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LE FOLKLORE DE BLIGNY-LE-SEC i PAR LE COLONEL LOUIS SIHDEY ASSOCIÉ (f 1947) J'ai pu retrouver, en fouillant dans mes souvenirs et en enquêtant auprès de tous les doyens de Bligny-le-Sec, la trace d'un certain nom- bre de coutumes qui, chaque jour, vont s'enfonçant dans l'oubli. I. — DU BERCEAU A LA TOMBE Naissance. — La naissance était présidée autrefois par une sage- femme qui, bien entendu, n'avait fait aucune étude spéciale : c'était tout simplement une femme assez adroite, ayant du sang-froid, et qui, après un long exercice de la profession, acquérait une expérience non négligeable. Elle se bornait en principe à laisser agir la nature. De telle sorte que les accidents étaient, somme toute, assez rares. Cela tenait peut-être aussi, pour une grande part, au fait qu'il s'agis- sait d'une population saine et vigoureuse. Pour tout salaire, on lui offrait le repas du baptême et deux livres de beurre, ou quelque chose d'équivalent. Dès que le bruit de la venue au monde s'était répandu, les voisines et amies rendaient visite à la mère et admiraient l'enfant. C'est à la mère que chacune apportait de menus cadeaux, des friandises surtout (sucre, figues, pruneaux, miel). Aujourd'hui, c'est à l'enfant qu'on offre petits vêtements, hochets, couverts, etc. Le père du nouveau-né offrait un litre de vin au père du premier enfant qui allait naître dans le village. C'est ce que l'on appelait le godard. Baptême. — Le prêtre tenait à baptiser l'enfant le plus tôt possible, en général, le dimanche suivant la naissance, dès la sortie de la grand'messe. Un joyeux carillon annonçait la cérémonie, d'autant plus long et plus animé que la famille avait été plus généreuse pour le sonneur de cloches. L'enfant était apporté et tenu sur les fonts bap- tismaux par la sage-femme. Aussitôt l'enfant baptisé, le parrain et la marraine offraient au prêtre, en guise de paiement, un sac plus ou moins richement orné, et garni de bonbons et d'une somme d'argent variant avec la fortune

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LE FOLKLORE DE BLIGNY-LE-SEC i

PAR LE COLONEL LOUIS SIHDEYASSOCIÉ (f 1947)

J'ai pu retrouver, en fouillant dans mes souvenirs et en enquêtantauprès de tous les doyens de Bligny-le-Sec, la trace d'un certain nom-bre de coutumes qui, chaque jour, vont s'enfonçant dans l'oubli.

I. — DU BERCEAU A LA TOMBE

Naissance. — La naissance était présidée autrefois par une sage-femme qui, bien entendu, n'avait fait aucune étude spéciale : c'étaittout simplement une femme assez adroite, ayant du sang-froid, etqui, après un long exercice de la profession, acquérait une expériencenon négligeable. Elle se bornait en principe à laisser agir la nature.De telle sorte que les accidents étaient, somme toute, assez rares.Cela tenait peut-être aussi, pour une grande part, au fait qu'il s'agis-sait d'une population saine et vigoureuse. Pour tout salaire, on luioffrait le repas du baptême et deux livres de beurre, ou quelque chosed'équivalent.

Dès que le bruit de la venue au monde s'était répandu, les voisineset amies rendaient visite à la mère et admiraient l'enfant. C'est à lamère que chacune apportait de menus cadeaux, des friandises surtout(sucre, figues, pruneaux, miel). Aujourd'hui, c'est à l'enfant qu'onoffre petits vêtements, hochets, couverts, etc.

Le père du nouveau-né offrait un litre de vin au père du premierenfant qui allait naître dans le village. C'est ce que l'on appelaitle godard.

Baptême. — Le prêtre tenait à baptiser l'enfant le plus tôt possible,en général, le dimanche suivant la naissance, dès la sortie de lagrand'messe. Un joyeux carillon annonçait la cérémonie, d'autant pluslong et plus animé que la famille avait été plus généreuse pour lesonneur de cloches. L'enfant était apporté et tenu sur les fonts bap-tismaux par la sage-femme.

