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Aïssatou Mbodj-Pouye Le fil de l’écrit Une anthropologie de l’alphabétisation au Mali ENS ÉDITIONS

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Le fil de l’écritUne anthropologie de l’alphabétisation au Mali

Par une étude ethnographique des usages sociaux de l’écrit dans la région cotonnière du Mali, ce livre analyse les dynamiques d’alphabétisation au sens large, allant au-delà des filières de formation pour étudier la place de l’écrit dans les activités les plus quotidiennes. La pluralité des contextes où l’on apprend à lire et à écrire (alphabétisation pour adultes et filières scolaires) et des langues de l’écrit (français, bambara, arabe) façonne des profils de lettrés divers. L’ouvrage s’intéresse tout particulièrement aux effets de la dynamique d’alphabétisation impulsée par les interventions liées au développement à partir des années 1970.

L’analyse minutieuse des trajectoires de formation à l’échelle d’un village permet d’approcher les modalités d’inscription de l’écriture dans l’espace social. L’étude des pratiques de lecture, d’écriture et de compte, et des signi-fications qui y sont attachées, amène à identifier comme domaine d’écriture privilégié l’espace personnel. En scrutant les façons de désigner et de déli-miter cet espace « à soi », l’ouvrage démontre que l’écriture est un facteur essentiel dans la redéfinition des contours du public et du privé, et rapporte ces processus aux transformations socio-économiques en cours.

À partir d’un ancrage comparatiste, ce livre propose de dépasser le question-nement classique autour du partage oralité/écriture, et contribue au domaine émergent des travaux sur l’écriture sur les terrains africains. Il ouvre des perspectives plus générales sur le rapport à soi et la subjectivité dans l’Afrique contemporaine.

Aïssatou Mbodj-Pouye est chargée de recherche au CNRS, membre du Centre d’étude des mondes africains (CEMAf ). Ses travaux portent sur la culture écrite en Afrique de l’Ouest, ainsi que sur la mémoire et son inscription dans des lieux, des objets et des documents en Afrique et dans la migration.

issn 1258-1135isbn 978-2-84788-375-6

Prix 24 euros

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COLLECTION SOCIÉTÉS, ESPACES, TEMPS

Dirigée par Frédéric Abécassis, Myriam Houssay-Holzschuch et Marie Vogel

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SOCIÉTÉS, ESPACES, TEMPS

Le fil de l’écritUne anthropologie

de l’alphabétisation au Mali

Aïssatou Mbodj-Pouye

ENS ÉDITIONS2013

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NSÉléments de catalogage avant publication

Le fil de l’écrit. Une anthropologie de l’alphabétisation au Mali / Aïssatou Mbodj-Pouye – Lyon : ENS Éditions, impr. 2013. – 1 vol. (316 p.) : couv. ill. ; 23 cm – (Sociétés, espaces, temps, ISSN 1258-1135)Bibliogr. : p. 291-307. isbn 978-2-84788-375-6 (br.) : 24 EUR

Illustration de couverture : Réunion d’une association féminine de microcrédit dans un village de la commune de Konséguéla. © A. Mbodj-Pouye, 2001.

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute re-présentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective sont interdites.

© ENS ÉDITIONS, 2013École normale supérieure de Lyon15 parvis René DescartesBP 700069342 Lyon cedex 07

isbn 978-2-84788-375-6

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NSÀ mes amis au Mali, pays qui a dramatique-ment changé depuis le temps dont traite ce livre. Ala k’aw kÆnÆ to, ka ñøgonye nøgøya.

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NSremerciements

Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat de sociologie et anthropologie soutenue à l’Université Lumière-Lyon-2 en 2007, financée par une allocation de recherche du ministère de l’Éducation nationale. Une bourse Jean-Walter-Zellidja de l’Académie française m’a donné les moyens d’effectuer un premier terrain en 2001. Enfin, un poste d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) m’a permis d’achever ma thèse et de rédiger cet ouvrage.

Au Mali, mes pensées vont d’abord aux personnes qui m’ont reçue et accueillie lors de mes enquêtes, en particulier mes logeurs à Fana, Ibrahima Dembélé et Hawa Keïta. Je ne peux nommer tous ceux qui ont pris le temps de discuter avec moi dans les villages où j’ai travaillé, mais je leur dois d’avoir mené à bien ce travail. J’ai été assistée par plusieurs personnes, en particulier Baba Kané et Abdoulaye Fomba, ainsi que Joseph Gaston Traoré qui a transcrit une partie des entretiens. À Bamako, Mamadou Lamine Haïdara, trop tôt disparu, a été mon interlocuteur le plus précieux.

