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Document 111111 Il 11111 lllIllhII r 0000005422579 j PT D t^O I LE GÉNÉRAI, GRANGERET. 19 délivré et qu'elle puisse eu même temps toucher l'arriéré des appointements qui restaient dus à son époux à l'époque de sa mort. Je partage bic,. sensiblement, avec elle la reconnaissance qu'elle vous aura pour cc bienfait. L. Hocur. Ce dernier appel devait encore rester sans réponse. Trois mois après avoir écrit les lignes que l'on vient de lire, Roche mourait à soit La veuve et les enfants du général Cran- geret n'avaient plus de protecteur. Ils continuèrent h souffrir et nul ne plaida plus leur cause auprès des ministres. Nous avons sous les yeux le certificat d'indigence que la malheu- reuse mère se fit délivrer une année plus tard (le 29 thermi-. dor ait I) par le commissaire des guerres et la municipalité de Thionville. Et que résulta-t-il pour elle de cette constata- tion? Rien que de nouvelles espérances et de nouvelles dé- ceptions. C'est ainsi que la République, si reconnaissante et si géné- relise envers ses jeunes généraux, récompensa les services d'un vieux soldat qui lui avait donné tout son coeur et n'avait d'autre tort que d'être né trop tôt. L'ancien régime l'avait méconnu ; le nouveau l'oublia. Certes, Jean G-rtngeret ne fut pas un homme supérieur. Mais il était boit rappeler les exemples qu'il donna et l'ingratitude dont il fut payé. L'his- toire n'a pas i lui faire une grande place, mais elle doit répa- ration à'ia mémoire d'un patriote qui refusa la fortune pour conserver une ville h soit et que soit laissa mourir de misère. A. DEBID0uR. - 1. 16 août 1796.

LE GÉNÉRAI,bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/12283f96052c03e4420… · ne fait pas mauvaise figure ; je sais bien, Messieurs, que ce salon-là cest le Monde où lon sennuie,

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111111 Il 11111 lllIllhIIr

0000005422579j

PT Dt^O

I

LE GÉNÉRAI, GRANGERET. 19délivré et qu'elle puisse eu même temps toucher l'arriéré des appointementsqui restaient dus à son époux à l'époque de sa mort.

Je partage bic,. sensiblement, avec elle la reconnaissance qu'elle vousaura pour cc bienfait.

L. Hocur.

Ce dernier appel devait encore rester sans réponse. Troismois après avoir écrit les lignes que l'on vient de lire, Rochemourait à soit La veuve et les enfants du général Cran-geret n'avaient plus de protecteur. Ils continuèrent h souffriret nul ne plaida plus leur cause auprès des ministres. Nousavons sous les yeux le certificat d'indigence que la malheu-reuse mère se fit délivrer une année plus tard (le 29 thermi-.dor ait I) par le commissaire des guerres et la municipalitéde Thionville. Et que résulta-t-il pour elle de cette constata-tion? Rien que de nouvelles espérances et de nouvelles dé-ceptions.

C'est ainsi que la République, si reconnaissante et si géné-relise envers ses jeunes généraux, récompensa les services d'unvieux soldat qui lui avait donné tout son coeur et n'avaitd'autre tort que d'être né trop tôt. L'ancien régime l'avaitméconnu ; le nouveau l'oublia. Certes, Jean G-rtngeret ne futpas un homme supérieur. Mais il était boit rappeler lesexemples qu'il donna et l'ingratitude dont il fut payé. L'his-toire n'a pas i lui faire une grande place, mais elle doit répa-ration à'ia mémoire d'un patriote qui refusa la fortune pourconserver une ville h soit et que soit laissa mourirde misère.

A. DEBID0uR.-1. 16 août 1796.

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20ANNALES na L'EST.

COURS D'ARCHÉOLOGIE. - LEÇON D'OUVERTURE

Messieurs, I'enseigncinent de l'archéologie classique quenous inaugurons aujourd'hui n'est point, h proprement parler,une nouveauté dans cette chaire. li y a quelques années h

vous vous en souvenez assurément, iiii des membres lesplus éminents de notre École française d'Athènes, M. 1-Jomolle,vous racontait ici même les fouilles entreprises p' lui dansl'île de Délos, et l'admirable succès de ces laborieuses et p'é-nibles campagnes qui ont permis h l'érudition française detenir sa place sans rougir h côté des grandes découvertes faitespar l'Allemagne sav ante clans les ruines de Fergame et dOlym-pie; 1'anne suivante, il étudiait avec volts les détails sicompliqués de la topographie de Borne ancienne; et d'autresrecherches, non moins instructives, non moins intéressantes,auraient suivi ces premières leçons, si ]e Collège de Francen'avait enlevé trop vite M. Hornolle h notre Faculté. C'estcette tradition de l'eiiseignement archéologique, alors brus-quement interrompu, que notre Faculté a voulu voir aujour-d'hui renouée d'une manière plus durable et)' administrationsupérieure n'a point jugé inutile de satisfaire ce. voeu et d'en-courager ces efforts. Aussi, est-ce un devoir pour moi, enmontant dans cette chaire, de remercier tout d'abord la Fa-culté cliii a souhaité la création de ce cours et tf. Je Ministretic l'instruction publique qui a bien voulu mue confier cetenseignement.. C'est un honneur, Messieurs, dont je senstoute la charge, et c'est pourquoi je suis heureux, an début deces leçons, dc pouvoir me réclamer des souvenirs que je rap-pelais tout à l'lieuré, et dc couvrir mon insuffisance du patro-

A

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COu:ks n'xucuÉouoaiu. 21

nage de mon savant prédécesseur, de Celui aussi (le cette Ecolefrançaise d'Athènes à laquelle nous avons tous deux appar-tenu, et qui a tant fait dans ces dernières années poirr lesprogrès de l'archéologie classique.

Parmi ]es sciences qui, dans ce siècle, ont aidé h agrandirle domaine de la connaissance historique, laiehéologie, enFrance tout au moins, est une des plus jeunes et des der-nières venues. Longtemps les études auxquelles elle s'appliquese sont poursuivies au milieu (1' une indifférence à peu prèsgénérale: les lettrés de profession affectaient de les dédaignercomme d'inutiles curiosités et le monde trouvait plus com-mode de s'en moquer que de s'en instruire. il vavingt outrente ans à peine, pour le gros public et dans la littérature,l'archéologue était assez volontiers mis au rang (les person-na ges comiques, destinés à amuser le parterre de leurs folleset ridicules billevesées. Dans ce temps-la, cet impitoyableraideur qui fut Edmond About, et qui avait quelques raisonsde se moquer de l'archéologie, y ayant toicbé lui-même, met-tait en scène, vous.vous en souvenez, dans le Roi des Mon-laques, le doux M. Mérinay, archéologue français, membrede plusieurs sociétés savantes, en arrêt devant un e petit mo-nument de calcaire coquillier, haut de 35 centimètres sur 22,et planté par hasard au bord du chemin », l'esprit à la torturepour éclaircir l'inscription, absolument inédite, qui s'y trouvaitgravée en caractères de la bonne époque et sculptés dans laperfection. Si je parviens à l'expliquer, disait ce doctejeune homme, ma fortune est faite. Je serai membre de l'Aca-démie des inscriptions et belles-lettres de Pont-Audemer Maisla tûclme est longue et difficile. L'antiquité garde ses secretsavec un soin jaloux..] e crains bien d'être tombé sur un trio-ruinent relatif aux mystères d'Eleusis. En ce cas, il y auraitpeut-être deux interprétations à trouver l'umne vWgnWé oudémotique, l'autre sacrée ou hiératique. Il faudra que vousme donniez votre avis. - Mon avis, lui répondis-je, est

