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Le droit international humanitaire et les conflits armés contemporains Rapport du Conseil fédéral En réponse au postulat 08.3445 de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats du 20 juin 2008 du 17 septembre 2010
Madame la présidente du Conseil des Etats, Mesdames et Messieurs,
En réponse au postulat 08.3445 de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats, nous vous soumettons le présent rapport afin d’en prendre connaissance.
Nous vous prions d’agréer, Madame la présidente du Conseil des Etats, Mesdames et Messieurs, l’expression de notre respectueuse considération.
Au nom du Conseil fédéral suisse
La présidente de la Confédération: Doris Leuthard
La chancelière de la Confédération: Corina Casanova
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Résumé
Le droit international humanitaire définit les règles applicables dans les conflits armés. Il doit assurer le respect du principe d’humanité, même dans les conditions prévalant en temps de guerre.
La protection des personnes ne participant pas aux hostilités constitue une aspiration centrale du droit international humanitaire. Les conflits armés contemporains opposent de plus en plus souvent des forces militaires très inégales, une évolution aux conséquences inquiétantes. Ainsi, les combats ne se déroulent plus, dans de nombreux cas, sur un champ de bataille éloigné, mais sont conduits dans des zones habitées, au milieu de la population civile. La question se pose de savoir si cette évolution est suffisamment prise en compte dans le droit international humanitaire.
Les grandes idées qui forment le socle du droit international humanitaire remontent jusqu’aux origines de la civilisation ; elles gardent toute leur actualité. Le droit international humanitaire en vigueur, tel qu’il a été formulé au XXe siècle dans le droit international des traités (essentiellement dans le « droit de La Haye » et dans le « droit de Genève »), se développe et se renforce grâce à l’adjonction de règles de droit coutumier. Il peut ainsi répondre à la plupart des évolutions récentes. Le constat est donc que le principal défi du droit international humanitaire réside, non pas dans la création de nouvelles règles, mais dans la mise en œuvre effective des dispositions existantes. Une question importante qui occupe la Suisse a trait aux améliorations qui pourraient être apportées au niveau des mécanismes d’application et de contrôle.
Pour autant, il ne faut pas en conclure qu’il n’y a aucune nécessité de procéder à des adaptations ponctuelles, notamment au niveau normatif. Parmi les questions soulevées figurent le traitement des acteurs non étatiques et l’interaction entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme dans les conflits de faible intensité. Une ouverture du droit de Genève à de nouvelles négociations ne doit toutefois pas être effectuée de manière trop précipitée. Des Etats aux pratiques douteuses pourraient être tentés d’intégrer leur comportement dans le droit, avec le risque que la protection juridique existante s’en trouve en définitive affaiblie, au lieu d’être renforcée.
Dans ce contexte, la Suisse continue de s’engager en faveur du respect, de l’application et – si nécessaire – de la clarification des obligations existant en vertu du droit international. La question du développement du droit international humanitaire doit également être abordée – avec toute la circonspection requise. Lors de la conférence de novembre 2009 pour le 60e anniversaire des Conventions de Genève, la Suisse s’est déclarée disposée à faire avancer le débat concernant les défis du droit international humanitaire.
3
Rapport
1 Introduction
Avec le présent rapport, le Conseil fédéral répond au postulat 08.3445 de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats du 20 juin 2008, approuvé par le Conseil des Etats le 8 décembre 2008.
Le postulat déposé par la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats est le suivant:
«Le Conseil fédéral est chargé de soumettre au Parlement un rapport présentant:
- les défis que les conflits armés actuels posent en matière de droit international humanitaire – notamment dans le cadre des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels de 1977 – pour ce qui est du respect de ce droit et de la protection de la population civile;
- les domaines dans lesquels il est possible de développer encore le droit international humanitaire;
- les domaines dans lesquels la Suisse pourrait prendre l'initiative, en accord avec le CICR, pour encourager les acteurs publics et privés à respecter le droit international humanitaire, et les mesures concrètes qu'elle pourrait prendre à cet égard;
- la nature juridique des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, et leur applicabilité dans les pays qui ne les ont pas ratifiés.»
Le postulat doit être replacé dans le contexte de la longue histoire du droit international humanitaire. Les Conventions de La Haye, qui sont encore censées s’appliquer aujourd’hui, ont déjà plus de cent ans. Et en 2009, les Conventions de Genève ont eu soixante ans. La dernière mise à jour globale du droit international humanitaire a eu lieu il y a plus de trente ans, avec l’adoption des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève, en 1977.
Les conflits armés contemporains représentent différents défis pour le droit international humanitaire.1 De par sa tradition humanitaire et ses obligations en tant que partie contractante des Conventions de Genève, la Suisse s’engage et continuera de s’engager en faveur du droit international humanitaire.
Le rapport est structuré conformément aux quatre questions posées dans le postulat.
2 Nature juridique des Conventions de Genève et des Protocoles additionnels
Les quatre Conventions de Genève de 19492 ont été ratifiées par tous les Etats, ce qui leur confère une valeur universelle. Le premier Protocole additionnel de 19773
1 Le Conseil fédéral s’est exprimé dès 2007 sur certains aspects du postulat. Cf. RAPPORT
DE POLITIQUE ETRANGERE 2007, annexe 3: Guerre asymétrique et droit international humanitaire, possibilités de développement, FF 2007 5301. Voir également le rapport du CICR intitulé « Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains », Genève 2007, www.icrc.org.
2 RS 0.518.12, 0.518.23, 0.518.42, 0.518.51. 3 RS 0.518.521.
4
sur les conflits armés internationaux lie 170 Etats, le deuxième Protocole additionnel de 19774 sur les conflits armés non internationaux 165 et le troisième Protocole additionnel de 20055 sur l’adoption d’un signe distinctif additionnel 52 (état juillet 2010).
Un traité international ne lie que les parties contractantes. Cependant, la plupart des règles établies dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels ou concernant la conduite des hostilités constituent aujourd’hui des normes contraignantes du droit international coutumier, y compris pour les parties non contractantes. Dans les années 1990, la jurisprudence des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda a occasionné une clarification du droit international coutumier.6 De nombreuses dispositions du premier Protocole additionnel s’appliquent également aux conflits armés internes. En outre, les deux tribunaux ont largement contribué à améliorer la répression des crimes de guerre (campagne «ending impunity»), ce qui a ouvert la voie à l’établissement de la Cour pénale internationale, dont le statut a amené la communauté internationale à adopter et à codifier formellement la jurisprudence progressiste des deux tribunaux.7 Aujourd’hui, le Statut de Rome de 1998 et l’étude de 2005 du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur le droit international coutumier fournissent des indications sur l’état actuel du droit international humanitaire.8
3 Conflits armés contemporains et réponses du droit international humanitaire
Les conflits armés contemporains se définissent par la lutte entre adversaires de forces inégales, au sein et autour de la population civile d’une zone,9 ce qui place le droit international humanitaire face à des défis particuliers.10 Cinq tendances caractérisant les conflits armés contemporains sont décrites ci-après: (1) l’importance croissante des acteurs non étatiques, (2) la technicisation croissante de la guerre, (3) la multiplication des guérillas, (4) le déplacement des zones de combat vers les populations civiles et (5) la persistance de conflits latents. Par ailleurs, nous nous intéresserons pour chacune de ces tendances aux réponses avancées par le droit international humanitaire en vigueur.
3.1 Importance croissante des acteurs non étatiques
Outre les armées étatiques, les conflits contemporains impliquent parfois des acteurs privés. On constate en effet une véritable privatisation de la guerre, tant de la part des gouvernements que des rebelles, en particulier dans les pays où les structures de l’Etat ont été affaiblies ou réduites à néant.
4 RS 0.518 522. 5 RS 0.518.523. 6 Sur l’importance du jugement Tadìc, voir notamment LINDSAY MOIR, The Law of
Internal Armed Conflict, Cambridge 2002, p. 133 ss. 7 Statut de Rome de la Cour pénale internationale (RS 0.312.1). 8 JEAN-MARIE HENCKAERTS et LOUISE DOSWALD-BECK, Customary International
Humanitarian Law, 3 volumes, Cambridge 2005. 9 « War amongst the people », voir RUPERT SMITH, The Utility of Force: The Art of War in
the Modern World, New York 2005, p. 19, 269 ss. 10 Voir, en général, au sujet du droit international humanitaire HANS-PETER GASSER,
Humanitäres Völkerrecht, Zurich 2007.
5
En Somalie, au Pakistan, en Afghanistan ou en République démocratique du Congo,
des seigneurs de guerre privés (warlords), des bandes armées, des organisations
mafieuses et des réseaux terroristes entrent de plus en plus souvent en scène
parallèlement aux groupes rebelles traditionnels. Si les groupes armés dépendaient
autrefois beaucoup du soutien de la population locale, ce n’est aujourd’hui plus le
cas. Les nouveaux entrepreneurs profitant de la guerre assurent leur subsistance par
des exportations lucratives de ressources naturelles, des trafics de drogue, des prises
d’otages ou des attaques ciblées sur les transports de biens.11
Si les seigneurs de guerre évoluent dans l’illégalité par leur activité économique, il
en va autrement des entreprises militaires et de sécurité privées. Suite au
rétrécissement des budgets de la défense au début des années 1990, de nombreux
anciens militaires ont mis leurs compétences à disposition d’entreprises, dont les
gouvernements et le secteur privé ont volontiers loué les services (p. ex. pour
protéger les installations pétrolières). Ces sociétés privées ont connu un véritable
boom du fait des conflits en Irak et en Afghanistan. Elles interviennent de plus en
plus souvent dans des activités appartenant au cœur de métier militaire, par exemple
pour faire fonctionner des systèmes d’armement complexes, interroger des détenus
ou escorter des convois militaires. De nombreuses armées occidentales décrivent
aujourd’hui le recours aux entreprises militaires et de sécurité privées comme
incontournable pour les opérations à l’étranger.12
Les acteurs se mélangent donc aux différents camps en conflit. Les acteurs privés
agissent indépendamment des parties prenantes étatiques. En Irak par exemple, les
forces de la coalition et les troupes irakiennes partagent le terrain des hostilités avec
des entreprises militaires et de sécurité privées et des milices privées telles que
l’armée Al-Mahdi du dirigeant chiite Muktada al-Sadr, différents groupes d’insurgés
et de terroristes irakiens et étrangers, soutenus à des degrés divers par l’étranger.13
Les conflits armés contemporains ne s’articulent que partiellement autour des
frontières nationales et des catégories traditionnelles de personnes impliquées.