Je remercie tous les membres de la Compagnie malienne pour le déve-loppement des textiles (CMDT) avec lesquels j’ai travaillé, en particulier Cheick Oumar Doucouré (Bamako), Youssouf Sidibé (Fana) et Mamadou Youssouf Cissé (Koutiala). Mon rattachement à l’Institut des sciences humaines a permis la bonne conduite de mes enquêtes. Les échanges avec les formateurs et linguistes de la Direction nationale de l’éducation de base (DNEB) au ministère de l’Éducation nationale et du Centre national des res-sources de l’éducation non formelle (CNR-ENF) – ex-Direction nationale de l’alphabétisation fonctionnelle et de la linguistique appliquée (DNAFLA) – ont été fructueux, en particulier avec Ndo Cissé et Youssouf Diallo.

Ma thèse a été réalisée sous la direction de Bernard Lahire, que je

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remercie d’avoir accepté de diriger ce travail sur un terrain inconnu de lui ; ses exigences méthodologiques et son cadrage théorique ont été essen-tiels. Je tiens à exprimer également ma reconnaissance à Gérard Dumestre pour ses encouragements constants et sa relecture minutieuse des trans-criptions du bambara. Étienne Gérard et Yves Grafmeyer ont accepté de participer au jury et de partager avec moi des réflexions qui m’ont été très utiles au moment de remanier ma thèse. Également membre du jury, Béatrice Fraenkel a été une interlocutrice experte et attentive depuis la fin de ma thèse ; je la remercie tout particulièrement de m’avoir accueillie au sein de l’équipe Anthropologie de l’écriture de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC) à l’EHESS. Je remercie chaleu-reusement les doctorants et chercheurs qui ont participé à l’atelier de lectures Anthropologie de l’écriture et Literacy Studies que j’ai animé au sein de cette équipe, et dont les échanges ont contribué aux inflexions don-nées à cet ouvrage par rapport à mon travail de thèse. Au Centre d’études africaines, je remercie en particulier Anne Doquet, Éloi Ficquet et Jean-Paul Colleyn pour nos discussions et collaborations, qui m’ont permis de développer la thématique de l’écrit en Afrique dans une perspective comparatiste. J’ai eu l’opportunité de présenter mon travail à différentes occasions qui m’ont toutes beaucoup apporté ; je remercie Sean Hawkins pour son invitation à l’Université de Toronto, Kasper Juffermans de m’avoir conviée à Tilburg, Uta Papen et David Barton pour nos échanges réguliers à Lancaster et Paris, et Catherine Atlan de m’avoir invitée à Aix-en-Provence.

La rencontre de Cécile Van den Avenne au cours de ma thèse a été déci-sive. Je tiens à la remercier pour son aide efficace et enthousiaste sur le corpus des cahiers, et pour son engagement dans nos travaux communs.

Mes collègues et amis ont été largement mis à contribution, sans que je puisse ici les citer tous. Ingse Skattum, Thierry Tréfault et Bernard Dumont ont bien voulu partager avec moi les réflexions issues de leurs travaux sur l’alphabétisation et l’école bilingue. Karin Barber a eu la gentillesse de dis-cuter certains aspects de mon travail et je lui en suis très reconnaissante. Je remercie Vincent Bonnecase pour ses conseils sur la partie historique, Kristin Vold Lexander pour nos échanges sur le plurilinguisme à l’écrit, Julie Lefèbvre pour ses remarques sur l’usage des abréviations, Tristan Poullaouec pour son appui sur les statistiques, Francesco Zappa pour son aide minutieuse sur les usages de l’arabe.

Merci enfin et surtout à ma mère Anne, qui m’a donné le goût de voya-ger, et à mon mari Badara pour son soutien de tous les instants où j’ai puisé l’énergie de mener à bien ma thèse et la rédaction de cet ouvrage.

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NSnote sur la transcription du bambara et les citations d’entretien

Transcription du bambara

Pour la transcription du bambara, je suis l’orthographe officielle. Je ne note toutefois pas les tons, en conformité avec l’usage de la plupart des publications non spécialisées.

Voici les caractéristiques notables de prononciation pour un lecteur francophone (voir Bailleul2007, p. 6) : – c pour l’occlusive palatale sourde (tch ou ty) – j pour l’occlusive palatale sonore (dj ou dy) – ñ pour la nasale palatale (ny) – ŋ pour la nasale vélaire (ng de l’anglais king) – u pour la voyelle d’arrière fermée (ou) – o pour la voyelle d’arrière mi-fermée (ô de pot) – ø pour la voyelle d’arrière mi-ouverte (o de toc) – e pour la voyelle d’avant mi-fermée (é) – Æ pour la voyelle d’avant mi-ouverte (è)

Cet ouvrage utilise la police Bambara Sil Doulos développée par le labo-ratoire Langage, langues et cultures d’Afrique noire (LLACAN) du CNRS.