Aussitôt l'enfant baptisé, le parrain et la marraine offraient auprêtre, en guise de paiement, un sac plus ou moins richement orné,et garni de bonbons et d'une somme d'argent variant avec la fortune

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et la générosité des donateurs. Ils sortaient ensuite de l'église derrièrela sage-femme qui emportait rapidement l'enfant à la maison. Arrêtéssur le parvis et puisant à pleines mains dans des sacs de dragées(chez les plus pauvres, de noisettes, pruneaux, raisins secs) ils leslançaient dans toutes les directions aux enfants qui se les disputaientavec des cris joyeux. C'était le trikéou. Parfois, des sous se mêlaientaux dragées : c'était alors la curée 1 Par contre, il arrivait que, paravarice, le parrain se montrait chiche. Alors s'élevait des clameurs :Au parrain fourou » x !

Un grand banquet réunissait la famille, où parrain et marrainesiégeaient aux places d'honneur. Puis, ces derniers « portaient lesbonbons ». Allant de porte en porte, ils offraient à tous les habitantsdu village bonbons ou noisettes. Celui dont la porte avait été passéeconsidérait ce geste comme un affront, et parfois des haines tenacesn'eurent pas d'autre origine.

Le parrain était tenu, au moins moralement, d'embrasser sa com-mère, sans quoi le filleul serait baveux. On devine les quolibets dontil était accablé lorsque, dans la suite, l'enfant était atteint de cettepetite infirmité.

En général, la jeune mère ne gardait le lit qu'une dizaine de jourset bien souvent moins longtemps encore. La première sortie étaitpour l'église, où elle se rendait le matin, à l'issue de la messe, sans sonenfant, mais avec la sage-femme. Porteuse d'un gros cierge alluméet d'un pain enveloppé d'un linge fin, elle était bénie par le prêtre.

A sa sortie de l'église, elle remettait ce pain bénit, le chan-tyâ, àla première jeune femme mariée qu'elle rencontrait et qui, de ce fait,était censée devenir mère dans un délai maximum de neuf mois.On dit que le chan-tyâ n'était pas toujours reçu avec une plaisir évi-dent ; et parfois certaines paroissiennes cherchaient à l'éviter.

La première enfance. — Nourri en principe par sa mère, l'enfant sedéveloppait, d'autant plus admiré qu'il était plus gros. Il existaitune curieuse coutume qui interdisait d'enlever la calotte de crassequ'il avait sur la tête, le chèpyâ, car c'était un signe de bonne santé.De même, il fallait bien se garder de guérir les enfants atteints d'im-petigo car, disait-on, ça leur tomberait sur la vue. On allait mêmejusqu'à éviter de les épouiller, car les poux se nourrissant de mauvaissang, contribuaient à leur assurer une robuste santé 1...

L'enfant grandissait au milieu des siens, nourri de légendes etinstruit des coutumes de ses ancêtres. L'une d'elles s'est conservéelongtemps et existait encore dans mon enfance : le dimanche desbrandons (avant-veille du mardi gras), le jeune homme dont le cœuravait parlé portait à l'élue une bûche enrubannée, la faille, et étaitinvité à diner si son offre était agréée. Bien souvent, des fantaisistesprofitaient de la coutume pour se faire offrir à bon compte un dîner

1. Littéralement foireux, avec une nuance péjorative et une idée de malédic-tion.

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en général copieux : certains d'entre eux poussaient la farce jusqu'àse mettre à trois ou quatre pour apporter... une faille de 2 à 300 kilos,constituée par un arbre ou une poutre : l'affection du galant étaitmesurée à la taille de la bûche !

Mariage. — Cérémonie dont l'importance paraissait plus grandeque de nos jours, entourée d'un rite compliqué et de coutumes bienoriginales.

Le dimanche précédant le mariage, le futur « enterrait sa vie degarçon » en offrant de copieuses libations aux autres célibatairesmâles du village. Il était tenu d'y assister. Celui qui se refusait àoffrir ces « rafraîchissements », ou qui en était trop chiche, se voyaitgratifié, le soir du mariage, et parfois plusieurs soirs de suite, d'uncharivari : chaudrons, sonnailles, grelots et autres instrumentsbruyants faisaient le fond de ces auditions peu harmonieuses. Rienne pouvait mortifier davantage parents et invités. Parfois l'affairese terminait par des rixes.

