillance des prix (LSP) a) But

123 Après avoir instauré des mesures conjoncturelles de surveillance des prix, au cours des années 1970, le législateur suisse, exécutant un mandat résultant d’une initiative constitutionnelle, a adopté en 1985 une loi fédérale sur la surveillance des prix. Le Surveillant des prix observe l’évolution des prix (art. 4 al. 1 LSPr) et empêche les augmentations de prix abusives et le maintien de prix abusifs.

b) Champ d’application

124 Quant aux personnes, la loi s’applique aux cartels et aux organisations analogues (« autres restrictions à la concurrence ») au sens de la LCart.

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125 Si une appréciation de la situation est nécessaire, le Surveillant des prix doit consulter la Commission de la Concurrence avant de prendre sa décision (art. 5 al. 4 LSPr).

126 Quant à la matière, la loi

- s’applique au prix des marchandises, des services et de l’argent

(intérêts) ;

- ne s’applique pas à la rémunération du travail (salaires).

c) Prix administrés

127 Si une autorité (fédérale, cantonale ou communale) est compétente pour décider ou approuver une augmentation de prix proposée par un cartel ou une organisation analogue, elle prend au préalable l’avis du Surveillant des prix (art. 14 LSPr).

* * * * *

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27

§ 4 LE MARCHE INTERIEUR EUROPEEN

Textes législatifs : art. 30, 43, 49, 56 TUE ; Accords bilatéraux, RS 0.142.112.681; 0.972.052.68; 0.420.513.1; 0.740.72; 0.748.127.192.68; 0.916.026.81; 0.946.526.81. Bibliographie : N. LIGNEUL/J.-C. MASCLET, Libre circulation des marchandises, Juris-Classeur Europe, Vol. 2, Fasc. 550; Accords bilatéraux Suisse – UE (Commentaires), Bâle 2001; D. DREYER/B. DUBEY, La place des avocats dans les accords sectoriels et leur rôle dans leur application, in « Accords bilatéraux », p. 209 ss.

4.1 UN MARCHE CREE PAR ETAPES

4.1.1 Les étapes du marché intérieur

128 Le Traité de Rome prônait déjà la libre circulation des personnes et la libre circulation des marchandises. L'abolition (progressive) des droits de douane facilitait certes l'exportation des marchandises d'un pays à l'autre de la Communauté, mais la libre circulation des marchandises n'était de loin pas encore garantie. En effet, de nombreux obstacles administratifs ou techniques restreignaient le mouvement des marchandises au sein de la Communauté.

129 En 1985, vingt-huit ans après l'adoption du traité de Rome instituant la CEE,

les autorités communautaires se rendaient compte que la création d'un véritable marché intérieur européen était encore très éloignée. L'une des causes principales de la lenteur des progrès provenait des procédures d'adoption des règles communautaires nécessaires, pour favoriser la libre circulation des marchandises.

130 Les Etats communautaires modifièrent alors le Traité par l'Acte unique

européen (1986), un traité qui non seulement réunissaient les organes des trois communautés qui existaient encore distinctement (la CEE, la Communauté du charbon et de l'acier - CECA - et la Communauté de l'énergie atomique - CEEA - ) mais surtout modifiait les règles sur la majorité en rendant possible l'adoption d'un beaucoup plus grand nombre de décisions à la majorité plutôt qu'à l'unanimité.

131 Par la même occasion, les Etats communautaires se fixèrent comme objectif

de réaliser ce marché intérieur pour la fin 1992.

132 Cette réalisation a aussi été grandement facilitée par une interprétation très dynamique du Traité par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE).

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4.1.2 Remarque sur les traités européens

133 A l’époque de l’adoption du Traité de Rome (1957) instituant la Communauté économique européenne – le marché commun, deux autres traités régissaient le charbon et l’acier, CECA) et la recherche atomique (Euratom). Chacune de ces organisations avait ses propres organes ; c’est pourquoi, on parlait alors des Communautés européennes.

134 Le traité de Rome a été modifié à plusieurs reprises :

- l’Acte Unique européen (1986), rassemblant les différents organes en une

seule Communauté européenne et modifiant les systèmes de majorités ; - le Traité de Maastricht (1992) modifiant les organes pour tenir compte de

l’agrandissement de la Communauté. - le Traité d’Amsterdam (1997) instituant l’Union européenne et complétant

la Communauté européenne (1er pilier) par deux autres piliers : -- la politique étrangère et la sécurité commune (PESC, 2e pilier) ; -- la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures

(JAI ; accord de Schengen, 3e pilier). Les liens entre les différentes parties de ce Traité sont indiqués à la page

suivante et plus loin sous forme de schéma. (Les abréviations « TUE » se réfèrent au Traité d’Amsterdam, alors que

celles de « TCE » se réfèrent au texte du Traité relatif à la « Communauté européenne » proprement dite).

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Table des matières des versions consolidées du traité sur l’Union européenne et du traité

instituant la Communauté européenne Titre I TUE : Dispositions communes : art. 1 à 7 TUE Titre II TUE : art. 8 TUE = art. 1 à 314 TCE (numérotation propre, traité de Rome) Titre III TUE : art. 9 TUE = Traité de la CECA (liquidée) Titre IV TUE : art. 10 TUE = Traité Euratom Titre V TUE : art. 11 à 28 TUE = PESC Titre VI : art. 29 ss TUE = Coopération policière et judiciaire en matière pénale Titre VII : art. 43 ss TUE = Coopération renforcée Titre VIII : art. 46 ss TUE =Dispositions finales L’intégralité du texte est disponible sous le lien http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/oj/2006/ce321/ce32120061229fr00010331.pdf

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Schéma des 3 piliers 4.1.3 Une constitution européenne

135 Nombre de principes importants de l’Union européenne étant dispersés dans l’un ou l’autre traité, les Etats membres ont manifesté le souhait de réunir les éléments fondamentaux dans un « texte de base », une « constitution ».

136 Après l’échec de la ratification de la « Constitution européenne » par tous

les Etats membres, un nouveau texte devrait être soumis aux Etats membres d’ici 2009.

4.2 L’ACCES AU MARCHE INTERIEUR 4.2.1 Le principe du marché intérieur

137 Selon l'art. 3 § 1 let. c du Traité de Maastricht, le marché intérieur européen

est caractérisé par l'abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux.

138 En effet, un véritable marché intérieur ne peut fonctionner que si :

I

CE

II

PESC

III

JAI

Union européenne

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31

- les marchandises peuvent circuler librement (art. 23 TCE); - les capitaux peuvent circuler librement (art. 56 TCE); - les professionnels peuvent librement prester leurs services sur tout le

territoire de l'Union (art. 49/50 TCE); - les ressortissants de l'Union peuvent librement s'établir sur tout le territoire

de l'Union (art. 43 TCE); - les travailleurs peuvent librement circuler (art. 39 TCE).

139 L'exercice de ces trois dernières libertés implique la reconnaissance des diplômes et des certificats de capacité (cf. à ce sujet, ci-après, § 5.4 et 5.6).

4.2.2 La libre circulation des marchandises

A. La marchandise (au sens communautaire)

a) La définition

140 La CJCE (10.12.1968, Commission c/ Italie, aff. 7/68) a défini les marchandises comme les « produits appréciables en argent et susceptibles, comme tels de former l’objet de transactions commerciales ».

b) Le caractère communautaire

141 L’art 23 al. 2 TCE dispose que la liberté de circulation s’applique « aux

produits qui sont originaires des Etats membres, ainsi qu’aux produits en provenance de paya tiers qui se trouvent en libre pratique dans les Etats membres ».

142 La détermination de l’origine de la marchandise pose deux problèmes :

- un problème géographique : la marchandise a son origine dans le

territoire douanier communautaire y.c. les territoires assimilés au territoire douanier en raison de conventions internationales (soit la mer territoriale et l’espace) ;

- un problème de détermination de l’origine pour les marchandises

complexes : quelle est l’origine du produit réalisé sur le territoire communautaire avec des produits importés d’Etats tiers ?

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143 L’art. 24 du Code des douanes communautaire dispose que l’origine d’un tel produit est le lieu de sa dernière ouvraison à condition que celle-ci soit substantielle et économiquement justifiée

144 De plus, la marchandise issue d’un Etat tiers mais introduite dans la

Communauté à la suite des formalités douanières et fiscales et donc régulièrement importée est alors assimilée à une marchandise communautaire.

B. Interdiction des droits de douanes a) Le principe

145 Puisqu’elle est une zone de libre-échange, la Communauté interdit à ses Etats membres de percevoir des droits de douane dans leurs relations commerciales réciproques.

146 Par ailleurs, l’Union européenne a instauré, progressivement de 1957 à

1969, une union douanière : tarif douanier commun et réglementation douanière unique (Code des douanes communautaires, envois administration, contrôle et sanction par les Etats membres).

147 Une taxe imposée au commerce international et qualifiée de droit de

douane est donc illicite si elle ne correspond pas au Code des douanes. Les problèmes ont surgi lorsque les Etats ont adopté des taxes « d’effets équivalent aux droits de douane ».

b) La notion de taxe d’effet équivalent

148 Les art. 23/25 TCE posent le principe d’interdiction des taxes d’effet équivalent mais ne les définissent pas.

149 A l’origine les taxes d’effet équivalent ont été définies dans l’affaire du

« pain d’épices » (CJCE 14.12.1962, Commission c/ Luxembourg et Belgique, aff. 2/62 et 3/62) de la façon suivante :

« La taxe d’effet équivalent peut être considérée, quelles que soient son appellation et son origine, comme un droit unilatéralement imposé, soit au moment de l’importation, soit ultérieurement et qui, frappant spécifiquement un produit importé d’un pays membre à l’exclusion du produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix, d’avoir ainsi sur la liberté de circulation des produits, la même incidence qu’un droit de douane. »

150 Depuis la fin des années 1960, la taxe d’effet équivalent est définie (cf.

CJCE 01.07.1969, Sociaal fonds Diamanterbeiders c/ Brachfeld et Chougol, aff. 2/69 et 3/69 et Commission c/ Italie, aff. 24/68) comme :

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« une charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée quelles que soient son appellation ou sa technique, et frappant les marchandises nationales ou étrangères à raison du fait qu’elles franchissent la frontière, lorsqu’elle n’est pas un droit de douane […] alors même qu’elle ne serait pas perçue au profit de l’Etat, qu’elle n’exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le produit imposé ne se trouverait pas en concurrence avec une production nationale ».

151 Les critères de qualification de ces taxes sont donc :

- une charge pécuniaire ;

- une imposition unilatérale ; - le franchissement d’une frontière.

152 Les Etats membres peuvent en revanche créer des mesures d’imposition intérieures. Ils ont en effet conservé leur souveraineté fiscale (sauf dans les domaines harmonisés).

153 L’art. 90 al. 1 TCE dispose toutefois « Aucun Etat membre ne frappera

directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires. ».

154 Il n’est donc possible de créer une taxe ou une imposition sur son propre

territoire que dans la mesure où elle frappe les produits nationaux et les produits des autres Etats membres de la CE de façon analogue. L’art. 90 n’est dès lors rien d’autre qu’une expression du principe de non-discrimination sur la nationalité.

155 En conséquence, les mesures d’imposition intérieures sont en principe licites si deux conditions sont remplies. La mesure ne doit pas :

- créer une discrimination entre des produits nationaux et des produits

similaires en provenance d’autres Etats membres ;

- faire naître une discrimination déguisée au commerce. L’art. 90 al. 2 TCE interdit en effet les mesures d’imposition intérieure « de nature à protéger indirectement d’autres productions ». Le juge communautaire doit alors apprécier la « proximité » des marchandises en causes, appréciation qui dépend de l’existence d’un rapport de concurrence entre les produits.

c) Le régime de la taxe d’effet équivalent

156 Etant assimilée à des droits de douanes, la taxe d’effet équivalent est interdite.

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157 Deux actions sont ouvertes pour celui qui a payé indûment cette taxe :

- Une action en responsabilité contre l’Etat membre qui a violé cette norme de droit communautaire si cette norme faisait naître des droits au profit de particuliers, si la violation de la norme est suffisamment caractérisée et si elle est la cause du préjudice dont on entend obtenir réparation.

- Une action en répétition de l’indu. La restitution doit être intégrale et

englober l’indemnisation des éventuels préjudices découlant de la violation du traité. Les Etats membres doivent organiser un recours effectif devant leurs juridictions nationales, à savoir un recours dont les conditions de recevabilité sont raisonnables. Ce recours doit en outre être au moins aussi favorable que ceux organisés par les Etats membres en matière de fiscalité interne.

C. L’interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d’effet

équivalent

158 Le principe de la libre circulation des marchandises est contenu dans l'art. 28 TCE :

"Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toute mesure d'effet

équivalent sont interdites entre les Etats membres". a) Les restrictions quantitatives

159 La jurisprudence a précisé la notion de restriction quantitative en indiquant

qu’il s’agit de « toute mesure visant une prohibition totale ou partielle d’importation, d’exportation ou de transit » (CJCE 12.07.73, aff. 2/73).

160 La restriction quantitative a donc deux éléments constitutifs : une mesure

étatique et une prohibition totale ou partielle d’importer.

161 Est une mesure étatique :

- toute mesure d'une autorité exécutive, législative ou judiciaire;

- une mesure d'une autorité du pouvoir central national ou d'une collectivité territoriale;

- une mesure d'un organisme public.

b) les mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives

162 L'expression "mesures d'effet équivalent" a donné lieu à une abondante jurisprudence de la CJCE. L'arrêt fondamental fut l'arrêt Dassonville selon lequel une mesure d'effet équivalent englobe :

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"Toute réglementation commerciale des Etats membres susceptibles

d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire" (CJCE 11 juillet 1974, aff. 8/74).

163 Il s’agit, comme pour les restrictions quantitatives, d’une mesure étatique.

164 Est une mesure étatique :

- toute mesure d'une autorité exécutive, législative ou judiciaire; - une mesure d'une autorité du pouvoir central national ou d'une

collectivité territoriale; - une mesure d'un organisme public.

165 Une mesure peut être qualifiée d'effet équivalent même si son influence est potentielle ou d'une faible importance. En permettant d'éliminer toute disposition discriminatoire ou non, constituant un obstacle ou pouvant constituer un obstacle aux échanges, si limités que soient ses effets, la jurisprudence "Dassonville" a étendu de manière considérable le champ d'application de l'art. 28 TCE. Ainsi, ont été jugées contraires au droit communautaire :

- des mesures avantageant la production nationale (p. ex. les aides à la

presse réservées aux publications du pays octroyant l'aide); - des mesures imposant des licences ou des certificats d'importation ou

d'exportation; - des mesures concernant la composition des produits : règles italiennes

de fabrication des pâtes alimentaires excluant les farines de blé tendre; - des mesures concernant le conditionnement des produits et leur

étiquetage ou leur désignation (règle belge n'autorisant la vente de margarine que sous un emballage de forme cubique).

166 La Cour a freiné l'extension de la jurisprudence Dassonville en jugeant que

des règles relatives aux modalités de vente ne violaient pas l'art. 28 TCE "pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance des autres Etats membres".

(Keck et Milhouard, CJCE, 24 nov. 1993, aff. C-267 et 268/91 : Rec I.

p. 6097).

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167 Elle l'a également fait en renonçant à condamner des restrictions ayant un effet trop hypothétique et aléatoire sur le commerce intracommunautaire.

4.3 LES EXCEPTIONS AU LIBRE ACCES

168 Les entraves au commerce intracommunautaire sont admises lorsqu'elles entrent dans le champ d'application de l'art. 30 TCE. Le régime d'exception ne s'applique qu'aux "entraves" alors qu'une "taxe d'effet équivalent" à un droit de douane ne pourra jamais être justifiée.

169 L'art. 30 TCE doit être interprété de manière restrictive. La mesure restrictive

doit respecter le principe de proportionnalité et être adéquate (propre à atteindre le but visé). C'est en application de cette disposition (à l'époque art. 36), que la CJCE a rendu son arrêt "Cassis-de-Dijon", précisant que la restriction ne peut être admise qui si elle est reconnue "nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives, tenant notamment à l'efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs."

4.4 LES PROCEDURES GARANTISSANT L’ACCES AU MARCHE

170 Alors que, selon les règles de l’OMC, les entreprises ne peuvent écarter les obstacles au libre-échange que par une intervention de l’Etat dans lequel elles ont leur siège (cf. ci-dessus § 2.1.4), les entreprises dont l’accès au marché intérieur européen est dénié ou indûment entravé ont d’autres moyens d’agir.

4.4.1 Le recours préjudiciel (art. 234 TCE)

171 Selon l’art. 234 TCE, la Cour de justice est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du traité. Lorsqu’une question d’interprétation est soulevée devant une juridiction (tribunal) d’un Etat membre, cette juridiction peut demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

172 Ainsi, lorsqu’une entreprise considère qu’une mesure administrative, dont

elle est l’objet et qui entrave son accès au marché, est contraire aux règles européennes, elle invoque cette violation et invite le juge à solliciter de la Cour de justice l’interprétation de ces règles européennes. Cette manière de faire a été abondamment utilisée dès les années 1960 et a permis le développement des règles du marché intérieur, en particulier celles relatives à la libre circulation des personnes et à la libre circulation des marchandises.

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4.4.2 Dénonciation à la commission

173 Lorsqu’une entreprise – dont les siège peut être hors de l’Union européenne – est entravée par une autre entreprise (ou une association privée), elle peut dénoncer le cas à la Commission européenne (ou encore actuellement, à l’autorité nationale chargée d’appliquer le droit européen de la concurrence) et cette autorité pourra, si jugé nécessaire, prendre une décision à l’encontre de la société incriminée.

174 A noter que, dans le cas d’une dénonciation à la Commission par une

entreprise dont le siège est dans l’Union européenne, le pays de l’entreprise entravée pourrait, encas d’inaction de la Commission, introduire devant les juridictions européennes une action judiciaire.

4.4.3 Action en dommages-intérêts

175 Par le biais d’une procédure civile entamée devant un tribunal d’un pays membre de l’UE, l’entreprise entravée invoquera la violation du droit européen dans le but d’obtenir l’annulation de l’entrave et, éventuellement, des dommages-intérêts (la juridiction saisie pourra consulter la CJCE par le biais du recours préjudiciel). Une telle action peut être introduite par une entreprise établie hors de l’UE.

4.5 LES ACCORDS BILATERAUX ENTRE LA SUISSE ET L’UE

4.5.1 Adoption et contenu des accords

176 A la suite de l'échec en Suisse, à fin 1992, du vote sur le Traité instituant l'Espace Economique Européen, le gouvernement suisse a conclu des accords bilatéraux avec l'Union européenne. Ces négociations ont abouti au printemps 1999 à la signature des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne. Ces accords et la législation d’accompagnement sont entrés en vigueur le 1er juillet 2002.

