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36 TERRITORIAL JURIDIQUE | PRATIQUE Essentielle, l’information juridique ne doit pas être réservée aux seuls spécialistes. Cette rubrique vous propose ainsi chaque mois des décryptages clairs et compréhensibles par tous sur l’ensemble des sujets relatifs aux collectivités territoriales. Elle est réalisée en partenariat avec le cabinet Seban & Associés, premier cabinet d’avocats s’adressant à l’ensemble des acteurs publics avec une approche pluridisciplinaire. En partenariat avec L ’enquête administrative a pour objet de permettre d’établir la réalité et la véracité des accusations et allé- gations portées à la connais- sance de la collectivité. Le régime juridique de l’enquête admi- nistrative est peu formalisé: il n’existe aucune norme légis- lative ou réglementaire expo- sant les règles devant être suivies, la pratique étant de ce fait uniquement encadrée par la jurisprudence adminis- trative. Toutefois, afin qu’elle permette d’établir la réalité des faits reprochés, l’enquête administrative doit être réalisée avec rigueur et impartialité. n Quand une collectivité doitelle diligenter une enquête adminis trative? Il n’existe aucune obligation ni légis- lative ni réglementaire d’organiser une telle enquête, face à des accu- sations de harcèlement moral et préalablement à l’engagement d’une procédure disciplinaire, dont le défaut ne saurait donc entraîner nécessairement l’annulation de la sanction. Ainsi, l’enquête relève de la seule initiative de la collectivité, un agent ne peut pas exiger qu’une telle enquête soit diligentée dans le cadre d’une procédure discipli- naire dont il fait l’objet (CE, 15 mars 2004, n° 255392). Mener une enquête administrative relève donc du livre choix de la collectivité. Toutefois, elle peut s’avérer très utile notamment dans le cadre d’accu- sation de harcèlement moral puisque dans ce domaine, la charge de la preuve reposant logiquement sur l’administration, une telle enquête permet de s’assurer que l’on dispose des preuves néces- saires démontrant la réalité ou non des agissements fautifs reprochés, mais elle peut être un élément important pour établir la réalité matérielle des faits dans le cadre d’une action contentieuse, par exemple en cas d’accident de service ou d’une procédure disci- plinaire. n Qui peut être en charge de l’enquête administrative? La décision d’engager une enquête est nécessairement prise par l’autorité territoriale détenant le pouvoir disciplinaire. Il lui revient donc de désigner la ou les per- sonnes qui diligenteront cette enquête. Elle peut être confiée à un prestataire extérieur, mais elle est le plus souvent réalisée par un agent de la collectivité. Il est alors conseillé que le fonctionnaire choisi pour diligenter l’enquête présente des gages d’impartialité. La liberté de l’autorité territoriale dans le choix des enquêteurs est quasi- ment totale et elle est uniquement restreinte par l’interdiction de la confier à une personne ayant une « animosité personnelle » à l’en- contre de l’agent visé: il peut ainsi s’agir du supérieur hiérarchique de l’agent (CAA Lyon, 26 avril 2011, rq n° 10LY00193). n Comment se déroule une enquête adminis trative? Dans le cadre d’une enquête admi- nistrative, «l’administration est en droit de rechercher, en recueillant tous les témoignages qu’elle juge nécessaires, les éléments de nature à établir les agissements fautifs de ses agents » (CAA de Douai ; 5 juillet 2005, rq n° 04DA00555). La personne chargée de l’enquête pourra entendre tout agent concerné par les faits. Il est donc recommandé que les agents soient entendus sur la base d’un ques- tionnaire commun afin que les mêmes questions leur soient posées, dans des termes iden- tiques, garantissant ainsi une certaine objectivité de l’enquêteur et limitant au mieux des éven- tuelles digressions. De manière formelle, il a été jugé qu’il n’était pas nécessaire de faire prêter ser- ment aux agents auditionnés, mais ces derniers doivent, en revanche, signer les procès-verbaux d’audi- tion (Conseil d’État, 14 mai 1986, n° 71856). Une telle signature pouvant permettre d’éviter que la teneur du document soit contestée tant par l’auteur, qui pourrait éven- tuellement être tenté par la suite de revenir sur ses déclarations que par l’agent concerné. n L’enquête administra tive doitelle être contradictoire? Aucun texte n’exige qu’une enquête administrative soit menée de manière contradictoire. L’enquêteur n’a donc pas l’obligation d’organiser une confrontation entre les agents concernés et les témoins (CAA de Nancy, 20 décembre 2016, rq n° 15NC02371). De même, l’agent ne peut pas exiger d’assister aux auditions des autres agents (CAA Marseille, 14 février 2012, rq n° 09MA09892), ni qu’un débat contradictoire soit organisé (CAA de Paris, 17 juin 1997, rq n° 39PA02618). En revanche, l’en- quêteur a l’obligation d’entendre tous les témoins demandés par l’agent, sous peine d’entacher l’enquête d’impartialité (CAA Douai, 29 novembre 2012, rq n° 11DA01841). n Comment utiliser les conclusions de l’enquête administrative: doiventelles être formalisées et utilisées? Une fois les agents auditionnés, et les différentes attestations réunies, il revient à l’enquêteur d’établir un rapport auquel seront annexés tous les procès-verbaux d’audition, faisant le point sur les informations recueillies, leur caractère concor- dant ou à l’inverse contradictoire et concluant sur le bien-fondé ou non des faits à raison desquels l’en- quête a été diligentée. Ce rapport de synthèse doit donc dégager, ou non, les responsabilités engagées. Par conséquent, fréquemment destinées à venir au soutien d’une décision de la collectivité, par exemple pour l’engagement d’une procédure disciplinaire, les conclu- sions de l’enquête administrative doivent faire l’objet d’une attention particulière. n Le rapport de synthèse de l’enquête adminis trative ainsi que les procèsverbaux d’audition sontils communicables? L’enquête administrative présente le caractère d’un document admi- nistratif, au sens du Code des relations entre l’administration et le public. En revanche, une distinc- tion doit être faite entre la com- municabilité du rapport de syn- thèse et celle des procès-verbaux et témoignages recueillis pendant l’enquête administrative, notam- ment en cas de poursuites disci- plinaires. Avant que l’autorité ait décidé d’engager des poursuites disciplinaires, la commission d’accès aux documents adminis- tratifs considère que seul le rapport de synthèse est communicable et exclut les témoignages ou les procès-verbaux d’audition (avis 20080774, 21 février 2008, directeur général de La Poste). En revanche, dès que la collectivité a pris la décision d’engager des poursuites disciplinaires sur le fon- dement de cette enquête admi- nistrative, les procès-verbaux sont communicables à l’agent poursuivi. Le juge administratif a considéré qu’il devait avoir accès aux témoi- gnages écrits recueillis par l’admi- nistration durant l’enquête dès lors que les poursuites sont en tout ou parties fondées sur les faits relatés par ces témoignages (CE, 23 novembre 2016, n° 397733). Un défaut de communication est susceptible d’entraîner l’irré- gularité de la procédure pour non- respect des droits de la défense et l’annulation de la sanction pro- noncée (CE, 8 décembre 1999, n° 199217). © Pixabay LE DÉROULÉ D’UNE ENQUÊTE ADMINISTRATIVE Par Perrine Bouchard, avocate au cabinet Seban & Associés