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ANNALES DE L'EST.

celui «un igiorait..Je pense que vous avez découvert uneborne comme on en voit beaucoup le long des chemins, et quel'inscription, qui vous a donné tant de peihe, pourrait sans nulinconvénient se traduire ainsi Stade 22 1 1881. » Le théâtren'était pas plus clément .à l'archéologie que le roman. Dans unedes plus aimables comédies deLahiche, devenue presque banaleh force d'être jouée sur les théâtres de société, l'archéologie seprésentait sous les espèces, peu flatteuses, d'un académiciend'itampes, flairant le romain à cent pas de distance, et ca-pable de trouver, sous un honnête poirier d'Ar 1 ajon, le bou-clier long, seulum, l'épée dit centurion, gladium, pièce extrê-mement rare, les saladiers dorés signés F. OE, Fabius Cunctator,et jusqu'au lacrymatoire de la décadence, trop connu pour quej'aie besoin d'y insister. Je pourrais citer bien d'autres exein-ples du cas que le monde faisait alors de l'archéologie pourbien des gens, comme pour un personnage de la Grammaire,l'archéologie était surtout un mot très difficile à écrire.

Depuis ce temps, les choses ont bien changé. Nous avonsperdu le goût des grands développements oratoires, des aperçusbrillants et superficiels, des théories générales et des considé-rations abstraites. Nous avons pris peu à peu, dns ce siècledes grandes découvertes scientifiques, l'amour des recherchesexactes et des méthodes précises, et nous avons compris alorsque ces études dont on se moquait apportaient à la connais-.sauce historique des éléments nouveaux d'information : nousavons compris que ce n'étaient point là (les sciences mortes etvaines, ruais qu'elles nous faisaient pénétrer dans ce qu'il y apeut-être de plus vivantau monde, dans les sentiments intimes,dans les formes de penser ordinaires des peuples disparus.Noirs avons compris que l'archéologie n'est pas seulement lascience des petits pots cassés, mais que cette science des objetset des monuments antiques, - c'est le sens exact du mot archéo-logie, - nous fait connaître une des expressions du caractèred'un peuple, et la plus intéressante peut-être, celle qui toucheà ses idées et 9 ses moeurs; nous avons compris tout cela, et de

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COURS D'ARCHÉOLOGIE. 23

l'ombre des écoles et clos académies, où elle s'était longtempsobscurément cachée, l'archéologie s'est tout à coupimposée àl'attention publique. De grandes découvertes, en révélant desaspects nouveaux tic la vie antique, ont piqué la curiosité;en mettant au jour des chefs-d'oeuvre d'art inconnus, ellesont passionné l'intérêt : et aujourd'hui les études archéolo-giques ont trouvé leur place dans le monde. Non seulementl'archéologie a pris dans l'enseignement public un large déve-loppoinent, non seulement elle a su faire lire ses savants mé-moires et ses gros volumes, mais elle a forcé laporte des recueilsplus profanes, des revues plus mondaines, et dans des oeuvresde vulgarisation, elle a pu se . mettre, sans crainte de n'êtrepas suivie, à la portée de tous. Bien plus, elle a pénétré jus-que dans la pure littérature : en Angleterre, en Allemagne,en France même, un genre nouveau, le roman archéologique,s'est révélé par des oeuvres dignes d'estime et si récemment,sur la scène de la Comédie-Française, les tumuli de l'Asieoccidentale ont prêté un peu h sourire, le fait n'en est pasmoins significatif pour mesurer le chemin parcouru. Quelledistance entre l'académicien d'Etampes présenté par Labicheet le comte Roger de Gérait, chargé par le Gouvernement d'unemission scientifique, collaborateur ordinaire de la Revuearchéologique, en attendant, et la chose n'est point douteuse,qu'il entre tic plain-pied à la Revue des Deux-Mondes. Dansle salon de Wf llle de Céran, l'archéologie tient bonne place etne fait pas mauvaise figure ; je sais bien, Messieurs, que cesalon-là c'est le Monde où l'on s'ennuie, mais n'est-ce pas, cheznous surtout, presque une consécration que d'être admis,classé et admiré dans ce monde-là?

Puisque voilà donc les recherches archéologiques, sinon àla mode, le mot serait excessif, mais du moins en faveur, ilnest peut-être point hors de propos de faire connaître dansune série d'esquisses les principaux résultats de ces recherches:mais avant d'aborder ces études, qui feront l'objet tic ce cours,il tic sera point inutile, je pense, de vous présenter tout

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24 ÀNNÀLES DE L'EST.

d'a bord en bonne forme ma cliente, tic vous (lire CC qu'elleest, ce qu'elle veut être, quels services elle petit rendre. Jevoudrais donc, vous montrer tout d'abord ce qu'est l'archéolo-gie, en quoi elle se distingue d'autres sciences qui semblentlui être apparentées d'assez près, en quoi aussi elle concourtavec elles pont- éclairer les diverses parties de l'antiquitéje voudrais déterminer avec précision la méthode qui convientk ces recherches; je voudrais marquer efin les limites dudomaine auquel s'étendront nos études, et expliquer k quelsobjets particuliers et de cpiélle façon pratique nous applique-rons cette méthode dans le cours que nous entreprenons.

T.

L'archéologie, c'est proprement la science des objets, desmonuments anciens h ce titre, tous les ouvrages, et les plushumbles même, que liens a légués l'antiquité, appartiennent hson domaine. Non seulement les grandes œuvres de l'archi-tecture ou de la sculpture, mais tous ces menus objets - vases,bijoux, verres, bronzes, armes, terres cuites, - fabriqués engrand nombre pour l'usage quotidien et pour cette raisonmême salivés plus facilement dans le désastre de l'antiquiténon seulement les chefs-d'oeuvre incontestés de l'art, mais lesplus modestes efforts (le l'activité humaineai ne pour transforme]-la matière appellent et retiennent l'attention (le l'archéologie.C'est que l'archéologie n'est pas l'histoire de l'art, comme 011

le dit et le croit trop souvent : certes, entre les deux sciences,la parenté est étroite, mais l'archéologie veut autre chose etplus.jL'histoire de l'ait étudie avant toutIes manifestationsdu bau, c'est l'idée du beau qui lui sert de guide et de me-sure ; certes, elle ne négligera pas, puisqu'elle est sciencehistorique, ces longues périodes de préparation qui annoncentl'éclosion des chefs-d'oeuvre; certes, elle tiendra compte, dansses jugements et ses recherches, du milieu intellectuel et moralquia produit les oeuvres qu'elle étudie; mais en recherchant