177 L'extension de ces accords aux dix nouveaux pays membres de l'Union

européenne a été approuvée. Ces accords prévoient des périodes transitoires. Une première étape transitoire a été franchie en 2007.

178 Les sept accords portent sur les objets suivants :

- la recherche, - les obstacles techniques aux échanges, - l'accès aux marchés publics, - les transports terrestres, - les transports aériens, - la libre circulation des personnes,

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- l'accès aux marchés des produits agricoles. Plus précisément, il s’agit de: - L’Accord du 16 janvier 2004 de coopération scientifique et technologique entre la

Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’autre part (RS 0.420.513.1) ;

- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de conformité (RS 0.946.526.81) ;

- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics (RS 0.177.052.68) ;

- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur le transport des marchandises et voyageurs par rail et par route (RS 0.740.72) ;

- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur le transport aérien (RS 0.748.127.192.68) ;

- L’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (RS 0.142.112.681) ;

- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux échanges de produits agricoles (RS 0.916.026.81).

4.5.2 Le comité mixte

179 Les Accords bilatéraux n’instituent pas d’organes communs à la Suisse et à l’Union européenne. Ils constatent l’accord des parties sur des règles en vigueur au moment de l’adoption des Accords.

180 Or :

- des conflits peuvent surgir au sujet de l’interprétation ou de l’application

des accords ; - les règles, en particulier les règles communautaires auxquelles se

rapportent les Accords évoluent rapidement ; il s’agit de décider comment tenir compte de cette adaptation.

181 C’est pourquoi les parties signataires ont instauré pour chacun des Accords

un Comité mixte au sein duquel les représentants des parties contractantes : - règlent d’un commun accord les questions d’interprétation ou

d’exécution ; - modifient les annexes des accords lorsque cette compétence leur a été

accordée ; - constatent leur désaccord et sollicitent une coopération au niveau

gouvernemental (Conseil fédéral, Commission ou Conseil des ministres). 4.5.3 Effets sur la concurrence

182 Du point de vue du droit de la concurrence, on peut faire les constatations suivantes :

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- alors que l'Accord de libre-échange de 1972 ne concerne que la circulation

des marchandises, les accords bilatéraux couvrent aussi la circulation des personnes et des services;

- les accords bilatéraux instituent un comité mixte pour superviser leur

application; toutefois, les accords contiennent des règles d’application directe qui pourraient être soumises, selon les circonstances, aux tribunaux suisses ou aux tribunaux du pays européen concerné; cependant, seuls les tribunaux d’un pays membre pourront, selon le Traité (art. 234 TCE), solliciter une décision préjudicielle de la Cour de Justice de Luxembourg;

- en raison du décalage important entre la date de signature des accords

(printemps 1999) et celle de leur entrée en vigueur, respectivement de leur application, se pose le problème du droit évolutif (c'est-à-dire de l’intégration progressive aux accords des modifications du droit communautaire postérieures à la signature des accords);

- il n'existe aucun accord international réglant les relations entre la Comco à

Berne et la Commission de Bruxelles (et la Direction de la concurrence). C'est donc uniquement d'une manière informelle et pragmatique que se règlent les rapports entre ces deux institutions (à titre de comparaison, les autorités de la concurrence des Etats membres de l’Union européenne travaillent en coordination avec la Division générale de la concurrence de la Commission européenne (cf. § 10).

4.5.4 Mise en œuvre procédurale des accords au sein de l’Union européenne

183 L’hypothèse est la suivante : une entreprise suisse met en vente un produit ou exerce une activité soumise à autorisation au sein de l’Union européenne. Une autorité administrative d’un Etat membre de l’Union intervient pour le motif que ce produit ou cette activité ne lui semble pas conforme aux prescriptions en vigueur au lieu de vente ou d’exercice de l’activité.

184 Ce droit de regard devrait toujours être exercé dans le cadre d’une procédure

aussi courte, efficace et peu onéreuse que possible. En principe, il ne peut y avoir de contrôle systématique dans l’Etat membre de destination avant la mise sur le marché. Par conséquent, celui-ci ne pourra, en règle générale, examiner la conformité d’un produit à ses propres règles techniques que lors d’une inspection faite dans le cadre de ses activités de surveillance du marché.

185 Si le produit en question devait ne pas être jugé conforme à ces règles, il y a

alors lieu d’examiner la proportionnalité de l’application de telles règles au cas d’espèce. En effet, pour que l’application d’une règle technique soit proportionnée, il faut qu’elle soit à la fois nécessaire et adéquate. Si tel n’est pas le cas, l’autorité compétente doit prendre la décision – conformément au

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droit communautaire qui prime le droit national - d'écarter de sa propre initiative cette règle nationale lors de l’examen du produit.

186 Par ailleurs, une réglementation nationale ne peut pas exiger que des produits

de ce type satisfassent littéralement et exactement aux mêmes dispositions ou caractéristiques techniques prescrites pour les produits fabriqués dans l’Etat membre de destination, alors que les produits importés garantissent le même niveau de protection.

187 En cas de décision négative, il importe que l’Etat membre qui invoque un

motif justifiant une restriction à la libre circulation des marchandises démontre concrètement l’existence d’un motif d’intérêt général, la nécessité de la restriction en cause et son caractère proportionné par rapport à l’objectif poursuivi.

188 L’un des principes généraux du droit communautaire est que toute personne

doit pouvoir bénéficier, devant les juridictions nationales, d’un recours juridictionnel effectif contre les décisions nationales pouvant porter atteinte à un droit reconnu par les traités ou par le droit communautaire dérivé. Ce principe implique que les intéressés peuvent obtenir de l’administration, avant tout recours, connaissance des motifs de telles décisions.

189 En conséquence, l’Etat membre de destination qui estime qu’un tel produit

ne devrait pas être admis sur son marché ou qu’un tel service ne peut être offert par ce prestataire devrait en tout état de cause :

- indiquer par écrit au fabricant ou au distributeur quels éléments de ses

règles techniques nationales empêchent, selon lui, la commercialisation du produit concerné dans l’Etat membre de destination ;

- prouver, sur la base de tous les éléments scientifiques pertinents, pour

quelles raisons ces éléments de la règles technique doivent être imposés et pour quelles raisons des mesures moins entravantes ne sauraient être acceptées ;

- inviter l’opérateur économique concerné à formuler ses observations

dans un délai raisonnable ; - tenir compte de ces observations avant de rendre une décision finale ; - une fois la décision prise, notifier cette décision motivée à l’opérateur

économique concerné en lui indiquant les voies de recours à sa disposition ;

- notifier cette décision à la Commission en vertu de l’art. 11 de la

directive 2001/95 CEE relative à la sécurité générale des produits ou en vertu de l’art. 50 du règlement n° 178/2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales dans la législation alimentaire ;

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- ou, lorsque ces articles ne s’appliquent pas, notifier cette décision à la

Commission en vertu de la décision n° 3052/95 CE du Parlement du 13.12.05 établissant une procédure d’information mutuelle sur les mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des produits à l’intérieur de la Communauté.

190 Une décision négative de la part de l’Etat membre de destination concernant

l’admission à son marché d’un produit de l’EEE ou de la Turquie ou d’un Etat membre de l’AELE est, en principe, susceptible de constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, interdite par l’art. 28 du traité CE. Dès lors, l’opérateur économique concerné peut toujours contester dans le pays devant les juridictions, respectivement les administrations de l’Etat membre de destination, une décision négative prise à son encontre.

191 Les juridictions et administrations nationales ont alors l’obligation de

garantir le plein effet du droit communautaire, lorsque l’on est en présence de dispositions du droit national incompatible avec les articles 28 à 30 TCE. En effet, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les art. 28 et 30 TCE, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale. Il doit en outre appliquer les art. 20 et 30 TCE à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice.

192 Les juridictions nationales peuvent cependant, le cas échéant, demander à la Cour de Justice de statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation des art. 28 et 30 TCE, conformément à l’art. 234 TCE.

* * * * *

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§ 5 LE MARCHE INTERIEUR SUISSE

Textes législatifs : Loi fédérale du 6.10.1995 sur le marché intérieur (LMI) (RS 943.02), FF 1995 IV 552 ss et 2005 461 ss ; Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC) (RS 946.51), FF 1995 IV 539 ss; LF sur la formation professionnelle, RS 412.10 ; TCE, art. 28 ss. Bibliographie : Message du Conseil fédéral du 23.11.1994, FF 1995 I 1193 ; Message relatif à la révision de la loi sur le marché intérieur, FF 2005 421; E. SCHEIDEGGER, Schweiz-EG 92 : Mehr Wettbewerb durch den Binnenmarkt, Coire/Zurich 1992; V. MARTENET/C. RAPIN, Le marché intérieur suisse, in Cahiers Suisses de droit européen, n° 19, Berne/Zurich 1999; D. DREYER/B. DUBEY, Effets de la libre circulation des personnes sur l’exercice des activités soumises à autorisation, in L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, Zurich, 1998, p. 859 ss; Commentaire romand - Concurrence, LMI, p. 1239 ss; A. AUER/V. MARTENET, La loi sur le marché intérieur face au mandat constitutionnel de créer un espace économique unique - Avis de droit, DPC 2004/1, p. 277 ss.

5.1 LE LIBRE ACCES AU MARCHE

5.1.1 Généralités

193 La Loi fédérale sur le marché intérieur est fondée sur l’art. 95 Cst qui donne à la Confédération la compétence de légiférer sur l’exercice des activités économiques privées.

194 En vertu de l’al. 2 de cette disposition : la Confédération veille à créer un

espace économique suisse unique; La Confédération a donc le devoir de prendre les mesures nécessaires à cette

fin.

195 Le but de la Loi sur le marché intérieur est clairement énoncé à l'art. 1er : garantir à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse l'accès libre et non discriminatoire au marché, afin qu'elle puisse exercer une activité lucrative.

196 Une activité lucrative ? Toute activité non régalienne (i.e. dont l’Etat ne s’est

pas réservé le monopole) ayant pour but un gain (art. 1er al. 3 LMI).

197 Comment garantir l'accès au marché ? Par les principes suivants :

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198 - la suppression des dispositions et des mesures de nature protectionniste

édictées par les cantons et les communes; les cantons, les communes et les autres organes assumant des tâches publiques avaient un délai de deux ans dès l'entrée en vigueur de la loi en 1996 pour adapter leurs prescriptions (art. 11 LMI); cette disposition n’a malheureusement eu que peu d’effets ;

199 - l'interdiction des mesures discriminatoires (art. 3 al. 1 let. a LMI) ;

200 - l'application du principe «Cassis-de-Dijon» (art. 2 al. 1 et 3 al. 2 LMI) ;

201 - la suppression des obstacles techniques (cf. LETC).

5.1.2 La suppression des obstacles techniques

202 Comme expliqué au § 2 point 2.3, tous les obstacles nationaux à la circulation des marchandises à l’intérieur de la CE doivent être éliminés.

203 La Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce a été édictée en vue

d’atteindre ce but. De nombreux obstacles ont été supprimés par la reprise en Suisse des règles résultant de l’harmonisation communautaire, à savoir les prescriptions adoptées par l’Union européenne au moyen de directives, qui doivent ensuite être transposées dans le droit national.

204 Le Conseil fédéral a proposé au début 2007 d’ajouter à l’instrumentaire

visant à éliminer les entraves techniques au commerce un volet supplémentaire, celui du principe dit « Cassis de Dijon ». Ce principe, énoncé à l’art. 16b LETC, s’applique aux produits qui ne font pas l’objet de l’harmonisation communautaire.

205 Par ailleurs, le principe « Cassis de Dijon » ne remplace pas, mais complète

les accords en vigueur conclus avec la CE dans le cadre des Bilatérales I en vue d’éliminer les entraves techniques au commerce. Il s’agit notamment de l’Accord sur la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de conformité (ARM), dans le domaine des produits industriels, et de l’Accord relatif aux échanges de produits agricoles (Accord agricole).

5.1.3 Le principe du Cassis-de-Dijon a) Origine du principe

206 Ce principe a été établi par la Cour de Justice des Communautés européennes en application de l'art. 28 (ex art. 30) TCE qui interdit les restrictions quantitatives et les mesures d'effet équivalent (cf. ci-dessous § 4.3).

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207 Selon ce principe, les produits fabriqués et commercialisés légalement dans l'un des Etats membres doivent en principe être admis dans toute la Communauté.

208 Certes, en l'absence de réglementation communautaire, les Etats membres

restent compétents pour édicter des prescriptions applicables sur leur propre territoire. Mais les obstacles qui en résultent ne sont admissibles que dans la mesure où ces prescriptions «peuvent être reconnues comme étant nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment à l'efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs» (Arrêt Cassis-de-Dijon).

b) Application du principe en Suisse

209 Dans la LMI, ce principe est énoncé à l'art. 2; il limite les restrictions possibles (art. 3).

210 Toute personne a le droit d'offrir des marchandises ou des services dans

toute la Suisse pour autant que l'exercice de l'activité lucrative en question soit licite au lieu où cette personne a son siège ou son établissement (art. 2 al. 1 LMI).

211 C'est le canton de l'offreur qui détermine les éventuelles prescriptions

relatives à l'offre de marchandises ou de services. La marchandise dont la mise en circulation est autorisée dans le canton de l'offreur peut être mise en circulation dans toute la Suisse.

212 Ce principe permet en outre aux producteurs suisses qui exportent dans le

marché européen de fabriquer et de mettre sur le marché suisse leurs produits selon les règles en vigueur dans la CE, à condition que ces produits soient aussi commercialisés dans l’Etat membre de la CE dont ils remplissent les conditions.

213 Aux termes de l’art. 2 al. 4 LMI, la liberté d’accès au marché selon les

prescriptions du lieu de provenance est étendue à l’établissement commercial. Dès lors, des catégories professionnelles entières qui ne pouvaient auparavant bénéficier de cette liberté d’établissement puisque tributaires d’équipements fixes sur le lieu d’exécution de la prestation ont désormais plus de mobilité. Concrètement, cela signifie que les personnes concernées ne sont pas tenues de demander une autorisation au lieu de destination pour exercer leur activité puisqu’elles peuvent exercer celle-ci sur la base de l’autorisation délivrée au lieu du premier établissement.

214 La révision de la LMI a également ajouté à l’art. 2 LMI un alinéa 5 qui

fixe explicitement dans la loi la présomption (réfragable) d’équivalence des règlementations cantonales et communales, qui est à la base de la

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45

liberté d’accès au marché. L’inscription de ce principe dans la loi ne le modifie pas, elle lui confère simplement plus de poids.

5.2 LES RESTRICTIONS A L'ACCES AU MARCHE

215 Des restrictions à la liberté d'accès au lieu de destination (de la marchandise) ou de prestation des services ne peuvent être imposées que si (art. 3 LMI) :

216 a) Ces restrictions s'appliquent de la même façon aux offreurs locaux

(principe de non-discrimination ou traitement national).

217 b) Ces restrictions sont indispensables à la préservation d'intérêts publics prépondérants :

- protection de la vie et de la santé de l'être humain, protection des

animaux et des végétaux; - protection de l'environnement; - protection de la loyauté des échanges commerciaux et des consom-

mateurs; - poursuite d'objectifs de politique sociale et énergétique; - garantie d'un niveau de formation suffisant pour les activités

professionnelles soumises à autorisation.

218 L’alinéa 2 qui énumérait ces intérêts a été abrogé. Il a en effet été considéré qu’il n’était pas nécessaire de les préciser, notamment en raison du fait qu’il s’agit des mêmes intérêts que ceux admis par la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de restrictions à la liberté économique. Cette abrogation satisfait également au principe de l’allègement de la législation.

219 Ces restrictions doivent respecter le principe de la proportionnalité; l'art. 3

al. 2 LMI précise que ce principe n'est pas respecté si : - la protection recherchée est déjà obtenue au moyen des prescriptions

applicables au lieu de provenance; - les attestations de sécurité ou les certificats déjà produits par l'offreur au

lieu de provenance ne sont pas pris en compte.

220 Afin de bien se faire comprendre, le législateur ajoute (art. 3 al. 2 let. c et 3 LMI) que :

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- un siège ou un établissement au lieu de destination ne peuvent pas être imposés à l’offreur comme condition pour pouvoir y exercer une activité lucrative;

- les restrictions ne doivent en aucun cas constituer un obstacle déguisé

aux échanges ou destiné à favoriser les intérêts économiques locaux. 5.3 LES ACTIVITES SOUMISES A AUTORISATION 5.3.1 Règles générales

221 La compétence d'imposer un certificat de capacité pour l'exercice de certaines activités est encore en principe en mains cantonales (art. 27 ss Cst) sauf si la compétence en a été spécifiquement attribuée à la Confédération par la Constitution fédérale.

222 Aussi longtemps qu’une loi fédérale n’a pas été adoptée au sujet d’une formation professionnelle, les cantons sont tenus, selon l’art. 196 ch. 5 Cst, à la reconnaissance réciproque des titres sanctionnant une formation (une règle semblable existait déjà dans la Constitution fédérale de 1874 !).

223 Cependant, les cantons imposent souvent, en plus des connaissances

techniques ou professionnelles établies par le certificat, des conditions personnelles. En conséquence, avant la LMI, les cantons exigeaient encore le dépôt d'une requête afin de vérifier si ces conditions personnelles étaient remplies. Est-ce encore possible avec la LMI ?

224 L'art. 4 al. 4 LMI prévoit encore une règle très particulière dans l'hypothèse

où la reconnaissance de certificats est prévue dans un accord intercantonal (concordat) puisque les dispositions du concordat l'emportent sur la LMI !

5.3.2 La reconnaissance des certificats de capacité cantonaux

225 Le principe de la reconnaissance sur tout le territoire suisse des certificats de capacité cantonaux étant déjà prévu par l'art. 196 ch. 5 Cst., il s'agit de comprendre ce qu'apporte la loi sur le marché intérieur. Cet apport, à l'art. 4 LMI, consiste dans la limitation des restrictions possibles puisque celles-ci doivent respecter les règles de l'art. 3 LMI.

226 L’alinéa 3bis de l’art. 4 LMI prévoit en outre que : « La reconnaissance de

certificats de capacité pour les activités lucratives couvertes par l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes est régie par cet accord ».

227 A l’avenir, la reconnaissance des certificats de capacité cantonaux devra

donc s’effectuer selon la procédure de reconnaissance de l’UE, les accords

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intercantonaux restant réservés. Pour ce qui est de la reconnaissance non réglée sur le plan cantonal, les mêmes règles s’appliqueront sur le plan interne (entre cantons) et externe (UE).

228 La portée de l’alinéa 3bis dépendra toutefois de l’usage que fera la

Confédération, dans le cadre de la nouvelle loi sur la formation professionnelle, de ses prérogatives en matière de réglementation.

229 S’agissant de la procédure de reconnaissance mise en place au sein de l’UE,

on distingue entre les directives générales et spéciales que la Suisse a reprises dans son propre droit en signant l’accord sur la libre circulation des personnes.

