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Lundi 14 mai 2018 | Postcode 1 JA 1211 GENÈVE 11 | N° 110-20 | Fr. 4.00 (TVA 2,5% incluse) | France € 3.60 À Genève, mieux vaut être jeune pour espérer retrouver du travail pendant la période d’indemnisation du chômage. Dès 50 ans, voire avant, les demandeurs d’emploi subissent des discriminations liées à l’âge. Jugés trop chers ou pas assez adaptables, ils essuient refus sur refus de la part des employeurs. Des Genevois témoignent dans nos colon- nes de leurs difficultés. Remplacés par des collègues plus jeunes, ils en veulent parfois aux frontaliers, le marché de l’em- ploi étant hautement concurrentiel de- puis les accords bilatéraux. Conseiller d’État en charge de l’Emploi, le MCG Mauro Poggia reconnaît l’existence de cette discrimination par l’âge dans bon nombre d’entreprises. Urgences 18 I Cinéma, Jeux 20 I Courrier, Météo 21 I Décès 22, 23 I Il y a 50 ans 24 Mobilité 123 millions pour Genève-Sud La Commission des travaux du Grand Conseil a approuvé un crédit de 123 millions destiné à réaliser deux tronçons semi-enterrés dans le sud du canton, pour absorber une partie du trafic pendulaire. Le plénum tran- chera. Page 7 Paris Un terroriste sans antécédents L’homme qui a agressé des passants au couteau dans les rues de Paris samedi soir était fiché S (pour «sûreté de l’État»), mais sans antécédents judiciai- res. D’origine tchétchène, il a visé des passants au hasard, tuant l’un d’entre eux. Il a été abattu. Page 15 Affaire Blancho Un procès test pour la justice Nicolas Blancho, président du Conseil central islamique suisse, s’est-il rendu coupable de propagande terroriste? C’est la question délicate qu’aura à trancher le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone mercredi et jeudi. Deux cadres du mouvement sont également sur le banc des accusés. Page 13 L’actu avec vous Internet L’info genevoise sur www.tdg.ch/geneve Mobile Suivez l’actualité en direct sur mobile2.tdg.ch Que faire? Une fondation, Qualife, finan- cée par un mécène de la place, s’efforce d’aider les chômeurs seniors à se relancer et à retrouver du travail. Malgré les obsta- cles, son approche semble porter ses fruits. Pages 2 et 3 Des chômeurs sont mis sur la touche dès 50 ans Des Genevois racontent leur parcours du combattant après la perte de leur emploi L’Afrique attire la foule au Pitoëff Reportage Le festival Afrodyssée a fait le plein samedi au Théâtre Pitoëff, rue de Carouge. La manifestation proposait des stands de mode, design et création africaine, mais aussi une table ronde sur la place des Noirs dans la société, entre préjugés, difficultés à faire carrière et nouvelles formes de racisme. Page 6 LAURENT GUIRAUD Chantre de la préférence cantonale pour l’un et du nationalisme pour l’autre, le MCG et l’UDC ont perdu des plumes lors des élections genevoises. Mais le discours antifrontaliers, lui, ne faiblit pas à Genève. Bien au contraire! Nous nous en sommes rendu compte lors de notre enquête consacrée aux chômeurs de plus de 50 ans. Se sentant exclus du marché du travail, ces seniors sans espoir éprouvent souvent un fort ressentiment envers les jeunes Français. Bien formés et moins bien payés, ils leur «ont pris la place». «Je suis proeuropéen. En tant que fils d’immigré, je me vois mal jeter la pierre à ces personnes. Mais il est vrai qu’il s’agit d’une concurrence qui devient déloyale», estime ainsi cet ingénieur en informatique de 60 ans. Un bouc émissaire facile à attaquer, l’employé frontalier? Bien sûr. Déjà rude sur le territoire suisse, la concurrence l’est encore plus depuis l’introduction des accords bilatéraux qui permettent aux employeurs d’aller recruter dans toute l’Europe. Et, comme le relève Mauro Poggia, magistrat en charge de l’Emploi, la France, pour une question de langue, est le lieu de provenance privilégié de cette concurrence. Gare à la discrimination de l’âge qui frappe tous ces quinquas, certains ayant travaillé plus de trente ans sans accroc. S’ils sont globalement moins touchés par le chômage que les plus jeunes, les seniors ont bien plus de peine à regagner le marché du travail. À cause du coût de leur engagement et du regard rempli de préjugés que portent sur eux trop de patrons. Il devient urgent d’entendre la détresse de ces personnes expérimentées, dotées de réelles compétences, dont l’économie aurait tort de se priver. À force de jouer avec le feu, on finira par mettre en péril la libre circulation. Alors finissons-en avec les mesures cosmétiques et aidons pour de bon les chômeurs seniors à rebondir. Pages 2 et 3 L’éditorial Chômeurs seniors: les aider. Et vite! Laurence Bézaguet Rubrique Genève Des studios pour sans-abri restent inutilisés, faute de terrain Genève, page 5 Jean-Luc Godard s’est adressé à Cannes… grâce à son smartphone Culture, page 19 REUTEURS/REGIS DUVIGNAU Le média genevois. Depuis 1879 | www.tdg.ch | AP De Meyrin à la finale de Conférence Ouest en NBA, quel chemin parcouru par le basketteur genevois Clint Capela! Retour sur un parcours météorique. Page 12 DANS CE NUMÉRO, NOTRE SUPPLÉMENT Bons plans