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quel idéal de beauté chaque époque s'est proposé, c'est unidéal de beauté souveraine qui sort de règle ù ses juge-monts. L'histoire de l'art n ' a point souci des clartés quel'étude des monuments peut jeter sur les moeurs et les doc-trines d'un peuple ; elle ne s'inquiète point de ce qu'ilsapprennent sur les croyances ou les usages (l'une époque; ellene leur demande point 'de quelle vie ont vécu les hommes quiles ont fait naître, elle veut savoir seulement quelle idée ceshommes se sont faite de la beauté. Aussi n'a-t-elle pointbesoin, pour fixer ses opinions et ses doctrines, de tous cesmenus objets d'usage journalier que l'archéologie recherchesi curieusement ils sont de nature trop humble, de valeurartistique souvent trop médiocre, pour mériter, en face deschefs-d'oeuvre, une bien longue attention ; si l'histoire de l'arts'attache en passant à ces oeuvres secondaires ou incomplètes,elle va de préférence aux créations des ni:utres qui donnent,avec la vite du beau, la plénitude (le satisfaction qui l'acconi-pagne. i2archéologie, au contraire, recueille et interprète cestémoins plus modestes des civilisations disparues; sans douteelle aussi étudiera les formes dont les siècles divers ont revêtul'idée de la beauté; sans doute elle n'écartera point de sondomaine l'histoire de l'art; mais dans les monuments quil'expriment, elle cherche et voit; quelque chose (le plus. Elledemande aux monuments le secret uon point de l'art seule-ment, mais de la vie antique, elle reconstruit avec leur aidenon point la philosophie artistique, mais la civilisation dii neépoque; elle ne considère point, dans les oeuvres d'art, leurscaractères absolus et le rapport où ils sont placés avec l'idéedit beau, mais leurs aspects particuliers et mobiles et les rela-tions où ils sont avec l'idée dit vrai. Elle ue dédaigne aucunmonument, si mutilé ou si grossier qu'il soit, pourvu quedans ces débris informes elle retrouve la trace d'une croyanceou le gei'ine d'un progrès; car elle sait que ces monuments, oùl'histoire de l'art ne voit guère que les essais mal venus d'uneactivité maladroite, sont une des expressions du caractère

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26 ANNALE DE L'EST.

d'un peuple et de la civilisation d'une société. Certes, toutchef-d'œuvre excite son admiration et son intérêt, mais 1abeauté de l'ouvrage n'est point le seul titre certain à sonattention l'archéologie a pour la laideur même de l'indul-gence et des égards, pourvu que cette laideur soit instructiveou curieuse; peu importe que l'oeuvre soit belle d'une beautéartistique, si elle révèle un trait inconnu, un détail ignoréde la vie antique assurément, si elle peut en outre satisfairele sentiment du beau, c'est double bonne fortune; mais cen'est point cela seul que liii demande l'archéologie. L'histoirede l'arc est une grande dame, qui -fréquente de préférence lemonde élégant, poli et raffiné, qui sourit volontiers des gau-cheries ou des laideurs, et ne se commet guère en trop humblecompagnie; l'archéologie est plus brave, elle entre partout oùelle peut s'instruire, dans les temples et les palais comme dansles plus modestes demeures. L'histoire de l'art, par les cousi-dérations théoriques qui l'accompagnent, les principes absolusqui la gouvernent, l'idéal assuré qui lui sert de règle, est peut-être une science de plis haut vol ; l'archéologie, plus ino-deste, est plus compréhensive et plus vaste aussi sa curiositéS'étend plus loin ; clans les créations du génie d'un peuple,elle ne considère point un aspect unique, si intéressant, siséduisant qu'il puisse être; moins exclusive, elle les prendtout entières pour leur faire dire tout ce qu'elles peuvent ap-prend te. L'histoire (le l'art est proche parente de la philosophieet de l'esthétique dontelle est inséparable; l'archéologie toucheà l'histoire, dont elle est l'auxiliaire indispensable et scLr.f

Si l'histoire des révolutions politiques, des institutions so-ciales, des transformations littéraires, fait connaître cii effetbien dos côtés de la vie ile l'antiquité, je ne crois point polit-tant que sans l'archéologie il soit possible tIc pénétrer pleine-ment dans l'intimité de l'âme antique. Une foi.ile de croyanceset d'usages, que nous ne connaissons plus que p' les moun-ments, ont tenu dans la société grecque ou romaine plus deplace que les systèmes (les philosophes oit des politiques; bien

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COURS D'ARCHÉOLOGIE. 27

des sentiments, bien des doctrines, produit de cette âme po-pulaire que l'histoire néglige trop, n'ont marqué leur traceque dans ces débris matériels qu'étudie l'archéologie. Envoyant les farines sensibles au milieu desquelles vivaient lessociétés antiques, l'esprit comprend mieux les moeurs, lesidées, les coutumes de ces siècles disparus; en contemplantl'image des dieux, et la vivante représentation des légendessacrées, il se pénètre mieux de lit et (les croyances deces peuples. Pour bien comprendre l'antiquité, il faut savoiréchapper h son temps, il faut, selon la belle expression deTite-Live, savoir se faire une âme antique; nulle science nele permet plus aisément que l'archéologie. En face des grandsmonuments de la Grèce et de Rome, l'esprit se pénètre toutnaturellement du génie de l'antiquité ; dans ce cudre si mer-sreitleusement approprié, il arrive sans effort à éprouver lissentiments, à partager, les idées des liorninnes d'autrefois.Certes, il ne faut point exagérer les choses et prétendre qu'àelle seule l'archéologie puisse se suffire; elle a besoin de l'his-toire pour illustrer les monuments qu'elle découvre; mais sariselle il n'y a lînint d'histoire, j'entends la seule histoire quisoit digne de ce nom, celle des civilisations et des sociétes.

Ii.

Par la variété des objets qu'elle recherche, par la diversitédes aspects qu'elle considère, l'archéologie peut être étudiéede bien des façons. Et ait vrai, il y a bien des manièresd'être archéologue. Il fut ait 5, (lui n'est pas bien éloignéde nous, Oit gens du monde qui avaient des loisirs, lesmagistrats hôrs de charge, les professeurs hors demploi,avaient, pour occuper leur retraite studieuse, la ressource detraduire Rorace en prose ou même en vers français; aujoui-d'hui, l'archéologie a supr lanté Horace ou du moins elle liii fait;une concurrence redoutille. L'archéologie, eu effet, il derenia rquable qu'il n'est point, pour s'en occuper, absolument ii t

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28 ANNALES DE L'EST.

nécessaire d'être savant. Avec un peu de chance, quelqueapplication et beaucoup de conscience, il n'est point trop ma-laisé de s'improviser et de se croire archéologue, et même dele persuader aux autres. Les débris de l'âge de pierre ou debronze, les silex préhistoriques et même les camps de Césarsont assez répandus de par le inonde pour qu'il soit faciled'en rencontrer sur sa route, et point n'est besoin d'être unbeau génie pour recueillir, étiqueter, décrire et classer cesvénérables antiquités. Aussi bien rend-on de la sorte de réelsservices h la science, eu mettant h sa disposition de précieuxmatériaux, et je n'ai garde de railler ces respectables efforts,qui entretiennent dans les sociétés savantes une généreuseactivité et occupent, de manière innocente, nombre de forthonnêtes gens. Sans doute, ce n'est point 1à l'archéologie sa-vante, celle (lui approfondit, contrôle et compare, pu de lamenue monnaie des faits dégage des conclusions générales etpar 1h s'élève jusqu'à l'histoire; mais ce n'est pointassurémentlin travail inutile, car il fournit les matériaux et prépare lesfondations sur lesquelles sera construit l'édifice scientifique.