Troupes gouvernementales et personnel des entreprises militaires et de sécurité
privées se mélangent sans distinction claire pour l’extérieur.14 La population locale
est sollicitée pour fournir des partisans, des refuges, des armes ou un soutien
11 David Kilcullen, Counter-insurgency Redux, Survival 2006-07, n° 4, p. 119. Les trois sources de financement classiques sont l’exportation de matières premières, le soutien par
la diaspora et (pendant la guerre froide) par d’autres Etats. Cf. Paul Collier et Anke
Hoeffler, Greed and Grievance in Civil War, Oxford Economic Papers 2004. 12 P. W. Singer, Corporate Warriors: The Rise of the Privatized Military Industry,
Ithaca/London 2003; Simon Chesterman et Chia Lehnhardt (éd.), From Mercenaries to
Market: The rise and regulation of private military companies, Oxford 2007. 13 James Fearon, Iraq’s Civil War, Testimony to U.S. House of Representatives, Committee
on Government Reform, Subcommittee on National Security, Emerging Threats, and
International Relations on « Iraq: Democracy or Civil War? », 15 septembre 2006, p. 3. 14 Ulrike Joras et Adrian Schuster (éd.), Private Security Companies and Local Populations:
An Exploratory Study of Afghanistan and Angola, Swisspeace Working Paper 1/2008,
pp. 1-84.
6
logistique. Le phénomène de revolving door («Farmer by day, fighter by night») est
devenu célèbre, réunissant l’insurgé et le civil en une seule et même personne. Les
différents types de guerre et protagonistes en viennent à se confondre, la distinction
se brouille entre éléments nationaux et internationaux comme entre combattants et
non-combattants.
Cette situation débouche alors sur une remise en question de l’image d’une
population civile innocente.15 L’aide humanitaire – en dépit de son caractère
impartial, neutre et indépendant – n’est ainsi autorisée qu’avec hésitation, lorsqu’elle
est utilisée par des insurgés.16 Les mineurs, recrutés comme enfants-soldats par les
groupes armés, perdent leur droit à la protection.17 Par ailleurs, le manque de
délimitation géographique remet en question les catégories de conflits traditionnelles
(conflits armés internationaux/non internationaux).
Le droit international humanitaire actuel traite les acteurs non étatiques de manière
différente selon qu’il s’agit d’un conflit armé international ou d’un conflit armé non
international.
En effet, dans les conflits armés internationaux, il existe deux catégories de
personnes, combattants et civils, les premiers ayant le droit de participer directement
aux combats.18 Ils ne peuvent pas être punis pour leur seule participation aux
hostilités, ce même s’ils ont tué un ennemi (privilège du combattant). De plus,
lorsqu’ils sont tombés au pouvoir d’une partie au conflit, ils doivent être traités
comme des prisonniers de guerre.19
Le droit international humanitaire impose des critères pour l’octroi du statut de
combattant. Celui-ci revient d’abord aux membres des forces armées d’une partie au
conflit20 mais aussi aux membres des autres milices. Pour ce, les combattants
doivent porter leurs armes ouvertement, être reconnaissables (généralement par un
15 Hugo Slim, Killing Civilians: Method, Madness, and Morality in War, New York 2008,
pp. 181-211.
16 Voir notamment Fiona Terry, Condemned to Repeat? The Paradox of Humanitarian Action, Cornell 2002. Aujourd’hui, l’aide humanitaire est en outre souvent confrontée à
des difficultés d’accès aux populations nécessiteuses.
17 Herfried Münkler, The Wars of the 21st Century, Revue internationale de la Croix-Rouge 2003, n° 849, p. 17; Graça Machel, The impact of Armed Conflict on Children, UN Doc.
A/51/306, 26 août 1996.
18 Art. 43, par. 2 Protocole additionnel I (RS 0.518.521). 19 Art. 4 Convention de Genève III (RS 0.518.42).
20 Art. 4 Convention de Genève III (RS 0.518.42); art. 43 et 44 Protocole additionnel I (RS
0.518.521).
7
uniforme), être placés sous un commandement responsable et se conformer, dans
leurs opérations, au droit international humanitaire.21
Les personnes qui n’entrent pas dans cette catégorie sont des civils. Ceux-ci
bénéficient notamment d’une protection contre les attaques directes, à condition et
tant qu’ils ne participent pas directement aux hostilités.22 Cette participation n’est
toutefois pas constitutive d’une violation du droit international humanitaire mais
entraîne la perte de la protection contre les attaques accordée aux civils. De plus, les
civils qui participent aux hostilités peuvent être jugés sur la base du droit national
pour leur seule participation aux hostilités. En outre, ils peuvent être condamnés
pour des actes commis durant les hostilités, tels que des meurtres ou des atteintes
corporelles.23
Dans les conflits armés non internationaux, le droit international humanitaire ne
prévoit aucun statut particulier de combattant. Les acteurs non étatiques participant
au conflit sont des civils, qui sont protégés contre les attaques à condition et tant
qu’ils ne participent pas directement aux hostilités.24 Dès lors, la question qui se
pose est celle de savoir si l’absence de statut de combattant dans un conflit interne
est objectivement justifiée. En effet, les insurgés qui sont capturés par l’ennemi ne
bénéficient pas du statut de prisonnier de guerre et peuvent donc, être punis, selon
leur droit national, pour leur seule participation aux hostilités. Ils évoluent donc dès
le départ dans l’illégalité, même si leurs actes reposent sur des motifs légitimes et
s’ils n’occasionnent pas de violation du droit international humanitaire. Lorsqu’ils
sont faits prisonniers, ils peuvent tout de même s’attendre à de lourdes conséquences
au niveau national.25 Le fait que les acteurs non-étatiques puissent être jugés pour
leur seule participation aux hostilités ne les incite pas à respecter les dispositions du
droit international humanitaire.
21 Art. 4A, par. 2 4 Convention de Genève III (RS 0.518.42). Les dispositions du Protocole
additionnel I (RS 0.518.521) ne présentent plus ces conditions comme des éléments
constituants mais comme de simples obligations à respecter par ceux-ci. C’est là l’une des principales raisons pour lesquelles les Etats-Unis et Israël n’ont pas ratifié le Protocole
additionnel I.
22 Art. 51, par. 3 Protocole additionnel I (RS 0.518.521). Concernant la notion de “participation directe aux hostilités” voir le guide interprétatif du CICR, Interpretive
Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities under International
Humanitarian Law, Genève 2009. 23 Yoram Dinstein, The Conduct of Hostilities under the Law of International Armed
Conflict, Cambridge 2004, p. 27 ss.
24 Art. 13, par. 3 Protocole additionnel II (RS 0.518.522). CICR, op. cit. Error! Bookmark
not defined..
25 Gauthier de Beco, Compliance with International Humanitarian Law by Non-State
Actors, Humanitäres Völkerrecht 2005, n° 3, pp. 194-195.
8
Ce non-respect du droit par la partie non-étatique peut avoir pour conséquence
d’encourager la partie étatique à violer à son tour le droit international
humanitaire.26
L’analyse concernant les entreprises militaires et de sécurité privées ne se
différencie pas fondamentalement de celle portant sur d’autres acteurs non étatiques.
Elles aussi sont liées par le droit international humanitaire.27 En règle générale, elles
doivent être considérées comme des civils (indépendamment de l’uniforme porté),
c'est-à-dire qu’elles ne bénéficient d’aucun privilège de combattant et qu’elles ne
sont autorisées par le droit national à prendre les armes qu’en cas de légitime
défense. Par ailleurs, des questions de responsabilité étatique se posent également
par rapport aux entreprises militaires et de sécurité privées.28 En effet, les
Conventions de Genève exigent que les parties contractantes s’attachent à respecter
et à faire respecter le droit international humanitaire.29
Les réponses que ce droit apporte quant à la menace posée par les acteurs non
étatiques ne sont pas parfaites. De plus, en ce qui concerne la question du statut des
personnes, la distinction entre conflits armés internationaux et non internationaux
n’est pas satisfaisante.30 De ce fait, dans la pratique, il est difficile de caractériser un
conflit et les engagements multinationaux impliquent des difficultés
supplémentaires. Un des défis pour le droit international humanitaire consiste à
encourager davantage les acteurs non étatiques bona fide à respecter leurs
obligations de droit international humanitaire.
26 A. P. V. Rogers, Unequal combat and the law of war, in: Yearbook of International
Humanitarian Law 2004, p. 33. 27 Première partie, par. 22, Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes
et les bonnes pratiques pour les Etats en ce qui concerne les opérations des entreprises
militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits armés, Doc. ONU. A/63/467 – S/2008/636, 17 septembre 2008. Voir également Emanuela-Chiara Gillard, Quand
l’entreprise s’en va-t-en guerre: les sociétés militaires et sociétés de sécurité privées et le
droit international humanitaire, Revue internationale de la Croix-Rouge 2006, n° 863, pp. 525-572.
28 La responsabilité étatique pour les agissements privés constitue toutefois une exception.
Elle n’est pas la même pour les entreprises militaires et de sécurité privées que pour les soldats réguliers. Cf. Carsten Hoppe, Passing the Buck: State Responsibility for Private
Military Companies, European Journal of International Law 2008, n° 5, p. 989-1014;
Daniel Thürer, Military Outsourcing as a Case Study in the Accountability of Responsibility of Power, Völkerrecht als Fortschritt und Chance, Zurich/St. Gall 2009,
pp. 773-801.