Le costume de la mariée était toujours le plus brillant possible ;le summum de l'élégance et de la richesse était de porter une robede satin blanc avec un châle-tapis recouvrant les épaules.

A la fin de la messe de mariage, les jeunes gens du village formaientdouble haie sur le parvis de l'église et, au moment de la sortie ducortège, faisaient abondamment parler la poudre. Le jeune marié,ou son délégué, le garçon d'honneur, donnait la pièce aux tireursafin qu'ils pussent se désaltérer à la santé et au bonheur des jeunesépoux.

Ensuite, on se mettait à table Le repas était d'autant plus copieuxque les époux étaient plus riches... ou voulaient le paraître. Victuailleset boisson étaient servies à satiété au milieu d'une gaîté bruyante,de lazzi et de plaisanteries plus ou moins gauloises à l'adresse desjeunes époux. Il n'était pas rare de rester 5 à 6 heures à table, carles chansons agrémentaient et prolongeaient le festin.

Les enfants n'étaient pas admis à la table des grandes personnesavant l'âge de 15 à 16 ans. Parqués ensemble dans la cuisine, ilsmangeaient à même dans le chaudron, installé au milieu de la pièce>une bouillie sucrée bien épaisse.

Après le déjeuner, bal pour les invités, visites pour les jeunesmariés. La jeune épouse était reçue chez les parents de son marilorsqu'ils habitaient tous deux le village. Ses beaux-parents l'em-brassaient et lui souhaitaient la bienvenue. A partir de ce moment,elle était membre intégrante de la famille.

Un dîner aussi abondant que le déjeuner réunissait à nouveau lanoce. C'est au cours de ce repas que se produisait la farce classique dela jarretière de la mariée. Le garçon d'honneur se glissait subreptice-ment sous la table, faisait semblant de détacher la jarretière de lamariée qui se prêtait complaisamment à l'opération en poussant depetits cris effarouchés. Il reparaissait bientôt, agitant triomphalementun ruban qui était censé représenter la fameuse jarretière. Partagés

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entre les jeunes gens de la noce, ses débris ne tardaient pas à ornerleur boutonnière.

Ensuite, nouveau bal. C'est quand il battait son plein que lesépoux s'échappaient furtivement pour essayer de dépister les jeunesgens, car on devait ignorer le lieu où allaient coucher les mariés.Aussi quelles ruses déployait-on de part et d'autre ! Mais presquetoujours le nid était découvert. Et, à la fin du bal, vers les 3 ou 4heures du matin, toute la jeunesse allait porter aux époux du bonvin, plus tard du Champagne, versé et bu dans un... vase dont ladestination était tout autre ! Celui-ci faisait le tour de l'assembléeaprès que la jeune mariée y eût trempé les lèvres la première.

Mais il arrivait que les précautions prises par la mère de la mariéeétaient telles que le gîte ne pouvait être découvert. Alors la décon-venue des jeunes gens était grande et le lendemain ils étaient en butteaux quolibets.

Les réjouissances de la noce duraient deux joursII arrivait parfois qu'un projet de mariage vînt à échouer par la

faute de l'un ou l'autre des intéressés. Les jeunes gens du villageoffraient alors à l'abandonné (ou à l'abandonnée) un bouquet desauge en guise de consolation et souvent aussi un peu par moquerie,puisqu'ils choisissaient le jour du mariage de son ex-partenaire.

Décès. — Peu de chose à signaler. La curieuse coutume de certainsvillages voisins de faire annoncer le décès par une pauvresse, trèsâgée, se rendant de maison en maison et donnant les indicationsrelatives à l'enterrement, ne semble j amais avoir été en usage à Bligny.

Toutefois, deux préjugés assez bizarres existaient. Comme le vil-lage est coupé exactement en deux par un ruisseau, l'église se trouvaitsur la rive droite, et le cimetière sur la rive gauche. Les vieilles gensprétendaient, et prétendent encore, que lorsqu'on enterre un vendrediun mort dont le cercueil devait traverser deux fois la rivière, il y auranécessairement dans les six semaines qui suivent un nouveau décès.De même pour tout enterrement fait un dimanche. Enfin, les enter-rements n'avaient lieu que le matin.