Je recours aux formes suivantes pour la citation des verbes (Dumestre 2003, p. 43) : – pour un verbe intransitif « ka » + verbo-nominal (VN) – pour un verbe transitif « k’a » + VN – pour un verbe réfléchi « k’i » + VN

Pour la transcription des noms propres, je me conforme à l’usage, même s’il s’éloigne des règles indiquées ci-dessus. Ainsi, je conserve l’orthographe

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usuelle pour la ville de « Ségou », que d’autres publications désignent par l’orthographe rétablie « Segu » – dans les citations, je suis l’usage de l’au-teur. Les termes bambara d’usage courant, insérés au fil du texte, sont en italiques et toujours au singulier.

Les ouvrages de référence utilisés dans cette étude sont les Dictionnaire bambara-français et Dictionnaire français-bambara de Charles Bailleul (2007, 1997) et la Grammaire fondamentale du bambara de Gérard Dumestre (2003). Par souci de concision, le renvoi aux entrées de dic-tionnaire ne comporte pas de pagination.

Extraits d’entretien en bambara

Les extraits d’entretien sont suivis de la mention « entretien en bambara » ou « entretien en français », indiquant la langue principale dans laquelle s’est exprimé mon interlocuteur, sans préjuger d’alternances ponctuelles dans l’autre langue. Les quelques entretiens où la personne a régulièrement utilisé les deux langues sont signalés comme tels. Cette indication sur la langue de l’entretien est donnée la première fois seulement dans le cas de citations consécutives du même entretien.

Lorsqu’il m’a paru important que le lecteur puisse se référer à la trans-cription des extraits d’entretien en bambara, le texte original figure soit intégralement en note de bas de page, soit partiellement entre crochets droits [ ] à la suite de la traduction en français.

Les italiques signalent les passages traduits du bambara, alors que les passages ou expressions en français dans l’extrait original sont donnés en caractères romains.

Dans les échanges, les traductions et interventions de mon assistant sont parfois omises, ce qui est spécifié ; elles sont restituées, introduites par la mention « Int. » pour « Interprète », quand les jeux d’incompréhen-sion ou les glissements de sens sont significatifs.

Les transcriptions d’entretien suivent les critères habituels en sciences sociales, avec notamment l’ajout d’une ponctuation.

La barre oblique / signale une phrase interrompue, soit par le locuteur soit par l’un de ses interlocuteurs.

Les coupes sont signalées par (…).Les commentaires sur la situation d’interlocution et les éléments sur la

communication non verbale sont fournis entre parenthèses ( ).Les termes incertains sont restitués entre accolades { }.Les soufflets < > encadrent des explicitations du sens d’un terme ainsi

que tout ajout destiné à rétablir une expression correcte ou à faciliter la compréhension.

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Note sur la transcription du bambara 11

Transcriptions d’écrits

Dans les transcriptions de documents recueillis, sauf indication contraire, l’orthographe originale est conservée. Le cas échéant, l’orthographe est rectifiée entre crochets [ ].

La barre oblique / indique un saut de ligne.

Caractéristiques des enquêtés

Les personnes avec lesquelles j’ai travaillé sont nommées par des pseu-donymes. Quand elles sont introduites pour la première fois, figure entre parenthèses une indication sommaire de leur niveau d’alphabétisation en utilisant les expressions suivantes : – « alphabétisation » signifie que cette personne a suivi des sessions d’al-

phabétisation en bambara et a des compétences à l’écrit dans cette langue ;

– « école classique » signifie que la personne a été scolarisée dans une école en français seulement ;

– « école bilingue » signifie que la personne a été scolarisée à l’école pri-maire bilingue du village.Pour l’école, la mention de la dernière classe atteinte suit, étant entendu

qu’une indication telle que « école bilingue, 7e » signifie que la personne a été scolarisée au primaire à l’école bilingue, puis en 7e au second cycle où le bambara n’est plus utilisé.

Pour les personnes qui ont été scolarisées puis ont suivi des sessions d’alphabétisation, j’indique uniquement le niveau scolaire.

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NSliste des sigles

AOF Afrique occidentale françaiseAPC Association de producteurs de cotonAPE Association de parents d’élèvesAV Association villageoiseCEV Corpus d’écrits villageoisCFDT Compagnie française pour le développement des fibres textilesCNR-ENF Centre national des ressources de l’éducation non formelle

(ex-DNAFLA)CMDT Compagnie malienne pour le développement des textilesCPC Coopérative de producteurs de cotonDEF Diplôme d’études fondamentalesDNAFLA Direction nationale de l’alphabétisation fonctionnelle et de la

linguistique appliquéeEDSM Enquête démographique et de santé du MaliFED Fonds européen de développementIDH Indice de développement humainIRCT Institut de recherche sur le coton et les textilesONG Organisation non gouvernementalePEMA Programme expérimental mondial d’alphabétisationPNUD Programme des Nations unies pour le développementUnesco Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la

cultureZAER Zone d’aménagement et d’expansion ruraleZAF Zone d’alphabétisation fonctionnelle