Une autre variété de Uespèce, c'est le eherêheur heureuxet hardi, l'explorateur pénétrant et tenace qui sait, avec unflair singulier, jeter la sonde au bon endroit, et lù, où le viiI-gaire passe sans détourner lit reconnaître, retrouver etrendre au jour les débris de l'antiquité. Celui-1h, il a la foi,la foi obstinée, invincible, que les échecs ne rebutent pas,dont la patience ne se lasse pas; il sait exactement ce qu'ilveut et ce qu'il cherche, et la science qiti a inspiré ses fouillesse double de je ne sais quelle divination merveilleuse quiguide et dirige ses recherches. Sans doute, ici non plus il n'estpas nécessaire d'être ait savant de l'argent et de lapersévérance font pour le succès d'une campagne de fouillespuis que des trésors d'érudition, et il se rencontre, d'autrepart assez (le: gens aimables pour expliquer et commenter lesdécouvertes que loti :t faites. Mais c'est déjà aimer sérieuse-ment l'antiquité que de lui consacrer son temps et ses revenus,

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(10UR5 D'ARCHÉOLOGIE. 29

et ce n'est pas lui rendre uii médiocre service que (le fairesortir ses monuments de l'ombre où ils sont ensevelis.

Mais à côté de l'archéologue amateur, à côté de l'explora-teur heureux, il y n place pour l'archéologue véritable, quimettra en oeuvre les matériaux épars, qui contrôlera et jugerales découvertes dispersées, qui saura enfin généraliser et coor,donner les faits isolés. Celui-là n'aura point besoin de payer desa personne sur les chantiers de fouilles, il lui suffit d'étudierdans les musées les résultats des grandes explorations; il n'apoint besoin d'aller par lui-même recueillir les documents cfles monuments, mais dans le cabinet où il travaille, il finitqu'il connaisse l'ensemble de la science, qu'il sache les pro-blèmes principaux qu'elle pose, l'importance et l'état exactdes questions qu'elle étudie; il faut qu'à l'habitude des obser-vations précises, des examens minutieux, base nécessaire deson travail, il soit capable de joindre des vues plus hautes etdes idées plus générales. D'autres pourront, dans des mono-graphies particulières, décrire an hasard de leurs découvertesles objets qu'ils ont retrouvés à lui s'impose une obligationplus sérieuse, celle d'une méthode exacte et sûre.

Deux méthodes différentes s'offrent au choix de l'archéo-logue ) toutes deux intéressantes, toutes cieux instructives.Lune, plutôt artistique, consiste à classer les monuments cia-près les analogies qu'ils présentent, à fixer clans chacun desgroupes ainsi formés les caractères originaux et essentiels et,par des comparaisons fécondes, à déterminer les transforma-tions successives et les progrès d'un même type artistique.Rien n'et plus curieux, plus instructif aussi, que d'assisterainsi à la lente éclosion des chefs-d'oeuvre, de voir une divi-nité, Apollon ou Artémis, se dégager peu à peu de l'enveloppegrossière dont la revêtent les maîtres primitifs, prendre desiècle en siècle une forme plus élégante et plus pure, j usqu'aujour où un grand artiste fixe pour toujours ses traits dansune oeuvre de génie ; rien ne fait mieux comprendre les pro-cédés et la technique de la sculpture ancienne, rien ne fait

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30 ANNALES DE L'EST.

mieux saisir les phases successives par lesquelles a passé l'idéedu beau. L'autre méthode est plutôt historique. Au lieu d'étu-dier une série de monuments, elle s'applique à un ensemblede découvertes; au lieu de soumettre à une analyse minutieuseles transformations d'un même type artistique, elle s'efforcede faire connaître les grands résultats d'une exploration ttt-

chéologique. Elle tâche, dans l'ensemble des monuments décou-verts à Olympie ou k I'ergaine, iion point seulement de déter-miner les caractères d'un style ou d'une école, mais de fhireconnaître les moeurs, les croyances, les usages d'une époque etd'une société. Pour rendre pu" un exemple précis la différenceplus sensible, appliquez l'une et l'autre méthode aux fouilles(le Délos. La méthode artistique étudiera lit série destatues d'Artémis que ces fouilles ont mises au jour, elle re-cherchera les origines du type sous lequel est représentée ladéesse, elle examinera les formes successives que ce type arevêtues, elle déterminera sous quelle influence se sont pro-duites ces transformations, elle étudiera les écoles artistiquesqui ont créé ou modifié cette image divine, elle précisera, parla comparaison d'autres statues de la déesse, les caractèresdistinctifs et le stylede ces représentations. La méthode histo-rique n'entrera point dans un tel détail elle s'efforcera bienplutôt de remettre sous nos yeux la vivante image de ce. sanc-tuaire de Délos, elle dira son histoire et les grandes fêtes quiy étaient célébrées, elle expliquera l'organisation et l'admi-nistration de ses temples. La méthode artistique fera une mo-nographie du type d'Artém is; la méthode historique écrira unchapitre de la vie et de la civilisation hellénique.

C'est cette seconde méthode, moins strictement archéolo-gique mais plus vraiment instructive, que nous appliqueronsdans nos leçons. Aussi bien convient-elle mieux que touteautre k vous faire connai ta, dans leurs traits essentiels et leursgrands résultats, les admirables explorations qui dans cesiècle ont créé à proprement parler la science de l'archéologieclassique.

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COURS D'ARCHÉOLOGIE. 31

'T'.

Lorsque en 1830, Otfried Millier entreprit pour la premièrefois de dresser l'inventaire exact des conquêtes de l'archéolo-gie, et de fixer dans un tableau d'ensemble les cadres rie lascience nouvelle, bien des nuages enveloppaient encore l'h is-toue de l'art antique. Sans doute, dès la fin du xviu siècle.en 1764, Winckelmann, dans son histoire de l'art chez les an-ciens, avait fondé la méthode des études archéolo giques, et sonlivre marque une date importante dans les annales de l'esprithumain; sans cloute quelques séries admirables de monumentsauthentiques avaient, dans les premières années de ce siècle,révélé la véritable beauté grecque telle qu'Athènes l'a conçueet réalisée les marbres du Parthénon, cédés cii 1816 par lordElgin au musée Britannique, les figures des frontons d'Egine,qui, en 1820, formaient le noyau du musée deMunich, les frisesdu temple d'Apollon à Phigalie, dont le musée Britanniquevers le même temps s'assurait la possession, tous ces ensemblesde monuments successivement rendus h la lumière avaientfait comprendre aux érudits et aux artistes les merveillesd'un art jusque-là presque inconnu. Mais à côté de ces lumi-neuses figures qui jetaient des clartés soudaines dans la nuitde l'antiquité, que de coins sombres encore où l'oeil avait peineà percer les ténèbres Sans doute, les musées de l'Italie, lescollections patiemment formées depuis la Renaissance à Na-ples, h Florence ou à Rome étaient pleines de figures an-tiques; mais ces monuments de provenance inconnue, de valeurinégale, trop souvent défigurés par de maladroites restaura-tions, n'apportaient à l'archéologie que des informations vagftesor incomplètes; si parmi cette foule de statues il se rencontraitquelque oeuvre originale, combien n'étaient que de médiocrescopies sorties en foule des ateliers grecs de la décadence pouraller embellir et peupler les palais des empereurs et les villasdes riches Romains I Sans doute quelques découvertes mémo--rables permettaient d'entrevoir ce qu ' avait été, è. l'époque de