29 Art. 1 commun aux Conventions de Genève. Cf. Andreas Frutig, Die Pflicht von Drittstaaten zur Durchsetzung des humanitären Völkerrechts nach Art. 1 der Genfer
Konventionen von 1949, Bâle 2009.
30 Marco Sassòli et Laura M. Olson, The relationship between humanitarian and human rights law where it matters: admissible killing and internment of fighters in non-
international armed conflicts, Revue internationale de la Croix-Rouge 2008, n° 871, p.
607.
9
3.2 Technicisation croissante de la guerre
Les acteurs non étatiques sont équipés d’armes légères et d’explosifs simples, mais
rarement pourvus d’armes plus lourdes. En comparaison, les troupes des pays
occidentaux n’ont cessé de se moderniser, avec une telle supériorité technologique à
la fin de la Guerre froide que le rapport entre les soldats américains et irakiens
tombés durant la seconde Guerre du Golfe, en 1991, s’est établi à 1 contre 1000.31
Lors de la guerre du Kosovo, en 1999, les troupes de l’OTAN n’ont pas même subi
une perte.32
La conséquence de cette supériorité militaire est d’éviter une confrontation
traditionnelle. Les adversaires poursuivent leur combat où la technologie n’apporte
encore aucun avantage comparable : en mouvement permanent, sur des terrains
difficiles, au milieu de la population civile, comme on l’observe en Irak, en
Afghanistan, en Somalie ou en Israël.
Cela étant, l’accent des innovations technologiques se focalise sur le soutien apporté
aux troupes au sol en terrains difficiles. Les nouvelles technologies de l’information
facilitent le repérage de personnes. En outre, les armes de précision permettent de
détruire à distance des objectifs ciblés avec une plus grande probabilité de réussite,
ce qui permet de minimiser les dommages collatéraux.33 De même, les innovations
en matière de lutte contre la criminalité ou de contrôle des troubles urbains et du
crime organisé ont suscité une certaine attention.34
Si l’importance croissante des acteurs non étatiques représente clairement un défi
pour le droit international humanitaire, ce n’est pas directement le cas des
changements techniques dans la conduite des hostilités. Les techniques d’armement
utilisées ne remettent pas en question les principes applicables du droit international
humanitaire. En effet, l’utilisation d’armes par des parties au conflit doit respecter le
principe de distinction entre combattants et civils ; ces derniers devant être protégés
et ne pouvant en aucun cas faire l’objet d’attaques. Par ailleurs, les attaques ne
doivent pas causer incidemment des pertes en vies humaines dans la population
civile par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu, ni engendrer des
souffrances excessives. Ces principes fondamentaux s’appliquent de manière
permanente à tous les types et systèmes d’armes. L’art. 36 du Protocole additionnel I
prévoit que les Etats vérifient systématiquement la compatibilité des nouvelles
armes avec le droit international humanitaire.
31 William Perry, Desert Storm and Deterrence, Foreign Affairs 1991, n° 4, p. 66-82.
32 Münkler, op. cit. 17, p. 10. 33 Michael N. Schmitt, The Impact of High and Low-Tech Warfare on the Principle of
Distinction, in: Roberta Arnold et Pierre-Antoine Hildbrand, International Humanitarian
Law and the 21st Century’s Conflicts: Changes and Challenges, Lausanne 2005, pp. 169-189.
34 Giles Kyser, Matt Keegan et Samuel A. Musa, Applying Law Enforcement Technology to
Counterinsurgency Operations, Joint Force Quarterly 2007, n° 3, pp. 32-38.
10
Certaines armes peuvent poser des problèmes à l’interprétation de ces principes. Il a
ainsi été remarqué très tôt que l’utilisation des mines antipersonnel ou des armes
nucléaires, par exemple, contredisait en soi le droit international humanitaire35 car
elles ne permettent pas de distinction entre combattants et civils. C’est pourquoi leur
utilisation devrait toujours être interdite. De nombreux Etats se sont cependant
exprimés contre une telle interdiction. Dès lors, afin de résoudre les divergences
d’interprétation, le modèle de conclusion de conventions spécifiques visant les
différents types d’armes a été préféré. Il existe aujourd’hui des traités pour toute une
série d’armes: chimiques, biologiques, mines antipersonnel et marines, jusqu’aux
armes nucléaires et à laser aveuglantes.36 Si, dans les années 1970, l’attention était
concentrée sur les armes atomiques, elle s’est orientée, dans les années 1980 et
1990, vers les armes biologiques, chimiques et enrichies à l’uranium, puis, plus
récemment, vers les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions. Aujourd’hui,
il existe quelque 50 traités spéciaux sur les armes.
Le domaine du droit international humanitaire relatif aux armes est celui qui s’est
développé le plus ces dernières années. Il s’agit d’un processus continu, qui a fait
ces preuves, par lequel les armes nouvelles et anciennes sont soumises à un dialogue
international constant quant à l’acceptabilité de leur utilisation. En général, les
accords existants sur les armes se limitent formellement à leur applicabilité par les
organes étatiques. Mais aujourd’hui, de nombreuses interdictions s’appliquent
également aux conflits armés non internationaux, au travers du droit international
coutumier, et par là même aux acteurs non étatiques.37 Dans ce contexte, on peut
dire que le droit international humanitaire a trouvé une manière judicieuse de tenir
compte du problème d’interprétation du droit relatif aux armes. Malgré ce régime
spécial, le discours sur un grand nombre d’innovations techniques des méthodes et
moyens de guerre n’est pas repris par la communauté internationale. Les attaques
informatiques par exemple, en tant que nouvelle méthode de guerre, font à l’heure
actuelle uniquement l’objet d’évaluations par des experts. Leur réglementation est
donc renvoyée aux principes généraux.
Pour le droit international humanitaire, ces nouvelles technologies tendent à favoriser le respect du principe de distinction et la minimisation des dommages collatéraux. Pour l’heure, ces technologies peuvent être considérées comme des évolutions positives.38 La technicisation croissante de la guerre éloigne toutefois les parties en conflit les unes des autres. Les systèmes d’armes téléguidées éloignent encore leurs opérateurs des actions de combat, à l’instar des pilotes qui effectuent des bombardements, ce qui peut avoir un effet désinhibant par rapport à l’usage des
35 La Cour internationale de justice a traité cette question épineuse en 1996, cf. CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996, Recueil
CIJ 1996, p. 226 ss.
36 Cf. composition détaillée dans William Boothby, Weapons and the Law of Armed Conflict, Oxford 2009.
37 Henckaerts et Doswald-Beck,.op. cit.8, 4e partie.
38 Schmitt, op. cit. Error! Bookmark not defined., p. 175.
11
armes.39 D’une part, les destructions ainsi causées et leur responsabilité morale prennent une dimension abstraite. D’autre part, la distance géographique séparant les adversaires entraîne une immunité face aux représailles, ce qui peut réduire la motivation à épargner l’ennemi.40 Il est cependant impossible, dans la pratique, de déterminer avec certitude si ces effets secondaires affectent davantage la population civile que ceux des anciens systèmes d’armements. A cet égard, l’attention se focalise sur le respect des principes reconnus, et non sur une réforme substantielle du droit.
3.3 Utilisation croissante des tactiques de guérilla…
L’apparition d’acteurs non étatiques techniquement inférieurs à leurs adversaires étatiques a favorisé la propagation des tactiques de guérilla. L’élément clé des tactiques actuelles de guérilla ne réside plus dans la stratégie «hit and run» des années 1960, mais dans la bombe urbaine, qui est toujours déposée sous la forme d’une attaque suicide.41 Les forces gouvernementales disposant généralement de moyens militaires plus importants que ceux des acteurs non étatiques, la tentation de miser sur des tactiques de guérilla est donc universelle pour les parties les plus faibles. Dans cette optique, la population civile revêt un double intérêt aux yeux de ces dernières, d’une part en tant que lieu de repli et base de combat, d’autre part comme cible d’attentats.42
Les groupes armés recherchent des bases de combat dans des zones construites placées au cœur de la population civile.43 Dans de nombreux conflits, notamment la guerre de Gaza de 2008 et le Sri Lanka en 2009, des personnes et des biens civils sont mis en danger par les combattants qui se fondent dans la population, habillés en civil, pour lancer leurs attaques. Lorsque des cibles militaires sont attaquées, c’est sous la forme de sabotages ou d’embuscades, parfois sous la protection trompeuse d’un statut protégé. Tout cela force la partie plus puissante à lutter contre les rebelles au sein même de la population civile.
Même si le soutien apporté aux insurgés par la population locale est important, elle fait pourtant l’objet d’actes terroristes (attaques directes, pillages, prises d’otages) en guise d’actions punitives, d’intimidations, de propagande ou pour enflammer des tensions ethniques ou religieuses.44 Les attaques visent aussi à rendre difficiles ou impossibles la présence et l’activité des organisations internationales dans un conflit, ou à affaiblir le soutien d’un groupe cible. Les personnes généralement visées font partie des services sanitaires, des œuvres d’entraide internationales, de la police ou des médias.
39 Schmitt, op. cit. Error! Bookmark not defined., pp. 180-181.
40 Slim, op. cit.5, p. 53-59. 41 KILCULLEN, op. cit. 11, p. 120. 42 Sur la tactique de guérilla, voir DAVID GALULA, Counterinsurgency Warfare: Theory and
Practice, Westport 2006, chapitres 1-3. 43 KILCULLEN, op. cit. 11, pp. 119-121. 44 Cf. HUGO SLIM, Killing Civilians: Method, Madness, and Morality in War, New York
2008.