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Introduction

Tenir un cahier de crédits, dresser une liste de courses, noter un poids de coton sur un bout de papier, consigner sur un carnet dates de naissance, adresses et « secrets » divers… Autant de gestes ordinaires dans bien des sociétés, mais moins attendus dans une région rurale du Mali, un pays dont le taux d’alphabétisation est l’un des plus faibles au monde1. C’est pourtant à scruter les significations sociales et culturelles de telles pratiques que s’attache cet ouvrage. L’accent sur les usages quotidiens de l’écrit permet de faire émerger un domaine de recherche laissé dans l’ombre sur les terrains africains par le privilège accordé aux traditions orales ou à des systèmes graphiques originaux. Saisir la portée de ces gestes exige de restituer la singularité d’un contexte où l’écriture est d’abord mobilisée pour des tâches collectives, en même temps qu’elle donne lieu à la revendication forte d’usages pour soi, dans une tension que ce livre se propose d’explorer.

L’alphabétisation en région cotonnière

Ce travail s’appuie sur une ethnographie menée dans différents villages de la région cotonnière du Mali et encadrée par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), puis progressivement centrée sur un village situé près de la ville de Fana. Cette région a connu d’ importantes

1 26 % des adultes selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco 2010, « Annexe statistique »).

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campagnes d’alphabétisation pour adultes en bambara dans les années 1970 et 1980, dans le contexte d’une réorganisation de la production cotonnière où l’écrit est devenu central. L’ouvrage restitue la forme spécifique prise par les processus d’alphabétisation dans cette région, et la manière dont la culture du coton et les usages de l’écrit tissent ensemble une des trames de l’organisation sociale.

Le choix de ce terrain amène à observer des usages de l’écrit dans des langues et des graphies déterminées. Les écrits du coton sont en bambara, langue nationale choisie pour l’alphabétisation fonctionnelle et l’organisa-tion communautaire, écrite dans une forme adaptée de la graphie latine ; le français, langue officielle, imprègne également fortement les pratiques de l’écrit à travers les usages scolaires et administratifs ; l’arabe est généra-lement relativement circonscrit à des usages religieux. Cette configuration des langues de l’écrit n’est pas généralisable à l’ensemble du Mali : l’écri-ture en arabe, pour des usages religieux et profanes, peut être localement très développée ; des systèmes graphiques concurrents à la graphie latine, notamment le n’ko, sont également attestés. Mais il m’a semblé que les usages en bambara, pourtant liés à des campagnes d’alphabétisation mas-sives, n’avaient pas donné lieu à des travaux qui dépassent l’évaluation des programmes, et qu’il était temps de prendre au sérieux ces pratiques éloignées des traditions lettrées plus prestigieuses et mieux documentées.

Observer les usages de l’écrit dans leur diversité fait apparaître, bien au-delà des écrits agricoles, un foisonnement de pratiques et de domaines d’écriture : domestiques et familiaux, comptables et commerciaux, liés aux déplacements à la ville voisine ou à la migration plus lointaine, reli-gieux et magiques, scolaires et juvéniles… Cette étude s’attache à épouser les contours, parfois sinueux, de ces usages, individuels et collectifs, qui sont une mine pour appréhender les changements sociaux à l’œuvre. Si en termes d’objet de recherche usages et pratiques de l’écrit (écriture, lecture et manipulation de documents) constituent le cœur de ce travail, une autre dimension de l’écriture est également abordée à travers la question socio-logique du statut que confère l’écrit dans une communauté où sa maîtrise reste rare. La reconnaissance sociale de ce statut est très variable selon les profils des individus, en particulier leur âge et leur sexe. La première par-tie s’emploie à déployer la diversité de ces « trajectoires lettrées » à l’échelle d’un village. Cette perspective conduit à interroger la manière dont s’ar-ticulent sollicitations à écrire pour d’autres et usages personnels, ce qui fait l’objet du questionnement propre à la deuxième partie. La significa-tion anthropologique de l’écrit pour soi, à travers notamment la tenue d’un cahier personnel qu’analyse la troisième partie, est rapportée à ce contexte d’alphabétisation inégale.