230 Les directives générales (p. ex. la directive 95/21/CE qui régit la

reconnaissance des métiers nécessitant une formation de 1 à 3 ans) se fondent sur le principe de la confiance réciproque dans le système de formation des autres Etats membres, alors que les directives spéciales (par ex. la directive 77/452/CE reconnaissance de diplômes en matière de soins infirmiers) se fondent sur le principe de l’harmonisation préalable des systèmes de formation. En d’autres termes, une vérification de la durée et des contenus des formations aura lieu dans le cas des formations concernées par les directives générales tandis que les diplômes pris en compte par les directives spéciales seront reconnus d’office.

231 Il faut encore noter que l’accord sur la libre circulation des personnes a été

étendu aux dix nouveaux membres de l’UE en mai 2004 et ce, également dans le domaine de la reconnaissance des diplômes.

232 5.4 MISE EN ŒUVRE PROCEDURALE

233 L’hypothèse est la suivante : une entreprise met en vente un produit ou exerce une activité et l’autorité suisse intervient pour le motif que ce produit ou cette activité n’est pas conforme aux prescriptions en vigueur au lieu de vente ou d’exercice de l’activité.

234 En principe, l’autorité doit d’abord réunir des informations :

- sur la conformité du produit aux règles de l’Etat de provenance - sur les diplômes du prestataire de service lorsque l’activité est soumise à

autorisation.

235 L’autorité ne peut pas instituer des contrôles faisant double emploi avec les contrôles déjà effectués dans un autre Etat membre. L’autorité est tenue de vérifier l’équivalence des niveaux de protection ou des diplômes.

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236 L’administration ne peut exiger que des produits satisfassent littéralement et exactement aux mêmes dispositions ou caractéristiques techniques prescrites en Suisse alors que les produits importés garantissent objectivement le même niveau de protection. La règle est la même mutatis mutandis pour la reconnaissance des diplômes.

237 Si l’autorité arrive à la conclusion que le produit n’est pas conforme ou que

la personne prestant le service n’a pas les qualifications requises, elle prend une décision d’interdiction de la vente du produit ou d’exercice de l’activité par la personne en cause.

238 Cette décision pourra faire l’objet d’un recours :

239 - devant un tribunal administratif cantonal lorsque c’est un organe de l’administration cantonale qui a pris la décision ;

240 - devant le Tribunal fédéral administratif lorsque la décision a été prise par une autorité administrative fédérale.

5.5 LE DROIT DE RECOURS DE LA COMCO

241 Le nouvel article 9 al. 2 bis LMI confère le droit à la Comco de faire constater par un recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) qu’une décision (cantonale ou communale) restreint indûment l’accès au marché.

242 L’art. 89 al. 2 lit. a LTF prévoit notamment que les départements fédéraux ou, pour autant que le droit fédéral le prévoie, les unités qui leur sont subordonnées, ont la qualité pour recourir si l’acte attaqué est susceptible de violer la législation fédérale dans leur domaine d’attributions.

243 En vertu de l’art. 104 al. 2 LTF, la Comco peut donc, dès qu’elle a la qualité pour recourir, faire usage des voies de recours cantonales et être partie à une procédure devant n’importe quelle instance cantonale. Dans la mesure où d’éventuels recours auprès d’instances communales peuvent être qualifiées généralement de « voies de droit cantonales » au sens de cette disposition, la Comco est assurée de disposer aussi d’un droit de recours contre les décisions de première instance.

244 De plus, en vertu de l’art. 105 al. 4 LTF, le Conseil fédéral déterminera par voie d’ordonnance les décisions devant être communiquée à la Comco par les instances cantonales et communales.

245 Cependant, le droit de recours de la Comco sera restreint dans le domaine des marchés publics aux décisions soulevant des questions d’importance fondamentale et concernant des marchés excédent les valeurs seuils déterminantes.

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49

246 Il faut encore préciser que la Comco peut exercer son droit de recours indépendamment d’un éventuel recours privé visant le respect de la liberté d’accès au marché. L’aval des particuliers concernés n’est par ailleurs pas nécessaire et le recours de la Comco n’interrompt pas le délai pour le dépôt d’un recours individuel.

247

5.6 AUTRES REGLEMENTATIONS

248 La Confédération a la compétence de légiférer en matière de libre circulation professionnelle (cf. LF sur la formation professionnelle, RS 412.10); elle peut ainsi :

-- créer des certificats fédéraux (professions médicales); -- poser les conditions à l'inscription dans un registre cantonal qui confère le

droit à l'exercice de la profession dans toute la Suisse (avocats) -- imposer la reconnaissance des certificats de capacité (cf. art. 4 LMI).

* * * * *

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50

2ème partie

L'EXERCICE DE LA CONCURRENCE ET LA PROTECTION DU MARCHE

Dans cette deuxième partie, après avoir précisé le champ d’application du droit de la concurrence (Chapitre 3), il s’agira d’examiner à quelles conditions les entraves à la concurrence sont illicites (Chapitre 4) et de quelle manière on procède pour appliquer ce droit (Chapitre 5).

Chapitre 3

CHAMP D'APPLICATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Le droit de la concurrence ne s’applique pas à tous les acteurs économiques et il vise un but spécifique. C’est pourquoi, il faut délimiter le champ d’application matériel et le champ d’application personnel et géographique, du droit de la concurrence.

§ 6 CHAMPS D'APPLICATION MATERIEL, PERSONNEL ET GEOGRAPHIQUE

Textes législatifs : art. 2 à 4 LCart.; art. 1 et 2 LCD; art. 1 et 2 Loi fédérale concernant la surveillance des prix (LSPr) (RS 942.20); art. 81 et 82 TCE. Bibliographie : P.-A. KILLIAS, CR Concurrence, Art. 2 et Art. 3; E. CLERC, CR Concurrence, Art. 4; B. GOLDMAN/A. LYON-CAEN/L. VOGEL, Droit commercial européen, 5e éd., Paris 1994; Traité de droit européen, Juris-Classeur; B.-A. GENESTE, Pratiques restrictives de concurrence, Ententes anticoncurrentielles, Champ d'application, in Juris classeur, Europe, 4, Paris 1996.

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51

249 Le champ d’application de la loi sur les cartels est précisé aux art. 2 à 4 LCart. ; la loi s’applique : - aux entreprises (cf. ad 6.3 ci-dessous) ; - aux entreprises qui, par une entente (6.2.1), une position dominante (6.2.2) ou

une opération de concentration (6.2.3) exercent une influence sur le marché ; - aux entreprises qui ont des effets en Suisse (6.4).

250 En droit européen, les mêmes critères sont utilisés ; s’y ajoute celui de l’affectation du commerce entre les Etats membres (6.5).

251 La loi réserve quelques domaines auxquels la loi sur les cartels ne s’applique pas (6.1).

6.1 ACTIVITES NON SOUMISES AU DROIT DE LA CONCURRENCE 6.1.1 Les règles de la propriété intellectuelle

252 Selon l’art. 3 al. 2 LCart., la loi ne s’applique pas aux effets sur le concurrence qui découlent exclusivement des lois sur la propriété intellec-tuelle. En effet, le titulaire d’un brevet se voit reconnaître le droit exclusif d’exploiter le procédé de fabrication décrit par le brevet ; ce titulaire du brevet bénéficie ainsi, de par la loi, d’une position dominante. Cette situation est justifiée par la volonté de protéger les investissements faits dans la recherche et le développement industriel.

253 Cette exemption est cependant strictement limitée au droit de l’usage exclusif

du brevet, lequel comprend le droit d’accorder une licence. Cependant le droit exclusif accordé par la loi sur les brevets n’a pas pour but de permettre au titulaire du brevet de mettre en place un cloisonnement commercial du marché par des accords qui dépassent le droit d’usage du brevet. C’est le sens de l’art. 3 al. 2 LCart.

6.1.2 Marchés de caractère étatique

254 Il est des domaines d’activités économiques pour lesquels l’Etat établit

des règles particulières qui dérogent à la concurrence : - télécommunications - secteur laitier - trafic aérien de ligne - activité de notaire

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255 (Certains secteurs qui échappent à la concurrence restent soumis à la

surveillance des prix, RS 942.20)

256 L’art. 3 al. 1 LCart. précise la notion de « prescriptions qui excluent de la concurrence certains biens ou services » en indiquant que ce sont celles qui :

- établissent un régime de marché ou un régime de prix de caractère

étatique ; - accordent des droits spéciaux à des entreprises chargées de l’exécution de

tâches publiques.

257 Malgré cela, l’application de ces règles soulève bien des difficultés en pratique.

6.2 ACTIVITES SOUMISES AU DROIT DE LA CONCURRENCE

258 Le droit suisse, comme le droit européen, de la concurrence s’applique aux entreprises capables d’exercer une influence sur le marché. La notion « d’entreprise » sera traitée ci-dessous sous point 6.3.

259 L’influence sur le marché peut résulter d’une entente passée entre plusieurs entreprises (6.2.1), d’une position dominante (6.2.2) ou d’une opération de concentration (6.2.3).

6.2.1 Les ententes

260 Selon l’art. 4 LCart., les ententes (« accords en matière de concurrence ») sont :

- les conventions, avec ou sans force obligatoire - les pratiques concertées. A. Les conventions

261 Une convention avec force obligatoire passée entre deux entreprises est un contrat au sens de l’art. 1er CO. La convention peut aussi résulter d’une décision prise par une association d’entreprises ou de sociétés auxquelles des entreprises participent en qualité d’associés.

262 La loi distingue les conventions avec force obligatoire et celles sans force

obligatoire, mais sans prévoir des conséquences différentes à ces ententes. Autrement dit, les deux types de conventions sont illicites. (Une convention sans force contraignante n’est pas un contrat ; une partie à la convention ne peut pas exiger une réparation à l’égard d’une autre partie qui ne respecterait

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53

pas la convention). Les conventions sans force obligatoire sont parfois appelées « gentlemen’s agreement » ou « Frühstückskartell ». Etant donné que ces conventions sont souvent informelles, elles sont difficiles à prouver.

B. Les pratiques concertées

263 Les pratiques concertées ne résultent pas non plus d’un accord formel entre les entreprises. Ces pratiques donnent lieu à une adaptation simultanée du comportement des entreprises qui ont précédemment échangé des informations : annonce d’une augmentation ou d’une baisse de prix, adoption d’un nouveau standard, recommandations données aux distributeurs.

264 La pratique concertée doit être distinguée du comportement parallèle qui ne

tombe pas dans le champ d’application de la loi.

265 Qu’en est-il des recommandations adoptées par une association professionnelle ? Peut-on considérer qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de la loi alors que celle-ci ne les mentionne pas ? Selon le principe de base, la loi s’applique à tout comportement qui a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. En conséquence, dans la mesure où les membres de l’association suivent effectivement les recommandations et que celles-ci peuvent avoir pour effet de restreindre la concurrence, ces recommandations entrent dans le champ d’application de la loi.

6.2.2. Les positions dominantes

266 La puissance sur le marché n’est pas illicite aussi longtemps qu’elle résulte de pratiques orientées sur la performance et que la concurrence est capable de l’entamer. La loi ne s’applique que si une entreprise domine le marché.

267 Selon la loi suisse, une position dominante est acquise lorsque l’entreprise

concernée peut se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (art. 4 al. 2). L’existence d’une position dominante dépendra :

- de la structure du marché ; - du nombre et de la qualité des concurrents potentiels ; - des barrières d’entrée sur le marché.

268 Selon l’art. 4 al. 2 LCart., la position dominante peut être détenue par une ou plusieurs entreprises. On parle alors d’une position dominante collective (duopole ou oligopole).

Un groupe de sociétés – société holding et filiales – ne constitue pas une position dominante

collective car les filiales ne jouissent pas d’une autonomie suffisante pour déterminer leurs modes d’actions sur le marché.

A noter aussi que l’oligopole peut – selon les circonstances du marché – présenter une structure

de marché où la concurrence fonctionne de manière particulièrement efficace (chaque acteur

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54

réagit rapidement aux actions de ses rivaux) ou présenter le risque de pratiques parallèles ou concertées.

6.2.3. Les concentrations d’entreprises

A. Principe

269 Une position dominante peut résulter d’une opération de concentration. Celle-ci résultant d’un accord entre deux ou plusieurs entreprises pourrait aussi tomber dans le champ d’application de l’art. 5 LCart. Toutefois, la procédure d’examen des ententes selon cette disposition n’est pas idéale pour les entreprises qui souhaitent savoir le plus rapidement possible si l’opération de concentration projetée peut être réalisée. C’est pourquoi, les autorités de la concurrence (aussi bien européennes que suisses) ont mis en place des procédures de contrôle des concentrations.

270 Selon ces règlements, les entreprises concernées ont l’obligation d’annoncer l’opération de concentration (cf. § 9.2.1) ; elles ne peuvent se contenter d’attendre que l’autorité administrative ouvre une enquête comme c’est le cas pour la violation présumée de l’art. 5 LCart. Au vu de cette obligation, il importe de

- définir ce qu’est une opération de concentration ;

- déterminer un « seuil d’intervention » (taille de l’opération).

B. Notion

271 Le contrôle s’applique à :

- la fusion de deux ou plusieurs entreprises ;

- toute opération de prise de contrôle direct ou indirect, pour autant que les entreprises concernées soient d’une certaine importance sur le marché suisse.

C. Seuils d’intervention

a) Droit suisse

272 Selon l’art. 9 LCart., les entreprises concernées sont d’une importance suffisante pour justifier l’exigence de notification à la Comco de l’opération de fusion lorsque :

- ces entreprises ont réalisé ensemble – en Suisse et à l’étranger – un chiffre d’affaires minimum de 2 milliards de francs ou un chiffre d’affaires en Suisse d’au moins 500 millions de francs (art. 9 al. 1 let. a LCart.) ;

- au moins deux des entreprises concernées ont réalisé individuellement en Suisse un chiffre d’affaires minimum de 100 millions de francs.

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55

273 Pour les sociétés d’assurances, au lieu du chiffre d’affaires, c’est le montant total des primes brutes annuelles qui est pris en compte.

274 Pour les banques soumises à la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne, c’est le 10 % de la somme du bilan qui est retenu comme critère.

275 Nonobstant ces critères, la notification à la Comco est obligatoire lorsqu’il a été établi d’une autre manière qu’une des entreprises occupe une position dominante en Suisse et que la concentration concerne ce marché.

b) Droit européen

276 La concentration est réputée de dimension communautaire lorsque :

277 1. le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 5 milliards d’euros,

278 2. le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union européenne par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 250 millions d’euros,

279 à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus de deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’Union européenne à l’intérieur d’un seul et même Etat membre.

280 La concentration qui n’atteint pas les seuils sus-indiqués reste de dimension communautaire lorsque :

281 1. le chiffre d’affaires réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 2,5 milliards d’euros ;

282 2. dans chacun d’au moins trois Etats membres, le chiffre d’affaires réalisé par toutes les entreprises concernées est supérieur à 100 millions d’euros ;

283 3. dans chacun d’au moins trois Etats membres - selon point 2 - le chiffre d’affaires total réalisé individuellement par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 25 millions d’euros, et

284 4. le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union européenne par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 100 millions d’euros.

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56

6.3 ENTREPRISES CONCERNEES PAR LE DROIT DE LA CONCURRENCE

6.3.1 La notion d’entreprise

285 Le droit suisse et le droit européen s'appliquent aux entreprises. Cependant, ni la loi suisse, ni le Traité de l'UE ne définissent cette notion.

286 Selon le message du Conseil fédéral (lors du projet de modification de la LCart en 1995), une "entreprise", c'est "tout acteur qui produit des biens et des services et participe ainsi de manière indépendante au processus économique, que ce soit du côté de l'offre ou de la demande".

287 La loi ne s'applique donc pas aux consommateurs, ni aux rapports entre les

travailleurs et l'entreprise (qui sont souvent réglés par des conventions collectives).

288 L'art. 81 TCE utilise également l'expression "entreprise", définie de manière

extensive par les autorités communautaires.

289 Certaines entreprises sont écartées en raison de l'objet de leurs activités : - produits agricoles - transports (certains types de transports maritimes internationaux; les

services de transports maritimes assurés exclusivement entre des ports situés dans un même Etat membre; les transports aériens entre les aéroports de la Communauté et des pays tiers).

6.3.2 Entreprises exerçant une influence sur le marché

290 Les entreprises sont soumises au droit de la concurrence pour autant qu'elles exercent une certaine influence sur le marché :

A. Droit suisse

291 L'art. 5 LCart. vise les comportements des entreprises qui affectent la concurrence de manière notable.

292 La Comco a publié une communication sur les accords entre PME

(communication relative aux accords ayant pour but d'améliorer la compétitivité et dont l'impact sur le marché est restreint). Selon ce projet, les accords en matière de concurrence ayant pour but l'amélioration de la compétitivité sont en principe admissibles lorsque :

- les parts de marché cumulées des entreprises parties à un accord horizontal

ne dépassent pas 10 % de chacun des marchés de référence concernés par l'accord;

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- les parts de marché détenues par chacune des entreprises parties à un accord vertical sur les marchés concernés par l'accord ne dépassent pas 15 %.

293 De même, la Comco considère comme n'affectant pas la concurrence de

manière notable les accords entre petites entreprises (moins de 10 collaborateurs et chiffre d'affaires annuel ne dépassant pas CHF 2 mio).

294 Toutefois, ces règles ne s'appliquent pas si des accords horizontaux

concernent : - la fixation directe ou indirecte des prix - des restrictions quantitatives - une répartition des marchés

295 ou si des accords verticaux ont pour objet : - un prix de vente minimum - une protection territoriale absolue B. Droit européen

296 En droit européen, ne sont visés que les accords ou pratiques concertées "susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres".

297 La Commission européenne a publié une Communication définissant les

accords dont il peut être présumé qu'ils ne sont pas "susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres" (art. 81 al. 1 TUE). C'est le cas lorsque les produits ou services objets de l'accord ne représentent pas plus de 5 % de l'ensemble des produits et services sur le territoire européen où l'accord produit ses effets et le chiffre d'affaires total des entreprises à l'accord ne dépasse pas 200 millions d'euros.

6.3.3 Entreprises de droit public ou de droit privé

298 En principe, toute restriction de la concurrence doit être évitée. Peu importe que la restriction soit le fait d'une entreprise de droit privé ou organisée selon le droit public :

- "Est soumise à la présente loi toute entreprise engagée dans le processus

économique qui offre ou qui acquiert des biens ou des services, indépendamment de son organisation ou de sa forme juridique." (art. 2 al. 1 bis LCart.)

- "Une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et

immatériels, rattachés à un sujet juridiquement autonome et poursuivant d'une façon durable un but économique déterminé." (CJCE 13.7.1962, Mannesman AG, aff. 19/61 Rec. p. 677).

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6.4. LE TERRITOIRE CONCERNE 6.4.1 Délimitation du territoire

299 Le droit de la concurrence s’applique aux entreprises dont le siège est situé dans le territoire de l’ordre juridique concerné (suisse ou européen).