Le festival Afrodyssée a fait le plein samedi au Théâtre ... · Des chômeurs sont mis sur la touche dès 50 ans Des Genevois racontent leur parcours du combattant après la perte

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Page 1: Le festival Afrodyssée a fait le plein samedi au Théâtre ... · Des chômeurs sont mis sur la touche dès 50 ans Des Genevois racontent leur parcours du combattant après la perte

Lundi 14 mai 2018 | Postcode 1 JA 1211 GENÈVE 11 | N° 110-20 | Fr. 4.00 (TVA 2,5% incluse) | France € 3.60

À Genève, mieux vaut être jeune pourespérer retrouver du travail pendant lapériode d’indemnisation du chômage.Dès 50 ans, voire avant, les demandeursd’emploi subissent des discriminationsliées à l’âge. Jugés trop chers ou pas assez

adaptables, ils essuient refus sur refus dela part des employeurs.Des Genevois témoignent dans nos colon-nes de leurs difficultés. Remplacés pardes collègues plus jeunes, ils en veulentparfois aux frontaliers, le marché de l’em-

ploi étant hautement concurrentiel de-puis les accords bilatéraux.Conseiller d’État en charge de l’Emploi, leMCG Mauro Poggia reconnaît l’existencede cette discrimination par l’âge dans bonnombre d’entreprises.

Urgences 18 I Cinéma, Jeux 20 I Courrier, Météo 21 I Décès 22, 23 I Il y a 50 ans 24

Mobilité123 millions pour Genève-SudLa Commission des travaux du Grand Conseil a approuvé un crédit de 123 millions destiné à réaliser deux tronçons semi-enterrés dans le sud du canton, pour absorber une partie du trafic pendulaire. Le plénum tran-chera. Page 7

ParisUn terroristesans antécédentsL’homme qui a agressé des passants au couteau dans les rues de Paris samedi soir était fiché S (pour «sûreté de l’État»), mais sans antécédents judiciai-res. D’origine tchétchène, il a visé des passants au hasard, tuant l’un d’entre eux. Il a été abattu. Page 15

Affaire BlanchoUn procès test pour la justiceNicolas Blancho, président du Conseil central islamique suisse, s’est-il rendu coupable de propagande terroriste? C’est la question délicate qu’aura à trancher le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone mercredi et jeudi. Deux cadres du mouvement sont également sur le banc des accusés. Page 13