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Introduction 17

Dans cette définition d’objet, la notion d’alphabétisation doit être entendue au sens large, comme un équivalent du concept anglophone de literacy qui englobe les processus d’apprentissage comme les usages de l’écrit2. Travaillant dans une région où la grande heure de l’alphabétisation est passée, après la retombée de la dynamique impulsée par la CMDT et l’expérimentation du bilinguisme scolaire, et enquêtant auprès d’adultes formés au sein de ces structures éducatives, j’ai porté mon regard non pas sur les apprentissages mais sur ce qu’il en reste. De ce point de vue, mon approche complète les travaux disponibles sur la région, en particulier ceux d’Étienne Gérard qui, partant de questions éducatives, en est venu à faire l’hypothèse d’une appropriation de l’écrit (Gérard 1997a ; voir aussi Tréfault 1999, p. 194-211). Outre ce positionnement en aval des processus d’alphabétisation au sens étroit, je tiens aussi à dépasser la vision véhicu-lée dans les programmes d’alphabétisation qui souvent s’en tiennent à une approche quantitative du phénomène. Certes, je proposerai une évaluation du niveau d’alphabétisation dans le village d’enquête. Mais cette mesure n’est qu’indicative, et demande à être complétée par l’attention aux socia-bilités autour de l’écrit et aux usages qui s’imposent à tous, bien au-delà du cercle restreint des lettrés.

Nouvelles approches de l’écriture en Afrique

L’écriture est un objet classique de l’anthropologie et des études africaines depuis les travaux de Jack Goody développés à partir de son terrain nord-ghanéen. Ses thèses sur les effets de l’écriture, affirmées dans La raison graphique et nuancées dans ses travaux ultérieurs, balisent le domaine, ouvrant une série de questions sur ce que le recours à l’écrit modifie, à la fois pour les individus et les institutions, en termes d’organisation sociale comme de développement et de transmission du savoir (Goody 1979, 1986, 1994, 2007 [2000]). La lecture de cette œuvre a été décisive dans la concep-tion de mon travail, et la richesse des thèmes et des questions abordés en fait une référence toujours utile. Cependant, la question centrale de Jack Goody, celle des effets ou des conséquences de l’écriture, délimite trop étroitement le cadre d’une exploration des usages de l’écrit. Cette critique déjà ancienne a d’abord été portée par des anthropologues et des historiens travaillant sur des situations d’écriture impossibles à rattacher

2 Dans ce travail, je ne retiens pas le néologisme « littératie », qui a cours dans la litté-rature didactique comme dans les rapports des institutions internationales telles que l’Unesco, mais qui est d’usage limité en sciences sociales.

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au grand récit que propose à sa manière Jack Goody (Larsen et Schousboe 1989, Street 1993). Elle s’est cristallisée dans le courant des New Literacy Studies qui a systématisé une approche contextualisée des pratiques et des « événements » d’écriture (literacy events) (Street 1995, 2001 ; pour une présentation voir Mbodj-Pouye 2004, Fraenkel et Mbodj[-Pouye] 2010).

Le débat sur les effets de l’écriture est à mon sens aujourd’hui dépassé : l’enjeu n’est plus de justifier de changements radicaux dont l’introduction de l’écriture serait à elle seule responsable, ni, au contraire, d’apporter un contre-exemple de plus montrant que la diffusion de l’écriture, sur tel ou tel terrain, n’a pas eu les effets escomptés. Ce débat est caduc théorique-ment, puisque les meilleurs travaux ont consisté à cerner les contours de situations d’écriture singulières, où l’appropriation de l’écriture a suivi ses propres voies tout en modifiant plus ou moins profondément l’organisation sociale et les possibilités offertes aux individus. Il ne correspond plus non plus aux programmes d’alphabétisation actuels, qui à l’échelle internatio-nale comme locale, ont renoncé aux grandes campagnes pour s’appuyer sur des modes plus capillaires de diffusion de l’écrit. Cette manière de poser la question manque enfin le fait que l’écriture est de toute manière toujours là, à travers des modes de gouvernance et des systèmes économiques glo-balisés qui s’appuient sur l’écrit. Contribuer à ce domaine consiste donc, par-delà ce débat sur les effets, à affiner le questionnement sur la manière dont l’écrit dessine de nouvelles lignes de partage sur un terrain donné.

Dans ce domaine pluridisciplinaire de travaux sur l’écriture, je puise mes outils et concepts à diverses sources. Le courant des New Literacy Studies propose un outillage utile, notamment le concept de literacy event que je mobilise pour l’observation de scènes comme celle qui ouvre la deuxième partie de cet ouvrage. La construction de mon objet doit beaucoup à l’ethnologie et la sociologie françaises des écritures ordi-naires qui, sans prendre leurs distances de manière affirmée avec les travaux de Jack Goody, déplacent son questionnement par le recours sys-tématique à l’ethnographie de lieux d’écriture et à l’étude minutieuse des pratiques (Fabre 1993, 1997a ; Lahire 1993a, 1998). Parmi les travaux qui renouvellent actuellement ce champ, je retiens particulièrement ceux qui mettent l’accent sur la matérialité de l’écrit et proposent une approche de la performativité des actes d’écriture (Fraenkel 2007). Enfin, je me suis aventurée dans le champ imposant des travaux d’historiens sur la culture écrite, particulièrement développé pour les terrains européens (Chartier 1996, Mouysset 2007). Dans ce domaine, mon travail bénéficie de l’émer-gence plus récente de ce thème en histoire africaine, à travers des travaux qui récusent le partage oralité-écriture (Hofmeyr 1993), décrivent l’im-position de l’écrit en contexte colonial (Hawkins 2002) et détaillent les

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modes d’appropriation des textes bureaucratiques comme littéraires (Peterson 2004)3.