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sa perfection, la brillante floraison de l'art grec ; mais h côtéde cette courte période, qui e détachait en traits éclatants surle fond sombre de l'histoire, la science n'avait point ressaisiencore les anneaux de la longue chaîne qui rattache b seslointaines origines ce point de perfection. Sans doute oit

b connaître mieux que par les descriptions des écri-vains anciens le style d'un Phidias oit d'un Alea.mène; niaisles premiers tâtoniicinents de l'art archcique, le lent et dou-loureux progrès qui conduit la statuaire de la gaucherie con-.ventionnelle des primitifs à la splendeur de la perfection clas-sique, tout cela, faute de monuments, demeurait lettre morte.Quand Otfried Millier écrivait son Manuel de l'archéologie deTari, l'Égypte et l'Assyrie n'avaient point dit encore leur secret,les mystérieuses relations qui unissent la Grècc h la Phénicied'une part, et de l'autre aux peuples de l'Asie Mineure étaientà peine soupçoniiées ; et enfin dans cet art grec même, quisemblait 'ainsi, par un phénomène inexplicable, avoir surgitout «une pièce dans l'éclat de sa perfection, que de lacunesencore à combler, que d'ombres à dissiper! Sans'doute l'étudedes ruines des édifices antiques avait fait connaître quelques-uns des principes de l'architecture grecque les temples dePaestum en Italie, de Sélinonte et d'Agrigente en Sicile, lesmonuments de l'Acropole avaient fait comprendre les merveil-leuses dispositions et les secrètes recherches (les architectesanciens; l'expédition française de Morde en particulier avaitproduit les belles restaurations, dues ait crayon d'Abel BloLLet,des temples de Phigalie et d'Olympie ; mais qui soupçonnaitla peinture antique? qui songeait à chercher clans ces vasesd'argile ornés de figures, que pendant si longtemps on s'estobstiné h nommei' dés vases étrusques, les imitations plus oumoins libres des tableaux des maîtres anciens? qui songeait bressaisir, dans ces dessins conservés sur les vases, un reflet affu-bu, mais vivant encore, de l'art des Polygnote et des Apefle ?

Depuis lors) cinquante ans et plus ont passé; du sol inépui-sable de l'Orient grec des fouilles mémorables et des explora-

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tions importantes ont fuit jaillir d'inestimables trésors, et siOtfried Millier pouvait sortir dé sa tombe, lui-même jugeraitque soit est k recommencer. Depuis cinquante ans, eneffet, par une émulation admirable et une féconde rivalité,toutes les nations européennes se disputent la gloire de rendréait les débris de ce vieux inonde antique disparu ; l'An-gleterre et la France, l'Allemagne et l'Autriche, la Grèce etl'Italie, l'Amérique elle-même, un pays qui pourtant sait leprix de l'argent et ne dépense pas ses dollars cii vaines futi-lités, ont jeté sans compter des sommes considérables sur ceschamps de bataille d'une guerre pacifique, où la victoire,comme ailleurs, appartient au plus tenace, au plus heureux,au plus riche. Ici c'est Schliemann, que l'ardent amourd1-lornère entraîne vers les lieux illustrés par le souvenir dela guerre de Troie, et sous la pioche de l'intrépide explora-teur, l'acropole de Mycènes rend ait ses trésors, et lestombeaux remplis d'or et de bijoux oit ses mortsillustres nous révèlent la lointaine et curieuse histoire de lacivilisation héroïque et de l'ait primitif de l'I-Iellade là c'estDélos, l'île sacrée d'Apollon, l'un des sanctuaires les plusanciens et les plus vénérables de la Grèce, où dix années defouilles nous livrent des centaines d'inscriptkms et des sériesprécieuses de monuments de la sculpture archaïque: Le solsacré cFÉleusis, qui conserve tant de souvenirs de la religionet de la gloire d'Athènes, révèle quelques-uns des secrets desmystères de Cérès; l'oracle de Dodone retrouvé remet entrenos mains ses réponses prophétiques; le sanctuaire d'Esculapcà Épidaure nous fait connaître les guérisons miraculeuses parlesquelles le dieu, médecin se manifestait à la foi des fidèles.Les fouilles d'Olympie placent devant nos yeux les figuredont les Alcamène et les Paconios ont orné les frontons et lesmétopes du temple de Jupiter, et cette décoration (lui peutsans rougir rivaliser avec celle du Parthénon ; elles nous ontdonné surtout cet admirable groupe d'Hermès et de Bacchus,la seule oeuvre originale qui nous reste du ciseau de Fraxi

ANN. EST. B 4c0

C,°IIAR*

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134 ANNALES DE L'EST.

tle, marbre d'un travail exquis où apparait clans toute safleur 1% grâce soïieraine du nIaitre athénien. Ce n'est pas toutencore. L'antique acropol.e.de Tirynthe, explorée par Schlie-man, nous rend un palais des, premiers temps de la Grèce.Les découvertes de M. Foimart à Delphes nous apprennentl'histoire de , ce.san,ctuaire fameux, en attendant que des fouillesnouvelles, que le. gouvernement français va bientôt entre-prenclre,.permettent, en dégageant complètementles ruinds dece temple célèbre, de donner un nouveau et digne pendant auxdécouvertes de Délos et d'Olyrnpie; les recherches récemmentfaites par l'École d'Athènes en Béotie remettent au jour,parmi les débris du temple d'Apollon Ptoos, une curieuse sériedo statues archaïques; et il y a quelques mois à peine, du ro-cher sacré de l'Acropole, où tant de monuments admirablessemblaient ôter jusqu'h l'espoir d'une découverte, le hasard afait surgir tout un peuple de statues précieuses, enseveliespendant de longs siècles au pied . du Parthénon, et qui, réveil-lées enfin de leur sommeil séculaire, nous ont apparu dansleur grâce sévère de déesses ., toutes éclatantes encore de leursfraîches couleurs; toutes parées du charme original et mysté-rieux des oeuvres primitives.

Puis c'est l"AsitMineure, cette autre Grèce, qui chaquejour nous livre de nouveaux trésors, Tandis que les turnulid'Hissarlik nous rendent les ruines de Troie, les découvertesde. Newton an temple d'Apollon Didym4en nous donnent lesstatues colossales qui décoraient l'avenue sacrée des Bran-chides. Les fouilles de Milet font entrer au Louvre les débrisdu sanctuaire d'Apollon, le Musée Britannique s'enrichit desdépouilles de la Diane d'Éphèse et de la Vénus de Cnide. AIjalicarnasse, le mausolée retrouve par Newton nous fait con-naître l e, style de l'école attique du iv' siècle, et pénétrer dansl'une 4e ces petites cours asiatiques, véritables colonies artis-tiques de la Grèce, où s'épanouissent dans toute leur fleur lesarts et la civilisation de l'llellade. Plus loin, dans la pitto-resque Lycie, où Fellows dès i31 recueillait pop . le Musée

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Britannique les curieux monuments de l'Acropole de Xanthos,une expédition autrichienne entreprenait dans ces dernièresannées des recherches nouvelles et enrichissait le musée deVienne de la frise piécieusede GôI-Batscbé. Enfin, sur l'acro-polo de Pergame, Tes fouilles entreprises et poursuivies depuisdix ans par le gouvernement allemand ontrenouvelé vraimentl'histoire de l'art grec ait u' siècle, et révélé, par une séried'oeuvres originales, tous ces maîtres sculpteurs qui vécurentdans l'entourage des Attulides et qui ont contribué pour leurgrande part à l'éclat de cette cour savante, artistique et lettréedes souverains de Pergame.