II. — LE CALENDRIER TRADITIONNEL

Premier de l'an. — Souhaits et étrennes étaient de tradition. Lefait que la première personne étrangère rencontrée en ce jour étaitune femme devait être considéré comme un mauvais présage. Aussi,bien avant le jour, les hommes avaient l'habitude d'aller de porteen porte sou-atè le bon-n' an-né: aux voisins, qui offraient la goutte.Aussi vers midi rencontrait-on force trognes enluminées et gens auxpas chancelants !

Les enfants, eux aussi, allaient présenter leurs souhaits aux voisinset amis. Us recevaient des sucreries, des fruits (noisettes, pruneaux,pommes), rarement des pièces de menue monnaie.

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Conversion de saint Paul (25 janvier). — Quand j'étais encore gamin,en culottes courtes et gros sabots, friand de glissades et de boules deneige, un jeudi matin ma mère me dit : « C'est aujourd'hui la Conver-sion de saint Paul ; tous ceux qui tombent doivent mourir dans l'an-née ». Assez impressionné par cette lugubre perspective (je ne pouvaispas espérer glisser toute la journée sans tomber !) et d'autant plusennuyé que la veille au soir, mes petits camarades et moi avions établiun magnifique glisoû:, je rejoignis tout de même les garçons de monâge en me promettant bien de prendre d'infinies précautions pouréviter la chute fatale. Je leur fis même part de ce que je venais d'ap-prendre ; mes paroles firent impression sur un certain nombre d'entreeux, mais quelques autres se moquèrent de nous. L'insouciance, lerespect humain et la tentation aidant, je me mis à glisser, à glissermême éperduement et ne tardai pas, dans l'ardeur du jeu, à oublierla prédiction. Les timides glissaient debout, bras et jambes écartés ;les plus forts (dont je m'enorgueillissais d'être) s'accroupissaient etallaient beaucoup plus loin. Malgré notre virtuosité, les chutes furentnombreuses ce jeudi-là.

Lorsque je revins, le soir, à la maison, ma mère vit bien que je n'avaispas tenu compte de ses recommandations : elle prit un air consternéqui me fit passer un frisson dans le dos. Je me mis au lit et, malgrémon inquiétude, je fis une excellente nuit, due à la saine fatigue dujeu. La prédiction fut vite oubliée et ne se réalisa ni pour moi, nipour aucun de mes camarades.

Carême. — Les offices du carême étaient suivis surtout par denombreuses fidèles. A la messe du matin, les femmes apportaientune offrande soit en espèces, soit en nature (habituellement du blédans une timbale de 3 ou 4 litres), Les timbales étaient vidées dans unecorbeille au moment de l'offertoire. Leur contenu total était tel quele curé avait de quoi faire son pain pendant la plus grande partie,de l'année.

Le carême était marqué par un grand feu de joie, le bod' (en fran-çais régional la borde) qui s'allumait au début de la nuit, le dimancheprécédant le mardi-gras. La jeunesse du village allait quêter de porteen porte de quoi faire la borde. Chacun donnait son fagot que l'onchargeait sur une voiture tirée à bras ou avec un cheval. Le total semontait souvent à une centaine. On se rendait, avec la voiture, enun point élevé, au-dessus de la côte qu'escalade le chemin de Saint-Seine-1'Abbaye. On préparait alors le bûcher et on le faisait garderpar quelques jeunes gens pour que des mauvais plaisants n'y mettenttrop tôt le feu.

Le tout était surmonté d'un mannequin grossier (représentant lediable ou carnaval), fabriqué de vieilles hardes remplies de pailleou de foin, et toujours coiffé d'un chapeau haut de forme ou d'uncouvre-chef plus ou moins ridicule. Ce mannequin devait être brûlé.

Vers 21 heures, l'allumage avait lieu en grande cérémonie et lesuccès était d'autant plus grand que le brasier était plus imposant.

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Le brasier était entouré de rondes, de farandoles animées. Chacuns'emparait d'un tison enflammé, et c'était vraiment un bien jolispectacle que cette multitude de points lumineux se mouvant dansla nuit.