L’actu avec vousInternet L’info genevoise sur www.tdg.ch/geneve

Mobile Suivez l’actualité en direct sur mobile2.tdg.ch

Que faire? Une fondation, Qualife, finan-cée par un mécène de la place, s’efforced’aider les chômeurs seniors à se relanceret à retrouver du travail. Malgré les obsta-cles, son approche semble porter sesfruits. Pages 2 et 3

Des chômeurs sont mis sur la touche dès 50 ansDes Genevois racontent leur parcours du combattant après la perte de leur emploi

L’Afrique attire la foule au Pitoëff

Reportage Le festival Afrodyssée a fait le plein samedi au Théâtre Pitoëff, rue de Carouge. La manifestation proposait des stands de mode, design et création africaine, mais aussi une table ronde sur la place des Noirs dans la société, entre préjugés, difficultés à faire carrière et nouvelles formes de racisme. Page 6 LAURENT GUIRAUD

Chantre de la préférence cantonale pour l’un et du nationalisme pour l’autre, le MCG et l’UDC ont perdu des plumes lors des élections genevoises. Mais le discours antifrontaliers, lui, ne faiblit pas à Genève. Bien au contraire! Nous nous en sommes rendu compte lors de notre enquête consacrée aux chômeurs de plus de 50 ans.

Se sentant exclus du marché du travail, ces seniors sans espoir éprouvent souvent un fort ressentiment envers les jeunes Français. Bien formés et moins bien payés, ils leur «ont prisla place».

«Je suis proeuropéen. En tant que filsd’immigré, je me vois mal jeter la pierre à ces personnes. Mais il est vrai qu’il s’agit d’une concurrence qui devient déloyale», estime ainsi cet ingénieur en informatique de 60 ans.

Un bouc émissaire facile à attaquer,l’employé frontalier? Bien sûr. Déjà rude sur le territoire suisse, la concurrence l’est encore plus depuis l’introduction des accords bilatéraux qui permettent aux employeurs d’aller recruter dans toute l’Europe. Et, comme le relève Mauro Poggia, magistrat en charge de l’Emploi, la France, pour une question de langue, est le lieu de provenance privilégié de cette concurrence.

Gare à la discrimination de l’âge quifrappe tous ces quinquas, certains ayant travaillé plus de trente ans sans accroc. S’ils sont globalement moins touchés par le chômage que les plus jeunes, les seniors ont bien plus de peine à regagner le marché du travail. À cause du coût de leur engagement et du regard rempli de préjugés que portent sur eux trop de patrons. Il devient urgent d’entendre la détresse de ces personnes expérimentées, dotées de réelles compétences, dont l’économie aurait tort de se priver. À force de jouer avec le feu, on finira par mettre en péril la libre circulation. Alors finissons-en avec les mesures cosmétiques et aidons pour de bon les chômeurs seniors à rebondir. Pages 2 et 3

L’éditorial

Chômeurs seniors: les aider. Et vite!

LaurenceBézaguetRubrique Genève

Des studios poursans-abri restent inutilisés, fautede terrainGenève, page 5

Jean-Luc Godard s’est adresséà Cannes… grâceà son smartphoneCulture, page 19

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Le média genevois. Depuis 1879 | www.tdg.ch |AP

De Meyrin à la finale deConférence Ouest en NBA,

quel chemin parcourupar le basketteur

genevois Clint Capela!Retour sur un

parcours météorique.

Page 12

DANS CE NUMÉRO, NOTRE SUPPLÉMENTBons plans

Page 2: Le festival Afrodyssée a fait le plein samedi au Théâtre ... · Des chômeurs sont mis sur la touche dès 50 ans Des Genevois racontent leur parcours du combattant après la perte

2 Événement Tribune de Genève | Lundi 14 mai 2018

sable de formation dans monteam. Parfois, je faisais un gâteauet je l’amenais au bureau.» Aprèsdes mois de tensions, les chosesont dégénéré. «Il m’a jeté une agra-feuse à la tête.» Le service des res-sources humaines de la banqueconclut que Philippe est dans sontort. Il est licencié. Son jeune collè-gue est promu.