300 Selon l’art. 299 TCE, le droit européen s’applique sur tout le territoire des

Etats membres de l’Union, lors même que certaines parties de ce territoire se trouveraient en dehors du continent européen, par exemple :

- les départements français d’Outre-Mer (la Guyane, la Guadeloupe, la

Martinique, la Réunion), - les Açores, Madère, les Iles Canaries (Portugal).

301 Les règles du droit européen de la concurrence s’appliquent également dans les Etats membres de l’Espace économique européen (Islande, Norvège, Liechtenstein), en application du Traité signé entre ces pays et l’Union européenne.

302 Le droit européen de la concurrence est-il applicable en Suisse ?

303 La Suisse a signé avec l’Union européenne un Accord de libre échange, en

1972, dont l’art. 23 a la teneur suivante :

Art. 23

1. Sont incompatibles avec le bon fonctionnement de l’accord, dans la mesure où ils sont susceptibles d’affecter les échanges entre la Communauté et la Suisse:

i) tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en ce qui concerne la production et les échanges de marchandises;

ii) l’exploitation abusive par une ou plusieurs entreprises d’une position

dominante sur l’ensemble des territoires des Parties contractantes ou dans une partie substantielle de celui-ci;

iii) toute aide publique qui fausse ou menace de fausser la concurrence

en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

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59

2. Si une Partie contractante estime qu’une pratique donnée est incompatible avec le présent article, elle peut prendre les mesures appropriées dans les conditions et selon les procédures prévues à l’article 27.

6.4.2 Application « extra-territoriale » ?

304 Le droit de la concurrence s’applique-t-il également à des entreprises dont le siège est à l’extérieur des frontières de l’ordre juridique concerné mais dont les effets sont ressentis à l’intérieur dudit ordre juridique ? La question se pose de la même manière pour les ententes, pour les positions dominantes et pour les opérations de concentrations d’entreprises.

305 Les autorités suisses et européennes ne s’en tiennent pas au critère du siège.

L’élément déterminant est celui du lieu où est ressenti l’effet anti-concurrentiel voulu par les entreprises. Si un état de fait (entente, par exemple) est réalisé à l’étranger mais produit des effets en Suisse, la loi suisse sur les cartels s’applique (art. 2 al. 2 LCart.). Les autorités européennes suivent le même principe.

306 On parle alors parfois d’application extra-territoriale du droit de la

concurrence. En fait, le droit s’applique aux effets ressentis à l’intérieur du territoire concerné. Cependant, l’expression « d’application extraterritoriale » souligne la problématique de l’exécution des décisions, voire des sanctions, prises à l’encontre d’une entité juridique installée en dehors du territoire concerné. La réponse viendra le plus souvent de la décision de l’entreprise extérieure de reconnaître la compétence de l’autorité administrative concernée dans le but de pouvoir poursuivre des activités commerciales dans le territoire concerné.

6.5. DROIT EUROPEEN : AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE LES ETATS MEMBRES

307 En droit européen, ne sont visés que les accords ou pratiques concertées « susceptibles d’affecter le commerce entre les Etats membres ».

308 Le commerce entre les Etats membres peut être affecté par des ententes entre entreprises exerçant leurs activités dans différents Etats membres.

309 Il peut aussi l’être par des ententes entre une entreprise de l’Union européenne et une entreprise exerçant son activité à l’extérieur de l’Union européenne. Une entente entre entreprises d’un même Etat membre de l’Union peut aussi affecter le commerce interétatique.

310 Le critère est appliqué d’une manière pragmatique : ce n’est pas l’intention qui compte mais l’effet, actuel ou potentiel ; une affectation vraisemblable suffit. Par contre, la conséquence de la pratique anti-concurrentielle – actuelle

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ou potentielle – ne doit pas être insignifiante ou négligeable ; l’effet doit être « sensible ».

311 Afin de faciliter l’application de ce critère, la Commission européenne a publié une Communication définissant les accords dont il peut être présumé qu'ils ne sont pas "susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres" (art. 81 al. 1 TCE). Selon cette communication, le commerce interétatique n’est pas affecté lorsque les produits ou services objets de l'accord ne représentent pas plus de 5 % de l'ensemble des produits et services sur le territoire européen où l'accord produit ses effets et le chiffre d'affaires total des entreprises à l'accord ne dépasse pas 200 millions d'euros.

* * * * *

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61

Chapitre 4

LES ENTRAVES A LA CONCURRENCE

Le champ d'application du droit de la concurrence ayant été fixé, il s'agit maintenant de déterminer si une entente entre entreprises constitue une entrave illicite à la concurrence ou si elle est admissible (§ 7). La même appréciation doit être faite au sujet des positions dominantes (§ 8) et des opérations de concentrations (§ 9).

§ 7 LES ENTENTES

Textes législatifs : art. 5 à 9 LCart., communications Comco; art. 81 et 82 TCE, Règlements et Communications Commission. Bibliographie : Commentaire romand Concurrence, PH. GUGLER / PH. ZURKINDEN, art. 5 LCart.; J.-M. REYMOND, art. 6 LCart.; E. CLERC, art. 7 LCart; O. PIAGET, La justification des ententes cartellaires dans l'Union européenne et en Suisse, thèse Lausanne, Bâle 2001; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002.

7.1 DROIT SUISSE

7.1.1 Remarques introductives

312 Au cours des dix dernières années, la législation suisse est devenue beaucoup plus restrictive au sujet des ententes cartellaires :

- lors de la révision de la loi intervenue en 1995, la notion de "concurrence

efficace" a été adoptée comme principe directeur de la politique de la concurrence; de plus les cartels "rigides" (accords sur les prix, les quantités ou les marchés) sont depuis lors présumés illicites;

- lors de la révision de 2004, la possibilité a été donnée à la Commission

d'infliger une sanction dès qu'elle constate la violation de la loi (alors que précédemment une sanction ne pouvait intervenir que si les entreprises participant à l'entente visée ne respectaient pas la décision de la Comco).

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313 La Comco a également commencé à faire usage de la possibilité que lui accorde l'art. 6 LCart de publier des communications précisant les conditions d'application de la loi (cf. la Communication concernant l'appréciation des accords verticaux, la Communication concernant les accords verticaux dans le domaine de la distribution automobile).

Les restrictions illicites à la concurrence peuvent résulter soit d'ententes (7.1.2

ci-dessous), soit d'abus de position dominante (§ 8 ci-dessous). 7.1.2 Les restrictions dues à des ententes

314 Les différentes formes d'ententes visées ont été définies à l'art. 4 LCart. et examinées au paragraphe 6.1.1 ci-dessus. C'est à l'art. 5 LCart. que le législateur a fixé les critères de l'illicéité d'une entente. Ce texte s'est considérablement inspiré des principes reconnus en droit européen de la concurrence et en droit américain, selon lesquels certains types d'accord sont en soi ("per se") illicites :

315 Art. 5 (Accords illicites) : Les accords qui affectent de manière notable la

concurrence sur le marché de certains biens ou services et qui ne sont pas justifiés par des motifs d’efficacité économique, ainsi que tous ceux qui conduisent à la suppression d’une concurrence efficace sont illicites.

Un accord est réputé justifié par des motifs d’efficacité économique : a) lorsqu’il est nécessaire pour réduire les coûts de production ou de

distribution, pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication, pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances techniques ou professionnelles, ou pour exploiter plus rationnellement des ressources ; et

b) lorsque cet accord ne permettra en aucune façon aux entreprises

concernées de supprimer une concurrence efficace.

Sont présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace dans la mesure où ils réunissent des entreprises effectivement ou potentiellement concurrentes, les accords :

a) qui fixent directement ou indirectement des prix ;

b) qui restreignent des quantités de biens ou de services à produire, à acheter

ou à fournir ;

c) qui opèrent une répartition géographique des marchés ou une répartition en fonction des partenaires commerciaux.

Sont également présumés entraîner la suppression d’une concurrence

efficace les accords passés entre des entreprises occupant différents échelons

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du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de vente fixe, ainsi que les contrats de distribution attribuant des territoires, lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclues.

A. Principes

316 Le principe de l'art. 5 LCart. peut se résumer ainsi. Sont déclarés illicites : - les accords qui conduisent à la suppression de la concurrence; - les accords qui affectent de manière notable la concurrence sans pouvoir

être justifiés par des motifs d'efficacité économique.

317 Certains types d'accords sont présumés entraîner la suppression de la concurrence. La présomption ne pourra être levée que si les entreprises concernées peuvent établir que la concurrence reste efficace malgré l'existence de l'accord. Dans cette hypothèse, le cartel n'est pas encore licite; ce qui est réfuté, c'est uniquement la présomption de la suppression de la concurrence (qui entraîne automatiquement l'illiciété). Il faudra encore, dans ce cas, examiner si la concurrence est notablement entravée; si c'est le cas, l'accord ne sera licite que s'il est justifié par des motifs d'efficacité économique.

B. La suppression de la concurrence efficace

318 Sont présumés entraîner la suppression d'une concurrence efficace (et donc illicites) :

319 -- les accords sur les prix : c'est l'effet qui est déterminant; peu importe que l'accord s'applique à la fixation directe ou indirecte (par exemple rabais) du prix;

320 -- les accords portant sur les quantités de biens ou de services à produire, à

acheter ou à fournir; 321 -- les accords de répartition géographique des marchés ou de répartition en

fonction des partenaires commerciaux; cette présomption ne s'applique qu'aux accords horizontaux, c'est-à-dire entre concurrents, mais non pas aux accords verticaux (accords de distribution).

322 -- certains accords verticaux, soit ceux par lesquels des entreprises occupant

différents échelons du marché imposent un prix de vente minimum ou fixe, ou attribuent des territoires, lorsque les ventes par d'autres fournisseurs agréés sont exclues (cf. ci-dessous § 7.3.2).

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C. L'entrave notable à la concurrence a) Le caractère notable de l'entrave

323 L'entrave notable à la concurrence est illicite à moins qu'elle ne soit justifiée par des motifs d'efficacité économique.

324 L'application de l'art. 5 al. 2 LCart. pose deux questions : quand est-ce

qu'une entrave est notable ? Quels motifs peuvent la justifier ?

325 Le critère d'entrave notable à la concurrence a été précisé par les autorités d'application, en utilisant deux critères :

326 - Critère qualitatif : l'accord visé porte-t-il sur un paramètre central de la

concurrence ? Ce sera toujours le cas, si l'accord porte sur les prix, les quantités ou les marchés. Quant aux autres paramètres de la concurrence (recherche et développement, publicité), leur importance variera selon le marché concerné (différences entre le marché d’un produit pharmaceutique ou celui d'un service).

327 - Critère quantitatif : afin d'appliquer ce critère, il faut déterminer quel est

le marché concerné, quelle est la concurrence potentielle et quelle place occupent sur ce marché les entreprises concernées.

b) Faits justificatifs

328 Si, au vu de ces deux critères, l'entrave ne peut être qualifiée de notable, l'art. 5 n'est pas violé. S'il est constaté que l'entrave est notable, il convient alors d'examiner si elle peut être justifiée par un motif d'efficacité économique; ce pourra être le cas, selon l'art. 5 al. 2 LCart. lorsque l'accord est nécessaire :

329 - pour réduire les coûts de production ou de distribution;

330 - pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication;

331 - pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances

techniques ou professionnelles;

332 - pour exploiter plus rationnellement des ressources.

333 La loi ajoute cependant une condition négative : la justification n'est pas admissible si l'accord a pour effet de supprimer une concurrence efficace.

c) Règles d'application

334 Afin de faciliter la compréhension et l'application de l'art. 5 LCart, le législateur a prévu à l'art. 6 que le Conseil fédéral pourra édicter des

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ordonnances et la Commission de la concurrence des communications. A ce jour, aucune ordonnance n'a été adoptée par le Conseil fédéral. Par contre, la Comco a publié :

335 - une Communication du 21.10.02 concernant l'appréciation des accords verticaux;

336 - une Communication du 21.10.02 concernant les accords verticaux dans

le domaine de la distribution automobile, complétée par une Note explicative réunissant les réponses données par la Comco aux questions les plus fréquentes, en tenant compte des développements observés au niveau européen dans l'application du règlement n° 1400/2002.

337 De plus, la Comco a mis en consultation, en été 2005, une deuxième

version d'un projet de Communication relative aux accords ayant un impact restreint sur le marché (cf. 6.1.2.A ci-dessus).

7.1.3 La clause échappatoire des intérêts publics prépondérants

338 Lorsque des accords en matière de concurrence ou des pratiques d'entreprises ayant une position dominante ont été déclarés illicites, les entreprises concernées peuvent demander au Conseil fédéral d'autoriser, à titre exceptionnel, ces pratiques ou ces accords s'ils sont nécessaires à la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants (art. 8 LCart.).

339 Il ne s'agit pas à proprement parler de recours. Les procédures de recours

proprement dites sont prévues aussi bien en procédure civile, lorsque les tribunaux déclarent une entrave à la concurrence illicite, qu'en procédure administrative (cf. ci-dessous § 10 et 11). La requête au Conseil fédéral peut être déposée à n'importe quel stade de la procédure, même après l'arrêt du Tribunal fédéral.

340 Il faut voir dans cette disposition une autorisation exceptionnelle qui permet

de tempérer l'application des nouveaux principes d'illicéité si vraiment des intérêts publics prépondérants sont donnés et que l'accord ou la pratique « illicite » est nécessaire pour la sauvegarde de ces intérêts.

341 Jusqu’en juillet 2007, cette disposition n’a été examinée qu’une seule fois : le

Conseil fédéral a refusé de reconnaître un intérêt public prépondérant à la fixation du prix des livres.

7.2 LE REGIME DES ENTENTES EN DROIT EUROPEEN 7.2.1 Remarque introductive

342 Alors que le droit suisse a péniblement évolué à travers plusieurs réformes légales (1985, 1995, 2004), l'Union européenne a, dès l'adoption du Traité de

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Rome en 1957, mis l'accent sur le rôle de la concurrence (et du marché intérieur). De plus, la Cour de justice a rapidement pris le relais dans sa jurisprudence.

343 Suite à l'ouverture de l'Europe à 27 membres, de nouvelles règles de

procédure ont été adoptées afin de permettre une application plus efficace du droit de la concurrence (cf. § 10 ci-dessous).

7.2.2 Principes

344 Concernant les ententes entre entreprises, le principe fondamental est énoncé à l'art. 81 TCE en deux paragraphes :

- les accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre

ou de fausser le jeu de la concurrence sont interdits. - les accords qui tombent sous le coup de l'interdiction de l'art. 81 al. 1 sont

nuls de plein droit.

345 Les conditions à remplir pour échapper à l'interdiction sont données à l'art. 81 al. 3 TCE.

7.2.3 Les éléments constitutifs de l'interdiction

346 Selon l'art. 81 al. 1 TCE, "sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun".

347 L'entente est donc interdite lorsque les éléments suivants sont réunis :

A. Un concours de volonté ou une décision

348 Il existe un concours de volonté qui s'exprime :

349 - soit dans des accords (avec ou sans force obligatoire);

350 - soit par des décisions d'associations (décision prise par l'organe compétent d'un groupe professionnel);

351 - soit par une pratique concertée; un parallélisme de comportement ne

suffit pas; il faut une concertation, c'est-à-dire au moins un échange d'informations ou un contact qui affecte l'autonomie de décision des entreprises.

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B. Un but ou un résultat

352 La condition est satisfaite si les parties à l’entente ont eu pour but d’empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence. Elle l’est aussi si le résultat du comportement des parties en cause est une entrave, une distorsion ou une restriction de la concurrence (même si ce résultat n’a pas été expressément voulu) : « qui ont pour objet ou pour effet » :

353 L'art. 81 TCE donne à l'al. 1 une liste exemplative de pratiques qui portent

atteinte à la concurrence : - la fixation des prix ou des conditions de transaction; - la limitation du développement technique, commercial ou financier; - la répartition des marchés ou sources d'approvisionnement; - la discrimination entre les partenaires commerciaux; - les ventes (ou prestations de services) "couplées". C. Un lien de causalité

354 Le comportement visé ne pourra être illicite que si un lien existe entre la pratique et l'atteinte à la concurrence. Si le lien est établi, l'entente est illicite lorsque l'accord a pour but de porter atteinte à la concurrence (peu importe que le résultat ait été effectivement atteint). Réciproquement, l'entente est illicite si le résultat (atteinte) est obtenu sans même que les parties l'aient recherché.

7.2.4 La sanction

355 La sanction de cette incompatibilité est donnée par l'al. 2 de l'art. 81 TCE : "Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit."

356 Cela signifie que les accords ou la décision n'ont pu produire aucun effet

valable dès leur adoption. De plus, la décision de constatation de la nullité est généralement accompagnée d'une sanction pécuniaire importante (cf. § 10).

7.2.5 Les dérogations possibles A. Le principe

357 Selon l'art. 81 al. 3 TCE, le premier alinéa (principe d'interdiction) n'est pas applicable si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :

358 - l'entente contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique;

359 - l'entente réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte;

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360 - l'entente n'impose pas aux entreprises intéressées des restrictions qui ne

sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;

361 - l'entente n'élimine pas la concurrence, pour une partie substantielle des produits en cause.

B. Le régime applicable

362 La réglementation du régime des exemptions a été profondément modifiée en 2004. Alors que, jusque là, les entreprises avaient l'obligation de notifier les accords tombant sous le coup de l'art. 81 TCE, cette exigence a été supprimée par le Règlement (CE) 1/2003.

363 Dorénavant, dans toutes les procédures d'application de l'art. 81 TCE, que ce

soit dans une procédure communautaire ou dans une procédure engagée dans un Etat membre :

364 - la charge de la preuve d'une violation de l'art. 81 par. 1 TCE incombe à la

partie ou à l'autorité qui l'allègue; 365 - il appartient à l'entreprise ou l'association d'entreprises qui invoque le

bénéfice de l'art. 81 par. 3 TCE d'apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont réunies.

C. Règles d’application

366 Afin d'accroître la sécurité juridique et de favoriser la bonne marche des affaires, la Commission a adopté ou publié :

- des règlements - des communications - des lettres d'orientation

367 Ainsi, le Règlement 2790/1999, relatif aux accords verticaux pour l'achat ou la vente de biens ou de services présume la licéité des accords verticaux pour autant que les parties à l'entente n'occupent pas ensemble une part de marché supérieure à 30 % :

368 - si le seuil n'est pas atteint, l'autorité d'application peut néanmoins tenter de

démontrer que l'entente viole l'art. 81 par. 1 TCE;

369 - si le seuil est atteint, les parties visées peuvent tenter de démontrer que l'entente ne viole pas l'art. 81 par. 1 ou satisfait les conditions de l'art. 81 par. 3 TCE.