12
Le droit international humanitaire en vigueur traite ces cas d’une manière relativement complète,45 liant les acteurs non étatiques comme les acteurs étatiques. Le fait de feindre d’avoir le statut protégé de civil ou un autre statut protégé (p. ex. membre du personnel sanitaire ou religieux, membre de l’ONU) afin de tuer, blesser ou capturer un adversaire constitue un acte de perfidie contraire au droit international.46 La mise en danger délibérée de personnes et de biens civils par des combattants en civil qui se sont mêlés à la population civile pour lancer des roquettes est en contradiction flagrante avec l’obligation que le droit international impose à toute partie à un conflit de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection des personnes et des biens concernés.47 L’utilisation de boucliers humains constitue également une grave infraction au droit international humanitaire,48 de même que l’utilisation abusive et délibérée d’objets protégés (bâtiments religieux, hôpitaux, biens culturels) aux fins de protéger des objectifs militaires ou pour servir de base à des actions de combat.49
Le droit international humanitaire interdit tout aussi clairement les attaques contre la population civile. Il en va de même pour les enlèvements, les attentats suicides contre des marchés, des mosquées ou des écoles, les tortures et autres actes de terrorisme.50 Seules les attaques contre des objectifs militaires entrent dans le cadre du droit international humanitaire, même si elles prennent la forme d’attaques suicides.
En guise de résumé, on peut dire que presque tous les scénarios des tactiques de guérilla enfreignent l’obligation de distinction. Pour ceux qui utilisent ces tactiques, le respect du droit international humanitaire constitue un désavantage militaire. Il est donc difficile d’amener les groupes armés à le respecter.51
3.4 … et des tactiques antiguérilla
La tactique de guérilla place la partie la plus puissante face à des problèmes
spécifiques: même un petit groupe d’insurgés peut répandre la peur et le chaos par
des actes de violence sporadiques.52 Afin d’empêcher de telles actions, les troupes
gouvernementales doivent déployer une forte présence, une règle militaire indiquant
45 Voir en particulier MICHAEL M. SCHMITT, Asymmetrical Warfare and International Humanitarian Law, dans: Wolff Heintschel von Heinegg et Volker Epping (éd.), International Humanitarian Law Facing New Challenges, Berlin 2007, pp. 11-48.
46 Art. 37 Protocole additionnel I (RS 0.518.521). 47 Art. 58 (b) Protocole additionnel I (RS 0.518.521) et art. 13, par. 1 Protocole additionnel
II (RS 0.518.522). 48 Art. 28 Convention de Genève IV (RS 0.518.51), art. 51, par. 7 Protocole additionnel I
(RS 0.518.521). 49 Art. 8, par. 2(b) xxii et xxiv Statut de Rome de la Cour pénale internationale (RS
0.312.1). 50 Art. 3 commun aux Conventions de Genève; art. 4 Protocole additionnel II; concernant
l’interdiction des actes terroristes, voir art. 33 Convention de Genève IV; art. 51, par. 1 Protocole additionnel I; art. 4, par. 2, let. d et art. 13, par. 2 Protocole additionnel II.
51 Concernant l’initiative de «l’Appel de Genève», voir www.genevacall.org. Au travers de l’ONG Geneva Call, la Suisse soutient les efforts visant à amener les groupes armés non étatiques à respecter le droit international humanitaire et en particulier à renoncer aux mines antipersonnel.
52 David Petraeus et James Amos, The US Army / Marine Corps Counterinsurgency Field
Manual, Chicago 2007, p. 4.
13
un rapport de forces de 1 contre 10 par rapport aux groupes armés : face à
5000 rebelles dans un pays, il convient d’opposer 50 000 soldats. Seul un quart des
Etats environ peut mobiliser de tels contingents, et peu ont réussi à emporter la
victoire à ce jour.53
Les tactiques antiguérilla (counter-insurgency) visent à isoler puis à arrêter les
combattants irréguliers. A cet égard, les informations des services de renseignements
revêtent une importance particulière.54 Elles permettent de trouver les insurgés et de
mener des opérations ciblées, qui aboutissent dans les cas les moins graves à
l’arrestation et à la poursuite pénale des suspects, et dans les cas plus compliqués à
des exécutions ciblées. La bonne qualité des informations pour les campagnes
antiguérilla étant indispensable, il est tentant de les obtenir des suspects en usant de
méthodes d’interrogatoire agressives.
Le dispositif répressif mis en place s’accompagne souvent de mesures de contrôle de
la population55 : des contrôles d’identité sont effectués lors de barrages routiers ou
de patrouilles dans les quartiers urbains afin d’empêcher les attaques contre la
population civile. L’internement de personnes que l’on estime représenter un risque
de sécurité fait également partie des mesures envisagées. Mais l’invisibilité des
insurgés au milieu de la population incite à renoncer à faire la distinction entre
combattants et civils.56 La partie au conflit la plus forte peut avoir tendance à ne pas
se préoccuper des souffrances des civils dans la conduite de ses opérations
militaires, voire à faire l’amalgame entre la population civile et les insurgés armés.
Les discriminations systématiques, les persécutions, les punitions collectives et les
représailles sont fréquentes, les nettoyages ethniques et/ou les génocides étant plus
rares.
Les réponses militaires aux tactiques de guérilla doivent se conformer aux exigences
du droit international humanitaire.57 Il règne aujourd’hui un consensus sur le fait que
la majorité des dispositions du Protocole additionnel I s’applique également aux
conflits non internationaux par le biais du droit coutumier.58 Là aussi, il est interdit
de s’en prendre à la population civile. Même si des combattants se mêlent à la
population civile et l’utilisent comme bouclier humain au mépris du droit, il
convient de prendre des mesures afin d’effectuer les attaques de manière ciblée et
d’épargner autant que possible les civils (par exemple en les avertissant
préalablement). Si par exemple un seul combattant légèrement armé se trouve dans
53 Petraeus et Amos, op. cit. 52, p. 22. 54 Petraeus et Amos, op. cit. 52, p. 41, 79 ss.
55 Kilcullen, op. cit.1, p. 123.
56 Petraeus et Amos, op. ci. 52, p. xxxvii (préface de Sarah Sewall). 57 Voir Stephan Hobe, Das humanitäre Völkerrecht in asymmetrischen Konflikten:
Anwendbarkeit, modifizierende Interpretation, Notwendigkeit einer Reform?, in:
Zimmermann/Hobe/Odendahl/Kieninger/König/Marauhn/Thorn/Schmalenbach (éd.), Moderne Konfliktformen, Humanitäres Völkerrecht und privatrechtliche Folgen,
Heidelberg 2010, pp. 41-85.
58 Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. 8, partie V.
14
une zone d’habitation densément peuplée, la destruction de cette zone constitue une
infraction au droit international humanitaire. Cela s’applique même lorsque le
combattant s’est précisément réfugié dans la zone d’habitation pour bénéficier de
cette protection, en violation de l’interdiction d’utiliser des civils comme boucliers
humains.
Un problème apparaît quant à l’application du principe de distinction en relation
avec le phénomène revolving door: Si un combattant dépose ses armes et retourne à
la vie civile pour une période plus ou moins longue, la question se pose de savoir s’il
peut être tué dans le cadre d’un conflit armé prolongé.59 La règle de l’art. 51, al. 3 du
Protocole additionnel I et de l’art. 13 du Protocole additionnel II constitue une
véritable charnière entre les statuts des personnes protégées et non protégées.60
Selon ces dispositions, les personnes civiles bénéficient du droit à être protégées
contre les dangers résultant d’opérations militaires «sauf si elles participent
directement aux hostilités».61 Pour les troupes gouvernementales, il est tentant de
refuser totalement le statut de civils aux insurgés62 ou d’interpréter cette disposition
de manière élargie, en considérant qu’il y a participation directe dès la préparation
des actions de combat, ce qui a pour conséquence la perte de la protection. Afin
d’éviter toute ambiguïté, le CICR a récemment publié une étude sur le concept de
«participation directe aux hostilités»,63 qui indique que les membres de groupes
organisés armés assumant une fonction de combat continue («continuous combat
function») perdaient leur protection pendant la durée de leurs activités.64 Selon ce
principe, le chef d’un groupe armé organisé surpris à faire ses courses au
supermarché pendant un conflit armé peut être abattu de manière ciblée.65
Il y a moins d’ambiguïtés dans le droit actuel concernant les assassinats ciblés
(targetd killings) tels que ceux qui ont été réalisées récemment aux Etats-Unis contre
des membres de réseaux terroristes comme Al-Qaida. Les Etats-Unis sont l’un des
pays qui défendent la position selon laquelle le droit international humanitaire
devrait être adapté aux nouvelles formes de violence comme le terrorisme
transnational. Cependant, le droit international humanitaire ne s’applique que
lorsque les hostilités atteignent le seuil d’un conflit armé, comme c’est le cas de
nombreux actes de violence perpétrés par des acteurs non étatiques en Afghanistan
59 Erez Zaionce et Roni Bart, Adapting the Laws of War to Low Intensity Warfare, Strategic
Assessment 2008, n° 2, pp. 29-45. Concernant les assassinats ciblés, voir Nils Melzer, Targeted Killing in International Law, Oxford 2008.
60 Voir également art. 3, par. 1 des Conventions de Genève.
61 Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. 8, p. 22-24. 62 Il est difficile de savoir si les membres de groupes armés doivent être considérés comme
des civils dans les conflits armés non internationaux. Cf. Henckaerts et Doswald-Beck,
op. cit. 8, p. 19. 63 Voir CICR, op. cit. Error! Bookmark not defined..
64 Voir CICR, op. cit. Error! Bookmark not defined., p. 71-73.
65 L’exemple est repris de Sassòli et Olson, op. cit. 30, p. 613.
15
et en Irak.66 Ce sont les seules circonstances qui permettent une discussion
concernant la légalité d’un assassinat cibé. La plupart des activités de prévention ou
de répression des actes terroristes ne s’inscrivent toutefois pas dans le cadre de
conflits armés. Or, un assassinat ciblé commis hors de ce cadre viole certains droits
de l’homme élémentaires tels que le droit à la vie.