Carnaval. — Le carnaval était kôru à Bligny pendant une quin-zaine au moins, de jour le dimanche après-midi, de nuit pendant lasemaine. A 8 ou 9 heures du soir, on entendait dans la rue un bruitde sabots de bois et de bâtons frappant rudement le sol ; et un groupede masques grotesques et ridiculement vêtus envahissait la paisibledemeure où toute la famille était assemblée autour de la bougie oude la lampe (à huile ou à pétrole). Sans proférer une parole, afin den'être pas reconnus, mais avec force gestes, les carnavals se livraientà une pantomime animée, représentant des scènes burlesques. Ilsacceptaient volontiers les garguesses 1, qu'ils consommaient sans sedémasquer. Ensuite, après des saluts et des effusions chaudes sil'accueil avait été bon, ils reprenaient la tournée qui s'achevait vers10 ou 11 heures du soir.

Lorsqu'un mariage était célébré pendant le carême, il était sûrd'avoir les carnavals. Le dimanche précédent le mariage et le dimanchesuivant, on voyait déambuler dans les rues du village un cortègecaricatural, où tous les gens de la noce étaient représentés avec leurstares, exagérées d'une manière extravagante. Parfois même, desinscriptions, des sobriquets dénonçaient à la vindicte publique lesfautes des uns ou des autres. On évitait cependant une trop grandeprécision, de peur de poursuites en justice.

La dernière calvacade de ce genre eut lieu vers 1910. Elle ne futque burlesque et sans acrimonie. Le rôle de la mariée était tenu parun jeune homme imberbe.

Les « garguesses ». — La friandise habituelle pendant cette période,faite au moins une fois, même dans les maisons les plus pauvres, étaitconnue sous le nom de garguesses. C'était une pâte mince, aplanieau rouleau, et découpée avec une petite roulette cannelée en buis.Composée de farine de froment ou de seigle, pétrie dans du beurre,assaisonnée de rhum ou d'eau-de-vie, elle était mise à frire dansl'huile de navette bouillante. Mangées chaudes, ou plutôt froides,saupoudrées de sucre pilé, les garguesses, pâtisserie sans prétention,étaient excellentes et fort appréciées.

Les Rameaux, — Cette fête était caractérisée par la bénédictionà la grand-messe de rameaux de buis. Distribués aux fidèles, à l'entréede l'église par le marguillier qui était allé au bois les couper, ils luiétaient payés d'une manière un peu particulière : on ne lui donnaitpas d'argent, mais, dans le courant de la semaine sainte, il faisaitune tournée dans tout le village et on lui donnait sa roulée, en principeune demi-douzaine ou une douzaine d'oeufs.

1. Voit ci-aprës,

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Dans l'après-midi de ce dimanche, il était de coutume que chacunallât planter dans les champs de blé une branche de ce buis bénit.Ce buis devait attirer sur la récolte la bénédiction de Dieu et luiéviter la grêle. Le blé jouissait seul de cette faveur. Mais les faucheurs,hommes parfois incrédules ou sceptiques, maudissaient cette cou-tume, parce que le tranchant de la faux venait s'émousser sur cettebranche très dure dissimulée par le blé.

Pâques. — Puis venaient la semaine sainte (la grande semaine)et Pâques, la plus grande fête de l'année.

Pour l'annonce de l'Angelus, des offices et de midi, la voix descloches était remplacée par le bruit discordant des tadevelles, crécelles,maniées allègrement par les mains des jeunes garçons.

Instrument composé d'une roue dentée, fixée à l'extrémité d'unmanche prolongeant l'axe, autour de laquelle tournait une pièce debois munie d'une languette qui frappait les dents de la roue, lat ade-velle produisait son crépitement caractéristique et bien vite horri-pilant. Les enfants allaient de porte en porte aux heures principalesde la journée en agitant inlassablement leurs crécelles. Ils recevaientcomme paye de leur travail la roulée, c'est-à-dire quelques œufs qu'ilsse partageaient la tournée finie.

A l'occasion des fêtes de Pâques, le parrain et la marraine offraientégalement à leur filleul sa roulée, cadeau de valeur variable. Parfoisc'était un simple pain d'un kilog, appelé le kon-gnèou.