«On nous infantilise»Philippe se retrouve à l’Office can-tonal de l’emploi (OCE). Se sen-tant, à son âge, sans avenir dans lesecteur bancaire, il postule pourun job au Service du stationne-ment de la Fondation des par-kings. «Ce qui m’a frappé, c’est àquel point on nous infantilise dèsle départ.» Alors que le recruteurdécrit aux candidats ce postecomme étant le pire qu’on puisseimaginer – «Vous qui sortez de labanque, vous ne supporterez pasles insultes» – 60 personnes se pré-sentent tout de même au premiertest: dictée et exercices de mathé-matiques. Quatorze candidats sontretenus, Philippe en fait partie. Ilpasse aussi avec succès les entre-tiens personnels.

Un test sportif est ensuiteprévu. Philippe fait remarquer

qu’il n’a aucun problème quand ils’agit de marcher, mais qu’il nepeut pas régater avec des jeunesde 25 ans pour la course, malgréson passé sportif. On lui répondqu’il ne sait pas se vendre. Sonconseiller l’envoie chez un coach,lequel lui conseille de se taire et dedire «oui» à tout. Il comprend lemessage.

Le jour du test – un samedi, à8 heures, au Bout-du-Monde – Phi-lippe et ses camarades apprennentà la dernière minute qu’ils devrontfranchir l’obstacle de l’épreuve«Luc Léger». Il est furieux: «Ce testest utilisé pour entrer à la police,chez les pompiers ou à la Légionétrangère en France… Et on nousle fait passer pour coller des con-traventions!»

Deuxième constat: aux qua-torze candidats sélectionnés parl’OCE s’ajoutent soudain septantede plus ayant postulé par le biaisd’un site Internet. Très jeunespour la plupart.

Bien entendu, ni Philippe ni laplupart de ses camarades d’un cer-tain âge ne réussissent le test. «L’ef-fort physique que j’ai fourni a été telque j’ai mis deux semaines pour m’en remettre.» Et il se demande: «Pourquoi nous a-t-on caché le ni-

veau de cette épreuve? Pourquoi nous a-t-on infligé une humiliationpareille?»

Interrogé sur cette situation,Jean-Yves Goumaz, directeur géné-ral de la Fondation des parkings, qui gère le Service du stationne-ment, réagit: «On ne peut pas enga-ger tous les chômeurs, même en finde droits. Il s’agit d’un emploi exi-geant sur le plan psychique et phy-sique. Le taux d’absentéisme est de15% et il augmente avec l’ancien-neté. C’est pour y remédier que le processus de recrutement a changéet que ce test a été introduit.»

Place aux jeunesRésultat: sur les quatorze candi-dats engagés en 2018, lamoyenne d’âge est de 33 ans. Unseul a plus de 50 ans. Philippe aété victime de ce changement. Ilexige des excuses de son conseil-ler. Et en reçoit, assure-t-il, de lapart du directeur de l’OCE aunom de ce conseiller qui, entre-temps, est tombé malade. Au-jourd’hui, Philippe occupe unemploi fédéral de travail et d’in-sertion (EFTI). «Je travaillecomme les autres mais au lieud’un salaire, je reçois mes alloca-tions de chômage plus 250 francs

par mois pour les repas et unabonnement de bus.»

Il vit tout ceci extrêmementmal: «Je suis né ici, j’ai cotisé du-rant trente ans. J’en veux aux poli-ticiens de ne pas avoir pris des me-sures pour protéger les travailleursâgés compte tenu du contexte de libre circulation des personnes. Moi qui suis d’origine française, jeme surprends à avoir développé une haine des frontaliers. Quant àla soi-disant préférence cantonaledu MCG, c’est du pipeau. Elle ne fonctionne pas du tout.»

François, 60 ans, fait partie destrès nombreuses personnes licen-ciées par un grand groupe phar-maceutique entre 2012 et 2013. Il aensuite travaillé durant deux anspour une autre société avantd’être remercié, comme trois ouquatre personnes de son âge, sansraison apparente. «C’était undeuxième coup de poignard. Onm’a notamment dit que je coûtaistrop cher», explique cet ingénieuren informatique qui gagnait13 000 francs par mois. «Je ne m’yattendais pas du tout car les clientsétaient très satisfaits de mes com-pétences. J’ai alors compris qu’à58 ans, ça allait être très dur deretrouver un emploi.»