Outre les combats directs contre des insurgés, le droit international humanitaire
traite également d’autres tactiques antiguérilla. Il interdit par exemple le refus de
l’aide humanitaire, obligeant ainsi les parties en conflit à assurer à tout moment la
protection des civils contre les dangers résultant d’opérations militaires.67 Si des
membres de milices ou de groupes d’opposition tombent aux mains du
gouvernement, ils bénéficient de la protection de l’art. 75 du Protocole additionnel I
ainsi que de l’art. 3 commun aux Conventions de Genève. Ils doivent alors être
traités humainement. La torture est interdite, même pour obtenir des informations
cruciales sur des attaques en préparation ou sur la structure d’un réseau terroriste.68
En outre, ces détenus peuvent être soumis au droit pénal national. Les individus qui
n’ont pas commis d’actes répréhensibles en vertu de ce droit peuvent être internés
pour des motifs de sécurité impérieux69 propres à chacun. Si les motifs justifiant
l’internement ne sont plus réunis, celui-ci doit être levé. Enfin, le déplacement forcé
de la population civile est interdit dans la mesure où il n’est pas requis pour la
sécurité de ces personnes ou pour des raisons militaires impératives.70
Contrairement aux tactiques de guérilla, qui impliquent presque toujours de violer
les règles du droit international humanitaire, les tactiques antiguérilla peuvent être
menées en se conformant au droit. Pour autant, la tentation de s’affranchir de tout
scrupule et de faire fi des règles du droit international humanitaire est grande là aussi
et les transgressions sont fréquentes, car l’image d’une population civile innocente
est ressentie comme erronée.71 Mais le respect du droit international humanitaire
présente lui aussi des avantages: épargner la population civile permet de s’assurer sa
bienveillance, ce qui se révèle essentiel pour la réussite des campagnes antiguérilla.
Dans ce sens, les intérêts humanitaires et militaires ne s’opposent pas vraiment.
66 Concernant la notion de conflit armé, voir les travaux de la Commission du droit
international, qui nie également l’existence d’un conflit armé global entre Al-Qaida et les
Etats-Unis. Cf. International Law Association , Initial Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law, août 2008, http://www.ila-
hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1022. Voir également à ce sujet Mary Ellen
O’Connell, Defining Armed Conflict, Journal of Conflict & Security Law 2009, n° 3, p. 393-400.
67 Art. 48-58 Protocole additionnel I (RS 0.518.521).
68 Concernant les traitements inhumains et dégradants, voir Knut Dörmann, Elements of War Crimes Under the Rome Statute of the International Criminal Court, Cambridge
2003, pp. 44-75, 314-324.
69 Art. 41 et 78 Convention de Genève IV (RS 0.518.51). 70 Art. 17 Protocole additionnel II (RS 0.518.522).
71 Voir Charles J. Dunlap, Jr., The End of Innocence: Rethinking Noncombattancy in the
Post-Kosovo Era, Strategic Review 2000, n° 3, pp. 9-17.
16
3.5 Déplacement des zones de combat vers la population civile
Le droit international humanitaire prévoit une protection large des populations
civiles, aspect cardinal des Conventions de Genève. Il est d’autant plus grave que les
conflits armés contemporains placent la population au centre des opérations
militaires. De ce fait, un grand nombre des victimes de guerre ne sont pas des
combattants mais des civils.72 Pendant les deux guerres mondiales déjà, ces derniers
ont subi des bombardements massifs et, au Japon, les conséquences de l’utilisation
de la bombe atomique. Nul doute que des personnes non impliquées dans la guerre
avaient déjà auparavant été victimes de souffrances et d’horreurs liées aux conflits73
mais la fusion progressive des espaces civil et militaire entrave davantage le principe
de distinction. Cela advient d’une part sur le plan géographique, lorsque des insurgés
utilisent des zones d’habitation comme bases de combat, et d’autre part sur le plan
humain, lorsqu’ils se font passer pour des civils et se servent de boucliers humains.
Dans de telles situations, le droit international humanitaire se révèle parfois moins
clair, exigeant de mettre en balance les intérêts militaires et humanitaires. Les
dommages collatéraux ne sont pas interdits tant qu’ils ne sont pas disproportionnés.
Il en résulte que le sens et la finalité des principes humanitaires sont de plus en plus
remis en question car ils sont perçus comme des obstacles injustifiés à la réussite des
campagnes militaires.74 Dans ce contexte, les défis qui se posent au droit
international humanitaire portent principalement sur son application.
3.6 Conflits prolongés de moindre intensité
Dans les zones de crise actuelles, les groupes armés se forment facilement. Leur
destin est intimement lié à celui de la population locale. Les processus de paix sont
fragiles et s’enrayent rapidement sous le coup d’actes de violence ciblés.75 Il en
résulte que les conflits armés contemporains durent souvent plus de dix ans.76 En
outre, guerre et paix se confondent souvent, par exemple dans les situations
d’occupation. De vastes zones de la Cisjordanie et des hauteurs du Golan sont
occupées par Israël depuis 1967. Dans ce cas comme dans d’autres, les litiges
évoluent dans une zone floue entre conflits armés et autres situations de violence.
72 Concernant les difficultés d’établir des statistiques précises dans ce domaine, voir Adam
Roberts, Lives and Statistics: Are 90% of War Victims Civilians?, Survival 2010, n° 3,
pp. 115-136. 73 Slim, op. cit. 5, p. 71 ss.
74 Zaionce & Bart, op. cit. 59.
75 Stephen Stedman, Spoiler Problems in Peace Processes, International Security 1997, n° 2, pp. 5-55.
76 James Fearon, Ethnic Mobilization and Ethnic Violence, in: Barry R. Weingast, Donald
A. Wittman, The Oxford Handbook on Political Economy, Oxford 2006, p. 3.
17
La persistance des conflits armés ne représente pas un défi de premier plan pour le
droit international humanitaire, qui s’applique dans le cadre de ces conflits. En outre,
les Conventions de Genève règlent spécifiquement le cas de l’occupation.77
Cependant, une lecture des dispositions en question montre que le droit de Genève
repose sur une situation provisoire. Fondées sur l’hypothèse d’une fin rapide de
l’occupation, les Conventions de Genève se concentrent essentiellement sur le
maintien du statu quo. Ce qui est certes parfaitement judicieux concernant, par
exemple, les colonies, mais peut entraîner des problèmes dans d’autres cas. Ainsi, le
droit en vigueur exige le maintien de la législation qui existait avant l’occupation.78
Cette condition, illusoire dans le cas d’une présence qui dure depuis des décennies et
qui vise un changement de régime, peut entraîner pour la population locale la perte
de droits politiques qui ne lui reviendront qu’après la fin, totalement imprévisible, de
l’occupation.79 Il manque également une obligation plus large de veiller durablement
au sort de la population des zones occupées, notamment en investissant dans la
formation, les infrastructures, l’accès au commerce, etc.
En réaction à cela, une opinion majoritaire estime que les droits de l’homme sont à
respecter en complément des Conventions de Genève. Dans son avis consultatif de
2004 sur le mur de séparation érigé par Israël, la Cour internationale de justice a
confirmé cette position.80 Le droit international humanitaire et les droits de l’homme
ne seront donc plus perçus comme opposés. La possibilité pour la puissance
occupante de respecter les droits de l’homme détermine également l’étendue de ses
obligations. Ainsi, les droits tels que le droit à la vie, à la liberté d’expression, au
respect de la sphère privée ou à la famille se voient accorder plus de poids.81
Le cas de l’occupation est en effet représentatif d’un défi général: la durée et le non-
règlement d’un grand nombre de conflits armés contemporains signifient que la
frontière est floue entre conflits armés et autres situations de violence mais aussi
entre paix et guerre. Pour les conflits de faible intensité, il est rarement possible de
déterminer clairement si le conflit armé prédomine. Lorsque les institutions
77 Titre III, sections 1 et 3 de la IVe Convention de Genève, elle-même fondée sur le règlement de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre. Pour plus de
précisions sur cette question, voir Eyal Benvenisti, The International Law of Occupation,
2e éd., Princeton 2004. 78 Art. 64 Convention de Genève IV (RS 0.518.51); art. 43 Règlement de La Haye
concernant les lois et coutumes de la guerre (« …en respectant, sauf empêchement absolu,
les lois en vigueur dans le pays »). 79 Adam Roberts, Prolonged Military Occupation, in: Emma Fairplay (éd.), International
Law and the Administration of Occupied Territories: Two Decades of Israeli Occupation
of the West Bank and the Gaza Strip, Oxford 1992, p. 33. Voir également à ce sujet Daniel Thürer et Malcolm MacLaren, Ius Post Bellum: A Challenge to the Applicability
and Relevance of International Humanitarian Law, in: Festschrift für Jost Delbrück,
Berlin 2005, pp. 753-782. 80 CIJ, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien
occupé, avis consultatif, 9 juillet 2004, CIJ Recueil 2004, par. 106 ss.
81 Voir Pactes I et II de l’ONU.
18
publiques ont été détruites, se pose alors la question du respect des droits de
l’homme dans le contexte de la reconstruction. L’interaction entre le droit de la
guerre (domaine du droit international humanitaire) et le droit de la paix (domaine
des droits de l’homme) revêt alors une importance accrue. Ainsi, le débat sur
l’admissibilité des assassinats ciblés concerne non seulement le statut des insurgés
conformément au droit international humanitaire, mais aussi leur droit à la vie et à
un procès équitable82. Comprendre que le droit international humanitaire et la
protection générale des droits de l’homme doivent se compléter dans de telles
situations constitue un pas dans la bonne direction. Mais de nombreuses questions
portant sur cette interaction exacte doivent encore être clarifiées. Il n’y a
actuellement pas encore unanimité quant à la mesure dans laquelle les Etats sont
également liés de manière extraterritoriale par leurs obligations en matière de droits
de l’homme.83 Par ailleurs, des débats ont lieu quant à l’obligation pour les acteurs
non étatiques de respecter ces droits. Un exemple de situation pouvant donner lieu à
des ambiguïtés est celui du traitement des détenus par les troupes multilatérales. Les
expériences des soldats de l’OTAN en Afghanistan ont clairement montré que le
droit international était difficile à déterminer car il se trouve à l’intersection entre la
protection des droits de l’homme et du droit international humanitaire.84 D’autres
questions d’interprétation sont vraisemblablement à prévoir.85
4 Possibilités de développement du droit international humanitaire
Comme l’analyse qui précède le souligne, le droit international humanitaire conserve
sa pertinence pour la plupart des aspects des conflits armés contemporains. Les
principes fondamentaux tels que la distinction et la proportionnalité restent valables
dans les guérillas, qui représentent aujourd’hui la principale forme de conduite de la
82 Marco Sassòli et Laura M. Olson, The relationship between humanitarian and human
rights law where it matters: admissible killing and internment of fighters in non-
international armed conflicts, Revue internationale de la Croix-Rouge 2008, n° 871, pp. 599-627. Concernant la question de l’application extraterritoriale des obligations en
matière de droits humains, voir le cas du mur dans le territoire palestinien occupé, op. cit.