370 De plus, la Commission a adopté des règlements pour certains types de

contrats particuliers :

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371 - Règlement n° 4087/88 concernant les accords de franchise.

372 - Règlement n° 1475/95 concernant les accords de distribution et de services

de vente et d'après-vente de véhicules automobiles.

373 - Règlement n° 240/96 concernant les accords de transfert de technologie. 7.3 LES ACCORDS VERTICAUX 7.3.1. Remarques introductives

374 Si la notion d’entente horizontale (sur les prix ou sur les quantités) est la première qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque une entrave à la concurrence, la réalité de la vie économique a rapidement obligé les autorités d’application du droit de la concurrence à prendre en compte les effets des accords verticaux.

375 Ce fut d’abord le cas en droit américain, puis en droit européen. En droit

suisse, on ne se préoccupait d’abord des effets des accords verticaux que si l’une des parties au contrat occupait une position dominante sur l’un des échelons du marché. Depuis 2004, l’art. 5 al. 4 LCart. contient une disposition spécifique sur les accords verticaux :

« Sont également présumés entraîner la suppression d’une concurrence

efficace les accords passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de vente fixe ainsi que les contrats de distribution attribuant des territoires, lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclus. »

376 Cette modification législative en Suisse a été influencée par la pratique

européenne ; c’est pourquoi, cette problématique des accords verticaux est traitée ici en un même paragraphe pour les deux systèmes juridiques.

7.3.2. Textes légaux et textes explicatifs

377 Les autorités d’application du droit de la concurrence, aussi bien à Bruxelles qu’à Berne, ont adopté des textes dont le but est de faciliter l’application des principes juridiques dans le cas des accords verticaux :

A. Droit européen

378 - Règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’art. 81 par. 3 du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.

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379 Pour rappel, un règlement a valeur législative et contient des règles d’application directe, ce qui signifie que les autorités des Etats membres doivent les appliquer même si elles n’ont pas été reprises formellement en droit national.

380 - Communication de la Commission des CE n° 2000 - C 291 – 01 Lignes

directives sur les restrictions verticales : il s’agit là d’un document par lequel la Commission explique de quelle manière elle applique le règlement sur les accords verticaux.

381 La Commission européenne a également adopté des règles spécifiques sur un

secteur particulier, celui de la vente des véhicules automobiles :

382 - Règlement (CE) 1° 1400 – 2002 du 31 juillet 2002 concernant l’application de l’art. 81, par. 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et des pratiques concertées dans le secteur automobile.

383 - La Direction générale de la concurrence à Bruxelles, a publié une

« Brochure explicative en matière de distribution et service après-vente des véhicules automobiles dans l’Union européenne ».

B. Droit suisse

384 De son côté, la Comco a publié :

- une Communication concernant l’appréciation des accords verticaux, dont la dernière version date du 2 juillet 2007 ;

- une Communication sur les accords verticaux dans le domaine de la

distribution automobile du 21 octobre 2002. 7.3.3 Principes applicables en droit suisse

385 Les accords verticaux peuvent améliorer l’efficience économique au sein d’une chaîne de production ou de distribution, entraîner une diminution des coûts de transaction et de distribution et favoriser un niveau optimal des investissements et des ventes.

386 Selon le pouvoir des entreprises sur le marché des entreprises concernées, ces

accords peuvent aussi engendrer des restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves.

A. Prix

387 La suppression de la concurrence efficace est présumée en cas d’imposition de prix de revente minimaux ou fixes.

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388 En cas de recommandation de prix, celle-ci est également présumée illicite si elle indique un prix minimal ou fixe. Dans les autres cas, la Commission examine si :

- la recommandation est effectivement suivie ; - le niveau de prix est significativement plus élevé que dans les pays

voisins ; - la recommandation est accompagnée de mesures contraignantes. B. Affectation notable de la concurrence

389 Les accords verticaux affectent la concurrence de manière notable lorsque :

390 - ils empêchent le fournisseur de livrer des composants ou des pièces de rechange à des tiers ;

391 - ils contiennent une obligation de non-concurrence d’une durée

indéterminée ou qui dépasse 5 ans ; 392 - ils contiennent une obligation de non-concurrence de plus d’une année

après l’expiration de l’accord vertical ; 393 - ils restreignent le multi-marquisme dans un système de distribution

sélective.

394 Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas si les parties à l’accord n’occupent pas une place significative sur le marché :

395 - pas de restriction si aucune des entreprises parties à l’accord ne détient une

part de marché supérieure à 15 % sur le marché concerné ; cette limite est ramenée à 5 % en cas d’effet cumulatif de plusieurs réseaux d’accords verticaux produisant des effets similaires, sauf si la part cumulée de ces réseaux parallèles est inférieure à 30 %.

C. Distribution sélective

396 Dans un système de distribution sélective, le fournisseur s’engage à vendre les biens ou les services contractuels uniquement à des revendeurs sélectionnés sur la base de critères prédéfinis et ces revendeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des revendeurs non agréés.

397 La sélection des revendeurs se fait exclusivement sur la base de critères

qualificatifs, objectifs et requis par la nature du produit (formation du personnel, service fourni, assortiment des produits).

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7.3.4 Principes applicables en droit européen

398 Les principes décrits au § 7.3.3, et relatifs au droit suisse, trouvent leur origine dans les règles européennes. Ces principes sont donc en général aussi applicables sur le marché européen.

399 L’illustration en est faite ici d’une autre manière, en présentant quelques aspects du Règlement (N° 1400/2002) de la Commission sur les catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.

A. Prix

400 L’exemption de l’application de l’art. 81 al. 3 TCE ne peut être reconnue aux accords verticaux qui ont pour objet la restriction de la capacité du distributeur ou du réparateur de déterminer son prix de vente. La possibilité subsiste pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n’équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet de pressions exercées par l’une des parties ou de mesures d’incitation prises par elle.

B. Plafonds

401 L’exemption s’applique, les autres conditions étant satisfaites, à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les véhicules automobiles neufs.

402 Les parts de marché sont calculées pour la distribution de véhicules automobiles neufs sur la base du volume des biens contractuels et biens correspondants vendus par le fournisseur, ainsi que tout autre type de biens vendus par le fournisseur et que l’acheteur considère comme interchan-geables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés (art. 8 ch. 1 Règl.).

C. Distribution sélective

403 Au sujet de ce mode de distribution, le Règlement donne d’abord des défini-tions :

404 - système de distribution sélective : un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs ou des réparateurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs ou réparateurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés ou à des réparateurs indépendants, sans préjudice de la faculté de vendre des pièces de rechange à des réparateurs indépendants ou de l’obligation de fournir aux opérateurs indépendants l’ensemble des informations techniques, des systèmes de diagnostic, des outils et de la formation nécessaires pour la réparation et l’entretien des véhicules automobiles ou pour la mise en œuvre des mesures de protection de l’environnement ;

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405 - système de distribution sélective quantitative : un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci ;

406 - système de distribution qualitative : un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs ou les réparateurs, des critères purement qualitatifs, requis par la nature des biens ou des services contractuels, établis uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distribution, et appliqués d’une manière non discriminatoire et ne limitant pas directement le nombre de distributeurs ou de réparateurs.

* * * * *

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§ 8 LES POSITIONS DOMINANTES

Textes législatifs : art. 7 LCart ; art. 82 TCE. Bibliographie : Commentaire Romand Concurrence, Evelyne CLERC, art. 7 LCart ; C. L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, p. 877 ss.

8.1 LA PROBLEMATIQUE

407 Avant d’aborder les notions de position dominante et d’abus de cette position, trois remarques s’imposent aussi bien en droit suisse qu’en droit européen :

408 - Les deux systèmes juridiques reconnaissent que toute entreprise, de par

son existence, exerce une certaine influence sur le marché ; toutefois, la constatation de ce fait ne signifie pas encore que les autorités de la concurrence doivent s’y intéresser. Ce n’est que lorsqu’une entreprise dispose d’une influence qualifiée sur le marché et que l’on peut dire que cette entreprise occupe une position de puissance sur le marché que le droit de la concurrence va s’y intéresser.

409 - A première vue, la position dominante est le fait d’une entreprise, puisque

si plusieurs entreprises se concertent pour influencer le marché, on sera en présence d’une entente (§ 7). Pourtant, la théorie économique a expliqué que la position dominante peut découler de l’existence d’un oligopole, sans qu’il existe une concertation entre les entreprises occupant collectivement une position dominante.

410 - Alors que les deux premières remarques se réfèrent à une puissance

horizontale, une situation de domination peut aussi exister dans des relations verticales, du côté des acheteurs (puissance d’achat), et engendrer des situations de dépendance de certaines entreprises (fournisseurs, sous-traitants).

8.2 LES POSITIONS DOMINANTES

411 La position dominante ne peut être constatée sans que l’on ait déterminé l’objet de la domination : le marché (marché en cause, « relevant market »). Celui-ci doit être délimité :

412 - quant à l’objet : y a-t-il des produits de substitution ?

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« Le marché de produits comprend tous les produits ou services que les partenaires potentiels de l’échange considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques ou de l’usage auquel ils sont destinés. »

Art. 11 al. 1 Ordonnance sur le contrôle des concentrations. Définition

quasi identique au ch. 7 de la Communication de la Commission européenne sur la définition du marché en cause (97/C 372/03).

Dans sa Communication (ch. 22), la Commission européenne donne un

exemple de l’analyse de la substituabilité du côté de l’offre dans le secteur du papier :

«On trouve généralement sur le marché toute une gamme de qualités de

papier, depuis le papier d’impression standard jusqu’au papier de qualité supérieure utilisé, entre autres, pour les livres d’art. Du point de vue de la demande, on n’utilise pas indifféremment ces différentes qualités de papier ; on n’imprime pas un livre d’art, par exemple, ou un ouvrage de luxe en utilisant un papier de qualité médiocre. Les papeteries peuvent pourtant fabriquer différentes qualités de papier et la production peut être adaptée à court terme et moyennant de très faibles coûts d’adaptation. En l’absence de difficultés particulières au stade de la distribution, les entreprises papetières peuvent donc se faire concurrence pour les commandes de diverses qualités de papier, notamment si ces commandes sont passées suffisamment à l’avance pour permettre de modifier les plans de production. Dans ces circonstances, la Commission ne définirait pas un marché distinct pour chaque qualité de papier et chacun de ses usages. Les diverses qualités sont regroupées dans un même marché en cause et leurs ventes sont cumulées afin d’évaluer l’importance du marché total, en valeur et en volume. »

La Commission adopte une approche souple en se fondant sur des

éléments empiriques et en exploitant toutes les informations dont elle dispose (ch. 25 de la Communication).

413 - quant au lieu : dans quel espace d’autres produits semblables ou de

substitution sont-ils disponibles ?

414 - quant au temps : les produits semblables ou de substitution sont-ils disponibles au moment souhaité par le consommateur ?

415 La Comco s’appuie sur les définitions données dans l’Ordonnance sur le

contrôle des concentrations (art. 11 al. 3 let. a et b).

416 Une position dominante peut être détenue par toute entreprise quelle qu’en soit la forme juridique. Sont visées les positions dominantes détenues par une ou plusieurs entreprises.

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417 Le Traité ne donnant pas de définition de la notion de position dominante, celle-ci a été élaborée par la Commission et la Cour de Justice.

418 Lorsque le marché a été délimité, l’existence de la position dominante est

établie par les autorités de la concurrence à l’aide des critères de :

419 - structure (répartition des parts de marché, conditions d’accès au marché) : après avoir défini le marché en cause, quant au produit et au territoire, la Commission détermine la taille totale du marché et les parts détenues sur le territoire en cause. Elle le fait en consultant les sources disponibles (estimations des entreprises, publication des associations professionnelles) ou en demandant à chaque fournisseur sur le marché en cause de lui communiquer son chiffre d’affaires ;

420 - comportement (quant à la fixation des prix, aux rapports avec les

fournisseurs) ; l’entreprise a le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective ; autrement dit, l’entreprise (ou les entreprises) concernée(s) dispose(nt) d’une autonomie de stratégie sur le marché.

421 - résultat (marge bénéficiaire) : l’entreprise obtient des marges supérieures à

la moyenne.

422 Du point de vue géographique, selon la formule de l’art. 82 TCE, la position dominante peut exister sur le « marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». A diverses reprises, les autorités communautaires ont considéré que le territoire d’un Etat membre (Allemagne, Royaume-Uni, mais aussi Belgique ou Hollande) pouvait constituer le marché géographique.

8.3 L’ABUS DE LA POSITION DOMINANTE 8.3.1 Généralités

423 La concurrence est une lutte pour des parts de marchés. Les efforts entrepris pour acquérir, conserver ou augmenter ces parts de marchés sont donc propres au système. Les entreprises peuvent donc accéder à une position dominante grâce à leur succès économique et leur croissance interne (la croissance externe – par acquisition d’autres entreprises – fait l’objet du contrôle des concentrations cf § 10). La constatation de l’existence d’une position dominante n’implique pas un reproche à l’égard de cette entreprise. Cependant, lorsque cette position est acquise, l’entreprise en position dominante doit assumer une responsabilité particulière, celle de ne pas – par son comportement – porter atteinte à une concurrence effective.

424 Le même comportement d’une entreprise dominant le marché pourra, selon

les circonstances, être considéré comme un comportement concurrentiel

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77

favorable ou comme une pratique abusive. Les circonstances particulières de chaque cas d’espèce seront donc déterminantes.

8.3.2 Conditions de l’abus

425 L’art. 7 al. 1 LCart. constitue une clause générale (illustrée par les exemples de l’al. 2) :

« Les pratiques d’entreprises ayant une position dominante sont réputées

illicites lorsque celles-ci abusent de leur position et entravent ainsi l’accès d’autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux. »

Selon cette disposition, la première condition d’un abus de position

dominante consiste soit en une entrave à l’accès à la concurrence ou à son exercice, soit dans l’exploitation de la position dominante au détriment des partenaires commerciaux.

426 Une seconde condition doit être remplie même si elle n’est que sous-entendue

par l’art. 7 al. 1 LCart. : le comportement n’est pas justifié par des considérations commerciales légitimes (legitimate business reasons). Cette possibilité d’une justification objective existait déjà dans la législation antérieure et a toujours été reconnue aussi bien par la Comco (DPC 1997, p. 490) et par les tribunaux. Cette condition négative de l’absence de « legitimate business reasons » est également appliquée, en droit européen, dans l’interprétation de l’art. 82 TCE.

427 L’entrave est donnée lorsque la position dominante a pour effet ou est utilisée

pour limiter l’accès de tiers à la concurrence et limiter l’exercice de la concurrence.

428 L’exploitation est constatée lorsque l’entreprise tire partie de sa rente de

position dominante sur le marché pour maximiser ses profits. L’exploitation de la position dominante est réalisée même si l’entreprise en position dominante ne cherche pas à entraver des concurrents déterminés.

429 Il n’est pas possible de donner une définition des considérations

commerciales légitimes d’une part parce qu’elles doivent toujours être appréciées en fonction des circonstances du cas d’espèce et, d’autre part, parce que la plupart des pratiques des entreprises sont ambivalentes.

430 L’abus de position dominante est une notion juridique, mais une notion

juridique indéterminée qui nécessite une analyse économique de chaque cas d’espèce.

431 L’abus de position dominante est une notion objective. Le comportement

d’une entreprise en position dominante peut être jugé illicite en raison de ses effets, en l’absence de toute faute.

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432 Une intention de l’entreprise en cause de vouloir dominer le marché en

exploitant sa situation ou en écartant ses concurrents permettra bien sûr de conclure à un comportement abusif. La preuve de cette intention ne sera pas facile à apporter car les autorités disposent rarement d’écrits permettant d’établir cette intention. Mais celle-ci peut aussi résulter d’indices. Des pratiques s’apparentant à des mesures « disciplinaires » (boycott, interruption des relations contractuelles, conditions commerciales discriminatoires) dénotent une intention de domination.

433 L’Association suisse pour l’insémination artificielle avait le monopole

d’approvisionnement aux vétérinaires. Le monopole fut aboli. L’association a proposé aux vétérinaires des contrats d’approvisionnement exclusif avec des clauses de réduction des prestations et de conditions financières désavantageuses si le vétérinaire se fournit aussi ailleurs (DPC 1999, p. 75 ss.).

434 En l’absence d’une preuve de l’intention, la qualification d’abus résultera de

l’analyse des effets du comportement de l’entreprise en position dominante. L’alinéa 2 de l’art. 7 LCart donne une liste exemplative de ces comportements.

8.4 EXEMPLES DE COMPORTEMENTS ABUSIFS 8.4.1 Le refus d’entretenir des relations commerciales

435 Cette pratique est visée aussi bien par le droit suisse (art. 7 al. 2 let. a LCart) que par le droit européen (selon la jurisprudence de la CJCE en application de l’art. 82 TCE, cf. arrêt United Brands c/ Commission 22/76, Rec. 1978, p. 207, ch. 163-203).

436 Le principe vise aussi bien le refus d’établir des relations commerciales avec

des partenaires commerciaux potentiels, sans raison objective, que la rupture des relations commerciales existantes sans respecter une période transitoire appropriée.

437 Le refus d’entretenir des relations commerciales constitue un cas d’entrave à

l’encontre des concurrents. Les partenaires commerciaux peuvent être soit des fournisseurs, soit des clients de l’entreprise dominante dans la mesure où ils sont des concurrents de celle-ci (Refus de livrer les sons et images des courses françaises de chevaux par une société française au bookmaker belge Ladbroke ; la société française titulaire des droits sur les images était absente du marché belge des paris et n’avait pas non plus octroyé une licence sur ce marché ; le refus ne fut pas considéré comme illicite en raison de l’absence de restriction de concurrence sur le marché belge).

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438 Le fait d’empêcher une entreprise (dominante) de mettre un terme à ses relations commerciales avec un partenaire commercial ou de l’obliger à entamer des relations avec ce partenaire constitue une atteinte forte à la liberté de contracter de l’entreprise concernée. Une telle décision ne peut intervenir qu’aux conditions suivantes

a) Il n’existe pas de substitut réel ou potentiel

439 Il n’y a pas de source alternative. (Swisscom décide de ne plus louer de lignes en cuivre dans la boucle

locale à des prestataires concurrents, mais de leur offrir un autre service : la capacité de transmission. La Comco a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une entrave ; DPC 1999, p. 375, ch. 58-63).

b) Le produit/service/infrastructure est indispensable

440 Dans l’affaire Ladbroke, la transmission télévisée des courses a été

considérée comme un service complémentaire mais non indispensable.

c) Suppression de la concurrence

441 Le refus a pour effet d’éliminer toute concurrence de la part de l’entreprise qui requiert la relation commerciale.

(SWIFT, coopérative détenue par 2000 banques, refuse d’offrir les

services de transmissions de données à la Poste – en France. Accord amiable).

d) Absence de justification objective

442 Le refus (ou la rupture des relations) est arbitraire. Le refus peut être justifié lorsque les prestations économiques du cocontractant deviennent insuffisantes ou sa solvabilité douteuse.