Des chômeurs de plus de 50 ans racontent leur galèreIls sont nés dans le canton, y ont travaillé toute leur vie et touché des salaires confortables. Mais tout a basculé à la cinquantaine lorsqu’ils ont été licenciés. Témoignages

L’essentiel

UAmertume Ces chô-meurs ont parfois un fort ressentiment à l’égard desfrontaliers.

UUne réalité Le magistraten charge de l’Emploi estime que les seniors sont discriminés sur le marché du travail.

UDernier filet Lorsque tout espoir est perdu, unefondation privée vole à leur secours.

Catherine Focas et Laurence Bézaguet

Une solution?

Au mois de février à Genève, parmi les 324 personnes ayant épuisé leurs allocations de chômage, 26% avaient 50 ans et plus. Comment éviter les problèmes financiers et sociaux résultant de l’arrivée imminente en fin de droits des seniors? Au cours de la réunion nationale qui s’est tenue sur ce thème à la fin du mois d’avril, la Conférence suisse des institutions d’action sociale a proposé que les plus de 55 ans au chômage reçoivent des allocations jusqu’à la retraite, pour autant qu’ils aient cotisé au moins durant vingt ans. Ils ne se retrouveraient ainsi jamais à l’aide sociale.La proposition a paru intéres-sante aux politiciens suisses de tous bords et aux acteurs du secteur. «Il faut mettre l’effort sur cette catégorie dont l’employabi-lité ne cesse de baisser avec les années», résument-ils. Seul le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a réagi négativement. LB/CF

Précarité

Test sportif Le test physique de «Luc Léger», d’habitude utilisé pour entrer à la police ou chez les pompiers, a été introduit dans le processus de recrutement de la Fondation des parkings. Il faut en avoir du souffle pour postuler au Service du stationnement! DESSIN GERALD HERRMANN

À l’image de l’ensemble de laSuisse, le taux de chômage conti-nue de baisser à Genève. Il était de4,5% en avril. Ce taux est-il plusélevé pour les 50 ans et plus? Non.Mais, comme le souligne leconseiller d’État en charge del’Emploi, Mauro Poggia, il devienttrès difficile de retrouver un travailà cet âge-là (lire ci-contre). Un quartdes seniors achèveront ainsi leurpériode de chômage sans avoir pudécrocher un job.

Trois chômeurs de plus de 50ans ont accepté de témoigner. Ilsdécrivent un chemin de croix.Après l’inévitable appauvrisse-ment, ils doivent essuyer les absur-dités du système de recherched’emploi et ses humiliations, sanscompter la discrimination due àl’âge. Ils ressortent de l’aventureaffaiblis, amers, avec parfois unfort ressentiment à l’égard des jeu-nes Français – bien formés et beau-coup moins bien payés – qui, di-sent-ils, ont «pris leur place».

Comme Philippe, 52 ans, quiarrivera en fin de droits au moisd’octobre et devra alors s’adresserà l’Hospice général. CFC en poche,ce Genevois a d’abord travaillécomme mécanicien puis dans lesocial avant de rejoindre le do-maine des banques privées, au dé-but des années 2000: «J’ai œuvrédurant quatorze ans au back-of-fice.» Tout se passait très bien, ra-conte-t-il, jusqu’au jour où, en2014, il a appuyé l’engagementd’un jeune de 27 ans, originaire dunord de la France.