80, par. 107 ss. 83 Au sujet de cette controverse, voir notamment Fons Coomans et Menno Kamminga,
Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Mortsel 2004.
84 Sassòli & Olson, op. cit. 82, p. 616 ss.; voir également les contributions consacrées au thème “Security Detention”, in: Case Western International Law Journal 2009, n° 3;
Bruce Oswald, Detention of Civilians on Military Operations: Reasons for and challenges
to developing a special law of detention, Melbourne University Law Review 2008, n° 2, pp. 524-553. Depuis 2007, une initiative danoise s’est fixé pour objectif de clarifier les
questions en suspens concernant le traitement des détenus des troupes de la coalition.
Cette initiative est née des incertitudes juridiques apparues en Afghanistan. Cf. Dänisches Aussenministerium, Non-Paper on Legal Framework and Aspects of Detention,
www.ambottawa.um.dk/NR/rdonlyres/F5364962-DC30-4333-9EFC-
1B612B43DC28/0/NonpaperCopenhagenConference.pdf. 85 Voir également Rosa Brooks, War Everywhere: Rights, National Security Law, and the
Law of Armed Conflict in the Age of Terror, University of Pennsylvania Law Review
2004, n° 2, pp. 675-761.
19
guerre. Ces principes représentent une exigence permanente qui ne saurait être
remise en question, pas même par un non-respect notoire par les parties en conflit.
En outre, le droit de Genève s’est affirmé de manière déterminante, de sorte que les
principes juridiques majeurs sont applicables à la totalité des conflits armés.
Comme le souligne souvent le CICR, le principal défi concerne l’application des
principes humanitaires et non leur développement. Si l’on examine les autres
tendances étudiées dans ce rapport, cette estimation se confirme largement. Les
dispositions du droit international humanitaire sur la technicisation croissante de la
guerre n’affichent aucun déficit fondamental et la validité des règles du droit
international humanitaire est incontestée. Les nouvelles armes sont examinées par la
communauté internationale dans le cadre de négociations spécifiques, une procédure
qui s’est souvent révélée convaincante. De même, pour les tactiques de guérilla et
antiguérilla, les dispositions actuelles du droit international humanitaire se révèlent
pertinentes, en particulier à la lumière de l’évolution du droit coutumier. Les
mesures de la «guerre contre le terrorisme» ne changent rien non plus à cette
analyse. Le droit international humanitaire ne s’applique que lorsque les hostilités
atteignent le seuil d’un conflit armé et ne trouvera donc pas application dans les
autres situations de violence. Il est cependant évident que la plupart des activités de
prévention ou de répression des actes terroristes ne se déroulent pas dans un conflit
armé.
4.1 Besoin de réforme du droit en vigueur
Si de nombreux Etats et le CICR lui-même ont longtemps soutenu que les règles du
droit international humanitaire devaient s’appliquer dans leur intégralité, le CICR a
récemment et, à maintes reprises, rappelé, qu’outre l’application stricte du droit, sa
clarification et son développement pouvaient également être importants.86 Ce
changement de position s’inscrit en réaction aux divergences manifestes dans
l’interprétation des règles existantes et à l’opinion selon laquelle le droit ne peut être
partout et toujours clair. Mais il résulte également de la critique de la société civile,
de la science et de la doctrine.
Une lacune du droit en vigueur particulièrement notable est celle du traitement des
acteurs non étatiques et de l’incitation qu’ont ces acteurs à respecter le droit
international humanitaire ainsi que de la manière d’améliorer cette incitation.87 Bien
que le droit international humanitaire vise en principe à attribuer les mêmes droits et
obligations aux deux parties d’un conflit armé, ce n’est pas le cas dans les combats
entre les forces armées étatiques et groupes armés.88 Selon l’interprétation courante,
86 Jakob kellenberger, Discours d’ouverture, 60 ans des Conventions de Genève et les
décennies à venir, Genève 9-10 novembre 2009, Berne 2010, pp. 46-49. 87 Michelle L. Mack, Compliance with International Humanitarian Law by Non-State
Actors in Non-International Armed Conflicts, International Humanitarian Law Research
Initiative Working Paper, Harvard 2003, http://ihl.ihlresearch.org. 88 Cela n’est possible qu’en cas exceptionnel, cf. art. 1, par. 4 Protocole additionnel I (RS
0.518.521). Malgré une grande pertinence politique en 1977, la disposition concernant les
guerres de libération n’a jamais été appliquée.
20
les membres de groupes armés sont d’abord des civils et ne perdent leur protection
contre les attaques que lorsqu’ils participent directement aux hostilités. Cela
défavorise les troupes gouvernementales qui, selon le droit international
humanitaire, représentent des cibles militaires légitimes et peuvent être attaquées à
tout moment. D’un autre côté, les insurgés peuvent être jugés sur la base du droit
national pour leur simple participation aux hostilités, car le privilège du combattant
ne leur est pas accordé. Cette inégalité de traitement remonte à la séparation entre
conflits internationaux et non internationaux sur laquelle reposent toujours les
Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, et qui en fait ne semble
plus vraiment justifiée de nos jours. Certaines évolutions récentes du droit
international coutumier ont certes contribué à limiter cette distinction, mais celle-ci
perdure dans le traitement des acteurs non étatiques.
Ce problème suggère une nouvelle réglementation qui prévoirait les mêmes
dispositions pour tous les conflits armés (à partir de l’art. 3 commun aux
Conventions de Genève).89 Le privilège du combattant serait également accordé à
d’autres groupes sous réserve de certaines conditions, qui pourraient dériver de
celles que prévoient déjà les Conventions de Genève pour les partisans à savoir, être
soumis à une discipline interne, être reconnaissables par les tiers en tant que
combattants, porter leurs armes ouvertement et respecter en tant que groupe le droit
international humanitaire.90 Une telle réforme pourrait lever les incertitudes
juridiques qui subsistent au sujet des acteurs non étatiques et qui permettent, dans la
pratique, les Etats concernés d’adopter leur propre interprétation du droit. Par
ailleurs, elle inciterait pour la première fois les insurgés à se conformer au droit
international humanitaire.
D’autres questions, telles que celles qui sont liées aux conflits prolongés, doivent
encore être résolues. De par l’effacement croissant de la frontière entre conflits
armés et autres situations de violence, les dispositions fondées sur une distinction
entre ces deux phénomènes ne peuvent apporter aucune clarté aux règles
applicables. Dans les faits, les droits de l’homme jouent un rôle de plus en plus
important en parallèle au droit international humanitaire, ce qui génère une certaine
insécurité juridique. Ce problème affecte particulièrement le droit international
humanitaire dont les dispositions concernant l’application sur le terrain doivent être
aussi claires que possible.
En outre, suite aux résultats de la conférence de novembre 2009 pour le
60e anniversaire des Conventions de Genève, les mécanismes d’application et de
contrôle du droit international humanitaire doivent faire l’objet d’un examen
détaillé.91 Les débats pourraient s’appuyer sur les Lignes directrices de l’Union
89 Dieter Fleck, The Law of Non-International Armed Conflicts, in: Dieter Fleck (éd.), The
Handbook of International Humanitarian Law, 2e éd., Oxford 2008, p. 611 ss. Une telle
simplification comporte également de sérieux avantages opérationnels, voir p. 629. 90 Art. 4A, par. 2 Convention de Genève III.
91 DFAE, 60 ans des Conventions de Genève et les décennies à venir, Berne 2010, pp. 99-
101.
21
européenne concernant la promotion du droit humanitaire international de 2005 et
2009.92 Se posent en particulier des questions relatives à la prévention, aux enquêtes
(«fact-finding»), à la répression et aux réparations.93
Par ailleurs, le droit international humanitaire peut être développé dans les domaines
suivants: protection des prisonniers et des personnes internées dans les conflits
armés non internationaux94, protection des déplacés internes95, protection de
l’environnement96, interventions des opérations de maintien de la paix97 et accès des
acteurs humanitaires aux personnes nécessitant une protection.
4.2 Faisabilité politique
Deux options se présentent. La première consiste en une reformulation du droit des
Conventions de Genève sur la base d’un nouveau traité à savoir, un quatrième
Protocole additionnel. La seconde correspond à une remise à jour du droit
international humanitaire par des consultations informelles d’experts et par
l’élaboration de directives et de manuels pratiques. Ces documents pourraient
apporter des solutions avec un certain degré de force contraignante à des questions
d’actualité. Il s’agit d’influencer en douceur et à long terme l’évolution du droit
coutumier.98 En d’autres termes, le choix est posé entre une approche
révolutionnaire et une démarche évolutionnaire. Quelle stratégie garantira la plus
grande réussite?
92 Lignes directrices révisées de l’Union européenne concernant la promotion du droit
humanitaire international, JO C 303 du 15.12.2009, p. 12; Lignes directrices de l’Union
européenne concernant la promotion du droit humanitaire international, JO C 327 du 23.12.2005, p. 4. Voir à ce sujet Morten Knudsen, Les lignes directrices de l’UE
concernant la promotion du respect du DIH et leur mise en oeuvre, in: L’Union
européenne et le droit international humanitaire, Paris 2010, pp. 175-182. 93 CICR, Améliorer le respect du droit international humanitaire, Genève 2003.