443 Mais la préservation ou l’augmentation de parts de marchés, ou encore

l’expansion sur un marché voisin, peuvent être admis comme justifications.

8.4.2 Discrimination de partenaires commerciaux

444 L’entreprise dominante pratique des prix ou autres conditions commerciales qui, sans raisons objectives, défavorisent certains partenaires commerciaux par rapport à d’autres.

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445 La discrimination n’a pas besoin d’atteindre un degré tel que ces conditions soient inéquitables (cf. art. 7 al. 2 let. c LCart) pour être considérée comme une entrave illicite.

446 Des conditions commerciales exceptionnellement favorables résultant de

subventions croisées peuvent être discriminatoires (let. b), prédatoires (let. d) ou inéquitables (let. c)

(Télécom PTT – nom de l’entité qui a repris l’activité téléphone à PTT et qui

a précédé Swisscom – a discriminé les exploitants privés d’accès ou de services Internet en réservant exclusivement le numéro O-842 à son service « Blue Window » ; de plus, Blue Window a bénéficié de subventions croisées).

447 En droit européen, une différence de prix devient significative et injustifiable,

donc illicite, à un faible niveau lorsque la discrimination résulte d’une politique claire de cloisonnement des marchés.

448 (Abus de position dominante par United Brands qui vendait ses bananes à des

prix différents selon le pays du distributeur dans l’UE – avec interdiction de revente – alors que toutes les autres conditions étaient semblables).

449 Quid des rabais de fidélité accordés aux clients qui s’engagent à ne

s’approvisionner qu’auprès du vendeur pour un certain pourcentage de leurs besoins ?

8.4.3 Conditions commerciales inéquitables

450 Ces conditions constituent une pratique d’exploitation de la part de l’entreprise dominante qui extrait ainsi une rente de la position qu’elle détient sur le marché. L’entreprise dominante ne cherche pas à écarter ou éliminer la concurrence, mais plutôt à exploiter l’absence de concurrence.

451 Cette pratique est visée par l’art. 7 al. 2 let. d LCart et par l’art. 82 TCE

expressément.

452 Le caractère inéquitable peut résulter du prix ou des autres conditions du contrat. Le caractère inéquitable peut être établi :

453 - soit par la méthode relative par comparaison avec les conditions qui

résulteraient d’une concurrence efficace sur le marché (« als – ob Wettbewerb ») ou les conditions pratiquées sur un autre marché géographique ;

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454 - soit par la méthode absolue : les conditions commerciales proposées sont inéquitables parce que dans un rapport déraisonnable avec la valeur économique de la prestation de l’entreprise dominante.

8.4.4 Pratiques prédatoires

455 La pratique classique est la sous-enchère en matière de prix ou de conditions dirigée contre un concurrent déterminé. Cette pratique est visée par l’art. 7 al. 2 let. e LCart et par l’art. 82 TCE. Une telle pratique permet en effet à l’entreprise dominante, moyennant un sacrifice temporaire, d’écarter un concurrent ou de décourager l’arrivée d’un concurrent sur le marché pour ensuite mieux profiter de la situation. La concurrence sur les prix est l’essence même du marché. La distinction entre l’attitude souhaitée pour le bon fonctionnement du marché et l’attitude répréhensible parce qu’abusive n’est souvent pas facile.

456 La pratique prédatoire est ciblée : elle vise un ou des concurrents déterminés

que l’entreprise dominante cherche à faire « rentrer dans le rang » ou à écarter du marché.

457 L’application des art. 7 LCart et 82 TCE à ces pratiques pose la délicate

question de l’analyse des coûts : à partir de quel niveau de prix la pratique peut-elle être qualifiée de prédatoire ? Les autorités d’application de ces dispositions qualifient de prédatoires des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, puisque chaque vente entraîne alors une perte.

8.4.5 Limitation de la production, des débouchés ou du développement

technologique

458 Il s’agit de pratiques d’entraves visées par l’art. 7 al. 2 let. e LCart et l’art. 82 TCE, le premier étant la reprise du second. Le fait que la précision (« au préjudice des consommateurs ») de l’art. 82 TCE ne soit pas reprise expressément en droit suisse ne joue pas de rôle. Ces types d’entraves, qui créent une pénurie artificielle, ont en effet toujours un effet indirect pour le consommateur.

8.4.6 Affaires liées

459 Les affaires liées (« Koppelungsverträge », « tying ») visent la subordination de la conclusion de contrats à l’acceptation ou à la fourniture de prestations supplémentaires.

460 Cette pratique est visée par l’art. 7 al. 2 let. f LCart et l’art. 82 TCE. Elle peut

être qualifiée à la fois d’entrave et d’exploitation. L’entreprise concernée

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82

utilise sa position dominante sur un marché comme levier pour étendre sa puissance sur le marché du produit « lié ».

461 La question délicate est de savoir si le produit supplémentaire est un produit

distinct dont l’achat est imposé sans que cela soit nécessaire ou si c’est un produit complémentaire du premier dont l’acquisition est objectivement et nécessairement liée à l’acquisition du premier.

462 (Vente des clous Hilti : justification rejetée puisqu’il existait des fournisseurs

indépendants de clous).

* * * * *

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92

§ 9 LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS D’ENTREPRISES

Textes législatifs : art. 9 à 11 et 32 à 38 LCart. ; Ordonnance sur le contrôle desconcentrations d’entreprises du 17.6.1996. Règlement n° 139/2004 du Conseil relatifau contrôle des concentrations entre entreprises.

Bibliographie : Commentaire romand sur le droit de la concurrence, S. VENTURI,art. 9 à 11; C. BOVET, art. 32 à 38 ; Th. GEISER / P. KRAUSKOPF / P. MÜNCH,Wettbewerbsrecht, Bâle 2005, p. 369 - 413. C. L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droitdu marché, Paris 2002, p. 703 - 741.

9.1. NOTION

463 Alors que le Traité de Rome instituant le Marché Commun date de 1957, cen’est qu’en 1989 que le Conseil a adopté le premier Règlement (n°4064/1989) sur le contrôle des opérations de concentrations entre entreprises.Ce Règlement a été remplacé en 2004 par le Règlement du Conseil n°139/2004.

464 En Suisse, ce n’est qu’en 1995 que des dispositions légales relatives auxconcentrations d’entreprises ont été introduites dans la loi (art. 9 à 11 et 32 à38 LCart). Ces règles ont été complétées par l’Ordonnance du Conseil fédéraldu 17 juin 1996. Le régime légal suisse s’inspire très largement des règles dudroit européen.

465 Il y a opération de concentration en cas de fusion de deux ou plusieursentreprises. Mais le contrôle de la concentration ne s’exerce pas seulement enprésence d’une fusion formelle de deux entreprises. Il s’exerce à touteopération d’acquisition du contrôle quelle qu’en soit la forme. Le contrôle estréputé acquis lorsque, par la prise de participations au capital ou par tout autremoyen, une entreprise est en mesure d’exercer une influence déterminante surl’activité de l’entreprise visée (art. 1 OCCE ; art. 3 Règl. n° 139/2004).

466 L’influence déterminante peut être obtenue par :

467 - des droits de propriété ou de jouissance sur des biens de l’entreprise ;

468 - des droits ou des contrats permettant d’influencer la composition, lesdélibérations ou les décisions des organes de l’entreprise.

469 Le droit communautaire présente deux particularités :

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470 1) Le Règlement européen ne s’applique qu’aux opérations de concentrationde dimension communautaire (art. 1er ch. 1 Règl.).

471 2) La Commission peut renvoyer l’examen de la concentration à un Etatmembre :

472 - si la concentration menace d’affecter de manière significative laconcurrence dans un marché intérieur de cet Etat membre qui présentetoutes les caractéristiques d’un marché distinct ;

473 - ou si la concentration affecte la concurrence dans un marché àl’intérieur de cet Etat membre, qui présente toutes les caractéristiquesd’un marché distinct et qui ne constitue pas une partie substantielle dumarché commun.

9.2 NOTIFICATION

9.2.1 Devoir d’annonce

474 Aussi bien en droit suisse qu’en droit européen, les opérations deconcentration d’entreprises doivent être notifiées aux autorités de laconcurrence avant leur réalisation (lorsque les valeurs seuils sont atteintes).

475 En cas d’inobservation de la notification, les règles suivantes s’appliquentselon le droit suisse :

476 - la procédure de contrôle des art. 32 ss LCart est appliquée d’office ;

477 - les entreprises participantes doivent s’abstenir de réaliser la concentration ;

478 - les entreprises concernées s’exposent à une sanction de CHF 1'000'000.-ou plus (art. 51 al. 1 LCart) ; les sanctions en cas de non-respect d’unecharge sont réservées.

9.2.2 Contenu de la notification

479 L’objet du contrôle de concentration est de vérifier si l’opération envisagée« crée ou renforce une position dominante capable de supprimer uneconcurrence efficace » (art. 10 al. 2 LCart) ou si elle entrave de manièresignificative une concurrence efficace (art. 2 ch. 1 let. b Règl.).

480 Afin de procéder à ce contrôle, la Commission doit pouvoir disposer detoutes les informations nécessaires sur l’opération visée. La liste desinformations à fournir est donnée par l’Ordonnance sur le contrôle desconcentrations d’entreprises (du 17.6.1996), à l’art. 11, soit en particulier :

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481 - une description de l’opération de concentration et un exposé des faits etcirconstances pertinents ainsi que des objectifs poursuivis par l’opérationde concentration ;

482 - les données relatives aux marchés de produits et aux marchésgéographiques affectés par la concentration, sur lesquels la part demarché totale en Suisse de deux ou plusieurs entreprises participantes estde 20 % ou plus, ou sur lesquels la part de marché en Suisse de l’une desentreprises participantes est de 30 % ; en outre une description de cesmarchés qui indiquera au moins la structure de la distribution et de lademande ainsi que l’importance de la recherche et du développement ;

483 - pour les marchés affectés selon la lettre d, les parts de marché desentreprises participantes pour les trois dernières années et, si elles sontconnues, celles de chacun des trois principaux concurrents, ainsi qu’unexposé des bases de calcul utilisées pour déterminer les parts de marché ;

484 - pour les marchés affectés selon la lettre d, des informations sur lesentreprises entrées sur le marché au cours des cinq dernières années et surcelles qui pourraient le faire dans les trois ans qui suivent ; les coûtsd’une entrée sur le marché seront, si possible, indiqués ;

485 - des copies des comptes et rapports annuels les plus récents desentreprises participantes ;

486 - des copies des contrats qui mettent en œuvre la concentration et de ceuxqui lui sont liés.

487 Afin d’aider les entreprises dans la préparation de la notification, l’UE et laComco ont élaboré chacune une formule de notification donnant toutes lesrubriques auxquelles une réponse doit être apportée.

9.2.3 Procédure

488 A l’exception du calcul des délais, les grandes étapes de la procédure sontsemblables en droit suisse et en droit européen.

489 En pratique, les entreprises engagent des contacts informels avec les autoritéscompétentes afin d’anticiper leurs réactions et de savoir si une procéduresimplifiée est possible (procédure de pré-examen seulement).

490 Au cours de la procédure d’examen préalable, l’autorité examine s’il existedes indices que la concentration crée ou renforce une position dominante (art.10 LCart.).

491 A l’issue de cette procédure de pré-examen (phase 1, qui dure un mois selonl’art. 32 LCart., 25 jours ouvrables, voire 35 jours ouvrables selon l’art. 10ch. 1 Règl. n° 139/2004), l’autorité communique aux entreprises concernées

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si elle entend soumettre l'opération à un examen proprement dit (phase 2).A défaut d’une telle décision, la concentration est admise. Le délai prévupour cette phase 1 ne commence toutefois à courir qu’à partir du moment oùla Commission a attesté avoir reçu un dossier de notification complet. Il peutainsi s’écouler plusieurs semaines entre le moment où la concentration estannoncée et celui auquel l’autorité déclare que le dossier est complet.

492 Si, à la fin de la première phase, l’autorité constate qu’il existe des indicessuffisants pour justifier un examen proprement dit, elle ouvre cette secondephase de la procédure :

- Elle publie le contenu essentiel de la notification de concentration et offreaux tiers la possibilité de donner leur avis dans un certain délai (art. 33LCart.).

- En principe, l’exécution de la concentration reste suspendue au cours decette phase.

- L’autorité peut solliciter des informations complémentaires ; elle peutmême procéder à des inspections dans les locaux des entreprises etexaminer sa comptabilité (art. 13 Règl. n° 139/2004).

- L’autorité rend sa décision dans les quatre mois (art. 33 al. 3 LCart.) endroit suisse, dans les 90 jours ouvrables, voire 105 jours ouvrables, àcompter de la date d’ouverture de la procédure.

- L’autorité décide alors :-- soit d’interdire la concentration-- soit d’autoriser la concentration ou de ne l’autoriser que sous

certaines conditions ou moyennant certaines charges.A défaut de décision dans les délais prévus, la concentration peut êtreréalisée.

- La décision d’interdiction ou d’autorisation sous condition ou moyennantcharge peut faire l’objet d’un recours (cf. § 12).

- En droit suisse, la procédure d’autorisation exceptionnelle est réservée (art.11 LCart.).

9.3. APPRECIATION DE LA CONCENTRATION

9.3.1 Les principes

493 Afin d’apprécier l’effet de l’opération de concentration, il faut d’abord avoirdélimité le marché :

494 - l’Ordonnance fédérale le fait à l’art. 11 al. 3 ;

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495 - en droit européen, on commence aussi par se référer à la Communicationsur la définition du marché du 9.12.1997.

496 Il s’agit ensuite de déterminer si la concentration permet de créer ou derenforcer une position dominante. Mais alors que la position dominante del’art. 82 TCE (art. 7 LCart.) était examinée sous l’angle du comportement (del’abus), le contrôle des concentrations s’intéresse aux effets sur la structuredu marché, y compris à son évolution (rôle de la concurrence potentielle).Pour le même motif, il est tenu compte de l’évolution probable du marché enl’absence de la concentration : il n’y a pas de renforcement de la positiondominante si l’entreprise rachetée était en difficulté et aurait disparu à défautde la concentration (failing company defence).

497 L’appréciation des autorités européennes et suisses diffère quant aux effetsconsidérés :

498 - en droit suisse, la concentration peut être interdite si la position dominanteest capable de supprimer une concurrence efficace (art. 10 al. 2 let. aLCart.) ;

499 - en droit européen, la concentration doit être refusée lorsqu’elle entrave demanière significative une concurrence efficace dans le marché communou une partie substantielle de celui-ci (art. 2 ch. 1 let. b Règl.).

9.3.2 Facteurs pris en compte en droit suisse

500 Le critère de la suppression de la concurrence efficace dénote la volonté dulégislateur de n’interdire les fusions que dans les cas de concentrationextrêmement élevée.

501 De plus, étant donné qu’il faut tenir compte de la concurrence potentielle (art.10. al. 4 LCart.), on comprend aisément que pour peu qu’une concurrenceétrangère existe ou puisse se concrétiser, la suppression de la concurrence nepourra être établie que si la concentration a lieu sur un marché suisse isolé dumarché international.

A. La part de marché

502 La part de marché à considérer est celle de l’entité qui résultera de l’opérationde concentration. Le calcul de cette part de marché résulte de l’addition desparts de marché des entreprises participant à l’opération de concentration.

503 Une première indication est donnée par l’art. 11 al. 1 let. d de l’Ordonnancede contrôle des concentrations d’entreprises : celles-ci doivent donner desindications détaillées si :

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- la part de marché totale en Suisse des entreprises participant à l’opérationest de 20 % ou plus ; ou

- si la part de marché en Suisse de l’une des entreprises concernées dépasse30 %.

504 Ces chiffres ne donnent qu’une présomption de non-nocivité. En règlegénérale, en dessous de ces seuils, il n’y aura pas de suppression de laconcurrence. Mais, il n’y a pas de présomption inverse. La concentrationn’est pas déjà présumée nuisible au dessus de ces seuils.

505 Les concentrations horizontales feront l’objet d’un examen attentif.

B. La concurrence actuelle et potentielle

506 C’est le critère décisif. Il s’agit d’abord de déterminer l’état de la concurrenceactuelle. Si cette concurrence est suffisante et n’est pas susceptible d’êtresupprimée dans un avenir proche, la concentration doit être admise.L’intensité de la concurrence actuelle dépend :

- du nombre d’acteurs actifs sur le marché- des parts de marché détenues par ces différents acteurs.

507 La concurrence potentielle est le second facteur déterminant. Le législateur aexpressément exigé de la Comco que ce facteur soit pris en considération carce qui compte, ce n’est pas la situation actuelle du marché mais sesperspectives de développement. Dans ce but, sont à considérer :

a) La vraisemblance de l’arrivée de nouveaux concurrents

Si le marché est caractérisé par des barrières à l’entrée élevées (investis-sements coûteux et irrécupérables à court terme – sunk costs ; barrièrestechnologiques, règlementaires ou géographiques), plus les chances denouvelles entrées sur le marché sont faibles.

b) La concurrence potentielle doit être suffisante

Les nouveaux concurrents doivent avoir la taille suffisante et lesressources nécessaires pour exercer une concurrence efficace de manièredurable.

c) La concurrence potentielle doit pouvoir s’exercer dans un avenir proche

L’Ordonnance donne à nouveau une indication à cet égard puisque, selonl’art. 11 al. 1 let. f, les entreprises concernées doivent fournir desinformations sur les entreprises qui pourraient entrer dans le marché dansles trois années à venir.

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C. Les effets favorables sur un autre marché

508 Si les entreprises concernées par l’opération de concentration peuventmontrer que cette opération conduit à une amélioration des conditions deconcurrence sur un autre marché, la Comco devra examiner si ces effetspositifs permettent de justifier la suppression de la concurrence entraînée parla concentration.

9.3.3 Facteurs pris en compte en droit européen

509 Les facteurs pris en compte en droit européen sont énoncés à l’art. 2 ch. 1 let.b du Règl. :

510 La Commission tient compte « de la position sur le marché des entreprisesconcernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités dechoix des fournisseurs et des utilisateurs, de leur accès aux sourcesd’approvisionnement ou aux débouchés, de l’existence en droit ou en fait debarrières à l’entrée, de l’évolution de l’offre et de la demande des produits etservices concernés, des intérêts des consommateurs intermédiaires et finalsainsi que de l’évolution du progrès technique et économique pour autant quecelle-ci soit à l’avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacleà la concurrence. »

9.4 DECISIONS DES AUTORITES

511 Les autorités de la concurrence peuvent accepter l’opération de concentrationou la rejeter. L’absence d’une décision dans les délais prévus pour l’examenpréalable ou l’examen approfondi aura pour effet que l’opération pourra êtreréalisée.

512 Les autorités peuvent aussi assortir leur approbation de conditions ou decharges :

513 - Les conditions (suspensives) devront être satisfaites avant que l’opérationne puisse être réalisée.