Les mères la donnaient également à leurs enfants sous formed'œufs de poule cuits dur, et colorés de teintes variées. Les pauvresles teignaient en les plongeant dans un bain de chicorée.

Premier Mai. — C'était la fête du renouveau et du véritable com-mencement de la vie végétale. Dans la nuit du 30 avril au 1 e r mai,les jeunes gens s'en allaient en forêt et rapportaient des branchesou de jeunes arbres. Ils offraient, ces mais, en hommage ou en déri-sion, aux jeunes filles en les hissant, dans le mystère de l'obscurité,au sommet des cheminées. Hommage en général réel, mais parfoisplus qu'ironique, chaque essence ayant une signification précise(charme, tu me charmes ; sapin, tu es une catin). Parfois les objetsles plus hétéroclites étaient, installés sur la cheminée de la jeune fillepeu sérieuse, ou de celle qui n'avait pas répondu aux déclarationsd'un amoureux jaloux : j'ai ouï parler d'une carcasse décharnée devache maintenue sur ses quatre pieds au moyen de bâtons et de cordes.J'ai vu à plusieurs reprises cette sorte de trépied en bois appelébique, sur lequel on coupe les fagots et dont le sens n'a pas besoind'être précisé.

Pendant cette nuit fatidique, les jeunes gens ne se reposaient guère.A peine avaient-ils fini de poser les mais qu'ils rassemblaient sur laplace de l'église tous les instruments agricoles qu'ils pouvaient trouversur la voie publique et même dans les cours non fermées (charrues,voitures, tombereaux, herses, etc., ainsi que les vases de fleurs laissés

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sur les fenêtres ou auprès des maisons). Ils composaient du tout un« reposoir » d'autant plus important que l'on était plus nombreuxà y travailler. .

La pose des mais était une opération assez délicate, car il fallaitcirculer sur le faîte des toits, dans l'obscurité et dans le plus grandsilence : les pères ne goûtaient pas toujours l'affaire, surtout lorsqueleurs filles étaient ridiculisées ; indépendamment du tort que le sapinpouvait porter à leur réputation, ces voyages nocturnes produisaientsouvent des détériorations qui nécessitaient ensuite le passage d'uncouvreur. Parfois même, de véritables drames faillirent se produire :un père, dont la fille avait été tournée en ridicule l'année précédente,guetta, le fusil à la main, les poseurs de mai. Heureusement pourceux-ci, ils l'éventèrent à temps. Ce fut alors une partie de cache-cache sur les toits, à 20 mètres du sol, la nuit, avec tous les risquesque comportait la situation. Ils parvinrent enfin à échapper à l'iras-cible père.

Le lendemain, il fallait voir les femmes venant reconnaître, sur laplace, les fleurs qui leur avaient été enlevées ! Que d'injures à l'adressedes mauvais plaisants auteurs de la farce ! Que de discussions entrecelles qui se disputaient les pots qu'elles ne reconnaissaient pastoujours ! Quels rires des auteurs de ce bon tour !.

Moisson. — La belle saison appelait tout le monde aux champs,et les coutumes ne reprenaient qu'à la fin de la moisson. Celle-ci estencore fêtée par un magnifique bouquet de fleurs des champs (bleuets,coquelicots, marguerites, scabieuses) qui orne la dernière voiture etpar un grand repas. J'ai souvenance de l'un d'eux : les convives,maîtres et serviteurs qui avaient participé aux durs travaux, frater-nellement unis, restèrent plus de neuf heures à table ! Autrefois,lorsqu'on moissonnait à la faucille ou à la faux, il fallait une main-d'œuvre bien plus nombreuse qu'aujourd'hui, et la tâche était rude 1...

Ce repas s'appelait le chien de moisson.

Les veillées - Noël. — Avec l'automne et les jours plus courts reve-naient les veillées. L'éclairage laissait beaucoup à désirer (car l'huilede colza était chère). Le chauffage aussi, bien que le bois ne fût pasrare. On se réunissait donc dans une cave, où chacune avec sonchanvre et son rouet apportait à tour de rôle l'huile d'éclairage. Là,comme dans les écraignes dijonnaises, les langues allaient leur train,et les doigts agiles filaient le chanvre qui, remis au kiak' fi (le tisse-rand du village), servirait à tisser la toile dont les armoires de nosgrand-mères étaient pleines.