94 En 2005, le CICR a publié des directives formulant les garanties minimales du droit
coutumier en relation avec les internements dans les conflits internes. Jelena Pejic, Principes en matière de procédure et mesures de protection pour l’internement/la
détention administrative dans le cadre d’un conflit armé et d’autres situations de violence,
Revue internationale de la Croix-Rouge 2005, n° 858, pp. 375-391; Sassòli & Olson, op. cit. 30, pp. 616-627.
95 CICR, Le déplacement interne dans les conflits armés: faire face aux défis, Genève 2009.
Voir également la « Politique du Mouvement relative au déplacement interne » adoptée en 2009 par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
96 PNUE, Protection de l’environnement pendant les conflits armés: inventaire et analyse du
droit international, Nairobi 2009. 97 CICR, Report of the Expert Meeting on Multinational peace operations: Applicability of
International Humanitarian Law and International Human Rights Law to UN Mandated
Forces?, Genève 2004. 98 David Wippman, Introduction: Do New Wars Call for New Laws?, in: David Wippman et
Matthew Evangelista (éd.), New Wars, New Laws? Applying the Laws of War in 21st
Century Conflicts, New York 2005, p. 13.
22
De manière générale, la communauté internationale a plusieurs fois réagi aux
changements de nature des conflits. Le Protocole de 1925 sur l’emploi des gaz
asphyxiants et les Conventions de Genève de 1929 sont par exemple nés des
réactions à l’utilisation de gaz toxiques et au traitement des prisonniers de guerre
durant la Première Guerre mondiale. L’ampleur à ce jour unique des souffrances
subies par la population civile durant la Seconde Guerre mondiale a été à l’origine
de la quatrième Convention de Genève de 1949, et le Protocole additionnel de 1977
résultait en partie des guerres nationales de libération des années 1960 et 1970. Une
série d’accords spéciaux a permis de régir tous les types d’armements.
Mais de nombreux progrès ont été atteints sans révision du droit. Depuis 1977, le
schéma consiste à ne pas toucher au droit écrit mais à le développer en permanence
par la pratique bien que cela ne permette jamais d’éviter totalement les problèmes
d’insécurité juridique. Ainsi, on a évité le risque qu’un échec des négociations d’un
traité affaiblisse la protection juridique existante (en ne reprenant pas ou en allégeant
des règles contestées) ou qu’il relativise le caractère universel de son application
(s’il n’était ratifié que par quelques Etats). Tous ces arguments plaident en faveur de
l’option 2, à savoir celle de l’évolution du droit.
Mais est-ce que trois Protocoles additionnels n’ont pas été adoptés depuis 1949, et
cela ne suggère-t-il pas qu’un quatrième serait envisageable? Si l’on s’intéresse à la
genèse des deux Protocoles additionnels de 1977, on obtient un tableau plus concret:
à l’époque déjà, le CICR s’engageait en faveur d’un traitement uniforme des conflits
armés. Il était soutenu en cela par les pays scandinaves, contrairement à la majeure
partie de la communauté internationale. La plupart des Etats se dressaient contre
l’idée de soumettre les conflits internes à un règlement étendu par le droit
international. Les pays du Tiers Monde s’étaient en effet fixés un objectif précis: les
guerres coloniales d’indépendance devaient entrer dans le champ d’application des
Conventions de Genève. Après qu’il fut décidé de déclarer que «les conflits armés
dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation
étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes»99 représentaient des conflits armés au sens du Protocole
additionnel I, de nombreux délégués ont perdu tout intérêt pour l’élaboration du
Protocole additionnel II. Ils soulignaient alors la souveraineté nationale, qui
interdisait tout règlement global des conflits internes.100
99 Art. 1, par. 4 Protocole additionnel I (RS 0.518.521).
100 Concernant les négociations menées et les positions défendues voir David P. Forsythe,
The Legal Management of Internal War: The 1977 Protocol on Non-International Armed Conflicts, American Journal of International Law 1978, pp. 272-295; Laura Perna, The
Formation of the Treaty Law of Non-International Armed Conflicts, Leiden 2006, pp.99-
107; Christopher Greenwood, A critique of the Additional Protocols to the Geneva Conventions of 1949, in: Helen Durham et Timothy L. H. McCormack (éd.), The
Changing Face of Conflict and the Efficacy of International Humanitarian Law, Leiden
1999, pp. 3-20.
23
Les différentes positions qui cohabitaient lors de la Conférence diplomatique au
sujet de l’étendue de la notion de combattant, qui est en relation avec une méthode
fondamentale de guérilla, subsistent aujourd’hui encore et se sont même accentuées
dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. De même, la crainte demeure de voir
le repositionnement juridique des insurgés multiplier les envies de sécession ou de
putsch. L’octroi du privilège du combattant ne les concerne donc pas car il exclurait
au moins partiellement les poursuites pénales des insurgés tout en faisant des soldats
réguliers des cibles d’attaque légitimes.101 Aucun Etat connaissant des problèmes
notables de minorités ne sera disposé à étendre le privilège du combattant. C’est
pourtant là qu’il serait le plus pertinent de placer sur le même plan les conflits armés
internes et internationaux.102 Les chances de parvenir à uniformiser le droit
international humanitaire pour tous les conflits armés par la rédaction d’un
quatrième Protocole additionnel semblent donc faibles.
Mais si un consensus apparaissait pour chercher à placer les deux types de conflits
armés sur le même plan juridique, les débats se concentreraient selon toute
probabilité sur les conditions d’octroi du statut de combattant aux acteurs non
étatiques. Cependant, en plaidant en faveur d’obstacles élevés, le droit existant serait
quasiment maintenu.
Cette estimation jette une ombre sur certains facteurs favorables. Le droit
international humanitaire a été marqué par un nombre croissant de scandales tels que
ceux liés à Abou Ghraib et à Guantanamo, ou par des guerres comme en
Afghanistan, à Gaza et au Sri Lanka. Aux Etats-Unis, la nouvelle administration qui
s’est mise au travail se montre plus bienveillante à l’égard du droit international.
Depuis les années 1990, l’entêtement à brandir la souveraineté nationale face aux
offensives du droit international est de moins en moins accepté. En effet, après
qu’un trop grand nombre de catastrophes nationales telles que celles survenues au
Rwanda, en Somalie, en Yougoslavie, au Timor oriental ou au Soudan aient ouvert
le débat sur l’admissibilité de l’intervention humanitaire et placé au premier plan le
concept de «responsibility to protect» ainsi que le droit à la protection des droits
humains. Dans les années 1970, il n’existait pas encore de société civile
interconnectée à l’échelle mondiale pour stimuler des projets de réforme au niveau
international.
Mais dans le contexte politique actuel, l’ouverture de négociations internationales
sur le développement du droit international humanitaire comporterait un risque de
voir les Etats profiter de l’occasion pour affaiblir plutôt que renforcer leurs
obligations existantes ainsi que les droits de la partie adverse. En outre, certains
Etats utilisant des méthodes antiguérilla pourraient alors s’efforcer d’étendre la
définition des objectifs militaires ou d’assouplir l’interdiction des représailles contre
la population ou les biens civils de l’adversaire afin de disposer de plus grands
101 Fleck, op. cit. 79, pp. 612-613. 102 Les minorités ethniques sont fréquentes. Une étude sur 160 pays a montré que cinq
groupes de minorités en moyenne existaient dans chaque Etat, représentant plus de 1% de
la population totale. Fearon, op. cit. 76, p. 854.
24
moyens pour pouvoir réagir à des violations délibérées.103 La controverse encore
vive menée récemment sur la catégorie américaine des «combattants ennemis
illégaux»104 va dans la même direction, les Etats-Unis demandant de pouvoir les
retenir pour une durée indéterminée et refusant la contestation de la validité
juridique de leur détention.
Toutes ces réflexions mènent à conclure que la tentative de révolutionner le droit de
Genève pourrait déboucher sur son affaiblissement. Il convient donc de ne pas ouvrir
de nouvelles négociations trop précipitamment. Parallèlement, une approche
pragmatique misant sur une mise en avant de la pratique s’impose. Bien sûr, le
succès d’une telle démarche n’est pas non plus garanti. Le droit coutumier repose
sur la pratique étatique. Le manque de volonté de revaloriser les acteurs non
étatiques représente un obstacle qui devrait perdurer tant qu’aucune nouveauté
technique ne révolutionnera la guerre de guérilla au profit de la partie la plus
puissante.
5 Possibilités d’action de la Suisse
Lors de la conférence de novembre 2009 pour le 60e anniversaire des Conventions
de Genève, la Suisse s’est déclarée disposée à faire avancer le débat concernant les
défis du droit international humanitaire. Pour ce faire, l’organisation d’une réunion
périodique offrirait un forum potentiel. Lors de la XXVIe Conférence internationale
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en décembre 1995, la Suisse a demandé en
sa qualité d’Etat dépositaire des Conventions de Genève la tenue d’une rencontre
périodique des Etats parties aux Conventions de Genève, afin d’aborder les
problèmes généraux posés par l’application du droit international humanitaire
(«Réunion périodique sur le droit international humanitaire»).105 A ce jour, la Suisse
103 A l’heure actuelle, les Etats-Unis ne reconnaissent pas cette interdiction des représailles
contre la population civile et la Grande-Bretagne a levé une réserve lors de la ratification
du Protocole additionnel I (RS 0.518.521). 104 Le concept très discuté des «unlawful enemy combatants», introduit par l’administration
américaine suite aux attentats du 11 septembre 2001, n’est pas reconnu en tant que tel par
le droit international. Le terme «enemy combatants» décrit les personnes dont on suppose qu’elles appartiennent à un groupe terroriste ou sont en relation avec lui, et qui ont été
appréhendées dans le cadre de la «global war on terror». L’administration américaine fait
valoir que ces prisonniers ne sont protégés ni par la troisième, ni par la quatrième Convention de Genève. Cependant, les personnes appréhendées dans des conflits armés
internationaux entrent dans le champ d’application de ces deux conventions ou
bénéficient des garanties minimales du droit international coutumier (art. 75 Protocole additionnel I (RS 0.518.521), art. 3 commun aux Conventions de Genève (RS 0.518.12,
0.518.23, 0.518.42, 0.518.51)) et des droits humains. Les personnes qui sont capturées
dans des conflits armés non internationaux bénéficient de la protection des droits humains et des garanties minimales établies à l’art. 3 commun aux Conventions de Genève et dans
le Protocole additionnel II (RS 0.518.522). Voir Knut Dörmann, The legal situation of
“unlawful/unprivileged combatants”, Revue internationale de la Croix-Rouge 2003, n° 849, pp. 45-73.