514 - Les charges doivent être satisfaites dans le délai imparti par l’autoritémais n’empêchent pas la réalisation de la concentration. Le non-respectdes charges expose l’entreprise à une sanction (art. 51 LCart.). Le droiteuropéen connaît à ce propos le régime des astreintes, c’est-à-dire d’uneamende journalière, par jour de retard, pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffred’affaires total journalier moyen de l’entreprise (art. 15 Règl.).

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515 Les décisions des autorités d’application du droit peuvent faire l’objet derecours (cf. § 10).

* * * * *

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100

Chapitre 5

APPLICATION DU DROIT

Après avoir déterminé le champ d’application du droit de la concurrence et examiné lecontenu des règles relatives aux entraves à la concurrence, il est nécessaire, dans ce domaineparticulier, de traiter des procédures d’application qui sont de deux sortes : de droitadministratif (§ 10) et de droit civil (§ 11).

§ 10 DROIT ADMINISTRATIF

Textes législatifs : art. 18 à 31 ; 39 à 53 LCart ; Règlement interne du 1er juillet 1996de la Commission de la concurrence (RS 251.1).

Bibliographie : Commentaire romand sur le droit de la concurrence, S. VENTURI, art.9 à 11; C. BOVET, art. 32 à 38 ; Th. GEISER / P. KRAUSKOPF / P. MÜNCH,Wettbewerbsrecht, Bâle 2005, p. 369 - 413. C. L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droitdu marché, Paris 2002, p. 703 - 741.

L’application du droit de la concurrence incombe d’abord aux autoritésadministratives, non seulement dans le cas du contrôle des concentrations, ce qui estnaturel, mais également dans le cas des ententes et des positions dominantes.

Dans ce domaine de l’application, il est nécessaire de traiter séparément le droitsuisse et le droit européen.

10.1 DROIT SUISSE

516 L’application de la législation sur les ententes est d’abord de la compétencede la Commission de la concurrence (Comco). Ainsi qu’expliqué ci-dessous,d’autres autorités (Tribunal administratif fédéral, Tribunal fédéral, Conseilfédéral) ont également un rôle à jouer.

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10.1.1 Les tâches de la Comco

517 Selon la loi sur les cartels, la Comco a les tâches suivantes :

A. Enquêtes

518 Selon l’art. 45 LCart, la Comco observe de façon suivie la situation de laconcurrence en Suisse et procède à une enquête administrative soit au sujetd’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises en particulier, soit au sujetd’une branche économique s’il existe des indices d’une restriction illicite à laconcurrence (art. 27 LCart).

519 La procédure commence généralement par une enquête préalable (art. 26LCart) ouverte par le Secrétariat de la Comco. Cette enquête préalable peutaboutir à un accord amiable (qui doit être approuvé par la Comco ; art. 29LCart). Suite à l’enquête préalable, le Secrétariat peut recommander à laComco d’ouvrir une enquête.

520 Le but de l’enquête est de déterminer l’éventuelle existence d’une restrictionillicite à la concurrence. Lorsqu’une telle restriction est constatée, la Comcoprend une décision, (cf. no 497) sur les éventuelles mesures à prendre (art. 30LCart).

B. Examen des concentrations d’entreprises

521 La Comco se prononce sur les concentrations d’entreprises qui lui sontnotifiées (art. 32 LCart ; cf. § 9).

C. Autres tâches

522 La Comco a également pour tâche :

- d’adresser aux autorités des recommandations visant à promouvoir uneconcurrence efficace (art. 45 LCart) ; cela vaut pour l’ensemble desprescriptions de droit économiques. L’art. 8 LMI assigne à la Comco latâche de veiller à ce que les autorités fédérales, cantonales et communalesrespectent les principes énoncés par la LMI.

- donner des préavis sur les projets de lois et ordonnances de laConfédération en matière de droit économique (art. 46 LCart) ;

- donner des avis aux autorités sur des questions de principe touchant laconcurrence (art. 47 LCart).

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10.1.2 Organisation

523 Pour accomplir les tâches prévues par la loi, ont été mis en place uneCommission de la concurrence (Comco) et un Secrétariat.

A. La commission

524 La Commission de la concurrence (Comco) est composée de onze à quinzemembres qui n’exercent pas cette activité à plein-temps et qui doivent être enmajorité des experts indépendants.

525 L’organisation et le mode de fonctionnement de la Comco sont fixés dans unRèglement interne (RS 251.1) approuvé par le Conseil fédéral.

526 Selon le Règlement interne, les décisions prises au nom de la Commissionpeuvent l’être par :

- la Commission elle-même, soit l’ensemble de ses membres ;

- l’une des trois Chambres instituée par le Règlement (cf. ci-dessous),chaque Chambre étant composée d’un Président et de 4 membres ;

- la Présidence, composée du Président de la Comco (qui préside égalementune Chambre) et des deux autres Présidents de Chambre ;

- chacun des membres de la Présidence.

527 La Comco est divisée en trois Chambres composées chacune de quatremembres ; ces Chambres traitent des domaines économiques suivants :

- Chambre Industrie et Production pour les domaines suivants :construction, biens de consommation et d’investissement, industrie desmachines et métallurgie, chimie

- Chambre des Services : santé, banques, assurances, professions libérales,artisans, sport

- Chambre des Infrastructures : communication, média, énergie, transports,tourisme, environnement, poste, agriculture.

528 Les membres de la Comco doivent indiquer dans un registre public les liensqu’ils ont avec l’économie. Cette transparence est exigée afin que les parties àla procédure puissent, le cas échéant, demander la récusation de l’un desmembres de la Chambre.

529 Les questions juridiques fondamentales, en particulier les changements dejurisprudence, sont soumis à la Comco dans son ensemble.

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530 Le Surveillant des prix prend part aux séances de la Comco ou des Chambresavec voix consultative.

B. Le secrétariat

531 Le Secrétariat, dirigé par un Directeur, est composé d’une cinquantaine decollaborateurs. Il instruit les affaires de la Comco, lui fait des propositions etexécute ses décisions.

532 Il mène les enquêtes préalables (art. 26 ss LCart) et informe la Chambrecompétente de leur clôture. S’il existe des indices d’une restriction illicite à laconcurrence, le Secrétariat, d’entente avec un membre de la Présidence de laComco, ouvre une enquête (art. 27 LCart).

533 A l’issue de la procédure d’enquête, la Comco, sur proposition du Secrétariat,prend sa décision sur les mesures à prendre ou sur l’approbation de l’accordamiable (art. 30 LCart).

10.1.3 Compétences et procédures

A. Décisions

534 A l’aboutissement de son enquête ou de l’examen de l’opération deconcentration, la Comco prend une décision. En droit administratif, unedécision (cf. art. 5 Loi fédérale sur la procédure administrative) est unemesure prise par une autorité, dans un cas d’espèce, fondée sur le droit publicfédéral et ayant pour objet :

- de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations ;

- de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits oud’obligations ;

- de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer,modifier, annuler ou constater des droits ou obligations.

535 Sont aussi considérées comme décisions les mesures en matière d’exécution,les décisions incidentes, les décisions sur opposition, les décisions surrecours, les décisions prises en matière de révision et l’interprétation.

Le droit suisse de la concurrence n’a évolué que très progressivement à ce sujet. Jusqu’en 1996,la Comco ne faisait qu’adopter des recommandations ; seul le Département de l’Economie étaithabilité, le cas échéant, à prendre une décision au sens indiqué ci-dessus. Jusqu’en 2004, laComco pouvait certes prendre des décisions mais celle-ci se contentait de constater l’illicéitéd’une pratique. Une sanction ne pouvait intervenir que si la décision n’était pas respectée. Depuis2005, la Comco est en droit, lorsqu’elle constate la violation de la loi d’infliger immédiatementune sanction.

536 La Comco dispose de tous les moyens nécessaires pour instruire une affaire :

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- audition des parties et des témoins ;

- entraide administrative d’autres services de l’administration ;

- perquisition et saisie des pièces à conviction ; la Comco a publié uneNotice sur le déroulement des perquisitions qui traite du droit àl’assistance d’un avocat et de la protection de la correspondance échangéeentre l’avocat et l’entreprise au sujet de l’affaire donnant lieu à laperquisition.

537 Les décisions de la Commission ou du Secrétariat peuvent faire l’objet d’unrecours au Tribunal administratif fédéral (art. 44 LCart). Un recours enmatière de droit public au Tribunal fédéral peut encore être interjeté contre lesdécisions du Tribunal administratif fédéral.

B. Sanctions

a) Le montant de la sanction

538 La sanction de la Comco est déterminée selon les principes énoncés à l’art.49a LCart et explicités dans l’Ordonnance sur les sanctions adoptée par leConseil fédéral.

539 La sanction est calculée en fonction de la durée et de la gravité despratiques illicites, ainsi que du profit présumé résultant de ces pratiques(art. 2 Ordonnance sur les sanctions). La prise en compte de ces critèrespermet d’établir un montant de base.

540 Ce montant de base pourra :

- être majoré dans une proportion pouvant atteindre jusqu’à 50 % si lapratique anticoncurrentielle a duré de un à cinq ans ;

- être majoré de 10 % par année supplémentaire si la pratiqueanticoncurrentielle a duré plus de cinq ans.

541 Toutefois, le montant de la sanction ne pourra en aucun cas être supérieurà 10 % du chiffre d’affaires réalisé en Suisse par l’entreprise au cours destrois derniers exercices (art. 49a LCart).

b) Circonstances aggravantes (art. 5 Ordonnance sur les sanctions) :

542 Le montant est majoré en cas de circonstances aggravantes telles que :

- la violation répétée de la LCart- la réalisation d’un gain particulièrement élevé

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- le refus de coopérer avec les autorités- le rôle d’instigateur ou d’acteur principal de l’infraction- l’usage de mesures de rétorsion dans le but de faire respecter l’accord

illicite.

c) Circonstances atténuantes (art. 6 Ordonnance sur les sanctions)

543 Le montant de la sanction est réduit si l’entreprise cesse le comportementillicite dès la première intervention de la Comco.

544 Dans le cas de restriction à la concurrence selon l’art. 5 al. 3 et al. 4 LCart,le montant est également réduit si l’entreprise a joué un rôle exclusivementpassif ou n’a pas mis en œuvre les mesures de rétorsion décidées pourimposer l’accord.

545 En vertu du principe de la proportionnalité, les autorités prennent encompte la situation financière de l’entreprise.

546 Une sanction pouvant aller jusqu’à 1 million de francs peut être imposée àl’entreprise qui aura réalisé une concentration sans procéder à lanotification dont elle aurait dû faire l’objet ou n’aura pas observél’interdiction provisoire de réaliser la concentration (art. 51 LCart).

C. Programme de clémence

547 Dans la modification législative de 2004, le législateur suisse a introduit (art.49 a LCart) ce que l’on appelle le « programme de clémence ». Etant donnéqu’il est souvent difficile d’apporter les preuves de l’accord cartellaire, lesautorités encouragent un membre du cartel à en dénoncer l’existence et offre,à titre de récompense, la possibilité pour le dénonciateur d’échapper à toutesanction.

548 Le procédé est certes controversé et discutable. Il est cependant déjà appliquédepuis plusieurs années par les autorités de la concurrence de l’UE.

549 Cette immunité ne peut toutefois être accordée qu’à des conditions trèsstrictes ; une entreprise ne peut être libérée de toute sanction que si :

- elle est la première à dénoncer le cartel (une seule entreprise peutbénéficier de l’immunité) ; c’est pourquoi, le Secrétariat accuse réceptionde l’auto-dénonciation en précisant la date et l’heure de son enregistrement(art. 9 Ordonnance sur les sanctions).

- elle fournit des informations justifiant l’ouverture d’une enquête au sensde l’art. 27 LCart (et des informations que la Comco ne connaissait pasdéjà) ;

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- ou fournit des preuves permettant d’établir une restriction de laconcurrence.

550 Le Secrétariat, d’entente avec un membre de la Présidence, communique àl’entreprise :

- si les conditions pour une renonciation à la sanction sont remplies ;- si des informations complémentaires doivent être transmises ;- dans quel délai le dénonciateur anonyme doit révéler son identité.

551 L’immunité peut être complète ou partielle. Elle ne peut être complète quesi :

- la société dénonciatrice n’était pas elle-même l’instigatrice ou l’actriceprincipale du cartel ou n’a pas forcé une autre entreprise à participer aucartel ;

- la société dénonciatrice remet spontanément (de son propre chef) toutes lesinformations et preuves dont elle dispose ;

- la société dénonciatrice coopère sans interruption, sans réserve et sansatermoiement avec l’autorité ;

- l’entreprise doit cesser ses activités illicites dès la dénonciation.

552 Une réduction de la sanction pourra aller jusqu’à 50 % en fonction de lacontribution à la réussite de la procédure.

553 La sanction pourra même être réduite jusqu’à 80 % lorsque l’entreprisefournit des informations ou soumet des preuves sur une autre infraction auxal. 3 ou 4 de l’art. 5 LCart.

D. Procédure d’opposition

554 Une autre possibilité offerte par la révision législative de 2004 afin d’offrirune certaine sécurité juridique est celle de l’annonce d’une restriction à laconcurrence avant que celle-ci ne produise ses effets. Si dans les 5 mois àcompter de l’annonce, la Comco n’a pas décidé l’ouverture d’une enquête ausens de l’art. 26 LCart, l’entreprise peut mettre en œuvre le comportementannoncé sans risque d’une sanction directe.

555 Il faut également rappeler qu’une entreprise peut demander une consultationau Secrétariat sur la licéité d’un comportement annoncé (art. 23 al. 2 LCart).

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E. Instances de recours

556 Les décisions de la Comco peuvent faire l’objet d’un recours dans les 30jours au Tribunal administratif fédéral.

557 Les arrêts du Tribunal administratif fédéral peuvent être attaqués devant leTribunal fédéral par un recours en matière de droit public.

558 A tous les stades de la procédure, y compris dans les 30 jours suivant l’arrêtdu Tribunal fédéral, une demande d’autorisation exceptionnelle peut êtreadressée au Conseil fédéral.

10.2 DROIT EUROPEEN

10.2.1 Autorités d’application du droit européen

A. Autorités européennes

a) La Commission européenne

559 La Commission européenne est la principale autorité chargée d’appliquerle droit européen de la concurrence. A ce titre, la Commission européennene fait pas qu’adopter des décisions dans des cas d’espèce. Elle adopteaussi des Règlements et des Communications afin de faciliter l’applicationdu droit.

560 Au sein de la Commission, un Commissaire – actuellement Mme NeelieKROES – a la charge de la politique de la concurrence, charge qu’elleassume avec l’aide de la Direction générale de la concurrence (actueldirecteur-général Philip LOWE) et son staff.

b) Les instances de recours

561 Les décisions de la Commission européenne peuvent être l’objet d’unrecours au Tribunal de première instance (TPI) à Luxembourg, qui peutrevoir les faits et le droit.

562 Les jugements du TPI peuvent être attaqués devant la Cour de Justice desCommunautés européennes (CJCE), à Luxembourg, qui ne revoit alorsque l’application du droit.

B. Les autorités nationales

563 Jusqu’en 2003, les autorités européennes et les autorités nationalesd’application du droit de la concurrence travaillaient séparément dans leursdomaines respectifs de compétence.

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564 Le Règlement n° 1/2003 du 16.12.2002 relatif à la mise en œuvre des art. 81et 82 du traité a complètement changé le système en instituant un régime decompétences parallèles permettant à la Commission et aux autorités deconcurrence des Etats membres d’appliquer l’art. 81 et l’art. 82 du traité !

565 Ces autorités forment ensemble un réseau : réseau européen de laconcurrence (REC) (European Competition Network – ECN). Ellescollaborent désormais étroitement. Ce réseau devrait assurer une divisionefficace du travail et une application homogène des règles communautairesrelatives à la concurrence.

566 La répartition des tâches s’effectue selon les principes suivants :

567 - toutes les autorités de concurrence (la Commission européenne ou uneautorité nationale) sont habilitées à appliquer les art. 81 et 82 du traité ;

568 - l’autorité qui reçoit une plainte ou entame une procédure d’office resteraen principe en charge de l’affaire ; si nécessaire, l’autorité peut solliciter leconcours d’une autre autorité ;

569 - la réattribution d’une affaire ne peut être envisagée qu’au commencementde la procédure que si cette autorité estime qu’elle « n’est pas bien placéepour agir » ou si d’autres autorités s’estiment « bien placées » elles aussipour agir (cette procédure implique que tous les membres du réseau soientinformés de l’ouverture d’une procédure) ;

570 - une autorité est considérée comme étant « bien placée » pour traiter uneaffaire si les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies :

571 1) l’accord ou la pratique a des effets directs, substantiels, actuels ouprévisibles sur son territoire ;

572 2) l’autorité est à même de faire cesser efficacement l’intégralité del’infraction et de la sanctionner d’une manière appropriée ;

573 3) l’autorité est en mesure de réunir les preuves requises pour démontrerl’infraction (le cas échéant avec le concours d’autres autorités).

574 - la Commission européenne est « particulièrement bien placée » si unaccord (ou des accords similaires) ont des effets sur la concurrence dansplus de trois Etats membres ;

575 - la Commission européenne est aussi « particulièrement bien placée » pourtraiter une affaire si celle-ci est étroitement liée à d’autres dispositionscommunautaires pouvant être plus efficacement appliquées par laCommission ou si l’intérêt de la Communauté exige l’adoption d’unedécision de la Commission (cas d’un problème nouveau, par exemple).

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109

576 - lorsque la Commission européenne est saisie la première d’une affaire, lesautorités nationales ne peuvent plus, de leur propre chef, traiter l’affaire.

577 - dans les deux mois qui suivent la date de l’information, envoyée au réseaupar une autorité nationale, de l’ouverture d’une affaire, la Commissioneuropéenne peut, après avoir consulté l’autorité concernée, ouvrir uneprocédure, ce qui aura pour effet de dessaisir l’autorité nationale.

578 - après la période initiale de deux mois, ce n’est que dans des situationsexceptionnelles que la Commission peut décider de reprendre une affaire(retard excessif d’une procédure, nécessité d’une décisioncommunautaire).

10.2.2 Procédure

A. Saisine

579 La Commission ou l’autorité nationale intervient soit d’office, après avoirconstaté l’existence d’un problème potentiel, soit suite à une plainte.

B. Instruction

580 La Commission peut exiger des parties qu’elles lui fournissent lesrenseignements utiles pour son enquête. Elle peut aussi solliciter la collabo-ration des autres autorités administratives communautaires ou des Etatsmembres.

581 Vu l’importance des conséquences possibles, les autorités administrativesdoivent respecter les principes de la procédure administrative lors de leursenquêtes :

582 - droit d’être entendu : les entreprises visées doivent avoir la possibilité des’exprimer sur les reproches formulés à leur égard ;

583 - accès au dossier : un des aspects essentiels du droit d’être entendu est celuide l’accès au dossier. Les entreprises concernées doivent être en mesure deconnaître, en temps voulu, les éléments sur lesquels l’autorité envisage defonder sa décision

584 - secret professionnel : (correspondance avec un avocat).