Comme la pluralité de ces sources d’inspiration le donne à voir, ce travail se situe à la croisée de plusieurs disciplines des sciences sociales. Partant d’une approche sociologique des profils lettrés, l’enquête débouche sur un questionnement anthropologique des significations sociales et cultu-relles des usages de l’écrit. L’outillage linguistique mobilisé pour analyser les écrits recueillis, notamment le corpus de cahiers personnels, puise à la sociolinguistique et à l’anthropologie linguistique. Enfin, la dimension comparatiste est nourrie par la référence aux travaux d’historiens.

Au-delà d’une contribution à ce vaste chantier de recherche, mon ambi-tion est aussi d’éclairer les logiques sociales les plus larges. L’enjeu est de faire valoir l’écrit comme une manière inédite de reconsidérer certains objets classiques des sciences sociales, à travers ce pari d’analyser une société en cours d’alphabétisation par le biais des pratiques de l’écrit. Sur les terrains africains, cette approche permet d’aller à rebours d’une vision classique de sociétés rapidement identifiées comme de « tradition orale ». Il ne faut cependant pas perdre de vue l’usage limité de l’écriture, les résis-tances à la mise par écrit, ni l’intrication des usages de l’écrit avec les modes oraux de communication et de transmission des savoirs.

Écriture, individualisation et rapport à soi : un fil directeur

Dans cette perspective d’une anthropologie générale conduite à travers l’étude des dynamiques d’alphabétisation et des usages de l’écrit, un questionnement se noue autour de la place de l’écrit dans les processus d’individualisation en cours.

Cette question est d’abord liée à l’oscillation de mon enquête entre usages collectifs et usages personnels de l’écrit. Il s’agit bien d’un mou-vement de va-et-vient et non d’une progression linéaire : en effet, mon intérêt premier s’est porté vers des usages qui se situent au-delà des exi-gences de la fonctionnalité de l’alphabétisation et des injonctions à écrire ; mais j’ai constaté qu’une telle partition n’allait pas de soi, et qu’il était illu-soire de chercher à isoler les usages personnels des formes collectives et professionnelles qui en fournissent bien souvent la matrice ; aussi, c’est fina-lement dans une attention aux circulations entre public et privé, et entre

3 Pour une présentation de ce domaine, voir Cultures écrites en Afrique, no 4 des Annales. Histoire, Sciences sociales de juillet-août 2009, notamment notre introduction (Ficquet et Mbodj-Pouye 2009).

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collectif et individuel, que j’ai proposé de définir l’appropriation de l’écri-ture. Cette démarche m’a permis de comprendre les propos ambivalents de mes interlocuteurs alphabétisés qui acceptent de mettre leur maîtrise de l’écrit au service de la communauté, mais insistent en même temps sur l’intérêt d’écrire par soi-même et pour soi-même. Pour comprendre ces discours, j’ai travaillé sur les catégories maniées par mes interlocuteurs, notamment le champ sémantique associé à « gundo », secret en bambara, afin de saisir la manière dont s’élaborent des formes d’intelligibilité locales du recours personnel à l’écrit.

L’enquête sur les pratiques fait apparaître l’importance du registre de l’écrit pour soi, pour « régler soi-même ses affaires » selon une formule récurrente chez mes interlocuteurs. Cet intérêt pour les dimensions per-sonnelles et privées de l’écriture, qui ouvre sur l’étude des « cahiers à soi » à laquelle est consacrée la troisième partie, ne contredit qu’en apparence l’approche globale des usages. En effet, les pratiques personnelles sont rap-portées aux pratiques professionnelles et collectives, l’appropriation de l’écrit étant définie comme la reprise pour son propre compte de modèles qui circulent largement. La pratique de tenir un cahier à soi condense du reste une variété de pratiques d’écriture, ce qui permet de reprendre, à son prisme, l’ensemble des autres pratiques.