Et comme si ce n'était pas assez de tant de grandes décou-vertes pour nous faite connaître dans sa libre variété l'admi-rable développement de l'art grec, voilà que de l'ombre desnécropoles, patiemment fouillées à Tanagra et à iMyrina, estsortie une Grèce nouvelle, non point cette Grèce un peu graveet austère qui se pla5t aux représentations des héros et desdieux, mais une Grèce qui s'amuse et sourit, qui descend deshauts sommets de l'idéal aux familiarités de la vie terrestre,et de l'imposante noblesse des compositions héroïques à la libreintimité des sujets de genre. Dans les tombeaux de l'Asie Mi-neure et de la Béotie, la pioche de l'ouvrier n réveillé de leursommeil tout un peuple charmant (le figurines élégantes etcoquettes, grandes et petites dames de l'antiquité, au nez re-troussé, aux chevelures maniérées et capricieuses, aux allurespiquantes, dont l'aimable abandon et l'air tout moderne rap-pellent moins les oeuvres du iv e siècle hellénique que les char-mantes fantaisies du xviii' siècle français.

Faut-il parler, après tant de mémorables découvertes, deces heureux et hardis voyages, qui plus d'une fois ont conduitles explorateurs européens dans les cantons les plus reculésde l'Asie-Mineure, et fait retrouver sur les hauts-plateaux dela Mysie ou de la Cappadoce, dans les grottes funéraires tail-lées ait flanc des montagnes lyciennes, dansies colossales sculp-tures qui couvrent les rochers de Phrygie, les origines loin-

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taines de l'art hellénique ? Faut-il iiariei' des fouilles laitespar Salzmann h Rhodes, faut-il parler surtout des merveil-leuses découvertes de M. de Cesnola à Chypre, qui nous ontrévélé cet art, mi-partie égyptien, tut-partie assyrien, parlequel le livre des antiquités orientales se rattache h la glo-rieuse histoire de l'art hellénique?

J'aimerais à parler, si le cadre de ces études ne devait êtrelimité à l'histoire de l'ait grec, d'autres découvertes encore etplus fameuses peut-être. Par delà cette antiquité grecque,venue si tard dans l'histoire que pour les Egyptiens, suivantle mot de Platon, les Grecs n'étaient que des enfants, je vou-drais vous conduire dans cet Orient qui vient à peine de nousdire soit secret, et j 'y aurais d'autant plus deplaisir, quedans ce domaine nous nous trouvons vraiment en terre et enscience françaises L'Égypte révélée par le génie des Chain-pollion et des Manette, Ninive et Babylone secouant leurlinceul d'argile et revoyant le jour sous la main (les Botta,des Place, des J,ayard, des Oppert, les palais de Persépolislivrant le secret de leurs inscriptions ii la sagacité d'EugèneBurnoitf, la Phénicie explorée Par M. Renan , les villes Sy-

riennes découvertes par MM. Waddington et de Vogué, laChaldée retrouvée par M. de Sarzec, et il y a quelques mois hpeine, les palais des Achéménides en Susiane restitués h la.lumière par M. Dieulafoy et livrant, parmi tant de trésors,h notre musée du Louvre cette admirable frise en faïenceémaillée où apparaissent ]es archers de la garde royale deDarius, que de pages glorieuses pour l'histoire de l'archéologie,et quelle merveilleuse préface, aussi belle que le livre même,écrite par des mains toutes fraiaises à l'histoire de l'art bel -lénique Quel admirable épilogue aussi ne trouverons-nouspoint à cette histoire, si passant de l'Orient à l'Occident latin,nous parcourons du regard les découvertes innombrables faitessur toute l'étendue du monde romain Les' cimetières étrus-ques de Clusium et de Taiquinies nous montrent la splendeurbizarre de leur décoration et la civilisation étrange et inyté

-z

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COURS D'ARCHÉOLOGIE. :17

rieuse de ce peuple qui demeure aujourd'hui encore un desproblèmes de l'histoire; les fouilles du Forum et du Palatinnous apprennent le luxe grandiose de la Rome impérialel'exploration poursuivie sans interruption des ruines de Pom-pé' nous révèle la vie d'une petite ville de province et h pein-ture si curieuse de l'époque alexandrine; et l'étonnante dé-couverte des Catacombes, merveille du génie de M. de Rossi,nous conduit jusqu'au seuil du moyen âge, et prépare l'avè-nement de l'art chrétien et moderne. Certes, ce n'est pointune science inutile et vaine que celle qui en cinquante ansa su faire tant de merveilleuses conquêtes et de découvertesmémorables, et qui, en nous révélant de toutes pièces plu-sieurs grandes civilisations disparues, a reculé de plusieurssiècles lés souvenirs de l'humanité.

IV.

Nous n'avons point la prétention «embrasser dans nosétudes ce vaste ensemble ni le temps, ni nos forces n ' y suffi--

raient. Nous laisserons de côté et l 'Orient récemment décou-vert, nous bornant i. le regarder de loin des pa rs helléniques,et l'Occident latin; nous limiterons nos recherches à l'artgrec et à l'archéologie hellénique, et cela sans espérer qu'uneaunée puisse suffire à épuiser ce domaine si étendu encore.Nous ferons donc notre choix parmi tant de granules décou- -vertes, pour vous présenter les plus dignes d'intérêt et les plusmémorables seulement; mais quelles règles guideront ce choix?Quels principes dirigeront cette exposition? C'est ce quevoudrais en terminant mettre en pleine lumière, pour bienpréciser le caractère et le but de cet enseignement.

Vous avez tous lu, Messieurs, dans la . Revue des Deux-

Mondes, cette série de charmants articles où M. Gaston Boissiera fait connaitre les résultats des fouilles entreprises dans cesdernières années à Rome et en Italie. Sur les pas de ce guideaussi savant qu'aimable, vous avez visité sans effort et sans

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38 ANNALES Dit L'EST.