«Il avait l’air pas mal. Je l’aiformé et ensuite il a voulu révolu-tionner le bureau, tout automati-ser. Il a fait engager ses copainsfrançais et s’est finalement re-tourné contre ceux qui étaient làdepuis longtemps.» Philippe ditavoir vécu une période de mob-bing. Le conflit avec son jeune col-lègue s’est envenimé. «Il était tou-jours sur son portable. Moi, je tra-vaillais à l’ancienne. J’étais respon-

«Ce test est utilisé pour entrerà la police, chez les pompiers ou à la Légion étrangère en France… Et on nous le fait passer pour coller des contraventions!»Philippe, chômeur, 52 ans

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Tribune de Genève | Lundi 14 mai 2018 Événement 3

La personne qui l’a remplacé?Un jeune Français. «Son salaire étaitde 8000 francs. Il en était très satis-fait puisque auparavant il gagnait 3000 euros. D’ailleurs, la société qui m’a licencié ne prenait plus la peine de placer ses annonces en Suisse, mais directement en France. C’est ainsi qu’elle a engagédes Parisiens ou des habitants de Montpellier. La concurrence est fé-roce, ils cassent les prix…» Et Fran-çois d’ajouter, un brin embarrassé:«Je suis proeuropéen. En tant que fils d’immigré, je me vois mal jeter la pierre à ces personnes. Mais il estvrai qu’il s’agit d’une concurrence qui devient déloyale. Sans compterque les Français ont de surcroît ten-dance à engager des Français.» Et lapréférence cantonale? «Dans le privé, il n’y en a aucune.»

Est-ce qu’il ressent de la colère?Non, dit-il, car il a fini par retrouverdu travail. Un contrat reconductibled’année en année. «Mais si je n’en avais pas retrouvé, j’aurais pu deve-nir aigri ou déprimé.»

Ce qui l’a beaucoup frappé du-rant ses huit mois de recherche d’emploi, c’est la barrière de l’âge. «J’ai décroché plusieurs entretiens car les employeurs étaient intéres-sés par mon CV, mais ils finissaient

par me dire que je devrais penser àla retraite, que la pyramide des âgesde l’entreprise ne leur permettait pas de m’engager ou qu’ils cher-chaient un junior. En clair, moins cher et plus malléable. Cet énormea priori sur l’âge m’a déçu et fâché.J’avais l’impression d’être face à unmur. Heureusement que j’ai une famille, une bonne santé et un ca-ractère énergique, autrement j’aurais sombré.» François a très mal vécu ce rejet des patrons «qui ne veulent plus de nous. Ils affir-ment qu’on n’est plus assez motivé.C’est faux, moi j’aime mon travail etme sens en pleine forme pour l’ef-fectuer.»

Les dettes s’accumulentÉlisabeth, 60 ans, a été employée durant trente-huit ans dans le do-maine bancaire, avec quelques an-nées de pause pour élever son fils. Elle a aussi travaillé à la Bourse. «Mes plus belles années…» se sou-vient-elle. Avant son licenciement en 2016, elle explique avoir vécu une année de mobbing de la part d’une jeune collègue de 25 ans. «Elleen arrivait même à dire aux autres de ne plus prendre la pause avec moi. Je rentrais tous les soirs en lar-mes, humiliée, déprimée. J’en ai

parlé au service des ressources hu-maines qui a constaté le mobbing. Mais en fin de compte, j’ai perdu mon poste et elle a gardé le sien.»

Aujourd’hui, cette Genevoisetouche une préretraite et des alloca-tions de chômage. En tout 4200 francs mensuels pour vivre à trois, avec son enfant, encore aux études, et son compagnon, lui-même actuellement sans aucune ressource financière.

«Je fais mes dix recherches d’em-ploi obligatoires par mois, mais je nesais plus à qui écrire. Alors je recom-mence depuis le début.» Élisabeth arrive bientôt en fin de droits. Elle est paniquée. «J’aimerais bien net-toyer des bureaux le soir pour éviterl’Hospice.»

Mais elle sait bien que même surce marché, elle a peu de chances dedécrocher un job. N’arrivant pas à joindre les deux bouts, Élisabethaccumule les dettes avec uneanxiété grandissante: «C’est biensimple, je ne paie plus mon assu-rance maladie.»