LE DÉROULÉ D’UNE ENQUÊTE ADMINISTRATIVE

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36TERRITORIAL

JURIDIQUE | PRATIQUE

Essentielle, l’information juridique ne doit pas être réservée aux seuls spécialistes. Cette rubrique vous propose ainsi chaquemois des décryptages clairs et compréhensibles par tous sur l’ensemble des sujets relatifs aux collectivités territoriales. Elle est réalisée en partenariat avec le cabinet Seban & Associés, premier cabinet d’avocats s’adressant à l’ensemble des acteurs publics avec une approche pluridisciplinaire.

En partenariat avec

L’enquête administrative apour objet de permettred’établir la réalité et la

véracité des accusations et allé-gations portées à la connais-sance de la collectivité. Le régimejuridique de l’enquête admi-nistrative est peu formalisé: il n’existe aucune norme légis-lative ou réglementaire expo-sant les règles devant être suivies, la pratique étant de ce fait uniquement encadréepar la jurisprudence adminis-trative. Toutefois, afin qu’ellepermette d’établir la réalitédes faits reprochés, l’enquêteadministrative doit être réaliséeavec rigueur et impartialité.

n Quand une collectivitédoit-elle diligenter une enquête adminis-trative?

Il n’existe aucune obligation ni légis-lativeni réglementaire d’organiserune telle enquête, face à des accu-sations de harcèlement moral et préalablement à l’engagementd’une procédure disciplinaire, dontle défaut ne saurait donc entraînernécessairement l’annulation de lasanction. Ainsi, l’enquête relève dela seule initiative de la collectivité,un agent ne peut pas exiger qu’unetelle enquête soit diligentée dansle cadre d’une procédure discipli-naire dont il fait l’objet (CE, 15mars2004, n° 255392). Mener une enquête administrative relève donc du livre choix de la collectivité.Toutefois, elle peut s’avérer très utilenotamment dans le cadre d’accu-sation de harcèlement moralpuisque dans ce domaine, la chargede la preuve reposant logiquementsur l’administration, une telle enquête permet de s’assurer quel’on dispose des preuves néces-saires démontrant la réalité ou nondes agissements fautifs reprochés,

mais elle peut être un élément important pour établir la réalité matérielle des faits dans le cadred’une action contentieuse, parexemple en cas d’accident de service ou d’une procédure disci-plinaire.

n Qui peut être en charge de l’enquête administrative?