La veillée de Noël était particulièrement animée et, pour attendrela messe de minuit à laquelle se rendait toute la famille, enfantscompris, on grignotait les noisettes et les noix ; on grillait sur lepoêle rouge les marrons lorsqu'on avait pu en acheter et on jouaità une foule de jeux, dont le plus amusant était de souffler le charbon.Un charbon incandescent était attaché au bout d'un fil de fer dont

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l'autre extrémité se fixait au plafond. Il pouvait osciller librementdevant la figure des joueurs. Ceux-ci, les mains derrière le dos pourne pas être tentés de s'en servir pour détourner le charbon, essayaientde se l'envoyer mutuellement à la figure en soufflant dessus. C'étaitun véritable championnat du souffle, d'où le vaincu sortait toutmachuré, au milieu des rires. On jouait aussi à colin-maillard.

Au retour de la messe, on réveillonnait (recignait) gaîment. Lerecignon était un repas froid, composé surtout de jambon, fait pourla circonstance. On s'invitait assez facilement entre voisins ou amisà recigner.

III. — COUTUMES DIVERSES

Le tou. — On désigne sous ce nom onomatopéique le petit crapaudqui, aux premiers jours du printemps, dans le calme du soir, faitentendre sa voix cristalline et mélancolique, tou ! tou ! Qui diraitque ce batracien (l'ai y tes obstetricans) pourrait avoir le mauvais rr.il ?Il m'a été conté l'histoire suivante par ma vieille grand-mère qui latenait de sa mère. Un matin, un voisin va donner à manger à sesbœufs ; il les trouve couchés, languissants et, malgré les encoura-gements, n'arrive pas à les faire lever. Ils refusent toute nourritureet toute boisson. Et, ce qui fait craindre le pire, ils ne ruminent pas(è ri rûf pa). Le maréchal-ferrant, qui a coutume de soigner les bêtes,examina soigneusement les bœufs et prescrivit un traitement. Cepen-dant les bêtes dépérissaient à vue d'oeil ; au bout d'une semaine, ellesne pouvaient plus se tenir sur leurs pattes. Le malheureux cultiva-teur se lamentait d'autant plus que la saison des travaux battaitson plein, lorsqu'une vieille femme du village, considérée par touscomme un peu folle et un peu sorcière, vint à passer. On la consulta,elle aussi. Après une bref examen des animaux, elle s'écrie : kreuzédzeu V sèy', vo trouvré Vmaou (creusez sous le seuil, vous trouverezla cause du mal). Ce qui fut fait aussitôt et l'on trouva... un tou, quela sorcière fit immédiatement brûler. Et les bœufs recommencèrentà ruminer, puis £ manger. Quelques jours après, guéris, ils reprenaientle travail.

Le crapaud. — Le gros cousin du tou, le crapaud, était aussi consi-déré comme néfaste. Il fallait le tuer sans pitié, et surtout éviter des'en approcher, car il lançait son venin à la figure ou sur les mainsde l'imprudent.

La chouette. — Un autre être qui a eu une bien fâcheuse réputationde porte-malheur, c'est la chouette. Lorsqu'elle fait entendre en pleinjour son hululement lugubre, tout le monde s'écrie : an- vé évouà dufâ ta (il va faire mauvais temps).

Si, au cours de ses randonnées nocturnes, elle se pose sur le toitd'une maison habitée et qu'elle hulule, on dit qu'elle appelle une âmede la maison, c'est-à-dire qu'il y aura un décès. Aussi la détruisait-on

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sans pitié, malgré les immenses services qu'elle rendait aux agricul-teurs. L'instruction, en se répandant, a fini par avoir raison de cepréjugé imbécile ; maintenant on ne voit plus guère de chouettescrucifiées sur la porte de la grange qu'elles protégeaient.

La belette. — La belette avait également une réputation néfaste.Sa rencontre, quand elle croisait votre chemin, ne présageait rien debon. Il était bon de renoncer à votre entreprise ou au voyage com-mencé.