C. Décision

585 L’autorité peut être amenée à prendre des décisions en cours d’instruction dudossier : exigence de production des pièces, audition des parties, de témoinsou d’experts.

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586 Lorsque la procédure est terminée, l’autorité rend une décision. En droitcommunautaire, l’enquête relative à une pratique restrictive de la concurrencedoit être ouverte au plus tard cinq ans après la survenance de la pratique,faute de quoi l’affaire serait prescrite. La décision finale peut faire l’objetd’un recours :

587 - auprès du Tribunal de 1ère instance, si la décision a été prise par laCommission européenne ;

588 - selon les règles du droit national si la décision a été rendue par une autoritéadministrative d’un Etat membre.

D. Contenu de la décision (sanction)

589 En droit communautaire, un premier effet d’une sanction est la nullité de laclause restrictive de la concurrence, ce qui peut entraîner des conséquencespour les entreprises concernées (par exemple, la restitution d’une subvention).

590 La Commission peut infliger une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise concernée. Cette sanction estfixée en tenant compte de la nature de l’infraction et de son impact concretsur le marché, si cet impact est mesurable. La Commission distingue lesinfractions peu graves, les infractions graves et celles qui sont très graves.

591 Enfin, en dehors des sanctions pécuniaires, la Commission peut :

- exiger des entreprises concernées qu’elles adoptent dorénavant uncomportement différent (mesures comportementales : ne plus avoir telleattitude restrictive de la concurrence ou accepter d’avoir des relationscontractuelles avec une autre entreprise) ;

- exiger d’une entreprise qu’elle modifie sa structure (mesuresstructurelles) ; ces dernières mesures, beaucoup plus intrusives pourl’entreprise, ne seront prononcées qu’à titre exceptionnel et que si desmesures comportementales apparaissent insuffisantes.

* * * * *

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111

§ 11 DROIT CIVIL

Textes législatifs : art. 12 à 17 LCart.

Bibliographie : Droit de la concurrence, J.-M. REYMOND, art. 12 ss ; TH. GEISER / P.KRAUSKOPF / P. MÜNCH, Schweizerisches und europäisches Wettbewerbsrecht, p.523 ss.

11.1 DROIT SUISSE

11.1.1 Actions judiciaires et autorités compétentes

592 Selon un principe juridique fondamental, celui qui subit un préjudice(dommage ou tort moral) en raison de l’attitude illicite d’un tiers doit pouvoirobtenir la cessation du préjudice et la réparation du préjudice.

593 C’est ce principe qui, en droit de la concurrence, est concrétisé et développé àl’art. 12 LCart dans lequel le législateur a prévu plusieurs types d’actions.

A. Suppression ou cessation de l’entrave

594 Celui qui est entravé dans l’accès ou l’exercice de la concurrence par unerestriction illicite à la concurrence peut demander la suppression ou lacessation de l’entrave.

595 Le demandeur devra donc établir qu’il y a eu entrave illicite au sens des art. 5ou 7 LCart.

a) Suppression de l’entrave

596 L’action en suppression vise une entrave actuelle et qui dure encore.

597 Deux situations peuvent être envisagées. Dans le premier cas, ledemandeur subit les effets d’un accord auquel des entreprises tierces sontparties ou subit les effets d’une position dominante. Dans le second cas, ledemandeur est partie à un accord dont il souhaite être libéré sans devoirsubir les peines contractuelles prévues dans cette situation. Dans les deuxcas, il est demandé au juge de constater que l’accord est illicite, et donc nul(art. 13 LCart et art. 20 CO). (Le même résultat pourrait être obtenu parune dénonciation de l’accord à la Comco mais selon une procéduredifférente).

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b) Cessation de l’entrave

598 L’action en cessation vise une entrave qui risque sérieusement de seréaliser ou de se répéter.

599 Afin de supprimer ou d’écarter l’entrave, l’art. 13 LCart donne au juge lapossibilité de décider que celui qui est à l’origine de l’entrave doitconclure avec celui qui la subit des contrats conformes au marché et auxconditions usuelles de la branche.

B. Action en dommages-intérêts

600 L’action en dommages-intérêts suppose quatre conditions :

601 - un acte illicite : en l’espèce, ce serait la violation de l’art. 5 LCart (ententeillicite) ou de l’art. 7 LCart (abus d’une position dominante)

602 - une faute ou une négligence qui est appréciée objectivement

603 - un dommage qui correspond à la différence entre l’état du patrimoine dela partie entravée s’il n’y avait pas eu d’entrave et l’état actuel dupatrimoine

604 - un lien de causalité entre l’acte illicite et fautif et le dommage subi ; selonla jurisprudence, ce doit être un lien de causalité « adéquate », c’est-à-direque, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, il était ensoi propre à produire un effet du genre de celui qui s’est réalisé, de sorteque la survenance de ce résultat paraît, d’une manière générale, provoquéeou favorisée par cet événement.

C. Autorités compétentes

a) Niveau cantonal

605 En Suisse, l’organisation judiciaire et la procédure civile sont de lacompétence des cantons. Cette règle générale trouve parfois desexceptions dans le droit fédéral (matériel) qui détermine alors le tribunal(for) compétent ou la règle de procédure. C’est le cas à l’art. 14 LCartselon lequel les cantons doivent désigner pour leur territoire un tribunalchargé de connaître en instance cantonale unique des actions civilesintentées pour violation du droit de la concurrence. Dans le Canton deFribourg, c’est une cour d’appel du Tribunal cantonal qui est compétentepour traiter ce type de litige.

606 La loi fédérale sur les fors désigne (quant au lieu) le tribunal devant lequell’action peut être introduite :

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- le tribunal du siège de la partie ayant subi le dommage

- ou celui du siège du défendeur

- ou celui du lieu où l’acte illicite a été commis

- ou celui du lieu où le résultat s’est produit.

607 Lorsqu’une entreprise étrangère est impliquée, il faut tenir compte desrègles de droit international privé (art. 137 LDIP).

b) Niveau fédéral

608 L’arrêt rendu par un tribunal cantonal peut faire l’objet d’un recours enmatière civile au Tribunal fédéral.

c) Tribunal arbitral

609 Les parties peuvent avoir convenu par contrat – ou décider après lasurvenance du conflit, par un « compromis arbitral » - de soumettre leurlitige à un tribunal arbitral. La sentence du Tribunal arbitral sera exécutoirecomme un jugement d’un tribunal ordinaire (pour autant que certainesconditions soient respectées, en particulier l’indépendance des arbitres).

11.1.2 Procédure

A. Règles générales

610 Devant l’instance cantonale, les règles de procédure sont celles prévues par ledroit cantonal.

611 Devant le Tribunal fédéral, ce sont celles prévues par la loi fédérale surl’organisation judiciaire fédérale.

B. Rôle de la Comco

612 Le procès est introduit devant l’instance cantonale unique – et non pas devantle tribunal ordinaire de première instance – parce que le demandeur invoquela violation de la loi sur les cartels. Cela implique que le demandeur fondeson action sur l’existence d’une entente ou d’une position dominante et laviolation de l’art. 5 ou de l’art. 7 LCart.

613 Afin d’éviter des interprétations divergentes de la notion d’entrave ou desuppression de la concurrence, l’art. 15 LCart prescrit que lorsque la licéitéd’une restriction à la concurrence est contestée, la Cour doit soumettre cettequestion à la Comco qui rend un avis (et non pas une décision) :

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614 - si la Comco arrive à la conclusion qu’il n’y a pas d’entrave à laconcurrence, la procédure n’a plus d’objet (sauf si la Cour cantonale refusede suivre l’avis de la Comco !) ;

615 - si la Comco constate une violation, l’affaire est reprise par l’autoritéjudiciaire cantonale sur les autres aspects du procès (étendue du dommage,réparation).

C. Importances des mesures provisionnelles

616 Les mesures provisionnelles sont celles qui sont prises par le juge, à larequête d’une partie, et qui s’appliquent pendant la durée de la procédure.Souvent, la procédure débute par une requête de mesures provisionnelles surlaquelle le juge se prononce après avoir entendu la partie défenderesse.Toutefois, en cas d’urgence, le juge peut se prononcer avant même d’avoir puconvoquer l’autre partie. Dans ce cas, l’ordonnance « super provisoire » seraréexaminée par le juge lorsque la partie adverse aura pu s’exprimer.

617 Ces mesures sont souvent primordiales car seule une intervention rapide, oumême immédiate, du juge permet de sauvegarder les droits du requérant.

618 Des conditions strictes doivent être remplies :

- l’entrave doit être imminente ou actuelle

- la vraisemblance de l’atteinte illicite doit être donnée

- le préjudice causé serait difficilement réparable

- des sûretés peuvent être imposées, sur requête, si les mesures sont denature à causer un préjudice à la partie adverse.

11.2 DROIT EUROPEEN

11.2.1 Règles actuelles

619 La Commission européenne, le Tribunal de Première Instance et la Cour deJustice des Communautés Européennes (CJCE) sont des instancesadministratives. Elles ne se prononcent pas sur des demandes en dommages-intérêts. Les sanctions pécuniaires qu’elles imposent ne servent pas àcompenser un dommage puisqu’elles sont attribuées à la Communautéeuropéenne.

620 Une action civile en cessation du trouble ou en dommages-intérêts doit êtreintroduite devant les tribunaux civils des Etats membres de l’Union.

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11.2.2 Les réformes en vue

621 En décembre 2005, la Commission a mis en consultation un « livre vert »relatif aux actions en dommages-intérêts. Elle constate tout d’abord que cedomaine du droit (actions civiles) est caractérisé dans les Etats membres parun « total sous-développement » et que son objectif est d’identifier lesprincipaux obstacles à un fonctionnement efficace des actions en dommages-intérêts :

622 - détermination des dommages-intérêts : selon un modèle économique(complexe) ou en chargeant le juge de le faire en équité ?

623 - permettre au juge de doubler le montant des dommages-intérêts dans lecas d’infractions caractérisées (ententes horizontales) (aux Etats-Unis,dans ce cas-là, le juge peut attribuer le triple du montant)

624 - faciliter l’introduction d’actions collectives (class actions) ?

625 - réduire le risque financier du demandeur en ne le condamnant à payerles frais, en cas de perte du procès, que s’il a agi de façon manifestementdéraisonnable en introduisant l’action ?

626 - consentir une réduction du risque financier à l’entreprise qui a collaboréavec les autorités administratives selon le programme de clémence ?(remise conditionnelle, suppression de la responsabilité conjointe).

627 La procédure de consultation s’est achevée en 2006. La Commission ne s’estpas encore prononcée sur les initiatives à prendre pour faciliter les actions endommages-intérêts et leur permettre de contribuer substantiellement aumaintien d’une concurrence effective dans la Communauté.

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UNIVERSITE DE FRIBOURG D. DREYER FACULTE DES SCIENCES 2007 ECONOMIQUES ET SOCIALES semestre automne

LE DROIT DE LA CONCURRENCE

EXERCICES

§ 1 LA PLACE ET LE ROLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE 1. Le droit de la concurrence « régule » l’économie privée et non pas l’activité

étatique. Y a-t-il des activités qui doivent être réservées à l’Etat ou est-ce que toutes les activités de l’Etat peuvent être déléguées à des entreprises privées ?

2. L’Etat peut-il fixer : - les jours de congé ? Y compris pour un indépendant ? L’Etat peut-il

décider que tous les commerces doivent être fermés le lundi matin ? - les heures de travail ? - les heures d’ouverture des commerces, le soir, le week-end ? 3. La loi peut-elle imposer au titulaire d’un brevet d’accorder une licence (afin

d’assurer que le brevet soit suffisamment exploité) ? 4. Quelle est la place du concept de concurrence dans l’ordre juridique suisse ? Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet dans une affaire

relative à une sentence rendue par un tribunal arbitral. En principe, la sentence d’un tribunal arbitral est définitive et ne peut faire l’objet d’un recours en appel. Il reste cependant la possibilité (plus théorique qu’efficace !) de déposer un recours pour arbitraire (dans une affaire de

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droit interne) et un recours fondé sur la violation de la notion d’ordre public (en matière d’arbitrage international ; art. 190 al. 2 let. e LDIP).

Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a admis qu’une sentence porte

atteinte à l’ordre public lorsqu’elle « viole des principes fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l’ordre juridique et le système de valeur déterminant ; au nombre de ces principes figurent, notamment, la fidélité contractuelle, le respect des règles de la bonne foi, l’interdiction de l’abus de droit, la prohibition des mesures discriminatoires ou spoliatrices, ainsi que la protection des personnes civilement incapables. »

ou encore « qu’une sentence est incompatible avec l’ordre public si elle

méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique ».

La question à examiner est donc de savoir si le droit de la concurrence fait

partie des valeurs essentielles et largement reconnues constituant le fondement de tout ordre juridique.

En l’espèce, les faits étaient les suivants (ATF 132 III 389 ss) :

X. S.p.A. (ci-après: X. ou la recourante) et Y. S.r.l. (anc. Z. S.r.l.; ci-après: Z. ou l'intimée), deux sociétés de droit italien, sont des acteurs majeurs, au niveau mondial, dans le domaine des haubans et des câbles de précontrainte.

Par contrat du 26 mai 1998, les deux sociétés se sont engagées à présenter conjointement leurs offres pour la mise en oeuvre de ces technologies dans le cadre de la réalisation de deux ponts sur un tronçon d’une ligne ferroviaire. Leur coopération revêtait un caractère exclusif en ce sens que chacune d'elles s'interdisait aussi bien de passer des accords séparés avec d'autres entreprises que de soumissionner individuellement aux appels d'offre. Régi par le droit italien, ledit contrat contenait une clause compromissoire qui fixait le siège de l'arbitrage à Lausanne et prévoyait l'application du Règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI). En exécution du contrat précité, les parties ont présenté des offres communes pour la réalisation des travaux mis en soumission. Elles s'étaient concertées, au préalable, pour fixer le montant de leurs offres. Les travaux de construction ont été adjugés à X, resp. à des consortiums constitués par cette société et des entreprises tierces. S'estimant lésée par les agissements de X., Z. a adressé une requête d'arbitrage à la CCI en vue d'obtenir des dommages-intérêts de 4'250'000

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EUR. X. a conclu au rejet de la demande, motif pris de la nullité du contrat litigieux au regard des droits italien et européen de la concurrence. Par sentence finale, le Tribunal arbitral CCI a condamné X. à payer à Z. la somme de 488'258 EUR, plus intérêts. Il a considéré que le contrat liant les parties était valable au regard des droits italien et européen de la concurrence, si bien que X., qui avait violé gravement et volontairement les obligations en découlant, devait indemniser Z. de tout le dommage subi de ce chef. X. a formé un recours de droit public, au sens de l'art. 85 let. c OJ. Invoquant le motif de recours prévu à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, elle demande au Tribunal fédéral d'annuler la sentence du 12 septembre 2005.

Selon la recourante, le Tribunal arbitral, pour avoir méconnu des dispositions fondamentales des droits européen et italien de la concurrence, aurait rendu une sentence incompatible avec l'ordre public.

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§ 2 ZONES DE LIBRE ECHANGE ET MARCHE INTERIEUR

Affaire Fuji / Kodak 1) En 1995, l’entreprise américaine Kodak a invoqué que différentes

pratiques d’exclusion par des entreprises japonaises et le fait que le Japon les ait tolérées, ont restreint de manière importante l’accès de produits américains au marché japonais. L’entreprise Kodak a choisi de ne pas porter l’affaire devant les autorités japonaises ou américaines de la concurrence, qui traitent normalement de tels cas, mais devant les autorités commerciales.

2) En juin 1996, les Etats-Unis ont demandé l’ouverture de consultations

avec le Japon, conformément à l’article 4 : 4 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends et à l’article XXIII :1 GATT 1994. Dans leur demande, les Etats-Unis ont allégué que, par une série de « mesures » de distribution, le Japon a compromis ou annulé les bénéfices qui auraient dû résulter des concessions tarifaires dans le domaine du papier et du film photographique. Les consultations n’ont pas permis de résoudre le différend.

En septembre 1996, les Etats-Unis ont demandé l’établissement d’un

Groupe spécial conformément aux articles 4 et 6 du Mémorandum d’accord, en invoquant que le Japon avait mis en œuvre et maintenait un certain nombre de lois, règlements, prescriptions et mesures touchant la distribution, la mise en vente et la vente sur le marché intérieur de pellicules et papiers photographiques destinés aux consommateurs.

Questions : 1) Quelles sont les dispositions du GATT dont les Etats-Unis invoquent la

violation ? 2) Quelles sont les étapes de la procédure selon les règles du GATT (ORD) ? 3) Qu’est-ce que les Etats-Unis doivent démontrer pour obtenir gain de

cause dans cette procédure ? 4) Quels sont les avantages et les désavantages de la procédure OMC par

rapport à une procédure « privée » ? 5) Lorsque les instances du GATT ont constaté une violation des accords,

comment s’applique cette décision ?

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(Sur ce cas, voir B. MERKT, p. 93 ss ; également : OMC, Japon-Mesures affectant les pellicules et papiers photographiques destinés aux consommateurs, WT/DS 44/R (Rapport Fuji & Kodak). Ce rapport a été publié sur le site Internet de l’OMC et dans World Trade and Arbitration Materials, V. 10 n° 4, 1998, p. 1 ss. Le cas est décrit par M. FURSE dans Competition Law and the WTO Report : « Japan-Measures Affecting Consumer Photographic Film and Paper, ECLR 1999, p. 9 ss).

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§ 3 LA REGLEMENTATION DU MARCHE

Chanel 1. Le groupe Chanel, qui est titulaire de la marque « Chanel » dans les divers

pays de l’Union européenne et en Suisse, a établi un réseau de distribution sélective composé de détaillants agréés. Afin de contrôler le cheminement de ses produits, Chanel appose un code sur les emballages des articles offerts sur le marché.

EPA ne fait pas partie des distributeurs agréés Chanel. Elle vend néanmoins

dans ses magasins des produits de la marque « Chanel » qu’elle a acquis sur le marché dit parallèle.

Chanel a introduit action contre EPA afin de faire constater le caractère

illicite des importations parallèles de produits Chanel pour violation du droit des marques et de la concurrence déloyale.

Quels arguments fait valoir Chanel ? Quels arguments fait valoir EPA ? Quelles sont les dispositions juridiques applicables ? (cf. ATF 122 III 469 ss). 2. Même problématique dans l’affaire Kodak contre Jumbo Markt dans laquelle

Kodak invoquait la violation de son brevet pour s’opposer à l’importation parallèle.

(cf. ATF 126 III 129 ss = JdT 2000 I 529, en français) Quid ? Même solution que pour Chanel ou situation différente ?

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