Des chômeurs de plus de 50 ans racontent leur galèreIls sont nés dans le canton, y ont travaillé toute leur vie et touché des salaires confortables. Mais tout a basculé à la cinquantaine lorsqu’ils ont été licenciés. Témoignages

Poggia: «En effet, ils sont discriminés»U La directive sur la préférence cantonale entre en vigueur en 2011. Elle implique que pour chaque poste à l’État, la priorité est accordée à un candidat genevois. En octobre 2014, elle est élargie aux institutions de droit public comme les TPG, les SIG et les HUG, et aux entités subventionnées comme les EMS. Les entreprises privées ne peuvent pas y être soumises.

Selon les témoignages recueillis, l’impact de cette directive serait nul. Vrai? Le conseiller d’État MCG Mauro Poggia, en charge de l’Emploi, réagit: «Les 50 ans et plus, pour des raisons qui relèvent du coût de leur engagement, comme du regard rempli de préjugés que portent sur eux trop d’entreprises, sont discriminés sur le marché du travail. S’il n’y a pas un taux plus élevé de travailleurs de cette tranche d’âge qui arrivent au chômage, le risque de ne pas retrouver

d’emploi est plus important. Un chômeur de plus de 50 ans subira plus lourdement la concurrence de travailleurs plus jeunes. Rude sur le territoire national, cette concurrence l’est d’autant plus lorsque l’employeur peut recruter dans toute l’Union européenne. Et la France, pour une question de langue, est sans nul doute le lieu de provenance privilégié de cette concurrence.»

Compte tenu de la pénurie delogements à Genève, «ces nouveaux arrivants, qui n’ont plus à attendre six mois en zone frontalière avant de pouvoir demander un permis, comme c’était le cas avant les accords bilatéraux, s’installent en France voisine et deviennent des frontaliers, en concurrence également avec ce que j’appelle les «frontaliers historiques» de l’Ain et de la Haute-Savoie, ajoutel’élu MCG. De là à prétendre que la directive sur la préférence cantonale est inefficace, il y a un

pas que l’on ne peut franchir, car cette directive n’est pas opposable aux entreprises privées.» Par contre, dès le 1er juillet, dans des professions connaissant un taux de chômage supérieur à 8%, l’annonce des postes de travail ouverts devra être faite à l’OCE. «Mais cela n’obligera pas les entreprises privées concernées à engager nos demandeurs d’emploi», note Mauro Poggia, qui souhaite conclure sur une note positive.

Comme nous l’avons récemment indiqué dans notre journal, le maire de Saint-Julien dénonce l’augmentation d’annonces d’emplois dans lesquelles la résidence à Genève est une condition requise. Une bonne nouvelle pour Mauro Poggia: «Cela dénote, enfin, une prise de conscience par une part croissante de nos employeurs privés de leur responsabilité sociale à l’égard des demandeurs d’emploi du canton.» LB/CF

Fondation privée au secours des seniors

poussés vers l’Hospice généralplutôt que vers une réinsertionprofessionnelle. À l’OCE, les sanc-tions pleuvent et l’écoute dimi-nue, reprochent nombre deconseillers en placement et dechômeurs.

Le Rotary à la rescousseLa Fondation Qualife mise, au con-traire, sur un accompagnementqui valorise plutôt qu’il ne sanc-tionne les quinquas en quêted’emploi. «Nous avons la chanced’être un petit laboratoire. Nousn’avons pas d’obligation de résul-tat immédiat. Le financeur nousincite à tenter des approches nou-velles.» L’une d’elles consiste à de-mander à un membre du Rotaryd’accompagner un chômeur du-rant trois mois, de le stimulervoire de lui ouvrir son carnetd’adresses. «Et ça marche du ton-nerre de Dieu!» assure ÉricÉtienne.

Qualife veut combattre la sé-grégation de l’âge en se montrantaux petits soins pour les chômeursgrisonnants quel que soit l’horizondont ils proviennent. «Gare au jeu-nisme excessif ainsi qu’à la pertede confiance et d’estime de soi quien découle pour les seniors, pré-vient Éric Étienne. Je ne suis abso-lument pas d’accord avec cettenouvelle tendance qui considèreque l’on ne serait plus employabledès 48 ans, voire moins. Ici, nousoffrons un projet de transitionprofessionnelle qui met en avantles talents et les valeurs des per-sonnes expérimentées. Elles ontde belles compétences dont l’éco-nomie a tort de se priver.»