L'aubépine. — Par contre, dans le règne végétal, l'aubépine jouis-sait d'une immunité merveilleuse : jamais la foudre ne tombait surcet arbuste en souvenir de la couronne d'épines de Jésus-Cfuist, m'aconté ma grand-mère. Mais, son fruit, la cenelle passait pour donnerdes poux. Combien de fois ai-je entendu des vieilles personnes me direlorsque j'étais bambin : n' mêf pa se, se V bay'rà dé pouy'.

L'escargot. — Lorsqu'au cours de leurs promenades les enfantsdécouvraient un escargot, ils le déposaient sur la paume de la mainlargement ouverte et l'adjuraient, sur un air de ritournelle, de bienvouloir montrer ses cornes :

éskargô mînèt'tir' té kon-nèt'sî lî n' lé tir' pâ, î V dire 6 Pol Mariyèy'Ki V le keupré an- kat' kartyé pâ son- soupe.

Le Pol Mariyèy en question était le marguillier que j 'ai connu dansmon enfance. Lorsque l'escargot, ainsi prié, développait ses tenta-cules, les cris de joie fusaient et il était remis immédiatement enliberté. Sinon il était impitoyablement sacrifié.

La bête à bon Dieu. —- Ce coléoptère noir, proche parent du bousier,mais plus petit, vivait sur les plantes. Posé sur la main dans de lasalive, on l'implorait ainsi : « Bête du Bon Dieu, donne-moi ton sangrouge, je te donnerai mon sang blanc ». S'il résistait, on renouvelaitl'incantation en l'inondant de salive. Alors, on voyait sortir du corpsde l'insecte une goutte de liquide rouge et au milieu des cris de joie,on le replaçait soigneusement au milieu des herbes.

La porte Saint-Pierre. —- Un autre jeu, plus gracieux, était pratiquécertains beaux dimanches par les jeunes gens et les jeunes filles. Ilm'a été décrit par le doyen du village : c'était la porte Saint-Pierre.On le jouait dans une belle allée de tilleuls qui a disparu depuis plusde trois quarts de siècle.

Les jeunes gens se formaient par couples, composés d'un jeunehomme et d'une jeune fille. Le premier couple, se tenant par la main,formait, en élevant les bras, un portique sous lequel tous les autrespassaient en chantant et en formant ensuite, chacun à son tour, laporte Saint-Pierre. On suivait ainsi toute la longueur de l'allée.C'était, en somme, l'inverse du « saute-mouton » de notre enfance ;mais combien gracieux !

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Les parpaings. — Au cours de mon enquête, comme j'interrogeaisl'un des doyens du village, assis auprès de lui dans son jardin, enpatois bien entendu, mon attention fut attirée par le pignon d'unemaison en bordure du jardin, tout hérissé de pierres dépassant l'ali-gnement :

— Dlzé don-, pèr' 7'yèn-n', k' à s kè s'a: don- k se ?— Ma kwà don- ?— Ma vô vyé bé teût' se pyœ.r le ki dépà:s léz àwtr'. An- le oîV è

l'épeûl se dé corbeaux, ma è n le met' ran- k ô boû dé mûr.— A bé yèw ! Se n à: pà dé corbeaux / s'a dé parpèn-ny.— Dé parpèn-nr ? K'à s ké se veû don- dîr' ?— E bé, s'a dé pyâ.r k lé mèson- on- mî chèk' fwà: keû l màytr' loz' é

payé t lîtr'.— Màtèn- ! è n' étà pà chèn- s màqtre le !

En effet le maître avait été généreux, car il y avait presque unparpaing par mètre carré sur ce mur vieux d'au moins deux siècles.

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ERRATA

DU TOME XXTI1940-1946

P. 98, 26" ligne : au Jicu de « entreprise à Cluny », lire entreprises àCluny.

P. 108, note 1 : au lieu de « sera publiée dans le fascicule II du présenttome », lire sera publiée ultérieurement.

P. 118, note 3 : a,u lieu de « à paraître, dans le fasc. II du présent tome »,lire à paraître ultérieurement.

P. 254, 6e ligne : au lieu de « fascicule II », lire fascicule III.

P. 379, 13e ligne à partir du bas : au lieu de « Union bourguignon »,lire Union Bourguignonne.

P. 443, titre de la page : au lieu de « Savigny-le-Sec », lire Bliqnu-le-Sec.