Cette démarche permet d’éviter l’écueil d’une reprise trop serrée de l’hy-pothèse, centrale dans l’histoire de la culture écrite occidentale, du rôle déterminant de l’écrit dans le processus de privatisation caractéristique de la modernité (Chartier 1986). Karin Barber a souligné la nécessité de comprendre selon quelles modalités propres cette association entre écri-ture et émergence de nouvelles formes de la subjectivité peut prendre sens en Afrique (2006a). Dans le souci de pratiquer un comparatisme maîtrisé, j’ai tâché, plutôt que de transposer une telle hypothèse de recherche à mon terrain, d’observer la pluralité des dimensions de l’individualisation et la variation des pratiques de l’écrit et des acteurs impliqués selon chacune de ces dimensions. Ce travail analytique adossé à la distinction foucaldienne entre individuel, privé et « à soi » est approfondi à la fin de la deuxième par-tie et sert de pivot à la troisième (Foucault 1984, p. 59). Cette distinction éclaire la progression d’ensemble de ce travail, dont voici les grandes lignes. L’étude des profils lettrés menée en première partie permet d’explorer les enjeux d’un apprentissage de l’écrit destiné à des individus mais visant à doter le village de responsables lettrés ; cette partie de l’ouvrage décrit le contexte sociohistorique d’une région marquée par des processus d’encadrement des populations qui reposent sur des techniques d’identification et d’enregis-trement des individus et des propriétés. La deuxième partie s’attache aux circulations entre public et privé, questionnant la pluralité des échelles que

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recouvre cette dernière dimension, et la légitimité socialement différenciée d’une revendication du privé, notamment selon le genre et la séniorité. La dernière partie, centrée sur l’étude d’un corpus de cahiers personnels, permet de travailler sur la construction par l’écrit d’une sphère à soi, et d’identifier les nouvelles figures de la subjectivité qui s’esquissent à travers ces pratiques.

Posture d’enquête et terrains

J’ai découvert le Mali à l’occasion de ce travail de recherche. Le choix de ce terrain a été motivé d’abord par l’acuité des problèmes d’alphabétisation dans ce pays, à laquelle j’avais été sensibilisée par une expérience d’alpha-bétisation en foyers de travailleurs migrants à Paris, essentiellement auprès de Maliens. En même temps, la complexité de la situation linguistique et la diversité des expériences d’éducation et d’alphabétisation rendaient ce terrain particulièrement intéressant, ce qui m’a orientée vers la région coton-nière, en raison de l’usage important des langues nationales dans cette zone.

Un premier terrain exploratoire, en août-septembre  2001, où j’ai enquêté dans une dizaine de villages autour de Koutiala, m’a permis de concevoir une problématique plus précise, et m’a décidée à apprendre le bambara. Lors de ce premier terrain, le fait d’être introduite par les agents de la CMDT dans les villages a été un atout, me permettant de comprendre le fonctionnement de cette institution, mais aussi une limite, les villageois s’en tenant à des discours convenus sur les bienfaits de l’alphabétisation face à une étrangère perçue comme proche de la CMDT. J’ai pu observer, pour la première fois, des cahiers personnels ce qui m’a incité à approcher de manière plus systématique les usages de l’écrit d’une localité.

La complexité de la situation sociolinguistique de la région de Koutiala m’a amenée à déplacer mon terrain. Soucieuse de rester en zone CMDT, j’ai choisi les environs de Fana, au nord de la région cotonnière et en zone bam-barophone, pour terrain principal. J’y suis retournée à plusieurs reprises, séjournant plus longuement (six mois entre 2002 et 2004, complété de visites plus brèves en 2007 et 2009) dans un village près de Fana, que j’appelle « Kina »4. Mon travail s’appuie principalement sur les matériaux recueillis dans ce village. Cependant, je ne le conçois pas à strictement par-ler comme une monographie5 : ce village est pris comme le centre d’une

4 J’ai choisi d’anonymiser ce village, pour des raisons qui tiennent notamment à son his-toire, dont les grandes lignes sont données au chapitre 3. L’anonymisation des individus s’est effectuée sur la base de l’adoption de pseudonymes pour les prénoms seulement, les patronymes étant très répandus

5 L’articulation entre une approche centrée sur le local et une appréhension de dynamiques

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ethnographie qui le réinscrit dans son environnement proche – le village voisin que j’appelle « Balan », à 3 kilomètres ; la ville de Fana, située sur l’axe routier Bamako-Ségou, à 10 kilomètres, où se tient une foire hebdomadaire qui attire une grande partie des villageois –, et lointain – Bamako, où une partie des premiers élèves de l’école a pu être retrouvée ; les autres villes du Mali ou des pays voisins, qui constituent des centres attractifs lors des migrations saisonnières. Plus largement, les analyses présentées ici s’ap-puient sur plusieurs terrains au Mali d’une durée de onze mois.