Parmi les problématiques ob-servées par Qualife: l’obsoles-cence ou l’absence de diplômes,une longue période d’inactivitéprofessionnelle, des difficultés à sevendre ou encore une méconnais-sance de l’évolution du marché de

l’emploi. «Même si ici on accueilleaussi des super banquiers et avo-cats, relève le directeur de cettefondation. On est le dernier filet!On encourage l’utilisation de me-sures comme l’allocation de re-tour à l’emploi (ARE) de l’OCE.Dans certaines situations, cettemesure permettrait même de fairedes ponts jusqu’à la retraite.» Sonprincipe est simple: un employeurengage un chômeur en fin dedroits, un ex-indépendant ou unepersonne au bénéfice de l’aide so-ciale en contrat à durée indétermi-née (CDI) et l’État finance une par-tie du salaire du nouveau collabo-rateur. Qualife fait du «lobbying»en transmettant ces informationsaux entreprises de la région pourles sensibiliser à la problématique.«Quantité d’entre elles ne connais-sent pas les soutiens à l’engage-ment des plus de 50 ans proposéspar l’État. Nous faisons alors lapromotion de l’OCE.»

«Du cousu main»Des coups de pouce formationsont aussi proposés aux plus de50 ans pour remettre à jour leursconnaissances et compétences. Lafondation organise encore des «ca-fés contacts réseautage» afin queles demandeurs d’emploi ne res-tent pas isolés. L’Espace coachingpermettrait, à lui tout seul, à 56%des bénéficiaires de Qualife de re-trouver un emploi. «Sur une basede trois mois, nous leur offrons unaccompagnement personnalisé etintensif, précise Éric Étienne. Aubout du chemin, le candidat netrouvera peut-être pas le job idéal,mais on lui aura remis le pied àl’étrier. Mieux vaut cela que derester trois ans au chômage…» Etde conclure: «Nous faisons ducousu main en donnant desconseils précis et ciblés dans les48 heures. Cela a un impact immé-diat sur le projet de réinsertion.»

Il a passé plus de trente ans àl’État, dont les deux tiers à l’Hos-pice général et une grande partie àl’Action sociale. Il a également tra-vaillé à l’Office cantonal de l’em-ploi (OCE) entre 2007 et 2015. ÉricÉtienne en connaît donc un rayonen matière d’insertion profession-nelle. Rien de surprenant qu’ungrand mécène genevois l’ait solli-cité pour mener à bien le projet50 + de la jeune Fondation Qualife.Créée en 2014 pour aider les moinsde 25 ans à entreprendre une for-mation, elle ambitionne aussi de-puis 2016 de favoriser l’emploi deschômeurs de 50 ans et plus.

Mais n’est-ce pas là la tâche del’OCE? «Le souci de cet office con-siste surtout à réduire le risque dechômage pour se conformer auxattentes du SECO (Secrétariatd’État à l’économie)», estime ÉricÉtienne. Et il n’est pas le seul à lepenser. «L’OCE est dirigé pourfaire de bonnes statistiques, paspour résoudre le problème duchômage», dénonçaient ainsi sesdétracteurs dans la «Tribune deGenève» du 9 mars.

«Avec un taux de chômage de5,3% en 2017, nous avons le tauxannuel le plus bas depuis 2002»,se défend inlassablement CharlesBarbey, directeur de l’OCE. Iln’empêche! Cette administrationreste parfois décriée et en particu-lier par les seniors, trop souvent

Financée par un mécène de la place, Qualife aide les chômeurs de plus de 50 ans à retrouver un job

Laurence Bézaguet et Catherine Focas

Lire l’éditorial en page une: «Chômeurs seniors: les aider. Et vite!»