ennui le Forum et le Palatin, parcouru les rue' de Pompéi etles sombres couloirs des Catacombes; à sa,iiite vous êtes des-cendus sans fatigue dans les tombeaux étrusques de Corneto,et pieusement vous avez fait votre respectueux pèlerinage kla villa d'Horaee; et dans ces Promenades archéologiques yen-dues si aisées, si faciles, vous avez rencontré l'antiquité nonpoint austère et repoussante, mais aimable, attirante, avait-saute parfois, intéressante toujours. C'est que, sous la mainde M. Boissier, l'érudition sait se tempérer et s'adoucir d'unebonne grâce infinie; c'est que la science, telle qu'il l'entend,n'est point aride et sèche; elle comprend qu'un peu de parureembellit les plus belles choses et qu'un peu de coquetterie némessied point aux personnes les plus graves; elle ne se con-tente point de Palier à l'esprit et d'imposer ses leqons, elleveut aussi faire bien venir ses conseils; elle ne dédaigne pasde faire toilette pour aller dans le monde et y plaire, et lesuccès qu'elle y a rencontré montre assez qu'elle ne s'est pointtrompée. Sans appareil pédantesque d'érudition, mais avecune sûre connaissance de l'antiquité, sans prétentieux abusdes termes techniques, mais avec un sens parfait des recher-ches et des procédés artistiques, M. Boissier nous conduit àtravers les ruines de ces grands monuments de l'antiquitémais il ne lui suffit pas de nous guider à travers les débrisfroids et morts des temples romains ou des palais impériaux;il veut que ces salles désertes, que ces places abandonnéess'animent à nos yeux et se peuplent de leurs hôtes d'autrefois;il veut que ces colonnades se relèvent, que ces statues, seredressent sur leur piédestal; il veut que cette antiquité enfinne nous apparaisse point comme un squelette inanimé, maiscomme une personne vivante. Les monuments anciens detneu-reraient lettre morte s'ils ne s'éclairaient à la lumière dessouvenirs anciens et l'archéologie serait chose bien stérile etbien vaille si elle n'appelait--à son aide les legons de l'histoiré.Dans les pages de M. Boissier, cette féconde association aPo rté tons ses fruits. Des ruines du Forum actuel, vous passez

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COURS D'ARCHÉOLOGIE.

ans efforÉ aux splendeurs disparues dit romaixi ; dansles débris cia Palatin, à èhique pas vous rencontr

ez lit ié-

moi i :e vivante des Césarst le souvenir des grandeà fêtes iiiipé-riUes; ici, dans la villa de Tivoli, vous trouvez cette sédui-sante et curieuse fi gure de l'empereurHa drien , et le caractèrede l'homme explique à merveille le monument de sa pensée;là, dans les avenues souterraines des Cataornbes, vous com4prenez mieux l'histoire des origines du christianisme et lesobscurs et glorieux débuts de l'Elise primitive. C'est qu'enface dès monuments de l'antiquité, M. l3oissiei' ne vent pointseulement que l'on regarde, mais aussi que l'on pense; il veutque de ces études de détail jaillissent des rites plus généralessur la nature et sur la vie antique; il veut que i'aicliéologiene soit point une science moite, mais qu'elle »oùs mette encommunion plus intime avec les événements et les person-nages (le l'lustoire, qu'elle nous îasse pénétrer chaque jourdavantage dans les replis mystérieux dû l'âme de l'antiquité.

S'il n'était un peu bien ambitieux de reprendre à mon

compte titi titre devenu si vite populaire, je voudrais, moi aussi,faire en votre compagnie une série (le promenades arehéoloLgicues, vous conduire talents travers les monuments dé la Grècede la même façon que M. Boissier vous a guidés parmi ceuxde l'Italie tour, ait moins nie sera-t-il permis de nie proposerun tel modèle, (le n'inspirer de la même méthode, de marcher,

pus moitis assurés sans d oute, clans la voie si magistraleihentouverte, et sans espérer un semblable succès, de me couvrirau moins de l'autorité d'un tel maître. II ne faut point, dans

cet ensei gnenien t nouveau (lue nous inaugurons, charger nosépaules au départ d'un trop lourd attirail scientifique àprendre cet équipement, nous courrions le risque de laisser enroute beaucoup de nos compagnons de voyage. Il ne convientpas, pour faire connaître cette science nouvelle, d'en abordertout aussitôt les plus redoutables problèmes et d'effrayerl'attention par de trop rebutantes recherches. Il y a dansl'archéologie, Dieu merci assez de grandes àbelles étudEs à

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40 ANNALES DE L'EST,

poursuivre pour pouvoir sans danger laisser dans l'ombre lesdétails trop particuliers, les questions trop spéciales. Plustard, quapd les premiers principes de la science seront deve-nus familiers h notre esprit, quand nous saurons nous orienteret nous reconnaître dans le mystérieux labyrinthe de ces civi-lisations et de ces arts disparus, nous pourrons quelque jourregarder sous d'autres aspects l'histoire de l'art antique, maisaujourd'hui, au début de nos recherches, ce serait une doubleerreur, de tact et de méthode. Aujourd'hui, il faut rendreaccessible à toits et, s'il se petit, attrayante pour tous l'étudedes résultats de ces grandes découvertes dont j'esquissais toutIL l'heure l'histoire; il faut vous les présenter une à une, nonPoint à la manière (l'un aride inventaire qui enregistre lesconquêtes de la science, méthodiquement, sèchement, en don-nant à chaque chose une égale importance, mais sous descouleurs plus vivantes et plus vraies; il faut, pour chacun deces merveilleux ensembles de recherches, non point faire uncatalogue, mais composer un tableau; il faut choisir, parmices trouvailles de valeur et d'importance inégales, celles quimarquent d'un trait décisif quelque progrès (le l'art ou quelquevérité de l'histoire; il faut, de ces débris informes ou mutilésque la pioche de l'ouvrier extrait du sol antique, reconstruirepar un effort hardi l'édifice disparu dont ils gardent la nié- -moire; il faut, par les récits des historiens, éclairer, compléterles informations des archéologues ; il faut enfin faire revivreces époques disparues, et dans ces champs de ruines, oit lamort semble régner eu maîtresse, retrouver l'une après l'autreles grandes périodes de l'histoire de l'humanité. Si l'histoireest vraiment et doit être une résurrection, nous serions biencoupables de . laisser échapper, sans en tirer profit, ces élé-ments d'information précieuse qui nous font pénétrer dans levif de l'antiquité.• Faire oeuvre de vulgarisation plutôt que de science, et tué-tier d'historien au moins autant que d'archéologue; choisirParmi les grandes découvertes récentes quelques ensembles

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COURS D'ARCIIÉOLOGOE. 4!

particu1ièement mémorables pour l'art et pour l'histoireétudier, à la lumière de ces recherches nouvelles, quelquepériode de la civilisation et de la vie hellénique; disposer enfinces tableaux de telle sorte que nous puissions suivre, grâce heux, les étapes successives et les progrès merveilleux de l'artgrec: tel sera notre programme. Cette année, ce seront Mycèneset Chypre qui nous apprendront les origines de l'art grec etses relations avec les arts de l'Orient. Délos et Dodone nousferont connaître, avec, les premiers essais de l'art archaïque,les coulisses (les oracles et l'administration des temples anti

-ques. Air d'Apollon Ptoos, sur le rocher de l'Acropole,ait sanctuaire d'É'gine, nous suivrons les progrès de l'art hel-lénique depuis ses premiers tâtonnements jusqu'à la veille desoir épanouissement; et enfin, dans les plaines d'Olyrnpie,nous trouverons, avec les plus illustres souvenirs de la vie pu-blique en Crèce, la splendide perfection de Fart classique dansles oeuvres des Alcamène, des Paconios et des Phidias. Si notretemps y suffit, nous étudierons, s'il se petit, à Éleusis, les mys-tères sacrés de Cérès, il la miraculeuse thérapeutiqued'Esculape ; en attendant qu'une autre année nouspuissions,passant de la Grèce en Asie, poursuivre à Milet et à Eplièse,h Halicarnassc et h Cnide, à Pergame et en Lycie, les dernièressplendeurs et les destinées suprêmes de l'art hellénique.