Ma position sur le terrain, en tant que métisse franco-sénégalaise, a été pour l’essentiel celle d’une étrangère, aussi bien dans la manière dont mes interlocuteurs m’ont traitée que dans la posture que j’ai adoptée. Au village, j’ai été identifiée comme française ou occidentale, désignée par le terme de « tubabu »6, parfois dans des usages affectueux comme dans l’expression « an ka tubabumusonin », notre petite Française. Mes attaches sénégalaises et le fait de me dire musulmane ont joué sur certaines relations : ainsi d’un jeune, dont le logeur à Bamako était un tailleur sénégalais, qui venait prendre des « cours » de wolof avec moi ; ou encore de Ba Madou Sanogo, qui m’a pré-senté son volumineux cahier consacré à l’islam, étudié en troisième partie, en me confiant que j’y trouverais les réponses à toutes mes questions sur la religion. Mais ces dynamiques d’inclusion, voire de connivence, qui se sont aussi manifestées parfois entre femmes, sont restées marginales7.

Travailler sur des « papiers » : objet, méthodes et corpus

Au village, les papiers évoquent d’abord les documents exigés par l’admi-nistration ou détenus localement pour le compte des institutions qui y interviennent. Mais, on le verra, ces injonctions sont aussi reprises par les villageois dans des pratiques d’écriture domestiques ou personnelles. Outre cette ambivalence, la notion de « papiers » introduit également une dimen-sion centrale dans l’analyse, celle de la matérialité des supports d’écriture, qui sera déclinée pour approcher différemment feuilles volantes, cahiers ou car-

globales est aujourd’hui classique en anthropologie. Pour une réflexion théorique, voir l’ouvrage de Akhil Gupta et James Ferguson (1997).

6 Charles Bailleul donne pour « tubabu » (de l’arabe {tabīb = médecin}) : 1. Blanc, euro-péen, 2. Français (2007).

7 Ce rapport au terrain est lié au fait que, traitée comme une personne étrangère, j’ai accepté cette position qui me convenait. Pour d’autres enquêtes au Mali en milieu urbain et auprès de migrants maliens et sénégalais en France, ma posture est différente et m’amène à travailler davantage la question de l’implication subjective. En anthropolo-gie, les réflexions de Lila Abu-Lughod constituent une référence désormais classique sur le rapport au terrain de chercheurs de « l’entre-deux » (2010 [1991]).

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nets. Enfin, dans sa banalité, l’expression évoque un domaine de recherche bien établi sur les terrains français autour des « écrits ordinaires » et « papiers de famille ».

Les travaux sur les « écritures ordinaires », constituées en objet par l’ethnologie française dans les années 1990 (Fabre 1993, 1997a), sont une référence importante de mon travail, comme point de comparaison mais aussi comme moyen de faire ressortir la spécificité de mon terrain. L’épithète « ordinaire » est très efficace pour pointer le type d’objets qui m’ont intéressée au cours de cette enquête, à rebours du privilège accordé aux écritures africaines ; elle fait heureusement écho au conseil de Jean-François Bayart d’approcher les sociétés africaines dans leur « banalité » (2006 [1989], p. 19). Pourtant, l’appellation d’« écritures ordinaires » déjà floue dans son usage premier sur les terrains français, ne convient pas aux situations décrites dans cet ouvrage, où l’écrit reste relativement rare et son ancrage dans des routines toujours à vérifier. Cahiers et Bics sont des objets dont tous ne disposent pas, et on verra que les modes d’acquisition de ces instruments sont essentiels pour comprendre certaines pratiques.

Pour étudier ces écrits et les pratiques qui les entourent, j’ai choisi de les considérer comme des objets mais aussi comme des documents, constituant un corpus d’écrits photographiés dans un village, en particulier des cahiers personnels. Cette démarche, peu commune en sciences sociales, m’a amenée à emprunter des méthodes aux historiens dans la perspective de retrouver des pratiques à partir des documents, et aux linguistes afin d’identifier des types de textes, de dégager des niveaux d’énonciation et de traiter la plura-lité des langues. J’ai tenté de maintenir la démarche ethnographique jusqu’au bout, en confrontant le résultat de ces analyses, autant que possible, aux don-nées issues de l’observation et des entretiens. Cette méthode est centrale dans la dernière partie du livre, consacrée au genre du cahier à soi qui, bien loin du journal intime, condense des bribes du quotidien dans une forme relativement peu stabilisée dont j’essaye de cerner les significations.

Plus classiquement, cette enquête mobilise un ensemble d’outils, essentiellement qualitatifs (entretiens, observations de scènes d’écriture), complétés par un questionnaire passé dans le village de Kina. Je rendrai compte, au fur et à mesure que je les convoquerai, de l’usage de ces diffé-rents outils, en particulier celui de la photographie d’écrits. En effet, l’un des enjeux méthodologiques de ce travail est de clarifier l’articulation de ces différents types de matériaux. Les trois parties s’ouvrent respective-ment sur un portrait, l’observation d’une scène, et un écrit photographié, choix d’écriture qui permet de mettre la focale sur un type de matériau ethnographique distinct à chaque fois, même si le raisonnement s’élabore en tissant ensemble ces différents matériaux.