105 Concernant les fonctions de la Suisse en tant que dépositaire des Conventions de Genève,
voir annexe 2 du rapport de politique étrangère 2007, FF 2007 5291.
25
a déjà organisé un sommet de ce type, à Genève en janvier 1998, sur les thèmes de la
protection du personnel des organisations humanitaires et des conflits armés en
relation avec la désintégration des structures étatiques.
Sur la base des possibilités de développement du droit international humanitaire qui
ont été présentées, il serait temps d’organiser une deuxième réunion périodique des
Etats parties aux Conventions de Genève. Concrètement, on pourrait par exemple
aborder, en concertation avec le CICR, le thème des mécanismes d’application et de
contrôle du droit international humanitaire, qui est important pour la Suisse.
Il convient de maintenir la dynamique qui est née de la conférence pour le
60e anniversaire des Conventions de Genève. A l’égard de la XXXIe Conférence
internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de novembre 2011, les
parties contractantes devraient maintenant être consultées concernant l’attribution
d’un mandat à la Suisse pour convoquer une nouvelle réunion périodique au second
semestre 2012. Il sera toutefois important que ce sommet ne soit pas confondu avec
une éventuelle conférence des Etats parties à la quatrième Convention de Genève
donnant suite au rapport Goldstone. En novembre 2009, la Suisse a été mandatée par
l’ONU pour prendre les mesures nécessaires à la tenue, le plus rapidement possible,
d’une conférence des Etats parties à la quatrième Convention de Genève. Des
consultations sont déjà effectuées à cette fin.
La liste suivante offre un aperçu des initiatives de la Suisse encore en cours ou
récemment clôturées, visant à développer ou à renforcer le contenu du droit
international humanitaire:
- la Suisse participe à la diffusion de l’étude particulièrement remarquée du
CICR sur l’état du droit international humanitaire coutumier;106
- en 2006, la Suisse a lancé en collaboration avec le CICR un processus
international qui a mené en septembre 2008 à l’adoption par 17 Etats du
Document de Montreux sur les entreprises militaires et de sécurité privées107.
Le Document de Montreux énumère les règles déterminantes du droit
international humanitaire, contribuant ainsi à renforcer celui-ci. Depuis 2008,
17 autres Etats l’ont adopté;
- la Suisse a soutenu le projet dirigé par le CICR concernant la clarification du
concept de «participation directe aux hostilités», publié en 2009108;
106 L’étude montre que la majorité des règles de conduite de la guerre en vigueur dans les
conflits armés internationaux représentent du droit coutumier et revêtent également un
caractère obligatoire dans les conflits armés non internationaux. Cf. Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. 8.
107 Op. cit. 27.
108 Op. cit. Error! Bookmark not defined..
26
- en décembre 2009, le Conseil fédéral a fondé le Comité interdépartemental
pour le droit international humanitaire, qui est principalement chargé de
questions liées à l’application du droit;
- en 2009, la stratégie du DFAE pour la protection des civils dans les conflits
armés (2009-2012) a été adoptée, constituant le cadre de référence de
l’engagement du DFAE en faveur de la protection des civils pour les travaux
internes et à l’égard des partenaires externes du département;
- la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits (CIHEF) a
obtenu fin 2009 le statut d’observateur auprès de l’Assemblée générale de
l’ONU.109 La Suisse, qui assure le secrétariat de la CIHEF, avait déposé une
proposition de résolution à cette fin;
- la Suisse a soutenu, par l’apport de ressources financières et en personnel, la
publication, en mars 2010, d’un manuel sur le droit international humanitaire
applicable à la guerre aérienne et à l’utilisation de missiles («Manual on
International Law Applicable to Air and Missile Warfare»).110 Ce document est
déjà cité dans d’importants rapports internationaux111 et différentes grandes
puissances aériennes, dont certains membres permanents du Conseil de
sécurité, se montrent intéressées par des formations. A cet égard, la Suisse
travaille à l’élaboration d’une stratégie visant à assurer une diffusion et une
application les plus larges possibles du manuel;
- en 2003, à l’occasion de la XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-
Rouge et du Croissant-Rouge, la Suisse, la Suède et la Finlande ont promis de
lancer au niveau international un processus de clarification de la question de
l’applicabilité du droit international humanitaire aux attaques informatiques
(«computer network attacks»). Ce processus est encore en cours;
- en décembre 2008, la Suisse a signé la Convention sur les armes à sous-
munitions, dont le processus de ratification est actuellement en cours;
- la Suisse soutient depuis 2009 un projet de recherche sur les défis politiques et
juridiques liés aux groupes armés non étatiques («Ownership of Norms by
Armed Non State Actors»);
- depuis 2009, la Suisse soutient un projet de recherche visant à clarifier des
questions en suspens en relation avec l'accès humanitaire en situations de
conflit armé («Humanitarian Access in Situations of Armed Conflict»).
109 Doc. ONU A/RES/64/121.
110 Disponible en ligne sur: http://amw.ihlresearch.org. 111 Rapport sur les « Targeted Killings » établi pour le Conseil des droits de l’homme par le
professeur Philip Alston, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires (A/HRC/14/24/Add.6), 28 mai 2010.
27
L’objectif consiste en la publication d’un manuel juridique pour clarifier le
cadre normatif et d'un manuel pratique (field manual) en la matière;
- depuis 2010, la Suisse soutient un projet sur les mécanismes d’application et de
contrôle du droit international humanitaire («Monitoring, Reporting and Fact-
Finding on Violations: A Mapping and Assessment of Contemporary Efforts»).
L’armée suisse réalise les cours internationaux suivants en matière de droit
international humanitaire:
- cours «Central Role of the Commander» (CENTROC) tous les deux ans depuis
2004: ce séminaire, qui s’adresse aux commandants et conseillers juridiques, se
propose de transmettre des connaissances sur le droit international humanitaire,
les droits de l’homme et d’autres domaines juridiques relatifs à l’armée.
L’accent est mis sur le rôle décisif du commandant dans l’application du droit;
- concours de droit international humanitaire, tous les deux ans en alternance
avec le cours CENTROC: test pour les commandants et officiers généraux sur
leurs connaissances dans les domaines juridiques pertinents pour les missions
militaires;
- droit international humanitaire et éthique, chaque année depuis 12 ans en
collaboration avec le Comité international de médecine militaire: ce cours
s’adresse au personnel médical militaire;
- «NATO/Partnership for Peace – Non Commissioned Officers Leadership
Courses»: quatre séminaires de deux semaines se tenant chaque année, une
journée étant consacrée au droit international humanitaire et à d’autres
questions juridiques.
Par ailleurs l’armée suisse soutient également, par l’apport de ressources financières
et/ou en personnel, des cours de droit international humanitaire organisés par
d’autres organisations:
- CICR: Senior Workshop on International Rules Governing Military Operations;
- Centre de politique de sécurité de Genève: Annual Senior Officers Security and
Law Conference;
- Comité international de médecine militaire: cours régionaux en Afrique du Sud
et en Arabie saoudite pour le personnel médical militaire;
- Institut international de droit humanitaire de San Remo: cours militaires sur le
droit international humanitaire.
Enfin, il convient de mentionner que, outre les initiatives et les cours sur le droit
international humanitaire mentionnés, la Suisse soutient également des actions de
terrain sur le plan opérationnel ainsi que d’autres acteurs humanitaires, par le
28
détachement de personnel, la fourniture de matériel et l’apport de ressources
financières.
6 Bilan
En réponse au postulat 08.3445 du 20 juin 2008 de la Commission de politique
extérieure du Conseil des Etats, nous pouvons conclure par les quatre points
suivants:
- les quatre Conventions de Genève de 1949 ont été ratifiées par tous les Etats et
s’appliquent universellement. Les Protocoles additionnels aux Conventions de
Genève ont été ratifiés par un grand nombre d’Etats. En outre, la plupart des
règles établies dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels
ou concernant la conduite des hostilités constituent aujourd’hui des normes du
droit international coutumier qui lient toutes les parties à un conflit, acteurs
non-étatiques comme Etats tiers ;
- Les conflits armés contemporains se définissent par la lutte entre adversaires de
forces inégales, au sein et autour de la population civile. Nous constatons les
cinq tendances suivantes: l’importance croissante des acteurs non étatiques, la
technicisation croissante de la guerre, la multiplication des guérillas, le
déplacement des zones de combat vers les zones fréquentées par la population
civile et la prolongation des conflits de moindre intensité. Le droit international
humanitaire tient amplement compte de ces tendances au travers de l’évolution
du droit coutumier;
- le besoin de réforme du droit international humanitaire concerne principalement
le traitement des acteurs non étatiques, la délimitation entre les droits de
l’homme et le droit international humanitaire ainsi que les mécanismes
d’application et de contrôle. Il convient toutefois de ne pas ouvrir de nouvelles
négociations trop précipitamment sur le droit de Genève. Parallèlement, une
approche pragmatique misant sur une mise en avant de la pratique s’impose;
- La Suisse réalise de nombreux projets visant un développement ou un
renforcement du contenu du droit international humanitaire. En outre, elle
pourrait organiser en 2012 une deuxième réunion périodique des Etats parties
aux Conventions de Genève, consacrée aux mécanismes d’application et de
contrôle du droit international humanitaire.
29