Mais pour parler d'archéologie avec quelque profit, les motsseuls ne sauraient suffire; pour traiter avec quelque précisionles questions artistiques, il faut, sous peine de resterdans desgénéralités théoriques et vagues, mettre sous les yeux desauditeurs la reproduction des monuments. On ne conçoitpoint, saris un laboratoire, sans (les instruments, sans des col-lections) l'epseignement de la physique, de lit ou dessciences naturelles : l'étude de l'archéologie de même réclameses instruments et ses collections. Dans toutes les universitésallemandes et dans les plus petites même, le professeur d'ar-chéologie dispose d'une galerie de moulages, qui lui permetde définir par des exemples précis le style des écoles artisti-

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42 ÂMÇÂLES bE L'EST.

ques qu'il étudié. Dans ces musées acddéniiques, oède longuesséries de plâtres méthodiquement rùgés eh un ordre adnu-ruNe, reproduisent les cbefs-d'oeuvi-e de l'art grec et romain,l'auditeur trouve le vivant et précieux commentaire de l'en-seignement du maître par la vue directe des monuments, ilapprend par lui-même à suivre la succession des formes, à re-connaître la différence des styles, à comprendre la techniquedes oeuvres d'art; et par cette éducation des yeux il acquiertcette finesse de-tact, cette sûreté de goftt et de jugement, cetteconnaissance précise que toute l'érudition du inonde est inca-pable de donner. Continuellement enrichies par la libéralitédes pouvoirs publics, somptueusement installées dans des sallesspécialement consti-Uite, les collections archéologiques desuniversités allemandes prennent chdque jour un développe-ment nouveau. Le musée des plâtres de Munich compte plusde 500 numéros; la collectién de Bonn, que l'on s'accorde àciter comme un ihodèle, possédait en 187 près de 700 mou-lages, et depuis dette date, ce chiffre i été sans nul doute biendépassé; à nos portes enfin, dans cette universié de Strasbourgque nous ne pouvons visiter sans tristesse, le catalogue dumusée archéologique édmprend près de 1,500 numéros.

Ch-ez nous aùssi, on a compris l'utilité de semblables collec-tions, et la bonne k'olonté ne manque pas polir créer dans nosgrands centres universitaires des musées d'archéologie clansses Facultés nouvelles, Bordeaux fait place hune galerie demoulages3 et déjà t'es colleétiofls, pour lesquelles le ministèrede l'instruction puiliqhe n'a point marchandé les d'édits,commencent à fuji-e quelque figure. Nous aussi quelque journous aurons peut-être un musée de cette sorte déjà quel-ques éléments en sont rassemblés dès maintenant; mais enattendant 'que des circonstances hehreuses ou bien une longuepatience aient formé à côté de nous cette indispensable col-lection de moulages, il â fallu dès aujourd'hui aller ail plusPressé et suppléer eh qhelque manière à l'absence de ces repro-ductions nécessaires,.

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COURS D'ARCHÉOLOGIE. 43

Nous avons donc rassemblé, en une série de photographiesdéjà considérable, les principaux monuments de Fart antiqueconservés dans les grands musées d'Europe, et nous pourrons,grâce à elles, mettre sous vos veux le commentaire vivant denos leçons. Nous tâcherons de faire phis encore; les photogra-phies sont de dimension trop restreinte et d'un maniementtroll pouI que l'uagc n'en soit point ùédessairementlimité à un petit nombre de personnes; nous y joindrons doncdes projections. A lit de chacune de nos eçohs, nous voltsprésenterons 1nir ce piocéclé les monuments les plus impor-tants, les oeuvres d'art les plus considérables qui auront faitl'objet de nos recherches, et de la sotte nous donnerons, jel'espère, à notre enseignement cette base solide sans laquellel'étude de l'antiquité figurée ne serait qu'un nid mot. Je doisajouter - pour écarter jusqu'à l'ombre d'une crainte légitime- que nous choisirons avec un soin extrême les représenta-tions qui devront être mises sous vos yeux. La Grèce a dû àson beau ciel, aux habitudes plus libres de la vie en plein airnue conception de la beauté humaine dont les formes peuventchoquer parfois nos pruderies modernes nous saurons faireà notre temps les concessions qui lui sont dues et ménâger sesjustes susceptibilités. On dit que le pape Paul 1V, choqué dequelques figures un peu libres placées par Michel-Ange dansso it dentier, à la chapelle Sixtine, commanda à Da-nid de Volterra d'habiller plus décemment les personnages dumaître, et le peintre fut pour cette raison surnommé le culot-tier de Michel-Ange. Sans recourir aux services d'un artiste(le cette sorte, nous tâcherons d'imiter pourtant la pudiqueréserve de Paul IV, et sans nous donner le ridicule d'habillerlés statues, nous nous efforcerons de vous présenter des statuesqui né soient point trop court vêtues. C'est sur cette considé-ration rassurante et morale que je veux terminer ces obser-vations préliminaires, et je pense, Messieurs, que je ne saïtraismieux finir.

Oh. DIEHL.

Page 26: LE GÉNÉRAI,bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/12283f96052c03e4420… · ne fait pas mauvaise figure ; je sais bien, Messieurs, que ce salon-là cest le Monde où lon sennuie,

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44 ANNALES DE L'EST.

COURS 1E GÉOGBÀPIIIE. -' LEÇON D'OUYEBTUBE

CARACTÈRE ET TENDANCE DE LA SCIENCE GÉOGRAPHIQUE

Je VOUS dois, en ouvrant ce cours, d'expliquer pourquoi lagéographie, après une retraite de deux ans dont; H nesemble pas qu'on lui ait tenu rigueur - affronte de nouveaule public. Successeur Cil fait, sinon en titre, de maîtres dis-tingués, dont le souvenir n'est point perdu parmi vous, j'aicraint que mon insuffisance 110 lit tort à l'enseignement clolItje suis chargé, et qu'on n'imputt à la science professée toutesles imperfections du professeur. Cette crainte, je ne l'ai pasdépouillée encore, et si je la surmonte aujourd'hui, c'est queJ' ai appris à connaître la sympathie que porte à la Facultédes lettres un auditoire d'élite. Une considération plus impé-rieuse a CIL raison de mes scrupules. La géographie - vousen doutiez-vous? - traverse Hue crise où ses destinées sonten jeu. A peine sortie' de l'âge ingrat son existence est com-promise, ainsi que SOU bon renom, il importe que ses défin-seurs officiels, qui ne sont pas tout à fait des défensehrs d'office.Interviennent pour la protéger contre ses ennemis, et au be-soin contre elle-même. Les jeunes sciences, comme les jeunesfilles, sont sujettes, à leur entrée clans la vie, à de singulièresaventures. Jugez-en plutôt.

La géographie était, il n' y a pas bien longtemps, 1111e enfantinsignifiante, abandonnée, une Cendrillon, liuni hie servanted'unene soeur aînée qui daign ait la chaperon lIer quelquefois,qui prétendait l'éclipser toujours, l'Histoire. Mais voici quela Cendrillon à son tour trouva des adorateurs ce n'étaientPis tous d6s Princes Charmants. Mais, sevrée jusqu'alors dedoux hommages, la petite personne n'y regarda pas de si près.

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