La décision d’engager une enquêteest nécessairement prise par l’autorité territoriale détenant lepouvoir disciplinaire. Il lui revientdonc de désigner la ou les per-sonnes qui diligenteront cette enquête. Elle peut être confiée à un prestataire extérieur, mais elleest le plus souvent réalisée par unagent de la collectivité. Il est alorsconseillé que le fonctionnaire choisipour diligenter l’enquête présentedes gages d’impartialité. La libertéde l’autorité territoriale dans lechoix des enquêteurs est quasi-ment totale et elle est uniquementrestreinte par l’interdiction de laconfier à une personne ayant une« animosité personnelle » à l’en-contre de l’agent visé: il peut ainsis’agir du supérieur hiérarchique de l’agent (CAA Lyon, 26avril 2011,rq n° 10LY00193).

n Comment se dérouleune enquête adminis-trative?

Dans le cadre d’une enquête admi-nistrative, «l’administration est endroit de rechercher, en recueillanttous les témoignages qu’elle jugenécessaires, les éléments de natureà établir les agissements fautifs de ses agents» (CAA de Douai ;5 juillet 2005, rq n° 04DA00555).La personne chargée de l’enquêtepourra entendre tout agentconcerné par les faits. Il est doncrecommandé que les agents soiententendus sur la base d’un ques-

t ionnaire commun af in que les mêmes questions leur soient posées, dans des termes iden-tiques, garantissant ainsi une certaine objectivité de l’enquêteuret limitant au mieux des éven-tuelles digressions. De manière formelle, il a été jugé qu’il n’étaitpas nécessaire de faire prêter ser-ment aux agents auditionnés, maisces derniers doivent, en revanche,signer les procès-verbaux d’audi-tion (Conseil d’État, 14 mai 1986,n° 71856). Une telle signature pouvant permettre d’éviter que lateneur du document soit contestéetant par l’auteur, qui pourrait éven-tuellement être tenté par la suitede revenir sur ses déclarations quepar l’agent concerné.

n L’enquête administra-tive doit-elle être contradictoire?

Aucun texte n’exige qu’une enquêteadministrative soit menée demanière contradictoire. L’enquêteurn’a donc pas l’obligation d’organiserune confrontation entre les agentsconcernés et les témoins (CAA de Nancy, 20 décembre 2016, rqn° 15NC02371). De même, l’agentne peut pas exiger d’assister aux auditions des autres agents(CAA Marseille, 14 février 2012,

rq n° 09MA09892), ni qu’un débatcontradictoire soit organisé (CAA de Paris, 17 juin 1997, rq n° 39PA02618). En revanche, l’en-quêteur a l’obligation d’entendretous les témoins demandés par l’agent, sous peine d’entacherl’enquête d’impartialité (CAADouai, 29 novembre 2012, rq n° 11DA01841).

n Comment utiliser lesconclusions de l’enquêteadministrative:doivent-elles être formalisées et utilisées?

Une fois les agents auditionnés, etles différentes attestations réunies,il revient à l’enquêteur d’établir un rapport auquel seront annexéstous les procès-verbaux d’audition,faisant le point sur les informationsrecueillies, leur caractère concor-dant ou à l’inverse contradictoireet concluant sur le bien-fondé ounon des faits à raison desquels l’en-quête a été diligentée. Ce rapportde synthèse doit donc dégager, ounon, les responsabilités engagées.Par conséquent, fréquemment destinées à venir au soutien d’une décision de la collectivité, par exemple pour l’engagement d’uneprocédure disciplinaire, les conclu-sions de l’enquête administrative

doivent faire l’objet d’une attentionparticulière.

n Le rapport de synthèsede l’enquête adminis-trative ainsi que les procès-verbauxd’audition sont-ilscommunicables?

L’enquête administrative présentele caractère d’un document admi-nistratif, au sens du Code des relations entre l’administration etle public. En revanche, une distinc-tion doit être faite entre la com-municabilité du rapport de syn-thèse et celle des procès-verbauxet témoignages recueillis pendantl’enquête administrative, notam-ment en cas de poursuites disci-plinaires. Avant que l’autorité aitdécidé d’engager des poursuitesdisciplinaires, la commission d’accès aux documents adminis-tratifs considère que seul le rapportde synthèse est communicable et exclut les témoignages ou lesprocès-verbaux d’audition (avis20080774, 21 février 2008, directeur général de La Poste). En revanche, dès que la collectivitéa pris la décision d’engager despoursuites disciplinaires sur le fon-dement de cette enquête admi-nistrative, les procès-verbaux sontcommunicables à l’agent poursuivi.Le juge administratif a considéréqu’il devait avoir accès aux témoi-gnages écrits recueillis par l’admi-nistration durant l’enquête dès lors que les poursuites sont en toutou parties fondées sur les faits relatés par ces témoignages (CE,23 novembre 2016, n° 397733).Un défaut de communication est susceptible d’entraîner l’irré-gularité de la procédure pour non-respect des droits de la défense et l’annulation de la sanction pro-noncée (CE, 8 décembre 1999,n° 199217). �

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LE DÉROULÉ D’UNE ENQUÊTE ADMINISTRATIVE Par Perrine Bouchard, avocate au cabinet Seban & Associés